1940-2010 : 70e anniversaire de l'accueil des belges à sérignan

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Les femmes et les hommes de ma génération savent que la « Drôle de Guerre» qui, pour la France avait débuté le 1 er septembre 1939, à l’abri de la ligne Maginot, s’est transfor- mée à l’aube du 10 mai 1940, en une guerre-éclair par l’attaque de l’Alle- magne nazie contre les États, neutres hélas, qu’étaient les Pays-Bas, la Bel- gique et le Luxembourg. Je narre ci-après, pour les plus jeunes, comment à cette époque, avec nombre de concitoyens, j’aboutis et séjournai à Sérignan, y nouant des liens qui ne se sont pas desserrés. Une fois de plus, c’est à travers le regard d’une personne, un modeste éclairage sur l’histoire collective de Sérignan, du Languedoc, de la France et de l’Europe. Un témoignage comparable à ceux de Témoignage de Jean-E. Humblet, un Belge « appelé » et accueilli à Sérignan, de mai à août 1940 Hors-série du mensuel de la ville de Sérignan - Janvier 2010 Merci à toutes les personnes qui ont participé à la rédaction de ce document historique : Jean-E. Humblet, Georges Henri, Yvonne Bombal, Michel Cabrillac, Raymond Dalmau. 1940 - 2010 : 70 e anniversaire de l’accueil des Belges à Sérignan Il y a dans la vie d’une ville des événements exceptionnels qui rapprochent les hommes et qui les unissent, mettant en lumière ce qu’ils ont de meilleur. Le début de la Seconde Guerre Mondiale fut un moment majeur de l’histoire de notre cité. De nombreux Sérignanais, aujourd’hui disparus, dans un remarquable élan de solidarité et de fraternité, ont accueilli près de 900 res- sortissants belges qui avaient fui leur pays envahi par les troupes allemandes. C’est leur mémoire, à travers ce document, que nous entendons honorer. C’est aussi notre devoir d’expliquer aux jeunes générations et aux nouveaux habitants de Sérignan ces valeurs de générosité qui ont, pendant ces heures difficiles, grandi nos aînés. Ensemble, nous éviterons qu’elles tombent dans l’oubli. Frédéric Lacas, Maire de Sérignan 1

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1940-2010 : 70e anniversaire de l'accueil des Belges à Sérignan

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Page 1: 1940-2010 : 70e anniversaire de l'accueil des Belges à Sérignan

Les femmes et les hommes de ma génération savent que la « Drôle de Guerre» qui, pour la France avait débuté le 1er septembre 1939, à l’abri de la ligne Maginot, s’est transfor-mée à l’aube du 10 mai 1940, en une guerre-éclair par l’attaque de l’Alle-magne nazie contre les États, neutres hélas, qu’étaient les Pays-Bas, la Bel-gique et le Luxembourg.Je narre ci-après, pour les plus jeunes, comment à cette époque, avec nombre de concitoyens, j’aboutis et séjournai à Sérignan, y nouant des liens qui ne se sont pas desserrés. Une fois de plus, c’est à travers le regard d’une personne, un modeste éclairage sur l’histoire collective de Sérignan, du Languedoc, de la France et de l’Europe.Un témoignage comparable à ceux de

Témoignage de Jean-E. Humblet, un Belge « appelé » et accueilli à Sérignan, de mai à août 1940

Hors-série du mensuel de la ville de Sérignan - Janvier 2010Merci à toutes les personnes qui ont participé à la rédaction de ce document historique : Jean-E. Humblet, Georges Henri, Yvonne Bombal, Michel Cabrillac, Raymond Dalmau.

1940 - 2010 : 70e anniversaire de l’accueil des Belges à Sérignan

Il y a dans la vie d’une ville des événements exceptionnels qui rapprochent les hommes et qui les unissent, mettant en lumière ce qu’ils ont de meilleur.Le début de la Seconde Guerre Mondiale fut un moment majeur de l’histoire de notre cité. De nombreux Sérignanais, aujourd’hui disparus, dans un remarquable élan de solidarité et de fraternité, ont accueilli près de 900 res-sortissants belges qui avaient fui leur pays envahi par les troupes allemandes.C’est leur mémoire, à travers ce document, que nous entendons honorer. C’est aussi notre devoir d’expliquer aux jeunes générations et aux nouveaux habitants de Sérignan ces valeurs de générosité qui ont, pendant ces heures difficiles, grandi nos aînés. Ensemble, nous éviterons qu’elles tombent dans l’oubli.

Frédéric Lacas, Maire de Sérignan

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milliers d’autres, automobilistes, cy-clistes, etc...

L’ASSAUT ALLEMANDDès le 11 mai 1940, le gouverne-ment belge voyant déjà son armée de près de 700 000 hommes pour une population de 8 millions et demi d’habitants, débordée par l’aviation et les chars allemands, donne l’ordre AUX CITOYENS BELGES ÂGÉS DE 16 À 35 ANS, NON MILI-TAIRES, DE SE RENDRE PAR LEURS PROPRES MOYENS EN FRANCE OÙ ILS SERONT RAS-SEMBLÉS DANS DES « CEN-TRES DE RECRUTEMENT DE L’ARMÉE BELGE » (CRAB).Né en 1920 à Liège (dont le rôle en 1914 lors de la Première Guerre Mondiale fut capital pour les Alliés), je vivais à Bruxelles, alors étudiant en 1ère année d’université à Louvain. Dès le 12 mai, je partis en train avec deux amis. Escale à Tournai sous les bombardements. Le 15, à proximité de Boulogne, notre train de réfugiés fut victime d’un lourd tamponne-ment et nous fûmes les trois seuls survivants des douze personnes en-tassées dans le même compartiment de bois. Le matin du 17 mai, arrivant à Paris, nous fûmes enregistrés à la permanence des CRABS ; celle-ci nous convoqua à faire partie d’un convoi devant quitter la gare d’Aus-terlitz le 20 mai à 15 h.Nous n’atteignîmes Bordeaux que le lendemain soir. Le mercredi 22 mai à 9 h, notre train « CRAB » quittait la capitale du Bordelais. C’est vers 16 h que mes deux amis et moi-même fûmes appelés à descendre à Béziers et conduits en camion à Sauvian. Dès le lendemain, lecture du « code pénal militaire » pour faire de nous des « militaires » et affectation à diverses fonctions : aides à l’infirmerie(1), cuis-tots, etc...

L’INSTALLATION A SÉRIGNANHuit jours plus tard, je ne sais pour-quoi, je fus muté ou promu à Séri-gnan. L’état-major du bataillon était

installé au-dessus de la poste de l’épo-que, c’est-à-dire au coin de l’avenue de la République et de la rue Kléber (ac-tuellement l’agence Antonuccio).

Je logeais dans un « magasin », sur la paille, rue de Béziers, pas loin d’un quadrant solaire que je n’ai pas oublié : « badaire, fan toum cami l’ouro passo ». C’est à l’actuel 70 rue de Béziers.

Notre bataillon comptait près de 571 hommes, mélange hétéroclite de lycéens, scouts, étudiants, apprentis ou hommes mariés dont l’âge allait jusqu’à 45 ans. Pour organiser cela, un lieutenant de réserve et cinq sous-officiers !La municipalité de Sérignan fut re-marquable ! Elle vota un crédit de 150 kg de pommes de terre par jour pour améliorer notre ordinaire. Il n’y eut ni instruction militaire, ni équipe-ment. Les soins de santé ? L’hygiène ? presqu’inexistants !Quant aux registres et documents divers indispensables, ils faisaient l’objet de réquisitions au petit « tabac-papéterie » chez Cadecombe, aujourd’hui boulangerie-pâtisserie.

Mais l’accueil, au-delà de la munici-palité, devint bientôt l’affaire de toute la population. Pour prendre mon exemple, nous fûmes quatre à être logés chez une habitante de Sérignan rue Général Margueritte et toute la famille contribua de tout cœur à notre accueil. Les liens avec cette fa-mille existent toujours.

LA VOLONTÉ DE SERVIREn vertu d’un accord franco-belge, un certain nombre de CRAB devaient être mis à la disposition de l’armée française pour être affectés en arrière du front à des tâches auxiliaires : construction d’abris, abattage

Ci-dessus, le 70 av. de Béziers.Ci-dessous, le cadran solaire.

L’angle de l’av. de la République et de la rue Kléber

La Boulangerie-pâtisserie.

Rue Général Margueritte.

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d’arbres. Ce fut le cas de 17 000 CRAB. Les CRAB à Sérignan furent sélectionnés par un médecin, les plus costauds comme bétonneurs, d’autres comme forestiers : ils eurent la chance, contrairement au Nord de l’Hérault et d’ailleurs, de ne pas être envoyés au Nord de la Loire. Mais la débâcle approchait. Nous ne partîmes pas. Nous avions des nouvelles (capitulations de l’armée belge puis de la France...) diffusées par des hauts-parleurs sur la Promenade.Nous étions plusieurs à vouloir partir en Afrique du Nord par l’Espagne et poursuivre la guerre avec la France Libre. Mais le prix demandé par les pêcheurs de Port-Vendres et les pas-seurs des Pyrénées était exorbitant ! Nous ignorions un autre « prix » à payer : six mois dans les prisons de droit commun de Franco avant de pouvoir rejoindre un consulat allié et ensuite l’Angleterre.À Sérignan, je servis souvent d’esta-fette pour aller de la poste porter des nouvelles des soldats hélas prison-niers aux épouses et mères...

900 RÉFUGIÉS BELGES À SÉRIGNANSérignan abritait aussi le commande-ment des CRAB des quelques villa-ges environnants sous l’autorité d’un homme aussi bon que « bien envelop-pé », le Cdt Pignolet. Il tenait ses assi-ses au café du Centre.Dans le village on comptait aussi 900 réfugiés belges en famille logés par la population. Que d’efforts fournis et quelles amitiés durables sont nées ! Il y avait 17 000 CRAB dans le dépar-

tement de l’Hérault. Les plus mal lotis étaient ceux « parqués » dans des ba-raquements au camp d’Agde : chaleur, mauvaise nourriture, pas de contacts... Puis venaient ceux des villes(2). Les plus privilégiés étaient ceux des villages ac-cueillis par la population.Le 2 août 1940 à minuit, dans un train de wagons : « 40 hommes, 8 chevaux », nous quittions Béziers vers Bruxelles : trois nuits et trois jours de voyage diffi-ciles. La deuxième nuit, sur la ligne de démarcation : zone libre/zone occupée, dans l’obscurité en gare de Vierzon, nous entendîmes et vîmes pour la pre-mière fois les pas des bottes des trou-pes occupantes... Cela dura quatre ans et un mois !

RECONNAISSANCEC’est donc tout à fait légitimement qu’en 1984, j’ai offert à la ville de Sé-

rignan la plaque inaugurée solennelle-ment durant l’été 1984 ; elle a une place d’honneur dans la salle du Conseil mu-nicipal de l’Hôtel de Ville. L’en-tête est la suivante :« ACULHENCA, AMOSTAT, PATZ» (3)

Pendant les mois tragiques de mai 1940, la municipalité et la population de Sérignan ont accueilli de tout cœur 571 jeunes mobilisés du 15e Centre de Recrutement de l’Armée Belge (CRAB) et 900 réfugiés. LA PRÉSENTE PLAQUE COMMÉMORATIVE DE CALCAIRE WALLON, OFFERTE PAR J.-E. HUMBLET, SÉNATEUR LE 15 AOÛT 1984, AU NOM DES CRAB, A ÉTÉ DÉVOILÉE PAR MARIUS CASTAGNÉ, MAIRE.Ce sont des souvenirs à sauvegarder et, à l’exemple de Lespignan et Sauvian, pourquoi pas un jumelage entre Sé-rignan et une commune wallonne de Belgique, donc aux deux extrémités de la Francophonie Européenne ?

Professeur Jean-E. HumbletSénateur e.r.

Membre du Comité d’Organisation

(1) Il n’y avait guère que du sel de cuisine comme médicament ; pas inutile comme gargarisme ou comme placebo !(2) Une plaque de marbre de remerciements a été apposée au nom des réfugiés civils aux Allées de Béziers, sur un bâtiment du théâtre.(3) Je tenais à cette citation dont la correction me fut garantie par un éminent occitaniste, responsable de l’A.I.E.O. (Association Internationale d’Études Occitanes), le Professeur Laffont de Nîmes, décédé en juin 2009.

Le bar du Centre, qui abritait à l’époque le commandement des CRAB.

De nombreux Belges ont fui leur pays en tandem, à l’image d’Hélène et Maurice Plum-mart qui sont venus de Mons à Sérignan

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Cette plaque a une place d’honneur dans la salle du Conseil Municipal.

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Témoignage du Sérignanais Georges Henri : « Toute cette amitié est restée dans nos cœurs »Je me rappelle le jour où les Belges sont arrivés à Sérignan. Ils ont été accueillis par la municipalité dont le Maire était Louis Denat. Il a fait appel à la popu-lation pour loger certaines familles : les jeunes ont été logés à l’ancienne mai-son du Peuple. Les gens de Sérignan prenaient part à leur peine d’avoir dû quitter leur maison, leurs affaires, et surtout leurs parents. Ils ont été vite adoptés par la population.Mes parents tenaient le café du centre et ont hébergé plusieurs familles : deux familles Bd Victor Hugo, une famille dans la maison derrière le café et une dame dans l’hôtel. Le Commandant Pignolet siégeait au café où les Belges venaient le consulter. Soixante ans après, son ordonnance est venu me voir. Tous les soirs, à l’heure des in-formations, mes parents avaient mis un haut-parleur qui donnait sur la Promenade et les gens se regroupaient pour écouter les nouvelles. Il y avait un lieutenant qui était très sévère avec les jeunes et souvent il les tapait avec une cravache.Je sais que la population de Sérignan a été marquée par la reconnaissance et la gentillesse de nos amis Belges. Toute cette amitié est restée dans nos cœurs et certaines familles correspondent en-core. Quand ils sont repartis, un tram-

Témoignage du Sérignanais Michel Cabrillac

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way les a emmenés à la gare de Béziers. Je les ai suivis en vélo. Certains m’ont remercié et m’ont embrassé avec les lar-

mes aux yeux. Merci à toute la popula-tion et à la municipalité.

Georges Henri

À la fin du mois de mai 1940, la Mairie a demandé à notre père s’il acceptait d’hé-berger un officier belge et son épouse qui venaient d’arriver à Sérignan après avoir quitté la Belgique à la suite de la capitu-lation de l’armée belge. Naturellement, notre père acceptât. Cet officier avait pour le moins le grade de capitaine, peut-être

même celui de commandant. Nous étions à ce moment-là bloqués à Aix en Provence et nous n’avons pu rejoindre Sérignan qu’à la fin du mois de juillet, date à laquelle cet officier et son épouse avaient regagné la Belgique, de sorte que nous ne les avons jamais rencontrés. Cet officier avait laissé une caisse qui contenait son uniforme avec

la consigne de la lui expédier lorsqu’il en ferait la demande. Il ne s’est jamais mani-festé.Lorsque les Allemands ont occupé par-tiellement ma maison en décembre 1942, notre père a ouvert la caisse car il supposait à juste titre qu’elle contenait un revolver d’ordonnance, qu’il a jeté dans l’Orb...

Extrait du discours de Marius Castagné lors de l’installation de la plaque commémorative dans la salle du Conseil MunicipalMonsieur le Sénateur, Mesdames, Messieurs,Nous voici rassemblés dans notre vieille Mai-rie de Sérignan pour saluer la Belgique et ses représentants qui ont tenu à nous rappeler l’accueil fait par les Sérignanais aux enfants belges en 1940, ceci en offrant une plaque attestant la réception réservée à leurs ressor-tissants.Nous rappelons que les jeunes Belges de 16 à 35 ans sous contrôle militaire avaient reçu

l’ordre de rejoindre une zone non occupée et attendre un éventuel avis de mobilisation du gouvernement belge. Puis, les réfugiés civils arrivant en gare de Béziers et étant dirigés vers différents points de l’Hérault et d’autres départements voisins.Les jeunes gens sous contrôle de l’armée furent rassemblées place du Casserot, puis dirigés vers Sauvian, au château. Dès lors plusieurs familles prirent pitié de ces enfants où ils fu-rent recueillis et nourris. Les mobilisables ren-

trèrent par leurs propres moyens en Belgique et certains, bien entendu, vers Bordeaux où un comité d’accueil allemand les attendait. Les réfugiés civils ne furent pas à la fête non plus, leur voyage de Belgique vers le Midi dura 3 à 4 jours, pour beaucoup d’entre eux dans des trains bondés et peu confortables. Ils furent accueillis par le Conseil Municipal et par M. Roger Audoux, Maire de Sérignan.

Marius Castagné

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Un lien d’amitié entre familles sérignanaises et belges qui se perpétue par la correspondance

Dinant, le 28 décembre 1950Bien chers amis,Ne croyez-vous pas que nous vous avons oubliés ? Depuis passé 10 ans que nous avons vécu, pendant 3 mois l’un à côté de l’autre ? Il n’en est rien cependant et malgré le temps et la distance, nous pensons par-fois à vous tous, nous rappelant de bons souvenirs et les soirées dont vous nous avez entou-rés pendant notre séjour forcé dans le Midi. Nous aimerions connaître les nouvelles de votre famille, de vos enfants. La ma-man est-elle toujours là ?

Ici, sauf les années qui passent, peu de chose ont changé...Les affaires sont difficiles. Nous avons du renvoyer nos ouvriers (nous en avions deux, parfois trois) car la besogne manque et il y a beaucoup de chômage.C’est du reste ce qui nous a em-pêchés d’aller vous revoir, car si nous avions pu le faire, nous aurions acheté une petite voi-ture pour notre travail et avec

cela, il nous aurait été facile d’aller l’été jusqu’à Sérignan. Mais hélas, il nous faut aussi payer beaucoup de contribu-tions à l’État (environ 125 000 francs belges pour 3 ans) et cela est formidable pour de petits artisans comme nous.

Depuis un an, nous avons changé de maison, nous habi-tons maintenant une rue plus fréquentée et notre magasin est plus beau et plus achalandé que précédemment.

Il fait très froid ici : 10 degrés

sous zéro pour le moment. Il y a assez bien de neige en ville mais à la campagne il y en a eu beaucoup plus : jusqu’à un mètre et même 1,5 mètre. Les ouvriers ne peuvent travailler et c’est vraiment malheureux...Ne viendrez-vous jamais nous rendre visite ici, en Belgique ? Quelle joie ce serait pour nous, de vous voir ici.

Je termine, chers amis, en vous envoyant toutes nos amitiés ainsi que nos meilleures pensées et notre affectueux souvenir.

J. V.

Ci-dessus et ci-dessous, la pre-mière et la quatrième page de cette lettre, que Mme Yvonne Bombal nous a confiée.

Monceau s/s, le 22 mars 1946,Chers Amis,Je me permets après 5 années de vous écrire ces quelques li-gnes pour vous faire savoir que nous sommes toujours en bon-ne santé et nous espérons que c’en est de même de toute votre famille. Nous avons appris vo-tre adresse par Eudore.Ici, je vous prie de nous excu-ser près de René à qui nous lui avions promis de lui envoyer quelque chose quand il était là-bas, mais avec les bombar-dements qu’il y a eus sur les lignes de chemin de fer, c’était impossible. Nous en avons eu à côté de la maison autant dire à 1 km, 14 bombardements, mais à part cela, nous n’avons rien eu de casser.

Maintenant, Marius, rensei-gnez-vous s’il est possible de vous envoyer un petit colis, soit avec un peu de café et d’autres choses qui vous feraient plaisir. Quant à moi, je vais me ren-seigner aussi.Je vous ferai savoir que ma femme est toujours la même, Henriette a grandi, elle pèse

60 kg... Elle va encore à l’école où elle apprend l’anglais et la sténo. Quant à mon fils, car il est né le 1er janvier 1942, c’est un bon petit qui nous fait quelques fois oublier les peines qu’on a eues en 1940.Je vais finir ma lettre en vous demandant de faire des com-pliments à Fernande, son mari et enfants, ainsi qu’à Yvonne et son mari et à toute la famille.Et n’oubliez pas aussi amie que nous espérons se trouve toujours en bonne santé. Des compliments à vos voisins de notre part et à Bouziques, le pêcheur, ainsi qu’à toute sa famille.Bien le bonjour de nous tous.

Henri-AdelineHenriette-Marcel

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1. GéographieEn 70 ans, notre village a bien changé. En 1940, l’habitat rural tra-ditionnel était composé de maisons vigneronnes et de maison d’habitation ancien-nes, toutes à étages, et dipo-sées en continu.Le développement pavillon-naire qui a suivi cette guerre a considérablement agrandi la surface habitée sur la com-mune.La population est passée de 2 700 âmes à 6644 habitants aujourd’hui.Cette évolution a marqué la fin du partage de la maison entre deux voire trois générations.Le domaine Viennet, la plus grande exploitation viticole, est devenu en 1985 un centre administratif, avec l’Hôtel de Ville, la Poste, les impôts, la Police, la Médiathèque, l’es-pace J. Viennet et tout derniè-rement Les jardins de l’Hôtel de Ville.Le terrain qui jouxtait le do-maine de la famille Viennet a donné lieu à la création des lotissements Platanes I et Pla-tanes II.Les bâtiments de la propriété Michou ont été rasés pour permettre la construction d’un grand immeuble, Les Rives de l’Orb.

2. AdministrationEn 1940, le Maire s’appelait Roger Audoux. Ingénieur de profession, il a été élu démo-cratiquement pour un pre-mier mandat en 1931. Son deuxième mandat s’est terminé avant son terme, en 1941 par la nouvelle Constitution Fran-çaise instaurée par le Maréchal Pétain et le gouvernement de Vichy, qui mit fin à la 3e Répu-blique.Le Conseil municipal, dirigé par Roger Audoux, Maire mais également fondateur de la cave coopérative, était principalement composé de

viticulteurs.C’est cette municipalité qui offrit le meilleur accueil au groupe de 900 jeunes citoyens belges, en 1940.Durant leur séjour entre mai et août 1940, les jeunes Belges ont été logés en par-tie chez l’habitant et surtout à la Maison du Peuple (qui était située sur l’emplacement actuel du parking du Forum Marius Castagné). Les services administratifs comprenaient :- La mairie (1, pl. de la Libé-ration, devenue Point Info Tourisme, et depuis peu La Halle).- La Perception (26 bis, rue P. Riquet).- La Poste (54, allées de la Ré-publique, actuellement agence Antonuccio).

3. Économie- La viticultureLa vie économique du vil-lage était dominée par la vi-ticulture. Quelques grandes exploitations (Viennet, Ca-brillac, Michou) côtoyaient de nombreuses exploitations familiales de petite taille. Le tracteur n’ayant pas encore fait son apparition, la seule et unique force motrice de l’agri-culteur était le cheval. Séri-gnan comptait en 1940 :- 400 chevaux de trait- 3 maréchaux-ferrants : MM. Mathieu (Bd Pasteur), M. Mailhé (Rue Kléber), M. Roux (Rue de la Tour d’Auvergne).- 2 bourreliers (réparation des harnachements et selleries) : M. Cros (68, av. de Béziers) et M. Jean (impasse Pache).- 1 charron (fabrication et réparation des charrettes) : M. Tailhades (30, rue Mo-lière).Des activités annexes à la viti-culture existaient également :- 1 tonnelier (fabrication et entretien de tonneaux et de comportes en bois) : M. Ginot (Bd Voltaire)

- 2 marchands de fourrage et de produits agricoles : M. Alignan (Bd Voltaire, sur l’em-placement de l’actuel SPAR) et M. Bonnet (impasse Pache).On peut également citer la fa-mille Patrac, qui s’était spécia-lisée dans la tonte de chevaux, la récupération de la ferraille et du tartre déposé dans les foudres et les cuves à vin.

Avec l’utilisation du cheval, la viticulture réclamait une importante main-d’œuvre d’ouvriers agricoles qui re-levait principalement de l’émigration italienne et espa-gnole.

- L’artisanat- 2 ou 3 petites entreprises de maçonnerie entretenaient les maisons existantes : M. Alen-gry (Bd V. Hugo), M. Bort (rue Amat).Leur unique fournisseur en matériaux était les établisse-ments Mégnint (1 et 3 rue du 11 novembre).Le sable et le gravier étaient ex-traits de la rivière avec la ma-chine de dragage de M. Len-gay (Chemin de la Barque).- 2 menuisiers : M. Rouquet-te, le plus important (Bd Pas-teur), et M. Walls (rue Rouget de Lisle).- 1 plombier-ferblantier : M. Frédéric Pujadas (Rue Vales-sie).- 2 serruriers : M. Olivier (8, rue du 11 novembre, à l’em-placement de l’actuel Tabacs) et M. Alengry, dit Friquet (rue Kléber).- 1 électricien : Paul Cassagne (rue St Just).- 3 cordonniers : M. Bartali (66, rue Lamartine), Alexio (30, rue Danton), Barletta (7, rue Danton).

- Les commerces- Le marchand de chaus-sures : Hercule Cosentino dit «Arcoul» (1, rue Général Crouzat).

- Les commerces de vête-ments (chemiserie, bonnete-rie, mercerie) étaient tenues par :- le magasin Rouzeaud (50, rue Amat) - la maison Barbel (21, rue du 14 juillet- une toute petite boutique ins-tallée place de la Libération (à l’angle de la rue du 14 juillet) et tenue par Anna Torreille (rue du 14 juillet), dite Annassou.- la maison Roussel (rue Ho-che), correspondante de Paris-Béziers.Dans le domaine alimentaire, plusieurs épiceries exis-taient :- M. Molinier (pl. de la Libé-ration).- la Ruche du Midi, 2 magasins tenus par la famille Villemagne (29, pl. de la Libération et al-lées de la République, à l’angle de la rue Marceau, où est dé-sormais installée une agence immobilière).- les Docks Méridoniaux (rue du 14 juillet).- l’épicerie Pascal (rue du 14 juillet)- Bertrand, dit le Rouquin (2, rue Danton).- Marc (75, rue Amat)- Rieu, dite Reine, (74 rue La-martine).- Coll (rue Gambetta).

4 Boulangeries - M. Ricard (rue du 14 juillet), la seule encore en activité, te-nue par la famille Garcia.- M. Carratié, place de la Libé-ration, actuellement cave à vin.- M. Walls (27 rue Danton), aujourd’hui disparue.- M. Abel (38, rue Michelet), également disparue.

3 Boucheries- M. Dieude (pl. de la Libéra-tion, à l’angle de la rue Gén. Henric).- M. Eribie (5, rue Général Crouzat).- M. Escargel (12, rue Lamar-tine).

La vie quotidienne à Sérignan en 1940Soixante-dix ans après l’arrivée du CRAB (Centre de recrutement de l’armée Belge) en 1940 à Sérignan, nous vous invitons à effectuer un retour sur ce qu’était notre village à cette époque : ses commerces, ses entreprises, son environnement, ses particu-larités. Raymond Dalmau, président des anciens combattants, a effectué des recherches dans des documents municipaux ainsi que des archives personnelles afin de dresser un portrait de la vie sérignanaise en 1940. Voici les informations collectées.

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- L’abattoir (rue de l’Orb).- 3 laiteriesElles élevaient leurs vaches, ven-daient leur production sur place et assuraient une distribution à la cruche dans le village :- Lambert (38, Bd Voltaire)- Mignard (Bd Voltaire).- Bertrand (rue Malakoff ).

- 2 bergeries - Jasse de Rémi (rte de Ven-dres, à l’angle de l’avenue du Général de Gaulle)- Rue Georges Ricard.Bien qu’elles ne procédaient pas à la vente au détail, les deux bergeries élevaient des moutons et on pouvait voir les troupeaux traverser le village pour se rendre à leurs divers pâturages, laissant derrière leur cortège une multitude de boulettes noires.

Les coiffeurs étaient un lieu de rencontre et de discussion en attendant son tour pour la bar-be, pour les cheveux ou pour le « complet ». On y trouvait :- Emile (allées de la Républi-que), aujourd’hui la boulange-rie Houlès.- Amendit «Toutou» (6, rue Danton).- Paul et son épouse « Lolotte » (59 rue Gambetta), coiffeuse pour dames.- Nana, coiffeuse pour dames (allées de la République, au dé-part de la rue St Just).

Les cafés étaient groupés sur la Promenade, mais ne propo-saient pas de restauration : - Café de la Paix- Café du Centre- Café de la terrasseD‘autres cafés étaient installés en centre-ville :- Café « Chez Michel » (2, rue du 11 novembre), actuellement Mercerie Dalmau-Perez.- Café des Alliés (43, avenue V. Hugo), actuellement magasin d’informatique.Le Café du Pont, excentré, possédait une pompe manuelle de distribution d’essence pour les rares véhicules à moteur de cette époque, mais ne disposait d’aucun mécanicien auto.Le Bar de Mme Esther (rue du 14 juillet, à l’angle de la rue du Général Henric) était également le dépôt de presse ( journal L’Eclair). Il était aussi

réputé pour ses magazines et ses bonbons pour enfants.

2 bureaux de tabacs- Capdecombe (à côté du coif-feur Emile), qui occupait une partie de l’actuelle Boulangerie Houlès.- Farenq (3, rue du 11 novem-bre).La baraque de Mme Ithier (Al-lées de la République) proposait des bonbons et des glaces, tout comme la mère du serrurier (rue du 11 novembre, actuellement tabacs, elle se situait sur le pas-sage des écoliers).

Il n’y avait pas de banques, donc pas de chèques ou de car-tes de crédit et par conséquent pas de surendettement. Tous les paiements étaient effectués en espèces.

4. Les professionnels de la santéLes médecins généralistes- Dr Rouve (allées de la Répu-blique, angle du Bd V. Hugo).- Dr Camare (19, rue Danton);- Dr Fargues, venant de Valras pour ses consultations.

- 1 pharmacie : M. Bourrel (pl. de la Libération)

1 sage-femme : Mme Blanc (avenue de la plage).

Il n’y avait pas de dentiste, d’op-ticien, de kiné, de vétérinaire et encore moins de laboratoire d’analyses.

5. ÉducationTous les enfants, garçons et filles, étaient accueillis à l’école maternelle F. Buisson, comme c’est encore le cas aujourd’hui.En revanche l’école élémen-taire de filles était située dans des bâtiments jouxtant l’école maternelle actuelle.L’école élémentaire des gar-çons était située au sein de l’école P. Bert, ainsi que le col-lège, qui regroupait garçons et filles.

6. La vie quotidienne à l’époqueAucune villa, ni piscines n’avaient encore été construi-tes. Les habitants ne possé-daient ni frigidaire, ni télé et

peu de postes radios.Le tout à l’égout n’était pas en-core installé.

Les femmes se rendaient au la-voir public (Maison de la vie associative, au lieu-dit Casse-rot). Les lavoirs publics, gran-de bâtisse renfermant plusieurs bassins et équipée de robinets d’eau froide, permettaient de laver et battre le linge. À proxi-mité étaient installés les WC publics : quatre cabines, un urinoir, des seaux hygiéniques et un robinet de rinçage. La rivière était l’exutoire direct de tous les déchets. Une installa-tion identique de WC, vidoir, était implantée à la Promenade du pont, avec toujours la même finalité dans l’Orb.

Les rues n’étaient pas goudron-nées. Les 10 à 15 Sérignanais possédant une voiture utili-saient la station d’essence à pompe manuelle.C’était à l’aide du cheval et du tombereau que l’éboueur de l’époque procédait à la col-lecte des ordures ménagères, déposées en tas au coin des rues (et dans des seaux pour les cendres).Le maître éboueur était le bien connu BOFI dit familièrement «L’ Escoubiayre». Les roues avec pneumatique n’ayant pas encore été adaptées aux véhicules tractés par cheval, les roues de son tombereau, comme toutes les charrettes, charretons, roues de brouettes, étaient un rayonnage en bois, au départ d’un moyeu avec cerclage d’une bande de roule-ment en acier. Elles généraient beaucoup de bruit et d’ornières dans les rues, surtout pendant les vendanges parfois pluvieu-ses, lorsque les charrettes char-gées de comportes se rendaient à la coopérative ou dans les ca-ves particulières.

7. CirculationLe village de Sérignan était loin d’être isolé. La route départe-mentale qui le reliait à Béziers et à Valras-Plage était com-plétée par la ligne de tramway électrique Béziers-La Mer qui avait deux arrêts : le premier à l’ancienne Promenade du Pont (maintenant l’œuvre de Buren

devant La Cigalière) et à la Pro-menade.

8. SportsL’ancien stade, situé à l’em-placement de l’actuel lotisse-ment Les Jardins du Stade, accueillait les rugbymen du Racing Club Sérignanais, déjà détenteur de nombreux titres.Il permettait également aux élèves des cours complémen-taires de pratiquer les discipli-nes d’athlétisme.

Les culturistes avaient à leur disposition une partie de la salle de la Maison du Peuple au sol en terre battue et dis-posaient d’un trapèze, des an-neaux, des barres parallèles, d’une barre fixe, de cordes à grimper à nœuds et lisse. Charles Bombal entraînait les jeunes culturistes.

9. LoisirsLa principale distraction de Sérignan était le cinéma Excel-sior (92, Bd V. Hugo), occupé actuellement par un fleuriste et un loueur de cassette.Les cafés du Centre et de la Ter-rasse proposaient à la jeunesse une salle de bal au 1er étage de leur établissement, sans or-chestre, ni sono mais avec un phonographe et une collection de disques vinyl pour rumbas, tangos, paso dobles et valses.

Ce texte sur « Sérignan en 1940 » a été réalisé en faisant appel à la mémoire des Anciens âgés de plus de 70 ans. Il ne se veut pas exhaustif mais repré-sentatif de cette année impor-tante pour notre commune. Si une personne dans votre famille peut enrichir notre panorama, merci de contacter Raymond Dalmau, auteur de ce travail d’historien, au tél. : 06 15 19 48 23.

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Page 8: 1940-2010 : 70e anniversaire de l'accueil des Belges à Sérignan

La publication « 1940 - 2010 : 70e anniversaire de l’accueil des Belges à Sérignan » est un hors-série du mensuel de la ville de Sérignan. Directeur de la publication : Jacques Dupin, 1er adjoint au Maire. Rédacteur en chef : Jean-E. Humblet. Ont participé : Raymond Dalmau, Danielle Sales, conseillère municipale, Cyril Cahouzard et Quentin Martin-Cochet, stagiaire au service communi-

cation municipal. Mise en page et photos : C.C. Tirage : 1 000 exemplaires. Imprimé par Pure Impression (Mauguio - 34) sur du papier recyclé et en respectant les principes de l’éco-impression.

Coup d’œil sur les Belges et la BelgiqueLe premier emploi du terme « Belges » remonte à près de 50 ans avant J.-C. dans l’ouvrage de la Guerre des Gaules de Ju-les César qui narre sa conquête y distin-guant :- La Gaule narbonnaise- La Gaule lyonnaise- La Gaule belgique (adjectif ).Celle-ci s’étendait du Rhin à la Seine. Il n’y a donc pas adéquation et entre ce territoire-là et le petit État Belge actuel de 30 000 km2 créé à l’instigation britan-nique contre la France en 1831. Parfois, comme partout, on y pratique le chau-vinisme en citant Jules César « de tout ceux-là - les peuples de la Gaulle - les plus braves sont les Belges ». Mais l’on oublie la suite : « parce que ce sont les plus éloignés de la civilisation romaine ». Ce n’est donc pas un compliment pour les habitants de Lutésiat (Paris), Drocortum (Reims) et Leodium (Liège) à cette époque.

L’empire romain s’écroule 4 siècles plus tard car les invasions germaniques met-tent fin à la période gallo-romaine. L’on pourra se reconstruire avec Clovis et les Francs qui donnent un nom à la France et avec d’autres peuples tels les Wisigoths en Septimanie (Gaulle Narbonnaise).Une certaine centralisation conduit au pouvoir des Mérovingiens et des Carolin-giens, c’est-à-dire la dynastie du créateur de l’Europe Occidentale : Charlemagne (742-814), né à Liège (ou à Aix-la-Cha-pelle) à 60 km. En 843, ses petits-fils, par le Traité de Verdun, divisent l’empire en trois parties :- Charles le Chauve reçoit le territoire al-lant de l’Atlantique à la Meuse, la Saône et le Rhône, - Louis le Germanique, le territoire à l’est du Rhin,- Lothaire, l’entre-deux, jusqu’au-delà de Rome.Les territoires de l’actuelle Belgique sont donc divisés de même que la France qui, bien plus tard, s’adjoindra progressive-ment à l’est, la Provence, le Dauphiné, la Savoie, la Franche Comté, La Lorraine et l’Alsace. C’est à cette époque que se fixe la frontière linguistique entre lan-gues germaniques et langues latines ou romanes qui traversent la Belgique hori-zontalement de Lille à Aix-la-Chapelle, passant au Nord de Liège. C’est pourquoi plusieurs écrivains et diplomates français appelleront le pays de Liège : « la petite France de Meuse » et toute la Wallonie :

« la pointe septentrionale la plus avancée du monde roman ».Sur le territoire de la future Belgique (1830), dès le 12e siècle, existe la prin-cipauté de Liège qui sera autonome jus-qu’en 1796. Au contraire, le duché de Brabant, le Comté de Hainaut, de Na-mur et de Flandre, le Comté de Flandres dépendront successivement des Bourgui-gnons, des Habsbourg d’Espagne et des Habsbourg d’Autriche, transcendant la frontière du Sud avec des provinces fran-çaises, et celles du Nord avec les Pays-Bas autonomes (à la suite des guerres de reli-gion à la fin du 16e siècle). La Grande-Bretagne est un chef d’orches-tre efficace au-delà de la manche en lien avec des principautés allemandes. La fu-ture Belgique voyant successivement aux prises également la France et l’Espagne, sera donc qualifiée de champ de bataille de l’Europe. Bouvines (1214) et Rocroi (1643), lieux de batailles décisives pour l’histoire de France, sont à deux pas de la frontière franco-belge actuelle.Sautons tout de suite à Jemappes (1792), première victoire républicaine, et à la dé-faite de Waterloo en 1815. Le Traité de Vienne, restaurateur et passéiste, rattache alors aux Pays-Bas les neuf départements de la future Belgique et indirectement provoque les révolutions de 1830 et de 1848 à Paris, Bruxelles, Budapest, etc.Le 27 septembre 1830, les Hollandais sont chassés de Bruxelles, la Belgique se constitue et se donne rapidement une Constitution moderne pour l’époque et elle opte pour une monarchie. Le choix du Duc de Nemours, fils de Louis-Phi-lippe, est refusé par Londres : on abou-tit à une monarchie allemande, celle des Saxe-Cobourg-Gotha et à un premier roi très proche de l’Angleterre.

Bien située géographiquement, la Belgi-que se développe du point de vue écono-mique grâce aux industries du charbon et de l’acier au sud en Wallonie et au port d’Anvers au Nord, en Flandre, en atten-dant l’essor dû au Congo Belge à partir de la fin du 19e siècle. C’est à cette même époque que s’exprime une spécificité fla-mande créant une situation conflictuelle. Elle conduira en 1932 à une fixation d’une frontière linguistique, mais l’évolu-tion décentralisatrice mènera à partir de 1980 à l’abandon de l’État Unitaire et au choix du système fédéral.

Voyons comment la Belgique se présente aujourd’hui : - au Nord : la Flandre, pays des Flamands, s’exprimant dans une langue officielle germanique comme aux Pays-Bas mais avec beaucoup de spécificités dialectales. 6 millions d’habitants. Em-blème : lion noir sur champ d’or. - au Sud : la Wallonie, pays des Wallons qui, comme leurs voisins en France (500 km de frontières), parle un français « pointu », avec des influences dialectales de langue latine (par exemple, à l’ouest, le Ch’Ti !). 3,5 millions d’habi-tants. Emblème : un coq rouge, la patte droite levée sur champ d’or. - au centre : Bruxelles avec le Bruxellois, à 85 % francophone, et près de 20 % d’immigrés. Certains gardent en-core un accent caractéristique appelé im-proprement en France « l’accent belge ».Soyons donc clairs, il n’y a pas de langue belge mais des caractéristiques du fran-çais régional, comme on en trouve en France avec l’influence des dialectes wal-lons, picards et lorrains. Ces distinctions sont importantes car l’évolution actuelle oriente vers des solidarités européennes et la promotion des régions.

Nous n’aimons donc pas les histoires bel-ges car :a) elles sont perçues en Belgique comme l’expression d’un complexe de supério-rité français qui est tout au plus parisien, comme on le sait dans le midi.b) parce que de même que les compéti-tions sportives, elles font croire à un Bel-ge type qui n’existe pas (1).c) parce que rares sont les bonnes histoi-res belges, nous préférons celles qui sont locales.

Ces distinctions sont importantes et se manifestent par nombre de différences, y compris dans l’alimentation. Il ne faut pas s’étonner de l’accent étranger des Fla-mands mais il est bon d’apprécier que certains choisissent la France pour leurs vacances et s’efforcent de s’exprimer en français.

Professeur Jean-E. Humblet

(1) En 1912 déjà, un grand écrivain et un homme politique de chez nous, fondateur de notre « Académie de Langue et de Lit-térature françaises, écrivait au roi Albert : « sire, il n’y a pas de Belges, il y a des Flamands et des Wallons ».

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