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ÉLECTIONS DÉPARTEMENTALES L’échec des partis • CONCLAVES : Retour sur les élections des présidents du conseil général de 2001 à 2011 • Choix des candidats • La parité en question 101 MAG N°1 MARS 2015 Un autre regard sur Mayotte DOSSIER SPECIAL POLITIQUE

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101 Mag Directeur de publication : Faïd SOUHAILI www.101mag.fr Responsable de la rédaction : Halda HALIDI Responsable adjointe de la rédaction : Kalathoumi ABDIL-HADI Comité de rédaction : Mlaili CONDRO, Soidiki ASSIBATU, Jarre ASCANDARI, Maouwa ABDILLAH, Pascal FERRIE Collaboration spéciale : Nassuf DJAILANI Graphisme – Maquette : NFK Site web : Raïz ALIDINA http://www.101mag.fr

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101 MAG N°1 MARS 2015 1

ÉLECTIONS DÉPARTEMENTALES

L’échec des partis

• CONCLAVES : Retour sur les élections des présidents du conseil général de 2001 à 2011

• Choix des candidats• La parité en question

101 M

AG

N°1

MA

RS

2015

U n a u t r e r e g a r d s u r M a y o t t e

DOSSIER SPECIAL POLITIQUE

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Ecrire à Mayotte est un vrai défi. Dans une île où la parole vaut bien plus que toutes les productions écrites, écrire pour-rait paraître illusoire. Cependant, notre so-ciété évolue à vitesse grand V. Et devant le cyclone sociétal qui s’abat sur nous, il nous manque parfois des repères, du recul pour analyser les événements.

Si nous avons choisi de nous nommer 101 Mag, c’est parce que ce 101e dépar-tement que beaucoup attendaient reste à construire. Comme diraient certains an-ciens, les murs de la maison sont montés, désormais, il faut la meubler. Mais com-ment, avec qui et avec quoi ?

101 Mag a pour ambition de soulever les questions qui préoccupent notre société actuelle. D’analyser, de donner des clés de compréhension et surtout de susciter le débat. Nous avons la conviction que c’est de la discus-sion, c’est du débat contradictoire sans retenue que sortiront les idées pour la construction de notre île.

A une époque où l’information est qua-siment instantanée, il nous a semblé né-cessaire de prendre le temps de s’arrêter sur les problématiques qui se posent à nous pour mieux en saisir les enjeux.

Chaque mois, nous examinerons un thème de société que nous essaierons d’observer sous tous les angles possibles. Ce mois-ci, nous nous sommes attar-dés sur le fonctionnement de la politique mahoraise et notamment l’échec du sys-tème des partis.

Nous prévoyons également de vous faire découvrir des lieux ou des person-nages à travers des tranches de vie par le récit. Parfois, à la manière du cinéma et du procédé technique dénommé flashback, nous éclairerons un événement passé qui permet de mieux comprendre la situation présente.

Dans notre démarche, nous avons tenu à ne pas se limiter à une équipe de jour-nalistes. Mayotte a la chance d’avoir des chercheurs, des spécialistes, des per-sonnes nombreuses qui ont des connais-sances et une vision différente de celle

que peut être la nôtre. C’est cette richesse qui doit nous permettre de mieux appré-hender les choses.

Et c’est pour enrichir le débat que nous ouvrons nos colonnes à des collabora-teurs extérieurs.

Chaque mois, nous donnerons une carte blanche à l’un d’entre eux qui s’expri-mera sur un thème qu’il aura choisi.

Par ailleurs, nous espérons que nos écrits feront réagir nos lecteurs. Nous leur offrirons dès le prochain numéro l’occa-sion de pouvoir préciser, critiquer, souli-gner des points que nous avons soulevés.

Nous partons du principe qu’informer est un véritable métier. Aller sur le terrain, chercher les informations, rencontrer les personnes pertinentes, vérifier l’informa-tion, analyser les documents, mettre en

forme ce que l’on a recueilli, cela prend du temps et beaucoup d’ef-

forts. Nous estimons que tout cela a aussi un coût et par conséquent, nous vous pro-posons un abonnement qui nous permet-tra de nous donner encore plus de latitude pour fouiller nos sujets.

S’abonner c’est aussi une manière de soutenir notre projet et nous encourager à chercher, fouiller toujours plus loin pour trouver et raconter la société mahoraise dans ce qu’elle a de plus particulier et par-fois d’incompréhensible. Enfin, c’est nous aider à acheter du matériel pour vous of-frir une information complète, moderne et de bonne qualité sur notre site d’actualité quotidienne 101mag.fr .

101mag.fr, c’est l’autre versant de notre projet. L’actualité comme on ne vous l’a ja-mais proposé. Au quotidien, nous vous in-vitons à fréquenter notre site internet pour vous informer différemment sur notre île. Toujours, dans l’optique d’offrir un autre regard sur Mayotte, on se lance le défi de vous offrir les insolites des situations, de montrer les coulisses de certains évène-ments ou encore de caricaturer nos per-sonnalités.

101mag, un autre regard sur Mayotte.

EDITO

Nous espérons que nos écrits feront réagir nos lecteurs.

Kalathoumi Abdil-Hadi, Halda Halidi, Faïd Souhaïli

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BULLETIN D’ABONNEMENT

Nom : . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . Prénom : . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .Société : . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .Adresse : . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .Code postal : . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . Ville-Pays : . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .N° de téléphone : . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . E-mail : . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .

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3 EDITO

ACTUS6 La maison de la paix sème la discorde7 Deux fois plus d’élus incompétents ?8 La délinquance gagne du terrain9 Un concours pour promouvoir les artistes de notre région10 To be UMP or not to be UMP, that is the question

DOSSIER SPÉCIAL POLITIQUE (30 PAGES)12 L’échec du système des partis19 Le choix des candidats20 Bilan de la parité à Mayotte24 Conclaves : retour sur les élections des prési dents du conseil général de 2001 à 201126 Le triomphe de Saïd Omar Oili

32 L’ère Douchina : le temps est si bref dans la peau d’un chef36 Z comme Zaïdani

RECIT42 La folie à Mayotte

FLASHBACK47 Les Magoshi Tshora et leur influence sur la société mahoraise

50 TRIBUNE LIBRE

CARTE BLANCHE53 Cette jouissive folie de l’écriture

101 MAGchez Oudjérébou – Couveuse d’entreprises de Mayotte14 rue du stade de Cavani Immeuble Manga Papaye97600 MAMOUDZOUAssociation loi 1901Siret : 521 838 391 00014

Tél : 06 39 20 44 [email protected]

Directeur de publication : Faïd SOUHAILIRédactrice en chef : Halda HALIDIRédactrice en chef adjointe : Kalathoumi ABDIL-HADIComité de rédaction : CONDRO, Soidiki ASSIBATU, Jarre ASCANDARI, Maouwa ABDILLAH, Pascal FERRIE

Collaboration spéciale : Nassuf DJAILANIGraphisme – Maquette : Naresh FAZAL KARIMSite web : Raïz ALIDINA

Crédits photos : Faïd SOUHAILI, Kalathoumi ABDIL-HADI, Halda HALIDI

Prix de vente : 50 € à l’année (12 numéros)

Date de parution : 20 Mars 2015Date du dépôt légal : en coursN°ISSN : en cours

Toute reproduction (même partielle) des articles publiés dans 101 Mag sans accord de la société éditrice est interdite, conformément à la loi du 11 mars 1957 sur la propriété littéraire et artistique.

SOMMAIRE

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SOCIÉTÉ

La maison de la paix sème la discorde

La mosquée Masdjidil Djabar de Mt-sangamouji a préservé son aspect aty-pique au prime abord. Située au centre du village, son minaret aux formes angu-leuses en fait une curiosité difficile à ne pas voir. On peut y lire notamment l’inscrip-tion suivante «Maison de l’islam, maison de la paix, venez à la paix.» Mais depuis trois semaines, la mosquée verte est devenue la mosquée de la discorde.

Depuis le 27 février, ce sont plutôt des gravats au lieu des tapis qui accueillent ceux qui veulent y accomplir leurs prières. En effet, des habitants en colère ont dé-cidé de détruire les murs intérieurs de la mosquée. Les portes et fenêtres ont été arrachées et tout le mobilier renversé.

Ce qui a provoqué cette colère, c’est le fait que des djaoulas, ces musulmans s’ins-pirant du mouvement tabligh et prêchant un culte rigoureux (en tout cas différent de celui traditionnellement en cours dans notre île) venaient y prier le vendredi. La majorité des croyants du village prient à

la mosquée Masdjidil Akbar, la grande mosquée du vendredi située à quelques centaines de mètres en contrebas.

Cela fait dix ans que les croyants de Mtsangamouji avaient permis aux djaoulas de prier à la mosquée verte, mais ils n’auraient pas supporté l’ar-rogance et les prêches des djaoulas. «Ils nous insultent, ils perturbent notre prière du ven-dredi en poussant à fond des hauts-parleurs et ils font venir tous les djaoulas chassés de leur village. Ce n’est plus pos-sible» ont fait entendre les «tra-ditionnalistes».

Pour un désaccord de pratiques reli-gieuses, fallait-il en arriver là ?

Car même si les traditionnalistes se prévalent du fait que ce sont eux qui ont construit la mosquée Masdjidil Djabar et que par conséquent, ils peuvent la dé-truire, ces méthodes rappellent des épi-sodes où l’intolérance religieuse a conduit à des actes les plus sordides.

Il n’y a pas eu mort d’homme, heureuse-ment, mais le symbole est fort. N’y avait-il pas moyen de trouver une solution par la discussion ?

Que va devenir la mosquée ? Les tradi-tionnalistes veulent en faire une zawiya, un lieu d’apprentissage du Coran, mais aussi un lieu de pratique des maoulidas ou en-core dahiras, des manifestations chantées que rejettent les djaoulas. Ces derniers ont eux l’ambition de reconstruire leur lieu de culte.

Les murs de la mosquée sont tombés, mais pas encore ceux de l’incompréhen-sion entre les deux parties.

Les habitants de Mstangamouji ont préféré détruire une de leur mosquée plutôt que de laisser les « djaoulas » y faire la loi.

ACTUS

F.S.

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PARITÉ

Deux fois plus d’élus incompétents ?

Une fois de plus la journée du 8 mars est quasiment passée inaperçue pour bon nombre de femmes mahoraises. Cette an-née pourtant un vent nouveau souffle sur l’île au lagon. La parité est en marche... au conseil départemental en tout cas.

Treize femmes vont venir embellir les rangs de l’hémicycle Younoussa Bamana. treize mères de familles, treize chatouil-leuses nouvelles génération… prendront bientôt la relève de Sarah Mouhoussoune. La pionnière tire - momentanément - sa ré-vérence à la politique.

Un vent nouveau, souffle et soulève l’en-thousiasme chez de nombreux électeurs déçus par la politique de ces messieurs.

Pourtant, à peine les premières can-didates sorties de l’anonymat, voilà déjà que les critiques se font acerbes envers certaines. « Ignorantes… Charisme d’une huître… Français hésitant… Méconnais-sance des dossiers… Ne sait même pas ce qu’est un conseil départemental… Une ca-tastrophe !… Elles feraient mieux de retour-ner dans leurs cuisines... »

C’était prévisible, bon nombre de ces femmes n’ont pourtant rien à envier à

beaucoup de leurs collègues masculins. Les Mahorais découvrent la parité dans son aspect le plus cruel. L’égalité homme-femme ne signifie pas qu’une femme doive impérativement faire preuve de compé-tence pour être l’égale d’un homme. Elle implique plutôt qu’à incompétence égale, une femme ait autant de chance d’être élue qu’un homme.

Une vérité qui ne présage rien de bon pour le lendemain du vote. Le tout nou-veau conseil départemental va-t-il donc voir son taux d’incompétents augmenter parmi les d’élus(es) ?

Pas si sûr. En effet, un certain nombre d’études réalisées sur la question ont dé-montré que pour s’imposer ou juste être acceptées dans un milieu masculin, les femmes devaient faire preuve de deux fois plus de rigueur et de travail. Si ce constat s’avère exact, les électeurs mahorais on peut-être raison d’avoir foi en leurs futures conseillères. Mais pour le moment la seule chose dont ils soient sûrs, c’est que l’arri-vée des femmes au conseil départemen-tal, va indubitablement marquer un coup d’arrêt - ou du moins une baisse - aux in-cessants aller-retour des élus vers Mada-gascar.

Les femmes vont-elles vraiment changer la donne ?

H.H.

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JUSTICE

La délinquance gagne du terrain

À Mayotte, nouvelle année rime sou-vent avec hausses… des prix, de la popula-tion et bien entendu de la criminalité.

Mais une fois n’est pas coutume, de-puis décembre dernier, impossible d’avoir les chiffres sur la sécurité. À la préfec-ture, c’est l’omerta. Mais si ce silence de l’Etat ne présage rien de bon, il faut bien l’avouer, dévoiler de telles informations à

la veille des élections départementales ne serait pas très judicieux, sauf si on compte faire le lit du Front national.

La rentrée solennelle du tribunal s’est donc faite sans ces données primordiales pour avoir une vision globale de l’évolu-tion de l’insécurité à Mayotte. Un trou que le procureur, Joël Garrigue n’a pu combler, fin février, lors de l’installation du nouveau président du tribunal de grande instance. Le bilan de l’activité juridique de l’année 2014 ne montre qu’un aspect de la crimi-nalité à Mayotte. En effet, il ne concerne que les personnes qui ont eu recours à la justice. Beaucoup ne portent même pas plainte. Ces données permettent néan-

moins de voir la pression qu’exerce les dé-linquants sur l’ensemble de la population mahoraise.

Selon les chiffres recueillis par le Journal de Mayotte, un tiers des personnes mises en cause dans des crimes et délits sont mi-neures. Un taux qui monte à 60 % dans les cambriolages. Un cas unique dans toute la France. Mais la farandole des chiffres de la délinquance ne s’arrête pas là.

La justice constate aussi une hausse dans les dégradations de biens.

Une centaine de cas supplémentaires a atterri devant le juge pour enfants. Enfin, 543 jeunes ont été confiés aux services de la protection judiciaire de la jeunesse (PJJ). L’année dernière, 10 places de la prison de Majicavo étaient continuellement occu-pées par des moins de 18 ans. Seulement dix ? Diront certains... Oui seulement dix, parce que « la prison n’est pas la solution ». Alors en attendant de construire des centres plus adaptés, pour ces jeunes, ce sont les Mahorais qui devront vivre empri-sonnés derrière les barreaux de leur mai-son.

Affrontements entre jeunes de Kawéni et de Koropa en 2014

ACTUS

H.H.

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MUSIQUE

Un concours pour promouvoir les artistes de notre région

Contrairement aux artistes venus des Caraïbes ou encore de l’Afrique de l’Ouest, les artistes de notre région ont du mal à im-poser leurs musiques sur la scène musicale mondiale ou encore française. Pourtant, ce ne sont pas les talents qui manquent à la Réunion, Madagascar, Maurice, les Sey-chelles, les Comores, Rodrigues ou encore Mayotte. Mais peu d’entre eux sont connus des grands festivals, des grandes radios ou du grand public.

C’est pour remédier à cela que Brigitte Dabadie, gérante de la société Presque Bleu et Serge Trouillet, président de l’as-sociation Musik Océan Indien ont créé le Prix Musiques Océan Indien. «L’objectif et de promouvoir les écritures musicales de l’océan Indien, développer pour les lau-réats une carrière à l’international et favori-ser la diffusion des œuvres et des artistes

lauréats» soulignent les deux piliers de ce concours.

Pour la cinquième édition dont la finale se déroulera à Maurice en fin d’année, les inscriptions sont ouvertes jusqu’au 17 mai.

Bo Houss a été le lauréat de la 3e édition en 2011.

Ce prix a permis de faire connaître le M’tsapérois qui a eu le privilège de se pro-duire dans des festivals aussi prestigieux que les Francofolies de la Rochelle, le Sa-kifo à la Réunion ou encore le Festival Ti-mitar au Maroc.

Le lauréat pour l’année 2015 aura droit notamment à un coaching scénique, des rencontres avec des professionnels du milieu musical, une tournée en 2016 dans les festivals partenaires. Pour vous inscrire et avoir plus de renseignements, aller sur www.prixmusiquesoceanindien.com.

Brigitte Dabadie et Serge Trouillet, créateurs du Prix Musiques Océan Indien.

F.S.

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10 101 MAG N°1 MARS 2015

POLITIQUE

To be UMP or not to be UMP, that is the question

C’est une première à Mayotte. Des candidats aux départementales ont saisi le tribunal de grande instance (TGI) pour usage indu du nom de leur parti. Les can-didats aux élections départementales dans le canton de Sada, Ali Madi et Moina Echat Sabili ont été investis au niveau national par l’UMP. Mais Mohamed Bacar et Ma-riame Madi Boina disent l’avoir été au ni-veau départemental.

Lors de l’audience en référé au TGI, les avocats des deux parties se sont évertués à démontrer que la partie adverse avait fraudé et n’était en rien légitime à utiliser le nom de l’UMP.

En première instance, le président

Laurent Sabatier s’est déclaré incompé-tent en la matière. Mais Ali Madi et Moina Echat Sabili estiment que leurs adversaires ont sciemment semé le trouble auprès des électeurs de l’UMP. Ils ont fait appel, mais les juges ont confirmé la première sen-tence. Ils ont même précisé que l’investi-ture selon les statuts de l’UMP était de la compétence du comité départemental.

C’est cet argument que Mohamed Ba-car et Mariame Madi Boina avaient sou-tenu. Les partisans d’Ali Madi, déçus du jugement estiment que cette décision est politique et qu’elle favorise les tickets de gauche à savoir les duos Nomani Ousse-ni-Insya Daoud et Djinouri Ali-Aïda Hou-lame.

Les électeurs du canton de Sada devront choisir leurs conseillers

départemen-taux parmi

quatre listes et notamment deux qui se

réclamant de l’UMP.

ACTUS

F.S.

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VENTES

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12 101 MAG N°1 MARS 2015

SPÉCIAL POLITIQUE

La galaxie MPM a éclaté après avoir ré-gné pendant 50 ans sur la vie politique mahoraise. Néanmoins, Zoubert Adina-ni, Younoussa Ben Ali, Marcel Henry, Mouhoutar Salim (de gauche à droite au 1er plan) et Charif Saïd Adinani (au second plan) ont assisté tous ensemble à l’avénement du département de Mayotte le 31 mars 2011.

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101 MAG N°1 MARS 2015 13

ÉLECTIONS DÉPARTEMENTALES

L’échec du système de partis à Mayotte

Depuis la scission du Mouvement populaire mahorais (MPM) en 1999, révélant à l’occasion des profondes divergences de vision et de querelles entre

les leaders historiques du « combat de Mayotte fran-çaise », la géographie des partis politiques à Mayotte est très marquée par un processus de division et de scission des partis. Cepen-

dant il semble que le pro-blème est moins l’absence de ce que l’on appelle « leadership » que l’échec du système de partis à Mayotte. A-t-on jamais vrai-ment eu à Mayotte une vie

Les élections départementales approchent, les Mahorais sont conscients des difficultés qu’ils vivent au quotidien et des enjeux liés aux derniers changements statutaires (département et RUP). Et d’aucuns déplorent une absence de personnalités politiques fortes, capables d’unir et de rassembler pour une meilleure prise en compte de l’intérêt général, des intérêts de Mayotte et de ses habitants.

Condro

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14 101 MAG N°1 MARS 2015

politique animée par le sys-tème de partis ? C’est-à-dire un système dans lequel les partis ou les formations po-litiques se positionnent les

uns par rapport aux autres, où ce sont leurs oppositions et différences qui créent leurs identités et leurs va-leurs ? Le MPM au départ, l’UMP (ex-RPR) ensuite et maintenant, telle une divi-sion cellulaire anarchique infinie. Les formations poli-tiques se sont ainsi multipliées, portées par des structures simples, carac-térisées par des frontières labiles, évanes-centes, rendant le clivage entre majorité et opposition non permanent, toujours provisoire, les alliances se faisant au gré des intérêts personnels et des humeurs vagabondes des hommes politiques. De nombreux partis, sans assises élec-torales, ne représentant

que leurs responsables, apparaissent au gré des ambitions des uns et des fantasmes des autres, pour disparaitre au lendemain

des élections.De façon concomi-

tante, sont apparues éga-lement les candidatures sans étiquettes, les unions (upvwamoja en shimaore) de circonstance, se voulant portées par l’intérêt général et fustigeant au passage les

partis qu’elles considèrent ainsi comme défendant des intérêts trop partisans, de groupes limités. D’une ma-nière générale, les forma-tions politiques font de plus en plus l’objet de soupçon et de méfiance de la part de la population, malgré une adhésion quasi religieuse dont elles faisaient l’objet

un moment.Et le nouveau décou-

page des cantons, qui devait être favorable au système de partis, n’a pas empêché la multiplication des candidatures sans éti-quettes et des dissidences au sein des formations poli-tiques. Par exemple, l’UMP, le seul parti qui pouvait se targuer, jusqu’à présent, d’une existence territoriale réelle au-delà du nom, a également entamé son déclin depuis 2007 sous les coups de boutoir des querelles de personnes et des divisions internes ayant entrainé des dé-parts importants du parti. L’exercice du pouvoir, sans doute, ayant presqu’anéan-ti le leadership de Mansour Kamardine, qui a incarné, pendant longtemps, le par-ti. L’arrivée en politique, dans le parti, de nouvelles générations de plus en plus formées a également parti-cipé à l’ébranlement de son leadership, tandis que les

familles, surtout les grandes familles, ont désormais des ambitions politiques pour leurs enfants

diplômés qui s’intéressent à la politique ou choisissent de soutenir les ambitions politiques de leurs pro-génitures se prévalant de diplômes de haut niveau, plutôt que de suivre sans se poser des questions, comme elles le faisaient au-paravant, les leaders histo-riques.

L’échec du système de partis à Mayotte.

On n’en a pas fini avecles majorités «macédoine»

En 2009, un grand séminaire a eu lieu à la mairie de Mamoudzou pour faire repartir l’UMP sur de bonnes bases. Six ans après, le parti est se-couée par de graves crises internes.

SPÉCIAL POLITIQUE

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101 MAG N°1 MARS 2015 15

L’échec du système de partis à Mayotte.

Un président désigné de manière clandestine et antidémocratique.

Pourtant, à l’occasion des élections cantonales de mars 2015, au-delà des enjeux liés aux statuts de département et de RUP de Mayotte, et tandis que les partis s’épuisent dans la ges-tion et la résolution des questions de candidatures et de légitimité, la ques-tion majeure reste celle de la constitution de la pro-chaine majorité qui gérera le département et la nou-velle région. Bien malin ce-lui qui osera se prononcer à ce propos, seul un système de partis efficient, partici-pant efficacement à l’ani-mation de la vie politique et assurant la discipline dans les rangs des forma-tions politiques, aurait pu permettre de proposer des éléments de réponse à cette question. En effet, depuis 2004, à l’assem-blée départementale, nous avons pu observer des ma-jorités « salade macédoine », rassemblant des élus se réclamant de droite, de gauche, du centre, ou en-core sans étiquette. Nous avons même eu droit à une assemblée dirigée par un président issu de l’UMP (Ahmed Attoumani Douchi-na) et confronté à une op-position…UMP. Quant au président du conseil gé-

néral sortant, Daniel Zaï-dani, après avoir annoncé, en début de mandat, une majorité hétéroclite centre-gauche, il a dû reconnaitre travailler avec une majorité centre et gauche (le trait d’union disparu) pour s’op-poser finalement, en fin de

mandat, au gouvernement socialiste actuel.

Quant à la question de l’identité du prochain pré-sident du conseil départe-mental, aucune supputation possible ; il nous faut nous en remettre aux résultats des tractations et concilia-bules qui se tiendront après

les élections, auxquelles les hommes politiques maho-rais ont habitué la popu-lation et qui témoignent de l’échec du système de partis à Mayotte. Cette pro-

cédure clandestine et an-tidémocratique, inaugurée en 2004 (pour l’élection du président du conseil général), installera encore une fois à la tête du dépar-tement un président qui n’aura de compte à rendre

qu’aux ha-bitants de son canton, sans légiti-mité autre

que celle attribuée par sa localité, et un président qui dirigera une majorité hété-roclite pour ne pas dire une coalition d’élus portés par des ambitions personnelles et des intérêts confus. Le débat d’idées n’existant pas au sein des formations politiques. On n’apprend

pas à travailler ensemble dans les tractations poli-tiques et les conciliabules postélectoraux pour choisir le président du conseil dé-partemental.

Des partis qui se superposent ausystème des familles et des notables

Marcel Henry (assis à gauche), ténor du MPM puis du MDM a fait sa der-nière apparition en public en 2011 lors de l’élection de Daniel Zaïdani à la tête du conseil général.

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La cohésion du MPM constitué par un rejet violent des Comores indé-pendantes.

Comment expliquer cet imbroglio, ces confusions de genres et ces incerti-tudes permanentes de la vie politique mahoraises ? En réalité, le système de par-tis français ne s’est jamais véritablement enraciné

dans la société mahoraise. Les formations politiques se sont simplement super-posées au système des fa-milles et des notables qui régit la société mahoraise traditionnelle. Pour rappel, ce sont les grandes familles jouissant d’une notoriété sociale et leurs notables

qui décident souvent dans les villages. Faut-il rappe-ler que la première forma-tion politique de l’île, UDIM (Union pour la défense des intérêts de Mayotte), est is-sue du fameux congrès des notables qui s’est tenu à Tsoundzou le 2 novembre 1958, pour se prolonger dans le MPM (Mouvement populaire mahorais), en

1976. La longévité et la co-hésion de ce dernier ne s’explique que par la téna-cité de ce qui avait conduit à sa constitution : le rejet violent, le non vigoureux et passionné aux Comores indépendantes, et la reven-dication départementaliste. Le mouvement traduisait

en effet la nécessité, pour les Mahorais, de faire corps (serment sur le Coran de Sada en 1967), tandis que sa raison d’être fut initiée par les notables mahorais convoqués par George Nahouda (1). Il fut dirigé par des notables, qui n’avaient d’autres ambitions que celle du « rattachement dé-finitif de Mayotte à la France

», sans autre considéra-tion. Les élus territoriaux (conseil général et conseil municipal), choisis par les leaders du mouvement, n’avaient pas à réfléchir et avoir des points de vue per-sonnels, ils se contentaient d’acquiescer et de toucher leurs indemnités. En face,

L’échec du système de partis à Mayotte.

En juin 2009, le MDM espérait reconquérir la puissance perdue après l’éclatement du MPM en 1999. Au-jourd’hui seul Parfait Daka (1) se présente avec l’étiquette du parti. Darcaoui Toiliha (2) est parti à l’UMP. Zaïna-dini Daroussi (3) et Saandati Abdou Hadji (4) ont décidé de faire cavalier seul.

SPÉCIAL POLITIQUE

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le RPR, porté par le jeune Mansour Kamardine, ten-tait alors de lutter contre ce système de parti unique. Le jeune leader du RPR n’au-ra finalement eu sa chance d’exercer des responsabili-tés importantes au niveau du conseil général (pre-mier vice-président) et du Parlement français (dépu-té) qu’après l’implosion du MPM. En effet, à la fin des années 1990, la décision du gouvernement français (socia-liste à l’époque) d’engager l’ile dans un nou-veau statut tran-sitoire, avant celui de dépar-tement promis à la fin de la période transitoire, fit écla-ter le mouvement et mit fin au système de parti unique. Cependant, l’idéologie de « Mayotte française » a suffisamment eu le temps de former une classe po-litique et des générations d’hommes politiques qui restent méfiants à l’égard du débat contradictoire, la revendication départemen-taliste ayant « surdéterminé toute la politique mahoraise », comme le souligne Yves Salesse dans son ouvrage consacré à Mayotte (2).

Des partis où les idées et débats contradictoires sont difficiles.

Donc, pour revenir à la question de départ relative à l’absence de leadership,

il faut dire que la société mahoraise vit avec un sys-tème de partis qu’elle a du mal à intégrer. Celui-ci ne donne pas entière satis-faction. En effet, les forma-tions politiques à Mayotte ne parviennent pas à parti-ciper véritablement à l’ani-mation de la vie politique locale en structurant la so-ciété et l’opinion publique sur des idées fortes, en

définissant des enjeux de société autres que ceux liés aux statuts de dépar-tement et de RUP – qui ne donnent lieu en général qu’à des catalogues de re-vendications et de « il faut » –, et en proposant des programmes cohérents, qui tiennent compte des carac-téristiques de l’ensemble du territoire (commune ou département) et qui trans-cendent les divisions et ri-valités villageoises ou can-tonales. Que valent, que vont devenir les idées et les propositions formulées par les candidats et candidates à ces élections cantonales de 2015 si elles n’intègrent pas la cohérence d’un pro-gramme élaboré dans le cadre d’une formation po-litique pour l’ensemble de

l’île ? Chaque conseiller départemental n’est-il pas condamné à défendre ses projets dans une perspec-tive de rivalité entre les cantons voire entres les vil-lages ?

Les formations politiques à Mayotte ont également du mal à contribuer à l’ins-tauration d’un véritable ré-gime démocratique où les idées et le débat contradic-

toire orientent les choix et les décisions po-litiques. C’est que dès le dé-part, l’adhésion à un parti s’ef-fectue sur la base de consi-dérations qui

n’ont rien à avoir avec les idées ou l’idéologie prô-nées par le parti politique choisi ; le motif de cette ad-hésion est souvent affectif, personnel ou familial. De même que l’élection des hommes et des femmes politiques ne doit rien à ce que les formations po-litiques ou les candidats proposent comme pro-grammes et projets pour résoudre les problèmes du territoire. Les formations politiques semblent de plus en plus vouées à un rôle de « machine » pour faire élire et de sélection de respon-sables appelés à gouver-ner. Un rôle qui les fragilise énormément.

Quatre raisons semblent donc pouvoir expliquer l’échec du système de par-

Des élus condamnés à défendre des projets dans une perspective

de rivalité entre les cantons au dépend des projets à dimension

territoriale

L’échec du système de partis à Mayotte.

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tis et l’inanité des forma-tions politiques à Mayotte : la prégnance de la reven-dication départementaliste, qui a gelé, comme l’écrit Mouhoutar Salim (3), tout autre aspect de la vie so-ciale ; la très forte dépen-dance des formations po-litiques des personnalités qui les mettent en place, d’une part, et du système traditionnel des familles et des notables, d’autre part, une dépendance qui ne leur permet pas d’être des espaces autonomes, de ré-flexion et de débat démo-cratique. En effet, leur noto-riété sociale et leur pouvoir financier (car c’est souvent le cas aussi), d’une part, et l’absence de cotisations ré-gulières et de financement officiel des partis, d’autre part, confèrent d’emblée aux notables un poids déter-minant dans ces formations politiques, leurs instances dirigeantes et leur gestion. Enfin, la quatrième raison est représentée par les difficultés rencontrées par

ces instances dirigeantes dans l’arbitrage des conflits internes, qui se règlent sou-vent par des scissions ou qui aboutissent à des dissi-dences. Dans ces conflits, l’ambition personnelle ou le ressentiment ont souvent l’ascendant sur le respect des statuts et textes régle-mentaires du parti.

Le succès du système de partis à Mayotte, c’est-à-dire sa participation ef-ficiente à l’animation de la vie politique mahoraise et à la promotion d’un espace démocratique local passe par une redéfinition de la politique dans la société mahoraise. Il s’agit de la sortir du « combat » pour la départementalisation de Mayotte qui l’a façonnée pour l’inscrire dans le cadre d’une société démocra-tique portée par les valeurs de liberté, d’égalité, de jus-tice, marquée par des en-jeux posés par l’environne-ment et le développement, et confrontée aux difficultés relatives à notre modernité

(la mondialisation, la place de la religion, le défi de la diversité culturelle, les mouvements migratoires, la culture numérique). Cette redéfinition de la politique pose alors une exigence forte : la formation des hommes et des femmes politiques qui aspirent au pouvoir et à la gestion des affaires publiques. Elle se traduit également par une autre conception du pou-voir, loin de celle, toujours vivace, portée par le sys-tème traditionnel, « féoda-lo-bourgeois » (4), qui oblige encore le citoyen d’une ré-publique à l’allégeance et à mendier ses droits auprès d’élus se comportant sou-vent en monarques, avec leurs cours de courtisans (et non de fonctionnaires neutres).

L’échec du système de partis à Mayotte.

Références

(1) Mamaye Idriss, « «Mayotte département», la fin d’un combat ? Le Mouvement populaire mahorais : entre opposition et francophilie (1958-1976), Afrique contemporaine, 2013/3 (n° 247).

(2) Yves Salesse, Mayotte, l’illu-sion de la France (2000).

(3) Mouhoutar Salim, Mayotte : une appartenance double (2011).

(4) DJAHAZI, L’Imposture Féo-dalo-Bourgeoise (2008).

SPÉCIAL POLITIQUE

Adrien Giraud (au micro), président du MDM et figure emblématique du combat de Mayotte française

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ÉLECTIONS DÉPARTEMENTALES

Bons profils, pas (forcément) bons candidats

Certains responsables politiques qui peinent à assumer que ces mé-diocres apprenties politi-ciennes sont de leur parti, expliquent : « les femmes compétentes refusent la politique, tournent le dos aux partis ». Pourtant, il faut trouver un binôme. Parce que le choix des candi-dats se fait en fonction de l’importance de la famille. Parce que derrière une candidate ou un candidat se cachent des potentiels électeurs dans ce vivier fa-milial.

Dans la mesure où la population affiche un désin-térêt assumé vis-à-vis de la politique et où les candidats jouissent d’un discrédit cer-tain, la seule solution reste la fibre familiale. « Ils sont tous mauvais et menteurs entend-on, mieux vaut vo-ter pour le mien » explique une mère. Et dans ce cadre qu’arrive la problématique

des procurations.

Une démocratie adaptéeChurchill a déclaré que

la démocratie était un mau-vais système, mais elle est le moins pire de tous. La démocratie mahoraise montre bien cette réalité. Quand le poids des familles pèse autant dans les choix du bulletin, peut-on réelle-ment parler de liberté de choix ? L’arithmétique est presque jouée d’avance où les gens calculent en fonc-tion des quartiers et des membres des familles com-bien de voix peuvent-ils ga-gner, dans ces conditions il est facile de voir quand un membre de la famille ne joue pas le jeu.

Plus une famille est grande, plus elle aura des chances d’avoir un candi-dat. Mais cela rappelle bien évidemment les temps an-ciens avec les choix des chefs du village. C’est à par-

tir de ces derniers que s’est déterminé le choix des pre-miers maires de Mayotte…

L’expérience de la dé-mocratie s’est faite avec le calque du système tra-ditionnel où il n’y avait pas d’élection mais d’un com-mun accord, on s’accordait pour faire d’une personne désignée l’élue. C’est ainsi que Younoussa Bamana a qui l’on avait déjà réservé le poste de président du conseil général, s’est re-trouvé battu aux élections cantonales de 1991 à Ka-ni-Keli par Zaïnadine Da-roussi (aujourd’hui candidat dans le canton de Bouéni).

Et bien qu’à cela ne tienne, le Mzé Bamana a été parachuté à Chiconi, où une élection partielle a été provoquée. Il va de soi, qu’il était hors de question qu’il soit battu. Il a donc été élu et a pu siéger à la pré-sidence du conseil général de Mayotte.

Mais pourquoi donc François Hollande a-t-il mis en place cette pari-té complète dans ces élections départementales ? Après avoir criti-qué ces élus que l’on juge bien médiocres, tout l’espoir des Maho-rais résidait sur les femmes, censées être hautement plus intègres et nettement meilleures que les hommes. Pourtant le choix de ces candidates s’est fait de la même manière que le choix des hommes.

Kalathoumi Abdil-Hadi

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ÉLECTIONS DÉPARTEMENTALES

Les potiches de la République

Deux maires, une conseillère générale sur 19 et aucune au Parlement ; à Mayotte les femmes sont loin d’être les bienvenues au sein du clan fermé des élus. Le taux de femmes au conseil général s’élève à 5,3  %, bien loin de la moyenne hexagonale qui avoisine les 14 %.

Selon une étude réalisée par le site Outremer 1ère, dans les territoires ultra-ma-rins, notre département arrive même avant-dernier en matière de parité (gra-phique 1). Autant dire que l’arrivée des 13 femmes au futur conseil départemen-tal s’annonce comme une

révolution dans une sphère politique où le machisme fait loi.

« En dépit des mesures législatives importantes prises en faveur de leur promotion dans les as-s e m b l é e s élues, on c o n s t a t e que les f e m m e s n’occupent e n c o r e , dans les centres de décision politique, qu’une position somme toute mar-ginale. En effet, si dans le cadre règlementaire, la parité a été respectée,

les choses ont été diffé-rentes dans la désignation des maires et de leurs ad-joints. Les femmes ne re-présentent que 35,5 % des adjoints au maire et aucune

d’entre elles n’a pu accéder au mandat de maire. »

Ce constat douloureux est fait en mars 2003 par Naffissata Bint Mouhoud-hoir, alors déléguée au droit des femmes. À l’époque, soit deux ans après les premières élections canto-nales instaurant la parité, de nombreuses conseil-lères municipales ont dé-missionné de leur mandat. Une partie été remplacée par des hommes. La loi instaurant la parité est un échec.

Pourtant en 2001, beau-coup croient en la parité obligatoire. Pour être rece-vable aux élections muni-

Bilan de la parité à l’heure où 13 femmes s’apprêtent à faire leur en-trée dans l’hémicycle Younoussa Bamana.

Halda Halidi

Ramlati Ali, une des rares femmes à avoir réussi à tirer son épingle du jeu politique mahorais.

« L’acte législatif n’est rien s’il ne correspond pas à un état d’esprit. Les femmes doivent avoir de la vo-

lonté et de la déterminationpour surmonter les obstacles à leur intégration dans la vie politique. »

Naffissata Bint Mouhoudhoir

SPÉCIAL POLITIQUE

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Les potiches de la République

cipales, une liste doit dé-sormais comporter autant d’hommes que de femmes. Dans les conseils munici-paux, la parité est plutôt bien respectée. C’est au moment de désigner les maires et de leurs adjoints que l’affaire se corse. Le nombre de femmes se ré-duit à peau de chagrin.

Ainsi, au lendemain de ces premières élections, les conseils municipaux des 17 communes comptent 501 élus parmi lesquels ont trouve 46 % de femmes. Mais seules 17  % d’entre elles obtiennent des res-ponsabilités au sein du conseil contre 32 % des hommes.

Les « cumulardes »« On ne reconnaissait

pas mes mérites quand j’étais conseillère munici-pale, du coup je me suis peu à peu désengagée. » Aujourd’hui candidate aux élections départementales, Saoudat Abdou a elle aussi fait l’amère expérience du plafond de verre.

Mais si on peut repro-cher aux hommes de sou-vent s’octroyer la part du lion lors des distributions de postes à responsabilité, il faut aussi chercher la cause dans la structure familiale de la société. Elevée dans une société matrimoniale, la femme mahoraise a une position de toute puissance dans le cercle familial. A la maison, c’est sur elle que tout repose, un statut qui

devient rapidement un han-dicap lorsqu’elle souhaite construire une carrière pro-fessionnelle et littéralement un frein à toute ambition politique.

Pour ces élections dé-partementales, trouver un binôme féminin à la hauteur a été un vrai cauchemar pour certains candidats.

« J’ai essayé de trouver des femmes de qualité. In-telligentes. J’avais déjà en tête des noms de femmes de valeur qui pouvaient même assurer un poste de présidente du conseil général. Mais impossible de les convaincre. Toutes ont refusé. Du coup j’ai dû reprendre les vieilles mé-thodes. J’ai sorti mon mètre et j’ai choisi ma co-équi-pière en fonction de la taille de sa famille. Plus la famille est grande, plus elle m’ap-porterait de voix. » nous confie ce candidat de Ma-moudzou. Dans le chef- lieu, et encore plus dans les communes rurales, bon nombre de candidates sont sélectionnées, non pas sur leurs aptitudes, mais parce qu’il faut absolument trou-ver quelqu’un. C’est ainsi qu’une armée de potiches titulaires et suppléantes s’est retrouvée embrigadée dans ces élections départe-mentales.

Pour Saoudat Abdou, l’hésitation des femmes à s’engager dans le débat public s’explique en partie par le fait que le monde po-litique actuel a été fait par

Peu de candidates

dans les élections

Un rapide coup d’oeil aux derniers scrutins per-met de voir que même si elles sont très actives dans les campagnes et l’orga-nisation des partis, les femmes obtiennent rare-ment l’aval de leur clan po-litique quand il s’agit de le représenter à une élection.

3 Candidates aux législa-tives 2012

1ère circonscriptionRamlati Ali : PS : 5e place sur 15 au premier tour : 1236 voix : 7,98 % des voixLucinda Carvalho : FN 190 voix : 1,23 %

2ème circonscriptionSarah Mouhoussoune : NEMA : quatrième place :1 705 voix : 8,01 %

Sénatoriales

Une seule titulaire sur 14 candidats.Bichara Bouhari : DVG : Obtient 8 voix

Six suppléantesNemati Attoumani : sans etiquetteMoinecha Attoumani : UMPFatima Abdou : UMPRéhéma Moéva : modemHafifa Daoud / SE

NB : Les grands électeurs qui élisent les sénateurs sont les députés, conseil-lers généraux et les délé-gués des conseils munici-paux. Des hommes pour leur grande majorité.

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et pour des hommes. Il re-vient donc aux femmes de changer la donne. « Dans les conseils municipaux, les réunions importantes se font le soir, parfois très tard, mais aussi les samedi. Si les femmes s’imposent, elles peuvent changer ce fonc-tionnement. Aujourd’hui la loi permet aux élus de prendre une journée pour exercer leurs responsabi-lités politiques. Ces réu-nions peuvent très bien se

faire dans la journée. C’est à nous d’instaurer un cadre plus sain pas seulement pour les femmes, mais aussi pour les hommes qui veulent passer du temps avec leur famille. »

Le voici probablement, le premier effet positif de la parité. Des idées nou-velles, apportées par des femmes de conviction, bien décidées à ne pas être re-léguées au simple rang de potiche.

« S’engager en politique, c’est sacrifier sa vie familiale »

Elle est l’une des deux premières femmes élues maire à Mayotte. Elle fait aussi partie des rares élus à avoir été reconduits dans leurs fonctions. Pour Hanima Ibrahima, la femme endosse de plus en plus de responsabilités sans pour au-tant que le partage des tâche mé-

nagères ne se fasse à la maison.

101 Mag : Qu’est ce qui selon vous, vous a permis de vous im-poser comme maire là où tant d’autres ont du mal à obtenir ne serait-ce qu’un poste d’adjoint ?

C’est le travail sur le terrain qui m’a permis de m’imposer. J’ai tou-

jours été très engagée et impli-quée dans ce que je faisais. Pour ma première élection ce sont les gens qui sont venus me chercher. Des hommes et des femmes sont venus eux mêmes me demander de prendre la tête de la mairie.

Selon vous, qu’est ce qui freine vraiment les femmes à s’engager en politique ?

C’est difficile pour une femme de s’engager dans la vie politique. Il y a encore des habitudes bien ancrées dans la société qui font que la femme est très sollicité à la maison. Elle a besoin d’avoir le soutien de son mari pour y arriver. Par exemple mon mari ne sait rien faire, même s’il veut m’aider, je suis obligée de m’organiser pour qu’il ait à manger. Je lui laisse des plats au congélateur. Ma chance c’est que mes enfants sont grands. Le plus jeune a 18 ans. Il peut se faire à manger tout seul.

Selon un rapport de l’Insee sur la parité, un certain nombre de

femmes a démissionné en cours de mandat après l’instauration de la parité dans les municipales vous en pensez quoi ?

Je comprends ces femmes. Lorsqu’elles ont une vie de famille à gérer, un mari et des enfants en bas âge, être élue est une respon-sabilité de plus. La politique est un très grand engagement qui néces-site beaucoup de sacrifices surtout quand on a de jeunes enfants. Le choix est d’autant plus difficile car c’est la famille qui paye le prix fort. On n’a pas le temps d’avoir un dia-logue avec ses proches. Pour les hommes c’est différent.

C’est une chose que je trouve vraiment injuste. Quand un homme ne fait rien, ce n’est pas grave. Pour les femmes, même à travail égal les gens ont l’impression qu’elle ne fait rien.

Pourtant les femmes ont bien plus de responsabilité. Je trouve que les hommes ne s’engagent pas autant qu’ils pourraient le faire. Ils ont pourtant la possibilité de faire tellement plus.

Hanima Ibrahima, Maire deChirongui

Classement établi en fonction pourcentage de femmes occupant les postes de maire, parlementaire, présidence de conseil général et régional, présidence des conseils, des assemblées, et/ou des gouvernements locaux dans les collectivités d'Outre-mer. (Source Outre-mer Première)

Interview

SPÉCIAL POLITIQUE

Les potiches de la République

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SPÉCIAL POLITIQUE

Daniel Zaïdani est devenu président du conseil général de Mayotte en 2011 à la surprise de tous. C’est au bout d’un pro-cessus long de trois jours, digne d’un conclave papal et avec le soutien de son mentor Adrien Giraud qu’il a pu s’imposer.

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ÉLECTIONS DÉPARTEMENTALES

Conclave du troisième tour :entre manipulations et pressions en tout genre

résider le conseil départemental de Mayotte est l’ambition d’une petite partie des 126 can-didats en lice pour le scrutin qui se tiendra les

22 et 29 mars à venir. Toutefois, seul l’un d’entre eux aura l’honneur de présider l’assemblée départe-mentale ce 2 avril 2015. Dès le 29 mars au soir, dé-butera ce que nous appelons communément le troi-sième tour. Les aspirants à la présidence vont tenter de constituer une majorité, car comme nous l’avons montré, le système de partis n’est pas en mesure de dégager des candidats « naturels ». Et pour cela, tous les coups sont permis. Nous sommes allés à la ren-contre de quatre conseillers généraux actuels, dont deux anciens présidents. Ils conservent des souve-nirs marquants de cette période particulière où les nerfs sont mis à rude épreuve, où les ambitions sont exacerbées et où les coups bas pleuvent. Bienvenue dans le monde surprenant du conclave du troisième tour de 2001 à 2011.

P

F.S.

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ÉLECTIONS DÉPARTEMENTALES

Le triomphe du sans étiquette Oili

«Etre enfermés dans un lieu tenu secret, sans contact avec le monde ex-térieur, cela a toujours exis-té. Tout le monde dit qu’au temps de Bamana, cela ne se faisait pas. Mais ce n’est pas vrai. En 2001, il a été réélu à une voix près et la

voix qui faisait la différence, c’était la mienne. Les gens oublient souvent l’histoire.»

C’est avec un sourire désarmant que Saïd Omar Oili, maire et conseiller gé-néral de Dzaoudzi-Labattoir se remémore les quatre «conclaves» auxquels il a participé depuis son élec-

tion en tant que conseiller général en mars 2001. A l’époque, les téléphones portables n’existaient pas. C’est Mansour Kamardine, chef de file du Rassemble-ment pour la République (RPR), qui soutenait le pré-sident Bamana contre le Mouvement départemen-

Saïd Omar Oili se présente en 2001 pour la première fois aux élec-tions cantonales à Dzaoudzi-Labattoir. N’appartenant à aucun parti, il choisit de partir sans étiquette. Ce statut peu enviable au prime abord lui assurera pourtant d’être d’abord le 3e vice-président de Younoussa Bamana, avant de lui succéder en 2004.

Faïd Souhaïli

Saïd Omar Oili (à gauche) en pleine discussion avec son directeur de cabinet Issihaka Abdillah et son 1er vice-président Bacar Ali Boto.

CONCLAVE 1/3

SPÉCIAL POLITIQUE

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Le triomphe du sans étiquette Oili

taliste mahorais (MDM), qui est venu contacter Saïd Omar Oili chez lui à Labat-toir. «On est parti chez Ba-mana et à onze, nous avons tous juré sur le Coran que personne ne trahirait» se souvient-il.

Comme prévu dans les négociations, Bamana est élu président du conseil gé-néral pour la dernière fois. Mansour Kamardine de-vient son 1er vice-président, Saïd Omar Oili est le 3ème vice-président. L’annulation de l’élection de Saïd Omar Oili quelques mois plus tard fragilise la donne, d’autant plus que Bacar Ali Boto, conseiller de Mamoudzou 1 rejoint l’opposition. Mais il est réé-lu avec 500 voix d’écart et peut continuer son mandat.

A l’époque, Younoussa Bamana est en fin de car-rière politique. L’homme qui incarne le combat du main-tien de Mayotte au sein de la République française n’est plus aussi présent au conseil général. Mansour Kamardine est député de-puis 2002 et il consacre la majorité de son temps à son mandat national. Le 2ème vice-président Kassim Madi, conseiller général de Bandrélé ne s’implique pas comme sa fonction l’exige-rait. De fait, le département est entre les mains de Saïd Omar Oili, 3ème vice-pré-sident et élu sans étiquette et Maoulida Soula, 4ème vice-président issu du RPR.

Saïd Omar Oili convoité de toutes parts en 2004

Cela a son importance puisqu’en 2004, lorsque la moitié des élus doit repas-ser aux urnes, Saïd Omar Oili et Maoulida Soula ont encore trois ans de mandat à effectuer. Au vu de leur expérience, ils font partie des favoris pour prendre la succession de Younoussa Bamana qui décide de se retirer de la vie politique.

Mais le poste de pré-sident du conseil général est très convoité. A l’issue

des élections de 2004, l’assemblée est divisée en deux groupes égaux nu-mériquement : Il y a neuf élus du RPR et neuf élus du MDM. Le seul qui n’appar-tient politiquement à aucun groupe est Saïd Omar Oili.

Comme en 2001, Saïd Omar Oili se retrouve au centre du jeu politique, bien qu’il soit isolé. Pouvant faire pencher la balance d’un côté ou de l’autre, il est courtisé tel une prin-cesse des contes des Mille et une nuits. Secrétaire départemental de l’Union pour un mouvement popu-laire (UMP, ex-RPR) et tout nouvellement élu conseiller général de Kani-Kéli, Aha-med Attoumani Douchina se rend à Labattoir pour négocier avec Saïd Omar Oili. «Il négociait aussi avec le MDM et au dernier mo-

ment, le mieux offrant l’a emporté. Ils lui ont proposé la présidence» résume celui qui deviendra président du conseil général en 2008.

Si Ahamed Attouma-ni Douchina n’est pas très disert sur le déroulement de ces négociations, celui que l’on connaît désormais sous le sobriquet de S2O est beaucoup plus pro-lixe. Ayant battu le MDM à Labattoir, il était naturel pour lui de s’allier à l’UMP, d’autant plus que l’entente avec Mansour Kamardine

(qui était par ail-leurs un ancien de camarade de collège) et

Maoulida Soula était plutôt bonne. Il invite Mansour Kamardine et Ahamed At-toumani Douchina chez lui, mais seul ce dernier fait le déplacement. Par la suite, les négociations doivent se poursuivre à Mamoudzou au siège de l’UMP à Mamoudzou, à côté de la permanence de Mansour Kamardine. «Tous les membres de l’état-ma-jor étaient présents : le président Hamissi, Douchi-na, le conseiller général de Tsingoni Ahmed Abdou dit «Fer 6» et Michel Taillefer, qui était le 1er vice-président du Medef» relève S2O.

Le patrimoine financier des candidats scrutés à la loupe par les faiseurs de rois

Curieusement, son ami Mansour Kamardine n’as-

« Il nous manque un président »

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siste pas aux négociations. «Je n’ai pas compris. Avec ma délégation venue de Labattoir, on ne s’atten-dait pas à ça. D’autant que nous avons été traités avec mépris, comme des gamins, comme si on était des moins que rien. On a demandé à avoir la prési-dence car j’avais de fait as-suré la bonne marche de la collectivité avec Maoulida Soula. On s’attendait à ce que l’on nous propose la 1ère vice-pré-sidence. Mais Taillefer a dit : «  Vous aurez le poste de 3ème vice-pré-sident. Et encore. Et Paris nous r e g a r d e . » Nous avons répliqué qu’à 2 km de là à Labattoir, la p o p u l a t i o n nous regar-dait. Mais il a dit : « c’est à prendre où à laisser » »

S20 sait que le dialogue est impossible, mais se donne la nuit pour appor-ter une réponse définitive. D’autres personnes, sont au courant qu’il construit une maison. Elles savent exac-tement combien il a em-prunté et proposent même de payer les échéances restantes à sa place. «Un intermédiaire qui travaillait à la CCI m’a même proposé 300 000 € pour que je sois

dans le groupe de l’UMP» révèle-t-il.

Au même moment, des partisans de la Force pour le rassemblement et l’al-liance pour la démocratie (FRAP) sont devant la per-manence de l’UMP. Quand ils voient sortir S2O et son groupe, ils lui font savoir par la voix d’Ahmed Rama que le bureau du groupe MDM est constitué. «Il nous manque un président»

glisse-t-il au conseiller de Dzaoudzi-Labattoir. Cela ne tombe pas dans l’oreille d’un sourd. Alors que l’élu a encore des états d’âmes et ne comprend pas pourquoi Maoulida Soula et Ahamed Attoumani Douchina ne sont pas intervenus en sa faveur, ses proches n’hé-sitent pas une seconde : « On ne retourne plus avec l’UMP. »

La délégation décide de rentrer à Labattoir. A l’arri-vée de la barge à Dzaoudzi,

la population de Labattoir attend son élu. Radio Coco-tier a déjà diffusé la teneur des propositions faites à S2O. «  « Tu prends la pré-sidence et si tu vas avec l’UMP, on te bannit ! » m’ont fait savoir mes électeurs. J’avais la tête qui tournait » se souvient Saïd Omar Oili. La nuit de lundi à mardi est longue. S2O n’arrive pas à fermer les yeux et il cherche à comprendre pourquoi les

cadres de l’UMP l’ont lâ-ché.

La foule se transforme en garde du corps.

Le lende-main, celui-ci veut mar-cher pour re-prendre ses esprits, mais il est tout de suite entouré par des habi-tants de La-

battoir. «Ils se proposaient pour me servir en tant que garde du corps, ils avaient peur qu’il m’arrive un mal-heur et ils m’avaient même mis un kemba (turban) sur la tête. »

Toutefois, à deux jours de l’élection du président, il n’y a pas d’échappatoire. La réalité reprend son cours et l’élu de Labattoir voit Ahamed Attoumani Douchina et le directeur de Colas débarquer chez lui. Le conseiller de Kani-Kéli

Le triomphe du sans étiquette Oili

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SPÉCIAL POLITIQUE

Saïd Omar Oili a été le président de la collectivité départementale de Mayotte. Il a été le premier président du conseil général à disposer de pouvoir décentralisés.

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lui dit qu’après une longue nuit de réflexion, l’UMP lui propose un poste de 1er vice-président. « Les Labat-toiriens veulent que je sois président  » répond S2O. Une proposition qui est inacceptable pour l’UMP. Avec neuf élus, pourquoi la présidence reviendrait à un élu sans étiquette ?

L’après-midi, le MDM at-tend Saïd Omar Oili au Ca-ribou à Mamoudzou. La traversée dans la barge se fait avec une escorte de Labattoiriens, qui là encore se pro-posent de le proté-ger. Une fois arrivé à Mamoudzou, l’élu de Labattoir rejoint les discussions. Celles-ci s’éternisent. Rien n’abou-tit car en plus de la pré-sidence, de nombreux postes sont à distribuer.

Le lendemain, les pourparlers reprennent à la mairie de Mamoudzou. Un accord entre les diffé-rentes parties intervient en fin d’après-midi. Saïd Omar Oili pense en avoir fini et ne souhaite qu’une chose : rentrer chez lui pour retrou-ver sa famille. Cela se fera mais sous une bonne es-corte.

Mercredi, nous sommes à la veille de l’élection. Les jeux semblent faits. Saïd Omar Oili est assuré de devenir le successeur de Younoussa Bamana. Mais pour être sûr qu’un ren-versement de situation ne

s’opère pas à la dernière mi-nute, il lui est demandé de rejoindre les autres élus de la future majorité MDM à la mairie de Mamoudzou. Une fois sur place, il tombe des nues. «Tu ne traverseras pas ce soir. Tu restes avec nous. Tu appelles ta femme pour qu’elle prépare ta va-lise et on ira la chercher» lui disent les cadres du MDM. Malgré tout, il peut rentrer

chercher ses affaires et re-traverser à Mamoudzou.

Allah et le Coran comme témoins des alliances entre élus.

Revenu à la mairie du chef-lieu avec des «gardes du corps», les grands orga-nisateurs de ce conclave doutent encore du pacte scellé. On appelle donc à la rescousse des fundis re-ligieux. «On nous a donné du sel et on nous a fait jurer un par un sur le Coran que l’on voterait bien en ma fa-veur pour la présidence du conseil général. Dans le cas contraire, nous encourions la sanction d’Allah. Une fois que cela a été fait, l’infor-mation est partie à l’exté-rieur selon laquelle «Wa lava yamin». C’était destiné

à nos adversaires» confie Saïd Omar Oili.

En effet, dans l’imagi-naire culturel mahorais, jurer sur le Coran est plus fort que tout le reste. Et les adversaires en ayant cette information savaient que plus rien, pas même des propositions de centaines de milliers d’euros ne pou-vait bouleverser le cours des choses.

Toutefois, dans ces situations, les grands manitous ne veulent prendre au-cun risque qui vien-drait contrecarrer leurs plans. Alors, ils organisent «l’enlè-vement» (c’est ainsi que le ressentent

certains élus) des nouveaux conseillers. Les téléphones portables sont confisqués et aucun élu ne doit dire à sa famille où il se trouve. De toute manière, eux-mêmes ne savent même pas de quoi seront faites les prochaines heures. Le MDM décide de transporter les dix élus de la majorité à Bouéni. «Nous n’avons pas pris les mêmes véhicules et surtout, nous n’avons pas dormi au même endroit, pour éviter peut-être des enlèvements, que l’on nous jette un sort ou pire encore. Moi, je n’ai pas dormi de la nuit. Il y avait une dizaine de personnes qui m’entou-raient, c’était impossible de fermer l’œil» se souvient l’actuel maire de Labattoir.

Le lendemain matin, jour

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Le triomphe du sans étiquette Oili

« Je n’ai pas dormi de la nuit. Il y avait une dizaine

de personnes qui m’entou-raient, c’était impossible de

fermer l’œil »

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de l’élection du président du conseil général, les dix élus sont réunis par un fun-di pour un shidjabu (prière invocatrice). Cela permet de s’attirer les faveurs di-vines et de mettre psycho-logiquement les élus dans de bonnes dispositions.

«  Le muzungu cartésien croit que l’argent fait tout, mais chez nous, le plus important, c’est la sanc-tion divine. »

L’élection a lieu à 9 h à Mamoudzou. Pour se rendre à Mamoudzou, les élus sont transportés en bus. Tous sauf Saïd Omar Oili. Lui est dans un autre véhicule, toujours par peur

d’un complot. Arrivés à Ma-moudzou, les élus prennent leur petit déjeuner au res-taurant l’Auberge du rond-point, non loin du conseil général. Avant le vote, ils sont encore invités par un fundi à prendre du sel et à jurer sur le Coran qu’ils res-teront solidaires. Avec deux pactes scellés avec Allah pour témoin, la situation de-vient plus verrouillée qu’un coffre-fort d’une banque suisse. Nul n’oserait encou-rir la sanction divine en de-venant auteur d’un parjure.

A l’heure annoncée par les fundis, les élus se rendent à pied vers le conseil général. «Cela ne s’est pas fait n’importe com-

ment. Chacun d’entre nous avait un ordre à respecter. Et on nous demandé de sortir à une heure précise. Pendant le cortège qui re-monte la rue de l’hôpital, ma femme a tenté de s’ap-procher de moi. Mais les fundis ont exigé à ce qu’elle soit écartée» explique S2O en éclatant de rire.

En entrant dans un hé-micycle plein à craquer, les élus malgré le pacte, sont plongés dans l’incerti-tude. Et si l’un d’entre eux trahit les autres ? Certains y croient notamment Mar-cel-Jean Prado, alors di-recteur de la BFC Mayotte, assis juste derrière lui en compagnie de Serge Cas-

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SPÉCIAL POLITIQUE

Le triomphe du sans étiquette Oili

Le conclave : une élection ritualisée

Si pour l’élection du président du conseil général nous avons utilisé l’expression du conclave, c’est parce qu’elle a certains points communs avec l’élection du pape de

l’église catholique romaine telle qu’elle se déroule depuis un millénaire.

Tout d’abord, les négociations se déroulent dans un lieu clos et si possible secret. A Rome, les cardinaux sont regroupés dans la Chapelle Sixtine et les portes sont fermées à clé (cum clave en latin). Les cardinaux sont tenus au secret et promettent devant Dieu de ne pas révéler ce qu’il s’y passe.

Les conseillers généraux ne sont pas tenus au secret, mais en revanche, la dimension divine est bien présente. Il y a bien entendu les fatiha ou shidjabu (prières ou invoca-tions) faites avant ou après les discussions, mais il y a surtout des serments faits entre élus pour sceller leur alliance. Des serments que font également les cardinaux au Vati-can en promettant notamment de s’acquitter du mieux possible de la tâche de pape s’ils sont élus.

Enfin, l’autre point commun avec le conclave est le fait d’être coupé du monde exté-rieur. Les élus voient leurs téléphones confisqués. Au Vatican, les cardinaux n’ont droit à aucune correspondance épistolaire, téléphonique ou technologique avec l’extérieur rappelle Le Figaro dans un article daté du 11 mars 2013. Toute infraction est synonyme d’excommunication.

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Dans la majorité présidée par S2O, figurait notamment Chihaboudine Ben Youssouf (2e en partant de la droite), candidat cette année dans le canton de Mamoudzou 2.

Le triomphe du sans étiquette Oili

tel, et de Michel Taillefer, alors respectivement pré-sident et 1er vice-président du Medef. Saïd Omar Oili garde en mémoire l’invec-tive que le banquier lui a lancé en public. «S2O, tu es très bien à ta place» m’a-t-il

lancé. Je lui ai répondu que je serai sur le siège du pré-sident. Ce qu’il avait oublié, ce que nous sommes avant tout des animistes et des musulmans. Le muzungu cartésien croit que l’argent fait tout, mais chez nous,

le plus important, c’est la sanction divine.»

Finalement, Saïd Omar Oili deviendra le troisième président du conseil géné-ral, élu à 10 voix contre 9 aux dépends de Maoulida Soula.

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SPÉCIAL POLITIQUE

ÉLECTIONS DÉPARTEMENTALES

Le temps est si bref dans la peau d’un chefSi Younoussa Bamana a pu régner pendant 27 ans sur la collecti-vité de Mayotte, il était évident que ses successeurs auraient bien du mal à battre ce record. En 2006, Saïd Omar Oili est aux affaires, mais déjà les tractations commencent pour son éventuelle succes-sion prévue au départ en 2007, mais reportée en 2008 pour cause de calendrier électoral chargé avec la présidentielle et les législa-tives. Et comme le chante le groupe franco-congolais Bisso na Bisso, le temps est si bref dans la peau d’un chef.

Faïd Souhaïli

Ahamed Attoumani Douchina qui était novice en 2004, se sent pousser des ailes à partir de 2006. Sa position au sein de l’UMP son parti d’alors est toute-fois fragilisée. Il n’est plus secrétaire départemental du parti et s’oppose de plus en plus ouvertement à son successeur Ali Souf et à Mansour Kamardine, le lea-der du parti qui cumule les mandats de conseiller gé-néral de Sada et de député de Mayotte. «En théorie, ce sont les partis qui décident en leur sein qui doit être candidat. Et généralement, c’est le parti majoritaire qui prend l’initiative de contac-ter les autres élus pour fé-dérer une majorité autour de son présidentiable. Mais cela reste soumis à beau-coup d’aléas» explique le conseiller général.

Ahamed Attoumani Douchina prend l’initiative de contacter ses collègues qui ne devront pas passer les urnes en 2008. Parmi eux figurent aussi bien des membres de la majorité de S2O et ceux qui figurent avec lui dans l’opposition. « L’objectif était de tout faire pour ne pas se retrouver

dans l’opposition. On avait un noyau dur dans lequel figuraient Mustoihi Mari, M’hamadi Abdou, Hadadi Andjilani, Ahamadi Madi Chanfi, Fadul Ahmed Fa-dul ou encore Ali Halifa. On avait dépassé nos clivages politiques pour continuer la moitié de notre mandat et faire valoir notre expé-

Ahamed Attoumani Douchina (premier plan au centre) a travaillé durant sa présidence avec le mi-nistre de l’Outre-mer Yves Jégo (premier plan à gauche) pour faire aboutir la départementalisation de Mayotte.

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Le temps est si bref dans la peau d’un chef

rience. Pour nous, il était facile de recruter parmi les nouveaux élus pour com-pléter la majorité  » révèle-t-il.

La démarche du conseil-ler général de Kani-Kéli a d’autant plus été facili-tée que Maoulida Soula et Mansour Kamardine ont été battus à Dembeni et Sada par Sarah Mouhoussoune et Ibrahim Aboubacar.

2008, le triomphe de la majorité macédoine

Ahamed Attoumani Douchina devient le grand favori pour succéder à Saïd Omar Oili. Celui-ci n’a pas la confiance de Zoubert Adinani, l’une des figures politiques historiques de Mayotte. Membre du MDM, Zoubert Adinani qui a été l’un des quatre députés de Mayotte a avoir voté contre l’indépendance au sein de

l’assemblée territoriale des Comores, veut absolument que le gouvernement pose la question du statut de dé-partement aux Mahorais. Et pour lui, Saïd Omar Oili est indépendantiste. S’il reste au pouvoir, jamais la ques-tion ne sera posée.

Alors son dévolu se jette sur le conseiller de Kani-Kéli. Cela tombe bien puisque ce dernier a l’am-bition de succéder à Saïd Omar Oili. De plus, il a déjà fédéré la majorité des élus non renouvelables en 2008. Alors, Zoubert Adi-nani convoque chez lui ceux qui ont pactisé avec Douchina. Il écoute les uns et les autres. Il dissuade tous ceux qui veulent la présidence et affirme sa préférence pour le conseil-ler de Kani-Kéli.

Zaïdou Tavanday fait partie de ces élus qui ont

assisté aux discussions à Tsingoni. Nouvellement élu dans le canton de Ma-moudzou 2, celui-ci fait son apprentissage dans un contexte où la départe-mentalisation doit être ob-tenue, conformément à la promesse faite par Nicolas Sarkozy le 14 mars 2007, quelques mois avant son accession à la présidence de la République.

«Zoubert voulait le consensus pour la dépar-tementalisation. C’est ce qu’on appellera la majo-rité macédoine, avec des hommes venus de tous les partis. C’était son élément de langage, même de fa-çade. Et le fait que Douchi-na avait réussi à former un groupe qui transcendait les partis était un plus. Dans cette optique, il était favo-rable à ce que l’UMP pré-side le conseil général car

Ahamada Madi Chanfi, M’hamadi Abdou et Hadadi Andjilani ont été les proches collaborateurs d’Ahamed Attoumani Douchina. Dès 2006, ils avaient imaginé ce que tout le monde appelera par la suite la majorité «macédoine».

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non seulement, c’était le parti qui avait le plus d’élus, mais aussi parce que c’est l’UMP qui était à l’Elysée» se souvient le conseiller ori-ginaire de M’tsapéré.

La manœuvre de Douchina, confortée par le soutien de Zoubert Adi-nani, est une réussite. Non seulement, le conseiller de Kani-Kéli arrive à constituer une majorité, mais en plus de cela, les socialistes Ibra-him Aboubacar et Issoufi Hamada se joignent à eux.

Pas de logique d’équipeMais pour le jeune

élu UMP, la tournure des choses ressemble à une mascarade. Le scénario qui se déroule sous ses yeux n’est pas du tout ce-lui qui avait été décidé par

l’état-major de l’UMP ou celui du MDM. « Le principe avait été peut-être accepté,

mais pas l’opérationnel. Je voulais être vice-président, mais Hadadi Andjilani a dit devant tout le monde : « si tu gagnes, je serai candidat à l’hémicycle  ». Un vote a eu lieu parmi les conseillers UMP et il l’a emporté. J’ai compris que nous n’étions plus dans une démocratie de parti. »

Au second jour des né-gociations, les ambitions personnelles se montrent au grand jour. En effet, quand on est élu au conseil général, on peut siéger dans de nombreux conseils d’administration ou ins-

tances d’organismes divers et variés. Sans compter les présidences de com-

missions. «  Quand on par-tage Mayotte, ça fait par-tie des billes à distribuer. Chacun y trouve son inté-rêt. Par exemple, celui qui siège à EDM (Electricité de Mayotte) ne paie pas de facture d’électricité. Celui qui veut voyager demande le CDTM (comité départe-mental du tourisme). Et on m’avait dit «  si tu vas à la SIM, tu ne foutras rien et tu n’auras rien  ». J’ai été traumatisé par tout ça, car il n’y avait pas de logique d’équipe  » se souvient vi-siblement amer Zaïdou Ta-vanday.

« L’élu qui siège à EDM ne paie pas de factures d’électricité »

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SPÉCIAL POLITIQUE

Le temps est si bref dans la peau d’un chef

Ahamed Attoumani Douchina a été élu en 2004 sous les couleurs de l’UMP. Cette année, c’est sous la ban-nière de l’UDI qu’il brigue un troisième mandat.

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Il n’y a pas qu’au conseil général où la présidence est très convoitée. C’est le cas aussi des syndicats intercommu-naux et notamment au Syndicat inter-communal d’eau et d’assainissement de Mayotte (SIEAM).

Après les élections municipales, les maires de Mayotte et leurs partis se sont réunis pour se partager les différents syn-dicats et organismes dans lesquels les communes sont représentées. Les plus convoités sont le SIEAM, le Syndicat inter-communal d’élimination et de valorisation des déchets de Mayotte (Sidevam 976) et le Syndicat mixte d’investissement et d’aménage-ment de Mayotte (SMIAM). Si ce dernier est voué à disparaître, nom-breux sont les can-didats au siège de délégué.

Ainsi, un dé-légué du SIEAM nous a confié qu’il était prévu au dé-part que la prési-dence de ce syndicat soit donnée à l’UMP. Le candidat officiel était Ahamada Ousseni dit Piscou, ancien maire de Mtsangamouji et assistant parlementaire de sénateur Ab-dourahamane Soilihi dit Ladjo.Mais, un autre candidat s’est dressé sur son chemin

Il s’agit du délégué de la commune de Bouéni, Mouhamadi Moussa dit Bavi. Pré-sident des Jeunes UMP 976, il est entré en conflit avec la direction de l’UMP. Sen-tant le hold-up possible, Hanima Ibrahima, maire de Chirongui a tout fait pour le faire élire après les élections municipales de l’an dernier. Elle a convaincu de nombreux délégués du bienfondé de la présidence éventuelle de Bavi. Et comme pour les élections du président du conseil général, de nombreuses réunions se sont tenues

en conclave, dans un lieu fermé et secret. Pour l’élection de Bavi, il était prévu no-tamment qu’une fois la majorité scellée, les délégués passent la nuit à l’hôtel Sakouli la veille de l’élection. Mais à 22 h, quand leur bus approche de sa destination, des éclai-reurs lui font signe de ne pas s’arrêter. «En fait, les délégués devant voter pour Piscou y étaient déjà. Il a fallu que l’on règle l’ad-dition et qu’on trouve un autre hôtel» nous indique-t-il.

Lors des négociations, des espions sont chargés de suivre les délégués ou leurs homologues du camp adverse. Et tous les moyens sont bons pour induire en erreur l’adversaire. «Nous avions repéré des per-

sonnes qui vou-laient approcher nos délégués. Alors discrète-ment, on a fait par-tir notre délégué dans une voiture. Il nous a suivi, mais à un carrefour, un des nôtres a glis-sé sa voiture sur la route et a simulé un calage. En fait, nous les avons bloqués, pour que

notre délégué puisse s’échapper.»Le jour de l’élection, le camp Piscou sait

que les délégués de Sada, Ali Madi dit Djol et Madi Saïd Maoulida dit Pao vont faire basculer l’élection du côté de Bavi. Les pa-rents des deux délégués se sont déplacés pour assister au vote, mais surtout pour tenter de ramener leurs enfants sur le droit chemin. Ils ont donc été postés stratégi-quement à l’entrée du SIEAM.

Toutefois, Bavi et les siens avaient pré-vu le coup. Arrivés une heure avant le début du conseil syndical, les deux élus sadois rentrent directement par la porte de derrière dans la grande salle de réu-nion. Ainsi, ils n’ont pas eu à se confronter à leurs parents. Si tel avait été le cas, ils auraient sûrement tergiverser et peut-être renié leur parole.

Un scénario à la James Bond

Mouhamadi Moussa «Bavi», président du Sieam

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SPÉCIAL POLITIQUE

ÉLECTIONS DÉPARTEMENTALES

Z comme ZaïdaniAlors que tout le monde a hâte de savoir qui sera le premier pré-sident du département de Mayotte, personne ne mise sur Daniel Zaïdani, benjamin des élus du conseil général. Et pourtant, tel Zorro qui surgit de la nuit, c’est bien lui qui dirigera la majorité de l’exécutif départemental pendant quatre ans.

Faïd Souhaïli

Après trois ans d’exer-cice au sein de l’hémicycle Bamana, Zaïdou Tavanday se retrouve dans la position de l’élu sûr de siéger dans l’hémicycle après le renou-vellement de la moitié des cantons. Il se sent désor-mais prêt pour présider aux destinées du département de Mayotte. Mais il n’est

pas le seul à prétendre cet honneur. Ahamed Attou-mani Douchina est réélu à Kani-Kéli et compte pro-longer son bail à la prési-dence. Ibrahim Aboubacar y pense également et pas seulement quand il se rase. Saïd Ahamadi «Raos», élu à Koungou, le crie sur les toits.

Sarah Mouhoussoune,

qui a battu Maoulida Soula à Dembeni ne fait pas par-tie des prétendants. «Je ne me sentais pas prête pour cela. La présidence, c’est lourd à gérer. Et quand il y a un choix à faire, il faut voir les compétences, pas le caractère de la personne» indique la conseillère de Dembeni. Comme Saïd Omar Oili se projette sur

Sarah Mouhoussoune considère avoir été infantilisée lors des négociations du troisième tour en 2011.

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Z comme Zaïdani

les législatives de l’année suivante, il passe son tour. Dès lors à gauche, Ibrahim Aboubacar fait savoir qu’il est l’homme de la situation.

Des élus UMP remontés contre Douchina

Au lendemain du second tour, un groupe de huit élus se réunit à Tsingoni chez Hanima Ibrahima, la maire de Chirongui. « Il nous res-tait deux élus à convaincre. Mais nous avons déjà commencé à négocier les postes. Saïd Omar Oili ne voulait pas rentrer dans le bureau et s’est propo-sé pour la présidence du groupe de la majorité  » explique Sarah Mouhous-soune. Les discussions s’al-longent jusque tard dans l’après-midi. La conseillère de Dembeni doit rentrer

chez elle d’autant que sa fille prépare le bac pour la fin de l’année. Mais Hani-ma Ibrahima, qui mène les négociations insiste pour que les élus restent jusqu’à avoir une majorité.

Devant la difficulté de réunir dix élus, certains prient Saïd Omar Oili de se porter candidat. En effet, ceux-ci affirment qu’avec S2O comme président, une majorité de quatorze élus serait possible. Sarah Mou-houssoune finit par s’en al-ler et laisser ses collègues.

A droite, l’UMP tente

aussi de s ’ e m p a r e r de la majo-rité. Avec six élus au total, le par-ti est le plus représenté au sein de l’hémicycle Bamana. Et cette fois-ci, il n’est plus souhaitable aux yeux des cadres du par-ti de constituer une majori-té «  macédoine  », compo-sée d’un spectre très large de l’échiquier politique de l’île. « Tout le monde voulait autre chose, on avait souf-fert de cette situation » ré-vèle Zaïdou Tavanday.

Avec Ali Bacar, Ca-mille Abdullahi et Ben Issa Ousseni, il constitue la nou-

velle géné-ration de l’UMP. Et les jeunes

UMP en veulent à Ahamed Attoumani Douchina. Accu-sé d’avoir joué sa partition personnelle et de ne pas avoir agi pour le parti durant sa présidence, il cristallise leur rancœur. Le lendemain de l’élection, l’UMP pense pouvoir convaincre quatre élus du MDM de rejoindre leur camp. Zaïdou Tavan-day sait qu’il peut compter sur un renvoi d’ascenseur de la part d’Issihaka Abdil-lah qu’il a fait élire en 2008, président du Syndicat mixte d’investissement et d’amé-nagement de Mayotte

(SMIAM). Pour l’électron libre Jacques Martial Henry, la tâche s’avère plus aléa-toire.

Une surprise venue de Pa-mandzi

Mardi, le secrétaire général du MDM Ali Mo-hamed répond à l’invita-tion de l’UMP au SMIAM. Contrairement à ce que pensait Zaïdou Tavanday, Ali Mohamed ne vient pas avec quatre, mais un seul élu : Daniel Zaïdani. En effet pour Rastami Abdou, Saïd Salimé et Soiderdine Ma-di-Tchama, il est difficile de s’afficher avec des élus de l’UMP car ils ont été élus en faisant campagne contre des candidats investis par le parti de Nicolas Sarkozy.

Les discussions dé-butent et rapidement sept élus penchent pour la solu-tion Zaïdou Tavanday. Mais Ahamed Attoumani Douchi-na défend son bilan de président sortant. De plus, il avait discuté personnel-lement avec Adrien Giraud, le président du MDM pour

« Le MDM a vu que nous n’étions pas unis et a décelé une faille »

Zaïdou Tavanday était candidat à la présidence du conseil général en 2011, mais les ambitions d’Aha-med Attoumani Douchina et de Daniel Zaïdani ont brisé son rêve.

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SPÉCIAL POLITIQUE

Z comme Zaïdani

sceller un accord. Mais le mal était fait puisqu’aupara-vant, Zaïdou Tavanday était parti réunir ses partisans à Bambo-Est et Ahamed At-toumani Douchina était à Mamoudzou.

« Le MDM a vu que nous n’étions pas unis et a déce-lé une faille » reconnaissent aujourd’hui les deux conseillers. Zaïdou Tavan-

day cède donc et s’incline devant son aîné pour avoir une majorité de droite.

Pourtant en sortant de cette réunion à deux jours de l’élection du président, l’UMP est confiante et se dit qu’elle a une majorité. Mais de l’autre côté, Hani-ma Ibrahima, Soihibou Ha-mada, maire de Dembeni et Ibrahim Bacar, ancien conseiller général MPM de Bouéni tiennent à faire basculer le département à gauche.

Les négociations le mar-di se déroulent encore à Tsingoni chez la maire de Chirongui. Les élus MDM convoités par l’UMP sont là, sauf Daniel Zaïdani. Ibra-him Aboubacar se démène pour rallier d’autres élus. A 20 h 30, il arrive avec Daniel Zaïdani et Ali Mohamed. « Là, il nous annonce que la donne a changé. Alors que

nous avions décidé qu’il serait le président et moi la 1ère vice-présidente, il nous dit que le président serait Daniel Zaïdani, qu’il serait le 1er vice-président et moi la 2ème vice-présidente. Je me suis dit comment peut-il nous imposer les choses comme ça ?  » raconte en-core stupéfaite Sarah Mou-houssoune.

Des discussions qui s’éter-nisent

Sonnée par ce retour-

nement de situation, Sarah Mouhoussoune s’énerve encore un peu plus quand on lui annonce qu’elle de-vra passer la nuit à Tsingo-ni. La colère gronde dans les rangs et Soiderdine Madi-Tchama fait valoir son droit d’aînesse. Il ne com-prend pas que les rênes du département soient confiés à l’élu le plus jeune de leur groupe.

«  On avait compris que la présidence devait revenir au MDM. Alors, on s’est mis dans une pièce à côté et on leur a dit de s’expliquer entre eux. On entendait ce qui se disait, c’était très chaud, il y a eu des mots très durs  » racontent Sa-rah Mouhoussoune et Saïd Omar Oili.

Le conciliabule des élus du MDM s’éternise. A une heure du matin, les autres élus s’en vont et de-mandent à ce que la déci-sion leur soit notifiée par SMS. Celui-ci sera envoyé deux heures plus tard. La décision est arrêtée : Daniel Zaïdani sera le président du conseil général.

Le lendemain, nous sommes le mercredi 30 mars et à la veille de l’élec-tion, les faiseurs de rois prennent leurs précautions pour que leurs manœuvres n’échouent pas. Avec une majorité constituée, le groupe de Daniel Zaïda-ni doit se rejoindre dans un lieu secret. C’est Hani-ma Ibrahima qui se charge de conduire Sarah Mou-

Zoubert Adinani et Younoussa Ben Ali, qui ont été députés de Mayotte au sein de l’assemblée territoriale des Comores, ont assisté à l’élection de Daniel Zaïdani le 3 avril 2011. Zoubert Adinani avait été le principal artisan de l’élection du président Douchina en 2008.

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CONCLAVE 3/3

Z comme Zaïdani

houssoune. «  Elle m’a dit de prendre une valise, de préparer mes affaires pour le lendemain et m’a pré-venu que les discussions seraient très longues. J’ai alors demandé si mon mari pouvait m’accompagner car il était hors de question de passer une nuit seule dans un lieu sans qu’il sache où je suis. Ma demande a été acceptée. »

Toutefois, Sarah Mou-houssoune est plus que surprise quand elle arrive à destination. A son grand

étonnement, le ras-semblement a lieu au Maji Parc à Iloni, à quelques minutes de sa résidence de Hajangoua. Elle de-mande alors si elle ne peut pas repartir chez elle à l’issue des dis-cussions. La réponse est catégorique. «Il peut y avoir des coups bas, les gens sont méchants, un accident est si vite arrivé» lui dit-on. « Pourquoi nous mettre la pression ? Et en plus, on nous confisque les télé-

phones après, comme si nous étions des enfants. J’ai donné le mien, mais mon mari avait le sien au cas où, car je tenais à ce que mes enfants me joignent en cas de problème. Nous avons accepté d’être élus, alors pourquoi tout ça ?  » s’in-

Mansour Kamardine désigné candidat du RPR par… trois bouts de papiers !

« Pourquoi nous mettre la pression ? Et en plus, on nous

confisque les téléphones après, comme si nous étions

des enfants. »

Désigner un candidat pour une élection peut être très compliqué. Pour se sortir des situations de blocage, le RPR à Sada a eu une solution très étrange pour les es-prits cartésiens : il s’en ait remis à Allah.Dans la biographie de Mansour Kamar-dine , Thierry Watelet relate la désignation du futur maire de Sada comme tête de liste du RPR en 1983. Voici un extrait de l’ouvrage relatant cet épisode qui s’avère-ra décisif pour la carrière politique de ce-

lui qui deviendra député UMP de Mayotte.

Des trois candidats, il faut n’en choi-sir qu’un. Dans la tradition mahoraise, il n’existe pas de primaires. Les notables s’en remettent au divin, se tournent vers Allah et prient. De cette petite école de Sada, cet après-midi-là, montent des suppliques. L’assemblée des notables demande à Dieu et à son prophète Mahomet de l’éclairer.

«  Montre-nous le bon choix  »… Quand le recueillement prend fin, il est décidé d’une «règle de trois». Le nom de chacun des trois candidats est inscrit sur trois pe-tits papiers différents. Un secrétaire de séance griffonne les patronymes et mé-

lange les neuf petits papiers dans un kof-fia. Une main pure doit tirer au sort : sera choisi celui dont le nom, le premier, sera cité trois fois. Dans la pièce voisine joue un gamin de trois ans. Les religieux le ré-quisitionnent. Il sera la voix d’Allah. La so-lennité du moment impose le silence. A la demande du maître de séance, le garçon-net déplie un premier papier : « Mansour Kamardine ».

L’enfant lève les yeux et attend l’ordre suivant, plonge la main dans le chapeau et tend un deuxième feuillet : «  Mansour Kamardine  ». Cette redondance si claire serait-t-elle l’expression d’une volonté lim-pide du très Haut ?» Une nouvelle fois, la menotte disparaît au fond de la coiffure, saisit un papier : « Mansour Kamardine ». Le bégayement du sort traduit une inten-tion divine éloignée de toute hésitation. Car pour l’assemblée, il n’est point ques-tion de chance, de hasard, ou de combinai-sons statistiques. Allah vient d’articuler dis-tinctement. Aux hommes d’exécuter son souhait et de mener l’entreprise à bien.

Thierry Watelet, Hussard Noir de la République, Editions Orphie, collection «Autour du monde», 2007

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CONCLAVE 3/3

SPÉCIAL POLITIQUE

Z comme Zaïdani

terroge-t-elle en précisant qu’elle n’accepterait plus de revivre un tel rituel si elle se présente à nouveau (ce qui n’est pas le cas pour cette année).

Zaïdani tourne le dos à l’UMP

Pour Zaïdou Tavanday, cette confiscation des té-léphones est un mal né-cessaire. Et le phénomène risque de se reproduire

dans quelques jours. En 2011, lorsque Daniel Zaïda-ni était en discussion avec les élus de l’UMP, il avait aussi refusé de se faire confisquer son appareil et de dormir dans un même lieu avec d’autres élus. Mais à la veille de l’élection, alors qu’il devait rejoindre ses compères à la mairie de Mamoudzou, ceux-ci ne le voient pas se présenter. « Alors que nous avions vu

dans la matinée tout son staff, je suis chez moi et on me dit qu’il est passé de l’autre côté. Et bien évidem-ment, il était injoignable  » se souvient Zaïdou Tavan-day.

Il faut dire qu’Ibrahim Aboubacar s’est montré plus persuasif. En laissant la présidence à Daniel Zaï-dani, sa proposition était supérieure à celle de l’UMP, à savoir la 1ère vice-prési-

Daniel Zaïdani et les neuf autres élus qui composaient sa majorité lors de son élection le 3 avril 2011. De gauche à droite : Saïd Salimé, Soiderdine Madi-Tchama, Issoufi Hamada, Rastami Abdou, Daniel Zaïdani, Saïd Omar Oili, Sarah Mouhoussoune, Saïd Ahamadi « Raos » et Ali Moussa.

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Z comme Zaïdani

dence. Et Daniel Zaïdani a d’autant plus choisi sans états d’âme de rejoindre les élus progressistes qu’Is-sihaka Abdillah au der-nier moment revendique le poste promis à Zaïdani. «  On a essayé de joindre Giraud, mais sans succès. On sait que Daniel Zaï-dani avait mal pris cette manœuvre d’Issihaka. »

A ce moment-là, les élus réunis à Mamoudzou

savent que la partie est finie. Néan-moins, Aha-med Attouma-ni Douchina espère en-core renver-ser la vapeur. Le père d’Ali M o u s s a , conseiller de C h i r o n g u i veut savoir où se trouve son fils pour le persuader de suivre l’UMP. Mais son fils reste injoi-gnable. «Dans notre culture, il est difficile de dire non à ses parents, surtout quand ils te me-nacent d’une malédiction. Si son père avait pu le joindre, il aurait pu

bouleverser le cours des choses.» explique Ahamed Attoumani Douchina.

L’état-major de l’UMP se creuse les méninges et trouve une solution qui pourrait empêcher Zaïdani de présider le département.

Pour que celui-ci soit élu, il faut que le quorum de douze élus soit atteint le 31 mars 2011. Or, la stratégie mise en place surprendra tous les Mahorais. En ce jour d’élection historique, tout le monde attend que Mayotte devienne enfin un département français. Ma-rie-Luce Penchard, ministre des Outremer est attendue pour l’événement. D’ail-leurs, une plaque commé-morative doit être dévoi-lée pour l’occasion après l’élection.

La fête de la départemen-talisation gâchée par l’ab-sence de quorum

Quand le bloc Zaïdani fait son entrée dans l’hé-micycle, on se dit que l’on va assister à un moment historique. Les grandes fi-gures historiques de la lutte pour le maintien dans la République française sont là : Marcel Henry, Adrien Giraud, Younoussa Ben Ali, Zoubert Adinani et bien d’autres encore. Ahamed Attoumani Douchina est bien là, contrairement aux autres élus de son bloc.

Il ouvre les débats en tant que doyen de l’assem-

blée, mais constate l’ab-sence de quorum. La fête est gâchée, le groupe de Daniel Zaïdani fait comme si de rien n’était et procède au rituel de l’élection du président et de son bureau.

Les absents qui au dé-part voulaient se donner du temps pour faire chan-ger d’avis un ou deux de leurs collègues, se rendent compte de la portée ca-tastrophique de leur opé-ration. Zaïdou Tavanday s’excusera d’ailleurs auprès des Mahorais devant les ca-méras de Mayotte 1ère. Et le dimanche 3 avril 2011, c’est bien Daniel Zaïdani qui sera élu au poste tant convoité de président du conseil gé-néral de Mayotte.

Cette année encore, le rituel va s’opérer. Des fai-seurs de rois vont tenter de créer une majorité et de placer leurs pions aux postes qu’ils estiment stra-tégiques. Encore une fois, les négociations seront ser-rées puisqu’aucune force politique ne peut constituer à elle seule une majorité. Les quatorze conseillers nécessaires à l’obtention d’une majorité vont jurer sur le Coran leur alliance in-défectible. Mais avec treize hommes et treize femmes, y aura-t-il un conclave dans un lieu fermé ? La réponse nous sera donnée dans quelques jours et les lan-gues se délieront quelques années plus tard.

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De la folie à Mayotte

RÉCIT

«Mais vous êtes fous ! Oh oui.» Ce refrain a souvent été entonné au début des années 90 par les amateurs de rap et Benny B, l’un de ses précurseurs en langue française. L’ex-pression existe en shimaore : ne vous étonnez pas d’entendre «Afa una masera» lorsque vous faites quelque chose d’insensé ou qui sort de l’ordinaire. Mais qu’en est-il vraiment dans la société mahoraise ? Comment traite-t-elle ceux que l’elle considère comme fous ?

Soidiki Assibatu et Jarre Ascandari

Kerfa le fou défie le peuple de Koumbi et Kaya Maghan en pleine assem-blée dans La légende du Wagadu (1). Et Pythagore

Celat, « que la folie du cy-clone a détourné sur lui son œil ou que le soleil a poin-té dans sa tête […] saute

sur un pied, casse la tête en arrière, crie : Odono ! Odono ! » dans La case du commandeur (2). Et Matelas et Abal (3), son compagnon, avalent des kilomètres

et des kilomètres sous la pluie, sous le soleil, à la re-cherche de manifestations de tout genre dans les vil-

lages du sud de Mayotte. Et Andikani , autre fois, de son sud natal, sillonnait les vil-lages de Mayotte, chantant, louant à tue-tête « tingui », le vagin. Leur point commun ? Mwenza ma sera, holo ada-la. Ils sont pleins de folie, ils sont fous. La norme en tant qu’ensemble de règles, de prescriptions, de principes de conduite, de pensée, imposés par la société et la morale, a jugé qu’ils ont franchi la frontière de l’anormal par leurs attitudes « incorrectes », leurs gestes irrationnels, leur malpropre-té et leurs paroles insen-sées. Ils sont fous, dira la société. Ils se démarquent d’un corps social homo-gène et normal. Et pour les contrôler et les empêcher de menacer l’ordre social normal, chaque société met en place des stratégies de traitement, voire de gestion de leurs corps malades. En effet, pour maintenir l’ordre de la raison, comme le sou-ligne Foucault, certaines so-ciétés, dans leur traitement de la folie, circonscrivent le fou dans un espace limi-naire, lieu naturel du fou. En France, par exemple, il s’agit de maisons d’enfer-mements, d’asiles, d’hôpi-

Le Cri, célèbre tableau d’Edvard Munch

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De la folie à Mayotte

taux qui ont pour fonction de contrôler les fous, de protéger la société et les fous eux-mêmes contre leur propre folie.

Et qu’en est-il à Mayotte  ? Quel rapport la société mahoraise entre-tient-elle avec la folie ? Comment conçoit-elle la fo-lie ? Comment la traite-t-elle ?

La présence remarquée de personnes souf-frant d’altération du comporte-ment, qui vivent souvent en rupture de ban, qui mènent une vie d’er-rance dans les villages et dans Mamoudzou, le chef-lieu de Mayotte, pose la question de la conception et de la prise en charge de la folie dans la société mahoraise. Il va sans dire que la gestion du corps malade renseigne sur la conception de la folie à Mayotte.

La folie ne se guérit pas, elle se vit

Ainsi, à la manifestation des premiers signes de déviation chez un individu, et pour sa « re-normalisa-tion  », sa famille s’oriente vers un fundi pour procé-der à une thérapie tradi-tionnelle. On note ici que cette démarche présente d’abord la folie comme le fait d’une intervention ex-térieure malveillante. Il peut s’agir d’un ensorcellement,

d’une malédiction divine sollicitée ou invoquée ou dans certains cas, d’un es-prit cherchant un hôte. A cet effet, pour tenter une guérison et remédier aux troubles qui menacent la santé de l’individu malade,

la famille aura procédé à des thérapies multiples (tromba, patrosy, offrandes, etc.). Et à l’échec de ces tentatives, l’individu malade est reconnu et déclaré fou par la société : la famille et la société d’une manière générale acceptent alors la folie comme un fait ex-térieur contre lequel il est impossible de lutter. D’ail-leurs, il est une expression en shimaore qui illustre cette conception de la fo-lie : masera kazi hiriwa (la folie ne se guérit pas, elle se vit). En d’autres termes, la famille du fou se résigne et cesse tout traitement. Dans cette perspective, la société redéfinit la place et le rôle de l’individu malade, atteint de folie, elle renégo-cie sa place en son sein et son rapport aux autres. En fait, il sera toujours dans la société mais son rapport à l’espace et aux autres sera

redéfini, selon le sexe et le degré de folie.

En effet, une femme fera l’objet d’un maintien à domicile et de mesures de restriction de ses déplace-ments, parce que la socié-té estime que, même folle,

une femme reste une femme ! Et le fou violent ou qui se dénude en public fera l’ob-jet de mesures d’isolement à domicile, et sera privé de l’usage de ses mains le temps de laisser

passer la crise furieuse. Il convient de préciser que les mesures d’isolement à domicile n’interviennent que quand l’individu ma-lade, dans la gestion de son corps, ne distingue plus les frontières du permis et du défendu ou quand il de-vient une menace pour les autres.

Le fou, détenteur d’une certaine vérité

Quant aux autres cas, notamment ceux que nous croisons dans les rues de Mamoudzou ou dans les villages de l’île, ils peuvent continuer à circuler, à avoir commerce avec les autres. Ils continuent à faire socié-té, à participer à la vie so-ciale, dans la mesure où ils ont conservé encore ce qui caractérise l’humain, selon Lévinas : la parole. En effet, cette possibilité de com-muniquer avec les autres

Une femme fera l’objet d’un maintien à domicile et de me-sures de restriction de ses dé-

placements, parce que la socié-té estime que, même folle, une

femme reste une femme

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confère au fou un certain rôle dans la société. En ce sens, le fou en tant que ce-lui qui parle, qui commerce avec les autres peut notam-ment dire ce que la socié-té normale ne peut pas ou n’ose pas dire. En clair, la parole innocente et libre du fou dit ce que la socié-té – la morale publique – empêche aux gens nor-maux de dire. Elle dit les tabous de la société, no-tamment le sexe. Dans une société mahoraise quelque peu prude, la parole licen-cieuse, insensée du fou le nomme, voire le crie, en faisant fi des convenances. Il nous vient à l’esprit la fi-gure d’Andikani (4) – « ce qui signifie » en kibushi –, évoquée plus haut, qui, partant de son sud natal, de Mbouini en direction de Mamoudzou, chantait, criait à tue-tête le sexe de la femme à qui voulait l’en-tendre. Cette figure du fou, à l’instar des fous qui conti-nuent à commercer avec la société, semble à même de nommer l’indicible.

Le fou est ainsi perçu comme détenteur de la vé-rité, d’une certaine vérité. Autrement dit, sa parole insensée, qui transgresse parfois les normes, dit une vérité que l’on cherche derrière ses mystères. Par exemple, le chanteur maho-rais, Baco, emprunte la voix de Hachim, figure de la folie à Mayotte dans les années

80, pour dire certaines véri-tés à la société mahoraise : « Wagnu mlala mwa hima / hamwesa mregueya/mrudi Mulala raha. (Vous qui vous êtes réveillés après avoir dormi / vous voilà revenus vous rendormir (6).) » Et Ma-tra (l’huile) (7) d’expliquer aux passants entre Dembe-ni et Passamainty qu’il s’ap-plique l’huile de sardines en boite sur le corps pour que le vent ne le retienne dans sa course.

Notons enfin que la parole du fou peut aussi faire rire. Un rire qui iden-tifie chez le fou l’humain capable de contradictions sans conséquence, et qui reconnait également la fra-gilité humaine. En fait, le rire traduit ici une autodé-rision et une certaine com-plicité, dans la mesure où le fou nous rappelle que l’esprit humain est à la foi capable de productions prodigieuses et est en per-manence menacé par une dégénérescence abyssale. Ce rire, qui dédramatise, intègre ainsi la folie dans la condition humaine.

En somme, le traitement de la folie dans la société mahoraise révèle qu’au-de-là de la gestion spécifique des corps malades quelque chose de général, de fon-damental est à retenir : l’hu-main se constitue par/dans la parole adressée à l’autre, qui peut répondre.

De la folie à Mayotte

Références

(1) Moussa DIAGANA, La légende du Wagadu vue par Sia Yatabare, L’Harmattan, Paris, 1989.

(2) Edouard GLISSANT, La case du commandeur, Gallimard, Paris, 1997.

(3) Deux fous que l’on croise dans les communes de Bandrele et Chirongui, notamment sur la route nationale.

(4) Un fou, originaire de Mboui-ni.

(5) Michel FOUCAULT, Histoire de la folie à l’âge classique, Galli-mard, Paris, 1972.

(6) BACO, Hachim, Freedom, 1994.

(7) Le fou que l’on croise aux abords de la station Total de Passamainty.

RÉCIT

Moussa Diagana décrit la place qu’occupent les fous dans la so-ciété en Afrique de l’ouest.

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Témoignage d’une familleQuand une personne perd la raison, parait irrationnel, les premiers à en souffrir sont les membres de la famille. Il est difficile pour elle d’évoquer ouvertement cette souffrance. C’est donc sous anonymat qu’une famille a accepté de parler de cette souffrance.

Kalathoumi Abdil-Hadi

On les voit errer dans les rues de Mamoudzou, ces fous dont on ne connait que les prénoms, les surnoms ou les villages d’origine. Ils errent les regards livi-des, des cheveux mal-en-tretenus, des vêtements en haillons. Ils soliloquent. D’autres vivent encore au sein de la société, n’ont pas encore perdu le lien, mais il est bien clair, pour tout le monde, qu’il y a un décalage. Ces fous comme le qualifie la société ont des familles, ont eu une vie bien rangée avant d’avoir traver-sé la frontière de l’irration-nel.

« Mon fils a grandi, nor-malement » raconte cette mère que l’on va dénom-mer Hadidja. « Il était bon à l’école. Vous savez, il a son bac. Il respectait les gens » et c’est ainsi que les larmes lui coulent des yeux. C’est justement après l’année du bac que tout s’est écroulé. Il n’ira jamais à l’universi-té poursuivre les études supérieures. C’était il y a onze ans de cela et depuis la famille le soigne. Un long silence précédera ces pa-roles, la vieille femme se rappelle l’enfance de son

fils et tous les espoirs dé-çus suite à la maladie. « On a détruit mon enfant pour rien, juste comme ça. Dieu me le guérira et leur fera payer ce qu’ils ont fait » prie-t-elle, en essuyant ses larmes. Comme pour beau-coup ici, la maladie men-tale trouve souvent une cause chez un tiers, une voisine, un jaloux, etc. Dans ce cas précis, elle accuse des membres de sa famille d’avoir plongé son enfant dans le néant. Comment expliquer qu’une personne du jour au lendemain dé-lire, parle tout seul, rit tout seul, mange les nourritures avariées, oublie de prendre soin de sa personne et tombe dans une violence extrême. Si au départ, elle a voulu nier la réalité, met-tant « ça » sous la cause de l’alcool, il a fallu se rendre à l’évidence qu’une chose n’allait pas avec son enfant.

Des soins couteux Après les tentatives de

raisonnement, « il a fallu se réveiller » dit-elle. Le jeune homme est devenu violent, « très violent » même ac-centue la mère. Il frappe des membres de la famille,

casse des meubles, insulte sous le regard impuissant et apeuré des siens. Au mi-lieu de ce désarroi, il faut assumer les regards des gens et les questions indis-crètes des villageois, ainsi que les moqueries que son fils a subi de la part de la po-pulation. Une épreuve pour cette mère. « Je ne sais pas combien, j’ai dépensé pour soigner mon fils, je ne sais pas » En effet, la médecine occidentale a été son der-nier recours. Elle s’est tour-née vers un voyant pour savoir ce qui n’allait pas. Le puissant homme a donc confirmé l’œuvre malveil-lant d’un proche. « Je ne soupçonnais personne, je voulais savoir si ça venait de Dieu ou c’était un autre être humain », raconte-t-elle. Al-lah n’y était donc pas pour grand-chose dans la mala-die du jeune homme, âgé d’une vingtaine d’années à l’époque. Le fundi a détec-té un « shetwan », (Satan) envoyé par une personne malveillante pour que le jeune homme perde la rai-son. Le malveillant a égale-ment eu recours à l’utilisa-tion de versets coraniques et des trombas (les esprits).

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Témoignage d’une famille

Les versets coraniques ain-si que les sacrifices pour les esprits ont été enterrés dans un lieu non identifié. « Si seulement je le savais » regrette la maman, «  je serais allée le déterrer  » dit-elle en soupirant. Il a donc fallu payer le voyant/fundi, mais il a également fallu payer pour les incanta-tions, les douches avec des plantes, les sacrifices d’ani-maux, les fundis pour lire des versets coraniques et demander à Allah de gué-rir. Pendant les premières années, elle s’était oubliée, dit-elle, dans l’espoir que son fils guérisse.

La médecine occidentale comme dernière solution

Mais à chaque fois, qu’elle entrevoyait une lueur d’espoir, il fait une rechute et délire à nou-veau. C’est ainsi qu’on lui a conseillé d’avoir recours à la médecine occiden-tale. « Si ça pouvait aider je n’étais pas contre », dit-elle en réajustant son châle. Et même si le diagnostic des médecins parle d’autres choses, d’une maladie bien identifiée avec tous les symptômes  : la schizo-phrénie. Pour la mère, elle ne baissera pas les bras et continuera avec les fun-

dis. L’aide des psychiatres et les médicaments au quotidien a calmé la vio-lence, mais ne l’a pas ren-du normal pour autant. La société continue à scruter son comportement, les re-gards n’ont pas changé. La folie est une maladie honteuse pour les familles, qui n’ont pas forcement de soutien pour supporter ce poids. Aujourd’hui, le jeune homme a retrouvé une vie à peu près normale. À le voir, on ne le soupçonnerait pas d’être malade, pourtant la mère de famille continue à aller voir les fundis pour sa guérison complète.

RÉCIT

Pas de possibilité d’internement à Mayotte

Actuellement, le centre hospitalier de Mayotte ne dispose que de dix lits pour les ma-lades psychiatriques et deux autres lits pour les malades qui nécessitent un isolement.

Il n’y pas d’accueil pour les mineurs. Les cas les plus graves sont par-fois envoyés à La Réu-nion pour y être internés.

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FLASHBACK

De la libération des mœurs avec les Magoshi Tshora

Cela parait tellement normal aujourd’hui de voir des brochettis par-tout dans l’île, d’avoir des soirées aux quatre coins du département, de pique-niquer, etc. Il y a quarante ans, tout cela faisait partie des bizarreries que ceux que l’on nomme Magoshi Tshora ont introduites dans l’île. Retour sur cette époque.

Kalathoumi Abdil-Hadi

C’était il y a presque quarante ans. Le 20 dé-cembre 1976 éclatent les évènements de Mahajanga comme on préfère pudi-quement appeler le mas-sacre des Comoriens. Des familles se sont éclatées. Des amis sont devenus des ennemis. De ce qui s’est passé ce 20 décembre 1976, il reste aujourd’hui encore beaucoup de ques-tionnements et des zones d’ombre. Ceux que l’on ap-pelait Zanatany (l’enfant du pays) à Mahajanga ont dû partir et laisser derrière eux leur vie pour les Comores. Souvent, ils ne connais-saient que de nom ces îles de la lune.

Si à Mayotte, on fait la différence entre Mahorais et Comoriens, là-bas il n’y en avait pas, tout le monde devait partir. La seule diffé-rence est que les Mahorais sont partis au consulat de France avant de partir pour la Réunion puis Mayotte.

Les Comoriens ont été re-groupés dans un campe-ment militaire puis ont pris des bateaux ou des avions de la Sabena pour rentrer dans l’archipel.

Avant que n’éclatent ces évènements et que des mil-liers de gens soient massa-crés pendant trois jours, les Zanatany vivaient une vie prospère à Mahajanga où ils occupaient des postes

à responsabilité dans les administrations contraire-ment à certains Malgaches qui n’avaient que des pe-tits boulots. Ces derniers étaient souvent des « rana-dahy » porteurs d’eau ou tireurs de pousse-pousse. Dans les salles de fêtes ré-sonnaient quotidiennement les twarab, les maoulida, les débah, les shigomas et autres fêtes comoriennes.

L’avenue des Comores à Mahajanga doit son nom à la forte communauté como-rienne établie dans la ville.

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FLASHBACK

De la libération des mœurs avec les Magoshi Tshora

Avec le recul, les rescapés du massacre s’accordent à dire que les Zanatany étaient devenus gênants avec leur manière ostenta-toire. Ils suscitaient des ja-lousies.

Mayotte, « une île vierge »A leur arrivée à Mayotte

« c’est une île vierge que nous découvrions » ra-conte, ému Youssouf Thany, président de l’association des natifs de Mahajanga et animateur de l’émission Fa-mpihila Dzery sur Mayotte 1ère , ou justement on met en avant la culture kibushi à Mayotte. « Ici, on a intro-duit le premier marché ». Avant d’arriver sur Mayotte, il a d’abord fait un arrêt à la Grande Comore. Beaucoup ne connaissaient Mayotte que de nom, et certains ont été surpris de voir une île « aussi arriérée  ». « On était loin d’imaginer que Mayotte était comme ça » se souvient, l’ancien ensei-gnant.

La nourriture était pro-blématique également pour eux. « On n’était pas habi-tués à manger des bananes tout le temps comme ici, nous c’est le riz » sourit-il. Mayotte dans ces années-là n’avait pas encore fait son entrée dans la société capi-taliste. Les gens de culture vivrière, ne vendaient pas les productions. Quand il y avait un surplus des fruits et des légumes, on les lais-sait aux bords des chemins pour que les passants se

servent. Un temps bien ré-volu. Il n’y avait de l’électri-cité que dans Mamoudzou et sur la Petite-Terre.

Les Zanatany, devenus Magoshi Tshora ou Sabe-na aux Comores, sont arri-vés avec des savoir-faire. Les uns étaient tailleurs, d’autres cuisiniers, artisans, d’autres commerçants etc. Certains étaient instruits et ont pu accéder à des postes à responsabilité. Et puis, ils n’étaient pas des personnes de l’ombre, sur-

tout sur « une île vierge ». C’est ainsi que des com-merces ont vu le jour, des brochettis également. D’au-tant que la plupart d’entre eux se sont installés dans Mamoudou, Mtsapéré ou en Petite-Terre. Un quar-tier porte même leur nom à Pamandzi. D’autres se sont installés à Mandzarisoa, à Mtsapéré.

Le Mimosa, un haut-lieu de rencontre

Parmi ces premiers res-taurants brochetti, il y avait

Origine du massacre

Le 20 décembre 1976 un jeune garçon de l’eth-nie betsirebaka se soulage dans la cour d’une famille comorienne… Il n’imaginait sans doute pas qu’il allait déclencher l’un des plus grands massacres que la ville n’ait jamais connu. Parce qu’excédée, la fa-mille comorienne aurait mis les excréments sur le vi-sage du jeune fautif. Sauf que chez les Betsirebaka, cette offense doit être net-toyée par le sang. Ainsi commença le massacre des Comoriens de Mahajanga. Agé d’à peine une ving-taine d’année, Youssouf Thany est un « Sabena » ou un « Magoshi Tshora » et il s’est battu pour sa survie. Avec le recul, il pense que «  les Betsirebaka étaient devenus des étrangers sur cette ville dont ils n’étaient pas originaires, mais qui restait quand même une

ville malgache ». Ils travail-laient comme « ranadahy » porteurs d’eau ou tireurs de pousse-pousse. «  Ils ja-lousaient les Comoriens, qui avaient une très belle situation  ». Pendant trois jours avec des sagaies, des haches et des machettes fut organisée la chasse aux Comoriens de Mahajanga. Des familles furent divi-sées. Des milliers des gens ont péri. Les survivants ont entamé le long et difficile chemin du retour aux Co-mores.

En 1976, à Mahajanga, les Co-moriens occupaient les postes à responsabilité et beaucoup de Malgaches étaient des tireurs de pousse-pousse.

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De la libération des mœurs avec les Magoshi Tshora

le Mimosa en plein cœur de Mamoudzou, à l’ancien marché. Il était tenu par celle que tout le monde appelait madame Mimosa, Charifa de son vrai nom. Le restaurant avait du suc-cès. Il a introduit dans l’île ces petits snacks, typiques de Madagascar, dénom-més « lotely » ou les gens à faible budget pouvaient se restaurer avec au menu ou du riz, des poissons frits, du rougail tomate, des ba-nanes etc. Le Mimosa était un haut lieu de rencontre des Magoshi Tshora nos-talgiques de leurs vies pas-sées. Aujourd’hui, le res-taurant n’y est plus et les brochettis font partie de la culture locale. Charifa vend toujours des brochettis et des plats de poissons et de riz au marché de Ma-moudzou, mais le souve-nir du Mimosa éveille des mémorables moments aux anciens habitués. « Au Mi-mosa, le propriétaire avait mis en place ce qui se fai-

sait à Mahajanga » explique Youssouf Thany.

Des coquettes femmes… à la libération des mœurs

Mais l’animateur nuance et considère que les Mago-shi Tshora n’ont pas ame-né que du mercantile à Mayotte. « Les femmes ont amené la coquetterie, elle savait se mettre en valeur contrairement aux Maho-raises à cette époque-là  » ose avancer Youssouf Thany. Elles avaient la répu-tation d’être des briseuses de ménage tout comme les hommes d’ailleurs. « Elles avaient l’habitude de se faire belles ». On raconte qu’elles y sont pour beau-coup dans la libéralisation des mœurs.

À Mayotte, au milieu des années 70, il n’y avait ni sortie, ni soirée, ni aucune animation. Ainsi les Zana-tany se sont remémorés l’ambiance de Mahajan-ga, en organisant des soi-rées dansantes ou des

pique-niques. Des vrais changements pour l’île. « Les Zanatany étaient van-tards et se souvenaient de Mada avec nostalgie, ils montraient leur savoir-faire. On était haïs et enviés en même temps » se souvient Youssouf Thany, qui au-jourd’hui prend les choses de manière positive malgré tout. « C’était douloureux, mais au final on s’en est bien sortis par rapport aux amis restés là-bas. On a une meilleure vie. Quant au traumatisme, il explique par une expression shimaoré « ufa djama harusi », il n’y a jamais eu de thérapie, juste des gens qui en parlent à chaque rencontre, une ma-nière de se libérer du pas-sé. Pourtant, difficile de se libérer de se passé et de Madagascar, qu’ils ont pour la plupart revisité depuis et certains ont même acheté des terrains là-bas, en vue d’une installation après la retraite.

L’origine des surnoms Sabena et Magoshi Tshora

Les Sabena: les res-sortissants comoriens, en partance pour leur terre d’origine, voyageaient avec les avions de la compa-gnie belge Sabena, c’est ainsi qu’on été surnom-més ces malheureux. Et à leur descente d’avion, ils avaient juste des habits et des chaussures à bout très pointus. Et ainsi on les ap-pelait aussi « Magoshi Tsho-

ra », ce qui signifie « Chaus-sures pointues  ». Après le massacre, les rescapés ont été regroupés dans des campements. Comme, ils avaient tout perdu, on leur attribuait des bons pour se procurer des vêtements et des chaussures dans un magasin qui ne vendaient que ces chaussures à bouts pointus. Les femmes avaient pu s’acheter des

foulards qu’elles ont toutes attachés de la même ma-nière sur la tête.

Youssouf Thany, président de l’as-sociation des natifs de Mahajan-ga à Mayotte.

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Qu’en est-il de la démocratie et de la tolérance religieuse à Mayotte ?

TRIBUNE LIBRE

‘‘Je voudrais ici exprimer mon inquié-tude face à ce qui s’est passé à Mtsanga-mouji, où une mosquée a été détruite par des habitants du village mécontents des propos et du comportement des fidèles fréquentant ce lieu de culte. Inquiet parce que cet acte est une forme de violence exercée par une majorité sur une minori-té. Que se serait-il passé si cette dernière avait décidé de défendre sa mosquée ? La réponse fait froid dans le dos. Cet acte re-lève également de l’intolérance religieuse. En effet, toute divergente de vue et de lecture doit-elle immanquablement aboutir à l’élimination physique – ici c’est la mos-quée – du tenant du point de vue opposé ?

Evidemment, les explications avancées pour justifier cet acte de violence ne sau-raient être admises, surtout dans notre pays, où la liberté de culte est une liberté fondamentale garantie à chaque citoyen. Dans notre république, on combat les idéologies néfastes par le discours ration-nel ou par la loi lorsqu’elle peut être mo-bilisée, on ne se fait pas justice soi-même. Dans ce fait grave, ceux que l’on accuse généralement d’intolérance reli-gieuse ou d’intégrisme, les fameux « djau-la » (les adhérents de la Jama’at Tablighi) sont devenus des victimes de gens censés représenter une lecture tolérante et paci-fiste de l’islam.

Ce qui s’est passé à Mtsangamouji doit-

il être interprété comme un signal d’encou-ragement pour d’autres actes semblables à l’égard des membres de la Jama’at Ta-blighi ou d’autres déviants ou d’autres inté-gristes dérangeants ? Doit-on le considérer comme la réponse appropriée au discours intégriste et de mépris de certains groupes religieux se prévalant de l’exclusivité de la vérité divine et s’autoproclamant ainsi vrais représentants de l’islam ? La réponse est non, mille et une fois non, définitivement non. Dans notre république, nous ne pou-vons accepter le recours à la force et à la violence populaire comme réponse à l’in-jure, au mépris, à l’intolérance. Dans un pays de droit comme le nôtre, on recourt à la loi, dans une démocratie comme la nôtre, on recourt au débat contradictoire.

Le silence du préfet de Mayotte face à ce qui s’est passé à Mtsangamouji m’inquiète. Et qu’en pensent le maire et le conseiller général de Mtsangamouji ? Qu’en pense le Grand cadi de Mayotte ? Que doivent en penser les habitants de Mayotte ? C’est

bien, bien parce que ce sont ces i n t é g r i s t e s de Djaula qui doivent être c o m b a t t u s ? C’est bien parce que

la population rejoint l’Etat dans sa lutte contre l’intégrisme religieux, contre toutes les formes d’intolérance et les dysfonc-tionnements qui menacent notre vivre en-semble ?

Aujourd’hui, face à ce qui s’est passé à Mtsangamouji, le préfet de Mayotte doit,

Ce qui s’est passé à Mtsangamouji doit-il être interprété comme un signal d’encou-ragement pour d’autres actes semblables à l’égard des membres de la Jama’at Ta-blighi ou d’autres déviants ou d’autres

intégristes dérangeants ?

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Qu’en est-il de la démocratie et de la tolérance religieuse à Mayotte ?

dans sa responsabilité du maintien de l’ordre public, pour le moins rappeler les valeurs de notre république et le fonction-nement de notre démocratie. Cela serait mal servir les habitants de Mayotte, qui sont fort désorientés par les derniers chan-gements statutaires intervenus (départe-ment, RUP), que de les laisser croire que les auteurs de cet acte avaient raison.

Certes, il faut comprendre l’inquiétude des habitants de Mayotte face à ces dis-cours religieux offensifs et virulents qui prônent un islam étranger à ce que leur île a connu jusqu’à présent, qui disqualifient dédaigneusement leurs connaissances religieuses acquises et qui mettent en doute leur foi sincère. Je les comprends aussi. Certes, les Mahorais musulmans,

dont l’éducation religieuse est tradition-nellement et essentiellement assurée par l’école coranique, se trouvent confrontés, depuis quelque temps, à des groupes re-ligieux mieux organisés, bien structurés, avec un discours bien rôdé et un prosé-lytisme très actif. Ils ont peut-être peur d’être dépassés alors qu’ils tiennent à leur conception et leur pratique de l’islam. Je les comprends. Certes, les Mahorais mu-sulmans, comme tous les musulmans, re-jettent tout ce qui introduit la division (fitna) au sein leur communauté, y semant le dé-sordre, et préfèrent l’entente, le consen-sus. Je les comprends.

Certes, on peut les comprendre. Mais encore une fois, la voie ne saurait en aucun être celle de la force ni de la violence. Face

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au discours intégriste et à des pratiques religieuses intolérantes, les Mahorais ne doivent pas avoir peur et se laisser guider par le ressentiment ou la haine ; ils doivent réaffirmer leur tradition de tolérance, celle qui a permis à toutes les croyances et pra-tiques religieuses de cohabiter et de se côtoyer dans cette petite île, c’est-à-dire à ses habitants d’origines diverses de partager ce petit bout de terre. Ils doivent réaffirmer cet islam qui a intégré la spiri-tualité soufie et qui a montré ainsi que le chemin vers Dieu est celui qui célèbre la vie comme don de Dieu à l’homme, un ca-deau à partager dans la joie, l’amour et la fraternité, sans l’oubli de Dieu (la prière). Ils doivent comprendre et se rappeler pour quelles raisons, réellement, ils rejettent le discours et les pratiques intégristes des Djaula. Ils doivent comprendre qu’en ré-alité, le discours religieux des Djaula est triste et fade  : il soupçonne la vie et voit le Mal partout, prône le repli communau-taire et voit dans la beauté féminine Satan lui-même, promet surtout l’enfer à ceux et celles qui accordent de la valeur à la vie ici-bas. En fait, les intégristes sont ignorants, ils ne savent pas qu’il y a un temps pour penser à Dieu et un temps pour rire, « […] une heure pour telle chose et une heure pour telle chose, il le répéta trois fois. » C’est le prophète de l’islam lui-même qui l’a dit. Evidemment, les intégristes peuvent ne pas être d’accord avec cette lecture de l’islam et me traiter d’ignorant, de mé-créant, d’infidèle, d’occidentalisé, de croi-sé mais ils ne peuvent enlever aux Maho-rais le droit d’être heureux sur cette terre.

En effet, au discours réducteur et into-lérant de l’intégrisme religieux (ou autre), il faut opposer un discours qui réaffirme la richesse de la vie, et la diversité cultu-relle et religieuse, comme réalité première, fondamentale de notre monde. Parce qu’il

permet d’instaurer « égalitairement des vis-à-vis entre les cultures » (François Ju-lien) et les individus, seul le dialogue – «  l’intelligence des écarts » – permet de

comprendre et de vivre en bonne intelli-gence cette richesse et cette diversité. Ce sont aussi cette richesse et cette diversité que la République protège, notamment à travers la loi sur la laïcité (1905), qui ouvre cet espace du commun, du vivre ensemble et qui garantit la liberté cultuelle.

Je sais, parce qu’il n’en saurait être au-trement, que comme moi, les Mahorais et les habitants de Mtsangamouji rejettent l’intégrisme et l’intolérance, qu’ils soient religieux ou autres, mais la voie de notre République pour les combattre ne passe pas par la violence populaire. Il est donc important, aujourd’hui, pour notre vivre ensemble à Mayotte, que les habitants de cette île entendent le préfet le dire, les élus le dire, les hommes et les femmes poli-tiques le dire. Le silence du préfet, surtout, résonnerait comme un mauvais message.

Je n’ignore pas la complexité ni la dif-ficulté de la mission du préfet dans un territoire qui n’a cessé de voir s’accumu-ler et s’étendre les problèmes, et qui est traversé par des tensions qui menacent à chaque instant le vivre ensemble. Pour cela, le préfet de Mayotte ne doit jamais perdre de vue le fait déterminant que les habitants de Mayotte restent les premiers acteurs de leur territoire. 

Au discours réducteur et intolérant de l’intégrisme religieux (ou autre), il faut opposer un discours qui réaffirme la ri-

chesse de la vie, et la diversité culturelle et religieuse, comme réalité première,

fondamentale de notre monde.

Qu’en est-il de la démocratie et de la tolérance religieuse à Mayotte ?

TRIBUNE LIBRE

Condro

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Cette jouissive folie de l’écriture

CARTE BLANCHE

Ecrire ? Passionnément.

Nassuf Djailani, chevalier des Arts et des Lettres

Ecrire quoi ? Des fragments, des voix, des murmures, des cris, des rires, oui des éclats de rire. Ecrire pourquoi ? Pour en-visager une conversation, pour émouvoir, pour toucher, pour trouver un langage, pour apprendre à aimer, pour me désha-bituer de moi. Ecrire pour qui ? Pour le lec-teur ou la lectrice potentielle, n’importe le-quel/laquelle, la nationalité ne compte pas. Ecrire sur quoi ? Sur la vie, sur le métier de vivre, sur ce que c’est qu’aimer, pour comprendre ce que parler veut dire. Com-ment écrire ? Je le découvre en essayant chaque jour, chaque minute, parfois au milieu du sommeil, d’un repas, ou après l’amour. Ecrire avec quoi ? Avec tout, tout ce que contient la vie, avec tout l’intouché du langage.

Ecrire un magazine, après tant de tenta-tives avortées relève d’une certaine folie. Mais qu’est-ce qu’elle est belle et jouissive cette folie de l’écriture ! Pourquoi écrire dans un lieu où la lecture du français n’est pas chose évidente ? Pourquoi écrire dans un espace où la question du lectorat n’a pas encore été résolue à cause d’un trop faible nombre de personnes qui parlent et lisent et comprennent la langue de votre écriture ? Malgré toutes les difficultés que pose cette question fondamen-tale, je persiste à croire que de l’écriture que je mets en culture comme une graine germera un jour un lectorat attentif

et exigeant, friand d’idées nouvelles, de pensées neuves, subversives en « pays dominé ». Je fais référence à la tutelle de la Métropole qui s’exerce dans ce pays-ter-ritoire, une « métropole » qui impose de fait sa langue, sa culture, ses influences, au dé-triment des langues locales qui subissent et composent tant bien que mal avec les autres langues, dont la langue française.

Ecrire dans ce pays-territoire, dans ce bout de France outre-mer, dans ce confet-ti de l’empire, dans cette île-département français de l’archipel des Comores est une nécessité vitale pour moi. Ecrire comme pour me rappeler que mon écriture pro-cède de l’archipel, comme mue par une énergie qui cherche à se ramasser, à se rassembler, à défier les forces cosmiques et géologiques pour créer des ponts, des passerelles entre des pos-sibilités que l’on n’a pas e n c o r e exp lo -rées.

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Et cette écriture je l’envisage comme une main tendue au lecteur potentiel pour tenter la belle aventure de la conversation. Et, pour le toucher au cœur, parce qu’il ne faut pas croire les lecteurs sont des lec-teurs pressés aujourd’hui. Il faut redoubler de stratagèmes pour les capter, pour que la phrase seule retienne leur attention tant

sollicitée par les écrans, par la publicité. Même s’il faut reconnaître qu’il faut d’abord savoir et pouvoir la lire la phrase. Il est vrai que la société mahoraise n’échappe pas, hélas aux influences de la mondialisation avec son lot de colis fichés, où le besoin de posséder tout un tas de choses inu-tiles la fait se détourner de l’essentiel. La fait se détourner d’elle-même, de ce qui la fonde, de ce qui la constitue, de ce qu’elle compose au quotidien. Cette mondialisa-tion n’a parfois pas que du mauvais, elle a aussi ses vertus, celle par exemple de connecter l’île à l’ailleurs. Mais de cette connexion, il faut faire quelque chose, et c’est là le travail de la jeunesse, le travail des artistes. Cette connexion ne doit pas servir à renforcer le consumérisme am-biant, même si la marche accélérée vers la départementalisation l’a largement encou-ragé. Cette connexion doit être l’occasion pour l’île et ses habitants de se nommer, de dire leurs aspirations, de retrouver l’au-torité discursive, de parler en leur propre nom, pour dire les choses simplement. De ne plus permettre cette vaste imposture des portes paroles qui ont fait profession de parler au nom de tous sans écouter.

Pourtant, où que l’on regarde l’aliénation

persiste, gagne du terrain. Les hommes et les femmes s’accommodent des injus-tices à force de ne pas, ou de ne plus les combattre. Tout dans notre réel est sujet à indignation, dans nos « eaux territoriales » par exemple des hommes et des femmes meurent tous les jours et l’on voudrait nous obliger à regarder ailleurs, comme si

l’on s’en lavait les mains. Il y a une certaine honte d’être un homme qui me fait écrire, comme si l’encre de la plume dans sa tentative d’esquisser des mots, d’échafauder des phrases pouvaient me laver de quelque chose. Comme si l’écriture pouvait m’aider à rendre mon indignation

contagieuse. Car notre réel est jonché de situations insupportables.

Notre champ de visions est saturé de langage publicitaire, parce que la publici-té a détroussé la poésie. Toutes les tech-niques de la poésie ont été réquisition-nées par le rouleau compresseur et plus personne ne peut s’interposer, pourtant je persiste à croire en la force de la fiction, en la magie de la poésie. Ce qui renforce mon optimisme, ce sont les paroles des poètes. Je suis toujours bouleversé par la force de la langue de Baco Mourchid (Bob Chidou). La langue de Diho, la parole révolution-nairement poétique de Mtoro Chamou, ou encore de Mikidache, une parole servie magnifiquement par la beauté de sa voix me donnent la foi en la force de la langue. Oui il y a des beautés plus belles que toute la soupe dénuée de poésie que l’on nous sert à longueur de concerts, pourtant bon-dés dans lesquels la jeunesse mahoraise se rue.

Ecrire dans ces bouts d’îles est une ma-nière de résister à la bêtise humaine, aux raccourcis, à la pensée magique, aux idées toutes faites, prêtes à l’emploi et jetables à souhait.

Cette jouissive folie de l’écriture

CARTE BLANCHE

Je suis toujours bouleversé par la force de la langue de Baco Mourchid (Bob Chidou).

La langue de Diho, la parole révolution-nairement poétique de Mtoro Chamou, ou

encore de Mikidache, une parole servie magnifiquement par la beauté de sa voix

me donnent la foi en la force de la langue.

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Evoquant cela, je voudrais justement vous parler d’une fable que l’on m’a contée l’autre lune. Et ce que l’on m’a conté, c’est l’histoire d’une mar-mite. Tenez-vous bien ! C’est l’histoire d’une marmite bien pleine autant qu’elle est profonde. Une marmite de lait frais qui s’est déversée sur ce pays-terri-toire un soir du mois de mars. Et les habi-tants qui ont depuis cette nuit goûté à ce lait magique ont subit la métamorphose. Ils ne touchent plus terre, ils parlent avec emphase, se promènent avec des attachés case, se sont adjoints d’assistants et de se-crétaires et ils ont désormais des perma-nences dans la périphérie de la capitale doté désormais de climatiseurs. Ils se dé-placent à bord de voitures avec chauffeur, et voyagent impunément sans le souci de l’intérêt général. Et ils se cooptent entre eux, mangent ensemble, se refilent les bons coups, s’arrangent pour les appels d’offres, monopolisent les espaces de la parole, définissent les thèmes du débat. et les autres !? Bah les autres, ils n’ont plus que la misérable petite chance de courber l’échine, d’acheter ou d’aller se faire voir ailleurs.

Et pendant ce temps, la fable tourne à plein régime. Et pour ce faire, il y a l’artil-lerie lourde du tube cathodique avec ces séries toutes aussi niaises les unes que les autres pour entretenir l’illusion que la vie bonne sera un jour le lot quotidien de toute la masse et qu’il suffit qu’ils s’arment de la zapette et qu’ils restent assis derrière l’écran et qu’il n’y a plus d’effort à faire, quoi qu’il arrive, l’état providence portera assistance et que « tout est bien dans le meilleur des mondes ».

Voilà plusieurs siècles que l’on nous vend le paradis sur terre, la vie sans effort, le plein emploi, le développement, l’éga-

lité, la fraternité, la liberté. Mais à l’évi-dence, le réel nous rappelle à l’ordre et nous dit que rien ne s’obtient sans effort. Le mot n’est pas as-sez fort et pourtant c’est de son éner-

gie que nous avons besoin de nous doper. L’égalité n’est pas un état dans lequel on s’installe et au sein de laquelle on devient par la volonté de saint Coran égaux. L’éga-lité ça se construit, ça se négocie, ça s’en-visage entre citoyens égaux qui veulent faire société. Si l’on regarde du point de vue économique, rien ne préfigure une égalité totale entre les habitants de ce pays-territoire, l’économie de marché nous a rendus aussi cupides et voraces que les ayatollahs du capitalisme.

La réponse de la poésie à cette interro-gation, c’est que si nous ne pouvons pas nous en remettre aux forces économiques, aux forces militaires pour échafauder un vivre ensemble vivable, acceptable, juste, fraternelle, les « armes miraculeuses » de la poésie nous le permettent.

Le pari de l’écriture, permet de nous rappeler que le métier de vivre est un combat quotidien, et que l’heure est au retroussage des manches. Et les petites gens qui quotidiennement sur les chan-tiers, aux abords et au sein du marché, dans les écoles, collèges et lycées tentent de rendre leur vie vivable et la mort affron-table me le rappellent chaque jour que je prends la plume pour tenter de donner corps à leur histoire.

Cette jouissive folie de l’écriture

L’artillerie lourde du tube ca-thodique avec ces séries toutes

aussi niaises les unes que les autres pour entretenir l’illusion que la vie sera bonne un jour

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