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Rapprochement Esthétique entre Jeu Vidéo et Cinéma 45 2 CONVERGENCES & INTERSECTIONS AVEC LE CINEMA 2 Convergences & intersections avec le cinéma

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Rapprochement Esthétique entre Jeu Vidéo et Cinéma

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CONVERGENCES & INTERSECTIONS AVEC LE CINEMA

2 Convergences & intersections avec le cinéma

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Ce que nous avons dit jusqu’à présent concernait le jeu vidéo dans son ensemble, nous avons tenté une première approche en le fractionnant selon divers critères. Resserrons maintenant notre propos sur les jeux qui semblent émuler chez le joueur des émotions du même ordre que le récit filmique. Dans cette catégorie, je placerai des genres tels que le Survival Horror et le RPG japonais (dorénavant abrévié en JRPG) et des jeux comme Resident Evil, Silent Hill et Metal Gear Solid, qui en sont les représentants les plus aboutis et dont il a déjà été et sera souvent question dans ces pages.

Outre proposer les émotions immédiates d’un jeu comme la satisfaction stimuli/réactions (ce qui se passe à l’écran / entrer des commandes) ou le contentement des sens (jolis graphismes, qualité des bruitages), les jeux en question suscitent également des émotions plus subtiles, que l’on pourrait qualifier d’esthétiques, en cela que le joueur semble réagir à une intention des concepteurs.

La section qui va suivre tentera d’explorer les causes d’un tel émoi et sera elle même composée de deux hémisphères. L’un traitera de l’aspect visuel : en quoi le cinéma et jeu partagent des formes communes, et l’autre portera sur la narration et l’implication du joueur.

2.1 L’analogie visuelle 2.1.1 Un monde d’images (qui bougent) Cinéma et jeu vidéo sont tous deux des médias visuels : ils utilisent le son,

mais ce n’est pas une constituante sine qua non. Ils supposent donc la constitution d’une diégèse visuelle (le monde dans lequel l’action va avoir lieu), dont la conception (son design) et la mise en image (les choix quant à sa représentation) constituent ce qu’on appelle la direction artistique. Soyons mauvaise langue et précisons qu’au cinéma, la création de cette diégèse est facilitée si l’histoire prend comme cadre le monde réel.

Mais, une fois ces évidences énoncées, nous n’en sommes guère plus avancés,

puisque cela peut s’appliquer à d’autres médias visuels possédant une constituante temporelle ou chronologique, comme par exemple la bande dessinée. Peut être que la première chose à faire pour aborder sereinement le sujet serait elle de relativiser la référence au cinéma.

2.1.1.1 Je vois l’arbre… (qui cache la forêt) Enonçons à nouveau une évidence : oui, le jeu vidéo s’inspire du cinéma, tout

simplement parce que c’est le média visuel dominant. De la même façon qu’à ses débuts le cinéma avait lui-même repris le mode de représentation du théâtre, il est bien compréhensible qu’un nouveau média reprenne à son compte les acquis de ceux qui l’ont précédé.

Le cinéma étant devenu une sorte de mètre étalon, les autres médias vont (par réflexe inconscient) reprendre des formes rendues transparentes par celui-ci. La bande dessinée va essayer de rendre les travellings en une succession d’instantanés de

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ce que serait le mouvement de caméra s’il était effectivement réalisé ; ce qui, à mon avis, est une grossière erreur, car elle réduit le média à l’ersatz d’un autre, alors que la bande dessinée a des possibilités propres lui permettant de jouer des sautes temporelles et spatiales.

Les ralentis extrêmes que l’on peut déclencher à l’envie dans Max Payne n’auraient pas vu le jour si le succès de Matrix n’avait pas préparé le grand public à ce genre d’effets avec son utilisation du bullet-time. A ce propos, tordons le cou à une idée reçue : le bullet-time n’a pas été inventé par le jeu vidéo, c’est à la suite du succès de Matrix qu’il est apparu dans les jeux.

Matrix (Andy et Larry Wachowski, 1999) et le bullet-time : le défilement du temps est ralenti (voire stoppé) tandis que la caméra continue son mouvement dans un environnement qui donne l’apparence d’être immobilisé.

Max Payne, dont l’action peut être ralentie. Le jeu (tout comme Matrix d’ailleurs) s’inspire des gunfights des films de Hong Kong tel que…

A toute Epreuve (John Woo, 1992) : une transposition des affrontements épiques du récit de chevalerie chinoise dans l’univers policier.

Pareillement une forme partagée par deux médias proches, comme par exemple le découpage dans le cinéma et la bande dessinée, sera attribuée comme légitime au média dominant, reléguant l’autre au rang de vassal.

Visuellement, le jeu vidéo se rapproche de l’animation en images de synthèse

et a recours à des outils communs (Les modèles 3D utilisés dans les nouveaux Star Wars

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sont d’ailleurs réutilisés dans les jeux de la franchise). La 3D permet l’existence d’un espace indépendant d’un point de vue ; même en l’absence d’un point de vue défini l’espace est persistant …comme dans la réalité. Avec la 3D le jeu vidéo acquiert donc les mêmes modalités que le cinéma en matière d’espace et de modulation du point de vue, bien que leurs finalités diffèrent. En quoi d’ailleurs ?

2.1.1.2 Un véritable cadrage est il possible dans un jeu vidéo ? Dans un film le cadre, outre son intérêt pictural (la composition), opère

également un choix entre ce que l’on montre au spectateur et ce qu’on lui cache délibérément. Dans un jeu, le cadre fournit essentiellement des informations sur la base desquelles le joueur prend des décisions; il est en premier lieu prosaïque et informatif avant d’être éventuellement signifiant sémantiquement ou symboliquement ou tout simplement joli.

Mais peut on réconcilier le pragmatisme de la fonction avec des aspirations

picturales plus nobles ? On laissera de côté, pour l’instant, les passages narratifs qui eux, se situent à

l’extérieur des phases de jeu. La 3D, en même temps qu’elle délivre l’espace de la nécessité d’un point de vue, apporte également le hors champs. Ce qui n’est pas sans compliquer l’orientation spatiale. La représentation ne permettant que d’accéder à une partie des informations sur l’environnement immédiat à un instant donné. C’est particulièrement vrai avec la vue semi-subjective, peut être à cause de son positionnement inconfortable entre une vue « omnisciente » (de dessus ou de coté) où l’espace immédiat affiché englobe l’avatar, et une vue subjective qui, elle, correspond plus à nos habitudes visuelles. A propos de cette dernière, la gêne est moindre, du fait, je pense, qu’elle soit principalement utilisée dans le cadre du FPS, dont le principe de jeu oblige à un balayage constant du regard (qui coïncide avec la ligne de mire).

Red Alert : vue de dessus.

L’espace affiché fournit des informations dans tous les principaux axes d’où peut venir une attaque ennemie.

Maken X : vue subjective.

Comme dans la vie, on ne peut voir que devant soi. Si vos adversaires n’étaient pas si bêtes ils vous attaqueraient dans le dos.

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Les développeurs ont de ce fait souvent intégré une possibilité de passer en

mode d’observation et de ne déplacer que le regard… -ce qui au passage permet également d’admirer les détails de la modélisation. On peut considérer, non sans raison, une telle représentation comme non arbitraire car le regard du joueur n’y est pas dirigé…mais cela peut également se révéler fastidieux d’avoir à regarder sans cesse alentour afin de chercher son chemin.

Crash Bandicoot Warped : les niveaux ont été délibérément conçus comme des couloirs afin que le joueur « n’ait pas à se demander où aller. »

Il est, je pense, nettement plus intéressant que le cadre comporte une part d’arbitraire en dirigeant le regard pour opérer un premier tri d’informations et faciliter la spatialisation… Ainsi, moins il y aura d’interactions possibles et donc moins il y aura besoin d’informations spatiales, ou plus l’interaction « utile » demandera de la précision, plus on pourra se permettre de moduler le point de vue de la caméra pour optimiser la lisibilité ou se permettre un effet esthétisant.

Dans Metal Gear Solid, lorsque l’on passe d’un hangar à un sas, (orienté Nord / Sud et où la progression latérale n’a donc plus de sens), la caméra va opérer un recadrage pour accentuer la lisibilité de l’obstacle : des rayons invisibles à l’œil nu (il y a un moyen de les faire apparaître), déclencheront l’alarme (et le Game Over) si le joueur passe dans leurs faisceaux. Les temps morts (où l’interaction est au plus bas) sont autant d’occasions d’opérer une dramatisation de l’image par le point de vue.

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Metal Gear Solid : le jeu adopte par défaut une vue de dessus et opère souvent un recadrage selon la géographie du lieu.

Autre exemple : au détour d’une porte, le joueur pénètre dans un couloir

dont les gardes ont été massacrés ; plus on s’en rapproche, plus le point de vue se rapproche du sol et de l’avatar pour souligner l’étrangeté de la situation et générer une tension dramatique. Ce passage se situe juste avant un coup de théâtre scénaristique et un combat contre un boss1 de fin de niveau.

Metal Gear Solid The Twin Snakes

1 les boss sont des ennemis plus coriaces que la moyenne et dont l’affrontement vient traditionnellement

clore un segment de jeu

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Ce dont nous venons de discuter atteste de l’existence d’un cadre « pointé » mais il existe également un cadre « composé ».

La vue en perspective découle de la volonté de composer véritablement un

cadre (fixe ou mobile) et d’astreindre la représentation à cette volonté picturale, qui trouve sa source d’inspiration dans le cinéma.

Resident Evil a privilégié la composition à la visibilité et il n’est pas rare que l’angle de la caméra, pour stylisé qu’il soit, ne permette pas de voir la position de ses adversaires.

Resident Evil Remake

Ces cadrages composés supposent également des interactions spatiales

limitées : ainsi Resident Evil se déroule dans un espace clos principalement constitué d’un réseau de couloirs et de pièces à la disposition spartiate.

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Le contre exemple nous est fourni avec Final Fantasy 7 qui lui aussi jongle avec les axes et l’échelle de plans à la manière d’une vue en perspective. Mais, les décors étant vastes, le jeu opte le plus souvent pour un cadre très large alors quasi indissociable d’une vue de dessus.

Final Fantasy 7

Enfin citons également l’utilisation de la lumière et surtout de l’obscurité

pour reléguer certains éléments présents dans le cadre dans un hors-champ sensitométrique. Ceci sert une finalité autant esthétique (modeler l’image) que pragmatique (créer une tension en maintenant le joueur sur ses gardes).

Silent Hill plonge ainsi l’avatar dans des décors obscurs mais laisse au joueur la possibilité de s’éclairer…ce qui ne manque pas d’attirer l’attention des ennemis tapis dans la pénombre.

Silent Hill Carrier

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2.1.1.3 Perspective et effet de réel Mais l’autre intérêt de la 3D est de pouvoir permettre une véritable

perspective à l’écran. Alors que les représentations sans point de fuite relèvent plus d’une vue de l’esprit ou d’une position « divine », la perspective, parce qu’elle découle d’un point de vue spatialement défini, semble témoigner de la présence d’un observateur et partant de l’existence de la diégèse observée. La perspective provoque donc un effet de réel qui renforce l’implication inconsciente du joueur et sa suspension volontaire d’incrédulité. Afin de mieux comprendre de quoi procède l’effet de réel, regardons maintenant du coté de la bande dessinée.

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Sin City de Frank Miller, 1993

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La planche ci-dessus est tirée du premier tome de Sin City. Le style graphique ne ressemble en rien à la perception qu’ont nos yeux de la réalité et pourtant il évoque néanmoins une impression de réalité.

A quoi est elle due ? Tout d’abord l’utilisation d’aplats fournit des informations de surfaces et de

volumes dont on peut déduire des contours, ce qui est plus proche du fonctionnement de notre vision que le dessin au trait qui indique des contours dont on infère les surfaces et les volumes qu’ils délimitent. Ensuite la palette de tons, réduite au noir et blanc, outre qu’elle rappelle l’aliénation visuelle qu’est l’achromatisme de la vision scotopique (nocturne), évoque le contraste que produit l’éclairement de la pleine lune et qui sépare les surfaces entre ombre impénétrable et lumière toute relative.

L’impression de réel est induite par un élément qui semble obéir à la logique

physique de la réalité (à défaut d’en être la reproduction fidèle) et qui de façon métonymique va contaminer toute l’image…

Attention cependant à ne pas confondre cette impression avec le degré de

ressemblance à son modèle initial ; l’effet de réel est indépendant du réalisme, dont il va maintenant être question…

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2.1.2 Photoréalisme, anthropomimétisme et power-ups2

Dans les paragraphes qui vont suivre, il sera question de la volonté de mimétisme avec la réalité ; cette partie sera plutôt théorique et spéculative. On expliquera certains concepts sur la perception de l’humain que l’on essayera d’articuler, et auxquels il sera également fait référence dans la section concernant la narration.

2.1.2.1 Le triangle iconographique de Scott McCloud Scott McCloud3, auteur et théoricien de bandes dessinées, propose une

nomenclature des représentations visuelles à trois axes qu’il matérialise par un triangle.

Le triangle de Scott McCloud

Le réalisme est la tentative de ressembler le plus fidèlement possible à la

réalité. L’optimum étant la photographie. On parlera de photoréalisme comme étant la volonté pour une image de s’approcher de l’impression laissée par la reproduction photographique et d’atteindre cet optimum.

L’axe réaliste Fahrenheit : une modélisation réaliste des visages.

2 Un power-up augmente les capacités de l’avatar. 3 Explications et schémas sont repris de son site web [http://www.scottmccloud.com].

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L’iconisme est la stylisation : elle fait appel à une ressemblance de plus en

plus lointaine au fur et à mesure que l’on se rapproche du sommet du triangle avec l’objet de la représentation, sans pour autant viser au mimétisme visuel.

L’axe iconique

Donkey Kong : la naissance de Mario ou comment représenter un personnage avec les quelques pixels que permettaient les machines de l’époque.

Cet axe comporte un second sommet au-delà de l’iconisme : le verbe.

L’écriture étant la forme absolue de l’iconisme, puisque le mot a une signification, mais est dégagé de toute ressemblance visuelle avec l’objet qu’il désigne. Il ne sera pas question de ce détail dans ce qui nous attend…

L’ecriture, stade ultime de l’iconisme

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Ces deux axes sont ceux de la figuration : l’image est la représentation plus ou moins symbolique de quelque chose. Le troisième axe, l’abstraction est celui où formes et couleurs cessent de référer à quelque chose et se suffisent à elles-mêmes.

L’axe abstrait Tetris : les briques renvoient au concept du jeu et n’ont pas besoin de référence à un contexte extra-ludique pour faire sens.

Les jeux se situent principalement sur les axes figuratifs et n’empruntent que

rarement l’axe abstrait. On peut également remarquer que l’évolution de la puissance du hardware a permis de gagner du terrain sur l’axe du réalisme.

Space Invaders (1978) Resident Evil 4 (2004)

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2.1.2.2 L’image de l’homme L’œil humain cherche à reconnaître dans une image des éléments déjà

connus, ce qui explique pourquoi on voit des figures dans des motifs aléatoires, comme ceux du liège ou les nœuds du bois. Parmi ces éléments, la forme humaine est privilégiée, c’est vers elle que se dirige instinctivement le regard, et tout particulièrement le visage, qu’inconsciemment on cherche à retrouver partout, entre autre, dans les surfaces de la lune… Notons au passage que la reconnaissance des formes et celle du mouvement sont deux processus distincts.

Cet anthropocentrisme du regard peut être illustré par l’exemple suivant :

La tête à Toto L’image de gauche ressemble à un panneau de signalisation mais aucunement

à un visage… Brisons le U central en trois segments, avec ce changement pourtant minime, l’image évoque immédiatement un visage humain iconisé.

Plus flagrant encore…

La tête à Toto 2 Il suffit d’ajouter deux points à un cercle pour figurer un visage. La simple

présence d’éléments assimilables à des yeux dans une figure ovoïde renvoie à un être humain (cela marche également avec un carré ou un triangle).

De même, il semblerait que les yeux soient la zone du visage la plus

importante pour la reconnaissance de visages familiers.

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Selon Monsieur Claude Bailblé4 , il y a trois niveaux de focalisation

corporelle : - le corps, - le visage, - les yeux, Il parle également de trois pôles au cinéma selon l’échelle des plans, qui

permettent une focalisation plus ou moins grande de l’attention du spectateur sur le protagoniste (et donc une identification plus ou moins superficielle).

-Le pôle situation où le spectateur voit la scène sans être vu, à la manière d’un narrateur omniscient,

-Le pôle personnage où l’on suit les actions d’un personnage, -Le pôle intérieur qui rend accessible l’état d’esprit. Si les catégories ne se recoupent pas entre elles, la focalisation corporelle

correspondrait aux pôles situation et personnage, tandis que visage et yeux se partageraient le pôle intérieur. L’échelle de plan au cinéma et en bande dessinée répond, en quelque sorte, à un besoin d’avoir différentes informations corporelles sur les personnages, notamment celles des visages.

Prenons à nouveau un exemple dans la bande dessinée :

4 Aux cours duquel une bonne partie des paragraphes à venir est tributaire.

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Gunnm vol.8 de Yukito Kishiro, 1994 Voici un exemple de cadre à double échelle, typique de la bande dessinée

japonaise. Cette image est immédiatement compréhensible, bien que ne correspondant pas à une réalité visuelle tangible, (telle que nos yeux la perçoivent ou que notre mémoire s’en souvienne), ou à un effet usité au cinéma5 (dont la répétition nous aurait fait accepter l’évidence).

Les deux « plans » comportent un écart temporel, en plus de leurs différences d’échelle et de point de vue, (le plan large donne l’impression d’un observateur situé au niveau des chevilles, tandis que le plan serré suggère un point de vue légèrement plus haut que les yeux du personnage). Bien qu’ils représentent un même personnage dans un même cadre, ce personnage ne fait pas la même chose : en plan large il a l’œil dans le viseur de son appareil photo, tandis qu’en plan serré , il lève les yeux au ciel…

5 Le split-screen s’en rapprocherait mais il n’a pas coutume de garder les mêmes axes de caméra.

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Et pourtant cette disparité ne gène absolument pas la lecture de l’image. On

a deux niveaux de focalisations : corps et visage, chacune présentant deux types d’informations différentes (donc non contradictoires car elles n’entrent pas en concurrence)… Le plan large renseigne sur la posture du personnage, sa place dans l’espace et ce qu’il fait, (ce qui peut déjà être un indice quant à son état intérieur) ; et le plan serré qui révèle son état psychologique. Notons au passage qu’un seul de ses yeux est dessiné, ce qui suggère un certain hermétisme de sa psyché ; il est en effet plus difficile de se projeter dans un visage dont on ne voit pas le regard.

Les neurones miroirs Nous avons dit plus haut que la reconnaissance de la forme et du mouvement

humains ne sollicitait pas les mêmes neurones. Mais la vision et l’analyse d’une forme humaine, fixe ou en mouvement, ne font pas appel qu’au seul cortex visuel.

Lorsque nous voyons l’un de nos semblables, les informations visuelles sont également transmises au cortex moteur par le biais des neurones miroirs. On déconstruit le processus moteur qui a abouti à la posture, la configuration musculaire que l’on voit et de là on infère les raisons, joie, colère, surprise par les mouvements du visage, qui les ont déclenchés.

Ce que nos yeux voient est interprété à l’aune de notre mémoire corporelle ; ce qui dans le cas du cinéma permet d’interpréter instantanément le jeu d’acteur, car on se projette dans son corps.

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2.1.2.3 La Vallée Etrange 2.1.2.3.1 Principe Le concept de la Vallée Etrange, en japonais bukimi no tani6, est une

hypothèse formulée en 1970 par le roboticien japonais Masahiro Mori pour expliquer des différences de réactions émotionnelles vis-à-vis de divers designs robotiques.

L’hypothèse est la suivante : plus un robot ressemble à un être humain, plus il

est à même de susciter un sentiment d’empathie, mais jusqu’à un certain point seulement. Lorsque le robot est trop ressemblant, il déclenchera un sentiment de répulsion d’autant plus intense qu’il est ressemblant. Cependant, Mori spécule que lorsque le degré de ressemblance sera quasi-total, la réaction redeviendra alors empathique pour s’approcher de celle que suscite un autre être humain.

La Vallée Etrange est cette zone sur l’axe de la ressemblance où l’empathie devient répulsion.

Le chemin vers la Vallée Etrange La théorie fait la différence entre l’anthropomimétisme7 visuel (l’aspect) et

l’anthropomimétisme moteur (les mouvements). Ce dernier suppose un minimum d’anthropomimétisme visuel puisque, pour pouvoir reproduire des mouvements humains il faut un corps qui, morphologiquement, se rapproche de l’humain. De la même

6 La traduction en vallée étrange est de mon fait ; je n’ai, en effet, pas trouvé de traduction française

canonique du concept. La traduction anglaise est « Uncanny Valley ». Explications et schéma sont principalement redevables à wikipedia.org.

7 J’utiliserai le terme d’anthropomimétisme pour désigner la ressemblance à l’humain plutôt que celui d’anthropomorphisme dont le champ est trop large.

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manière que l’on cherche à reconnaître la forme humaine, le mouvement de cette forme va être interprété comme un signe de vie et amplifier la réaction empathique.

L’explication serait que dans le cas d’un robot visiblement non humain, on

recherchera inconsciemment les similarités évoquant l’humain, mais, si ses similarités sont trop grandes, alors ce sont les différences qui sauteront aux yeux et créeront ce sentiment d’étrangeté.

Dans le cas de la simple ressemblance d’aspect, le malaise est aisément compréhensible. L’identification d’une forme humaine, qui n’a pourtant pas l’air vivante au niveau de la texture de la peau, est évocatrice d’un cadavre et renvoie à l’angoisse de la mort.

Pour ce qui est du mouvement, à la lumière de ce dont nous avons parlé précédemment, risquons nous à une hypothèse pour expliquer ce qui à la base est déjà une première hypothèse… Le mimétisme visuel tromperait le cortex visuel et activerait les neurones miroirs. Le cortex moteur malgré l’apparence humaine, n’arriverait pas à faire coordonner les mouvements perçus avec ses propres schémas moteur et le mouvement serait alors interprété comme pathologique.

C’est ce malaise diffus, cette étrangeté morbide, en un mot cette incapacité

à susciter une réaction émotionnelle positive que l’on désignera sous le terme de bukimi.

2.1.2.3.2 La Vallée Etrange appliquée aux images L’hypothèse de la Vallée Etrange, initialement développée dans le cadre de la

robotique a depuis débordé dans le domaine de l’iconographie. Une représentation humaine trop mimétique risque de provoquer l’aversion de l’observateur ou tout au moins, d’engendrer chez lui une apathie émotionnelle vis-à-vis du sujet. Masahiro Mori, quant à lui, émet l’idée que les représentations artistiques idéalisées susciteraient une empathie plus grande que la forme humaine réelle.

Scott McCloud, quant à lui, propose une théorie assez semblable sur le dessin.

Un dessin simple, cartoonesque, serait de par sa suggestivité plus à même de générer de l’empathie. Selon lui la forme iconique serait plus proche de notre propre représentation mentale. A l’inverse, un dessin réaliste s’éloigne de cette image intérieure pour se rapprocher de la représentation d’un autre auquel il serait plus difficile de s’identifier.

D’où la conséquence pour le modelling 3D : étant donné que le mimétisme

total, notamment des mouvements, ne sera vraisemblablement jamais atteint, les tentatives d’approcher le photoréalisme (l’anthropomimétisme visuel) et un rendu naturel des mouvements humains (l’anthropomimétisme moteur) sont vouées à l’échec ou à la stagnation… En refusant tout iconisme, elles risquent de créer des représentations repoussantes pour l’observateur.

J’ajouterai sur un plan plus spéculatif que la plus grande gêne, dans le cas de

l’animation, est peut être la difficulté de « lire » les yeux qui sont la partie du corps la

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plus inconsciemment expressive, et donc la plus porteuse de la capacité de s’identifier à l’autre, sans compter l’attirance de leur éventuelle connotation érotique.8 En animation (2D ou 3D), la plus simple façon de rendre un personnage sympathique est de lui dessiner de grands yeux.

Le personnage de Gollum dans Le Seigneur des Anneaux a été accueilli comme

une réussite d’intégration d’un personnage infographique photoréaliste dans une prise de vues réelles. Si le personnage fait en effet illusion à l’écran (Il résiste étonnamment bien au visionnage sur un téléviseur) et emporte l’adhésion du spectateur, il ne constitue pas un exemple de dépassement du bukimi.

Car si la texture du personnage semble effectivement organique, Gollum n’est pas humain, il se déplace à quatre pattes et son apparence difforme est censée susciter un sentiment pathétique… Ensuite ses yeux sont hypertrophiés, tout comme le sont les traits de son visage. Chacune de ses expressions est surjouée, exagérée… Bref, tout concourt à amplifier la lisibilité corporelle au-delà de celle qui est requise d’un acteur réel.

Le Seigneur des Anneaux : les Deux Tours (Peter Jackson, 2002)

Remarquons les mains disproportionnées de Gollum qui, avec son regard dit «de chien battu », lui donne un air pataud.

8 L’excitation sexuelle cause une dilatation des pupilles. Mais contrairement à ce que l’on pourrait penser,

les yeux ont moins d’importance que la forme du nez pour identifier le sexe d’une personne.

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J’ai, pour ma part, pu constater un phénomène allant dans ce sens avec le jeu Fahrenheit.

Fahrenheit

Les mouvements des personnages avaient beau avoir fait un usage intensif de

la motion capture, ils apparaissent déshumanisés et aucunement agréables à l’œil. Même s’ils se voulaient les plus réalistes possible, ils étaient en fin de compte bien moins convaincants que ceux d’autres jeux comme Resident Evil 4, dans lequel les mouvements des personnages, même s’ils sont complexes, (et ont fait appel à la motion capture), conservent néanmoins un aspect mécanique.

Resident Evil 4

Osons le rapprochement avec le dessin animé où j’ai constaté que des

mouvements stylisés m’apparaissaient souvent bien plus satisfaisants que ceux obtenus par rotoscopie d’acteurs réels.

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2.1.2.4 Le photoréalisme est il une impasse ? La Vallée Etrange n’est pas une science exacte, (ni même une science tout

court d’ailleurs…), c’est une hypothèse qu’il faut se garder de prendre pour parole d’Evangile et d’ériger en doctrine. Mais si on accepte l’hypothèse comme valable, comme cela semble être le cas dans le secteur de l’animation, (la rumeur veut que le studio Pixar opte pour une représentation « cartoon » de ses personnages « humains » pour éviter l’écueil du bukimi), cela nous amène à nous interroger sur l’évolution de la représentation dans le jeu vidéo.

Les Indestructibles (Brad Bird, 2004), un film du studio Pixar dont tous les personnages sont humains -et iconisés…

2.1.2.4.1 Puissance de calcul et qualité des images Il a été dit plus haut que le développement de la puissance a permis de

gagner du terrain sur l’axe du réalisme ; puis nous avons émis l’hypothèse selon laquelle le photoréalisme serait voué à l’échec…

A partir de là découle la question : passé un certain seuil de confort, à quoi

sert d’augmenter la puissance de calcul des machines ? A laquelle je répondrai : à faire des jeux d’une meilleure qualité graphique,

indépendamment de l’axe iconographique arpenté… La qualité graphique d’un jeu, c’est la qualité d’images qui est directement

tributaire du hardware, par opposition à la beauté subjective qui, elle, est fonction des orientations de la direction artistique. En quoi consiste cette qualité graphique?

La « beauté » des graphismes n’est pas dans le réalisme de la représentation.

Si Donkey Kong, que nous avons cité comme exemple d’iconisme, nous paraît aujourd’hui visuellement insatisfaisant, c’est à cause du manque de nuances de l’image, soit :

-la faible définition de l’image -la palette des couleurs -le manque de détails

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Donkey Kong

Une plus grande puissance de calcul, ce sont des possibilités de

représentation accrues, une palette de couleurs plus large permettant de meilleurs dégradés, des modèles 3D plus complexes permettant de rendre de vraies courbes et un environnement plus détaillé.

Spheres of Chaos Asteroïds

Spheres of Chaos (2004) reprend le principe de jeu d’Asteroïds (1979). La puissance du hardware est mise à contribution pour générer des explosions et des dégradés chromatiques qui tendent à l’abstraction et que le concepteur du jeu qualifie de psychédélique.

Avec l’augmentation des capacités des machines, les images gagnent en

finesse et en complexité, et tendent à faire disparaître les traces de leur fabrication. Une fois n’est pas coutume, délaissons la bande dessinée pour prendre un exemple dans la peinture…

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Vierge et l’enfant avec Sainte Anne de Léonard De Vinci, vers 1510.

Autoportrait de Rembrandt, 1669.

Dans ces deux tableaux, lequel semble le plus se rapprocher de notre vision ? Incontestablement l’autoportrait… et pourtant, s’il fallait désigner le mieux

exécuté (attention, je n’ai pas dit le plus réussi ou le plus estimable) le choix se porterait sur celui de De Vinci.

Ce qui retient le regard dans ce tableau, c’est la qualité des nuances et des transitions. On ne distingue pour ainsi dire pas de coups de pinceaux, contrairement au Rembrandt dont on voit les traces de « fabrication »…et qui les utilise à son avantage, mais c’est là un autre débat…

Pareillement la beauté des mouvements n’est pas dans leur mimétisme par

rapport à la réalité mais dans leur fluidité et la richesse de leur combinaison.9 L’effet « pervers », si l’on peut dire, est que, même si la représentation reste

dans la zone iconique (ou abstraite) du triangle, une plus grande palette de nuances provoquera chez l’observateur un certain effet de réel, en cela qu’elle se sera rapprochée de la variété infinie de sensations qu’offre le monde.

9 Même s’ils se doivent de respecter un minimum de vraisemblance quant à leur causalité physique : avant

de faire un bond de plusieurs écrans de haut, un personnage devra néanmoins prendre une impulsion, aussi minime soit-elle.

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Dead or Alive 2 et l’une de ses héroïnes, Kasumi. Les proportions des membres sont respectées mais les traits du visage sont à la fois idéalisés et exagérés (ainsi que d’autres parties de son anatomie). Une représentation reste à dominante iconique tant que des éléments sont voulus comme étant non-réalistes.

2.1.2.4.2 Le photoréalisme, hubris technologique ? Même si comme on vient de le voir, la tendance vers le réalisme est à

relativiser, cette dernière n’en est pas moins belle et bien réelle. Dès lors on peut se poser la question suivante :

« Le jeu vidéo dans sa recherche du photoréalisme ne va-t-il pas finir par se heurter à ce qui fait la force première du cinéma, et donc de faire machine arrière ? »

On peut le penser, mais la recherche du réalisme a toutes les chances de

continuer quoiqu’il arrive, et ce pour plusieurs raisons :10 Tout le monde ne cherche pas à retirer la même chose d’un jeu. Le problème du mimétisme, tel que le formule la Vallée Etrange, est celui

d’une réponse émotionnelle vis-à-vis de la forme humaine ; ce qui n’est un problème que si l’on recherche à ressentir ou susciter de l’empathie envers des représentations artificielles. Dans un genre tel que le FPS, (qui incidemment est utilisé comme laboratoire pour les avancées du photoréalisme et les améliorations graphiques en général), où la forme humaine (ou à défaut humanoïde), n’existe le plus souvent que pour y être réduite à l’immobilité; il est évident que ce n’est pas un problème.

Mais il n’y a pas que l’humain qui soit représenté ; si on élargit la question au reste de la représentation diégètique, on peut poser le photoréalisme comme l’antithèse de l’esthétisme, en cela qu’il ne pose pas la question de la représentation en termes d’intentions de ressenti ou de signification, mais d’évidence mimétique.

Les joueurs ne recherchent pas forcément la satisfaction plastique, et cette

évidence de l’image est largement suffisante, (et ce à plus forte raison si l’image en 10 Je reprends une grande partie des arguments avancés par David Hayward dans son article « Videogame

Aesthetics : We're all going to die! », [http://modetwo.net/users/nachimir/vga/index.html], auquel je suis également redevable de m’avoir fait découvrir le triangle de Scott McCloud et la Vallée Etrange.

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question est manipulable… Comme elle ne propose aucun parti pris qui puisse rebuter le joueur, l’image « réaliste » facilite le contact avec le jeu ; elle ne nécessite pas que le joueur investisse son imaginaire dans une diégèse à la direction artistique marquée, qui suppose que l’on adhère à ses choix. Ce facteur d’accessibilité par le plus grand public, couplé à des budgets de plus en plus importants, va évidemment inciter les développeurs à la frilosité.

Nous avons défini le photoréalisme comme étant la recherche d’un réalisme

tel que l’objet représenté soit indissociable de ce que pourrait être sa reproduction ou mieux, son observation directe ; ce qui le situe à l’extrémité de l’axe du réalisme sur le sommet « réaliste » de la pyramide. Or nous avons également dit qu’un mimétisme total ne sera jamais atteint. C’est en quelque sorte la quête de la Pierre Philosophale, le photoréalisme est une terra incognita dont on se rapproche sans cesse, mais qui reste cependant hors d’atteinte… Ce qui nous émerveille un jour finira avec l’habitude par ne plus abuser nos yeux, qui seront à nouveau dupés par les améliorations de la génération suivante. L’exemple flagrant est celui des effets visuels11 du cinéma qui vieillissent en quelques années, à moins qu’ils aient d’autres qualités que la volonté du réalisme. Mais c’est cette inaccessibilité du sommet qui fait du réalisme un domaine où le progrès est toujours possible et l’exploit technologique sans cesse renouvelé.

Prenons l’exemple d’un personnage iconique comme Sonic :

Sonic Adventure 2

Il est principalement constitué de formes simples : des ovoïdes et des

triangles, (eux-mêmes arrondis). Une fois que le hardware pourra gérer des sphères réelles (et non pas un assemblage sphérique de triangles), et générer un éclairage volumétrique dégradé sur leurs surfaces, on pourra considérer qu’un palier a été atteint et que les améliorations, si elles sont possibles, seront assez peu spectaculaires.

En revanche, parce que les imperfections du photoréalisme sautent aux yeux,

c’est là que les améliorations graphiques seront le plus visibles. Le photoréalisme est la

11 Le terme d’effets spéciaux tel qu’il est couramment employé désigne en réalité 2 catégories distinctes

d’effets : les effets spéciaux (SFX) proprement dits, qui sont réalisés à la prise de vue et les effets visuels (VFX), qui sont réalisés durant la post production.

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figure de proue de l’évolution des capacités des machines, et, dans l’esprit du public, posséder les symboles du progrès est un signe de statut social.

Paradoxalement, c’est peut être l’augmentation des coûts de développement

induite par la course au réalisme qui risque de mettre un frein à ce qui est pourtant un sérieux argument commercial...La croissance du marché étant bien inférieure à l’inflation des budgets… On remarque qu’un constructeur « historique » comme Nintendo a renoncé à concurrencer ses rivaux Sony et Microsoft sur le terrain de la puissance du hardware pour proposer de nouvelles interfaces pour ses consoles.

La DS de Nintendo comporte un écran tactile destiné à être utilisé comme contrôleur.

Pour finir, il convient de relativiser l’attrait pour le photoréalisme en se

rappelant que c’est un phénomène culturel. Si la volonté de représentation iconographique est une constante dans l’histoire humaine, la recherche illusionniste de cette représentation (et dont la perspective fut l’initiatrice), est une tendance dominante en Occident depuis la Renaissance.

Au Japon, pays dont la tradition picturale n’a pas été impactée par la « découverte » de la perspective scientifique, la calligraphie peut être considérée comme une forme de peinture abstraite (en cela qu’elle ne représente rien)12, on constate un recours bien plus important à l’iconisme dans les jeux (ainsi que d’autres médias).

Réutilisons la bande dessinée pour illustrer ce chiasme culturel : le premier reproche adressé à la bande dessinée japonaise est la taille des yeux des personnages. Alors que nous l’avons vu, l’emphase sur les yeux dans un visage est une évidence empathique. On rejette cette iconisation pour cause de non-conformité anatomique. Elle dépasse le seuil de tolérance admis pour les arrangements avec le réalisme.

Il est également intéressant de remarquer que le réalisme est souvent un

parti pris en cohérence avec le contenu global : le Survival Horror est un des rares genres où les développeurs japonais préfèrent une approche mimétique.

12 Evidemment la calligraphie n’est pas une abstraction pure : si la ressemblance visuelle avec l’objet

signifié s’est depuis longtemps perdue, les caractères symbolisent néanmoins un contenu sémantique.

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Mais à l’intérieur de cette tendance, on constate que la représentation humaine y reste idéalisée…

Resident Evil 4 : Léon, le héros du jeu, est une idéalisation selon les critères japonais13du type européen.

13 Notamment la légère féminisation du visage. L’androgynie des personnages masculins plait, paraît-il,

beaucoup aux jeunes japonaises.

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2.2 Il était une fois un petit pixel… (il avait trois vies).

Le plaisir pris à regarder un film n’est certes pas le même que celui pris à jouer, mais ils se rejoignent sur certains plans. Outre le plaisir des images, il y aussi celui de l’immersion dramatique. Car, bien que ce ne soit pas sa vocation initiale, le jeu vidéo s’est mis à raconter des histoires. À l’intérêt du jeu et de l’image est venu s’ajouter celui du récit.

Le jeu, en lui-même, procure des émotions immédiates : à savoir satisfaction

ou frustration selon l’adéquation, ou non, des actions du joueur par rapport aux obstacles du jeu. On peut les qualifier de directes puisque liées à une situation dans laquelle le joueur est impliqué.

La fiction, elle, procure des émotions par procuration, puisque celui qui les ressent est détaché de la situation génératrice sur laquelle il ne peut agir. L’implication narrative du joueur sera particulière puisqu’elle aura recours aussi bien à l’immédiateté propre au média qu’à la distanciation.

2.2.1 La narration à l’extérieur du jeu 2.2.1.1 Nomenclature des séquences narratives Evidemment, on a commencé par raconter l’histoire entre deux phases de

jeu. On désignera sous le nom de séquence narrative un tel segment non jouable et faisant progresser la trame scénaristique. On exclut de cette définition les introductions où le maniement des commandes est expliqué (tutoriel), ainsi que les animations qui illustrent le début ou la fin d’une phase de jeu, et qui relèvent du décrochage.

On peut classer les séquences narratives en quatre catégories : Insert narratif : un simple écran illustré (l'illustration peut être animée) ou

textuel et développant le scénario.

Pocky & Rocky : insert narratif

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Passage narratif : il utilise les composantes du jeu, entre autres les sprites

(c'est à dire, des personnages en 2D), pour décrire l'action, et est souvent accompagné de texte et plus rarement, de voix. On ne sort donc pas des mécanismes de la représentation du jeu.

Final Fantasy 6 : passage narratif Cut-scene : désigne un passage narratif utilisant des composants d'un jeu en

3D. Cela permet de sortir des rails de la représentation des phases de jeu.

Metal Gear Solid : cut-scene

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Cinématique : c'est une séquence vidéo : le jeu s'interrompt et lit un fichier vidéo. Les images peuvent être des prises de vues réelles ou de l’animation, les images de synthèse s’y taillant la part du lion.

Final Fantasy 7 : cinématique Les deux dernières catégories, cut-scene et cinématique, sont évidemment les

plus récentes et les plus intéressantes au vu de notre sujet, puisqu’elles sont une inclusion pure et simple du récit filmique dans un jeu. La cut-scene utilise le moteur 3D du jeu afin de raconter visuellement une histoire. En plus de disposer des mêmes modalités visuelles, elle partage également la même finalité narrative que le récit filmique. Quant à la cinématique, c’est tout bonnement un bout de film que l’on regarde au milieu du jeu.

2.2.1.2 Evolution des séquences narratives, première phase : vers

l’inclusion du récit filmique L’évolution et l'utilisation de ces séquences narratives est en corrélation avec

la puissance du hardware qui en rend possible l'existence et en motive l'utilisation. Par exemple, l’utilisation du CD comme support de jeu (vers 1989) a permis de passer d'une capacité de stockage de 1,5 mégaoctets, la capacité d'une disquette, à 650 megaoctets.

Mais que faire de tout cet espace disponible? Des jeux avec plus de niveaux auraient signifié augmenter les temps et les

coûts de développement et n'auraient de toute façon pas permis de remplir les 650 megaoctets. Alors, on a mis des musiques en qualité CD, lues directement sur le disque et non pas générées par un processeur. On a multiplié les inserts narratifs pour remplir les disques, et ceci, même dans des jeux comme les shoot them ups, où l’histoire n'avait aucune importance.

Quelques années plus tard, avec l'apparition du standard MPEG-1, qui

permettait de lire de la vidéo sur un CD, la solution s'imposa d'elle-même. On inclut des

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cinématiques en prises de vue réelles (FMV : full motion video, disait-on à l'époque), notamment dans les jeux d'aventure point and click.

Il y eut aussi le film interactif où le joueur se contentait d'appuyer sur les boutons entre deux séquences vidéo pour avoir droit à la suite. Le « genre » n'eut pas de postérité. Encore que les cut-scenes « interactives », dont il sera question dans quelques lignes, aient un principe proche…

Night Trap

Vers 1994 les nouveaux hardware, la Playstation notamment, pouvaient gérer

de la 3D et utilisaient le support CD. L’imagerie numérique étant de plus en plus performante, les cinématiques furent réalisées en images de synthèse. Leur qualité devint un argument commercial (les Final Fantasy ont bâti une partie de leur réputation en Occident sur ce point) et une sorte de cache-misère : les systèmes ne pouvant pas gérer un rendu de la 3D en temps réel qui satisfasse l'oeil autant que la 2D.

Lorsque le hardware permit un meilleur rendu, les cinématiques ont cédé la place aux cut-scenes qui ne nécessitaient pas de calculs de rendu supplémentaires puisqu'elles utilisent le moteur graphique du jeu. Elles étaient mieux définies n'ayant pas recours à la compression vidéo.

Cette inclusion du filmique dans le jeu aboutit maintenant à un

rapprochement professionnel : des personnes venant du cinéma sont recrutées pour réaliser les séquences narratives. Ryuhei Kitamura, réalisateur de plusieurs long-métrages, dont un Godzilla dont nous parlerons plus loin, a ainsi été engagé pour mettre en scène les cut-scenes de Metal Gear Solid The Twin Snakes.

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Metal Gear Solid The Twin Snakes

D’autre part, des réalisateurs, comme John Woo ou Guillermo Del Toro, se

sont associés à la production de jeux vidéo qui s’inspireraient de leurs films…

Stranglehold : un jeu à venir, auquel John Woo a apposé son nom, s’offre le luxe de proposer une modélisation de son acteur fétiche Chow Yun Fat.

Plus proche de nous, quelques anciens de l’ENS Louis Lumière ont récemment

trouvé des emplois de cadreur 3D pour des séquences de jeu vidéo. 2.2.1.3 Evolution des séquences narratives, deuxième phase: mutation Mais la logique filmique est en désaccord avec la mécanique du jeu et induit

des effets pervers : on passe ainsi plus de temps à regarder qu’à jouer véritablement…ou pire, les phases de jeu deviennent de simples corvées dont il faut s’acquitter avant d’avoir droit à la récompense qu’est l’histoire.

Les concepteurs ont donc cherché à biaiser… notamment en introduisant dans

l’environnement des documents textuels, qui peuvent remplir une double fonction narrative et ludique. Ils fournissent des explications d’exposition sur la diégèse mais avec l’avantage que le joueur non intéressé puisse choisir de ne pas les lire. Etant donné que ce sont des éléments à l’intérieur du monde du jeu, ils demandent à être trouvés au cours de l’exploration des niveaux à l’instar des autres objets. En plus d’informations diégètiques, ils peuvent être porteurs d’informations sur le jeu lui-même: par exemple

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livrer des indices quant à l’existence de niveaux ou d’objets cachés, ou la résolution des énigmes.

Les actions scriptées sont également une tentative de concilier ces pôles opposés. Ce sont des événements qui font progresser l'intrigue et qui surviennent durant les phases de jeu. Le joueur en est témoin via la représentation du jeu et peut toujours contrôler son avatar durant leur déroulement, même si il ne peut souvent rien faire de significatif car elles ont souvent lieu lors de passages creux en termes de jeu.

Dans Half Life Blue Shift, on endosse l'identité d'un agent de sécurité qui doit fuir un laboratoire contaminé, tandis qu'un groupe de soldats arrive pour le « désinfecter » à l'arme lourde. Lors de sa progression dans le niveau le joueur peut entendre, via les grilles d'aération, les bruits des militaires, le vacarme des armes à feu, ainsi que des dialogues d'exposition « ne laissez rien vivant! » avant de tomber nez à nez avec les militaires en question.

Half-Life Blue Shift

Les cut-scenes interactives ont été envisagées comme un moyen de garder le joueur sur le qui-vive lors des passages narratifs où son attention tend à se relâcher. Le principe est le suivant : durant une cut-scene des indications vont apparaître à l’écran, demandant à ce que le joueur entre une commande spécifique. Selon que ce dernier s’en acquitte correctement ou pas, la cut-scene prend une tournure différente (bien qu’une commande erronée entraîne souvent un paresseux Game Over comme dans Resident Evil 4) et impacte la progression du joueur.

Resident Evil 4

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Dans Shenmue, qui a popularisé le concept sous le terme de QTE (Quick Time Event), la rencontre avec un certain personnage déclanche la cut-scene d’une course poursuite dans les rues. A intervalles réguliers des obstacles se dressent sur le chemin. Pour les éviter, il convient d’appuyer sur le bouton du contrôleur dont l’icône apparaît à l’écran. Chaque esquive ratée ralentit le joueur et, si l’adversaire prend une avance trop importante, la course s’arrête. Il faudra alors que le joueur s’évertue à renouveler l’occasion d’une rencontre.

Shenmue

Les QTE peuvent également être transposés dans les phases de jeu

proprement dites. Dans Sword of the Berserk : Guts’ Rage, au cours de la traversée d’un pont

suspendu, un ennemi apparaît à l’une de ses extrémités et entreprend d’en couper les cordages. Si l’on appuie suffisamment rapidement sur le bouton qui s’affiche alors, notre avatar envoie l’ennemi ad patres et continue son chemin. Dans le cas contraire, il chute et doit emprunter un autre chemin, lequel, il va s’en dire, est nettement plus difficile.

Sword of the Berserk : Guts’ Rage

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L’évaluation du synchronisme de la réaction du joueur à un stimulus envoyé

par le jeu est le fondement du maniement d’un rhythm game. Un QTE dont la fréquence de sollicitation est trop élevée finit d’ailleurs par se manier d’une façon similaire à un Simon Says.

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2.2.2 La narration à l’intérieur du jeu 2.2.2.1 Les images parlent Le jeu vidéo est le plus souvent figuratif, c'est-à-dire que les images

représentent quelque chose… On peut alors formuler un scénario minimal comme étant la description des interactions entre les éléments visuels.

La passage narratif, qui sert d’incipit à Super Ghouls’n Ghosts, nous apprend

que Belzébuth a enlevé la fiancée du preux chevalier Arthur qui se lance à sa poursuite. Faisons abstraction de cette scène, nous pouvons néanmoins formuler un

scénario à la simple vue de cet avatar parcourant des niveaux infestés de monstres. C’est l’histoire d’un chevalier qui affronte des créatures surnaturelles, même si sa motivation n’est pas définie. Ce minimum scénaristique irréductible, nous l’appellerons scénarisation à priori.

Super Ghouls’n Ghosts

Comme tout média visuel, l’aspect des éléments peut fournir des informations

non redondantes avec celles des séquences narratives sur la nature de la diégèse. Le design des aéronefs de Skies of Arcadia par exemple, donne des indications sur les différentes civilisations du monde diégètique.

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Skies of Arcadia : l’aspect mécanique des navires ennemis renvoie à la Révolution Industrielle et sous entend leur volonté expansionniste. A l’inverse, la nef des héros, même si elle darde tout autant ses canons, parce qu’elle est propulsée par la force du vent, souligne leur indépendance. Le contraste technologique les pose d’emblée comme antagonistes.

Mais ces informations ne se résument pas à la simple exposition. Elles peuvent

également servir d’implants scénaristiques, d’indices pour aiguiller le joueur quant aux interrogations que suscite l’histoire. Cette possibilité est malheureusement sous exploitée…

Silent Hill alterne entre brouillard et obscurité. Lorsque l’environnement

bascule dans cette dernière, il devient un univers de rouille où l’on croit distinguer des corps enchaînés aux murs. Les séquences narratives fournissent quelques éléments sibyllins mais jamais d’explication quant au phénomène. C’est la persistance de cet univers de matière corrompue qui facilite la prise de conscience que c’est en réalité la projection de l’inconscient morbide d’un grand brûlé.

Silent Hill

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2.2.2.2 Structure et rythme 2.2.2.2.1 Tempo14 de l’action Mais un scénario n’est pas seulement un entrelac de situations, il organise

également une structure rythmique détachée du sens sémantique, en répartissant les moments de tension et de calme sur la longueur du récit afin d’optimiser ses effets dramatiques. Idéalement le level-design15 se doit de faire la même chose avec les obstacles, en conjuguant des moments d’action intense avec d’autres moins exigeants, ou même des accalmies afin d’engendrer des montées dramatiques et des anti-climax bienvenus.

La tradition veut que le dernier boss16 soit également le plus difficile à vaincre, mais de plus en plus de jeux placent l’ennemi le plus coriace dans les deux dernières heures du jeu et non plus à la fin. Les derniers instants se révélant comparativement plus faciles. Ceci afin que plus le joueur s’approche de la fin, plus sa progression est fluide.

Passé le climax de la victoire sur ce boss particulièrement difficile, on aménage pour le joueur des obstacles plus faciles (anti-climax) qui ne tardent pas à l’amener à la fin du jeu. L’excitation de toucher au but est évidemment à son comble lorsque l’on découvre pour la première fois les derniers obstacles, aussi va-t-on s’arranger pour que ces obstacles puissent être franchis dès la première tentative afin de garder une montée en tension constante.

Revenons une nouvelle fois à Metal Gear Solid : Après avoir triomphé, non sans difficulté, du Metal Gear (le tank bipède qui

donne son nom à la série), le jeu offre en guise d’anticlimax une très longue séquence explicative avant de reprendre sur un combat entre Solid Snake, le héros, et sa Némésis, Liquid Snake.

Après ce nouvel affrontement, moins ardu que le précédent, une cut-scene semble débuter un épilogue avant d’avertir le héros de la nécessité de s’enfuir ; le scénario a souvent recours à cette relance de l’action où dès qu’un but semble atteint, une nouvelle épreuve apparaît.

Commence alors une fuite en Jeep où le joueur mitraille les quelques check points qui se dressent sur sa route…avant d’être poursuivi par Liquid. Le duel qui s’ensuit est long, Liquid esquivant la plupart des tirs, mais néanmoins facile car il ne peut que rarement riposter.

Enfin, après cela on assiste à l’épilogue.

14 Steven Poole utilise le terme pour décrire « le flux et reflux d’anxiété et de satisfaction durant

l’expérience du jeu ». 15 La conception des niveaux et des obstacles. 16 Les boss sont on l’a dit des ennemis plus coriaces que la moyenne placés en fin de niveau. Au fur et à

mesure des niveaux ils deviennent de plus en plus ardus à vaincre.

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Metal Gear Solid

Toute cette dernière heure de jeu a été pensée afin de pouvoir être jouée en

une seule fois pour optimiser le climax de la résolution du nœud dramatique. 2.2.2.2.2 Le rôle de l’espace Une grande partie des jeux intègrent la progression géographique dans leurs

systèmes et certains genres, comme le RPG, reposent énormément sur l’exploration extensive des niveaux. Steven Poole parle dans Trigger Happy17 d’exploration games : un genre issu du sidescroller, qui inclut des jeux qui se sont épanouis avec le passage de la 2D à la 3D: comme le Survival Horror, l’infiltration et la plupart des jeux utilisant une vue semi subjective.

Il est vrai que dans ces jeux le plaisir du joueur est également un plaisir

d’explorateur, et qu’à la maîtrise du système s’ajoute la maîtrise de l’espace. A l’instar de l’action, la taille et la complexité des lieux à parcourir vont être génératrices de tempo. A une accélération de la progression correspondra une « montée dramatique »tandis que l’arrivée dans un lieu inédit causera un anti-climax.

Resident Evil commence par l’exploration d’un manoir labyrinthique dont les

portes verrouillées obligent à de fréquents détours. Le plaisir de l’exploration est de pouvoir s’y déplacer de moins en moins entravé au fur et à mesure que le joueur les déverrouille et découvre de nouvelles pièces. De même plus l’on s’approche de la fin, plus les bâtiments sont petits et simples à explorer.

17 Trigger Happy : Videogames and the Entertainment Revolution, Arcade, New York, 2000.

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Resident Evil

De la même manière que Metal Gear Solid modulait l’action pour arriver à ses

fins, Resident Evil va jouer sur l’aspect heurté ou fluide de la progression géographique pour structurer sa « dramaturgie ». On peut y voir un parallèle intéressant avec la fonction remplie par l’espace dans le survivor movie.

J’entends par survivor movie, un film où le personnage se retrouve isolé,

généralement après un cataclysme, et livré à lui-même dans un environnement hostile ou inconnu (du spectateur en tout cas). Je classerai dans cette catégorie des films tels que : Stalker, 28 Jours Plus Tard ou encore Seul au Monde.

28 Jours Plus Tard (Danny Boyle, 2002) : le héros découvre l’ampleur de l’épidémie.

Seul au Monde (Robert Zemeckis, 2000) : une déclinaison du mythe de Robinson Crusoé.

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Stalker (Andrei Tarkovski, 1979) : les protagonistes entame leur périple à travers le no man’s land de la Zone.

Sans enjeu dramatique défini, la traversée de l'espace (généralement lente)

est un élément central du scénario. Le spectateur découvre la diégèse –et ses enjeux- en même temps que le protagoniste, chaque nouveau lieu a donc les fonctions d’exposition et de péripétie. Privée de tout contexte social, la moindre action en devient importante et significative. Le véritable noeud dramatique, ne se noue qu'une fois les limites de cet espace ayant été définies (en tout cas symboliquement) ou qu’un échappatoire à l’errance du protagoniste lui soit offerte.

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2.2.3 Articulation entre séquences narratives et phases de jeu 2.2.3.1 Fonctionnement Les séquences narratives exposent les éléments de la situation conflictuelle,

notamment les événements antérieurs à l’action proprement dite (le background) et les motivations des personnages, et narrent ensuite leur évolution. Les situations ainsi décrites sont ensuite résolues dans les phases de jeu par l’affrontement direct ou la progression géographique (et bien souvent l’acquisition subséquente d’un objet ou la rencontre avec quelqu’un). Ces phases de jeu peuvent également être la péripétie qui conduit à leur évolution (ou leur résolution) dans la séquence narrative suivante ; généralement lorsque l’on poursuit quelqu’un ou recherche quelque chose.

Vagrant Story lance le joueur à la poursuite du chef d’une secte dans une cité

en ruines. Les cut–scenes développent les motivations des personnages rencontrés ainsi que le background général tandis que les phases de jeu narrent la recherche proprement dite. Evidemment chaque rencontre avec un personnage au cours de cette recherche, et la cut–scene qui s’ensuit entraîne une réévaluation de ce que l’on pensait être la situation de départ. A la fin après que le joueur ait eu connaissance des motivations réelles des personnages, le gourou perdra son statut d’antagoniste au « profit » d’un personnage introduit plus tardivement.

Vagrant Story

Front Mission 3 raconte lui aussi une traque sur fond d’intrigues militaro-

politiques. Le héros, pilote de robots géants recherche sa sœur enlevée par l’armée. La progression géographique y est reléguée aux séquences narratives qui introduisent des affrontements systématiques. Les phases de jeu se partagent entre combats de robots et menus ; lesquels permettent d’initier un dialogue entre les personnages (ce qui fait progresser l’intrigue) ainsi que d’explorer textuellement de simili sites web. Le joueur peut y glaner des informations sur l’univers du jeu (et son background) et également résoudre des énigmes en découvrant les mots de passe pour les sites en question (qui remplissent la fonction de document évoquée plus haut).

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Front Mission 3

Evidemment l’adéquation entre séquences narratives et phases de jeu est

d’autant plus fluide que le jeu est basé sur l’exploration des niveaux et que l’histoire repose plus sur la découverte des motivations des personnages que sur la résolution de situations conflictuelles.

Revenons à Silent Hill. Ayant perdu connaissance, le héros explore le jeu à la

recherche de sa fille disparue. Les séquences narratives donnent des indices quant au lieu où aller et des informations sibyllines sur l’univers étrange où l’action se déroule. L’intrigue n’est pas tant une évolution à partir d’une situation de départ que la découverte des motivations des personnages.

2.2.3.2 Le cas du JRPG 2.2.3.2.1 Le schéma de base Les scénarii de JRPG sont généralement cousus de fil blanc, mais beaucoup

n’en demeurent pas moins passionnants. La naïveté de l’ensemble ne gêne pas car le joueur est immergé dans la diégèse, et de ce fait, manque de recul par rapport à l’action. Le genre reprend un schéma proche du mythe et du conte, et de toutes les histoires que l’humanité se raconte depuis que le monde est monde et que Gilgamesh pleure la mort d’Enkidu. Je vous le livre ici, honteusement caricaturé.

Tout commence véritablement quand notre héros rencontre la mystérieuse

jeune fille, qui est recherchée par l’antagoniste. Ce dernier a besoin de ses pouvoirs cachés afin de mettre à exécution son plan de domination du monde (ou de destruction, si l’antagoniste a lu Nietzsche).

Cette rencontre va forcer le héros à entreprendre un périple afin de déjouer les desseins de l’antagoniste, qui prévoit généralement le recours à un artefact (aussi puissant que dangereux) d’une civilisation disparue. Au fur et à mesure de sa quête, des compagnons vont se joindre à lui, l’un des premiers étant un personnage-mentor qui en sait long sur la situation et remplit une fonction d’exposition.

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Passé le milieu de l’histoire, le héros devra souvent faire une étape, au cours de laquelle sera révélé un traumatisme originel qu’il devra résoudre avant de pouvoir continuer son aventure. Mais malgré –ou à cause– des efforts du héros, le plan de l’antagoniste (dont les détails restent troubles) ne pourra être déjoué qu’à la dernière minute.

Xenogears lie l’aventure et l’histoire personnelle du héros à la mythologie de l’univers du jeu et à son cycle cosmogonique

Après avoir ricané sur l’aspect maladroitement freudien du postulat de

départ : le héros, la jeune fille et le grand méchant qui la convoite ; on soulignera que le JRPG-type tient du récit initiatique et héroïque. Il est l’histoire du cheminement du héros de l’ignorance vers la connaissance en même temps que celle du sauvetage du Monde. Il reprend des thèmes récurrents des mythes comme le mentor ou l’existence d’un Age d’Or (la civilisation disparue)- certains jeux comme la série des Final Fantasy ne sont d’ailleurs pas avares en références mythologiques plus ou moins gratuites.

Valkyrie Profile : une relecture de la mythologie nordique, avec comme toile de fond l’imminence du Ragnarok, le Crépuscule des Dieux.

Cet aspect va nous amener à une hypothèse que je vais soumettre au

jugement du lecteur dans la sous-section qui va suivre.

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2.2.3.2.2 Le Monomythe Le Monomythe, également appelé le Voyage du Héros, est une théorie

développée par Joseph Campbell en 1949, inspirée des théories de Sigmund Freud et Carl Jung, et plus récemment vulgarisée à Hollywood par le script doctor Christopher Vogler. Joseph Campbell postule que la plupart des mythes héroïques partagent une même structure archétypale, qu’il nomme Monomythe, et dont la récurrence s’expliquerait par la psychanalyse... et les enseignements universels qu’il véhiculerait. Voici donc, tout aussi éhontément simplifié le déroulement de ce voyage.

Tout commence dans le monde ordinaire où le héros s’ennuie, jusqu’à ce qu’il

entende l’appel de l’aventure. De gré ou de force, il finit par y répondre et se met en route avec l’aide d’un mentor qui lui fournit conseils et objets utiles. Mais avant de pénétrer dans le monde extraordinaire le héros devra vaincre, tromper, ou amadouer le gardien qui empêche d’en franchir le seuil.

Notre héros est désormais dans le ventre de la baleine, et chemine sur la route des épreuves, où il rencontre ennemis et alliés et où sont testées ses habiletés naissantes… Au bout de la route l’attend l’épreuve suprême dont il ressort métamorphosé (spirituellement en tout cas) et en possession de l’élixir, symbole de sa sagesse nouvellement acquise.

Sur le chemin du retour, il doit à nouveau franchir le seuil vers le monde ordinaire et triompher d’un nouveau gardien. Maintenant maître des deux mondes, le héros est désormais libre et peut faire bénéficier ses semblables de l’élixir.

On peut évidemment critiquer la structure du Monomythe, Celle-ci est

tellement simple et générique et ses éléments sujets à interprétation que l’on semble en effet la retrouver partout. Ce qui conduit à la résumer ainsi : « Le héros se jette dans la gueule du loup. Le héros s’en sort »18.

Le parallèle entre le Monomythe et le JRPG est assez frappant de par la

composante mythique de ce dernier mais également à cause de points plus précis tels que la dichotomie entre monde ordinaire (village) et extraordinaire (donjon). Les villages sont des lieux d’exposition où l’on recherche l’élément déclencheur qui fera progresser l’intrigue (et recevoir l’appel de l’aventure). Les donjons sont, eux, des lieux de résolution : des endroits peuplés de monstres où l’on s’aventure le plus souvent à la recherche d’objets gardés par des boss dont la défaite est généralement récompensée par l’acquisition d’un power-up19.

18 « The hero gets into trouble. The hero gets out of trouble. » L’expression est du romancier Kurt

Vonnegut. 19 Rappel : un power-up augmente les capacités de l’avatar

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Xenogears : village…. …et donjon. La résolution du trauma peut être vu comme correspondant à la réconciliation

avec le père qui est un épisode de l’Epreuve Suprême, et qui précède l’apothéose : l’accomplissement et la renaissance spirituelle du héros.

Ce qui nous amène à cette nouvelle hypothèse : alors que le JRPG a un

principe de jeu souvent répétitif, son intérêt serait d’offrir au joueur un simulacre du Voyage du Héros, qui pallierait à ses défauts de gameplay.20

La fonction du Monomythe est de rassurer quant à la destinée humaine. En retournant dans le monde sauvage dont l’humanité s’est extraite, le héros réaffirme l’émancipation de cette dernière vis-à-vis des forces hostiles (ou renouvelle le pacte avec le divin). Parallèlement le jeu vidéo offre l’illusion du contrôle dans un univers déterministe, et surtout réversible, dont la soumission à la maîtrise du joueur est inéluctable.

2.2.3.3 Le mirage de la narration interactive Dans un jeu, toute marge de manœuvre dont dispose le joueur par rapport au

déroulement de l’histoire (et même par rapport à sa progression dans les niveaux) découle forcément d’un choix des concepteurs. Il n’y a donc pas de réelle liberté accordée au joueur. D’aucuns appellent donc de leurs vœux une véritable narration interactive où le système serait capable, à partir d’une situation de départ de gérer et d’extrapoler toutes les variables en matière de péripéties. Nonobstant le fait qu’une telle chose soit de l’ordre du fantasme naïf, le concept n’est pas sans soulever des problèmes.

Tout d’abord parce qu’une situation complexe demanderait également un mode de résolution complexe, ce qui aboutirait à un panel de commandes dont la plupart ne servirait qu’en de rares occasions. Or ce n’est pas tant l’éventail des

20 L’idée est lancée à propos du jeu vidéo en général sur le site monomyth.org [http://monomyth.org/]

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modalités offertes au joueur que les possibilités de les combiner pour surmonter les obstacles qui renouvellent l’intérêt du jeu.

Ensuite le plaisir du jeu est, on l’a dit, celui de la maîtrise, or la péripétie c’est par définition « le revirement de l’action dans le sens contraire » (Aristote), donc ce qui échappe à la prévision et au contrôle du joueur… Le joueur va donc chercher à éviter les péripéties. Il va falloir introduire des rebondissements qui surviendront indépendamment du déterminisme du système, et faire intervenir une décision arbitraire ; et comme ces rebondissements demanderont à être scénarisés, ils seront forcément en nombre fini… Et nous voilà de retour à la case départ.

Des démarches allant dans ce sens existent déjà avec ce que l’on nomme

crânement le gameplay émergeant, et que le chroniqueur Pierre Gaultier21 définit comme…

« un type de gameplay où l'univers de jeu est fondé sur un ensemble cohérent de systèmes interdépendants (intelligence artificielle, moteur physique, moyens d'interaction et de déplacement, architecture…), qui autorise et produit un nombre énorme voire infini de situations, de solutions à des problèmes et/ou de sous-règles, lesquelles n'ont pas forcément été prévues par le game designer. »

Soit un ensemble de règles de comportement qui s’influencent mutuellement

et créent des péripéties que les programmes n’avaient pas prévues. Mais les péripéties ainsi générées sont d’ordre actionnel et non pas

situationnel ; c'est-à-dire qu’il s’agit d’un changement de nature de l’obstacle et non pas d’un changement de la situation narrative : le rapport de force entre protagonistes et antagonistes ou leurs intentions ne s’en trouve pas impacté.

Dans Metal Gear Solid The Twin Snakes (qui est un jeu d’infiltration), lorsque

le joueur se fait repérer, il doit échapper à ses poursuivants (le plus souvent en trouvant une cachette) le temps que l’alerte cesse, mais cela ne conduit pas l’histoire à prendre un embranchement où les antagonistes changeraient de stratégie en apprenant sa présence.

Metal Gear Solid The Twin Snakes

21 L’article est disponible à cette adresse [http://pierregaultier.free.fr/chr5.htm].

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Le concept de gameplay émergeant est certes intéressant en ce qui concerne le renouvellement des obstacles, mais ne génère pas de plus-value sur l’histoire.

Au final le problème de vouloir laisser une totale liberté au joueur est que si

personne ne prend de décision afin d’optimiser l’expérience de ce dernier, cela risque d’aboutir à un tempo monotone, et inintéressant.

L’autre écueil des tentatives de narration interactive est d’oublier qu’elle est

une partie d’un jeu et de ne proposer qu’une narration…dont l’interactivité ne sera jamais qu’illusoire… Fahrenheit, dont l’ambition affichée est de se situer au carrefour du cinéma et du jeu vidéo, en porte les stigmates.

Les phases de jeu –laborieuses- consistent principalement en l’exploration du

lieu où l’on se trouve, des dialogues en forme de QCM et de séquences de Simon Says qui décident de l’issue des scènes d’action. Les interactions avec le décor ont beau être nombreuses, il n’en reste pas moins que la plupart ne servent strictement à rien ; de même si les possibilités d’embranchements à l’intérieur d’une séquence sont elles aussi fournies, elles mènent généralement à une même conclusion (exception faite du Game Over), la seule différence étant le nombre de points glanés ou perdus selon la pertinences des choix du joueur.

Fahrenheit

Lors d’une séquence au début du jeu, le héros se réveille après avoir rêvé du

meurtre qu’il a commis la veille. Le joueur est à ce moment libre d’explorer l’appartement (et fouiller à loisir des placards vides…), jusqu’à ce qu’un policier vienne frapper à sa porte et demande à entrer. Le joueur dispose alors de deux minutes pour camoufler les traces de son crime -comme mettre ses vêtements maculés de sang dans la machine à laver. Les diverses variantes pour ce faire (notamment avec les dialogues qui permettent de ruser et d’empêcher le policier de fouiller la chambre) mettent paradoxalement en relief la linéarité globale de la séquence : si le policier découvre quelque chose, la séquence ne suit alors pas un déroulement diffèrent mais se contente d’un simple Game Over.

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2.2.3.4 L’identification Dans la fiction, l’un des principaux facteurs d’immersion du spectateur, et

donc de la cause de ses émois est l’identification aux personnages. L’identification procède en quelque sorte d’une dissolution du Moi : ce dernier s’efface pour se focaliser sur l’influx sensoriel (ce que l’on voit et entend) qui remplit le champs de la conscience. Elle suppose également une certaine distanciation par rapport à ce qui est montré afin que ces émotions ne soient pas ressenties directement, brutalement mais à un degré « abstrait », par procuration…surtout lorsqu’il s’agit d’affects considérés comme négatifs ou indésirables comme la colère et le chagrin.

Le cinéma étant un spectacle il est donc porteur dans son dispositif même de

cette distanciation. Le premier facteur d’identification y est bien évidemment le fait de mettre en scène des humains. Dans le cas contraire, où les protagonistes seraient, par exemple, des animaux (un cas fréquent en animation, et à plus forte raison avec les images de synthèse), ces derniers font néanmoins preuve d’anthropomorphisme ; ils se voient attribués des caractéristiques morphologiques (comme la station debout) ou psychologiques humaines, en plus de la parole. En outre la reconnaissance des configurations posturales avec les neurones miroirs permettent au spectateur d’interpréter en miroir le jeu d’acteur, et l’échelle de plan autorise une plus ou moins grande focalisation sur le personnage et son intériorité supposée.

Dans le cas du jeu vidéo, lors des séquences narratives « filmiques »,

l’identification fonctionne suivant une logique similaire - même si le manque éventuel d’empathie dû à la représentation peut y être un frein non négligeable. Mais qu’en est-il des phases de jeu avec lesquelles elles s’articulent, comment y faire naître l’identification si la conscience est constamment sollicitée par la prise de décisions ou d’actions ?

Peut-être parce que le jeu permet d’atteindre un état de flow ; un concept

développé par le psychologue Mihály Csíkszentmihályi. Le flow est la sensation d’immersion ressentie par un individu durant la

pratique d’une activité lorsqu’un équilibre est atteint entre la difficulté d’exécution et sa propre habileté. L’ego s’efface, actions et pensées semblent ne plus requérir de processus conscient. L’individu semble alors entièrement focalisé sur ce qu’il fait et imperméable aux stimuli extérieurs à son activité.

Cet effacement du Moi peut s’expliquer de deux façons. Lorsque l’on focalise son attention, le cerveau discrimine parmi le flux de

sensations qu’il reçoit et ignore les informations inutiles (y compris certaines sensations corporelles) pour mieux analyser celles en rapport avec l’objet de son attention. La mémoire corporelle joue également un rôle : la pratique répétée de mouvements complexes (fussent-ils manuels) entraîne un développement des connections synaptiques entre les neurones sollicités afin d’autonomiser cette tâche. Le maniement d’un jeu deviendrait donc une action instinctive, mais cela ne suffit pas.

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En jouant on s’absorbe dans le maniement de son avatar (cela est évidemment facilité par l’utilisation du temps réel et d’une interface in). Cet avatar doit être un personnage, identifiable comme un « autre » que soi ; les FPS, par exemple, où l'on ne voit pas son avatar, même s’ils peuvent générer la sensation de flow, auront néanmoins plus de mal à éliciter de la distanciation. Cette différenciation nécessaire du Moi et de l'avatar permet avec l’immersion décrite par le flow de s'identifier à cet autre. La vue subjective des FPS, par son mimétisme (très imparfait) du point de vue humain, nous renvoie à notre propre Moi et dénonce la facticité de l’expérience.

Le fait d'agir dans l'environnement, fait que le joueur intériorise la

scénarisation à priori. Il assimile ce qu'il voit et le reformule inconsciemment en une représentation globale de la diégèse (univers comme événements). C’est encore plus prégnant si les séquences narratives ne donnent pas de justification à l'existence des obstacles, comme nous l’avons vu avec Silent Hill, et son utilisation du décor. Avec le développement de l'intrigue, le joueur intègre des éléments nouveaux en fonction desquels il réévalue sa représentation de la diégèse ; ce qui lui permet une « vie intérieure » dans l’esprit du joueur.

Voilà qui conclut notre propos sur les jeux, regardons maintenant du coté du

cinéma.