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Depuis plus de vingt ans, l'artiste contemporain américain Mark Dion explore les croisements entre art et science, visions et production de connaissance, collection et modes de présentation. En prenant la place d'un scientifique amateur, d'un collectionneur, d'un historien ou d'un biologiste, Mark Dion porte un regard souvent humoristique mais critique sur les relations entre culture et nature. Dans différentes installations et projets in-situ spécifiques, Mark Dion investit les questions suivantes : par quels chemins et par quels moyens explorons- nous le monde ? Pourquoi les 18e et 19e siècles ont- ils été témoins d'une escalade de la découverte ? Comment transformer des expressions de la nature en culture ? Quelle idée a-t-on d'un musée ? Comment classifier des objets et des concepts créatifs ? Comment construisons-nous l'histoire ? Mark Dion relance les débats sur l'évolution de l'histoire naturelle, le rôle du scientifique et les (re)présentations de la nature et des systèmes écologiques en science, au musée, au zoo et dans les œuvres d'art. Il relance également les questions sur le rôle de l'artiste (comme interprète, performer, critique) et sur la fonction de l'art (une zone libre de débats critiques, d'exposés ou d'inspection des systèmes de valeur culturel ?). En s'adressant à la manière que nous avons de voir et de parler du monde qui nous entoure, Mark Dion s'attarde sur les contradictions entre notre perception commune des systèmes de connaissance (l'évolution de l'histoire) et notre aptitude à faire proliférer les (contes) récits. Mark Dion explore le musée comme une métaphore de la connaissance commune. Le projet est développé en cinq différentes sections qui suivent les classements de la connaissance scientifique proposés dans les musées d'Histoire Naturelle du XIXe siècle : géologie, entomologie, archéologie, ornithologie, mammalogie. Un sixième chapitre est centré sur les musées et la culture de la collection. Dans chaque présentation de l'itinérance, l'artiste complètera ses travaux avec des spécimens des collections locales d'histoire naturelle. UNE PROMENADE A LA SURFACE DU MONDE A l'heure où le monde se propose de plus en plus fréquemment à notre premier usage par l'image, Mark Dion dans une collecte inlassable, affirme le réel pour irréductible. Depuis le XVIIIe siècle et la découverte de la Nature comme miroir de l'activité humaine, la figure du promeneur, renouvelé au XIXe et au XXe siècle par des auteurs comme Baudelaire, Walter Benjamin ou W. Sebald, est la métaphore de l'homme moderne mais aussi de l'artiste. Elle se distingue par sa mélancolie également. La promenade de Mark Dion est, elle, une promenade heureuse, née de la curiosité aiguë de l'artiste. Elle rend le monde inépuisable. Mark Dion, artiste voyageur en perpétuel mouvement, héritier de la tradition occidentale des explorateurs n'ignore aucun recoin de la planète. Mais plus important encore est le transfert de leurs méthodes à notre monde immédiat. Dans le rationalisme du XVIIe siècle, la question de la mesure, de l'angle d'approche met en forme la réflexion scientifique. La révolution copernicienne exposée par Pascal est le retournement des termes de la comparaison, le soleil et le globe terrestre. Dans son humour, Mark Dion procède de même, de la jungle à la " jungle de béton ", des animaux naturalisés à Mickey… Mark Dion glisse dans l'espace et le temps. Sous les marches des ères géologiques de Deep Time Closet, comme dans les tombes égyptiennes, le ciel est étoilé, car l'entropie peut être belle. Cette légèreté n'est pas que celle du déplacement géographique, mais aussi celle de l'emprunt, de l'indice, de la coïncidence. Mark Dion a choisi d'investir un ordre qui n'est pas le sien. L'art mêlé de nombreuses scories se joue de lui-même et des autres. Usant de procédures de métissage et de contamination, tantôt créateur romantique ou anthropologue investi dans le contexte social, Mark Dion témoigne d'une immense liberté. La marge et le collage, le rapprochement improbable des espèces, les techniques les plus sérieuses appliquées aux greniers et aux terrains vagues en sont les modes de développement. Mark Dion aime les espèces parasites: le rat, la mouette… C'est que loin des anathèmes de paradis perdu fréquents sur le thème de l'environnement, de cette impureté naissent l'œuvre et le mouvement des idées. Au travers de ses pièces, la science est aussi un grand récit, une fiction avec ses héros animaux autant que ses génies scientifiques. Dans la taupe en peluche, reproduction exacte de l'expérience de Jean-Henri Fabre, est-ce vraiment l'attaque des insectes nécrophores qui centre l'attention, ou le pendu, image de souffrance presque humaine ? Si Mark Dion privilégie le cabinet bien rangé, le Theatrum Mundi, c'est pour en interroger la représentation, non pour la figer. Dion ne propose pas une archéologie de la connaissance. Il la met en mouvement. De nombreuses œuvres ressemblent à des campements, bases scientifiques de recherches aussitôt disparues et déplacées. Dans sa blouse blanche, identifié par la monture de ses lunettes, il endosse le personnage du savant, le porte à son extrême souvent jusqu'à l'absurde et dissout en fumée l'esprit de sérieux - léger comme la bulle de savon baroque. (1) DES HISTOIRES GROTESQUES ET SERIEUSES Les formes que revêtent les animaux sont elles-mêmes multiples. L'on trouve, ainsi que dans les muséums d'histoire naturelle, des squelettes et nombre de bêtes naturalisées, présentés dans des vitrines. D'autres espèces, épinglées dans des boîtes ou flottant dans des bocaux étiquetés, sont rangées côte à côte dans des armoires. Certaines encore sont incarnées, ou du moins évoquées par des jouets d'enfant. Ainsi, l'ours en peluche de Polar Bears and Toucans (from Amazonas to Svalbard), de 1991, est assis dans une bassine métallique, elle-même posée sur la caisse ayant servi au transport de l'ensemble. Les bêtes ont également une existence iconique : il peut s'agir de photographies, de gravures du XIXe siècle, ou bien d'illustrations présentes sur la couverture des manuels scolaires et des ouvrages savants. Dans cette nature exposée, la vie est rare et l'idée même d'un monde naturel est quasiment exclue. [….] Round up : An Entomological Endeavor for Smart Museum of Art, de 2000, constitue sans doute le détournement le plus évident de la notion d'expédition. Vêtu à la façon d'un entomologiste tropical s'apprêtant à affronter un milieu sauvage, filet à papillons à la main, Mark Dion part à la chasse aux insectes. Le lieu d'exploration n'est autre que le musée, où l'artiste collecte mouches, punaises, araignées et autres arthropodes. Le grotesque de la situation est souligné par son accoutrement, pour le moins incongru dans l'espace muséal. Soigneusement répertoriés, les animaux des plus communs sont étudiés et conservés dans des flacons d'alcool, puis photographiés sous le microscope. Mark Dion troque sa tenue de terrain pour la blouse, et le lieu d'exposition est alors transformé en un atelier-laboratoire accessible au public. Choisissant d'exhiber un travail qui relève à la fois de la science et de l'art, Dion brouille l'image comme le statut de l'artiste. Il n'y a donc nul hasard si son autoportrait - dans lequel seules ses lunettes permettent de l'identifier - se présente sous la forme d'un mannequin costumé en chasseur de papillons. La dimension performative occupe une place centrale dans l'ensemble de la production de Mark Dion. Elle lui permet d'incarner différents rôles, non sans humour, distancié. Dion bouscule nos représentations habituelles concernant l'aventurier, le scientifique et surtout l'artiste, trois figures culturellement et socialement valorisées, souvent même idéalisées. Lorsque Dion assure " je ne joue pas, je ne suis pas un personnage et je ne prétends pas être quelqu'un d'autre ", c'est vrai et faux tout ensemble. D'un coté, le créateur effectue vraiment les diverses actions qui jalonnent le processus de production ; de l'autre, ses expériences scientifiques ont une dimension fictionnelle évidente. C'est cette dimension qui marque la distinction entre l'auteur, son véritable statut, et la fonction qu'il assume temporairement, établissant la nature artistique de son travail. Ces manières de parodie, teintées d'ironie et d'admiration, sont également à interpréter comme des auto- parodies. Cela est particulièrement visible dans Round up : An Entomological Endeavor for Smart Museum of Art, mais le fait est patent lorsque Mark Dion se fait photographier, vêtu en savant ou en explorateur, dans le théâtre de ses opérations. [….] Deep Time (For Robert Smithson and for Lord Kelvin) et Deep Time Closet (For Réserve Naturelle Géologique), datant respectivement de 2001 et de 2002, renvoient tous deux à la géologie. La construction en escalier de la première sculpture fait doublement référence à Robert Smithson. Passionné par la géologie, ce dernier produit plusieurs œuvres offrant une structure étagée, tel Glass Stratum, et les Alogons en acier laqué blanc. En outre, la manière dont Dion utilise le goudron est à interpréter comme la citation condensée de deux autres œuvres de Smithson : Asphalt Lump ( une plaque d'asphalte durcie ) et Asphalt Rundown ( une coulée de bitume ), qui montrent deux états du matériau. C'est du goudron solidifié qui semble couler sur les marches de Deep Time. Cette réalisation fait par ailleurs référence à une expérimentation scientifique - l'une des plus longues qui ait jamais été mise en œuvre - menée par Lord Kelvin, un physicien anglais du XIXe siècle. Pour simuler le mouvement des glaciers, dont il étudiait le déplacement, le savant versa du goudron sur une petite construction en escalier. Aujourd'hui encore, la matière, non stabilisée, avance imperceptiblement. Mark Dion explique ironiquement que le goudron de Temps géologique va lui aussi, " se déplacer très lentement durant les trois prochains siècles ". Enfin, le goudron se rapporte tout ensemble à la matière organique issue des profondeurs et au bitume qui recouvre de plus en plus la surface du globe. Dans les différents Deep Time Closets, le sol, et plus largement la Terre elle-même, sont matérialisés par le goudron et l'argile noire. La désignation des ères géologiques, elle, est nominale : Mark Dion reprend l'ensemble des termes conventionnels correspondant à la stratification de l'écorce terrestre. Cependant, l'ordre admis est perturbé, le nom des périodes pouvant indifféremment être inscrit en bas ou en haut de la volée de marches. A l'instar de Smithson, Dion s'interroge sur l'écart entre le système de nomination, de catégorisation, et la réalité tangible. Evoquant plastiquement la pureté minimaliste par sa géométrie et sa blancheur, la structure des Deep Time Closets traduit l'abstraction d'une nature réduite à un ordre conceptuel. [….] Carré d’Art - Musée d’art contemporain Place de la Maison Carrée - 30000 Nîmes Tél. 04 66 76 35 70 Ouvert tous les jours sauf le lundi, de 10 h à 18 h Entrée : 5 , tarif réduit : 3,70 Visites commentées pour les visiteurs individuels comprises dans le droit d’entrée, à 16h30 les week-ends et jours fériés, et à 16h30 du mardi au vendredi pendant les vacances scolaires. Entrée gratuite pour tous le premier dimanche de chaque mois avec visites commentées à 15h, 15h30, 16h et 16h30. Groupes sur rendez-vous du mardi au vendredi. ATELIERS POUR TOUS Ouvert à tous en accès libre et gratuit pour petits et grands, de 14h à 16h, les 16 et 18 février, les 10, 21, 24 mars et les 10, 14 et 18 avril sans inscription préalable, au premier étage de Carré d’Art. ATELIER DES ENFANTS - ANIMATIONS Visites accompagnées et ateliers d'expérimentation plastique pour découvrir, observer, partager et pratiquer ensemble pour les 5 à 14 ans. Gratuits jusqu'à 10 ans, 3,70 à partir de 11 ans. Sur rendez-vous les mercredis et pendant les vacances scolaires du mardi au vendredi. Calendrier détaillé disponible sur place à l'accueil du bâtiment et à la billetterie du musée ou à demander par courrier. Renseignements et inscriptions auprès du Service Culturel du Musée : 04 66 76 35 79 Les caisses, malles, cartons, très nombreux, font référence à différents types de déplacements, tels le transport, le déménagement, le voyage et l'expédition. Les cartons constituent le seul élément de The Gift, un cabinet de curiosités en lequel on peut voir un clin d'œil à certains travaux conceptuels, tel Duration Piece n°9, de Douglas Huebler. Ce “work in progress”, débuté en 1993, se compose de nombreuses boîtes envoyées par l'artiste à son destinataire; bien qu'emplis d'objets, ces paquets demeurent clos : ce qui importe, c'est l'acte de transmission. Dans Boxes of the Paleontologist, de 1993, les containers signifient, par métonymie, l'extraction des fossiles de leur site originel, leur transfert vers le musée et, partant, leur changement de statut. A l'instar de ce que fit Marcel Broodthaers, ces caisses, trouvant en l'exposition leur lieu d'immobilisation temporaire, acquièrent d'autres fonctions encore. Ainsi, par exemple, l'emballage protecteur peut servir de socle : dans Ursus Maritimus, de 1995, un ours polaire factice semble se reposer sur ce qui a servi à le transporter. Semblablement, dans Flamingo, de 2002, un flamand rose naturalisé, puis couvert de goudron, se tient campé sur sa caisse. [….] La monstruosité de la taupe visible dans Les Nécrophores-L'Enterrement, de 1997, tient à son surdimensionnement. Mesurant 2,50 mètres de haut, l'animal est bizarrement maintenu suspendu par une corde ; sur son échine, un coléoptère nécrophage est à l'ouvrage. Cette mise en espace renvoie directement aux recherches que Jean-Henri Fabre a consacrées au comportement des insectes. Dans son hommage, Mark Dion utilise à dessein l'effet habituellement produit par une échelle anormale; la taupe représente l'image du monstre telle qu'elle est transmise par la culture populaire et par les histoires pour enfants. Comme l'explique Dion, les écrits de Fabre "tiennent à la fois du conte animalier et du discours scientifique; l'entomologiste est mi- La Fontaine, mi-Cuvier". On comprend dès lors pourquoi le savant intéresse l'artiste. L'œuvre est cependant davantage qu'un simple hommage à une personne : elle est aussi un monument dédié à une expérimentation. (2) © Mark Dion I l ne pouvait y avoir de lieu plus destiné aux œuvres de Mark Dion que Carré d'art, point focal d'une ville qui compte sept musées et cinq galeries d'art (pour s'en tenir aux " Institutions " municipales !). Sans doute aucun, comme l'Italie de la Renaissance vit s'affronter clochers, campaniles et beffrois dans une incessante course à la hauteur, à la lisibilité et quelquefois à l'effondrement tant des édifices que des pouvoirs qu'ils incarnaient, y eut-il, sous nos latitudes, une compétition des lieux d'expos ? Pourquoi pas, si/puisque cela démultiplie de facto les occasions de donner à voir des œuvres (bien que, quelquefois, certaines gagneraient plutôt à conserver l'anonymat…). A Carré d'Art intra muros, plusieurs espaces ne sont-ils pas dédiés aux monstrations ? Ici même donc, Mark Dion nous renvoie l'image de ce que sont ces collections que nous côtoyons, tant dans les " musées " qu'à domicile, en nos douillets intérieurs. Au commencement est le ramassis, trésors de notre enfance, lesquels sont pieusement conservés par nos géniteurs qui y abdiquent souvent le sens commun… Puis nous thésaurisons, tout d'abord en classe, avant que d'être quelquefois pris par la fureur de l'accumulation. L'une des rares vertus de cette voracité est de nous apprendre ces mots rares, imprononçables et fascinants que la langue au chat a créés pour qualifier les plus surréalistes de nos attirances. Mais pourquoi diable collectionner ? Pour la possession pure et dure et le fric dans de rares (et chers) cas. Dissimulés et soigneusement mis hors de vue, comme on met hors d'eau, les opus se morfondent et rabougrissent, à l'image de leurs proprios. Pour la possession de l'authentique ? Plaisir souvent solitaire mais sans doute compréhensible. Rendons grâces, notamment dans notre Hexagone, à Vivant Denon. Auteur inspiré de quelques subtils érotiques dans le plus pur style XVIIIe, le créateur du Musée du Louvre donna le branle de la nouvelle conception de la présentation à tous des collections publiques, dont la préservation et la mise à l'abri des prédateurs assuraient dès lors la survie et la pérennité. Depuis, tout est possible. On ferait une étonnante… exposition des lieux d'expos, de par le vaste monde. Mais micro ou macro, le cosme est en nous, et face à nous, ainsi que Mark Dion nous le prouve et le propose. Exprimons lui notre reconnaissance pour nous offrir sa vision de ces anthologies qui rassurent leurs " possesseurs ", qu'ils soient individus ou Institutions. Assemblant ces pièces, illusion est perçue de posséder le temps et l'espace ; les êtres ; les choses ; et leur âme. La collection comme chimère ? Sans doute, puisque la quête de tout est désespérément sans fin. Dans le (faux) espoir d'atteindre au démiurge. Leurre suprême. Et Vanitas… Jean-Paul FOURNIER Daniel J. VALADE Maire de Nîmes Adjoint au Maire de Nîmes Président de Nîmes-Métropole Délégué à la Culture Conseiller Général du Gard Président de Carré d'Art Mark Dion & Robert Williams Theatrum Mundi : Armarium, 2001 Les Nécrophores-L’Enterrement, 1997 (1) FRANÇOISE COHEN (2) NATACHA PUGNET, L'ICHTHYOSAURE, LA PIE ET AUTRES MERVEILLES DU MONDE NATUREL, CATALOGUE DE L'EXPOSITION DU MUSEE DE DIGNE, 2003. Deep Time Closet, 2001 Boxes of the Paleontologist, 1993 Department of Tropical Research, 2005 Round Up, 2000 Grotto of the Sleeping Bear- Revisited, 1998 Flamingo, 2002 Petit journal verso.qxd 10/01/07 14:22 Page 1

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Page 1: (1) FRANÇOISE COHEN (2) NATACHA PUGNET, L'ICHTHYOSAURE, LA …€¦ · plastiquement la pureté minimaliste par sa géométrie et sa blancheur, la structure des Deep Time Closets

Depuis plus de vingt ans, l'artiste contemporainaméricain Mark Dion explore les croisements entre artet science, visions et production de connaissance,collection et modes de présentation. En prenant laplace d'un scientifique amateur, d'un collectionneur,d'un historien ou d'un biologiste, Mark Dion porte unregard souvent humoristique mais critique sur lesrelations entre culture et nature. Dans différentes installations et projets in-situspécifiques, Mark Dion investit les questions suivantes: par quels chemins et par quels moyens explorons-nous le monde ? Pourquoi les 18e et 19e siècles ont-ils été témoins d'une escalade de la découverte ?Comment transformer des expressions de la nature enculture ? Quelle idée a-t-on d'un musée ? Commentclassifier des objets et des concepts créatifs ?Comment construisons-nous l'histoire ?Mark Dion relance les débats sur l'évolution de l'histoirenaturelle, le rôle du scientifique et les (re)présentationsde la nature et des systèmes écologiques en science, aumusée, au zoo et dans les œuvres d'art.Il relance également les questions sur le rôle del'artiste (comme interprète, performer, critique) etsur la fonction de l'art (une zone libre de débatscritiques, d'exposés ou d'inspection des systèmes devaleur culturel ?). En s'adressant à la manière quenous avons de voir et de parler du monde qui nousentoure, Mark Dion s'attarde sur les contradictionsentre notre perception commune des systèmes deconnaissance (l'évolution de l'histoire) et notreaptitude à faire proliférer les (contes) récits.Mark Dion explore le musée comme une métaphorede la connaissance commune. Le projet estdéveloppé en cinq différentes sections qui suiventles classements de la connaissance scientifiqueproposés dans les musées d'Histoire Naturelle duXIXe siècle : géologie, entomologie, archéologie,ornithologie, mammalogie. Un sixième chapitre estcentré sur les musées et la culture de la collection.Dans chaque présentation de l'itinérance, l'artistecomplètera ses travaux avec des spécimens descollections locales d'histoire naturelle.

UNE PROMENADE A LA SURFACE DU MONDEA l'heure où le monde se propose de plus en plusfréquemment à notre premier usage par l'image,Mark Dion dans une collecte inlassable, affirme leréel pour irréductible. Depuis le XVIIIe siècle et ladécouverte de la Nature comme miroir de l'activitéhumaine, la figure du promeneur, renouvelé au XIXeet au XXe siècle par des auteurs comme Baudelaire,Walter Benjamin ou W. Sebald, est la métaphore del'homme moderne mais aussi de l'artiste. Elle sedistingue par sa mélancolie également. Lapromenade de Mark Dion est, elle, une promenadeheureuse, née de la curiosité aiguë de l'artiste. Ellerend le monde inépuisable. Mark Dion, artiste voyageur en perpétuel mouvement,héritier de la tradition occidentale des explorateursn'ignore aucun recoin de la planète. Mais plus

important encore est letransfert de leursméthodes à notre mondeimmédiat. Dans lerationalisme du XVIIesiècle, la question de lamesure, de l'angled'approche met en formela réflexion scientifique. La révolutioncopernicienne exposéepar Pascal est leretournement des

termes de la comparaison, le soleil et le globeterrestre. Dans son humour, Mark Dion procède demême, de la jungle à la " jungle de béton ", desanimaux naturalisés à Mickey… Mark Dion glisse dans l'espace et le temps. Sous lesmarches des ères géologiques de Deep Time Closet,comme dans les tombes égyptiennes, le ciel est étoilé,car l'entropie peut être belle. Cette légèreté n'est pasque celle du déplacement géographique, mais aussicelle de l'emprunt, de l'indice, de la coïncidence. MarkDion a choisi d'investir un ordre qui n'est pas le sien.L'art mêlé de nombreuses scories se joue de lui-mêmeet des autres. Usant de procédures de métissage et decontamination, tantôt créateur romantique ouanthropologue investi dans le contexte social, MarkDion témoigne d'une immense liberté. La marge et le collage, le rapprochement improbabledes espèces, les techniques les plus sérieusesappliquées aux greniers et aux terrains vagues ensont les modes de développement. Mark Dion aimeles espèces parasites: le rat, la mouette… C'est queloin des anathèmes de paradis perdu fréquents sur lethème de l'environnement, de cette impureténaissent l'œuvre et le mouvement des idées. Au travers de ses pièces, la science est aussi un grandrécit, une fiction avec ses héros animaux autant queses génies scientifiques. Dans la taupe en peluche,reproduction exacte de l'expérience de Jean-HenriFabre, est-ce vraiment l'attaque des insectesnécrophores qui centre l'attention, ou le pendu,image de souffrance presque humaine ? Si MarkDion privilégie le cabinet bien rangé, le TheatrumMundi, c'est pour en interroger la représentation,non pour la figer. Dion ne propose pas unearchéologie de la connaissance. Il la met enmouvement. De nombreuses œuvres ressemblent àdes campements, bases scientifiques de recherchesaussitôt disparues et déplacées. Dans sa blouse blanche, identifié par la monture deses lunettes, il endosse le personnage du savant, leporte à son extrême souvent jusqu'à l'absurde etdissout en fumée l'esprit de sérieux - léger comme labulle de savon baroque. (1)

DES HISTOIRES GROTESQUES ET SERIEUSESLes formes que revêtent les animaux sont elles-mêmesmultiples. L'on trouve, ainsi que dans les muséumsd'histoire naturelle, des squelettes et nombre de bêtesnaturalisées, présentés dans des vitrines. D'autresespèces, épinglées dans des boîtes ou flottant dans desbocaux étiquetés, sont rangées côte à côte dans desarmoires. Certaines encore sont incarnées, ou dumoins évoquées par des jouets d'enfant. Ainsi, l'oursen peluche de Polar Bears and Toucans (fromAmazonas to Svalbard), de 1991, est assis dans unebassine métallique, elle-même posée sur la caisseayant servi au transport de l'ensemble. Les bêtes ontégalement une existence iconique : il peut s'agir dephotographies, de gravures du XIXe siècle, ou biend'illustrations présentes sur la couverture des manuelsscolaires et des ouvrages savants. Dans cette natureexposée, la vie est rare et l'idée même d'un mondenaturel est quasiment exclue. [….]Round up : An Entomological Endeavor for SmartMuseum of Art, de 2000, constitue sans doute ledétournement le plus évident de la notiond'expédition. Vêtu à la façon d'un entomologistetropical s'apprêtant à affronter un milieu sauvage,filet à papillons à la main, Mark Dion part à la chasse

aux insectes. Le lieud'exploration n'est autreque le musée, où l'artistecollecte mouches,punaises, araignées etautres arthropodes. Legrotesque de la situationest souligné par sonaccoutrement, pour lemoins incongru dansl'espace muséal. S o i g n e u s e m e n trépertoriés, les animauxdes plus communs sontétudiés et conservés dans

des flacons d'alcool, puis photographiés sous lemicroscope. Mark Dion troque sa tenue de terrain pourla blouse, et le lieu d'exposition est alors transformé enun atelier-laboratoire accessible au public. Choisissantd'exhiber un travail qui relève à la fois de la science etde l'art, Dion brouille l'image comme le statut del'artiste. Il n'y a donc nul hasard si son autoportrait -dans lequel seules ses lunettes permettent del'identifier - se présente sous la forme d'un mannequincostumé en chasseur de papillons. La dimension performative occupe une place centraledans l'ensemble de la production de Mark Dion. Elle luipermet d'incarner différents rôles, non sans humour,distancié. Dion bouscule nos représentationshabituelles concernant l'aventurier, le scientifique etsurtout l'artiste, trois figures culturellement etsocialement valorisées, souvent même idéalisées.Lorsque Dion assure " je ne joue pas, je ne suis pas unpersonnage et je ne prétends pas être quelqu'und'autre ", c'est vrai et faux tout ensemble. D'un coté, lecréateur effectue vraiment les diverses actions quijalonnent le processus de production ; de l'autre, sesexpériences scientifiques ont une dimensionfictionnelle évidente. C'est cette dimension quimarque la distinction entre l'auteur, son véritablestatut, et la fonction qu'il assume temporairement,établissant la nature artistique de son travail. Cesmanières de parodie, teintées d'ironie et d'admiration,sont également à interpréter comme des auto-parodies. Cela est particulièrement visible dansRound up : An Entomological Endeavor for SmartMuseum of Art, mais le fait est patent lorsque MarkDion se fait photographier, vêtu en savant ou enexplorateur, dans le théâtre de ses opérations. [….]Deep Time (For Robert Smithson and for Lord Kelvin) etDeep Time Closet (For Réserve Naturelle Géologique),datant respectivement de 2001 et de 2002, renvoienttous deux à la géologie. La construction en escalier dela première sculpture fait doublement référence àRobert Smithson. Passionné par la géologie, ce dernierproduit plusieurs œuvres offrant une structure étagée,tel Glass Stratum, et les Alogons en acier laqué blanc.En outre, la manière dont Dion utilise le goudron est àinterpréter comme la citation condensée de deuxautres œuvres de Smithson : Asphalt Lump ( uneplaque d'asphalte durcie ) et Asphalt Rundown ( unecoulée de bitume ), qui montrent deux états dumatériau. C'est du goudron solidifié qui semble coulersur les marches de Deep Time. Cette réalisation fait parailleurs référence à une expérimentation scientifique -l'une des plus longues qui ait jamais été mise en œuvre- menée par Lord Kelvin, un physicien anglais du XIXesiècle. Pour simuler le mouvement des glaciers, dont ilétudiait le déplacement, le savant versa du goudron surune petite construction en escalier. Aujourd'hui encore,la matière, non stabilisée, avance imperceptiblement.Mark Dion explique ironiquement que le goudron deTemps géologique va lui aussi, " se déplacer trèslentement durant les trois prochains siècles ". Enfin, legoudron se rapporte tout ensemble à la matièreorganique issue des profondeurs et au bitume quirecouvre de plus en plus la surface du globe.Dans les différents Deep Time Closets, le sol, et pluslargement la Terre elle-même, sont matérialisés par legoudron et l'argile noire. La désignation des èresgéologiques, elle, est nominale : Mark Dion reprendl'ensemble des termes conventionnels correspondant àla stratification de l'écorce terrestre. Cependant, l'ordreadmis est perturbé, le nom des périodes pouvantindifféremment être inscrit en bas ou en haut de lavolée de marches. A l'instar de Smithson, Dions'interroge sur l'écart entre le système de nomination,de catégorisation, et la réalité tangible. Evoquantplastiquement la pureté minimaliste par sa géométrieet sa blancheur, la structure des Deep Time Closetstraduit l'abstraction d'une nature réduite à un ordreconceptuel. [….]

Carré d’Art - Musée d’art contemporain

Place de la Maison Carrée - 30000 Nîmes

Tél. 04 66 76 35 70

Ouvert tous les jours sauf le lundi, de 10 h à 18 hEntrée : 5 €, tarif réduit : 3,70 €

Visites commentées pour les visiteurs individuels comprises dans le droit d’entrée, à 16h30 les week-ends et jours fériés, et à 16h30 du mardi au vendredi pendant les vacances scolaires.

Entrée gratuite pour tous le premier dimanche de chaque mois avec visites commentées à 15h, 15h30, 16h et 16h30.Groupes sur rendez-vous du mardi au vendredi.

ATELIERS POUR TOUSOuvert à tous en accès libre et gratuit pour petits et grands, de 14h à 16h, les 16 et 18 février,

les 10, 21, 24 mars et les 10, 14 et 18 avril sans inscription préalable, au premier étage de Carré d’Art.

ATELIER DES ENFANTS - ANIMATIONSVisites accompagnées et ateliers d'expérimentation plastique

pour découvrir, observer, partager et pratiquer ensemble pour les 5 à 14 ans.Gratuits jusqu'à 10 ans, 3,70 € à partir de 11 ans.

Sur rendez-vous les mercredis et pendant les vacances scolaires du mardi au vendredi. Calendrier détaillé disponible sur place à l'accueil du bâtiment

et à la billetterie du musée ou à demander par courrier.

Renseignements et inscriptions auprès du Service Culturel du Musée : 04 66 76 35 79

Les caisses, malles, cartons, très nombreux, fontréférence à différents types de déplacements, tels letransport, le déménagement, le voyage etl'expédition. Les cartons constituent le seul élémentde The Gift, un cabinet de curiosités en lequel onpeut voir un clin d'œil à certains travauxconceptuels, tel Duration Piece n°9, de DouglasHuebler. Ce “work in progress”, débuté en 1993, secompose de nombreuses boîtes envoyées par l'artisteà son destinataire; bien qu'emplis d'objets, cespaquets demeurent clos : ce qui importe, c'estl'acte de transmission. Dans Boxes of thePaleontologist, de 1993, les containers signifient,par métonymie, l'extraction des fossiles de leur siteoriginel, leur transfert vers le musée et, partant,leur changement de statut. A l'instar de ce que fitMarcel Broodthaers, ces caisses, trouvant enl'exposition leur lieu d'immobilisation temporaire,acquièrent d'autresfonctions encore. Ainsi, par exemple,l'emballage protecteurpeut servir de socle :dans Ursus Maritimus,de 1995, un ours polairefactice semble sereposer sur ce qui aservi à le transporter.Semblablement, dansFlamingo, de 2002, unflamand rose naturalisé,puis couvert degoudron, se tient campésur sa caisse. [….]La monstruosité de la taupe visible dans LesNécrophores-L'Enterrement, de 1997, tient à sonsurdimensionnement. Mesurant 2,50 mètres de haut,l'animal est bizarrement maintenu suspendu par unecorde ; sur son échine, un coléoptère nécrophage està l'ouvrage. Cette mise en espace renvoiedirectement aux recherches que Jean-Henri Fabre aconsacrées au comportement des insectes. Dans sonhommage, Mark Dion utilise à dessein l'effethabituellement produit par une échelle anormale; lataupe représente l'image du monstre telle qu'elle esttransmise par la culture populaire et par les histoirespour enfants. Comme l'explique Dion, les écrits de

Fabre "tiennent à la foisdu conte animalier et dudiscours scientifique;l'entomologiste est mi-La Fontaine, mi-Cuvier".On comprend dès lorspourquoi le savantintéresse l'artiste.L'œuvre est cependantdavantage qu'un simplehommage à unepersonne : elle est aussiun monument dédié àune expérimentation. (2)

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Il ne pouvait y avoir de lieu plus destiné aux œuvres de Mark Dion que Carré d'art, point focal d'une ville qui comptesept musées et cinq galeries d'art (pour s'en tenir aux " Institutions " municipales !). Sans doute aucun, commel'Italie de la Renaissance vit s'affronter clochers, campaniles et beffrois dans une incessante course à la hauteur, à

la lisibilité et quelquefois à l'effondrement tant des édifices que des pouvoirs qu'ils incarnaient, y eut-il, sous noslatitudes, une compétition des lieux d'expos ? Pourquoi pas, si/puisque cela démultiplie de facto les occasions dedonner à voir des œuvres (bien que, quelquefois, certaines gagneraient plutôt à conserver l'anonymat…). A Carré d'Artintra muros, plusieurs espaces ne sont-ils pas dédiés aux monstrations ? Ici même donc, Mark Dion nous renvoie l'imagede ce que sont ces collections que nous côtoyons, tant dans les " musées " qu'à domicile, en nos douillets intérieurs.Au commencement est le ramassis, trésors de notre enfance, lesquels sont pieusement conservés par nos géniteurs quiy abdiquent souvent le sens commun… Puis nous thésaurisons, tout d'abord en classe, avant que d'être quelquefois prispar la fureur de l'accumulation. L'une des rares vertus de cette voracité est de nous apprendre ces mots rares,imprononçables et fascinants que la langue au chat a créés pour qualifier les plus surréalistes de nos attirances. Maispourquoi diable collectionner ? Pour la possession pure et dure et le fric dans de rares (et chers) cas. Dissimulés etsoigneusement mis hors de vue, comme on met hors d'eau, les opus se morfondent et rabougrissent, à l'image de leursproprios. Pour la possession de l'authentique ? Plaisir souvent solitaire mais sans doute compréhensible. Rendonsgrâces, notamment dans notre Hexagone, à Vivant Denon. Auteur inspiré de quelques subtils érotiques dans le plus purstyle XVIIIe, le créateur du Musée du Louvre donna le branle de la nouvelle conception de la présentation à tous descollections publiques, dont la préservation et la mise à l'abri des prédateurs assuraient dès lors la survie et la pérennité.Depuis, tout est possible. On ferait une étonnante… exposition des lieux d'expos, de par le vaste monde. Mais micro oumacro, le cosme est en nous, et face à nous, ainsi que Mark Dion nous le prouve et le propose. Exprimons lui notrereconnaissance pour nous offrir sa vision de ces anthologies qui rassurent leurs " possesseurs ", qu'ils soient individusou Institutions. Assemblant ces pièces, illusion est perçue de posséder le temps et l'espace ; les êtres ; les choses ; etleur âme. La collection comme chimère ? Sans doute, puisque la quête de tout est désespérément sans fin. Dans le(faux) espoir d'atteindre au démiurge. Leurre suprême. Et Vanitas…

Jean-Paul FOURNIER Daniel J. VALADEMaire de Nîmes Adjoint au Maire de NîmesPrésident de Nîmes-Métropole Délégué à la CultureConseiller Général du Gard Président de Carré d'Art

Mark Dion & Robert WilliamsTheatrum Mundi : Armarium, 2001

Les Nécrophores-L’Enterrement,1997

(1) FRANÇOISE COHEN

(2) NATACHA PUGNET, L'ICHTHYOSAURE, LA PIE ET AUTRES

MERVEILLES DU MONDE NATUREL, CATALOGUE DE L'EXPOSITION DU

MUSEE DE DIGNE, 2003.

Deep Time Closet, 2001

Boxes of the Paleontologist, 1993

Department of Tropical Research, 2005

Round Up, 2000

Grotto of the Sleeping Bear-Revisited, 1998

Flamingo, 2002

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