1993 bastaire_l'autorité dans tous ses sens_lemonde

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/ ./!," L'autorite dans tous ses sens « Autorite » a, selon le Robert, deux sens principaux : « droit de commander, pouvoir (reconnu ou non) d'im- poser l'obeissance »; « superiorite de merite ou de seduction qui impose f'obeissance sans contrainte, le respect, la confiance ». Ne pourrait-on dire qu'il n'y a pas de vraie autorite au sens premier sans autorite au sens deuxieme? Qu'il n'y a d'autorite durable et juste que reconnue? Debat qui n 'a rien d'academique, comme f'ont montre /es discussions ouvertes au cours du colloque organise par Sciences-Po et le Monde sur le theme « Faut-il enterrer l'autorite? » et dont le Monde des debats a rendu campte dans son numero de decembre. On a toujours interet a se referer a l'etymologie, cette memoire des mots et des sens qu 'in- voque l'un de nos lecteurs. L 'autorite, c'est ce qui « augmente » celui qui l'exerce et celui qui la subit. C e n'est pas un hasard si « autorite» et « auteur » ont la meme racine. Ils viennent tous deux du verbe latin augere - et de sa forme derivee a11c111m -. qui signifie augmen- ter, faire avancer. L'auteur est celui qui agrandit, fait croitre. De la a dire qu'il engendre, il n'y a qu'un pas. En ce sens, Dieu est l'auteur de l'univers comme l'ecrivain est l'auteur de son livre. C'est bien pour cela que tous deux ont autorite sur leur a:uvre: parce qu'ils l'ont faite . De quelque fai;:on que ce soit, I'autorite est donc Iiee a une activite creatrice, genesique. Elle puise sa legitimite dans sa fäcondite. L'autorite abusive est celle qui ne fait rien ou qui entrave le labeur. L'autorite legitime peut ne pas se situer directement a la source, pourvu que, prenant Je relais, assumant la gerance, eile nourrisse, eleve, epanouisse. En d'autres termes, il arrive que l'autorite s'exerce par delegation ou participation. Elle n'en doit pas moins pro- duire ses titres d'efficience. L'idee va bcaucoup plus loin que la notion d'utilite et debouche sur celle de patemite. Qui oserait dire que le Öieu de la Bible est simplement utile a Ja naissance et au bon ordre de la creation ? Ce n'est pas UD pre- mier moteur ou un gendarme permanent, mais une pn!sence radicalement generatrice sans laquelle rien n'existe. De meme pour l'artiste, qui tire du neant sa peinture, sa Statue, son livre. L'autorite n'est donc pas un carcan ou un plätre pose de l'ex- terieur , mais une regulation intime. Elle exprime une depen- dance originelle irreductible selon quoi la creature n'existe que par son createur, l'a:uvre que par son auteur. Avoir auto- rite sur quelque chose ou quel- qu'un, c'est litteralement Je faire vivre . La se situe le danger d'une autorite mal comprise, qui transforme l'animation en aHenation, Ja vivification en ser- vitude. (.„) Le secret de l'autorite est de se transmettre dans le mouve- ment meme par ou eile s'exerce. Elle est contagieuse. Elle cree des createurs. Elle leur commu- nique son pouvoir d'engendrer, de nourrir, de faire croitre. Loin de les paralyser et d'en faire des objets passifs, elle les constitue en Sujets actifs, capables d'ini- tiatives. La encore, notons l'ety- mologie du mot. Est capable d'initiative celui qui a la possi- bilite d'etre initial, de se placer au commencement , d'etre une origine. L'autorite essaime et multiplie les origines. Ne manipulant pas des marionnettes, l)lais suscitant des agents responsables, eile ne se borne pas a deleguer momen- tanement ses pouvoirs, comme ä regret et faute d'etre en mesure de !es exercer tous. Elle est en realite essentiellement partici- pante. Comme toute fCcondite , eile s'oriente vers Je don. Celui qui La retient La trahit, celui qui la capte la deshonore. Prenons a present le mot « maitre ». 11 vient du latin magister, ou il designe aussi bien l' homme qui commande que celui qui enseigne. Les deux significations se sont conservees, mais trop souvent en se conta- minant ou en s'occultant l'une l'autre. Detenteur d'une autorite incontestable , l'enseignant ne s'est pas prive d'en abuser pour remedier ä ses lacunes et camoufler ses incompetences . De son cöte, le beneficiaire d'un -----------------------, pouvoir quelconque n'a pas eu LEMONDE diplomalique Janvier 1993 e BOSNIE, SOMALIE : NOUVELLES GUERRES EXPEDITJONNAIRES : Intervenir, par lgnacio Ramo11e1. - Humanitarisme et empires, par A/ain Joxe. - La Somalie, nation eclatee, par Philippe Leymarie. - lngerence, charite et droit International, par Monique Chemillier-Gendreau. - Les risques d'extension du conflit eo Bosnie, par Paul-Mari e de la Gorce. - Un dossier militaire qul frise I'« intox », par A ntoine Sanguinelli . - Fragile et renaissante Ethlopie, par Claire Brisse/. e TCHECOSLOVAQUIE : La destruction d'une federation, par Kare/ Banak. MOLDAVIE : Sous la menace etrangere, par Annie Da11benco11. • FINANCES : Les marches, ou l'irresponsabilite au pouvoir, par Danie/e Gervai s. - Comment Reuter a gagne la course ä l'information boursiere, par Michael Palmer. e TIMOR-ORIENTAL : pays est-il exempte de droit international ?, par Jean-Pierre Ca1ry. • AMERIQUE LATINE: Violences colombiennes dans !es rues et les tetes, par Hubert Prolongeau. - S'enrichir en depouillant l'Etat, par James Pelras. • LITTERATURE : «La Vallee », une nouvelle de lHaurice Pons. - « Le voyageur bienheureux », un poeme inedil de Dercl• Walcott. n vente chez votre rnarchand de journaux - 20 F honte d' en jouir comme d' un privilege sans se soucier d'en assumer Ja fonction educarive. L'etymologie vient une fois de plus ä notre secours pour nous apprendre que , en latin deja, eduquer c'etait avoir Ja Cha rge d'elever, de nourrir, d'instruire, de former. Quant au verbe « enseigner », il a pour racine le mot « signe » et veut dire: faire connaitre par signe, et donc transmettre une indication , une information, une connaissance. Nous retrouvons Ja l'autorite et sa fonction de creer, de faire croitre. Le maitre n'a de pouvoir que s'il eduque, et son commande- ment n'est>'valable que s' il est formateur. Autant dire qu'il est emancipateur, car l'education et l' enseignement ne peuvent conduire qu'a une liberte gran- dissante, permettant d'acceder ä une humanite adulte . La fameuse dialectique du maltre et de l'esclave se revele ici comme un parfait contresens. Au processus liberateur se sub- slitue une demarche oppressive. Cessant d'etre accoucheur, Je maitre devient tyrannique. Dans des conferences qu'il fit · en I 904 sur l'anarchisme politi- que (1), Peguy exprime cela en distinguant l'autorite de com- mandement de l'autoriu! de competence. La premiere repose sur Ja force et ne reclame pas l'adbesion. II lui suffit de Ja coercition. Elle vise a peser et non a convaincre. Etymologi- quement , ce dernier mot signi- fie : vaincre avec. L'autorite de commandement ne se soucie pas d'une victoire commune. Elle cherche a l' emporter sur son subordonne en triomphant par lui, non avec lui. Loin d'etre Je collaborateur dont eile s 'assure le concours, il figure a ses yeux i'obstacle prealable qu'elle doit neutraliser, rendre passif, pour executer son dc;ssein. L' autorite de competence repose sur le savoir. Elle dirige parce qu'elle est capable. Ses connaissances appellent le consentement , pourvu qu 'elles expriment une qualification reelle et non une habilitation fictive, de complaisance ou de routine . En ce sens, Je maitre doit constamment valider son pouvoir par la fecondite de son action. Sa superiorite n'est nul- lement liee a sa personne , comme une election gratuite . Elle est operative et se merite. La encore, on saisit combien l'autorite est une realite inalie- nable, qui passe a travers les hommes sans s'arreter a eux. Aucun maitre ne possede la puissance qu'il exerce de confor- mer les autres a son vouloir. II Ja rei;:oit par delegatioo, il en est Je gerant. Mais il s'egare s'il s'en croit le proprie1aire . Comme tout le monde, il en est Je servi- teur. II n'est pas Je maitre de sa maitrise. Venons-en au mot « chef», tant adule naguere et aujour- d'hui tant honni. Dans la conscience contcmporaine, son champ d'application et d'excommunication oscille du scoutisme au fascisme. Au mieux c'est Baden-Powell, au pire Mussolini, pour ne rien dire de l'ombre terrifiante de Hitler. (... ) Le culte du chef est banni sous pretexte qu'il a encourage les demissions !es plus sinisires. Condamnation indispensable, si l'on garde present a J'esprit que selon la tradition biblique tout cutte appartient a Dieu et revient a lui Seu[, SOUS peine d'idolät rie : « Tu n 'adoreras q11e le Seigneur ron Die11 et tu rejetle- ras /es idoles, car el/es sont faires de main d'homme. » Mais s' il arrive que des tetes deviennent folles, doit-on cou- per toutes les tetes, !'ideal etant alors une societe acephale? Notre precieuse etyrnologie nous apprend en effet que « chef» vient de capur. c'est-a-dire tete. S'en prendre au chef equivaut donc a epouser la revolte des membres contre la tete . Une insurrection de ce genre est-elle toujours valable ? 11 n' y a pas besoin d'etre grand eiere pour comprendre qu' on a lä une operation suici- daire. Elle conduit d'ailleurs non pas a supprimer les tetes, mais a les multiplier. Chaque membre en devient une, qui se fait rivale des autres. C'est la zizanie et le chaos. Le pouvoir de synthese s'evanouit, la capa- cite de decision manque. Aucun organisme ne peut exister sans un poste central, a La fois centri- pete et centrifuge, qui rei;:oit et donne l'influx. Toute la question est juste- ment que Ja circulation ne soit pas a sens unique. Selon !'angle sous lequel on se place, la tete est autant l'expression des mem- bres que !'inverse. Elle est a leur service autant qu'ils sont au sien. La main est aveugle sans le cerveau, mais Je cerveau n'agit pas sans la main . II se produit une repartition et une hierarchi- sation des täches. Mais dans un organisme sain, toutes !es fonc- tions sont solidaires et egales en dignite. La fonction de chef se resu- merait assez bien dans une image classique dont s'est cou- jours nourri le monde militaire, bien qu'elle soit ambigue elle aussi : l'image d'e ntraineur. Le chef est ä l'avant de ses troupes. Il les precede, Jeur montre le chemin, inaugure !es dangers et les promesses de Ja route. A la pointe du combat, il est le pre- mier atteint et Je premier victo- rieux. L'image a egalement cours dans le monde economi- que et le monde sportif. On peut la juger valable pour toute entreprise, belliqueuse ou pacifi- que, dans la mesure ou celle-ci revet une dimension collective. Seulement l'entraineur ne doit pas etre le brave general qui fonce eo etourdi ou le megalo- mane qui se precipite vers l'abime . La qualite numero un du veritable encraineur est le coup d'a:il, c'est-a-dire Ja vue juste, la perspicacite, le di sce r- nement, qui sont !es fruits d'une ouverture et d'une capacite de syntbese peu communes. L'entraineur do it resister enfin au peril Je plus deletere et Je plus subtil : celui de faire corps avec son equipe au point qu'elle en devienne sa chose. Phenomene de possessivite qui confine a Ja posses. sion dial/oli- que et ou on ne sait plus au bout du compte qui possCde et qui est possede, tant la fascina- tion se revele mutuelle et la devoration reciproque. Rien de pire alors que ces chefs-Molochs entrainant derriere eux une bande de truands. On l'a vu non seulement dans les luttes de sang, mais dans !es luttes d'af- faires et !es luttes politiques. On Je reverra, et c'est ainsi que renait perpetuellement la tenta- t ion de decapiter !es societes humaines pour !es guerir. Apres ces quelques remar- ques, on voit a quel point l'exer- cice de l'autorite est difficile. On ne l'assume efficacement que si, dans un paradoxe constant, l'autorite est vecue comme un renoncement, ou le pouvoir s'accomplit lorsqu'il s'efface. Jean Bastaire, ecrh·ain ( 1) CEuvres en prose comp/etes, «La Pleiade », 1987 , p. 1795-1827. Jachere D ans /e Monde des debats de novembre, vous ecrivez que le cbamp que les agriculteurs laisseront en jachere « leur rap- portera da vantage q11e ce/ui q11'i/s cu/1iverolll ». II n'en est rien, au contraire. En moyenne, 1 hectare degageant un rendement de 70 quintaux de ble laisse aujour- d'hui a l'agriculteur un revenu de 1 000 F ; demain, malgre une indemnisation de jachere de 2 450 F, la mise hors culture de cet hectare provoquera pour l'agriculteur une perte de revenu de plus de 2 000 F. D'une part, environ 4 000 F a 5 000 F de charges, dites eh arges fixes, sont attaches a cet hectare laisse en jachere, a savoir : son prix de location ou Je coCit des emprunts contractes pour l'acheter, Ja taxe locale sur le foncier non bäti , des charges salariales et des charges d'equi- pement. La main-d'a:uvre permanente et l'equipement (machines , moyens de stockage) dont s'etait dotee une exploitation ne chan- gent guere, du moins dans un premier temps , du fait d'une jachere sur 8 %, 10 % ou 15 % de J'exploitation. Les coilts que representent ces facteurs de production doivent etre affectes en partie aux hec- tares de jachere. D'autre part, l'entretien de Ja jachere (desberbage, par exem- ple) coilte environ 500 F de charges directes. Pascal Hurbault (Association generale des producteurs de hie et autres cereales)

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L'autorité dans tous ses sens

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  • / ./!," ~ ~4 j~cr f~f3 L'autorite dans tous ses sens

    Autorite a, selon le Robert, deux sens principaux : droit de commander, pouvoir (reconnu ou non) d'im-poser l'obeissance ; superiorite de merite ou de seduction qui impose f'obeissance sans contrainte, le respect, la confiance . Ne pourrait-on dire qu'il n'y a pas de vraie autorite au sens premier sans autorite au sens deuxieme? Qu'il n'y a d'autorite durable et juste que reconnue? Debat qui n 'a rien d'academique,

    comme f'ont montre /es discussions ouvertes au cours du colloque organise par Sciences-Po et le Monde sur le theme Faut-il enterrer l'autorite? et dont le Monde des debats a rendu campte dans son numero de decembre. On a toujours interet a se referer a l'etymologie, cette memoire des mots et des sens qu 'in-voque l'un de nos lecteurs. L 'autorite, c'est ce qui augmente celui qui l'exerce et celui qui la subit.

    C e n'est pas un hasard si autorite et auteur ont la meme racine. Ils viennent tous deux du verbe latin augere - et de sa forme derivee a11c111m - . qui signifie augmen-ter, faire avancer. L'auteur est celui qui agrandit, fait croitre. De la a dire qu'il engendre, il n'y a qu'un pas. En ce sens, Dieu est l'auteur de l'univers comme l'ecrivain est l'auteur de son livre. C'est bien pour cela que tous deux ont autorite sur leur a:uvre: parce qu'ils l'ont faite .

    De quelque fai;:on que ce soit, I'autorite est donc Iiee a une activite creatrice, genesique. Elle puise sa legitimite dans sa fcondite. L'autorite abusive est celle qui ne fait rien ou qui entrave le labeur. L'autorite legitime peut ne pas se situer directement a la source, pourvu que, prenant Je relais, assumant la gerance, eile nourrisse, eleve, epanouisse. En d'autres termes, il arrive que l'autorite s'exerce par delegation ou participation. Elle n'en doit pas moins pro-duire ses titres d'efficience.

    L'idee va bcaucoup plus loin que la notion d'utilite et debouche sur celle de patemite. Qui oserait dire que le ieu de la Bible est simplement utile a Ja naissance et au bon ordre de la creation ? Ce n'est pas UD pre-mier moteur ou un gendarme permanent, mais une pn!sence radicalement generatrice sans laquelle rien n'existe. De meme pour l'artiste, qui tire du neant sa peinture, sa Statue, son livre.

    L'autorite n'est donc pas un carcan ou un pltre pose de l'ex-terieur, mais une regulation intime. Elle exprime une depen-dance originelle irreductible selon quoi la creature n'existe

    que par son createur, l'a:uvre que par son auteur. A voir auto-rite sur quelque chose ou quel-qu'un, c'est litteralement Je faire vivre. La se situe le danger d'une autorite mal comprise, qui transforme l'animation en aHenation, Ja vivification en ser-vitude. (.)

    Le secret de l'autorite est de se transmettre dans le mouve-ment meme par ou eile s'exerce. Elle est contagieuse. Elle cree des createurs. Elle leur commu-nique son pouvoir d'engendrer, de nourrir, de faire croitre. Loin de les paralyser et d'en faire des objets passifs, elle les constitue en Sujets actifs, capables d' ini-tiatives. La encore, notons l'ety-mologie du mot. Est capable d'initiative celui qui a la possi-bilite d'etre initial, de se placer au commencement, d'etre une origine. L'autorite essaime et multiplie les origines.

    Ne manipulant pas des marionnettes, l)lais suscitant des agents responsables, eile ne se borne pas a deleguer momen-tanement ses pouvoirs, comme regret et faute d'etre en mesure de !es exercer tous. Elle est en realite essentiellement partici-pante. Comme toute fCcondite , eile s'oriente vers Je don. Celui qui La retient La trahit , celui qui la capte la deshonore.

    Prenons a present le mot maitre . 11 vient du latin magister, ou il designe aussi bien l' homme qui commande que celui qui enseigne. Les deux significations se sont conservees, mais trop souvent en se conta-minant ou en s'occultant l'une l'autre. Detenteur d'une autorite incontestable, l'enseignant ne s'est pas prive d'en abuser pour remedier ses lacunes et camoufler ses incompetences. De son cte, le beneficiaire d'un

    ------------------------, pouvoir quelconque n' a pas eu

    LEMONDE diplomalique

    Janvier 1993 e BOSNIE, SOMALIE : NOUVELLES

    GUERRES EXPEDITJONNAIRES : Intervenir, par lgnacio Ramo11e1. - Humanitarisme et empires, par A/ain Joxe. - La Somalie, nation eclatee, par Philippe Leymarie. - lngerence, charite et droit International, par Monique Chemillier-Gendreau. - Les risques d'extension du conflit eo Bosnie, par Paul-Marie de la Gorce. - Un dossier militaire qul frise I' intox , par A ntoine Sanguinelli . - Fragile et renaissante Ethlopie, par Claire Brisse/.

    e TCHECOSLOVAQUIE : La destruction d'une federation, par Kare/ Banak.

    MOLDAVIE : Sous la menace etrangere, par Annie Da11benco11.

    FINANCES : Les marches, ou l'irresponsabilite au pouvoir, par Danie/e Gervais. - Comment Reuter a gagne la course l'information boursiere, par Michael Palmer.

    e TIMOR-ORIENTAL : L~ pays est-il exempte de droit international ?, par Jean-Pierre Ca1ry.

    AMERIQUE LATINE: Violences colombiennes dans !es rues et les tetes, par Hubert Prolongeau. -S'enrichir en depouillant l'Etat, par James Pelras.

    LITTERATURE : La Vallee , une nouvelle de lHaurice Pons. - Le voyageur bienheureux , un poeme inedil de Dercl Walcott.

    En vente chez votre rnarchand de journaux - 20 F

    honte d'en jouir comme d'un privilege sans se soucier d'en assumer Ja fonction educarive.

    L'etymologie vient une fois de plus notre secours pour nous apprendre que, en latin deja, eduquer c'etait avoir Ja Cha rge d'elever, de nourrir, d ' instruire, de former. Quant au verbe enseigner , il a pour racine le mot signe et veut dire: faire connaitre par signe, et donc transmettre une indication, une information, une connaissance. Nous retrouvons Ja l'autorite et sa fonction de creer, de faire croitre.

    Le maitre n'a de pouvoir que s'il eduque, et son commande-ment n'est>'valable que s' il est formateur. Autant dire qu'il est emancipateur, car l'education et l' enseignement ne peuvent conduire qu'a une liberte gran-dissante, permettant d'acceder une humanite adulte . La fameuse dialectique du maltre et de l'esclave se revele ici comme un parfait contresens. Au processus liberateur se sub-slitue une demarche oppressive. Cessant d'etre accoucheur, Je maitre devient tyrannique.

    Dans des conferences qu'il fit en I 904 sur l'anarchisme politi-que (1), Peguy exprime cela en distinguant l'autorite de com-mandement de l'autoriu! de

    competence. La premiere repose sur Ja force et ne reclame pas l'adbesion. II lui suffit de Ja coercition. Elle vise a peser et non a convaincre. Etymologi-quement , ce dernier mot signi-fie : vaincre avec. L'autorite de commandement ne se soucie pas d'une victoire commune. Elle cherche a l' emporter sur son subordonne en triomphant par lui, non avec lui. Loin d'etre Je collaborateur dont eile s 'assure le concours, il figure a ses yeux i'obstacle prealable qu 'elle doit neutraliser, rendre passif, pour executer son dc;ssein.

    L' autorite de competence repose sur le savoir. Elle dirige parce qu'elle est capable. Ses connaissances appellent le consentement , pourvu qu 'elles expriment une qualification reelle et non une habilitation fictive , de complaisance ou de routine. En ce sens, Je mai tre doit constamment valider son pouvoir par la fecondite de son action. Sa superiorite n'est nul-lement liee a sa personne, comme une election gratuite. Elle est operative et se merite.

    La encore, on saisit combien l'autorite est une realite inalie-nable, qui passe a travers les hommes sans s'arreter a eux . Aucun maitre ne possede la puissance qu'il exerce de confor-mer les autres a son vouloir. II Ja rei;:oit par delegatioo, il en est Je gerant. Mais il s'egare s'il s'en croit le proprie1aire. Comme tout le monde, il en est Je servi-teur. II n'est pas Je maitre de sa maitrise.

    Venons-en au mot chef, tant adule naguere et aujour-d'hui tant honni. Dans la conscience contcmporaine, son champ d'application et d'excommunication oscille du scoutisme au fascisme. Au mieux c'est Baden-Powell, au pire Mussolini , pour ne rien dire de l'ombre terrifiante de Hitler. ( ... )

    Le culte du chef est banni sous pretexte qu ' il a encourage les demissions !es plus sinisires. Condamnation indispensable, si

    l'on garde present a J'esprit que selon la tradition biblique tout cutte appartient a Dieu et revient a lui Seu[, SOUS peine d' idolt rie : Tu n 'adoreras q11e le Seigneur ron Die11 et tu rejetle-ras /es idoles, car el/es sont faires de main d 'homme.

    Mais s' il arrive que des tetes deviennent folles , doit-on cou-per toutes les tetes, !'ideal etant alors une societe acephale? Notre precieuse etyrnologie nous apprend en effet que chef vient de capur. c'est-a-dire tete. S'en prendre au chef equivaut donc a epouser la revolte des membres contre la tete . Une insurrection de ce genre est-elle toujours valable ?

    11 n' y a pas besoin d'etre grand eiere pour comprendre qu 'on a l une operation suici-daire. Elle conduit d'ailleurs non pas a supprimer les tetes , mais a les multiplier. Chaque membre en devient une, qui se fait rivale des autres . C'est la zizanie et le chaos. Le pouvoir de synthese s'evanouit, la capa-cite de decision manque. Aucun organisme ne peut exister sans un poste central, a La fois centri-pete et centrifuge, qui rei;:oit et donne l'influx.

    Toute la question est juste-ment que Ja circulation ne soit pas a sens unique. Selon !'angle sous lequel on se place, la tete est autant l'expression des mem-bres que !' inverse. Elle est a leur service autant qu'ils sont au sien. La main est aveugle sans le cerveau, mais Je cerveau n'agit pas sans la main. II se produit une repartition et une hierarchi-sation des tches. Mais dans un organisme sain, toutes !es fonc-tions sont solidaires et egales en dignite.

    La fonction de chef se resu-merait assez bien dans une image classique dont s'est cou-jours nourri le monde militaire, bien qu'elle soit ambigue elle aussi : l'image d'entraineur. Le chef est l'avant de ses troupes. Il les precede, Jeur montre le chemin, inaugure !es dangers et les promesses de Ja route. A la

    pointe du combat, il est le pre-mier atteint et Je premier victo-rieux. L'image a egalement cours dans le monde economi-que et le monde sportif. On peut la juger valable pour toute entreprise, belliqueuse ou pacifi-que, dans la mesure ou celle-ci revet une dimension collective.

    Seulement l'entraineur ne doit pas etre le brave general qui fonce eo etourdi ou le megalo-mane qui se precipite vers l'abime. La qualite numero un du veritable encraineur est le coup d'a:il , c'est-a-dire Ja vue juste, la perspicacite, le di scer-nement , qui sont !es fruits d'une ouverture et d 'une capacite de syntbese peu communes.

    L'entraineur do it resister enfin au peril Je plus deletere et Je plus subtil : celui de faire corps avec son equipe au point qu'elle en devienne sa chose. Phenomene de possessivite qui confine a Ja posses.sion dial/oli-que et ou on ne sait plus au bout du compte qui possCde et qui est possede, tant la fascina-t ion se revele mutuelle et la devoration reciproque. Rien de pire alors que ces chefs-Molochs entrainant derriere eux une bande de truands. On l'a vu non seulement dans les luttes de sang, mais dans !es luttes d'af-faires et !es luttes politiques. On Je reverra, et c'est ainsi que renait perpetuellement la tenta-t ion de decapiter !es societes humaines pour !es guerir.

    Apres ces quelques remar-ques, on voit a quel point l'exer-cice de l'autorite est difficile. On ne l'assume efficacement que si, dans un paradoxe constant, l'autorite est vecue comme un renoncement , ou le pouvoir s'accomplit lorsqu'il s'efface.

    Jean Bastaire, ecrhain

    ( 1) CEuvres en prose comp/etes, La Pleiade , 1987 , p. 1795-1827.

    Jachere D ans /e Monde des debats de novembre, vous ecrivez que le cbamp que les agriculteurs laisseront en jachere leur rap-portera davantage q11e ce/ui q11'i/s cu/1iverolll . II n'en est rien , au contraire. En moyenne, 1 hectare degageant un rendement de 70 quintaux de ble laisse aujour-d'hui a l'agriculteur un revenu de 1 000 F ; demain, malgre une indemnisation de jachere de 2 450 F, la mise hors culture de cet hectare provoquera pour l'agriculteur une perte de revenu de plus de 2 000 F.

    D'une part, environ 4 000 F a 5 000 F de charges, dites eh arges fixes , sont attaches a cet hectare laisse en jachere, a savoir : son prix de location ou Je coCit des emprunts contractes pour l'acheter, Ja taxe locale sur le

    foncier non bti , des charges salariales et des charges d'equi-pement.

    La main-d'a:uvre permanente et l'equipement (machines, moyens de stockage) dont s'etait dotee une exploitat ion ne chan-gent guere, du moins dans un premier temps, du fait d'une jachere sur 8 %, 10 % ou 15 % de J'exploitation.

    Les coilts que representent ces facteurs de product ion doivent etre affectes en partie aux hec-tares de jachere.

    D'autre part , l'entretien de Ja jachere (desberbage, par exem-ple) coilte environ 500 F de charges directes.

    Pascal Hurbault (Association generale

    des producteurs de hie et autres cereales)