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ÉCOLE POLYTECHNIQUE FÉDÉRALE DE LAUSANNE FACULTE D’ENVIRONNEMENT NATUREL ARCHITECTURAL ET CONSTRUIT (ENAC) Projet MUMOSY (MULTI SENSOR BASED MONITORING SYSTEM FOR DISASTER PREVENTION) SEUILS DALERTE ET DONNEES REQUISES POUR LA PREVENTION DES CATASTROPHES LIEES AUX MOUVEMENTS DE TERRAIN Christophe BONNARD et Gilbert STEINMANN Laboratoire de mécanique des sols (LMS) Ecole Polytechnique Fédérale de Lausanne (EPFL) Projet réalisé dans le cadre de la CTI, en collaboration avec l’ETHZ, la SUPSI, GEODEV SA et GFG Engineering SA S6046 Décembre 2005 INSTITUT DES INFRASTRUCTURES, DES RESSOURCES ET DE L’ENVIRONNEMENT LABORATOIRES DE MECANIQUE DES SOLS

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ÉCOLE POLYTECHNIQUEFÉDÉRALE DE LAUSANNE

FACULTE D’ENVIRONNEMENT NATUREL ARCHITECTURAL ET CONSTRUIT

(ENAC)

Projet MUMOSY (MULTI SENSOR BASED MONITORING SYSTEM FOR

DISASTER PREVENTION)

SEUILS D’ALERTE ET DONNEES REQUISES POUR LA PREVENTION DES CATASTROPHES LIEES

AUX MOUVEMENTS DE TERRAIN

Christophe BONNARD et Gilbert STEINMANN Laboratoire de mécanique des sols (LMS)

Ecole Polytechnique Fédérale de Lausanne (EPFL)

Projet réalisé dans le cadre de la CTI, en collaboration avec l’ETHZ, la SUPSI, GEODEV SA et GFG Engineering SA

S6046 Décembre 2005

INSTITUT DES INFRASTRUCTURES, DES RESSOURCES ET DE L’ENVIRONNEMENT LABORATOIRES DE MECANIQUE DES SOLS

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TABLE DES MATIERES

PREAMBULE ........................................................................................................................................1

1. INTRODUCTION ..........................................................................................................................1

2. OBJECTIFS DU PROJET.............................................................................................................2

3. EVOLUTION POSSIBLE DES DEPLACEMENTS ..................................................................3

4. CAUSES ET CARACTERISTIQUES DES PHASES D’ACCELERATION...........................6

5. NECESSITE DE MESURES CONTINUES POUR DES SYSTEMES D’ALERTE................8

6. NIVEAUX DES SYSTEMES D’ALERTE ...................................................................................9

7. SELECTION DES CRITERES D’ALERTE .............................................................................10

8. EXEMPLE DE CRITERES D’ALERTE POUR UN GRAND EBOULEMENT EN PHASE DE PRE-RUPTURE.......................................................................................................12

9. INTERPRETATION DES MESURES EN CONTINU DES DEPLACEMENTS DANS LE CADRE DES ACTIONS DE PREVENTION......................................................................15

10. CONCLUSIONS ET PERSPECTIVES......................................................................................16

11. BIBLIOGRAPHIE .......................................................................................................................18

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PREAMBULE Dans le cadre d’un projet de développement d’un appareil de mesure en continu des distances, notamment pour le suivi des glissements de terrain, il apparaît nécessaire de s’occuper aussi de l’usage des données acquises afin de répondre à la finalité du projet, soit la prévention des désastres. C’est la raison pour laquelle le laboratoire de mécanique des sols de l’EPFL, partenaire du projet MUMOSY (Multi sensor based monitoring system for disaster prevention), financé par le CTI, et auquel ont participé, entre 2003 et 2005, l’Ecole Polytechnique Fédérale de Zurich (ETHZ), l’Université de la Suisse Italienne (SUPSI), ainsi que les sociétés GEODEV SA et GFG Engineering SA, a préparé ce rapport développant la notion de seuils d’alerte et présentant les données requises pour gérer un épisode de crise d’un glissement de terrain ou de tout autre mécanisme d’instabilité. La mise en œuvre de ces concepts aurait dû intervenir dans le cadre de ce projet, à travers la collaboration des partenaires chinois, sur un site instable de ce pays ; toutefois la programmation du développement technologique n’a pas permis cette application (MUMOSY, 2005). Il a donc été pris d’autres cas de référence significatifs, pour présenter la problématique des seuils d’alerte. Cette contribution à un projet industriel pourra donc être transposée à d’autres cas concrets. Mais il est important de souligner d’emblée que la compréhension du mécanisme d’instabilité doit être assurée, avant la période de crise à suivre, pour pouvoir interpréter de façon adéquate les données de mesures en continu et de pouvoir ainsi déclencher des alertes à bon escient. Lausanne, décembre 2005

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1. INTRODUCTION Les instabilités de pente, quel que soit le mécanisme qui les induisent (glissement de terrain, éboulement, fauchage) peuvent présenter des épisodes de crise, au cours desquels les vitesses de déplacement des points de la masse instable croissent de façon considérable, sur une période qui peut varier de quelques heures à quelques mois. Etant donné les conséquences importantes de ces épisodes, tant sur la masse instable que sur les biens et infrastructures qui peuvent être affectés, il convient de développer des systèmes d’alerte et de les gérer de façon appropriée, pour déclencher à temps une alarme, mais aussi pour éviter de lancer une fausse alerte qui incitera les personnes à protéger à mettre en doute la fiabilité du système. La définition d’un seuil d’alerte ne peut donc être établie sur la base d’une simple valeur de vitesse d’un point de la masse instable, qui serait observé de façon continue par un dispositif mesurant le déplacement du point par une variation de distance à partir d’un point fixe. C’est la raison pour laquelle il est prévu de viser plusieurs points avec l’équipement développé dans le cadre du projet MUMOSY. Il convient donc dans tous les cas d’organiser un système d’auscultation et d’alarme, en suivant plusieurs points, en mesurant plusieurs déplacements par des approches complémentaires distinctes, en relevant d’autres données que les seuls déplacements en direction de la pente, et en établissant diverses phases d’alerte, qui tiennent compte des spécificités des mécanismes d’instabilité. Il est donc hors de question de préparer une procédure standard pour tous les types d’instabilité ; la compréhension initiale de leur mécanisme et de leurs causes, ainsi que l’évaluation des conditions de développement de la crise, sont des préalables indispensables. Cette exigence est clairement mise en évidence par l’exemple de la crise du glissement de Champ-Chamot à Belmont-sur-Lausanne, en février 1990 (Fig. 1). Alors qu’il apparaissait aux yeux de certains que la crise avait été déclenchée par un épisode de forte pluie, observé cette semaine-là, mais dans d’autres régions (voir figure 6), la raison principale en était l’entaille du pied du versant pour élargir une route de desserte, faite sans analyse géotechnique appropriée, de sorte que le glissement en « dip slope », de quelques mètres d’épaisseur, s’est déclenché, quand bien même les hauteurs de pluie lors de cet épisode n’étaient pas très importantes (Noverraz, 1994 ; Noverraz, 2002).

Fig. 1. Vue de la crise du glissement de Champ-Chamot, à Belmont-sur-Lausanne (VD), en février 1990, ayant conduit à la destruction de trois maisons, dont une en moins d’une heure.

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EPFL – Laboratoire de mécanique des sols - 2 – Lausanne, décembre 2005 Projet MUMOSY 2. OBJECTIFS DU PROJET Si l’objectif général du projet MUMOSY est, au premier chef, le développement et la commercialisation d’un appareil de mesure continue des déplacements de plusieurs points d’une masse instable, l’objectif particulier à cette partie du projet consiste à définir les modalités de gestion des informations acquises par cet appareil ou tout autre système similaire, en vue de formuler des critères d’alerte et de les mettre en œuvre de façon efficace pour assurer une prévention des catastrophes. Il convient donc tout d’abord de comprendre l’évolution possible des mouvements d’un glissement de terrain en cas de crise, ou d’un éboulement avant la phase de rupture proprement dite, d’établir les causes de ces phénomènes d’instabilité, puis de concevoir des systèmes d’alerte avec les niveaux de déclenchement appropriés pour pouvoir gérer de façon sûre tout le processus de l’alarme. Il est clair qu’il n’est pas possible dans ce cadre relativement restreint de traiter en profondeur toutes les situations qui peuvent se présenter, comme celle du village de Falli Hölli dans le canton de Fribourg en 1994, où la crise s’est étendue sur six mois, ce qui a permis d’éviter qu’il y ait des victimes (Vulliet & Bonnard, 1996) (Fig. 2). Toutefois, l’illustration d’un cas concret, au chapitre 8, pourra aider à comprendre le mécanisme de développement d’un plan d’alerte, ce qui servira de base à d’autres mises en application.

Fig. 2. Vue du village de Falli Hölli, situé sur le glissement de terrain de Chlöwena (FR), à la fin de la crise de 1994 qui a conduit à un déplacement maximal total de 250 m en six mois. Actuellement, tous les immeubles on été détruits et le secteur du village a été réaffecté en zone agricole.

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EPFL – Laboratoire de mécanique des sols - 3 – Lausanne, décembre 2005 Projet MUMOSY 3. EVOLUTION POSSIBLE DES DEPLACEMENTS Selon les mécanismes d’instabilité de pente considérés, l’évolution possible des mouvements peut être très variable. Souvent, les mouvements des grands glissements de terrain translationnels, tel celui de La Frasse (VD), qui recoupe la route du Col des Mosses à proximité du Sépey, sont assez réguliers à long terme, surtout dans la partie médiane (Noverraz & Bonnard, 1990) (Fig. 3). Mais au cours de certaines périodes, les mouvements, qui étaient très modérés sur plusieurs années (de quelques mm/an à quelques cm/an selon les sites) peuvent connaître des accélérations sensibles, soit momentanées, soit sur une plus longue durée. Il peuvent même conduire à une rupture ou à un comportement catastrophique (Fig. 4).

Fig. 3. Coupe du grand glissement de La Frasse (VD), de près de 2'000 m de long, qui connaît un mouvement permanent, variable selon les zones, et des phases d’accélération à certaines époques, comme en 1966, 1981-1982, 1993-1994. Les couleurs sur la coupe symbolisent les vitesses moyennes à long terme (jaune : 0-5 cm/an ; orange et rouge : 5-20 cm/an ; violet : 20-60 cm/an, avec phases d’accélération).

Fig. 4. Diagramme représentant schématiquement l’évolution possible des mouvements, avec des crises et des comportements dépendant des conditions climatiques.

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EPFL – Laboratoire de mécanique des sols - 4 – Lausanne, décembre 2005 Projet MUMOSY Les accélérations observées sont généralement liées aux variations des conditions climatiques, mais d’autres facteurs comme l’érosion au pied du versant par une rivière, ou des effets sismiques, par exemple, peuvent aussi générer des modifications de comportement. Il convient de relever que souvent, des corrélations simples entre la pluie brute et les mouvements enregistrés de façon continue donnent des résultats médiocres. Ce fait résulte d’une part de la réduction des infiltrations, liée à l’évapotranspiration et à l’écoulement des précipitations en surface, d’autre part des conditions hydrogéologiques souvent hétérogènes, qui peuvent induire des réponses différées dans le temps, soit atténuées, soit amplifiées (notamment en présence de formations karstiques). Il existe néanmoins certains cas, plutôt rares, où l’on peut relever une bonne corrélation entre précipitations brutes et mouvements, comme dans le cas du glissement de Villarbeney (FR), où l’évolution cumulée de ces deux données est remarquablement corrélée (Fig. 5). Dans ce type de situation, la précipitation peut être un bon indicateur pour l’alerte (Engel, 1986).

Fig. 5. Evolution conjuguée des précipitations et du déplacement d’un point de la partie la plus active du glissement de Villarbeney (FR), sur une période de 14 mois. Après quelques années, les mouvements se sont sensiblement réduits. Mais dans bien d’autres cas, la corrélation entre précipitations brutes et mouvement est beaucoup plus complexe, voire inexistante. Ainsi, dans le cas du glissement de La Frasse, déjà cité, le mouvement de trois points A, B, C, dans la partie la plus active du glissement pour les deux premiers (zone en violet dans la Fig. 2), montre des résultats assez étonnants sur une période de près de trente ans (Laloui et al., 2004) (Fig. 6) :

- Pour le point A, situé dans la partie la plus active du glissement, là où la vitesse moyenne à long terme se trouve comprise entre 40 et 60 cm/an (voir fuseau supérieur en rose), la forte accélération enregistrée entre 1976 et 1982, mais surtout au cours de l’hiver 81-82 (près de 4 m en huit mois) tend à amplifier le mouvement, par rapport à la tendance moyenne, ceci à cause des précipitations importantes des années 1976 à 1982, mais pas tellement à cause de celles qui se sont produites pendant la crise proprement dite. Par contre, après une crise, le mouvement de ce point A a tendance à diminuer (même vitesse que le point B au cours des quatre années suivantes), et surtout, lors de précipitations exceptionnelles de février 1990, aucune accélération n’y est relevée. Il convient de mentionner qu’après 1994, soit la dernière crise notable, un système de pompage localisé a été installé au voisinage du point A, ce qui peut expliquer en partie le ralentissement observé au cours des dix dernières années.

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- Pour le point B, la tendance d’évolution au cours des 30 dernières années se situe exactement dans la vitesse moyenne à long terme établie par d’autres approches (photogrammétrie, étude des anciens plans cadastraux), soit entre 15 et 30 cm/an. On observe bien quelques périodes un peu plus rapides (1981-82, 1987-88, 1999-2000), mais ces accélérations ne sont pas du tout ou peu couplées aux pointes de précipitations ni aux périodes pluvieuses de plusieurs mois. On peut relever qu’au cours des cinq dernières années, le point B bouge plus vite que le point A, ce qui peut être dû au drainage local aux alentours de ce dernier.

- Enfin, pour le point C, situé dans la zone du glissement la plus épaisse, au voisinage du hameau de Cergnat, le mouvement est extrêmement régulier, de l’ordre de 12 cm/an, soit tout à fait dans l’ordre de grandeur du mouvement à long terme (10 à 15 cm/an). Quelques petites accélérations sont relevées, pas toujours synchronisées avec le point B, mais l’effet des variations de précipitations (la pluviométrie mensuelle apparaît en bleu sur la Figure 6) est tout à fait marginal.

Fig. 6. Evolution des déplacements horizontaux du glissement de La Frasse (VD), sur près de 30 ans, qui met en évidence l’absence de relation claire entre les précipitations et les mouvements. Cette relation peut être améliorée si l’on considère les débits infiltrés principaux (Tacher et al., 2005). Dans le cas des mécanismes de pré-rupture, que cela concerne un glissement ou un éboulement, on observe aussi parfois des corrélations lâches entre précipitations et mouvements cumulés, comme cela a été le cas au glissement de terrain de la Chenaula (VD), près de Lausanne (Fig. 7). Les précipitations des automnes et des hivers 1981-82 et 1982-83 ont été très semblables (environ 600 mm en six mois), mis à part le mois d’avril 1983, plus pluvieux, alors que les mouvements, relevés par mensuration et inclinométrie, ont été relativement modestes le premier hiver (0.2-3 cm/mois), plus actifs, le second (1-12 cm/mois), mais ont conduit à un déplacement total de 8 à 13 m en trois jours, entre les 20 et 23 avril 1983 (Noverraz et Bonnard, 1992).

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EPFL – Laboratoire de mécanique des sols - 6 – Lausanne, décembre 2005 Projet MUMOSY

Fig. 7. Comparaison de l’évolution des précipitations, de la piézométrie (limnigramme dans le forage CH 25) et des mouvements au glissement de La Chenaula, entre les automnes et hivers 1981-82 et 1982-83, précédant la crise des 20-23 avril 1983, où la masse glissée a connu un déplacement considérable de 8 à 13 m. Enfin, lors des mécanismes de pré-rupture d’éboulement en massif rocheux, sans effet climatique, on observe la plupart du temps une accélération croissant asymptotiquement, dont l’analyse peut être approchée par une représentation de l’inverse des vitesses journalières, pour prévoir le moment de la rupture (Fukuzono, 1990). Ce mécanisme de pré-rupture ne peut être analysé de la sorte que s’il n’y a pas de changement de mécanisme ou de modifications des conditions aux limites. 4. CAUSES ET CARACTERISTIQUES DES PHASES D’ACCELERATION En fait, l’analyse poussée du comportement mécanique des glissements de terrain pendant les périodes de crises, par des simulations utilisant des modèles par éléments finis, tant pour l’approche hydrogéologique que géomécanique, montre que la cause des phases

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EPFL – Laboratoire de mécanique des sols - 7 – Lausanne, décembre 2005 Projet MUMOSY d’accélération est principalement liée à l’accroissement des pressions interstitielles dans la surface du glissement (Tacher et al., 2005). Ces valeurs de pression sont difficiles à mesurer, mais la modélisation à grande échelle, en tenant compte des contrastes de perméabilité, permet de mettre en évidence d’importantes fluctuations de charge dans le plan de glissement, comme cela a été établi pour le glissement de La Frasse, en collaboration avec le laboratoire de géologie et de l’environnement de l’EPFL (Laloui et al., 2004). On peut ainsi observer, selon le point où l’on se situe dans le plan de glissement du phénomène d’instabilité de La Frasse, une variation croissante, vers le bas du versant, des pressions interstitielles au cours de la crise de 1993-94 (Fig. 8). Ces variations de pression, qui peuvent atteindre 30 m d’eau en quelques mois, lors d’une crise, sans corrélation avec les précipitations mensuelles, justifient bien la recrudescence des mouvements.

Fig. 8. Variation des pressions obtenues par modélisation au niveau du plan de glissement de La Frasse, lors de la crise de 1993-94. La localisation des points modélisés correspond à des sondages qui sont situés sur le croquis de situation, sous les diagrammes de pression. En pratique, il est toutefois souvent nécessaire de se satisfaire d’informations plus simples à acquérir, comme les déplacements en surface, pour tenter de définir des critères d’alerte. En

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EPFL – Laboratoire de mécanique des sols - 8 – Lausanne, décembre 2005 Projet MUMOSY effet, dans la plupart des cas, les moyens d’investigation à disposition ne permettent pas des reconnaissances et des modélisations de grande ampleur. Il faut donc chercher à détecter les spécificités des mouvements, et donc des mécanismes, par des relevés en continu, qui doivent être poursuivis sur de nombreuses années. 5. NECESSITE DE MESURES CONTINUES POUR DES SYSTEMES D’ALERTE En fonction de l’ampleur des phénomènes d’instabilité (extension spatiale), il est d’autant plus nécessaire de disposer de mesures continues des déplacements que le mouvement de terrain est peu étendu. En effet, pour les très grands glissements de terrain s’étendant sur plusieurs km2, l’inertie de la masse instable et l’importance des pressions interstitielles nécessaires à la mettre en mouvement font qu’une observation périodique des mouvements peut être suffisante pour évaluer le risque d’une accélération, alors que pour les glissements de moindre importance, la mesure continue des déplacements est fondamentale pour détecter l’accroissement des vitesses et pour déclencher à temps une alerte. Par exemple, dans le cas de l’éboulement de Séchilienne, en France, à l’est de Grenoble, où un volume de quelques 3 millions de m3 est très proche de la déstabilisation (Fig. 9), un système complexe de mesures de déplacements en continu, incluant des distancemètres laser, un extensomètre radar (Fig. 10) et plusieurs extensomètres à fil sur les accidents dans le versant instable, contribue à assurer l’information en continu pour le déclenchement de l’alarme (Durville et al., 2004).

Fig. 9. Vue générale du versant où se développe l’éboulement de Séchilienne (France). Le point de mesure par extensomètrie radar se situe au bord gauche de l’image, sur la crête boisée de Mont-Falcon.

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EPFL – Laboratoire de mécanique des sols - 9 – Lausanne, décembre 2005 Projet MUMOSY

Fig. 10. Extensomètre à micro-onde radar installé face à l’éboulement de Séchilienne, pour observer les déplacements en continu de plusieurs cibles, quelles que soient les conditions météorologiques. Ainsi, un système d’alerte prévoyant divers niveaux d’alarme, en fonction de l’évolution des mouvements enregistrés, ne doit pas seulement dépendre des variations d’un seul point, dans le cas d’une assez grande masse instable de plusieurs millions de m3 par exemple, mais d’au moins trois points situés à une certaine distance des uns des autres. En effet, il se produit souvent dans un massif rocheux fracturé une instabilité locale, conduisant à la perte d’un point de mesure, mais qui ne doit généralement pas être la cause du déclenchement de l’alerte (voir chapitre 8). Par contre, il est nécessaire de disposer de mesures continues, car les données de déplacement quotidiennes, par exemple, sont insuffisantes pour déclencher à temps les premiers niveaux des systèmes d’alarme, surtout dans le cas où l’on s’attend à une évolution rapide entre les premiers risques d’instabilité et la ruine d’une partie du massif instable. Cette exigence de mesure continue implique donc aussi une transmission en continu fiable des données vers les centres de décision, technique et politique, à partir desquels les niveaux d’alerte sont déclarés. 6. NIVEAUX DES SYSTEMES D’ALERTE Dans le cadre du projet CTI-FRAN2, il avait été établi quels sont les niveaux d’alarme fréquemment utilisés en cas de phénomène d’instabilité dont la mobilisation n’est pas instantanée, et dont le développement ne conduit pas nécessairement à une catastrophe. Il convient donc dans ce cas de prévoir un système activé principalement en fonction de l’évolution des mouvements mesurés, comprenant des actions de prévention graduées qui sont prises en charge par divers niveaux d’autorités (FRAN2, 2003). Le tableau 1 suivant rappelle les niveaux des systèmes d’alarme, allant de 0 à 4, avec leur définition et leur contexte ; il précise quels équipements peuvent être à l’origine de l’alarme et quelles actions doivent être prises à chaque niveau (Steinmann & Bonnard, 2002).

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EPFL – Laboratoire de mécanique des sols - 10 – Lausanne, décembre 2005 Projet MUMOSY Il est clair que cette structuration des niveaux d’alarme peut être adaptée en fonction du contexte particulier des phénomènes d’instabilité et des données qui peuvent être recueillies. Compte tenu du cadre du projet MUMOSY, cette structuration des systèmes d’alarme met principalement le poids sur la mesure continue des déplacements, telle qu’elle peut être assurée par le dispositif ROBOVEC.

Retour au niveau 0 une fois le système contrôlé

Autorités localesRetour à la normale, après un signe de niveau 2 ou 3Niveau 4

EvacuationMesures de sécuritéMesures d’urgence

Equipements du système d’alarmeObservations locales complètesAutorités locales

AlarmeLe phénomène anormal se confirme ou s’amplifie ; la menace s’accroît ; la population est évacuée ; les autorités sont informées.

Niveau 3

Limitation des accès, préparation àl’évacuation ; mesures préventives

Equipements du système d’alarmeObservations locales

Pré-alarmeEn cas de phénomène anormal, après contrôle sur place, indiquant une tendance défavorable, des mesures sont intensifiées et des actions préalables de protection sont prises (accès limité aux zones exposées)

Niveau 2

Contrôle des instruments et de la transmissionRéparationObservation du phénomène (mesures locales)

Equipements du système d’alarme

Défaillance ou évolution anormaleMission d’observation sur place pour contrôler le fonctionnement des appareils et des capteurs, pour les réparer le cas échéant ou pour définir la cause de l’évolution anormale

Niveau 1

Contrôle ponctuel àdistance des paramètres

Equipements du système d’alarme

Situation normaleSystème d’alarme en fonctionnement

Niveau 0

ActionsOrigine de l’alarmeDéfinitionNiveau d’alarme

Retour au niveau 0 une fois le système contrôlé

Autorités localesRetour à la normale, après un signe de niveau 2 ou 3Niveau 4

EvacuationMesures de sécuritéMesures d’urgence

Equipements du système d’alarmeObservations locales complètesAutorités locales

AlarmeLe phénomène anormal se confirme ou s’amplifie ; la menace s’accroît ; la population est évacuée ; les autorités sont informées.

Niveau 3

Limitation des accès, préparation àl’évacuation ; mesures préventives

Equipements du système d’alarmeObservations locales

Pré-alarmeEn cas de phénomène anormal, après contrôle sur place, indiquant une tendance défavorable, des mesures sont intensifiées et des actions préalables de protection sont prises (accès limité aux zones exposées)

Niveau 2

Contrôle des instruments et de la transmissionRéparationObservation du phénomène (mesures locales)

Equipements du système d’alarme

Défaillance ou évolution anormaleMission d’observation sur place pour contrôler le fonctionnement des appareils et des capteurs, pour les réparer le cas échéant ou pour définir la cause de l’évolution anormale

Niveau 1

Contrôle ponctuel àdistance des paramètres

Equipements du système d’alarme

Situation normaleSystème d’alarme en fonctionnement

Niveau 0

ActionsOrigine de l’alarmeDéfinitionNiveau d’alarme

Tableau 1. Rappel des niveaux des systèmes d’alarme proposés dans le projet CTI-FRAN2. 7. SELECTION DES CRITERES D’ALERTE Comme cela a été indiqué précédemment, le premier facteur à considérer, avant de choisir des critères d’alerte, est la représentativité de la mesure effectuée. Par exemple, la mesure du déplacement d’un point d’une masse instable doit concerner un endroit dont la mise en mouvement fournira un indice sûr du déclenchement de la mobilisation d’une grande masse. Au contraire, le suivi du basculement d’un petit promontoire sur la masse instable ne sera pas significatif pour détecter le départ d’un grand éboulement. Le deuxième facteur a trait à la fiabilité de la mesure ; il convient de ne retenir que des mesures dont la variation est indubitable d’une évolution du massif. Par exemple, une mesure de distance relative entre deux points instables est parfois fiable si l’on a établi qu’un des deux points bouge très peu par rapport à l’autre, mais cette fiabilité peut disparaître et surtout cette incertitude ne peut être levée que par des mesures dans un réseau intégré de mensuration, avec appui sur des points fixes sûrs. Un autre aspect de la fiabilité des mesures, en relation avec l’équipement ROBOVEC développé dans le cadre de ce projet, a trait à la signification des variations de distance mesurées par rapport aux déplacements réels des points observés ; si l’orientation de la visée permettant la mesure de distance s’éloigne trop de la direction de déplacement, les valeurs obtenues ne donnent qu’une estimation des déplacements.

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EPFL – Laboratoire de mécanique des sols - 11 – Lausanne, décembre 2005 Projet MUMOSY Le troisième facteur à examiner a trait aux conditions environnementales pendant la mesure ou aux conditions qui ont généré la mesure. En particulier, il faut suivre les conditions météorologiques sur le site ausculté, d’une part pour analyser les causes possibles d’une variation de vitesse, d’autre part pour déterminer les influences possibles sur la qualité de la mesure. De même, l’activité sismique doit être suivie avec soin pour déterminer si un facteur lié à la géodynamique interne explique l’occurrence d’un mouvement exceptionnel. En ce qui concerne les critères d’alerte proprement dits, en relation avec les mouvements de terrain, les mesures à exploiter en priorité concernent les déplacements de la masse instable, car ce sont des données significatives du phénomène en cause. Toutefois, la valeur elle-même du déplacement d’un point n’est pas a priori un critère significatif. Ainsi, une masse instable, comme la partie centrale du glissement de La Frasse (Fig. 11), où se trouve le hameau de Cergnat, s’est déplacée de 40 m en trois siècles (l’âge des plus vieux chalets), sans qu’une alarme ait à être déclenchée, étant donné la très grande régularité du mouvement du versant.

Fig. 11. Vue d’ensemble du glissement de La Frasse (VD) ; les maisons du hameau de Cergnat se déplacent de 13 m/siècle, sans accident majeur ayant justifié une alerte ou une évacuation. La vitesse de déplacement, dérivée de la mesure du mouvement sur une certaine période (heure, jour), est un critère plus significatif, comme on le voit apparaître à l’occasion d’une crise conduisant à un accroissement de la vitesse par rapport à la tendance de la période précédente (voir Fig. 4 ci-dessus). Toutefois, on ne peut articuler de valeur de référence absolue, car les phénomènes observés peuvent être lents (quelques centimètres par année, par exemple) ou rapides (quelques dizaines de centimètres par année). Il convient donc de se référer à une vitesse moyenne du phénomène, qui peut être calculée soit sur la période de

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EPFL – Laboratoire de mécanique des sols - 12 – Lausanne, décembre 2005 Projet MUMOSY l’année précédente, de préférence hydrologique (avril à mars pour les phénomènes affectant les zones basses des Alpes, par exemple), soit sur une période beaucoup plus longue (il est utilisé par exemple pour la cartographie des phénomènes d’instabilité la vitesse moyenne à long terme, calculée sur une période de plus de 50 ans). C’est donc la variation relative de vitesse par rapport à la période précédant la crise qui devient un critère d’alerte significatif. Il est aussi possible de prendre l’accélération, soit la variation de vitesse instantanée au cours du temps, comme critère d’alerte, mais cette mesure est plus délicate à interpréter, notamment quand un phénomène passe d’une vitesse V1 à une vitesse V2, puis se poursuit ensuite à une vitesse constante. Alors, l’accélération est nulle dans cette seconde période et cette valeur n’est pas représentative d’une évolution qui peut être critique. D’autres critères d’alerte peuvent aussi être considérés en relation avec les crises de glissements de terrain, comme la pression interstitielle au niveau du plan de glissement, ou le degré de saturation de la masse instable (cette dernière valeur est fréquemment utilisée à Hong Kong comme base de décision pour fermer des routes à la circulation - Geotechnical Control Office, 1984). Toutefois, la mesure est moins fiable qu’un déplacement, surtout à long terme, et la conservation des capteurs dans de bonnes conditions de fiabilité est plus délicate. On peut aussi utiliser les hauteurs de précipitation comme un indicateur pour l’alerte, mais si l’on n’est pas en mesure d’établir l’infiltration nette, après déduction de l’évapotranspiration et de l’écoulement, cette hauteur de pluie n’est qu’un indice et ne peut constituer un critère d’alerte fiable en n’importe quelle saison. La magnitude d’un tremblement de terre, la hauteur d’eau lors d’une crue s’écoulant au pied d’un versant instable, l’ouverture de fissures dans un massif rocheux, sont aussi des indicateurs intéressants pour établir des conditions de pré-alerte, mais ne peuvent être envisagés comme critères d’alerte unique. En tout état de cause, il convient de sélectionner attentivement les critères d’alerte à mettre en œuvre, en fonction du mécanisme d’instabilité et des caractéristiques propres au site instable en question, en évaluant de façon approfondie les causes des accélérations, leur façon de se marquer dans la masse instable et les conditions morphologiques de cette masse. Il n’existe donc pas de recette miracle ni de valeurs de référence standards pour établir des critères d’alerte. 8. EXEMPLE DE CRITERES D’ALERTE POUR UN GRAND EBOULEMENT EN

PHASE DE PRE-RUPTURE L’éboulement de Séchilienne, en France, dont il a déjà été question précédemment (voir Fig. 9), fait l’objet d’un suivi depuis de nombreuses années, notamment le secteur appelé « zone frontale », le plus remanié, dont le volume, qui pourrait être mobilisé à court terme (soit approximativement dans un délai maximum de dix ans), atteint 3 millions de m3 environ (Durville et al., 2004 (Fig. 12).

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Fig. 12. Vue de la zone frontale de l’éboulement de Séchilienne, prise en hiver, et mettant bien en évidence le secteur instable le plus menaçant ; ce secteur se trouve environ 400 m plus haut que le fond de la vallée. Le comité d’experts suivant ce mécanisme d’instabilité depuis plusieurs années, dont fait partie le premier auteur de ce rapport, a récemment établi une série de critères d’alerte pour déterminer l’action des autorités en cas de crise. Les niveaux correspondants, liés au cadre administratif français, sont donnés ici à titre indicatif, afin de mettre en évidence les différents facteurs qui interviennent dans la mise en œuvre des niveaux d’alerte 1 à 3 (il ne sera pas développé ici les actions de protection civile déclenchées à la suite de la déclaration de chaque niveau). Niveau 1 : Préalerte administrative Dans ce cas, qui concerne uniquement l’organisme suivant les mouvements (CETE Lyon) et la Direction Départementale de l’Equipement (DDE), sans que le préfet soit avisé, il est établi quatre critères, dont un au moins doit être atteint, pour que cette préalerte soit prononcée :

1. Vitesse : une valeur 1

4.5n

j

moy

VV

≥ doit être atteinte au jour j, sur au moins trois

capteurs parmi les sept points les plus critiques (le mouvement des points est suivi en permanence à distance, par des mesures horaires).

1nmoyV−

est la vitesse moyenne journalière sur l’année hydrologique précédente (avril à mars).

2. Un éboulement local, de l’ordre de 100 à 1'000 m3, est relevé par des observateurs locaux, sans que des points auscultés aient fait l’objet d’une accélération.

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3. Des conditions météorologiques extrêmes (alerte météo orange ou rouge de Météo France), intervenant après une période de forte pluviométrie sur deux à trois jours, dont la hauteur brute cumulée dépasse 80 mm.

4. Occurrence d’un séisme significatif, de magnitude de 4 et plus, sur l’échelle de Richter, avec un épicentre à moins de 20 km du site instable.

Dans le cas où les critères 2, 3 ou 4 sont remplis, l’organisme en charge du suivi des mouvements procède à une visite de contrôle du site et vérifie le bon fonctionnement des appareils de mesure de déplacement. Niveau 2 : Vigilance renforcée (préalarme) Dans ce cas, pour lequel le préfet est avisé, ce qui lui permettra de préparer les actions à mettre en œuvre ultérieurement, la préalarme est lancée si un au moins des deux critères suivants est atteint :

1. Vitesse : une valeur de 1

7.5n

j

moy

VV

≥ doit être atteint au jour j, sur au moins trois

capteurs parmi les sept points les plus critiques. 2. On observe une persistance d’éboulement local, de l’ordre de 100 à 1'000 m3, ou un

événement significatif dont le volume dépasse 10'000 m3. Niveau 3a : Préoccupation sérieuse (préparation de l’alarme) Ce niveau conduit à une décision préfectorale, sur avis des services administratifs et des experts mobilisés. Il n’y a donc pas lieu de fixer des critères chiffrés, mais la décision de cette préparation à l’alarme sera prise sur les bases suivantes :

1. Accélération notable ou reprise des déformations dans l’ensemble de la masse, tout autour de la zone frontale.

2. Observations conduisant à pouvoir prédire la possibilité d’un éboulement de grand volume, de plus d’un million de m3.

3. Concommitence d’aléas extérieurs (crue décennale de la rivière, alerte météo rouge ou orange).

Les actions à prendre et à mettre en œuvre, suite à la décision préfectorale, sont déjà définies dans le plan de secours. Ce niveau ne peut être levé que par décision préfectorale, probablement après consultations des services administratifs et des experts. Niveau 3b : Danger imminent (alarme) Ce niveau est décrété par décision préfectorale, au vu de l’évolution des critères considérés dans le niveau 3a précédent, et compte tenu des avis des ingénieurs de l’administration et des experts. Il n’y a donc à nouveau pas de critères qualitatifs, mais un ensemble de circonstances aggravantes qui justifie alors de mettre ne œuvre le plan de secours, qui comprend notamment des évacuations de la zone menacée, directement ou indirectement. Il faut relever à cet égard que la zone la plus exposée au pied du versant, dans le secteur de l’Ile-Falcon (Fig. 13), a fait l’objet d’une procédure d’expropriation intégrale, de façon à éviter des risques importants et une difficulté de mise en œuvre du plan de secours.

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Fig. 13. Zone d’éboulement en cours de développement (dans la « zone frontale ») et secteur exproprié de l’Ile-Falcon. En dernier lieu, le retour à la normale, après la mise en œuvre du plan de secours, doit aussi faire l’objet d’une décision préfectorale. 9. INTERPRETATION DES MESURES EN CONTINU DES DEPLACEMENTS

DANS LE CADRE DES ACTIONS DE PREVENTION L’exemple précédemment cité de l’éboulement de Séchilienne, quoique particulier tant pour ses aspects techniques qu’administratifs, met en évidence quatre facteurs essentiels en relation avec la planification et l’opération d’un système d’alerte :

1. Il est nécessaire de garantir le suivi en continu de plusieurs dispositifs de mesure afin de garantir la fiabilité et la représentativité des données à considérer dans les critères d’alerte.

2. Il est indispensable de recouper les données de mesure continue des déplacements avec d’autres types d’information comme la piézométrie dans la masse instable, la pluviométrie sur le versant, etc., de manière à mieux justifier le déclenchement de l’alarme ou la mise en œuvre d’actions de prévention, dans le cadre d’une analyse complète, même si elle est rapide, des causes du mouvement.

3. Il est nécessaire de graduer les seuils d’alarme (niveaux 1, 2, 3) et de se donner du temps et des moyens, comme une visite sur place, pour confirmer la préalerte qui a pu dériver de la seule interprétation des mesures en continu. En effet, une fausse alerte peut être parfois plus préjudiciable pour la sécurité des populations, à long terme, qu’une alerte dûment justifiée, même lancée un peu tard.

4. L’expérience de nombreuses crises montre qu’un des points essentiels dans la mise en œuvre d’un plan de secours est lié à la coordination des actions des différents services et des décisions qui doivent être prises, après consultation entre les services

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administratifs, les experts et le pouvoir politique. A défaut de coordination, certaines actions pourront être contre-productives et laisser la population dans l’incertitude.

Il est toutefois clair que toutes ces recommandations sont plus faciles à formuler qu’à mettre en œuvre ! Néanmoins, tout doit être fait pour préparer et assurer une action bien structurée, sans laisser de place à l’improvisation, qui n’est pratiquement d’aucun secours en cas de crise. 10. CONCLUSIONS ET PERSPECTIVES En dépit de l’expérience acquise au cours des années et de l’affinement des moyens d’auscultation, les cas sont rares où la prévision d’un phénomène dangereux a été établie avec exactitude, notamment le moment de la rupture ; on peut citer un éboulement survenu dans la mine de cuivre de Chuquicamata, au Chili, où le suivi des mouvements dès le stade de prérupture a permis de prédire l’instant de la rupture à quelques minutes près. Néanmoins, dans le cas de phénomènes d’éboulement, comme à Randa, en Valais, il a été possible, quelques jours à l’avance, de prévoir assez précisément le moment du début du second éboulement, et de prendre des mesures de précaution qui s’imposaient par rapport aux travaux de sécurisation suivant le premier épisode d’éboulement (Fig. 14).

Fig. 14. Vue depuis l’amont de la masse éboulée de Randa, après la 2e phase d’éboulement. La zone inondée est consécutive à une obstruction accidentelle du canal d’évacuation des eaux, suite à une lave torrentielle survenue sur la rive droite, dans le Dorfbach. Dans le cas des phénomènes progressifs, comme les glissements de terrain, les méthodes utilisant les réseaux de neurone, dans lesquels des vitesses de déplacement antécédents sont introduites, permettent une prédiction à court terme, mais dans une plage de variation des vitesses limitée. De la sorte, l’occurrence d’un mouvement catastrophique n’est pas

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EPFL – Laboratoire de mécanique des sols - 17 – Lausanne, décembre 2005 Projet MUMOSY détectable. C’est ce qui s’est passé au glissement de la Chenaula (VD), dont il a déjà été question (voir Fig. 7). Les mesures avaient mis en évidence une accélération notable, et des mesures de renforcement de la route avaient été prises, mais rien ne laissait prévoir un déplacement de 8 m en trois jours au droit de la route, comme cela apparaît à la Figure 15.

Fig. 15. Cisaillement de la route cantonale au glissement de la Chenaula (VD), en avril 1983, suite à une période d’accélération progressive. Le mouvement du versant s’est ensuite autostabilisé, suite aux ouvrages réalisés pour supprimer l’érosion au pied de la masse instable. Cet exemple illustre bien que les théories de la pré-rupture permettent une prédiction fiable, mais pour autant que le mécanisme des mouvements ne change pas jusqu’à la rupture. Or c’est justement ce qui s’est passé à la Chenaula et ce qui se passe fréquemment pour les glissements de terrain, notamment lorsque leur mécanisme évolue, par exemple en coulée boueuse (voir Fig. 2, où l’on voit à gauche de la photo le développement de la coulée) En conclusion, les mesures continues des déplacements en surface, tels qu’ils peuvent être obtenus par le prototype ROBOVEC, sont de bons indicateurs pour une pré-alerte, si un mouvement d’ensemble est bien diagnostiqué et bien compris. Cependant, la prévision d’une catastrophe reste difficile et requiert d’une part plus d’indicateurs, d’autre part une approche par modélisation, de façon à évaluer les circonstances des phénomènes conduisant à un désastre (Bonnard et al., 2004). Il est clair, en définitive, que l’amélioration dans l’acquisition et le traitement des données de mesure de déplacement pourra accroître la sécurité des versants instables, notamment dans les phases de préalerte. Mais il convient de poursuivre des recherches dans les domaines de l’identification des masses instables, de leur caractérisation mécanique, de la modélisation de leur comportement et des impacts qu’elles peuvent avoir, notamment sur les ouvrages de protection et d’assainissement, pour véritablement réduire les risques à long terme liés aux instabilités de pente, en particulier dans les zones bâties (Cascini et al., 2005).

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