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  • Topoi Suppl. 10 (2009)p. ***-***

    LES FEMMES PRTRESSES DANS LES RELIGIONS ARABES PRISLAMIQUES

    LE CAS DES LIYANITES

    Encore aujourdhui, les inscriptions dArabie ne suscitent lintrt des spcialistes de la pninsule que pour des questions linguistiques ou politiques, gnralement dans une dmarche comparative pour comprendre lhistoire de lArabie du Sud. Or, contrairement lide gnralement admise selon laquelle les documents pigraphiques sont dune dsolante scheresse 1, ces textes permettent damliorer nos connaissances sur les socits arabes anciennes, qui sont surtout connues ce jour par lhistoriographie arabe.

    Je prsente dans cet article quatre textes liynites, connus depuis les annes soixante. Les tudes qui en ont t faites se limitent une analyse philologique, alors quil sagit de textes dune grande importance pour la religion comme pour la socit : des femmes, auteurs des textes, se proclament les filles de femmes engages dans un sacerdoce. Ces textes, reproduits ci-dessous, mritent un nouvel examen :

    Texte 1 (D146) (Fig.1) 2

    Sgl bnt mr slt -bt lt h-ll l--bt b-Khl [ ] nrt f-r-h w-sd-h w-rt-h snt ms hr bn hn-s

    Sglfille demr prtresse de -bt a offert le sacrifice pour -bt, Khl elle a consacr. Alors Il a t satisfait delle, la aide, la guide. En lan cinq de hr filsde hn-s.

    1. Caquot 1970, p. 340.

    . Pour la correspondance des sigles et lanalyse philologique, voir Fars-Drappeau 2005.

    Fig.1 Inscription liynite D146

  • s.Fars

    Texte 2 (D162) (Fig.2)

    Smwh bnt Smr slt Wd w-Zyd bl-h -Yfn ll-h l--bt h-ll b-h-md f-r-hmy w-sd-hmy w[].

    Smwh fille de Smr prtresse, WD et Zyd les deux seigneurs du clan de -Yfn, ont offert -bt ces sacrifices dans cette montagne. Alors Il t satisfait deux deux et les a aids.

    Texte 3 (D101) (Fig.3)

    Rh bn Tmh w-mtzh slt -bt l-h h-ll l--bt b-Khl bd ml-hm b-Bdr f-r-hm w-rt-hm

    Rh fils de Tmh et de mtzh, prtresse de -bt, a offert le sacrifice -bt, Khl en faveur de leurs rcoltes dhiver Bdr. Alors Il a t satisfait deux et les a bien guids.

    Texte 4 (D112) (Fig.4)

    Hn w-m bn mtbsmn (g)w h-ll l--bt [f-r]-hm w-r[t-hm]

    Hn et m fils de mtbsmn, ont apport le sacrifice pour -Gbt, [Alors Il a t satisfait] deux et Il les a guids.

    Lintrt de ces textes est triple : dune part, ils voquent des femmes portant des titres relatifs au culte et nous apprennent que les femmes occupaient comme les hommes des fonctions sacerdotales. Or, si des prophtesses les kahina taient dj attestes en Arabie antique, nous ne connaissions aucun texte relatif des femmes pratiquant une fonction sacerdotale. Dautre part, le recours une gnalogie fminine soulve des questions sur limpact social du statut de ces femmes et sur la matrilinarit.

    Fig.4 Inscription liynite D11

    Fig.2 Inscription liynite D16

    Fig.3 Inscription liynite D101

  • lesFemmesprtressesDanslesreligionsarabesprislamiques

    Enfin, ils confirment limportance des donnes liynites 3 pour tudier les religions des anciens habitants de la pninsule arabique. Mme si les documents dont nous disposons aujourdhui ne nous permettent dtudier que les caractres gnraux de la religion liynite, ils donnent accs au fonctionnement du culte dans la religion des anciens Arabes.

    Je rappelle, avant daborder cette tude sur la prtrise fminine chez les Liynites 4, qual-Ul, lantique Ddan (Fig.5), tait le centre sdentaire dune population qui a prospr, entre le ive et le milieu du iie s. av. lrechrtienne, grce au commerce caravanier qui sillonnait lArabie, avant que ces voies soient dvies vers la mer Rouge, aux alentours du iiie-iie s. av. lre chrtienne 5. Les Liynites, successeurs des Ddanites, ont constitu un royaume dont la puissance tait fonde sur le commerce caravanier 6. Lorganisation sociale tait sophistique et navait rien envier aux diffrentes socits proche-orientales contemporaines. Comme souvent, les fonctions civiles et religieuses taient mles. On trouve la tte de ce royaume un roi , ml, puis un ry conseiller qui semble grer les affaires courantes, un conseil t 7 et les bl qui sont une sorte dassemble rassemblant les chefs de clans dont le rle est dlire la personne qui prendrait la tte de cette assemble .

    3. Ces inscriptions sont graves sur les parois de montagnes et sur des blocs. Elles se trouvent toutes al-Ul et sa rgion. Elles sont regroupes essentiellement dans deux grandes zones : Khirbat al-Khurayba, qui se trouve la sortie nord de la ville actuelle dal-Ul, et al-Uzayb, au nord-ouest de loasis, 8 km environ du village dal-Ul, gauche de la route qui mne Madin li, prs du village Bir al-Udhayb. La nature des inscriptions dans les deux zones diffre compltement. Khirbat al-Khurayba, les textes sont funraires ou bien cultuels, inscrits dans un espace religieux dtermin, lintrieur dun temple imposant. Les inscriptions dal-Uzayb sont uniquement des ddicaces agraires, graves sur la paroi de la montagne : aucun vestige nest connu proximit. Il sagit vraisemblablement de textes relatifs une crmonie en plein air.

    4. Pour une synthse rcente sur cette civilisation, voir Fars-Drappeau 2005.

    5. Voir ce propos PeaCoCk 000, p. 46.

    6. Les textes cependant nvoquent pas lactivit commerciale ; en revanche, lactivit agricole y est trs prsente. Voir le corpus dinscriptions que jai tudi et publi en 005, qui rassemble un choix de textes publis de 1909 1998 (Fars-Drappeau 2005),

    . Le sens arabe de ce mot est partisan . Deux textes voquent la possession dun lieu en faveur, une fois, des partisans de ns et, une autre fois, de ll. Un texte mentionne le nom dune personne la tte des t D53 (cf. Fars-Drappeau 2005, p. 100).

    8. Fars-Drappeau 2005, p. 100-101.

  • s.Fars

    La religion liynite

    Un bref rappel des cadres religieux est ncessaire pour mieux apprcier limportance des inscriptions mentionnant des femmes.

    Les dieux

    Le nom des dieux liynites est soit cit explicitement, soit connu par les noms thophores. Les thonymes sont souvent des noms pithtes. Le recours aux noms pithtes est bien connu chez les Smites. Un nom confre l essence et il est ce qui rsume un caractre. Ainsi, dvoiler un nom, cest dvoiler son essence . Pour cette raison, les dieux liynites nont pas vritablement de noms, ils ont la place des pithtes qui les dfinissent. Le nom gnrique l et ses drivs Lh et lh, qui indiquent le Dieu par excellence, sont galement connus.

    Fig.5 Carte de lArabie

  • lesFemmesprtressesDanslesreligionsarabesprislamiques

    Parmi les nombreux noms-pithtes divins, on trouve en premier lieu -bt, le dieu des forts ; Lt, dont le nom est probablement le pluriel de lh les dieux ; rg, le dieu de leau ; hn-ktb, le dieu des scribes. Le nom de dieu l, Lh lh est connu galement dans les textes et renvoie probablement au dieu tutlaire -bt, appel le dieu . Dautre dieux occupent un rang moins important, tel que Uzza, Baalshamn, Salmn, etc.

    Parmi ces dieux, cest -bt qui occupe la place la plus importante. Il est le dieu tutlaire du royaume de Liyn. Son nom est totalement absent des autres religions arabes. Il signifie celui des forts 9. Cest un pluriel et non un singulier. Le singulier, selon la langue liynite, serait bh : la mater lectionis h indiquerait le t marbuta, selon les rgles grammaticales de cette langue 10. Quand le nom est au pluriel, la materlectionis se transforme en t, ce qui correspond larabe bt des forts . Le alif mdian nest pas not gnralement dans lcriture liynite, ce qui prte confusion. Ab al-Hassan avait propos de lire aybat celui qui est cach 11. Cette lecture se heurte au fait que lcriture liynite note gnralement les diphtongues, /w/ et /y/ mdians , seul le // mdian nest pas not 12. Si bt est lquivalant de larabe celui qui est cach , on doit donc avoir la lettre /y/ selon la rgle grammaticale liynite.

    Ce dieu est troitement li Khirbat al-Khurayba, ancienne Ddan, o une trs importante oasis, irrigue par de nombreuses sources, assurait (et assure encore aujourdhui) lalimentation de la population (Fig.5). Ce dieu nest attest nulle part ailleurs dans la pninsule Arabique.

    Lautre dieu dont le culte est pratiqu Ddan est le dieu Wd, nom dont le sens serait : ami, amour 13. Ce dieu dorigine sud-arabe a t introduit Ddan par les commerants minens, dont il est lun des principaux dieux, sous la forme Wdm14. Son nom ayant t trouv le long de la route du commerce des aromates, on peut supposer quil tait li ce commerce. Une inscription minenne al-Ul mentionne la prsence dun temple de Wd Ddan: b-byth Wd b-Ddn w-l t[]

    9. Cette interprtation avait t propose par mller 1889, p. 63, reprise par Jaussen et savignaC 1914, II, p. 33, puis par ryCkmans 1951, p. 19-0. Voir lanalyse rcente de Fars-Drappeau 2005, p. 0-1.

    10. Sur lemploi de la materlectionis h voir Fars-Drappeau 005, p. 6.

    11. Ab Al-AsAn 1999, p. 19.

    12. Fars-Drappeau 005, p. 6-0.

    13. Winnett 1940, p. 16.

    14. robin 1996, col. 118.

  • s.Fars

    dans le temple de Wd Ddn [] : RES 8.Une ddicace liynite,D45, rapporte quun prtre du dieu Wd offre -bt la statue dun esclave 15.

    Un nombre rduit de textes fait tat doffrandes des divinits dont on ignore si elles possdaient des temples Ddan. Le dieu hn-ktb est connu par un texte 16. Il est le dieu des scribes, dorigine babylonienne, et il a t probablement introduit Ddan pendant le sjour de dix ans de Nabonide Taym 17. Il est ador galement par les Nabatens 1. La divinit zh (al-Uza), est connue Ddan par un texte mentionnant une offrande. Vnre ensuite chez les Nabatens, elle en est une des principales divinits 19.

    Lt, la plus populaire des divinits dans la Pninsule arabique 20 nest connue Ddan que dans un texte qui rapporte le nom dune personne charge de son culte. Elle est surtout rpandue parmi la population nomade sur lensemble de la pninsule. Elle est, entre autre, la divinit dominante chez les Arabes de Jordanie du Sud. Enfin, le dieu Slmn est connu dans deux textes qui rapportent une offrande ce dieu 21.

    Clerg et culte

    On connat seulement deux types de personnels du temple : les fkl et les sl. Les premiers sont surtout connus dans les inscriptions de Khirbat al-Khurayba, les seconds al-Uzayb. On ignore la fonction exacte du fkl, mais sa frquente

    15. bdwd fkl Wd w-bn-h Slm w-Zdwd h-wdqw h-lm Slm h-(m)lt l--bt f-ry-h bdwd prtre de Wd et ses fils Slm et Zdwd ont offert le jeune esclave Slm (sous forme) de statue -bt Alors Il a t satisfait de lui : D45. Le mot quon rend par statuette est mlt dans le texte. Le mot mlt pose un problme de lecture. Jaussen et savignaC avaient lu [m]lt quils ont traduit par pour tre immol (1914, II, p. 20-22). grimme avait traduit par une punition exemplaire (exemplarische) Bestraffung (193, p. 99-300). Tandis que Caskel lit leur appartient eux trois lesclave Slim ihnen dreien gehrig Sklaven Slem (1954, p. 80), DeroChe rapproche mlt de la racine arabe ml dans laquelle il reconnat le nom spcifique dune offrande par laquelle un individu est substitu un autre (197, p. 174). Pour Winnett, mlt sexplique par lhbreu meull qui signifie three-year-old et qui apparat dans la Gense 15,9 indiquant le sacrifice danimal g de trois ans (1989, p. 14). Cest en sudarabique quil possde le sens le plus proche, statuette (Dictionnaire saben) ; voir Fars-Drappeau 2005, p. 2, 159.

    16. Fars-Drappeau 2000, p. 201-20.

    17. Fars-Drappeau 2005, p. 3-4.

    1. Strugnell 1959, p. 9-36.

    19. ZayaDine 1989, p. 13 ; healey 2001, p. 114-119.

    20. Fars-Drappeau 005, p. 85, texte n 6.

    21. Fars-Drappeau 005, p. 85-86.

  • lesFemmesprtressesDanslesreligionsarabesprislamiques

    apparition, plus tard, dans des inscriptions nabatennes, suppose quil sagit dun type de clerg nabaten 22. Le titre est connu au fminin et au masculin. Les inscriptions ne nous permettent de dfinir ni le rle des fkl, ni la hirarchie.

    Les plus connus sont les sl. Ils sont associs essentiellement une crmonie saisonnire de sacrifice et probablement donction du sang. Les textes ne dcrivent pas le droulement de la crmonie, mais uniquement laccomplissement de lacte. Le titre sl apparat dans la gnalogie uniquement. Cette gnalogie est associe la crmonie du sacrifice ou de lonction du sang. Le terme qui dsigne lacte (l h-ll) est dattestation unique dans les langues de lArabie prislamique. Les deux mots, le premier est un verbe, le second un nom, sont drivs de la mme racine. Le sens arabe du verbe serait offrir et celui du nom serait le sang . La racine ll et le titre sl apparaissent souvent dans les mmes textes. Sl, daprslarabe, signifie l arme . Ce titre est troitement li au dieu -bt (sl -bt = larme de -bt ) et la crmonie donction du sang des chamelles. Il serait probablement le porte-glaive , faisant rfrence loutil de sacrifice. Les Sl sont indiffremment des hommes et des femmes et pratiquent le mme geste. Les Sl ne semblent occuper leur fonction quune seule fois, car il ny a quune seule occurence de leur nom. Le suprieur des sl portait le titre superlatif Sln. Ce dernier semble avoir t galement un chef de la cit, puisque des textes ont t dats des annes dexercice de pouvoir (voir D49 et D105) 23.

    Le temple, demeure des dieux, semble avoir t construit Khirbat al-Khurayba et Umm Daraj. Aucun vestige nest connu Ikma, o se trouve le plus grand nombre de textes rituels relatifs la crmonie saisonnire.

    Comme dans toutes les religions, le rituel occupe une place centrale chez les Liynites. Il sagit dactes accomplir, de gestes excuter. Les rituels sont raliss dans des temples ou bien des sanctuaires de plein air. Jaussen et Savignac avaient dcrit une installation religieuse Khirbet al-Khurayba 24. En revanche, le site dal-Ikma, le sanctuaire rupestre o ont t trouves les inscriptions ddicatoires les plus riches, na fourni aucun difice religieux ce jour. Pourtant les inscriptions mentionnent des temples (bayt), les maisons des dieux .

    La crmonie de sacrifice ou donction du sang est clbre en lhonneur du dieu tutlaire de la cit : -bt. Cette crmonie consistait surtout en procession (gg) et en offrandes de produits et danimaux sacrifis. Selon un texte, la

    22. healey 1993, p. 3, 160-16.

    23. Fars-Drappeau 2005.

    24. Jaussen et savignaC 1914, p. 57-5. Ce site est en cours de fouille actuellement par lUniversit du roi Saud, les premires campagnes ont dvoil des objets et des installations trs imposantes : Al-saD, Les rsultats des fouilles archologiques Ddan (Arabie saoudite), communication dans le cadre du Cercle des Professionnels et des Amateurs de lArt , 19 mars 2007.

  • 8 s.Fars

    procession se droule en deux temps : dabord on bnissait lanimal dans le temple du dieu rg 25, ensuite on le conduisait au lieu de crmonie pour le sacrifier en faveur de -bt. Les chargs du culte des autres dieux accomplissaient galement cette tche en faveur de -bt 6. Le sacrifice tait ml la vie de tous les jours. On sacrifiait en faveur dune bonne rcolte de bls, de fruits, de dattes ; pour avoir une fortune, pour protger sa descendance ou pour gurir. On trouve parmi les donateurs des sl, des slt et des mt oblats . Ces sacrifices avaient lieu au lieu-dit Khl, qui correspond sans doute al-Uzayb actuel, ou dans la montagne (h-md), sans nommer cette dernire. Les textes indiquent : b-h-md qui correspondrait Jabal Umm Daraj aujourdhui27, o un sanctuaire en plein air et de nombreuses inscriptions ont t trouvs 2.

    Lun des lments les plus importants dans la concrtisation de lacte religieux est la statue. Dinnombrables statues ont t trouves Umm Daraj et Khirbat al-Khurayba. Les textes font tat de nombreuses offrandes de statuettes. Des personnes consacres au temple ont t offertes au dieu sous forme de statuettes 29.

    Les femmes dans le temple

    Les titres sacerdotaux sont ports aussi bien par les hommes que les femmes, avec une fonction fminine supplmentaire qui est mt. Confier une fonction sacerdotale une femme est assez rare dans les socits proche-orientales antiques, mais nest pas inusit 30.

    25. Zdl w-Bnwd w-bh[] -br w-mhm brh bn[]ms w-N w-ws w-zd[]dl w-hnhzy bnw zd[]nwd ggw hnq w-nyw b-bt-hmh[]tn l-rg w-lw b-md ll h[]l--bt f-ryhm w-rt-hm w-sd-hm. Snt r w-l ymn lf n [mny] [T]lmy bn []n mlk Lyn. Zdl et Bnwd et bh[]-br et leur mre brh bn[]ms et N et ws et Zd[]dl et hnhzy fils de zd[]Nwd ont sacralis la chamelle et leur btail, dans leur temple, []tn en faveur de rget ont sacrifi, la montagneen faveur de -bt. Il a t satisfait deux et Il les a bien guids. En lan 13, deux jours aprs que [mny] a poignard [T]lmy bn [L] n, roi de Liyn : D160, Voir D165, Fars-Drappeau 2005, p. 230.

    6. Voir supra, la prtresse du dieu Wd qui porte le titre de slt.

    27. D161, 162, 164, Fars-Drappeau 2005.

    2. abual-hasan 2002.

    29. Texte n D45, Fars-Drappeau 2005, p. 15.

    30. Voir par exemple larticle classique de renger 196.

  • lesFemmesprtressesDanslesreligionsarabesprislamiques

    Slt et fklt

    La fonction la plus atteste est celle de slt. Comme pour les hommes, il sagit dune fonction relative aux sacrifices saisonniers. Parmi les 600 textes liynites environ connus ce jour, six textes citent deux noms de fonction, relatifs aux temples, ports par des femmes : les titres slt et fklt. Slt, le fminin de sl, est mentionn cinq fois au fminin contre quatre au masculin et fklt, le fminin de fkl, est cit une seule fois. On connat peu de choses sur ces femmes. Elles semblent jouir de la mme libert et de la mme fonction que les hommes. Comme les hommes, leur gnalogie nest pas cite, seul leur prnom est mentionn, suivi de leur titre puis du nom du dieu -bt. Hormis une slt du dieu Wd 31, nous ne connaissons pas de sl oude slt au service des autres dieux. linverse, on ne connait pas de fklt au service de -bt. Comme les slt, les fklt nont pas de gnalogie, seul le nom suivi du thonyme est connu.

    mt

    Nom fminin dont le correspondant masculin serait bd esclave de . Cest un nom utilis surtout avec les thonymes. Les mt taient attaches au culte dun grand nombre de divinits, souvent trangres Ddan. Le sens de ce mot esclave pourrait faire croire quil sagit des esclaves sacres choisies parmi des captives trangres et consacres au service des divinits trangres. Ces mt exeraient dans le temple des fonctions qui nexigeaient pas un personnel spcialis. Elles sont des servantes analogues au irktu chez les Babyloniens 32. Ces mt sont consacres des dieux smitiques divers. On y trouve mtzh, servante du dieu zh : D101/2 ; mtbsmn : D112 33 ; mtyn D54/4 34. On ne connait pas

    31. Cette slt est par ailleurs une des chefs du clan -Yfn, une famille dorigine sud-arabe installe Ddan, o elle bnficie dun vritable pouvoir D162 : Smwh bnt Smr slt Wd w-Zyd bl-h -Yfn ll-h l--bt h-ll b-h-md f-r-hmy w-sd-hmy w[]. Smwh fille de Smr, prtresse de WD et Zyd les deux seigneurs du clan de -Yfn, ont offert -bt ces sacrifices dans cette montagne. Alors Il t satisfait deux deux et les a bien guids (Fars-Drappeau 2005).

    32. Dhorme 1949, p. 213-214.

    33. D112 : Hn w-m bn mtbsmn (g)w h-ll l--bt [f-r]-hm w-r[t-hm], Hn et m fils de mtbsmn, ont apport le sacrifice pour -Gbt, [alors Il a t satisfait] deux et les a bien guids . Le dieu Baalshamn est connu dans un autre texte laconique. Ce dieu dorigine cananenne a vu son culte se perptuer ensuite chez les Palmyrniens (iie s. apr. lre chrtienne) o un temple trs important lui tait consacr. Il a t ador galement par les Nabatens et les Safatiques (starCky 195, p. 06-09). En Syrie du sud ( S), il possdait un temple et de nombreuses inscriptions nabatennes trouves dans ce temple lui sont ddies (littmann 1914, p. 6-8 ; RES 2023)

    34. Yn, dont le sens est sauveur, librateur , est connu comme thonyme uniquement chez les Safatiques qui linvoquaient pour gurir leurs animaux. Chez les Liynites,

  • 10 s.Fars

    Ddan de temples consacrs ces dieux, ni un culte pratiqu en leur faveur. Les mt dune divinit trangre peuvent cumuler leur fonction avec celle de slt au service de -bt 35.

    Ces textes fournissent des lments pour rcrire lhistoire des religions des anciens Arabes, mais soulvent aussi, ce qui est leur principal intrt, la question de la matrilinarit et, plus gnralement, celle du lignage. Il ne sagit ici ni dun systme matrilinaire gnralis, ni dune socit matriarcale, mais dun recours ponctuel la matrilinarit. Lutilisation de la matrilinarit qui apparat dans un contexte bien particulier, o la mre pratique une fonction sacerdotale, oriente vers lhypothse quil sagit dune volont de proclamer une appartenance un groupe socialement important.

    De quoi sagit-il dans notre cas ? Les mres des auteurs des inscriptions sont des femmes pratiquant une fonction relative lacte sacrificiel. Cet acte, qui est lintermdiaire entre le dieu ador et le peuple adorateur, place les sacerdoces en tte de la hirarchie sociale. Il semble alors normal que le sacerdoce, ou la science sacerdotale, soit transmis la progniture, comme un hritage. Ces familles qui ont gagn par hritage la fonction sacerdotale, acquirent en quelque sorte le statut de familles sacerdotales, constituant un corps distinct dans la socit et formant une caste spcifique.

    Comme piste de travail, nous pourrions partir du postulat, en reprenant la formulation de R. Delige, selon lequel si la filiation est le principe qui gouverne la transmission de la parent ; lhritage (transmission des biens) et la succession (transmission des fonctions) tendent suivre le principe de la filiation 36. Exercer une fonction sacerdotale est un privilge et le droit dexercer cette fonction est un patrimoine que lon revendique au travers de sa gnalogie.

    Le lignage ne dtermine pas seulement lappartenance des groupes, mais aussi les rgles juridiques de la transmission des biens 37. Ainsi, Madin lih, une inscription nabatenne (Jaussen et savignaC 1909, inscriptions nabatennes, n 34), dclare que le propritaire de la tombe concerne est une femme.

    les Minens, les Nabatens et les Thamoudens, il est connu uniquement dans les thophores (Fars-Drappeau 005, lexique ; Cantineau 1930, lexique ; Jaussen et savignaC 1909, inscriptions minennes, n 1/4, n 1/ ; Jaussen et savignaC 1909, inscriptions thamoudennes, n 379 ).

    35. D101 : Rh bn Tmh w-mtzh slt -bt l-h h-ll l--bt b-Khl bd ml-hm b-Bdr f-r-hm w-rt-hm. Rh fils de Tmh etmtzh, prtresse de -bt, ont offert le sacrifice -bt, Khl en faveur de leurs rcoltes dhiver Bdr. Alors Il a t satisfait deux et les a bien guids (Fars-Drappeau 2005).

    36. Delige1,p.10-11.voir aussi BrunsChvig 195, p. 49-59.

    37. Voir ce propos, A.R. raDCliFFe-broWn, Structure et fonction dans la socit primitive (Structure and Function in Primitive Society, 195), trad. F. et L. Marin, Paris (1969) ; Meyer Fortes, Kinship and the Social Order, Londres (1969).

  • lesFemmesprtressesDanslesreligionsarabesprislamiques 11

    Linscription prcise que le statut juridique de cette tombe a t tabli par le pre de cette femme. Il dcline sa filiation par sa mre et sa tante et prcise que cette tombe sera rserve lui-mme, puis sa fille et la descendance de sa fille. Quiconque outrepasserait cet dit serait sanctionn par une amende. Le point notable de cette inscription est que cet homme donne son lignage par sa branche maternelle et non paternelle.

    Si une conclusion fonde sur des documents aussi allusifs mrite quelque crdit, on pourrait considrer ces inscriptions comme des textes de transmission de droit (hritage, fonction). Derrire la filiation fminine se dissimulerait probablement un droit successoral ou dhritage. Le droit serait port par la puissance de filiation.

    Saba FarsUniversit Nancy Maison de lOrient Mditerranen

    CNRS UMR 5189, [email protected]

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