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1. Jules SUPERVIELLE «Paris», Poèmes de la France malheureuse 2. Charles BAUDELAIRE PAYSAGE Tableaux Parisiens - Les fleurs du mal 3. Charles BAUDELAIRE Le cygne I 4. Charles BAUDELAIRE Le cygne II 5. Charles BAUDELAIRE Le crépuscule du matin 6. Jacques PRÉVERT La Seine a rencontré Paris 7. André LAUDE C’est la parade des grands monuments 8. Francis LEMARQUE A Paris 9. Jacques CHARPENTREAU Le Lion 10. Jacques CHARPENTREAU C’est place de la Concorde 11. Maurice CARÊME La Tour Eiffel 12. Henri THOMAS Je descendais la rue Soufflot 13. Jacques BREL Paris-blessure 14. MOULOUDJI J’ai le mal de Paris 15. Paul VERLAINE Clochi-clocha 16. Théophile GAUTIER L'obélisque de Paris 17. Victor HUGO Paris bloqué 18. Victor HUGO Jour de fête aux environs de Paris 19. Victor HUGO A l'Arc de triomphe 20. Paul VERLAINE L'aube à l'envers 21. Guillaume APOLLINAIRE Le pont Mirabeau, Alcools (1912) 22. Guillaume APOLLINAIRE Extrait de Zone, Alcools (1912) 23. Paul ELUARD Dans Paris 24. Jacques PREVERTChanson de la Seine 25. Paul VERLAINE Paris et la Seine 26. Paul VERLAINE Paris 27. Pierre REVERDY Plupart du temps 28. Jacques PRÉVERT Enfants de la haute ville 29. Alfred de MUSSET Que j'aime le premier frisson d'hiver... 30. Robert DESNOS Couplet da la rue de Bagnolet 31. Isaac de BENSERADE XVII s. Sur la ville de Paris 32. Louis ARAGON Extrait de "Absent de Paris" 33. Louis ARAGON Extrait de "Absent de Paris" 34. Louis ARAGON Paris 35. Louis ARAGON Sur le Pont Neuf 36. Louis ARAGON LES FEUX DE PARIS « Les Poètes » 37. Jacques DUTRONC Il Est Cinq Heures 38. André HARDELLET La Cité Montgol, Paris : Seghers, 1952 39. Jacques JOUET Poèmes de métro

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1. Jules SUPERVIELLE «Paris», Poèmes de la France malheureuse

2. Charles BAUDELAIRE PAYSAGE Tableaux Parisiens - Les fleurs du mal

3. Charles BAUDELAIRE Le cygne I

4. Charles BAUDELAIRE Le cygne II

5. Charles BAUDELAIRE Le crépuscule du matin

6. Jacques PRÉVERT La Seine a rencontré Paris

7. André LAUDE C’est la parade des grands monuments

8. Francis LEMARQUE A Paris

9. Jacques CHARPENTREAU Le Lion

10. Jacques CHARPENTREAU C’est place de la Concorde

11. Maurice CARÊME La Tour Eiffel

12. Henri THOMAS Je descendais la rue Soufflot

13. Jacques BREL Paris-blessure

14. MOULOUDJI J’ai le mal de Paris

15. Paul VERLAINE Clochi-clocha

16. Théophile GAUTIER L'obélisque de Paris

17. Victor HUGO Paris bloqué

18. Victor HUGO Jour de fête aux environs de Paris

19. Victor HUGO A l'Arc de triomphe

20. Paul VERLAINE L'aube à l'envers

21. Guillaume APOLLINAIRE Le pont Mirabeau, Alcools (1912)

22. Guillaume APOLLINAIRE Extrait de Zone, Alcools (1912)

23. Paul ELUARD Dans Paris

24. Jacques PREVERTChanson de la Seine

25. Paul VERLAINE Paris et la Seine

26. Paul VERLAINE Paris

27. Pierre REVERDY Plupart du temps

28. Jacques PRÉVERT Enfants de la haute ville

29. Alfred de MUSSET Que j'aime le premier frisson d'hiver...

30. Robert DESNOS Couplet da la rue de Bagnolet

31. Isaac de BENSERADE XVII s. Sur la ville de Paris

32. Louis ARAGON Extrait de "Absent de Paris"

33. Louis ARAGON Extrait de "Absent de Paris"

34. Louis ARAGON Paris

35. Louis ARAGON Sur le Pont Neuf

36. Louis ARAGON LES FEUX DE PARIS « Les Poètes »

37. Jacques DUTRONC Il Est Cinq Heures

38. André HARDELLET La Cité Montgol, Paris : Seghers, 1952

39. Jacques JOUET Poèmes de métro

1. Jules SUPERVIELLE «Paris», Poèmes de la France malheureuse

O Paris, ville ouverte

Ainsi qu'une blessure,

Que n'es-tu devenue

De la campagne verte.

Te voilà regardée

Par des yeux ennemis,

De nouvelles oreilles

Écoutent nos vieux bruits.

La Seine est surveillée

Comme du haut d'un puits

Et ses eaux jour et nuit

Coulent emprisonnées.

Tous les siècles français

Si bien pris dans la pierre

Vont-ils pas nous quitter

Dans leur grande colère ?

L'ombre est lourde de têtes

D'un pays étranger.

Voulant rester secrète

Au milieu du danger

S'éteint quelque merveille

Qui préfère mourir

Pour ne pas nous trahir

En demeurant pareille.

2. Charles BAUDELAIRE PAYSAGE Tableaux Parisiens - Les fleurs du mal

Je veux, pour composer chastement mes églogues,

Coucher auprès du ciel, comme les astrologues,

Et, voisin des clochers, écouter en rêvant

Leurs hymnes solennels emportés par le vent.

Je verrai l'atelier qui chante et qui bavarde ;

Les tuyaux, les clochers, ces mâts de la cité,

Et les grands ciels qui font rêver d'éternité.

Il est doux, à travers les brumes, de voir naître

L'étoile dans 1'azur, la lampe à la fenêtre,

Les fleuves de charbon monter au firmament

Et la lune verser son pâle enchantement.

Je verrai les printemps, les étés, les automnes ;

Et quand viendra l'hiver aux neiges monotones,

Je fermerai partout portières et volets

Pour bâtir dans la nuit mes féeriques palais.

Alors je rêverai des horizons bleuâtres,

Des jardins, des jets d'eau pleurant dans les albâtres,

Des baisers, des oiseaux chantant soir et matin,

Et tout ce que l'Idylle a de plus enfantin.

L'Émeute, tempêtant vainement à ma vitre,

Ne fera pas lever mon front de mon pupitre ;

Car je serai plongé dans cette volupté

D'évoquer le Printemps avec ma volonté,

De tirer an soleil de mon cœur et de faire

De mes pensers brûlants une tiède atmosphère.

3. Charles BAUDELAIRE Le cygne I

A Victor Hugo.

I

Andromaque, je pense à vous ! Ce petit fleuve,

Pauvre et triste miroir où jadis resplendit

L'immense majesté de vos douleurs de veuve,

Ce Simoïs menteur qui par vos pleurs grandit,

A fécondé soudain ma mémoire fertile,

Comme je traversais le nouveau Carrousel.

Le vieux Paris n'est plus (la forme d'une ville

Change plus vite, hélas ! que le coeur d'un mortel) ;

Je ne vois qu'en esprit, tout ce camp de baraques,

Ces tas de chapiteaux ébauchés et de fûts,

Les herbes, les gros blocs verdis par l'eau des flaques,

Et, brillant aux carreaux, le bric-à-brac confus.

Là s'étalait jadis une ménagerie ;

Là je vis, un matin, à l'heure où sous les cieux

Froids et clairs le travail s'éveille, où la voirie

Pousse un sombre ouragan dans l'air silencieux,

Un cygne qui s'était évadé de sa cage,

Et, de ses pieds palmés frottant le pavé sec,

Sur le sol raboteux traînait son blanc plumage.

Près d'un ruisseau sans eau la bête ouvrant le bec

Baignait nerveusement ses ailes dans la poudre,

Et disait, le coeur plein de son beau lac natal :

" Eau, quand donc pleuvras-tu ? quand tonneras-tu, foudre ? "

Je vois ce malheureux, mythe étrange et fatal,

Vers le ciel quelquefois, comme l'homme d'Ovide,

Vers le ciel ironique et cruellement bleu,

Sur son cou convulsif tendant sa tête avide

Comme s'il adressait des reproches à Dieu !

4. Charles BAUDELAIRE Le cygne II

A Victor Hugo. II

Paris change ! mais rien dans ma mélancolie

N'a bougé ! palais neufs, échafaudages, blocs,

Vieux faubourgs, tout pour moi devient allégorie,

Et mes chers souvenirs sont plus lourds que des rocs.

Aussi devant ce Louvre une image m'opprime :

Je pense à mon grand cygne, avec ses gestes fous,

Comme les exilés, ridicule et sublime,

Et rongé d'un, désir sans trêve ! et puis à vous,

Andromaque, des bras d'un grand époux tombée,

Vil bétail, sous la main du superbe Pyrrhus,

Auprès d'un tombeau vide en extase courbée ;

Veuve d'Hector, hélas ! et femme d'Hélénus !

Je pense à la négresse, amaigrie et phtisique,

Piétinant dans la boue, et cherchant, l'oeil hagard,

Les cocotiers absents de la superbe Afrique

Derrière la muraille immense du brouillard ;

A quiconque a perdu ce qui ne se retrouve

Jamais, jamais ! à ceux qui s'abreuvent de pleurs

Et tètent la douleur comme une bonne louve !

Aux maigres orphelins séchant comme des fleurs !

Ainsi dans la forêt où mon esprit s'exile

Un vieux Souvenir sonne à plein souffle du cor !

Je pense aux matelots oubliés dans une île,

Aux captifs, aux vaincus !... à bien d'autres encor !

5. Charles BAUDELAIRE Le crépuscule du matin

La diane chantait dans les cours des casernes,

Et le vent du matin soufflait sur les lanternes.

C'était l'heure où l'essaim des rêves malfaisants

Tord sur leurs oreillers les bruns adolescents ;

Où, comme un oeil sanglant qui palpite et qui bouge,

La lampe sur le jour fait une tache rouge ;

Où l'âme, sous le poids du corps revêche et lourd,

Imite les combats de la lampe et du jour.

Comme un visage en pleurs que les brises essuient,

L'air est plein du frisson des choses qui s'enfuient,

Et l'homme est las d'écrire et la femme d'aimer.

Les maisons çà et là commençaient à fumer.

Les femmes de plaisir, la paupière livide,

Bouche ouverte, dormaient de leur sommeil stupide ;

Les pauvresses, traînant leurs seins maigres et froids,

Soufflaient sur leurs tisons et soufflaient sur leurs doigts.

C'était l'heure où parmi le froid et la lésine

S'aggravent les douleurs des femmes en gésine ;

Comme un sanglot coupé par un sang écumeux

Le chant du coq au loin déchirait l'air brumeux ;

Une mer de brouillards baignait les édifices,

Et les agonisants dans le fond des hospices

Poussaient leur dernier râle en hoquets inégaux.

Les débauchés rentraient, brisés par leurs travaux.

L'aurore grelottante en robe rose et verte

S'avançait lentement sur la Seine déserte,

Et le sombre Paris, en se frottant les yeux,

Empoignait ses outils, vieillard laborieux.

6. Jacques PRÉVERT La Seine a rencontré Paris

Qui est là

toujours là dans la ville

et qui pourtant sans cesse arrive

et qui pourtant sans cesse s’en va

C’est un fleuve répond un enfant

un devineur de devinettes

Et puis l’œil brillant il ajoute

Et le fleuve s’appelle la Seine

quand la ville s’appelle Paris

et la Seine c’est comme une personne

Des fois elle court elle va très vite

elle presse le pas quand tombe le soir

Des fois au printemps elle s’arrête

et vous regarde comme un miroir

et elle pleure si vous pleurez

ou sourit pour vous consoler

et toujours elle éclate de rire

quand arrive le soleil d’été.

7. André LAUDE C’est la parade des grands monuments

C’est la parade des grands monuments

Tour Eiffel Notre-Dame

La foule va et vient baguenaude des Champs-Elysées

à la Défense.

Elle flâne du côté de l’Ecole militaire

où les beaux zouaves ont laissé la place

aux embouteillages.

Dans les voitures il y a des gens qui habitent

dans de grandes tours le long des grands boulevards

et qui achètent mille choses dans de grands magasins

et puis vont flâner le long des quais

pour oublier les fumées des usines

qui polluent la Seine

et tuent les légumes dans les jardins de banlieue.

Sous les grandes gares – Gare de Lyon – Gare d’Austerlitz - Gare du Nord – Gare de l’Est – Gare

Montparnasse

Le métro conduit aux musées

où derrière les vitrines lumineuses

la reine Karomama sourit avec ses lèvres orientales

et des jeunes filles rêveuses

vont acheter à la FNAC un album plein de photographies

de dieux et d’idoles qu’elles contemplent avec des yeux tristes

de somnambules urbaines.

8. Francis LEMARQUE A Paris

A Paris

Quand un amour fleurit

Ça fait pendant des semaines

Deux cœurs qui se sourient

Tout ça parce qu'ils s'aiment

A Paris

Au printemps

Sur les toits les girouettes

Tournent et font les coquettes

Avec le premier vent

Qui passe indifférent

Nonchalant

Car le vent

Quand il vient à Paris

N'a plus qu'un seul souci

C'est d'aller musarder

Dans tous les beaux quartiers

De Paris

Le soleil

Qui est son vieux copain

Est aussi de la fête

Et comme deux collégiens

Ils s'en vont en goguette

Dans Paris

Et la main dans la main

Ils vont sans se frapper

Regardant en chemin

Si Paris a changé

[…]

A Paris

Au quatorze juillet

A la lueur des lampions

On danse sans arrêt

Au son de l'accordéon

Dans les rues

Depuis qu'à Paris

On a pris la Bastille

Dans tous les faubourgs

Et à chaque carrefour

Il y a des gars

Et il y a des filles

Qui sur les pavés

Sans arrêt nuit et jour

Font des tours et des tours

A Paris

9. Jacques CHARPENTREAU Le Lion

A Denfert-Rochereau

Sur son socle là-haut

Un lion très comme il faut

Surveille les autos

Du matin jusqu’au soir

Il fait plaisir à voir

Image du devoir

C’est un lion sans histoires

Quand le temps est au beau

Le lion fait du vélo

Quand le temps est à l’eau

Il fait du pédalo

Il va voir ses amis

Les chevaux de Marly

Les lionceaux et les lions

Place de la Nation

Au milieu de la nuit

Le lion bâille et s’ennuie

Il saut de son socle

Il chausse son binocle

Il prend son parapluie

Et disparaît sans bruit

Dans les rues de Paris

La nuit les lions sont gris

Il revient au matin

D’un pas plus incertain

Il ôte son binocle

Il saute sur son socle

Et devient aussitôt

Un lion très comme il faut

Immobile là-haut

A Denfert-Rochereau

Comme un vieux Parisien

Le lion va le lion vient

Personne n’en sait rien

Mais en écoutant bien

On entend tout là-haut

A Denfert-Rochereau

Le gros lion qui ronronne

Ne le dis à personne.

10. Jacques CHARPENTREAU C’est place de la Concorde

C’est place de la Concorde à Paris

qu’un enfant assis au bord des fontaines

entre pas à pas au cœur de la nuit

fraîche comme l’eau claire des fontaines

Un enfant de nuit de rêve d’espoir

qui voudrait pouvoir lutter sans répit

contre son sommeil pour apercevoir

ses rêves de nuit venir à la vie

Toutes les voitures avec leurs phares

toutes les voitures tracent pour lui

des lignes de feu flottant dans la nuit

comme de longs fils de vierges où Paris

retient son cœur ses rêves ses espoirs

11. Maurice CARÊME La Tour Eiffel

Mais oui, je suis une girafe

M’a raconté la tour Eiffel.

Et si ma tête est dans le ciel,

C’est pour mieux brouter les nuages,

Car ils me rendent éternelle.

Mais j’ai quatre pieds bien assis

Dans une courbe de la Seine.

On ne s’ennuie pas à Paris.

Les femmes, comme des phalènes,

Les hommes, comme des fourmis,

Glissent sans fin entre mes jambes

Et les fous, les plus ingambes,

Montent et descendent le long

De mon cou comme des frelons.

La nuit, je lèche les étoiles.

Et si l’on m’aperçoit de loin

C’est que très souvent j’en avale

Une sans avoir l’air de rien.

12. Henri THOMAS Je descendais la rue Soufflot

Je descendais la rue Soufflot, quel âge avais-je, vingt-deux ans,

Sur les arbres du Luxembourg, la tour Eiffel au soleil couchant

Semblait faite de verre blond et poussiéreux,

Je ne recherche aucun détail, je crois voir briller des yeux,

Qui j’ai rencontré m’apparaît, la scène profonde se rouvre,

Le soleil du soir me guide de la Contrescarpe au Louvre,

Les cafés s’allument, je ferme un livre,

Je sens le délice et le supplice de vivre,

Les lumières font partout des espaces magiques,

L’amour inconnu se montre dans cette rouge musique,

Et le silence, le désert de la chambre où je rentrais tard,

Cette lampe que j’avais, phare de tous les départs,

Rien n’a sombré, tout grandit jusqu’au miroir de décembre,

Sur l’avenir s’ouvre toujours l’ancienne chambre.

13. Jacques BREL Paris-blessure Le soleil qui se lève

Et caresse les toits

Et c’est Paris le jour

La Seine qui se promène

Et me guide du doigt

Et c’est Paris toujours

Et mon cœur qui s’arrête

Sur ton cœur qui sourit

Et c’est Paris bonjour

Et ta main dans ma main

Qui me dit déjà oui

Et c’est Paris l’amour

Le premier rendez-vous

A l’île Saint-Louis

C’est Paris qui commence

Et le premier baiser

Volé aux Tuileries

Et c’est Paris la chance

Et le premier baisé

Reçu sous un portail

Et c’est Paris romance

Et deux têtes qui se tournent

En regardant Versailles

Et c’est Paris la France

Des jours que l’on oublie

Qui oublient de nous voir

Et c’est Paris l’espoir

Des heures où nos regards

Ne sont qu’un seul regard

Et c’est Paris miroir

Rien que des nuits encore

Qui séparent nos chansons

Et c’est Paris bonsoir

Et ce jour-là enfin

Où tu ne dis plus non

Et c’est Paris ce soir

Une chambre un peu triste

Où s’arrête la ronde

Et c’est Paris nous deux

Un regard qui reçoit

La tendresse du monde

Et c’est Paris tes yeux

Ce serment que je pleure

Plutôt que ne le dis

C’est Paris si tu veux

Et savoir que demain

Sera comme aujourd’hui

C’est Paris merveilleux

Mais la fin du voyage

La fin de la chanson

C’est Paris tout gris

Dernier jour, dernière heure

Première larme aussi

Et c’est Paris la pluie

Ces jardins remontés

Qui n’ont plus leur parure

Et c’est Paris l’ennui

La gare où s’accomplit

La dernière déchirure

Et c’est Paris fini

Loin des yeux loin du cœur

Chassé du paradis

Et c’est Paris chagrin

Mais une lettre de toi

Une lettre qui dit oui

Et c’est Paris demain

Des villes et des villages

Les roues tremblent de chance

C’est Paris en chemin

Et toi qui m’attends là

Et tout qui recommence

Et c’est Paris je reviens

14. MOULOUDJI J’ai le mal de Paris

J’ai le mal de Paris

De ses rues de ses boulevards

De son air triste et gris

De ses jours, des es soirs

Et l’odeur du métro

Me revient aussitôt

Que je quitte mon Paris

Pour des pays moins gris

J’ai le mal de la Seine

Qui écoute mes peines

Et je regrette tant

Les quais doux aux amants

J’aime me promener

Dans tous les beaux quartiers

Voir au Palais-Royal

Les filles à marier

Traîner à Montparnasse

De café en café

Et monter à Belleville

Tout en haut de la ville

Pour la voir en entier

J’ai le mal de Paris

Quand je suis loin d’ici

Me prend le vague à l’âme

J’ai le cœur qui s’ennuie

Et je rêve à cette dame

Dont les toits épanouis

Autour de Notre-Dame

Font des vagues infinies

J’ai le mal de la nuit

De la nuit de Paris

Quand les filles vont et viennent

A l’heure où moi je traîne

J’ai le mal des saisons

Qui poussent leur voiture

Dans les rues de Paris

Et changent sa parure

Le printemps va gaiement

Les arbres sont contents

Puis l’été se promène

Et c’est dimanche toute la semaine

Les feuilles tombent blêmes

J’ai le mal de Paris

Durant les jours d’hiver

C’est gris et c’est désert

Plein de mélancolie

Oui j’ai le mal d’amour

Et je l’aurai toujours

C’est drôle mais c’est ainsi

J’ai le mal de Paris.

15. Paul VERLAINE Clochi-clocha

L'église Saint-Nicolas

Du Chardonnet bat un glas,

Et l'église Saint-Étienne

Du Mont lance à perdre haleine

Des carillons variés

Pour de jeunes mariés,

Tandis que la cathédrale

Notre-Dame de Paris,

Nuptiale et sépulcrale,

Bourdonne dans le ciel gris.

Ainsi la chance bourrue

Qui m'a logé dans la rue

Saint-Victor, seize, le veut ;

Et l'on fait ce que l'on peut,

Surtout à l'endroit des cloches,

Quand on a peu dans ses poches

De cet or qui vous rend rois,

Et lorsque l'on déménage,

Vous permet de faire un choix

À l'abri d'un tel tapage.

Après tout, ce bruit n'est pas

Pour annoncer mon trépas

Ni mes noces. Lors, me plaindre

Est oiseux, n'ayant à craindre

De ce conflit de sonneurs

Grands malheurs ni gros bonheurs.

Faut en prendre l'habitude ;

C'est de la vie, aussi bien :

La voix douce et la voix rude

Se fondant en chant chrétien...

16. Théophile GAUTIER L'obélisque de Paris

Sur cette place je m'ennuie,

Obélisque dépareillé ;

Neige, givre, bruine et pluie

Glacent mon flanc déjà rouillé ;

Et ma vieille aiguille, rougie

Aux fournaises d'un ciel de feu,

Prend des pâleurs de nostalgie

Dans cet air qui n'est jamais bleu.

Devant les colosses moroses

Et les pylônes de Luxor,

Près de mon frère aux teintes roses

Que ne suis-je debout encor,

Plongeant dans l'azur immuable

Mon pyramidion vermeil

Et de mon ombre, sur le sable,

Écrivant les pas du soleil !

Rhamsès, un jour mon bloc superbe,

Où l'éternité s'ébréchait,

Roula fauché comme un brin d'herbe,

Et Paris s'en fit un hochet.

La sentinelle granitique,

Gardienne des énormités,

Se dresse entre un faux temple antique

Et la chambre des députés.

Sur l'échafaud de Louis seize,

Monolithe au sens aboli,

On a mis mon secret, qui pèse

Le poids de cinq mille ans d'oubli.

[…]

17. Victor HUGO Paris bloqué

Ô ville, tu feras agenouiller l'histoire.

Saigner est ta beauté, mourir est ta victoire.

Mais non, tu ne meurs pas. Ton sang coule, mais ceux

Qui voyaient César rire en tes bras paresseux,

S'étonnent : tu franchis la flamme expiatoire,

Dans l'admiration des peuples, dans la gloire,

Tu retrouves, Paris, bien plus que tu ne perds.

Ceux qui t'assiègent, ville en deuil, tu les conquiers.

La prospérité basse et fausse est la mort lente ;

Tu tombais folle et gaie, et tu grandis sanglante.

Tu sors, toi qu'endormit l'empire empoisonneur,

Du rapetissement de ce hideux bonheur.

Tu t'éveilles déesse et chasses le satyre.

Tu redeviens guerrière en devenant martyre ;

Et dans l'honneur, le beau, le vrai, les grandes moeurs,

Tu renais d'un côté quand de l'autre tu meurs.

18. Victor HUGO Jour de fête aux environs de Paris

Midi chauffe et sème la mousse ;

Les champs sont pleins de tambourins ;

On voit dans une lueur douce

Des groupes vagues et sereins.

Là-bas, à l'horizon, poudroie

Le vieux donjon de saint Louis ;

Le soleil dans toute sa joie

Accable les champs éblouis.

L'air brûlant fait, sous ses haleines

Sans murmures et sans échos,

Luire en la fournaise des plaines

La braise des coquelicots.

Les brebis paissent inégales ;

Le jour est splendide et dormant ;

Presque pas d'ombre ; les cigales

Chantent sous le bleu flamboiement.

Voilà les avoines rentrées.

Trêve au travail. Amis, du vin !

Des larges tonnes éventrées

Sort l'éclat de rire divin.

[…]

Les enfants courent par volée.

Clichy montre, honneur aux anciens !

Sa grande muraille étoilée

Par la mitraille des Prussiens.

La charrette roule et cahote ;

Paris élève au loin sa voix,

Noir chiffonnier qui dans sa hotte

Porte le sombre tas des rois.

On voit au loin les cheminées

Et les dômes d'azur voilés ;

Des filles passent, couronnées

De joie et de fleurs, dans les blés.

19. Victor HUGO A l'Arc de triomphe

(extrait)

II

Oh ! Paris est la cité mère !

Paris est le lieu solennel

Où le tourbillon éphémère

Tourne sur un centre éternel !

Paris ! feu sombre ou pure étoile !

Morne Isis couverte d'un voile !

Araignée à l'immense toile

Où se prennent les nations !

Fontaine d'urnes obsédée !

Mamelle sans cesse inondée

Où pour se nourrir de l'idée

Viennent les générations !

Quand Paris se met à l'ouvrage

Dans sa forge aux mille clameurs,

A tout peuple, heureux, brave ou

sage,

Il prend ses lois, ses dieux, ses

moeurs.

Dans sa fournaise, pêle-mêle,

Il fond, transforme et renouvelle

Cette science universelle

Qu'il emprunte à tous les humains ;

Puis il rejette aux peuples blêmes

Leurs sceptres et leurs diadèmes,

Leurs préjugés et leurs systèmes,

Tout tordus par ses fortes mains !

Paris, qui garde, sans y croire,

Les faisceaux et les encensoirs,

Tous les matins dresse une gloire,

Eteint un soleil tous les soirs ;

Avec l'idée, avec le glaive,

Avec la chose, avec le rêve,

Il refait, recloue et relève

L'échelle de la terre aux cieux ;

Frère des Memphis et des Romes,

Il bâtit au siècle où nous sommes

Une Babel pour tous les hommes,

Un Panthéon pour tous les dieux !

Ville qu'un orage enveloppe !

C'est elle, hélas ! qui, nuit et jour,

Réveille le géant Europe

Avec sa cloche et son tambour !

Sans cesse, qu'il veille ou qu'il dorme,

Il entend la cité difforme

Bourdonner sur sa tête énorme

Comme un essaim dans la forêt.

Toujours Paris s'écrie et gronde.

Nul ne sait, question profonde !

Ce que perdrait le bruit du monde

Le jour où Paris se tairait !

20. Paul VERLAINE L'aube à l'envers

Le Point-du-Jour avec Paris au large,

Des chants, des tirs, les femmes qu'on " rêvait ",

La Seine claire et la foule qui fait

Sur ce poème un vague essai de charge.

On danse aussi, car tout est dans la marge

Que fait le fleuve à ce livre parfait,

Et si parfois l'on tuait ou buvait,

Le fleuve est sourd et le vin est litharge.

Le Point-du-Jour, mais c'est l'Ouest de Paris !

Un calembour a béni son histoire

D'affreux baisers et d'immondes paris.

En attendant que sonne l'heure noire

Où les bateaux-omnibus et les trains

Ne partent plus, tirez, tirs, fringuez, reins !

21. Guillaume APOLLINAIRE Le pont Mirabeau, Alcools (1912)

Sous le pont Mirabeau coule la Seine

Et nos amours

Faut-il qu’il m’en souvienne

La joie venait toujours après la peine.

Vienne la nuit sonne l’heure

Les jours s’en vont je demeure

Les mains dans les mains restons face à face

Tandis que sous

Le pont de nos bras passe

Des éternels regards l’onde si lasse

Vienne la nuit sonne l’heure

Les jours s’en vont je demeure

L’amour s’en va comme cette eau courante

L’amour s’en va

Comme la vie est lente

Et comme l’Espérance est violente

Vienne la nuit sonne l’heure

Les jours s’en vont je demeure

Passent les jours et passent les semaines

Ni temps passé

Ni les amours reviennent

Sous le pont Mirabeau coule la Seine.

22. Guillaume APOLLINAIRE Extrait de Zone, Alcools (1912)

A la fin tu es las de ce monde ancien

Bergère ô tour Eiffel le troupeau des ponts bêle ce matin

Tu en as assez de vivre dans l'antiquité grecque et romaine

Ici même les automobiles ont l'air d'être anciennes

La religion seule est restée toute neuve la religion

Est restée simple comme les hangars de Port-Aviation

Seul en Europe tu n'es pas antique ô Christianisme

L'Européen le plus moderne c'est vous Pape Pie X

Et toi que les fenêtres observent la honte te retient

D'entrer dans une église et de t'y confesser ce matin

Tu lis les prospectus les catalogues les affiches qui chantent tout haut

Voilà la poésie ce matin et pour la prose il y a les journaux

Il y a les livraisons à 25 centimes pleines d'aventure policières

Portraits des grands hommes et mille titres divers

J'ai vu ce matin une jolie rue dont j'ai oublié le nom

Neuve et propre du soleil elle était le clairon

Les directeurs les ouvriers et les belles sténo-dactylographes

Du lundi matin au samedi soir quatre fois par jour y passent

Le matin par trois fois la sirène y gémit

Une cloche rageuse y aboie vers midi

Les inscriptions des enseignes et des murailles

Les plaques les avis à la façon des perroquets criaillent

J'aime la grâce de cette rue industrielle

Située à Paris entre la rue Aumont-Thieville et l'avenue des Ternes

[...]

23. Paul ELUARD Dans Paris

Dans Paris il y a une rue; Dans cette rue il y a une maison; Dans cette maison il y a un escalier; Dans cet escalier il y a une chambre; Dans cette chambre il y a une table; Sur cette table il y a un tapis; Sur ce tapis il y a une cage;

Dans cette cage il y a un nid; Dans ce nid il y a un œuf, Dans cet œuf il y a un oiseau.

L'oiseau renversa l' œuf;

L' œuf renversa le nid;

Le nid renversa la cage;

La cage renversa le tapis;

Le tapis renversa la table;

La table renversa la chambre;

La chambre renversa l'escalier;

L'escalier renversa la maison;

la maison renversa la rue;

la rue renversa la ville de Paris.

24. Jacques PRÉVERT Chanson de la Seine

La Seine a de la chance

Elle n'a pas de souci

Elle se la coule douce

Le jour comme la nuit

Et elle sort de sa source

Tout doucement, sans bruit...

Sans sortir de son lit

Et sans se faire de mousse,

Elle s'en va vers la mer

En passant par Paris.

La Seine a de la chance

Elle n'a pas de souci

Et quand elle se promène

Tout au long de ses quais

Avec sa belle robe verte

Et ses lumières dorées

Notre-Dame jalouse,

Immobile et sévère

Du haut de toutes ses pierres

La regarde de travers

Mais la Seine s'en balance

Elle n'a pas de souci

Elle se la coule douce

Le jour comme la nuit

Et s'en va vers le Havre

Et s'en va vers la mer

En passant comme un rêve

Au milieu des mystères

Des misères de Paris.

25. Paul VERLAINE Paris et la Seine

Toi, Seine, tu n'as rien. Deux quais, et voilà tout,

Deux quais crasseux, semés de l'un à l'autre bout

D'affreux bouquins moisis et d'une foule insigne

Qui fait dans l'eau des ronds et qui pêche à la ligne

Oui, mais quand vient le soir, raréfiant enfin

Les passants alourdis de sommeil et de faim,

Et que le couchant met au ciel des taches rouges,

Qu'il fait bon aux rêveurs descendre de leurs bouges

Et, s'accoudant au pont de la Cité, devant

Notre-Dame, songer, cœur et cheveux au vent !

Les nuages, chassés par la brise nocturne,

Courent, cuivreux et roux, dans l'azur taciturne;

Sur la tête d'un roi du portail, le soleil,

Au moment de mourir, pose un baiser vermeil.

L'hirondelle s'enfuit à l'approche de l'ombre

Et l'on voit voleter la chauve-souris sombre.

Tout bruit s'apaise autour. A peine un vague son

Dit que la ville est là qui chante sa chanson.

26. Paul VERLAINE Paris

Paris n'a de beauté qu'en son

histoire,

Mais cette histoire est belle tellement

!

La Seine est encaissée absurdement,

Mais son vert clair à lui seul vaut la

gloire.

Paris n'a de gaîté que son bagout,

Mais ce bagout, encor qu'assez

immonde,

Il fait le tour des langages du monde,

Salant un peu ce trop fade ragoût.

Paris n'a de sagesse que le sombre

Flux de son peuple et de ses factions,

Alors qu'il fait des révolutions

Avec l'Ordre embusqué dans la

pénombre.

Paris n'a que sa Fille de charmant

Laquelle n'est au prix de l'Exotique

Que torts gentils et vice peu pratique

Et ce quasi désintéressement.

Paris n'a de bonté que sa légère

Ivresse de désir et de plaisir,

Sans rien de trop que le vague désir

De voir son plaisir égayer son frère.

Paris n'a rien de triste et de cruel

Que le poëte annuel ou chronique,

Crevant d'ennui sous l'oeil d'une

clinique

Non loin du vieil ouvrier fraternel.

Vive Paris quand même et son

histoire

Et son bagout et sa Fille, naïf

Produit d'un art pervers et primitif,

Et meure son poëte expiatoire !

27. Pierre REVERDY Plupart du temps

Il y a parfois dans la ville ceux qui ne bougent plus

entre les murs noircis comme des pages pleines

Le cadre illuminé passant sur les trottoirs

Dans ce paysage parisien roux à l’heure où on n’allume

pas encore les vitrines

Il y a tous ceux qui passent feuilles et gens

Sur le fond du jardin bien rangé sous le ciel

A droite les belles rues

A gauche le grand fleuve

Ceux qui ne bougent pas et qui parlent sur la terrasse

dallée près de la balustrade noire au reflet vert

La ville tourne autour de l’obélisque et la province

regarde les images

Les images en relief et en couleurs

Il y a au fond de l’air cette algue majuscule

Cette tête nue sous les éclairs

Cette figure précise plus fine et plus réelle qui se détache

en clair

Sur le brouillard.

28. Jacques PRÉVERT Enfants de la haute ville

Enfants de la haute ville

filles des bas quartiers

le dimanche vous promène

dans la rue de la Paix

Le quartier est désert

les magasins fermés

Mais sous le ciel gris souris

la ville est un peu verte

derrière les grilles des Tuileries

Et vous dansez sans le savoir

vous dansez en marchant

sur les trottoirs cirés

Et vous lancez la mode

sans même vous en douter

Un manteau de fou rire

sur vos robes imprimées

Et vos robes imprimées

sur le velours potelé

de vos corps amoureux

tout nouveaux tout dorés

Folles enfants de la haute ville

ravissantes filles des bas quartiers

modèles impossibles à copier

cover-girls

colored girls

de la Goutte d'Or ou de Belleville

de Grenelle ou de Bagnolet.

29. Alfred de MUSSET Que j'aime le premier frisson d'hiver...

Que j'aime le premier frisson d'hiver ! le chaume,

Sous le pied du chasseur, refusant de ployer !

Quand vient la pie aux champs que le foin vert embaume,

Au fond du vieux château s'éveille le foyer ;

C'est le temps de la ville. - Oh ! lorsque l'an dernier,

J'y revins, que je vis ce bon Louvre et son dôme,

Paris et sa fumée, et tout ce beau royaume

(J'entends encore au vent les postillons crier),

Que j'aimais ce temps gris, ces passants, et la Seine

Sous ses mille falots assise en souveraine !

J'allais revoir l'hiver. - Et toi, ma vie, et toi !

Oh ! dans tes longs regards j'allais tremper mon âme

Je saluais tes murs. - Car, qui m'eût dit, madame,

Que votre coeur sitôt avait changé pour moi ?

30. Robert DESNOS Couplet da la rue de Bagnolet

Le soleil de la rue de Bagnolet

N'est pas un soleil comme les autres.

Il se baigne dans le ruisseau,

Il se coiffe avec un seau,

Tout comme les autres,

Mais, quand il caresse mes épaules,

C'est bien lui et pas un autre,

Le soleil de la rue de Bagnolet

Qui conduit son cabriolet

Ailleurs qu'aux portes des palais.

Soleil ni beau ni laid,

Soleil tout drôle et tout content,

Soleil d'hiver et de printemps,

Soleil de la rue de Bagnolet,

Pas comme les autres.

31. Isaac de BENSERADE XVII s. Sur la ville de Paris

Rien n'égale Paris ; on le blâme, on le louë ;

L'un y suit son plaisir, l'autre son interest ;

Mal ou bien, tout s'y fait, vaste grand comme il est

On y vole, on y tuë, on y pend, on y rouë.

On s'y montre, on s'y cache, on y plaide, on y jouë ;

On y rit, on y pleure, on y meurt, on y naist :

Dans sa diversité tout amuse, tout plaist,

Jusques à son tumulte et jusques à sa bouë.

Mais il a ses défauts, comme il a ses appas,

Fatal au courtisan, le roy n'y venant pas ;

Avecque sûreté nul ne s'y peut conduire :

Trop loin de son salut pour être au rang des saints,

Par les occasions de pécher et de nuire,

Et pour vivre longtemps trop prés des médecins.

32. Louis ARAGON Extrait de "Absent de Paris"

[...]

C'est un pont que je vois si je clos mes paupières La Seine y tourne avec ses tragiques totons Ô noyés dans ses bras noueux comment dort-on C'est un pont qui s'en va dans les loges de pierre Des repos arrondis en forment les festons

Un roi de bronze noir à cheval le surmonte Et l'île qu'il franchit à double floraison Pour verdure un jardin pour roses des maisons On dirait un bateau sur son ancre de fonte Que font trembler les voitures de livraison

L'aorte du Pont-Neuf frémit comme un orchestre Où j'entends préluder le vin de mes vingt ans Il souffle un vent ici qui vient des temps d'antan Mourir comme les cheveux de la statue équestre La ville comme un coeur s'y ouvre à deux battants

Sachant qu'il faut périr les garçons de mon âge Mirage se leurraient d'une ville au ciel gris Nous derniers nés d'un siècle et ses derniers conscrits Les pieds pris dans la boue et la tête aux nuages Nous attendions l'heure H en parlant de Paris

Quand la chanson disait Tu reverras Paname Ceux qu'un oeillet de sang allait fleurir tantôt Quelque part devant Saint-Mihiel ou Neufchâteau Entourant le chanteur comme des mains la flamme Sentaient frémir en eux la pointe du couteau

Depuis lors j'ai toujours trouvé dans ce que j'aime Un reflet de ma ville une ombre de ses rues Monuments oubliés passages disparus J'ai plus écrit de toi Paris que de moi-même Et plus qu'en mon soleil en toi Paris j'ai cru

[…]

33. Louis ARAGON Extrait de "Absent de Paris"

[...]

C'est Paris ce théâtre d'ombres que je porte Mon Paris qu'on ne peut tout fait m'avoir pris Pas plus qu'on ne peut prendre à des lèvres leur cri Que n'aura-t-il fallu pour m'en mettre ŕ la porte Arrachez-moi le coeur vous y verrez Paris C'est de ce Paris-là que j'ai fait mes poèmes Mes mots sont la couleur étrange de ces toits La gorge des pigeons y roucoule et chatoie J'ai plus écrit de toi Paris que de moi-même

Et plus que de vieillir souffert d'être sans toi [...] Une chanson qui dit un mal inguérissable Plus triste qu'à minuit la Place d'Italie Pareille au Point-du-Jour pour la mélancolie Plus de rêves aux doigts que le marchand de sable Annonçant le plaisir comme un marchand d'oublies

Une chanson vulgaire et douce où la voix baisse Comme un amour d'un soir doutant du lendemain Une chanson qui prend les femmes par la main Une chanson qu'on dit sous le métro Barbès Et qui change à l'Étoile et descend à Jasmin

Le vent murmurera mes vers aux terrains vagues Il frôlera les bancs où nul ne s'est assis On l'entendra pleurer sur le quai de Passy Et les ponts répétant la promesse des bagues S'en iront fiancés aux rimes que voici [...]

34. Louis ARAGON Paris

Où fait-il bon même au cœur de l'orage

Où fait-il clair même au cœur de la nuit

L'air est alcool et le malheur courage

Carreaux cassés l'espoir encore y luit

Et les chansons montent des murs détruits

Jamais éteint renaissant dans sa braise

Perpétuel brûlot de la patrie

Du Point-du-Jour jusqu'au Père Lachaise

Ce doux rosier au mois d'août refleuri

Gens de partout c'est le sang de Paris

Rien n'a l'éclat de Paris dans la poudre

Rien n'est si pur que son front d'insurgé

Rien n'est si fort ni le feu ni la foudre

Que mon Paris défiant les dangers

Rien n'est si beau que ce Paris que j'ai

Rien ne m'a fait jamais battre le cœur

Rien ne m'a fait ainsi rire et pleurer

Comme ce cri de mon peuple vainqueur

Rien n'est si grand qu'un linceul déchiré

Paris Paris soi-même libéré.

35. Louis ARAGON Sur le Pont Neuf

Sur le Pont Neuf j’ai rencontré D’où sort cette chanson lointaine

D’une péniche mal ancrée Ou du métro Samaritaine

Sur le Pont Neuf j’ai rencontré Sans chien sans canne sans pancarte Pitié pour les désespérés Devant qui la foule s’écarte

Sur le Pont Neuf j’ai rencontré L’ancienne image de moi-même Qui n’avait d’yeux que pour pleurer De bouche que pour le blasphème

[…]

Sur le Pont Neuf j’ai rencontré Le joueur qui joua son âme Comme une colombe égarée Entre les tours de Notre-Dame

Sur le Pont Neuf j’ai rencontré Ce spectre de moi qui commence La ville à l’aval est dorée A l’amont se meurt la romance

Sur le Pont Neuf j’ai rencontré Ce pauvre petit mon pareil

Il m’a sur la Seine montré Au loin les taches de soleil

Sur le Pont Neuf j’ai rencontré Mon autre au loin ma mascarade Et dans le jour décoloré Il m’a dit tout bas Camarade

Sur le Pont Neuf j’ai rencontré Mon double ignorant et crédule Et je suis longtemps demeuré Dans ma propre ombre qui recule

Sur le Pont Neuf j’ai rencontré Assis à l’usure des pierres Le refrain que j’ai murmuré Le rêve qui fut ma lumière

Aveugle aveugle rencontré

Passant avec tes regards veufs

Ô mon passé désemparé

Sur le Pont Neuf.

36. Louis ARAGON LES FEUX DE PARIS « Les Poètes »

Toujours quand aux matins obscènes Entre les jambes de la Seine Comme une noyée aux yeux fous De la brume de vos poèmes L'Île Saint-Louis se lève blême Baudelaire je pense à vous

Lorsque j'appris à voir les choses O lenteur des métamorphoses C'est votre Paris que je vis Il fallait pour que Paris change Comme bleuissent les oranges Toute la longueur de ma vie

Mais pour courir ses aventures La ville a jeté sa ceinture De murs d'herbe verte et de vent Elle a fardé son paysage Comme une fille son visage Pour séduire un nouvel amant

Rien n'est plus à la même place Et l'eau des fontaines Wallace Pleure après le marchand d'oublies Qui criait le Plaisir Mesdames Quand les pianos faisaient des gammes Dans les salons à panoplies

[…]

Au diable la beauté lunaire Et les ténèbres millénaires Plein feu dans les Champs-Elysées Voici le nouveau carnaval Où l'électricité ravale Les édifices embrasés

Plein feu sur l'homme et sur la femme Sur le Louvre et sur Notre-Dame Du Sacré-Coeur au Panthéon Plein feu de la Concorde aux Ternes

Plein feu sur l'univers moderne Plein feu sur notre âme au néon

Plein feu sur la noirceur des songes Plein feu sur les arts du mensonge

Flambe perpétuel été Flambe de notre flamme humaine Et que partout nos mains ramènent Le soleil de la vérité.

37. Jacques DUTRONC Il Est Cinq Heures

Je suis le dauphin de la place Dauphine Et la place Blanche a mauvaise mine Les camions sont pleins de lait Les balayeurs sont pleins de balais Il est cinq heures Paris s'éveille Paris s'éveille Les travestis vont se raser Les stripteaseuses sont rhabillées Les traversins sont écrasés Les amoureux sont fatigués Il est cinq heures Paris s'éveille Paris s'éveille Le café est dans les tasses Les cafés nettoient leurs glaces Et sur le boulevard Montparnasse La gare n'est plus qu'une carcasse Il est cinq heures Paris s'éveille Paris s'éveille

La tour Eiffel a froid aux pieds L'Arc de Triomphe est ranimé Et l'Obélisque est bien dressé Entre la nuit et la journée Il est cinq heures Paris s'éveille Paris s'éveille Les banlieusards sont dans les gares A la Villette on tranche le lard Paris by night, regagne les cars Les boulangers font des bâtards Il est cinq heures Paris s'éveille Paris s'éveille Les journaux sont imprimés Les ouvriers sont déprimés Les gens se lèvent, ils sont brimés C'est l'heure où je vais me coucher Il est cinq heures Paris se lève Il est cinq heures Je n'ai pas sommeil.

38. André HARDELLET La Cité Montgol, Paris : Seghers, 1952

Les muses du quai de Bercy M'avaient conduit jusqu'à Grenelle Et leurs sœurs de la Grange-aux-Belles Vers les jardins clos de Passy, La nuit s'entendait avec elles, Les muses du quai de Bercy. J'allais dans Paris, port de songe

Ouvert au piéton noctambule, Avec des amis de toujours Embarqués vers le crépuscule Et disparus au point du jour. J'allais dans Paris port de songe. Restif, Nerval, Apollinaire, Léon-Paul Fargue et tous les autres

Qui me montriez le chemin, Abordez-vous les lendemains Rayonnant sur les îles claires ? Restif, Nerval, Apollinaire... D'abord c'est le dimanche au cœur : Un départ à Paris-Bastille Vers les Eldorados sur Marne, La blonde en robe de fraîcheur, Ses seins fleuris par les jonquilles. D'abord c'est le dimanche au cœur. Salut les valseurs du bitume ! Voici les quatorze Juillet, Tant de filles comme un bouquet Offert par l'Été qui s'allume Et la faim qui nous en prenait. Salut les valseurs du bitume ! Puis la musique s'atténue

Dans un soupir d'accordéon, Déjà l'ombre a cerné la rue Où brille en lettres de néon La magique enseigne d'un BAL. Puis la musique s'atténue. J'entre mais vous n'êtes pas là, Ce soir non plus, mes Vénitiennes, Vous que mon rêve suscitait D'un nom évoquant la blondeur Sans qu'il vous rencontrât jamais. J'entre, mais vous n'êtes pas là. […] L'aube va chasser le silence Rassemblant ses oiseaux de feutre, Maintenant la ville apparaît – Et voici demain qui commence Entre deux nuits et leurs secrets. L'aube va chasser le silence.

39. Jacques JOUET Poèmes de métro

J'écris, de temps à autre, des poèmes de métro. Ce poème en est un.

Voulez-vous savoir ce qu'est un poème de métro ? Admettons que la réponse soit oui. Voici donc

ce qu'est un poème de métro.

Un poème de métro est un poème composé dans le métro, pendant le temps d'un parcours.

Un poème de métro compte autant de vers que votre voyage compte de stations moins un.

Le premier vers est composé dans votre tête entre les deux premières stations de votre voyage (en

comptant la station de départ).

Il est transcrit sur le papier quand la rame s'arrête à la station deux.

Le deuxième vers est composé dans votre tête entre les stations deux et trois de votre voyage.

Il est transcrit sur le papier quand la rame s'arrête à la station trois. Et ainsi de suite.

Il ne faut pas transcrire quand la rame est en marche.

Il ne faut pas composer quand la rame est arrêtée.

Le dernier vers du poème est transcrit sur le quai de votre dernière station.

Si votre voyage impose un ou plusieurs changements de ligne, le poème comporte deux strophes

ou davantage.

Si par malchance la rame s'arrête entre deux stations, c'est toujours un moment délicat de

l'écriture d'un poème de métro.