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Page 1 sur 39 INSIDE JOB Texte intégral du film-événement « INSIDE JOB. Autopsie d’une crise financière annoncée » Un vrai grand cours d’économie, utile et important ; à écouter plusieurs fois, et à travailler le crayon à la main. En italiques et en bleu : les commentaires off du film. « En caractères droits, en rouge et entre guillemets : les propos des personnes interrogées » (précédées de nom + fonction de leurs auteurs en noir). Remarque : « inside job » est une expression policière pour dire que le responsable d’un crime est un traître qui a opéré de l’intérieur. La crise économique mondiale de 2008 a privé des dizaines de millions de personnes de leur épargne, de leur travail et de leur toit. Voici comment c'est arrivé. ISLANDE Population : 320 000 habitants Produit Intérieur Brut : 13 milliards de $ Pertes bancaires : 100 milliards de $ L'Islande est une démocratie stable avec un niveau de vie élevé, et hier encore, un chômage et une dette publique extrêmement bas. Andri MAGNASON (écrivain et cinéaste) : « Nous avions toute l'infrastructure d'une société moderne. Énergie propre, production alimentaire, pêcheries avec gestion par quota. Gylfi ZOEGA (Prof. d’éco. à l’Univ. d’Islande) : « Bon système de santé, d'éducation. Air pur. Peu de délinquance. Un bon environnement familial. » « On était presque estampillés "fin de l'Histoire". » Mais en 2000, le gouvernement lance un vaste plan de dérégulation aux conséquences désastreuses. D'abord pour l'environnement, puis pour l'économie. Il commence par laisser des multinationales comme Alcoa construire d'énormes usines d'aluminium et exploiter les ressources hydro-électriques et géothermale. « Un grand nombre des magnifiques hautes terres, dotées de couleurs spectaculaires, sont géothermiques. Alors, rien n'est sans conséquences. » À la même époque, le gouvernement privatise les 3 premières banques du pays. Résultat : un des plus purs exemples de dérégulation financière. (Septembre 2008) «On n'en peut plus! Comment ça a pu arriver?» Gylfi ZOEGA (Prof d’éco à l’Univ. d’Islande) : « La finance a pris les commandes et... elle tout mis par terre. » En l'espace de 5 ans, ces 3 banques minuscules, qui n'avaient jamais opéré à l'étranger, empruntent 120 milliards de $. 10 fois la taille de l'économie islandaise. Les banquiers s'enrichissent entre eux et enrichissent leurs amis. « La bulle a été énorme. Le prix des actions a été multiplié par 9. L'immobilier a plus que doublé. » Cette bulle engendre des gens comme Jón Ásgeir Jóhannesson. Il emprunte des milliards pour acheter des boutiques de luxe à Londres. Ainsi qu'un jet privé à rayures, un yacht de 40 millions et un penthouse à Manhattan. Andri MAGNASON (Écrivain et cinéaste) : « La presse titrait sans arrêt : "Tel millionnaire a acheté telle société." Au Royaume-Uni, en Finlande...en France, etc. Au lieu de dire : "Tel millionnaire a emprunté 1 milliard de $ pour acheter telle société… Et l'argent vient de votre banque locale ! » 1 2

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INSIDE JOB Texte intégral du film-événement « INSIDE JOB. Autopsie d’une crise financière annoncée » Un vrai grand cours d’économie, utile et important ; à écouter plusieurs fois, et à travailler le crayon à la main. En italiques et en bleu : les commentaires off du film. « En caractères droits, en rouge et entre guillemets : les propos des personnes interrogées » (précédées de nom + fonction de leurs auteurs en noir). Remarque : « inside job » est une expression policière pour dire que le responsable d’un crime est un traître qui a opéré de l’intérieur. La crise économique mondiale de 2008 a privé des dizaines de millions de personnes de leur épargne, de leur travail et de leur toit. Voici comment c'est arrivé. ISLANDE Population : 320 000 habitants Produit Intérieur Brut : 13 milliards de $ Pertes bancaires : 100 milliards de $ L'Islande est une démocratie stable avec un niveau de vie élevé, et hier encore, un chômage et une dette publique extrêmement bas. Andri MAGNASON (écrivain et cinéaste) : « Nous avions toute l'infrastructure d'une société moderne. Énergie propre, production alimentaire, pêcheries avec gestion par quota. Gylfi ZOEGA (Prof. d’éco. à l’Univ. d’Islande) : « Bon système de santé, d'éducation. Air pur. Peu de délinquance. Un bon environnement familial. » « On était presque estampillés "fin de l'Histoire". » Mais en 2000, le gouvernement lance un vaste plan de dérégulation aux conséquences désastreuses. D'abord pour l'environnement, puis pour l'économie. Il commence par laisser des multinationales comme Alcoa construire d'énormes usines d'aluminium et exploiter les ressources hydro-électriques et géothermale. « Un grand nombre des magnifiques hautes terres, dotées de couleurs spectaculaires, sont géothermiques. Alors, rien n'est sans conséquences. »

À la même époque, le gouvernement privatise les 3 premières banques du pays. Résultat : un des plus purs exemples de dérégulation financière. (Septembre 2008)

«On n'en peut plus! Comment ça a pu arriver?» Gylfi ZOEGA (Prof d’éco à l’Univ. d’Islande) : « La finance a pris les commandes et... elle tout mis par terre. » En l'espace de 5 ans, ces 3 banques minuscules, qui n'avaient jamais opéré à l'étranger, empruntent 120 milliards de $. 10 fois la taille de l'économie islandaise. Les banquiers s'enrichissent entre eux et enrichissent leurs amis. « La bulle a été énorme. Le prix des actions a été multiplié par 9. L'immobilier a plus que doublé. » Cette bulle engendre des gens comme Jón Ásgeir Jóhannesson. Il emprunte des milliards pour acheter des boutiques de luxe à Londres. Ainsi qu'un jet privé à rayures, un yacht de 40 millions et un penthouse à Manhattan. Andri MAGNASON (Écrivain et cinéaste) : « La presse titrait sans arrêt : "Tel millionnaire a acheté telle société." Au Royaume-Uni, en Finlande...en France, etc. Au lieu de dire : "Tel millionnaire a emprunté 1 milliard de $ pour acheter telle société… Et l'argent vient de votre banque locale ! »

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Gylfi ZOEGA (Prof d’éco à l’Univ. d’Islande) : « Ces banques ont créé des fonds monétaires et conseillé à leurs clients d'y transférer leur argent. Une pyramide de Ponzi, c'est gourmand. » Des cabinets d'audit américains, comme KPMG, contrôlent les banques d'affaires islandaises et ne voient rien à redire. Les agences de notation américaines encensent l'Islande. Sigridur BENEDIKTSDOTTIR (Commission spéciale d’investigation au parlement islandais) : « En février 2007, les agences de notation ont donné aux banques la meilleure note possible : AAA. » Gylfi ZOEGA (Prof d’éco à l’Univ. d’Islande) : « On a même vu nos gouvernants voyager avec les banquiers pour faire de la com'. » Quand les banques islandaises s'effondrent, fin 2008, le chômage triple en 6 mois. « Pas un Islandais n'en sort indemne. » Beaucoup ont perdu leur épargne… « Oui, c'est exact. » L'Autorité de régulation, censée protéger les citoyens, n'a rien fait. « Prenez 2 avocats de l'Autorité qui allaient dans une banque évoquer un problème donné. En arrivant, ils voyaient 19... 4x4 garés devant la banque. Ils entraient et avaient 19 avocats face à eux, fin prêts à démonter tout argument. Et s'ils étaient bons, on leur proposait un boulot. » Un tiers des membres de l'Autorité de régulation sont débauchés par les banques. « Mais c'est un problème universel. C'est pareil à New York, non ? »

INSIDE JOB (boulot de l’intérieur)

(Générique d’introduction) — Que pensez-vous des salaires actuels de Wall Street ? Paul VOLKER (Ex-président de la Réserve Fédérale), avec un sourire entendu : — « Excessifs. » — On me dit qu'il est très difficile pour le FMI de critiquer les États-Unis. Dominique STRAUSS-KAHN (Directeur général du Fonds Monétaire International) : — « Je ne dirais pas ça... » « Nous regrettons profon- dément d'avoir enfreint la loi. »

« Incroyable, la quantité de cocaïne que Wall Street peut prendre un soir de semaine. »

George SOROS (milliardaire, financier, philanthrope) : « J'ignorais la notion de "couverture de défaillance" [CDS]. Je suis de la vieille école. » — Larry Summers a-t-il exprimé le moindre remords ? Barney FRANCK (Pdt de la commission parlementaire des services financiers) : — « Je ne suis pas confesseur. » « L'État se contente de faire des chèques. Voilà pour le plan A, le plan B, le plan C. » — Souhaitez-vous un contrôle juridique des hauts salaires ? David McCORMICK (Sous-secrétaire au Trésor de l'administration Bush) :

— « Non. »

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— Trouvez-vous raisonnables les rémunérations dans la finance ? Scott TALBOTT (Chef lobbyiste Table Ronde des Services Financiers) : — « Si elles sont méritées, oui. » — Et le sont-elles ? — « Oui. » Satyajit DAS (Consultant produits dérivés) : — Vous avez aidé ces gens à tout faire sauter ? — « On peut dire ça, oui. » Andrew SHENG (Pdt de la commission de régulation bancaire chinoise) : « D'énormes profits personnels au détriment des citoyens. »

Lee Hsien LOONG (Premier ministre de Singapour) : « Quand on croit pouvoir créer à partir de rien, c’est très difficile de résister. » Christine LAGARDE (Ministre française de l'Économie, de l'Industrie et de l'Emploi) : « Beaucoup, hélas, veulent reprendre leurs vieilles habitudes d'avant la crise. » Gillian TETT (Rédactrice en chef aux USA du Financial Times) : « Je recevais de nombreux mails anonymes de banquiers : "Ne me citez pas, mais je suis très inquiet." » — Selon vous, pourquoi on ne lance pas d'enquête plus systématique ? — « Parce qu’on trouverait les fautifs. » — La Columbia Business School a-t-elle un problème de conflit d'intérêts ? Glenn HUBBARD (Conseiller du Pdt Bush +Doyen Columbia Business School) : — [hésitation, sourcil froncé] « J'en doute. » Eliot SPITZER (Ex-gouverneur et ex-procureur de New York) : « Les régulateurs n'ont pas fait leur travail. Ils pouvaient poursuivre les affaires que j'avais ouvertes. Ils ont refusé. » (Fin du générique d’introduction)

15 septembre 2008… (divers journaux) “Ce week-end, Lehman Brothers, prestigieuse banque d'affaires, a dû se déclarer en faillite. Une autre, Merrill Lynch, a été obligée de se vendre. » « Les bourses chutent suite aux rebondissements... » « "Crise", "panique", la presse française annonce clairement la couleur… » En septembre 2008, la faillite de la banque américaine Lehman Brothers et l'effondrement du plus grand assureur au monde, AIG, déclenchent une crise mondiale. « Les bourses asiatiques ont dévissé. » « Une dégringolade, la plus forte baisse de l'histoire. » « Les indices continuent de plonger, suite à la chute de Lehman. » « La banque doit nous rembourser ! Pas de compromis ! » S'ensuit une récession mondiale qui coûtera des dizaines de milliers de milliards (des dizaines de millions de millions) de dollars, fera 30 millions de chômeurs et doublera la dette publique des États-Unis. Nouriel ROUBINI (Prof NYU Bus. School) : « Le coût de cette crise : destruction de patrimoines boursiers et immobiliers, destruction de revenus, d'emplois. 50 millions de personnes, de par le monde, pourraient repasser sous le seuil de pauvreté. C'est vraiment une crise extrêmement coûteuse. » Cette crise n'est pas accidentelle. Elle est causée par une industrie en roue libre. Depuis les années 1980, l'essor de la finance américaine provoque des crises de plus en plus graves. Chaque crise faisant plus de dégâts, tandis que le secteur gagne de plus en plus d'argent.

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PREMIÈRE PARTIE : (12:07) COMMENT ON EN EST ARRIVÉ LÀ Après la Grande Dépression [1929 et suiv.], les États-Unis connaissent 40 ans de croissance sans une seule crise financière. Le secteur financier est très réglementé. Les banques de dépôt sont surtout locales et ont interdiction de spéculer avec l'épargne des clients. Les banques d'affaires, qui interviennent en bourse, sont de petites sociétés en nom collectif. Samuel HAYES (professeur émérite sur les activités des banques d’affaires, Harvard Business School) : « Traditionnellement, dans une banque en nom collectif, les associés apportaient l'argent et bien entendu, y faisaient très attention. Ils voulaient prospérer sans jamais mettre leur ranch en jeu. » Paul Volcker travaille au Trésor, puis dirige la Réserve Fédérale de 1979 à 1987. Avant de servir l'État, il est économiste financier à la Chase Manhattan Bank. Paul Volker (Directeur du Board de la Réserve fédérale Américaine) : « Quand j'ai quitté la Chase pour aller au Trésor, en 1969, je devais gagner dans les 45 000 $ par an. » — 45 000 $ par an ? (PV répond oui de la tête) Samuel HAYES (professeur émérite sur les activités des banques d’affaires, Harvard Business School) : « Morgan Stanley, en 1972, avait environ 110 employés en tout, un bureau et un capital de 12 millions de $. Aujourd'hui, Morgan Stanley a 50 000 employés, un capital de plusieurs milliards et des bureaux de par le monde. » Dans les années 1980, l'industrie financière explose. En s'introduisant en bourse, les banques d'affaires récoltent une fortune. À Wall Street, on commence à s'enrichir.

Charles MORRIS (auteur du livre « la débâcle de deux mille milliards de dollars ») : « J'avais un ami trader chez Merrill Lynch dans les années 1970. Il était conducteur de train le soir, car il avait 3 enfants et ne s'en sortait pas avec un salaire de trader. En 1986, il gagnait des millions de dollars, persuadé que c'était dû à son intelligence. » Ronald Reagan (président des États-Unis) : « Notre premier devoir devant la Nation est de rétablir notre prospérité. » En 1981, le Pdt Ronald Reagan nomme secrétaire au Trésor le PDG de la banque d'affaires Merrill Lynch, Donald Regan. Donald REGAN (Secrétaire au Trésor (ministre des finances US) 1981-1985) : « Wall Street et le Président ont la même optique. Les décideurs de Wall Street me disent qu'ils soutiennent le Président à 100 %. » L'administration Reagan, avec l'aide d'économistes et de lobbyistes, ouvre une période de 30 ans de dérégulation financière. En 1982, la déréglementation des sociétés d'épargne et de crédit leur permet de faire des placements à risque. Au cours de la décennie, des centaines de sociétés d'épargne font faillite. Cette crise coûte aux contribuables 124 milliards de $ et à nombre de gens l'épargne de toute une vie. Un présentateur TV : « Peut-être le plus grand hold-up de notre histoire. » Des milliers de cadres de ces sociétés vont en prison pour vol. Parmi les cas les plus graves, celui de Charles Keating. En 1985, quand les régulateurs ouvrent leur enquête, Keating engage un économiste nommé Alan Greenspan. Dans sa lettre aux régulateurs, Greenspan vante les projets et la compétence de Keating, ne voyant aucun risque à le laisser placer l'argent de ses clients. Keating aurait versé à Greenspan 40 000 $. Keating est emprisonné peu après.

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Quant à Greenspan, le Pdt Reagan lui confie la Banque centrale américaine : la Réserve Fédérale.

Plus tard, Greenspan est confirmé par Clinton et George W. Bush. Sous Clinton, Greenspan poursuit la dérégulation avec les secrétaires au Trésor : Robert Rubin, ex-PDG de la banque d'affaires Goldman Sachs, et Larry Summers, prof d'économie à Harvard.

Nouriel ROUBINI (Professeur à la NYU Business School) : « La finance à Wall Street, vu son pouvoir dû à ses lobbies, son argent, a peu à peu colonisé le monde politique, autant du côté démocrate que républicain. » À la fin des années 1990, le secteur financier se concentre dans des firmes géantes, la faillite d'une d'entre elles pouvant menacer le système. Et l'administration Clinton les aide à grandir encore. En 1998, Citicorp et Travelers fusionnent pour former Citigroup, la plus grande société financière au monde.

Cette fusion viole la loi Glass-Steagall, votée après la Grande Dépression, qui interdit aux banques de dépôt de se livrer à des placements à risque. Robert GNAIZDA (ex Dir de l’Inst. Greenlining) : « Il était illégal de racheter Travelers. Greenspan n'a rien dit. La Fed a accordé une dérogation d'un an, Puis, ils ont fait voter la loi. »

En 1999, pressé par Summers et Rubin, le Congrès vote la loi Gramm-Leach-Bliley, surnommée "loi de secours à Citigroup". Elle abroge Glass-Steagall et ouvre la voie à d'autres fusions.

Robert Rubin, devenu vice-président de Citigroup, recevra 126 millions de $. Il n'a pas souhaité être interviewé. Willem BUITER (Chef Économiste à Citigroup) : « Les banques grandissent car elles aiment la force des monopoles, la force des lobbies... Car elles savent que si elles grandissent trop, on les renflouera ». George SOROS (Président du Fond d’investissement Soros) : « Les marchés sont par nature instables ou au moins potentiellement instables. Une bonne métaphore est celle des pétroliers : ils sont immenses. Il faut donc les cloisonner pour éviter que le pétrole, agité par la houle, ne fasse chavirer le navire. La conception du navire doit prendre ça en compte. Après la Dépression, les réglementations ont instauré ces cloisons étanches. La déréglementation a sonné la fin de ce cloisonnement. »

Nouvelle crise à la fin des années 90 : Les banques d'affaires alimentent une énorme bulle Internet, suivie d'un krach en 2001 qui cause 5 mille milliards de $ de pertes sur placements.

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La SEC, l'agence fédérale créée pendant la Dépression pour réguler les banques d'affaires, n'a rien fait. Eliot SPITZER (Procureur de New York) : « Vu l'inaction totale de l'État fédéral et l'échec flagrant de l'autorégulation, d'autres doivent adopter les mesures de protection nécessaires. » L'enquête d'Eliot Spitzer révèle que les banques ont soutenu des sociétés Internet vouées à l'échec. Les analystes financiers étaient payés à la commission. Et ce qu'ils disaient en public n'était pas ce qu'ils disaient en privé. « Infospace, qui avait reçu la meilleure note possible, qualifiée par un analyste de "déchet". Excite, aussi très bien notée, traitée de "vraie merde". » Eliot SPITZER (Gouverneur de New-York 2007-2008, Procureur de New York 1999-2007) : « La ligne de défense adoptée par de nombreuses banques d'affaires n'était pas de dire : "Vous avez tort." C'était de dire : "Ils le font tous, on le sait, il ne faut pas se fier aux analystes." » En décembre 2002, 10 banques transigent à hauteur de 1,4 milliard de $ au total. Bear Stearns : 80 M$ Crédit Suisse : 200 M$ Deutsche Bank : 80 M$ JP Morgan : 80 M$ Lehman Brothers : 80 M$

Merrill Lynch : 200 M$ Morgan Stanley : 125 M$ UBS : 80 M$ Goldman Sachs : 110 M$ Citigroup : 400 M$

Et promettent de s'amender. Scott Talbott représente la Table Ronde des Services Financiers, un des lobbies les plus puissants de Washington qui regroupe la grande majorité des banques du monde. — Cela ne vous gêne pas que plusieurs de vos membres aient commis de vastes escroqueries ? Scott TALBOTT (Chief Lobbyist Financial Services Roundtable) : — « Soyez plus précis. » — OK... — « L'escroquerie ne doit pas être tolérée, point. »

1 milliard d'amendes… Avec la déréglementation, les grandes banques font du blanchiment, escroquent leurs clients et trafiquent leurs comptes, encore, encore et encore. JP Morgan achetait des hauts fonctionnaires JP Morgan convaincue de corruption Riggs Bank blanchissait de l'argent pour le dictateur chilien Pinochet Le Crédit Suisse achemine des fonds pour le nucléaire iranien et l'Organisation de l'Industrie Spatiale d'Iran qui construit des missiles. « Toute information liée à l'Iran était effacée. » La banque est condamnée à une amende de 536 millions. Citibank exfiltre l'argent de la drogue du Mexique. Une enquêtrice : — Lui avez-vous dit qu'elle devait "perdre tous les documents liés au compte" ? Albert MISAN (VP, Citibank Private Bank) : — « C'était une plaisanterie. C'était tout au début. Je ne disais pas ça sérieusement. » Entre 1998 et 2003, Fannie Mae gonfle ses revenus de plus de 10 milliards de $. (Condamnés, amendes pour fraude comptable : Freddie Mac : 125 M$ - Fanny Mae : 400 M$) Franklin RAINES (PDG de Fannie Mae) : « Ces règles comptables sont très complexes et demandent des arbitrages, qui, souvent, divisent les experts. » Son PDG, Franklin Raines, ex-directeur du Budget de Bill Clinton, touche plus de 52 millions $ de bonus.

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L'UBS, accusée d'évasion fiscale (780 M$ d’amende pour fraude) pour des clients américains, refuse de coopérer avec le gouvernement. Un enquêteur : — « Fourniriez-vous les noms ? » Début de réponse (embarrassée) : — « Dans le cadre d'un traité… non... » — Vous avez admis être impliqué dans une fraude ! — (oui de la tête en silence…) » (Manchettes dans la presse :) AIG transigerait à hauteur de 1,6 milliard de $ Les banques ont participé à la fraude d'Enron ont aidé Enron à dissimuler la fraude (amende 385 M$) : Citibank, JP Morgan, Merryl Lynch Un journaliste : « Condamnées à des amendes sans précédent, ces banques n'ont pas pour autant à admettre leurs malversations. » Scott TALBOTT (Chief Lobbyist Financial Services Roundtable) : « Vu le nombre de produits et de clients, des erreurs se produisent. » — Dans la finance, il semble y avoir un niveau de criminalité très particulier. Quand peut-on dire que Cisco, Intel, Google, Apple ou IBM... Eliot SPITZER (Gouverneur de New-York 2007-2008, Procureur de New York 1999-2007) : « On peut opposer le secteur high-tech à la finance. » — Mais pourquoi ? — « Le secteur high-tech est par essence créatif, la valeur ajoutée et les revenus naissent de la création de nouveautés. » À partir des années 1990, la dérégulation et le progrès technologique génèrent des produits financiers complexes : les produits dérivés. Économistes et banquiers affirment qu'ils sécurisent les marchés. En fait, ils les déstabilisent. Andrew SHENG (Pdt de la commission de régulation bancaire chinoise) : « Depuis la fin de la Guerre froide, beaucoup d'anciens physiciens et mathématiciens ont concentré leurs talents non plus sur les technologies de la Guerre froide mais sur les marchés financiers. Avec les banques et les fonds... » — On crée d'autres armes. — « Exact. Vous savez, Warren Buffett parle d'armes de destruction massive. »

Andrew LO (Professeur et Directeur du laboratoire du MIT pour l’ingénierie financière) : « Les régulateurs, les politiciens et le monde des affaires n'ont pas mesuré les risques de l'innovation financière pour la stabilité du système financier. » Avec les produits dérivés, les banquiers jouent avec tout. Ils parient sur les cours du pétrole, la faillite d'une entreprise ou même la météo.

À la fin des années 1990, les dérivés constituent un marché non réglementé de 50 milliards de $. En 1998, quelqu'un tente de les réglementer.

Brooksley BORN, sortie major de la faculté de droit de Stanford, est la première femme à diriger une revue juridique. Spécialiste des dérivés chez Arnold & Porter, elle est placée par le Pdt Clinton à la tête de la CFTC qui supervise marchés à terme &dérivés. Michael GREENBERGER (Ex-directeur adjoint de la CFTC, 1997-2000) : « Brooksley Born m'a demandé de la rejoindre. Nous avons estimé que c'était un marché qui pouvait s'avérer déstabilisant. » En mai 1998, la CFTC propose une réglementation des dérivés. Le Département du Trésor de Clinton réagit sans tarder. Michael GREENBERGER : « J'entrais justement dans le bureau de Brooksley. Elle raccrochait le téléphone. Son visage était blême. Elle m'a regardé et a dit : "C'était Larry Summers."

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Il avait 13 banquiers dans son bureau. De façon très brutale, il lui a ordonné d'arrêter.»

Satyajit DAS (Consultant produits dérivés, et auteur du livre "Traders, armes et monnaie ») : « Les banques comptaient sur les revenus de ces activités. D'où un combat de titans pour empêcher toute réglementation. »

Après le coup de fil de SUMMERS, GREENSPAN, RUBIN et le président de la SEC, Arthur LEVITT, condamnent collectivement BORN et recommandent de ne pas réglementer les dérivés :

Alan GREENSPAN, 24 juillet 1998 : « La réglementation des transactions dérivées, négociées de façon privée par des professionnels, est inutile. » Barney FRANCK (Pdt de la commission parlementaire des services financiers) : « Born a été hélas désavouée par l'administration Clinton puis par le Congrès : en 2000, le sénateur Phil Gramm s'est attaché à faire voter une loi soustrayant les dérivés à la réglementation. » Sénateur Phil GRAMM (Président de la Commission sénatoriale bancaire) : « Unifier les marchés, alléger la réglementation, je crois qu'on doit le faire. » Après le Sénat, Phil Gramm devient vice-président de l'UBS. Depuis 1993, son épouse Wendy était au Conseil d'Administration d'Enron. Larry SUMMERS (Secrétaire du Trésor US 1999-2001) :

« Notre grand espoir, c'est de progresser cette année vers une loi qui de façon appropriée, contribuera à sécuriser juridiquement les dérivés de gré à gré. » Par la suite, Larry Summers gagnera 20 millions en conseillant un fonds de produits dérivés. Alan Greenspan (Président de la Réserve fédérale US) : « Je m'associe à tous les propos de M. Summers » En décembre 2000, le Congrès vote la loi de modernisation des marchés à terme. Rédigée avec l'aide des lobbyistes, elle interdit la réglementation des dérivés. Franck PARTNOY (professeur de droit et de finance à l’Université de Californie, San Diego) : « Après ça, c'était la folie. L'utilisation des dérivés et l'innovation financière ont totalement explosé après 2000. » George W. Bush, prêtant serment le 20 janvier 2001, après son élection : « Avec l'aide de Dieu. » À l'entrée en fonction de George W. Bush en 2001, la finance américaine est plus rentable, plus concentrée et plus puissante que jamais. Les leaders du secteur sont : • 5 banques d'affaires (Goldman Sachs, Morgan Stanley, Lehman Brothers, Merril Lynch, Bear Stearns), • 2 conglomérats financiers (Citigroup,JP Morgan), • 3 sociétés d'assurance (AIG, MBIA, AMBAC) • et 3 agences de notation (Moody’s, Standard & Poor’s, Fitch). Tous sont liés par la chaîne de titrisation, système offrant des milliers de milliards en crédits immobiliers et autres à des investisseurs du monde entier.

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Barney FRANCK (Pdt de la commission parlementaire des services financiers) : « Il y a 30 ans, pour un prêt immobilier, le prêteur s'attendait à être remboursé. On empruntait et il fallait rembourser. Depuis qu'on a la titrisation, les prêteurs n'assument plus le risque d'une défaillance. » Anciennement, un propriétaire payait son crédit tous les mois et l'argent revenait au prêteur local. Les crédits s'étalant sur des décennies, les prêteurs étaient prudents.

À présent, les prêteurs cèdent les crédits à des banques d'affaires.

Celles-ci agrègent des milliers de crédits immobiliers, de crédits auto, de crédits étudiants ou de dettes de cartes de crédit pour créer des dérivés complexes : les obligations adossées à des actifs, ou CDO (Collateralized debt obligations). Les banques revendent ensuite ces CDO à des investisseurs. Désormais, on rembourse son crédit immobilier à des investisseurs du monde entier.

Les banques paient des notateurs pour évaluer ces CDO.

Et beaucoup de CDO obtiennent AAA, la meilleure note pour un investissement. Les CDO sont donc prisés par les fonds de pension, qui n'ont le droit d'acheter que des valeurs sûres. Ce système est une bombe à retardement. Les prêteurs ne veillent plus à la solvabilité de l'emprunteur.

Ils accordent des prêts plus risqués. Les banques d'affaires n'y veillent pas plus. Plus elles vendent de CDO, plus leurs profits grimpent. Et les agences de notation, payées par les banques, ne sont pas responsables en cas de notation erronée. Gillian TETT (Rédactrice en chef aux USA Financial Times) : « Il n'y avait ni responsabilité ni réglementation. C'était le feu vert à la multiplication des prêts. »

Entre 2000 et 2003, le nombre de prêts immobi-liers accordés par an quadruple presque. Nouriel ROUBINI (Professeur à la NYU Business School) : « Les acteurs de la chaîne de titrisation, de bout en bout, se moquaient de la qualité du prêt. Ils voulaient augmenter le volume et toucher une commission. » Au début des années 2000, on assiste à une montée en flèche des crédits à risques, les subprimes.

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Mais une fois ces milliers de subprimes agrégés en CDO, beaucoup obtiennent encore AAA. Question à Gillian TETT (FT) : — Il aurait été possible de créer des produits dérivés ne comportant pas ces risques, avec un système de franchise et avec une limite sur le risque qui peut être pris. Ils ne l'ont pas fait. Gillian TETT (Rédactrice en chef aux USA Financial Times) : — « Non, et avec le recul, ils auraient dû. » Question à Samuel HAYES : — Ils savaient qu'ils prenaient des risques ? Samuel HAYES (professeur émérite sur les activités des banques d’affaires, Harvard Business School) : — « Je pense que oui, ils le savaient. » Les banques d'affaires privilégiaient les subprimes du fait de leurs taux élevés. Ce qui a entraîné une forte augmentation des prêts abusifs. On proposait sans raison des subprimes coûteux, souvent à des gens qui ne pouvaient les rembourser. Robert GNAIZDA (Greenlining) : « Les commissions que les banques payaient à leurs courtiers de prêt étaient basées sur la vente des produits les plus rentables, qui étaient des prêts abusifs. Eric HALPERIN (Directeur du Centre pour le Prêt Responsable, Washington DC) : « Si le banquier veut plus d'argent, il vous collera un subprime… »

DEUXIÈME PARTIE : (31:05) LA BULLE (2001-2007) Du coup, chaque année, des centaines de milliards affluent dans la chaîne de titrisation.

Avec ce crédit facile, les ventes immobilières (et donc les prix !) s'envolent.

Résultat : la plus grosse bulle financière de l'histoire. « L'immobilier, c'est réel. On voit son bien, on vit dedans, on le loue. » Charles MORRIS (auteur du livre « la débâcle de deux mille milliards de dollars ») : « Le marché immobilier a explosé sans raison. L'appétit pour le crédit du secteur de la finance déterminait ce que faisaient les autres. » Nouriel ROUBINI (Professeur à la NYU Business School) : « La dernière bulle immobilière datait de la fin des années 80. La hausse des prix avait alors été relativement faible. Cette bulle immobilière avait causé une récession assez grave. Entre 1996 et 2006, les prix ont pour ainsi dire doublé. » « Pour 500 $ la place, ils sont venus apprendre comment acheter leur part de rêve américain. » Robert GNAIZDA (Institut Greenlining) : « Goldman Sachs, Bear Sterns, Lehman Brothers, Merrill Lynch étaient toutes de la partie. Les prêts subprimes sont passés de 30 milliards par an à plus de 600 milliards par an, en dix ans. Ils savaient ce qui était en train de se passer. »

Countrywide Financial, le 1er pourvoyeur de subprimes, a octroyé des prêts pour un total de 97 milliards de $, générant un profit de plus de 11 milliards de $.

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À Wall Street, les bonus annuels grimpent.

Les traders et les PDG gagnent des sommes énormes durant la bulle.

Lehman Brothers est un gros souscripteur de subprimes. Et son PDG, Richard Fuld, empoche 485 millions de $. Nouriel ROUBINI (Prof NYU Bus. School) : « À Wall Street, cette bulle de crédit immobilier générait des centaines de milliards de profits. En 2006, environ 40 % des bénéfices des sociétés du S&P 500 provenaient des institutions financières. » Martin WOLF (Financial Times, Chief Economics Commentator) : « Ces profits n'étaient pas réels. C'était de l'argent créé par le système et comptabilisé comme un revenu. 2 ou 3 ans plus tard, il y a défaillance et on efface tout. Je qualifierais ça, avec le recul, au niveau national et même mondial, d'énorme pyramide de Ponzi. »

La loi de protection de la propriété résidentielle permet à la Réserve Fédérale de réguler le secteur des prêts immobiliers. Mais le président de la Fed, Alan Greenspan, refuse de le faire. Barney FRANCK (Pdt de la commission parlementaire US des services financiers) : « Alan Greenspan a dit : "Idéologiquement, je suis contre." » Pendant 20 ans, Robert Gnaizda préside Greenlining, une puissante association de consommateurs. Il voit alors régulièrement Greenspan. Robert GNAIZDA (Greenlining) :

« On lui a cité Countrywide et ses 150 différents prêts complexes à taux variable.

Il a dit : "Même avec un doctorat en maths, on ne peut pas les comprendre suffisamment pour savoir ce qui est bien et ce qui ne l'est pas."

On a cru qu'il prendrait des mesures. Mais au fil de la conversation, c'était clair qu'il était prisonnier de son idéologie.

On a revu Greenspan en 2005. Souvent, on le voyait deux fois par an, mais au moins une fois. Il n'a jamais changé d'avis. » Alan Greenspan n'a pas souhaité être interviewé. Christopher COX (Psdt de la SEC, organisme américain de règlementation et de contrôle des marchés financiers), le 2 juin 2005 : « Dans ce monde fascinant de communication immédiate, la libre circulation des capitaux contribue à la plus grande prospérité jamais connue. » La SEC n'a mené aucune enquête significative sur les banques d'affaires durant la bulle.

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Un enquêteur, le 7 octobre 2008 : — « 146 postes ont été supprimés au service de contrôle de la SEC. C'est aussi ce que vous avez dit ? » Lynn E. TURNER (Ex-chef comptable à la SEC) :

— « Oui. Je crois qu'il y a eu... un écrémage systématique, peu importe le terme, de la structure et de ses moyens, par des réductions d'effectifs. » L’enquêteur : — « Le service gestion des risques de la SEC a été réduit... à UNE personne, c'est bien ça ? » Lynn E. TURNER (chef comptable SEC) : — « Oui. Quand ce monsieur partait, il pouvait éteindre la lumière. »

Durant la bulle, les banques d'affaires s'endettent pour acheter plus de prêts et créer plus de CDO.

Le ratio entre l'argent emprunté et les fonds propres de la banque s'appelle le levier :

Plus une banque emprunte, plus son levier est élevé.

En 2004, Henry Paulson, PDG de Goldman Sachs, pousse la SEC à assouplir la limitation du levier, permettant aux banques de multiplier leurs emprunts.

Kenneth ROGOFF (Professeur d’économie à Harvard) : « La SEC, comme par hasard, a permis aux banques de jouer beaucoup plus gros. C'était de la folie. J'ignore pourquoi ils ont fait ça, mais ils ont fait ça. » Le 28 avril 2004, la SEC se réunit dans le but de supprimer la limitation du levier. Harvey J. GOLDSCHMID (Commissaire) : « On s'est dit : "C'est les gros poissons". C'est vrai. Mais du coup, si ça tourne mal, ce sera une affreuse grosse catastrophe. » Annette L. NAZARETH (Directeur) : « À ce niveau, on a affaire aux institutions financières les plus pointues. » Roel C. CAMPOS (Commissaire) : « Ce sont les plus grands acteurs du secteur des dérivés. On a demandé à certains s'ils étaient confiants. » Annette L. NAZARETH (Directeur) : « Les firmes estimaient que le chiffre était approprié. » — « La commission vote les règles proposées par ses services ? » William DONALDSON (Président) : — « Oui. Tout à fait. À l'unanimité. Et la séance est levée. » Daniel ALPERT (DG de Westwood Capital) : « L'effet de levier dans le système financier est devenu totalement effrayant. Les banques d'affaires allaient jusqu'à des ratios de 33 pour 1. Et donc une petite baisse de 3 % de leur actif les mettrait en faillite.

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Il y a une autre bombe à retardement dans le système :

AIG Le 1er assureur au monde vend en masse d'autres dérivés, appelés « couvertures de défaillance » : CDS, Credit Default SWAP. Pour les investisseurs en CDO, les couvertures de défaillance (CDS) sont des polices d'assurance [et ils n’assument plus le risque !]. Quand on achète une telle couverture, on paie à AIG une prime trimestrielle. Si le CDO tourne mal, AIG s'engage à rembourser les pertes. Mais à l'inverse des assurances classiques, les spéculateurs ont accès aux couvertures de défaillance d'AIG pour parier contre des CDO qu'ils ne possèdent pas.

Satyajit DAS (Consultant en produits dérivés) : « Normalement, on ne peut assurer que ce que l'on possède. Disons que je suis propriétaire. J'ai une maison. Je ne peux l'assurer qu'une fois. L'univers des dérivés permet à n'importe qui d'assurer cette maison. VOUS pouvez l'assurer. 50 personnes peuvent assurer ma maison. Donc, si ma maison brûle, le nombre de pertes à rembourser augmente en proportion. » Les couvertures de défaillance étant non réglementées, AIG n'a pas à provisionner d'éventuelles pertes. Au lieu de ça, AIG paie des bonus colossaux à ses employés dès que les contrats sont signés.

Mais si, plus tard, les CDO tournent mal, AIG sera piégé (il devra payer sans en être capable). Nouriel ROUBINI (Prof NYU Bus. School) :

“Les gens étaient récompensés pour leurs énormes prises de risques.

Quand tout va bien, ils génèrent des profits à court terme et donc des bonus.

Mais cela entraînera la faillite de la firme plus tard.

Ce mode de rémunération est pervers. » La filiale de produits financiers d'AIG à Londres émet pour 500 milliards de $ de couvertures de défaillance durant la bulle, souvent pour des CDO adossés à des subprimes. Les 400 employés d'AIGFP gagnent 3,5 milliards de $ entre 2000 et 2007. Joseph Cassano, à la tête d'AIGFP, touche lui-même 315 millions de $. Joseph CASTANO (Psdt AIG-FP, août 2007) : « C'est dur pour nous, sans paraître désinvolte, d'envisager un scénario, ne serait-ce que plausible, dans lequel on perdrait un seul dollar dans ces transactions. » En 2007, les commissaires aux comptes d'AIG donnent l'alerte. L'un d'eux, Joseph St. Denis, en vient à démissionner après avoir été empêché par Cassano d'examiner les comptes d'AIGFP. Henry WAXMAN (Pdt de la commission parlementaire de contrôle) accusant publiquement Martin SULLIVAN (PDG d’AIG de 2005 à 2008) : « Je vais vous dire qui n'a pas eu de bonus : M. St. Denis, qui vous a avertis des dangers qui vous guettaient. Il a démissionné de rage. Pour lui, pas de bonus ! »

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En 2005, Raghuram RAJAN, alors économiste en chef du FMI, fait un discours au Symposium de Jackson Hole, la plus prestigieuse des conférences bancaires. — Qui était dans l'assistance ? Raghuram RAJAN (Éco. en Chef FMI 2003-2007) : — « Tous les banquiers centraux du monde. À commencer par M. GREENSPAN lui-même, Ben BERNANKE, Larry SUMMERS était là. Tim GEITHNER aussi. Le titre de mon discours était : "Le développement financier est-il un risque pour le monde ?" La conclusion était : en effet, il l’est. » Le discours de RAJAN traite d'un système de primes qui génère d'énormes bonus basés sur des profits à court terme mais sans pénalités en cas de pertes ultérieures. RAJAN affirme que cela pousse les banquiers à prendre des risques, qui à terme, peuvent détruire leur firme, voire tout le système financier. Raghuram RAJAN (FMI) : « Il est très facile de générer du profit en prenant plus de risques. Il faut donc intégrer un facteur risque au calcul du profit. C'est le placard aux cadavres. » Kenneth ROGOFF (Prof. d’économie à Harvard) : « RAJAN a touché le cœur du problème. En particulier quand il a dit : "Vous affirmez avoir trouvé un moyen de gagner plus en prenant MOINS de risques. Je dis que vous avez trouvé un moyen de gagner plus en prenant PLUS de risques. Et c’est une grande différence". »

Raghuram RAJAN (FMI) : « SUMMERS a réagi avec force.

En gros, il pensait que je critiquais les évolutions dans l'univers de la finance. Et il craignait que la réglementation n'entrave ces évolutions.

Il m'accusait d'être rétrograde. Il voulait empêcher qu'on crée tout un tas de nouvelles réglementations afin de brider la finance. » Larry SUMMERS n'a pas souhaité être interviewé. Franck PARTNOY (professeur de droit et de finance à l’Université de Californie, San Diego) : « [On a proposé aux acteurs : ] "Vous allez gagner 2 millions de plus par an, ou 10 millions, en mettant votre banque en danger.

Quelqu'un d'autre paiera, pas vous.

Feriez-vous ce pari ?"

La plupart des gens à Wall Street ont répondu "banco !" »

Les Hamptons, à 2 h de New York :

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Robert GNAIZDA (Greenlining) : « Ce n'était jamais assez. Ils ne voulaient pas une maison, mais cinq. Il leur fallait un penthouse hors de prix sur Park Avenue.

Il leur fallait un jet privé. »

— Pensez-vous que dans ce secteur, les très hautes rémunérations sont justifiées ? Scott TALBOTT (Chef lobbyiste Table Ronde des Services Financiers) : — Je serais prudent. Je réfuterais le terme "très hautes". Tout est relatif. »

Henry WAXMAN (Pdt de la commission parlementaire de contrôle) accusant

publiquement Richard FULD (PDG de Lehman Brothers) : « Vous avez une maison à 14 millions de $ en Floride, une maison de vacances à Sun Valley, dans l'Idaho. Vous et votre femme

collectionnez les tableaux valant des millions… » Lawrence MCDONALD (ex-Vice-Président de Lehman Brothers) : « Richard Fuld évitait la salle des marchés. Les conseillers en art défilaient. Il avait un ascenseur privé. Il faisait tout pour rester en dehors. Son ascenseur était programmé spécialement. Son chauffeur appelait en arrivant, un vigile gardait la porte. Il n'y avait que 2 ou 3 secondes où il risquait de voir des gens. Il montait dans l'ascenseur et allait direct au 31e. Quastion à H. MILLER (avocat de Lehman) : — Lehman avait plusieurs jets privés, vous le savez ? Hervey MILLER (avocat de la faillite de Lehman) : — « Oui. » — Combien en tout ? — « Il y en avait 6, en comptant les 767. Plus un hélicoptère. » — Je vois. Ça fait beaucoup, non ? — [silence, sans trouver les mots pour dire "non" décemment…] Jeffrey LANE (Vice-Président Lehman Brother 2003-2007) : — « Ce sont des hyperactifs. Ils savent tout sur tout. »

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Willem BUITER (Chef économique de Citigroup) : « C'était à qui pissait le plus loin. La mienne est plus grosse que la tienne. Ce genre de truc… Il n'y a que des hommes, d'ailleurs. » Jeffrey LANE (Vice-Psdt Lehman Brother) : « Un contrat à 50 milliards ne suffit pas, on passe à 100 milliards. » Jonathan ALPERT (psychiatre) : « Ce sont des casse-cou, ils sont impulsifs. » Jonathan Alpert, psychiatre, suit beaucoup de cadres supérieurs de Wall Street. « C'est leur façon d'agir, leur personnalité. Ça se manifeste aussi en dehors du travail. Ils fréquentent les strip clubs, ils se droguent. Ils sont consommateurs de cocaïne, de prostitution. » Le patron du VIP Club à Chelsea estime à 80 % sa clientèle de banquiers. Andrew LO (Professeur et Directeur du laboratoire du MIT dédié à l’ingénierie financière) : « Récemment, des neurologues ont fait des expériences en mettant des gens dans une IRM. Ils les ont fait jouer à un jeu récompensé par de l'argent. Ils ont vu que quand les sujets gagnent de l'argent, la partie du cerveau qui est stimulée est celle que stimule la cocaïne. » Jonathan ALPERT (psychiatre) : « Beaucoup se sentent obligés d'adopter ce comportement pour réussir, être promus, reconnus. »

Selon Bloomberg, les sorties représentent 5 % du revenu des courtiers en dérivés de New York et incluent souvent strip clubs, prostitution et drogue. Un courtier de New York a attaqué son employeur en 2007, l'accusant de l'avoir forcé à engager des prostituées pour les traders. Jonathan ALPERT (psychiatre) : « Ils ne tiennent clairement pas compte de l'impact de leurs actes sur la société ou la famille. Ça ne les gêne pas de voir une prostituée puis d'aller retrouver leur femme. » Kristin DAVIS dirigeait un réseau de prostitution de luxe depuis son appartement, à deux pas de la Bourse de New York. — Combien de clients ? — « Environ 10 000, à cette époque. » — À partir de 1000 $ l'heure Quel pourcentage venait de Wall Street ? — « Pour les clients haut de gamme, sans doute... 40 à 50 %. » — Il y avait toutes les grandes banques ? Goldman Sachs ? — « … Lehman Brothers... Oui, ils venaient tous. » Jonathan ALPERT (psychiatre) : « Chez Morgan Stanley, ça se pratiquait moins. Je crois que chez Goldman, c'était très courant. » Kristin DAVIS : « Ils me demandaient une Lamborghini pour la soirée pour la fille. C'était l'argent de leur société. J'avais beaucoup de cartes noires des différentes banques. » Jonathan ALPERT (psychiatre) : « En fait, les frais sont imputés à la maintenance informatique... » Kristin DAVIS : « … Recherche sur les marchés, conseil en conformité juridique... Je donnais un papier à en-tête, ils faisaient la facture. » — Ces comportements concernent aussi la direction ? Jonathan ALPERT (psychiatre) : — Totalement, oui. Je sais que c'est le cas. Ça va jusqu'au sommet. »

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Allan SLOAN (Fortune magazine, Senior Editor) : « Un ami lié à une société très présente dans la finance m'a dit : "Il est temps que tu découvres les subprimes."

Il a organisé une réunion entre son desk de trading et moi. Le grouillot de service s'agite, court à son ordinateur et sort en 3 secondes une émission de titres de Goldman Sachs.

C'était n'importe quoi. Les crédits atteignaient en moyenne 99,3 % de la valeur de la maison.

Il n'y avait aucune mise de fonds. En cas de problème, l'emprunteur jetterait l'éponge. Ce n'est pas un crédit raisonnable, n'est-ce pas ? Il faut être fou ! Pourtant, on agrège 8000 de ces crédits et quand Goldman Sachs et les notateurs ont terminé, 2/3 des prêts sont notés AAA. C'est-à-dire aussi sûrs que des bons du Trésor! C'est complètement fou ! » Goldman Sachs vend au moins 3,1 milliards de $ de ces CDO toxiques au premier semestre 2006. Le PDG de Goldman Sachs, à l'époque, est Henry PAULSON, le PDG le mieux payé de Wall Street. George W. Bush (Président des États-Unis), le 30 mai 2006 : « Bienvenue à la Maison Blanche. J'ai le plaisir d'annoncer que je nomme Henry PAULSON secrétaire au Trésor. Homme d'affaires-né, il connaît parfaitement les marchés financiers. Il est reconnu pour son honnêteté et son intégrité. »

On penserait que Paulson souffrirait [de redescendre ainsi à] un maigre salaire de fonctionnaire.

Mais accepter ce poste est la décision la plus rentable de sa vie.

Paulson doit vendre ses 485 millions de $ d'actions Goldman en entrant au gouvernement.

Mais grâce à une loi datant du premier Président Bush, il est exonéré d'impôts.

Il économise 50 millions de $. En 2007, Allan SLOAN publie un article sur les CDO émis durant les derniers mois où Paulson était PDG.

Allan SLOAN (Fortune magazine) : « L'article est sorti en octobre 2007. Un tiers des prêts étaient déjà impayés. Maintenant, la plupart le sont. »

Parmi les acheteurs de ces titres désormais sans valeur, il y a le fonds de retraite public du Mississippi qui paie les pensions de plus de 80 000 retraités. Il perd des millions et maintenant, poursuit Goldman Sachs. Retraite moyenne d'un fonctionnaire du Mississippi :

18 750 $ par an

Rémunération moyenne chez Goldman Sachs : 600 000 $ par an

Rémunération de Hank Paulson en 2005 : 31 000 000 $ par an

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Fin 2006, Goldman va encore plus loin. Non contente de vendre des CDO toxiques, elle parie activement CONTRE eux tout en vantant à ses clients la qualité de cet investissement. En achetant des couvertures de défaillance à AIG, Goldman peut parier contre des CDO qu'elle n'a pas et être payée en cas de défaillance.

Allan SLOAN (Fortune magazine) : « Je leur ai demandé s'ils avaient dit à leurs clients : "On n'est plus trop fan de ces crédits, on voulait vous prévenir." Ils n'ont rien répondu, mais je les entendais presque rire au téléphone. » Goldman Sachs achète pour 22 milliards de $ de couvertures de défaillance à AIG. Au point que Goldman réalise qu'AIG pourrait faire faillite. Elle dépense donc 150 millions de $ pour s'assurer contre un effondrement d'AIG. Puis en 2007, Goldman va encore plus loin. Elle vend des CDO spécialement conçus : plus ses clients perdent d'argent, plus Goldman Sachs en gagne. Le PDG de Goldman Sachs et sa direction n'ont pas souhaité être interviewés. Mais en avril 2010, on les oblige à déposer devant le Congrès. Carl LEVIN (Chef de la commission sénatoriale d’investigation sur les affaires gouvernementales) : — « 600 millions de $ en titres Timberwolf, voilà ce que vous avez vendu. Avant de les vendre, voici ce que vos vendeurs disaient entre eux : "Dis donc, cette opération Timberwolf, quelle merde !" » Daniel SPARKS (ex-chef du département ‘prêts hypothécaires’ chez Goldman Sachs) :

— « C'est un e-mail qu'on m'a envoyé fin juin, après la transaction. » — « Non non, vous avez encore vendu du Timberwolf après. » — « ? On en a négocié après ??... » — Oui. OK. L'e-mail suivant (vérifiez), juillet, pièce 107, donne comme priorité de vente Timberwolf. Votre priorité de vente est cette opération de merde ? Si votre intérêt est opposé à celui du client, devez-vous l'en informer ? Informer votre client de votre intérêt opposé ? Voilà ma question. » — « J'essaie de comprendre... » — « Non, vous ne voulez pas répondre. » Susan COLLINS (Sénatrice, membre de la commission sénatoriale d’investigation sur les affaires gouvernementales : « Pensez-vous avoir le devoir d'œuvrer dans l'intérêt de vos clients ? » Fabrice TOURRE (Directeur Exécutif, ‘Produits structurés’ chez Goldman Sachs) : « Je répète, Mme la sénatrice, que nous avons le devoir de servir nos clients en indiquant le prix des transactions qu'ils nous demandent d'indiquer. » Sénateur Carl LEVIN (à Loyd BLANKFEIN) : — « Que dites-vous du fait de vendre des titres que votre propre équipe dit "merdiques" ?

Ça ne vous dérange pas ? » Lloyd BLANKFEIN (PDG Goldman Sachs) :

— « Je pense qu'ils seraient... En théorie ? » — Non, c'est réel. — « Alors... » — On l'a entendu aujourd'hui. On a entendu : "Opération de merde, merdique." — « Je n'ai rien entendu aujourd'hui qui me donne à penser que quelque chose ait mal tourné. »

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— N'y a-t-il pas conflit quand vous vendez quelque chose à quelqu'un tout en étant résolu à parier contre ce même titre sans le révéler à votre acheteur ? Aucun problème ? Lloyd BLANKFEIN (« GS ») : — « Pour un teneur de marché, ce n'est pas un conflit. »

Sénateur LEVIN (à D. VINIAR) : — Apprendre que vos employés, dans ces e-mails, disaient : "Quelle opération merdique. Quelle merde." Ça ne vous a rien fait ? David VINIAR (Vice-Président Exécutif

de Goldman Sachs) : — « Je trouve ça regrettable dans un e-mail. » [Rires dans la salle…]

Sénateur Carl LEVIN : — Et regrettable... "dans un e-mail" ?? Pas regrettable tout court ?! David VINIAR [comprenant sa boulette, et se corrigeant] : — « Il est regrettable de dire ça, sous n'importe quelle forme. » Sénateur Tom COBURN : — Estimez-vous que vos concurrents se livraient au même genre d'actes ?

Lloyd BLANKFEIN (PDG Goldman Sachs) : — « Oui, et à une plus large échelle que nous, en général. »

Gérant d'un fonds spéculatif, John Paulson gagne 12 milliards de $ en pariant contre les prêts immobiliers. Et quand il manque de titres contre lesquels parier, avec Goldman Sachs et Deutsche Bank, il en crée de nouveaux.

Morgan Stanley vend aussi des titres contre lesquels elle parie. Elle est attaquée par le fonds de pension public des Îles Vierges pour fraude. Il est plaidé que Morgan Stanley savait que ses CDO ne valaient rien. Bien que notés AAA, Morgan Stanley pariait sur leur échec. Un an plus tard, Morgan Stanley avait gagné des centaines de millions et les investisseurs avaient presque tout perdu. Goldman Sachs, John Paulson et Morgan Stanley ne sont pas les seuls. Les fonds Tricadia et Magnetar font fortune en pariant contre des CDO conçus avec Merrill Lynch, JP Morgan et Lehman Bros. Les CDO étant vendus comme "sûrs". Charles MORRIS (auteur du livre « la débâcle de deux mille milliards de dollars ») : « Les fonds de pension auraient dû dire : "Ce sont des subprimes. Pourquoi les acheter ?" Et les types de chez Moody's et S&P disaient que c'étaient des AAA. » Bill ACKMAN (Hedge Fund Manager) : « Ces titres n'étaient jamais émis sans 'imprimatur, le "label de qualité" des agences de notation. » Les 3 agences de notation Moody's, S&P et Fitch, gagnent des milliards en surnotant des titres risqués. Moody's, la plus grande, quadruple ses profits entre 2000 et 2007.

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Bill ACKMAN (gérant de Hedge Fund) : « Ils sont payés à la notation. Plus ils attribuent de AAA, plus ils gagnent, ce trimestre-là. Imaginez proposer au New York Times 500 000 $ pour un article positif. Et sinon, pas un sou. » Jerome FONS (ancien Directeur Général de l’agence de notation Moody’s) : « On pouvait arrêter la musique et dire : "Désolés. On va être plus strict." Et réduire immédiatement le flux de financement aux emprunteurs risqués. » Franck PARTNOY (professeur de droit et de finance à l’Université de Californie, San Diego) : « Les produits notés AAA sont passés brutalement d'un tout petit nombre à des milliers et des milliers. »

Jerome FONS (ex-patron de Moody’s) : « Des centaines de milliards de dollars étaient notés. » — Par an ? — « Par an ! Oh oui. » Franck PARTNOY (Prof. À San Diego) : « J'ai témoigné devant les 2 chambres du Congrès au sujet des agences de notation. Les 2 fois, elles ont sorti de leur chapeau d'éminents avocats spécialistes du 1er amendement pour arguer que "quand on donne à un produit la note AAA, ce n'est que notre opinion. Il ne faut pas s'y fier."

« Nos notes reflètent notre opinion. » « Ces notes sont... notre opinion, des opinions. » « Des opinions, uniquement des opinions. » « Je crois que nous voulons souligner que ces notes sont... des opinions. » Ils ne nous ont pas donné leur opinion. Aucun n'a souhaité être interviewé.

« [Les notes données par les agences] n'attestent pas la valeur de marché d'un titre, la volatilité de son prix ou sa pertinence comme investissement. »

TROISIÈME PARTIE : (57:06) LA CRISE

En 2005, une journaliste TV interroge Ben Bernanke : — Nombre d'économistes viennent nous dire : "C'est une bulle qui va exploser et cela va vraiment affecter l'économie." Certains redoutent même une récession. Quel est le pire scénario imaginable s'il se confirmait que les prix baissent nettement à travers le pays ? Ben BERNANKE (Directeur de la Réserve Fédérale), en 2005, 3 ans avant « la crise » : — « Je rejette votre postulat. Le risque est faible. Jamais les prix de l'immobilier n'ont baissé au niveau national. » Ben Bernanke est nommé à la tête de la Fed en février 2006, à l'apogée des prêts subprimes. Malgré de nombreuses alertes, Bernanke et le conseil de la Fed n'ont rien fait. Ben Bernanke n'a pas souhaité être interviewé. Robert Gnaizda verra Ben Bernanke et le conseil de la Fed 3 fois près l'arrivée de Bernanke à sa tête.

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Robert GNAIZDA (Greenlining) : « Ce n'est que la dernière fois qu'il a insinué qu'il y avait un problème et que le gouvernement devrait étudier ça. — C'était en quelle année ? — « En 2009, le 11 mars, à Washington. » — Cette année. — « En effet. » — Donc, aux réunions des 2 années précédentes... — « Oui… » Parmi les 6 gouverneurs de la Fed dirigée par Bernanke, on trouve Frederic Mishkin, nommé par le Président Bush en 2006. — Avez-vous assisté aux réunions semestrielles entre Robert Gnaizda, Greenlining et le conseil de la Fed ? Frederic MISHKIN (Gouverneur de la Réserve Fédérale 2006-2008) : — « Oui, je faisais même partie de la commission concernée, la commission Protection des consommateurs. » — Il a lancé une mise en garde explicite contre ce qui se passait e genre de contrats de prêt qui étaient fréquemment accordés. On l'a écouté poliment et rien n'a été fait. — « J'ignore les détails pour ce qui est de...heu, heu heu… [là, MISHKIN bredouille littéralement] Quels documents il a apportés, je ne sais pas au juste… À vrai dire, je ne sais plus si on en a parlé. Mais il est sûr que des problèmes étaient soulevés. La question étant : sont-ils répandus ? » — Pourquoi n'avoir pas cherché à savoir ? — « On a demandé à tout un groupe de le faire. » — Excusez-moi, vous ne pouvez pas dire ça sérieusement : en cherchant, vous auriez trouvé. — « Il est très facile de dire qu'on trouve toujours. »

Dès 2004, le FBI met en garde contre une épidémie de fraude au prêt immobilier. Il signale des évaluations emphatiques, des notices de prêt édulcorées et autres malversations. En 2005, Raghuram Rajan (FMI), met en garde contre les primes pouvant causer une crise. Puis viennent les mises en garde de Nouriel Roubini, en 2006, les articles d'Allan Sloan dans Fortune et le Washington Post, en 2007, et les mises en garde répétées du FMI. Dominique STRAUSS-KHAN (Directeur du FMI) : « J'ai dit, au nom de l'institution : "La crise qui nous attend est énorme." » — À qui ? — « Gouvernement, Trésor, Fed, tous. » En mai 2007, le gérant de fonds spéculatifs Bill Ackman diffuse un exposé intitulé "Qui paiera la casse ?" qui décrit comment la bulle explosera.

Et début 2008, Charles Morris sort son livre sur la crise imminente. Sous-titre du livre : Argent facile, flambeurs et grand krach du crédit Frederic MISHKIN (Gouverneur de la Réserve Fédérale 2006-2008) : « On ne sait trop que faire. On soupçonne éventuellement une baisse des normes de souscription. La question étant : doit-on agir ? »

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En 2008, les saisies immobilières se multiplient et la chaîne de titrisation implose.

Les prêteurs ne peuvent plus vendre leurs prêts aux banques. Les prêts tournant mal, des dizaines de prêteurs font faillite. George SOROS (Président du Fond d’investissement Soros) :

« Chuck Prince, de Citibank, a eu une formule célèbre : "Il faut danser jusqu'à ce que la musique s'arrête." En fait, la musique s'était déjà arrêtée quand il a dit ça. » Le marché des CDO s'écroule. Les banques se retrouvent avec des centaines de milliards en prêts, CDO et biens immobiliers invendables. Nouriel ROUBINI (Prof NYU Bus. School) :

« Au début de la crise, l'administration Bush comme la Réserve Fédérale étaient complètement dépassées.

Elles ne mesuraient pas les dégâts. » — À quel stade vous êtes-vous dit pour la première fois : Attention, danger" ? Christine LAGARDE (Ministre des Finances, France):

— « Je me rappelle très bien. Je crois que c'était au sommet du G7 de février 2008.Et je me rappelle en avoir parlé avec Hank Paulson.

Et je me rappelle très bien avoir dit à Hank : "Nous regardons ce tsunami arriver et vous... proposez seulement qu'on décide quel maillot on va mettre." »

— Quelle a été sa réponse, son sentiment ?

— « "Nous maîtrisons la situation. Nous suivons ce problème de près. Nous maîtrisons." »

Henri PAULSON (Secrétaire au Trésor US), au G7 de Tokyo, 9 février 2008 : « On va continuer à croître. Et à l'évidence, je vais vous dire : si on a la croissance, on n'est pas en récession. On sait tous ça. » La récession a en fait débuté 4 mois avant cette déclaration de Paulson. 16 mars 2008 : un journaliste parle : « En quelques jours, un pilier de Wall Street... » En mars 2008, la banque Bear Stearns,

à court de liquidités, est rachetée pour 2 $ l'action par JP Morgan Chase. Opération bénéficiant de l’appui de 30 milliards de $ en aide d'urgence venus de la Fed. Simon JOHNSON (professeur au MIT, chef économiste au FMI) : « Alors, l'administration aurait pu intervenir et mettre en place diverses mesures pouvant réduire le risque systémique. » Paul KANJORSKI, 10 juillet 2008 : (Député enquêteur) : « Selon plusieurs de mes sources, la fin n'est pas en vue, le jeu de massacre va continuer. »

Henri PAULSON (Secrétaire au Trésor US, ancien patron de Goldman Sachs) : « J'ai vu ces banques d'affaires travailler avec la Fed et la SEC pour renforcer leurs liquidités, renforcer [bégayant] leur capitalisation. Je suis constamment informé. » Le 7 septembre 2008, Henry Paulson annonce la nationalisation de Fannie Mae et Freddie Mac, 2 géants du prêt

immobilier au bord du gouffre. Henri PAULSON (Secrétaire au Trésor US, ex-CIO Goldman Sachs) : « Nos décisions d'aujourd'hui ne reflètent en rien une vision modifiée de

la correction immobilière ou de la solidité de nos institutions financières. »

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2 jours après, Lehman Brothers dévoile une perte record de 3,2 milliards de $ et son cours s'effondre. Question du journaliste à David McCORMICK : — « L'effet "Lehman-AIG" de septembre a quand même été une surprise. Même après juillet, et "Fannie-Freddie", alors... clairement, il y avait des choses qui, jusqu'en septembre, des choses capitales que personne ne savait. » David McCORMICK (Sous-Secrétaire au Trésor de l’administration BUSH), très hésitant : — « Ça me paraît… heu… juste. » Question à Jerome FONS : — Bear Stearns était notée AAA un mois avant sa faillite ? Jerome FONS (ex Dir. Général de l’agence de notation Moody’s) : — « Hum, plutôt A2… » — OK, mais A2 ne signifie pas non plus "faillite". — « Non non non : c'est effectivement une excellente note pour un investissement. … Lehman Brothers notée A2 à quelques jours de la faillite… AIG noté AA quelques jours avant d'être renfloué… Fannie Mae et Freddie Mac étaient AAA, lors de leur sauvetage… Citigroup, Merrill… Tous avaient des notes de bon investissement. » — Au nom de quoi ? Comment pouvaient-ils être aussi bien notés ? — « Eh bien… Heu… C’est une bonne question… (rire gêné). C’est une super question ! » Question à David McCORMICK : — À aucun moment les autorités ne disent aux grandes sociétés : "C'est grave. Parlez-nous de votre situation. Trêve de bobards, où en êtes-vous ?" David McCORMICK (Sous-Secrétaire au Trésor de l’administration BUSH), hésitant : — « Primo, c'est aux régulateurs de... C'est leur métier de découvrir la surexposition de ces sociétés. Et ils ont un excellent discernement, qui s'est encore aiguisé à mesure que la crise s'amplifiait. Donc… »

— Pardonnez-moi, mais c'est clairement FAUX.

— « Comment cela, faux ?... » Question du cinéaste-journaliste à F. MISHKIN :

— En août 2008, étiez-vous au courant des notations financières obtenues par Lehman Brothers, Merrill Lynch, AIG, et les trouviez-vous adéquates ? Frederic MISHKIN (Gouverneur de la Réserve Fédérale 2006-2008, et professeur à l’Université Columbia) : — « Heu… [longue hésitation et gêne] Clairement, les notes précédentes étaient inadéquates puisqu'on les dépréciait… » — Pas du tout. — « … Il y a eu dépréciation, dans le secteur, le cours des actions... » — Non. Toutes sans exception obtenaient au minimum A2 quelques jours avant d'être secourues. — « Alors, ma réponse est que je n'en sais pas assez pour vous répondre, sur cette question particulière… » Présentatrice des news à la télé : « Fred Mishkin abandonnera ses fonctions à la Fed le 31 août 2008. Il a dit qu’il prévoyait de reprendre son poste de professeur à la Columbia Business School. » Question de la journaliste à Fred Mishkin : — Pourquoi avoir quitté la Réserve Fédérale en août 2008, au beau milieu de la crise financière la plus grave ?...

Frederic MISHKIN (Gouverneur de la FED 2006-2008, et prof. à l’Université Columbia) : — « …heu… J’avais alors à réactualiser un manuel… » Présentatrice des news à la télé : « Le conseil de la Fed compte désormais 3 sièges vacants sur 7, en plein désarroi économique. »

— Votre manuel est sûrement important et très lu, mais en août 2008, il se passait des choses quelque peu plus importantes, non ?

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Le vendredi 12 septembre, Lehman se retrouve sans liquidités et tout le secteur des banques d'affaires fait naufrage.

La stabilité du système financier mondial est menacée.

Ce week-end-là, Henry Paulson et Timothy Geithner, qui préside la Fed de New York, réunissent en urgence les PDG des grandes banques dans l'espoir de secourir Lehman.

Vikram PANDIT (CIO of Citigroup)

John J. MACK

(CEO of Morgan Stanley)

Jamie DIMON (CIO of JP Morgan)

Lloyd BLANKFEIN (CIO of Goldman

Sachs) Mais Lehman n'est pas la seule. Merrill Lynch, autre grande banque d'affaires, est également au bord de la faillite. Et ce même dimanche, elle est rachetée par Bank of America. La seule banque intéressée par Lehman est la britannique Barclay's. Mais les régulateurs britanniques exigent la garantie de l'État américain.

PAULSON REFUSE.

Ni Lehman ni les autorités n'auront anticipé une faillite. Hervey MILLER (avocat de la faillite de Lehman) :

« Nous avons tous pris le premier taxi venu pour aller au siège de la Fed. Ils voulaient entamer la procédure de faillite avant minuit, en ce 14 septembre.

Nous avons dit avec insistance que ce serait un événement terrible. À un moment, j'ai parlé d'apocalypse. Avaient-ils pesé les conséquences de ce qu'ils proposaient ? Le marché réagirait violemment. » — Vous avez dit cela ? — « Oui. Ils ont répondu qu'ils avaient pesé tous nos commentaires mais qu'ils estimaient toujours qu'afin de calmer les marchés et d'aller de l'avant, Lehman devait être mise en faillite. » — "Calmer les marchés" ? — « Oui. » Question à Christine LAGARDE : — Quand vous a-t-on dit que Lehman était mise en faillite ? Christine LAGARDE (Ministre des Finances en France) : — « Après coup. » — Après-coup ? Waw… OK… heu… et quelle a été votre réaction ? — « "La vache !"… » Paulson et Bernanke ne consultent pas les autres pays et ne comprennent pas les effets des lois étrangères sur les faillites. (16 sept 2008) Lehman-Londres vide ses... bureaux. La loi anglaise oblige Lehman-Londres à fermer immédiatement. Hervey MILLER (avocat de la faillite de Lehman) : « Arrêt net des transactions. Et il y avait des milliers et des milliers et des milliers de transactions ! »

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Gillian TETT (Rédactrice en chef aux USA du Financial Times) :

« Les fonds spéculatifs qui avaient des actifs chez Lehman-Londres découvrent, horrifiés, qu'ils ne peuvent les récupérer. »

Satyajit DAS (Consultant produits dérivés) : « L'un des points du réseau ne répondait plus. Avec d'énormes répercussions sur tout le système. »

Une journaliste télé Bloomberg : « Le doyen des fonds monétaires fait une croix sur environ ¾ de milliard de $ (750 millions de $) de créances douteuses émises par feue Lehman Brothers. » Autre conséquence : la chute du marché des effets de commerce dont dépendent nombre de sociétés pour régler charges et salaires. Une journaliste télé CNN : « On doit licencier, on ne peut acheter des pièces. Ça paralyse les affaires. » Gillian TETT (Rédactrice en chef aux USA du Financial Times) : « D'un seul coup, on se dit : "En quoi croire ? On ne peut plus se fier à rien." » La même semaine, AIG doit rembourser 13 milliards de $ aux détenteurs de couvertures de défaillance (CDS credit default swap). AIG N'A PAS CET ARGENT.

Andrew SHENG (Pdt de la commission de régulation bancaire chinoise) :

« AIG était une sorte d'aéroport. Si AIG s'arrêtait, tous les avions étaient cloués au sol. »

Le 17 septembre, AIG est mis sous tutelle par l'État.

Le lendemain, 18 sept 2008, Paulson et Bernanke demandent au Congrès 700 milliards de $ pour renflouer les banques. Faute de quoi, assurent-ils, la catastrophe financière sera totale.

Nouriel ROUBINI (Prof NYU Bus. School) : « C'était effrayant. Tout le système s'est figé. Chaque maillon du système financier, du système de crédit. Plus personne ne pouvait emprunter. Une sorte d'arrêt cardiaque de la finance mondiale. » Henri PAULSON (Secrétaire au Trésor US, ex-CIO de Goldman Sachs), 15 sept. 2008 : « Je fais avec ce dont j'ai hérité.

La majeure partie de ma tâche est de gérer les conséquences de choses faites il y a des années. » David McCORMICK (Sous-

Secrétaire au Trésor de l'administration Bush) : — « Paulson s'est beaucoup exprimé. Toutes les racines possibles du mal, qui sont nombreuses, il les a nommées, alors je ne sais... »

— Vous ne parlez pas sérieusement.

— « Si. Qu'attendiez-vous ? Heu… Qu'est-ce que vous espériez d'autre? »

— Il a été le plus farouche opposant à la réglementation des couvertures de défaillance et partisan de la suppression de la limitation du levier.

— « Donc, encore une fois : qu'est-ce que… »

— En a-t-il parlé ? Je ne l'ai pas entendu en parler.

— « …On peut couper la caméra, un instant ? » Henry Paulson n'a pas souhaité être interviewé. Une fois AIG renfloué [par Paulson au gouvnt], les détenteurs de ses couvertures, avec au 1er rang Goldman Sachs, reçoivent 61 milliards de $ dès le lendemain. Paulson, Bernanke et Tim Geithner forcent AIG à payer 100 cents par $, plutôt que de négocier

un rabais. Finalement, le renflouement d'AIG coûtera aux contribuables

plus de 150 milliards de $.

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Michael GREENBERGER (Ex-directeur adjoint de la CFTC, 1997-2000) : « 160 milliards sont distribués via AIG, et 14 milliards vont à Goldman Sachs ! »

Simultanément, PAULSON et GEITHNER forcent AIG à renoncer à poursuivre Goldman et les autres banques pour fraude. Question à David McCORMICK :

— N'y a-t-il pas problème quand la personne chargée de gérer cette crise est l'ex-PDG de Goldman Sachs ? Un des principaux artisans de cette crise. David McCORMICK (Sous-Secrétaire au Trésor de l'administration Bush) : — « Indiscutablement, les marchés d'aujourd'hui sont incroyablement compliqués. »

George BUSH annonçant l’aide publique aux banques à la télévision : « Aide financière d'urgence… » Le 4 octobre 2008, le Pdt Bush signe un plan de renflouement de 700 milliards de $.

Mais les bourses continuent à chuter car l'on craint désormais une récession mondiale. Ce plan n'endigue en rien la vague de licenciements et de saisies. Le chômage, aux États-Unis et en Europe, atteint vite 10 %. La récession s'emballe et s'étend au monde entier.

Charles MORRIS (auteur du livre « la débâcle de deux mille milliards de dollars ») : « J'ai vraiment pris peur car je n'avais pas imaginé voir le monde entier frappé à la même vitesse, en même temps. »

En décembre 2008, General Motors et Chrysler sont menacés de faillite. Et comme la consommation américaine baisse, l'industrie

chinoise voit ses ventes s'écrouler. Plus de 10 millions de migrants en Chine perdent leur emploi.

Dominique STRAUSS-KAHN (Directeur général du Fonds Monétaire International) : « En fin de compte, les plus pauvres paient toujours le prix fort. »

Usine de luminaires Province du Guangdong, Chine

Johanna XU (ancienne ouvrière chinoise) :

« Ici, on peut gagner beaucoup d'argent. Comme 70 ou 80 $ par mois. Comme paysan, à la

campagne, on ne peut pas gagner autant. Les ouvriers envoient des mandats dans leur village, pour leur famille.

La crise a commencé en Amérique. On sait tous qu'elle va arriver en Chine. Il y a des usines qui vont renvoyer des ouvriers. Il y aura des pauvres, à cause du chômage. La vie sera plus dure. »

Singapour

Patrick DANIEL (Rédacteur en chef se Singapore Press Holdings) :

« On avait une croissance d'environ 20 %. C'était une super année ! Et d'un seul coup, -9 %, ce trimestre. Les exportations ont chuté. De l'ordre de 30 %. On a pris

un sacré coup, on est tombé de haut. » Lee Hsien LOONG (Premier ministre de Singapour) : « Au début de la crise, nous ne savions

jusqu'où elle s'étendrait et quelle serait sa gravité. Et nous espérions toujours trouver le moyen de nous abriter pour moins subir la tempête. Mais ce n’est pas possible. Le monde est très globalisé, les économies sont toutes liées. »

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Le nombre de saisies aux États-Unis atteint les 6 millions début 2010.

Eric HALPERIN (Directeur du Centre pour le Prêt Responsable, Washington DC) : « Dès qu'une maison est saisie, cela affecte tout le voisinage. Quand cette maison est revendue, c'est à un prix très bas. Peut-

être, avant ça, aura-t-elle été mal entretenue.

Nous prévoyons encore 9 millions de propriétaires expulsés. »

Columbia RAMOS (San Jose, CA) :

« On est allé, un week-end, voir les maisons à vendre. Une nous plaisait. Le paiement était de 3200. »

Columba Ramos et son mari ne parlent pas anglais. Ils sont floués par leur courtier de prêt, lui-même payé par un prêteur abusif. « La maison était belle, c'était pas cher. Tout allait bien. On touchait le gros lot !

Retour à la réalité avec le premier paiement.

Je suis très triste pour mon mari... parce que... il travaille trop. Et on a 3 enfants. »

"Ville de tentes", Comté de Pinellas, Floride

Eric EVANOUSKAS (Volontaire aux Chantiers Catholiques) : « Je m'occupe, en grande majorité, de victimes de la crise. Ils vivaient au jour le jour, au gré des fiches de paie. Puis, chômage… Les allocs ne remboursent pas la

maison, la voiture. »

Steven A. STEPHEN (ancien ouvrier du bâtiment) :

« J'étais chauffeur routier.

Ils ont fermé toutes les exploitations de bois, les scieries, etc.

J'ai déménagé ici pour bosser dans le bâtiment.

Ici aussi, la boîte a fermé, alors...

La vie est dure, on est beaucoup ici. Il va y avoir plein d'autres camps, vu le manque de boulot. »

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QUATRIÈME PARTIE : (1h17:27) RESPONSABILITÉS

Richard FULD (PDG de Lehman Brothers): « Quand l'entreprise prospérait... … nous prospérions. Quand l'entreprise ne prospérait pas, nous ne prospérions pas. » Ceux qui ont détruit leur entreprise et jeté le monde

dans la crise sortent des décombres, leur fortune intacte. Les 5 principaux dirigeants de Lehman gagnent plus d'un milliard entre 2000 et 2007. Et après la faillite, ils ont le droit de tout garder. Richard FULD (PDG de Lehman Brothers) : « Le système a fonctionné. » Angelo MOZILO (PDG de Countrywide) : « Il est absurde d'accorder un prêt voué à l'échec. On y perd. L'emprunteur y perd, la collectivité y perd, on y perd. » Le PDG de Countrywide, Angelo Mozilo, gagne 470 millions de $ entre 2003 and 2008.

Dont 140 millions récoltés en bradant ses actions Countrywide dans les 12 mois précédant la chute de sa société. Bill ACKMAN (gérant de Hedge Fund) :

« C'est au CA (Conseil d'Administration ; « the board ») d'assumer une faillite. C'est le CA qui recrute ou renvoie le PDG et supervise la stratégie. Le problème, en Amérique, c'est son mode d'élection : les membres du CA sont très souvent choisis par le PDG. »

Scott TALBOTT (Chef lobbyiste Table Ronde des Services Financiers) :

— « Le CA et le comité des rémunérations sont les organes les mieux placés pour fixer le traitement des dirigeants. » — Ont-ils bien rempli leur tâche depuis 10 ans? — « Selon moi, si on prend en compte les... Je leur donnerais dans les 15/20. »

— Pas zéro ? — « Non, pas zéro. »

Stan O'NEAL, le PDG de Merrill Lynch, touche 90 millions de $ pour la seule période 2006-2007.

Après avoir coulé l'entreprise, il est autorisé à démissionner par le CA et reçoit 161 millions de $ d'indemnités. Question à Scott TALBOTT : — Au lieu d'être renvoyé, Stan O'NEAL est autorisé à démissionner et empoche 151 millions de $...

— « C'est la décision du CA à un moment donné. » — Quelle note lui donnez-vous ?

— « Difficile… Je ne sais si ce serait 15 également. » Le successeur d'O'NEAL,

John THAIN touche 87 millions de $ en 2007. Et en décembre 2008, 2 mois après le renflouement de Merrill par les contribuables, THAIN et le CA de Merrill distribuent des milliards en bonus.

En mars 2008, la filiale de produits financiers d'AIG perd 11 milliards de $.

Au lieu d'être renvoyé, Joseph CASSANO, qui est à sa tête, est gardé comme consultant, à un million par mois. Martin SULLIVAN (PDG AIG 2005-2008)

« Il fallait veiller à conserver les acteurs-clés, les employés clés d'AIGFP, à conserver cette richesse intellectuelle. »

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Dominique STRAUSS-KAHN (Directeur général du Fonds Monétaire International) : — « J'ai assisté à un dîner très intéressant donné par Hank Paulson il y a un peu plus d'un an. Quelques officiels et des PDG des plus grandes banques américaines. O surprise, tous ces messieurs disaient : "Nous étions trop cupides. Alors, nous sommes en partie responsables".

Bien…

Et alors, ils se tournaient vers le secrétaire au Trésor : "Vous devriez plus réglementer, on est trop cupide. Le seul remède, c'est plus de réglementation." — J'ai évoqué ce sujet avec beaucoup de banquiers dont de très haut placés. C'est la première fois que j'entends dire qu'ils voulaient qu'on réglemente leur rémunération.

— « Oui, mais à l'époque, ils avaient peur. Plus tard, quand des solutions à la crise sont apparues, ils ont sans doute changé d'avis. »

Aux États-Unis, les banques sont plus grandes, plus puissantes et plus concentrées que jamais.

Martin WOLF (Financial Times, Chief Economics Commentator) : « Il y a moins de concurrents. Nombre de petites banques ont été absorbées. JP Morgan est encore plus grande qu'avant. »

Nouriel ROUBINI (Prof NYU Bus. School) : « • JP Morgan a d'abord absorbé Bear Stearns puis WAMU. • Bank of America a absorbé Countrywide et Merrill Lynch. • Wells Fargo a absorbé Wachovia. »

Depuis la crise, le secteur financier, dont la Table Ronde des Services Financiers, combat plus que jamais les réformes.

Le secteur financier emploie 3000 lobbyistes, plus de 5 pour chaque membre du Congrès.

Question à Scott TALBOTT :

— Pensez-vous que le secteur financier est trop influent politiquement, aux États-Unis ? — « Non. Je pense que tous les gens de ce pays sont représentés à Washington. » — Pensez-vous que tous les segments de la société américaine ont un égal et juste accès au système ? — « Vous pouvez entrer dans

n'importe quelle salle d'audience. Donc, oui. » — Entrer dans une salle d'audience, mais pas forcément faire un chèque aussi élevé que ceux de vos lobbies ou faire des dons politiques aussi importants que les vôtres… Entre 1998 and 2008, le secteur financier dépense plus de 5 milliards de $ en frais de lobbying et dons politiques. Et depuis la crise, il dépense encore plus. Le secteur financier exerce aussi une influence plus subtile que la plupart des Américains ignorent. Il corrompt jusqu'à L'ENSEIGNEMENT DE L'ÉCONOMIE.

George SOROS (milliardaire, spéculateur) :

« La dérégulation a bénéficié d'un immense soutien financier et intellectuel. Car les gens l'ont défendue

dans leur propre intérêt. Le corps des économistes a été le moteur de cette illusion. »

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Depuis les années 1980, les économistes universitaires prônent la dérégulation et contribuent grandement à modeler la politique américaine.

Très peu de ces experts ont donné l'alerte, avant la crise. Et même après la crise, nombre d'entre eux s'opposent aux réformes. Charles MORRIS (auteur du livre « la débâcle de deux mille milliards de dollars ») :

« Les types qui enseignaient ces trucs gagnaient souvent gros comme consultants. Les professeurs d'école de commerce ne vivent pas de leur salaire. Ils gagnent très bien leur vie. »

Question à Martin FELSTEIN (prof. Harvard) :

— Depuis 10 ans, le secteur financier a fait des dons politiques d'environ 5 milliards de $, aux États-Unis. C'est beaucoup. Ça ne vous dérange pas ?

Martin FELSTEIN (professeur prestigieux à Harvard et plusieurs fois Conseiller des gouvernements déréglementeurs) : — [en souriant] « Non. »

Martin FELDSTEIN est professeur à Harvard et économiste de renommée mondiale.

Premier conseiller économique du Pdt Reagan, il est un des architectes de la déréglementation.

Et de 1988 à 2009, FELSTEIN participe aux Conseils d'Administration d'AIG et de sa filiale de produits financiers, et FELSTEIN gagne des millions. Question à Martin FELSTEIN : — Regrettez-vous d'avoir siégé au conseil d'AIG ?

— « Aucun commentaire. Hum, non, aucun regret d'y avoir siégé. » — Aucun ? — « Absolument aucun. » — Avez-vous le moindre regret sur... les décisions d'AIG ?

— « Je ne peux rien dire de plus sur AIG. » Glenn HUBBARD (conseiller économique en

chef pour l’administration Bush, Doyen de la Faculté Columbia Business School) : — « J'ai enseigné à Northwestern, Chicago, Harvard et Columbia. » Glenn HUBBARD est le doyen de la

Columbia Business School et a dirigé les conseillers économiques de George W. Bush.

— Pensez-vous que le secteur financier a trop de poids politique aux États-Unis ? — « Je ne le crois pas, non. Ce n'est certainement pas l'impression qu'on a, vu les coups qu'il reçoit régulièrement à Washington. »

Nombre de grands universitaires s'enrichissent en douce tout en aidant la finance à façonner l'opinion et les décisions politiques.

Analysis Group, Charles River Associates, Compass Lexecon et Law & Economics Consulting Group font des milliards de bénéfices en vendant les services d'experts universitaires.

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Voici deux banquiers ayant fait appel à eux : Ralph CIOFI et Matthew TANNIN, gérants de fonds spéculatifs chez et poursuivis pour fraude.

Après avoir fait appel à Analysis Group, ils sont acquittés.

Glenn Hubbard est payé 100 000 $ pour témoigner en leur faveur. — Pensez-vous que les sciences économiques ont un problème de conflit d'intérêts ? — « Comment cela ? » — Pensez-vous qu'une large fraction des enseignants en économie ont des conflits d'intérêts financiers pouvant faire douter de... — « Oh j’ai compris ce que vous étiez en train de dire… J'en doute : la plupart des économistes universitaires ne sont pas des hommes d'affaires aisés. » Hubbard gagne 250 000 $ par an en siégeant au CA de Met Life et a siégé à celui de Capmark, un des leaders du crédit immobilier durant la bulle et qui a fait faillite en 2009. Il a aussi conseillé Nomura Securities, KKR Financial Corporation, et bien d'autres sociétés financières.

Laura TYSON, qui n'a pas souhaité être interviewée, enseigne à l'université de Berkeley, en Californie. Elle dirige les conseillers économiques puis préside le Conseil Économique National sous

CLINTON. Peu après avoir quitté le gouvernement, elle siège au CA de Morgan Stanley qui lui verse 350 000 $ par an.

Ruth SIMMONS, présidente de Brown University, gagne plus de 300 000 $ par an en siégeant au CA de Goldman Sachs.

Larry SUMMERS, qui au Trésor, a beaucoup contribué à la déréglementation des dérivés, devient président de Harvard en 2001. De Harvard, il gagne

des millions en conseillant des fonds spéculatifs, et pour des discours payés en majorité par des banques d'affaires. D'après la déclaration qu'il a déposée, le patrimoine de Summers atteint entre 16,5 et 39,5 millions de $.

Frederic MISHKIN, rentré à la Columbia Business School après avoir abandonné la Fed, déclare, quant à lui, un patrimoine compris entre 6 et 17 millions de $. Question à Frederic MISHKIN :

— En 2006, vous avez coécrit une étude du système financier islandais. Vous y écriviez : "C'est un pays évolué doté d'excellentes institutions. Peu de corruption, état de droit, économie convertie à la libéralisation financière. Réglementation et surveillance prudentielles de qualité." — « Oui. Là était l'erreur. Il est apparu que réglementation et surveillance prudentielles n'étaient pas de qualité… » — Qu'est-ce qui vous a fait croire le contraire ? — « On s'en remet aux informations qu'on a

et l'opinion générale voulait que l'Islande ait d'excellentes institutions et soit très évoluée. »

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— Qui vous l'avait dit ? Quelles recherches aviez-vous faites... — « Eh bien, on parle à des gens, on fait confiance à la Banque centrale qui finalement n'a pas été à la hauteur. Et clairement... heu… » — Pourquoi vous être fié à la Banque centrale ? — « Eh bien, cette confiance… heu… [là, il bredouille littéralement]…heu.. on s'en remet aux infos qu'on a. » — Ça vous a rapporté combien ?

— « J'ai été payé...heu… heu… Je crois que cette information est dans le domaine public… » Frederic Mishkin a reçu 124 000 $ de la Chambre de commerce islandaise pour écrire cette étude.

— Sur votre CV, le titre du rapport "Stabilité financière en Islande" devient "Instabilité financière en Islande"… — Heu… Je ne sais pas pourquoi, mais... [bredouillant et souriant] Les coquilles, ça arrive… » Glenn HUBBARD (conseiller économique en chef pour l’administration Bush, Doyen de la

Faculté Columbia Business School) : — « Je pense que ce qu'il faudrait, c'est que toute personne faisant des recherches révèle ses éventuels conflits d'intérêts financiers avec ces recherches. »

— Mais si je ne m'abuse, rien ne l'y oblige. — [fronçant le sourcil] « Je ne vois pas qui pourrait ne pas le faire… Ne pas en faire mention… Ce serait s'exposer à une lourde sanction professionnelle… »

Question à Frederic MISHKIN : — Je n'ai vu mentionné nulle part que vous aviez été payé par la Chambre de commerce islandaise pour l'écrire [ce rapport, affirmant

que tout allait bien juste avant la débâcle]. — « (bredouillant) Non, effectivement… »

Richard PORTES, le plus connu des économistes britanniques, professeur à la London Business School, a également été chargé par la Chambre de commerce islandaise, en 2007, d'écrire un rapport vantant le secteur financier islandais.

Richard PORTES (professeur à la faculté London Business school), à la télé sur Bloomberg :

« Les banques ont de fortes liquidités, elles ont même spéculé sur la chute de leur devise. Ce sont de solides banques, leur financement est assuré pour l'année. Elles sont bien gérées. »

Comme MISHKIN, PORTES ne révèle pas avoir été payé par la Chambre de commerce islandaise. Question à John CAMPBELL (Dir. à Harvard) :

— Harvard exige-t-elle la mention de conflits d'intérêts dans les publications ?

John CAMPBELL (Directeur du Département Économique de la faculté d’Harvard) :

— « Pas à ma connaissance. »

— Demandez-vous à ces gens de signaler les rémunérations de leurs activités externes ?

— « Non. »

— Ne pensez-vous pas que ce soit un problème ?

— « Je ne vois pas pourquoi. »

— Que Martin FELDSTEIN siège au CA d'AIG, Laura TYSON chez Morgan Stanley, que Larry SUMMERS reçoive 10 millions de $ par an de

sociétés financières… Hors sujet ?

— « Hum… Oui, en gros… »

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Question à Martin FELSTEIN (prof. d’éco à Harvard ET patron d’AIG) : — Vous avez écrit de nombreux articles sur un large éventail de sujets. Vous n'avez jamais cru bon

d'étudier le risque à ne pas réglementer les couvertures de défaillance ? Martin FELSTEIN (Professeur d’Économie à Harvard et Président d’AIG et AIGFP produits

financiers de 1988 à 2009) : — [Souriant] « Jamais… » — Même question à propos des hautes rémunérations, de la gouvernance d'entreprise, des

conséquences des dons politiques... — « Je ne crois pas que j'aurais eu quelque chose à ajouter à ces débats. »

Question à Glenn HUBBARD (professeur d’économie à l’université Columbia) : — J'ai votre CV sous les yeux. Il me semble que la majorité de vos activités externes consiste en services de conseil et d'administration pour le secteur financier. Ne diriez-vous pas cela ?

— « Je crois que mes clients en consulting ne figurent même pas sur mon CV. » — Qui sont-ils ? — « Je ne crois pas devoir vous le dire. » — OK. Heu… — « Encore quelques minutes et cette interview est terminée. » Question à Frederic MISHKIN : — Conseillez-vous des sociétés financières ? Frederic MISHKIN (Gouverneur de la FED 2006-2008, et prof. à l’Université Columbia) : — « Ma réponse est oui. … Mais je ne veux pas entrer dans les détails. »

Question à Glenn HUBBARD (prof. Columbia) : — Y compris d'autres sociétés financières ?

— « C'est possible. » — Vous ne vous rappelez pas ? — « Ce n'est pas un interrogatoire ! J'ai eu la politesse de vous recevoir,

bêtement. Il vous reste 3 min. Mettez le paquet. » En 2004, au plus fort de la bulle, Glenn HUBBARD coécrit un article retentissant avec William DUDLEY, économiste en chef de Goldman Sachs.

HUBBARD y vante les dérivés de crédit et la chaîne de titrisation censés améliorer la répartition du capital et renforcer la stabilité financière.

Il parle de « volatilité économique réduite » et déclare que les récessions sont moins fréquentes et plus faibles. Il écrit : "Les dérivés de crédit préservent les banques des pertes et aident à répartir les risques." Question à John CAMPBELL (Dir. Harvard) : — Un chercheur en médecine écrit un article disant : "Pour soigner cette maladie, il faut prescrire ce médicament." Il s'avère que ce médecin reçoit 80 % de ses revenus du fabricant de ce médicament. Ça ne vous dérange pas. John CAMPBELL (Directeur du Dépt Économique de la faculté d’Harvard) : — « Je pense qu'il est, bien sûr, important de révéler... Heu…les… heu… [long silence de gêne évidente]. Eh bien, je pense que c'est aussi un peu différent des cas que nous évoquons ici, car... heu… heu… »

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Les présidents des universités Harvard et Columbia ont refusé de commenter les conflits d'intérêts des professeurs. Ni l'un ni l'autre n'ont souhaité être interviewés. Question à Charles MORRIS : — Qu'est-ce que cela indique sur les sciences économiques ?

Charles MORRIS (auteur du livre « la débâcle de deux mille milliards de dollars ») : — « [riant] Eh bien qu'elles sont sans rapport avec la réalité…

(Plus sérieusement) Et d'ailleurs, je crois... que c'est une grande partie du problème. »

CINQUIÈME PARTIE : (1h33:36) OÙ EN EST-ON ? Le pouvoir grandissant de la finance américaine fait partie d'un changement plus vaste en Amérique. Depuis les années 1980, les États-Unis voient leurs inégalités se creuser et leur domination économique décliner.

Des sociétés comme General Motors, Chrysler et US Steel, autrefois le noyau de l'économie américaine, sont mal gérées et cèdent le pas à la concurrence étrangère.

Alors que des pays comme la Chine ouvrent leur économie, les sociétés américaines délocalisent par souci d'économie.

Daniel ALPERT (DG de Westwood Capital) :

« Pendant bien des années, les 660 millions d'habitants des pays développés étaient protégés de toute la réserve de main-d'œuvre du reste du monde.

Soudain, le rideau de bambou et le rideau de fer sont levés et voilà 2,5 milliards de gens en plus. »

Les ouvriers américains sont licenciés par dizaines de milliers. « Notre base manufacturière a été détruite en quelques années. »

L'industrie manufacturière déclinant, d'autres se développent.

Les États-Unis sont leaders dans les technologies de l'information où les emplois bien rémunérés sont légion mais exigent un certain niveau d'études.

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Et pour l'Américain moyen, l'université est de plus en plus inaccessible. Les grandes universités privées comme Harvard ont des milliards dans leur fonds de dotation alors que le financement de l'université publique chute et les frais de scolarité grimpent.

Dans les universités publiques de Californie, les frais passent de 650 $ dans les années 1970 à plus de 10 000 $ en 2010.

De plus en plus, ce qui détermine si un Américain ira à l'université, ce sont ses possibilités de financement.

En même temps, la politique fiscale évolue en faveur des riches.

George W. BUSH (Président des États-Unis), le 11 octobre 2006 : « Quand j'ai pris mes fonctions, je trouvais les impôts excessifs, et c'était vrai. » Changement le plus radical : les baisses d'impôts imaginées et conseillées par Glenn HUBBARD, alors premier conseiller économique du Président Bush.

L’administration BUSH a diminué nettement l'impôt sur la plus-value mobilière et les dividendes, et elle a supprimé les droits de succession. George W. BUSH (Président des États-Unis) :

« Notre plan global a fait économiser près d'1,1 millier de milliards [« one point one trillion $ »] aux travailleurs, familles, investisseurs et entrepreneurs. »

Baisses d'impôts profitant surtout aux plus riches, 1 % des Américains.

George W. BUSH : « À bien des égards, c'était le pivot de notre politique de relance. » [avec un sourire en coin] Les inégalités de richesse aux États-Unis ont aujourd'hui les plus fortes du monde développé. Les familles américaines réagissent de 2 façons : en travaillant plus et en s'endettant.

Raghuram RAJAN (FMI) : « La classe moyenne étant de plus en plus à la traîne, il y a une pression politique pour compenser cela en facilitant le crédit. »

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George W. BUSH (Président des États-Unis), 15 octobre 2002 :

« Rien ne vous force à avoir une maison minable. Même en gagnant peu, on peut avoir une aussi belle maison que le voisin. »

La famille américaine emprunte pour payer maison, voitures, assurance santé et études des enfants.

Charles MORRIS (auteur du livre « la débâcle de deux mille milliards de dollars ») : « 90 % de la population a régressé entre 1980 et 2007. Tout a bénéficié à la tranche supérieure, soit 1 %. »

Pour la première fois, l'Américain moyen fait moins d'études et est moins riche que ses parents.

Barack OBAMA (élu Président des États-Unis le 4 nov. 2008), le 29 septembre 2008 :

« L'ère de cupidité et d'irresponsabilité à Wall Street et à Washington, a causé une crise financière plus grave que toutes celles survenues depuis la Grande Dépression [1929]. »

Quand la crise éclate juste avant les élections de 2008, Barack Obama cite la cupidité de Wall Street et les failles réglementaires comme exemples d'un besoin de changement.

Barack OBAMA, en campagne électorale le 29 septembre 2008 :

« Le laxisme de Washington et de Wall Street nous a précisément mis dans ce pétrin ! » (applaudissements et cris). Une fois élu, Obama évoque la

nécessité de réformer la finance. Barack OBAMA (élu Président des États-Unis fin 2008), le 14 septembre 2009 :

« Il faut un régulateur systémique, des exigences de capitaux, une agence de protection financière du consommateur. Il faut changer la culture de Wall Street. » Mais enfin promulguées à la mi-2010, les réformes financières sont timides. Et sur certaines questions clés : agences de notation, lobbying et rémunérations, rien de significatif n'est même proposé. Robert GNAIZDA (Institut Greenlining) :

— « Au sujet d'Obama et des "réformes réglementaires", ma réponse, en un mot, serait... Ah ! Il y a très peu de réformes. »

— Pourquoi ?

— « C'est un gouvernement "Wall Street". » Obama nomme Timothy Geithner secrétaire au Trésor. Geithner était président de la Fed

de New York durant la crise et il a poussé au remboursement à Goldman Sachs de 100 % de ses paris contre les prêts immobiliers.

Eliot SPITZER (Gouverneur de New-York 2007-2008, Procureur de New York 1999-2007) :

« Tim Geithner, lors du processus de sa confirmation à la tête du Trésor, a dit : "Je n'ai jamais été un régulateur." Il ne comprenait donc pas sa fonction de président de la Fed de New York. » Tim Geithner n'a pas souhaité être interviewé.

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Le successeur de Tim GEITHNER à la Fed de New York est William DUDLEY, x-économiste en chef de Goldman et coauteur avec Glenn Hubbard d'un éloge des dérivés. Son directeur de cabinet est Mark PATTERSON, ex-lobbyiste pour Goldman. Un de ses conseillers est Lewis SACHS, qui dirigeait Tricadia, une société très occupée à parier contre les titres de crédit qu'elle vendait. Pour diriger la CFTC [Commodity Futures Trading Commission, organe de régulation des Bourses de Commerce], Obama choisit Gary GENSLER, ancien cadre chez Goldman et artisan de la non-régulation des dérivés. À la tête de la SEC (Securities and Exchange Commission, gendarme US des marchés financiers, équivalent de l’AMF française), Obama nomme Mary SHAPIRO, ex-PDG de la FINRA, l'organisme d'autorégulation des banques d'affaires. Le Secrétaire Général d'Obama, Rahm EMANUEL, a gagné 320 000 $ en siégeant au CA de Freddie Mac.

Martin FELDSTEIN et Laura TYSON siègent ensemble au Conseil Consultatif sur la Reprise Économique.

Et le premier conseiller économique d'Obama est Larry SUMMERS…

Eliot SPITZER (Gouverneur de New-York 2007-2008, Procureur de New York 1999-2007) : « Les principaux conseillers économiques sont ceux-là mêmes qui ont créé la structure. »

Willem BUITER (Chef ÉCONOMISTE à

Citigroup) : « En voyant que SUMMERS et GEITHNER allaient devenir des Conseillers de premier plan, j'ai su d'emblée qu'on en resterait au statu quo. »

L’administration Obama refuse même de réglementer les rémunérations bancaires, malgré l'insistance des gouvernants étrangers.

Christine LAGARDE (Ministre de l’Économie et des Finances, France) : « La finance est une industrie de services qui devrait servir les autres avant de se servir. » En septembre 2009, Christine Lagarde et les ministres des finances suédois, néerlandais, luxembourgeois, italien, espagnol et allemand engagent les nations du G20, y compris les États-Unis, à réglementer strictement les rémunérations bancaires. Et en juillet 2010, le Parlement européen promulgue de telles réglementations. L'administration Obama ne fait aucun commentaire.

Satyajit DAS (Consultant produits dérivés) : « Pour eux, c'est un contretemps, tout rentrera dans l'ordre. »

Barack OBAMA (Psdt USA), 25 août 2009 : « Voilà pourquoi je le confirme dans ses fonctions de président de la Réserve Fédérale. » En 2009, Barack Obama confirme Ben Bernanke [à la tête de la Fed]. À la mi-2010, pas un seul cadre de la finance n'a été poursuivi au pénal ou même arrêté. Pas de procureur spécial désigné, aucune institution financière poursuivie au pénal pour fraude sur titres ou fraude comptable. L'administration Obama ne tente pas de récupérer les rémunérations versées aux cadres des banques durant la bulle.

Robert GNAIZDA (Institut Greenlining) : — « [À sa place,] j'envisagerais certainement des poursuites pénales contre les dirigeants de Countrywide comme Mozilo. Je m'intéresserais aussi à Bear

Stearns, Goldman Sachs, Lehman Brothers et Merrill Lynch. »

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— Pour des poursuites pénales ? — « Oui. Oui. Elles seraient très difficiles à gagner. Mais ils pourraient y arriver en trouvant assez de sous-fifres pour dire la vérité. » Dans un secteur où drogue et prostitution frauduleusement facturée en frais professionnels se consomment à grande échelle, il serait facile de faire parler les gens, si on le voulait vraiment.

Kristin DAVIS (proxénète de luxe) :

— « Ils m'ont proposé de plaider coupable et j'ai accepté. Ils ne voulaient pas mes fichiers, ils ne voulaient rien. »

— Ils ne voulaient pas vos fichiers ?

— « Exact. » Eliot SPITZER (Gouverneur de New-York 2007-2008, Procureur de New York 1999-2007) :

« Il y a une réticence à utiliser les vices privés des gens dans les affaires liées à Wall Street pour les faire parler. Peut-être qu'après les cataclysmes récents, cette attitude changera. Je suis mal placé pour juger. »

Les procureurs fédéraux n'ont pas hésité à utiliser les vices d'Eliot Spitzer pour le faire démissionner en 2008. lls n'ont pas montré le même entrain concernant Wall Street.

Michael CAPUANO (député républicain), interpelant les banquiers : « Vous venez aujourd'hui nous dire : "On regrette, on ne se rendait pas compte. On ne le fera plus. Faites-nous confiance."

Eh bien, il y a des gens dans ma circonscription qui ont braqué certaines de vos banques. Ils disent la même chose. Ils regrettent, se rendaient pas compte. Ils le feront plus… »

En 2009, alors que le chômage est au plus haut depuis 17 ans, Morgan Stanley distribue plus de 14 milliards de $ à ses employés et Goldman Sachs, plus de 16 milliards. En 2010, les bonus sont encore plus élevés.

Andrew SHENG (Pdt de la commission de régulation bancaire chinoise) : « Au nom de quoi un ingénieur financier est payé entre 4 et 100 fois plus qu'un vrai ingénieur ? Un vrai ingénieur construit des ponts. Un ingénieur financier

construit des rêves. Et quand ces rêves tournent au cauchemar, ce sont les autres qui paient. » Durant des décennies, le système financier américain était stable et sûr.

Puis quelque chose a changé.

La finance tourna le dos à la société, se mit à corrompre le système politique et plongea l'économie mondiale dans la crise.

À un coût exorbitant, nous évitons la catastrophe et nous nous relevons.

Mais les hommes et les institutions responsables sont toujours là et cela doit changer.

Ils diront qu'on a besoin d'eux et que ce qu'ils font est incompréhensible pour nous. Ils nous diront que ça n'arrivera plus. À coup de milliards, ils combattront les réformes. Ce ne sera pas facile. Mais il y a des choses qui valent une bataille.

(Générique à 1h45:23)

Traduction : Hélène Monsché - Pierre Arson L.V.T. – Paris + compléments ÉC.

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Pour voir le film :

Inside Job (Oscar® 2011 du Meilleur Documentaire) Réalisateur : Charles Ferguson http://www.amazon.fr/Inside-Oscar%C2%AE-2011-Meilleur-Documentaire/dp/B004H8TQ9M

Pour à peine 10 €, vous pourrez revoir et revoir cette enquête formidable, pour la travailler sérieusement (et travailler aussi votre anglais car la diction des commentaires est excellente).

Pour creuser le sujet :

Les livres sur les « crises » financières, sur le choix « régulation ou dérégulation », sur le piège politique des « dettes publiques » et sur l’imposture de la « science économique », sont innombrables, mais je vous recommande particulièrement ceux-ci :

• « La crise mondiale d’aujourd’hui. Pour de profondes réformes des institutions financières et monétaires », par Maurice Allais (1999)

• « Lettre ouverte aux gourous de l’économie qui nous prennent pour des imbéciles », de Bernard Maris (1999).

• « Fonds de pension, piège à cons ? Mirage de la démocratie actionnariale », de Frédéric Lordon (2000).

• « Les confessions d’un assassin financier. Révélations sur la manipulation des économies du monde par les États-Unis », par John Perkins (2004).

• « Jusqu’à quand ? Pour en finir avec les crises financières », de Frédéric Lordon (2008).

• « L’imposture économique », de Steve Keen (2011).

• « Les imposteurs de l’économie. Comment ils s’enrichissent et ils nous trompent », de Laurent Mauduit (2012).

• « L’avenir de l’économie », par Jean-Pierre Dupuy (2012).

• « Une comptabilité sur mesure pour les actionnaires », par Jacques Richard dans Le Monde diplomatique de novembre 2005 : https://www.monde-diplomatique.fr/2005/11/RICHARD/12911

• Les dettes publiques dans le monde (compteurs en temps réel) : http://www.time-is-money.biz/ http://science-economique.com/concepts-economiques/finance/deficit-dette/compteur-de-la-dette-publique-mondiale-et-par-pays-692

• En images (spectaculaires), l’exposition insensée des grandes banques aux produits dérivés : http://demonocracy.info/infographics/usa/derivatives/bank_exposure.html

• « Goldman Sachs — La grande machine à bulles », par Matt Taibbi (2009) : http://www.agoravox.fr/actualites/economie/article/goldman-sachs-la-grande-machine-a-59168

• Pour comprendre le piège politique délibéré que sont les « dettes publiques », voir le très indispensable http://cadtm.org/

• Pour bien articuler les concepts « Argent, dettes et banques », d’André-Jacques Holbecq (2010).

• Et pour finir, un livre épatant, vraiment, tout récent : « Néolibéralisme versus État-providence. Le débat économique entre classiques et keynésiens », par Ѹdouard Cottin-Euziol (2016).