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Rémi GENEVEY, Rajendra K. PACHAURI et Laurence TUBIANA (dir.) Réduire les inégalités : un enjeu de développement durable 2013 Dossier

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Page 1: 02-couvRST2013-22févregardssurlaterre.com/sites/default/files/rst/2013-34-FR.pdfJanadesh, une marche similaire rassemblant 25 000 personnes pendant un mois avait permis d’obtenir

Regards sur la Terre décrypte la complexité des processus qui composent le développe-ment durable et en révèle toute la richesse.

La première partie dresse le bilan de l’année 2012 : retour sur les dates qui ont marqué l’avancée des connaissances et la construction de l’action dans les domaines du climat, de la biodiversité, des ressources naturelles, de la gouvernance, de l’énergie, de la santé ou du développement ; analyse des événements clés et des tendances émergentes, identifi cation des acteurs majeurs, des enjeux et des perspectives.

Le Dossier 2013 traite des relations entre l’accroissement des inégalités contemporaines et l’insoutenabilité de nos trajectoires de développement. Les inégalités sont-elle un obstacle au développement durable ? La réduction des inégalités est-elle un prérequis à un mode de développement plus soutenable ? Vingt ans après le Sommet de la Terre de Rio, les aspects sociaux du développement et de la croissance ont en effet pris une place prépondérante dans le débat public. La frontière historique entre les préoccupations présumées pour l’environnement des pays de l’OCDE, actuellement en crise, et le désir légitime de croissance des pays émergents en pleine expansion semble aujourd’hui s’être brouillée et les équilibres mondiaux profondément transformés. Sous l’effet de la crise économique, les écarts de revenus entre pays riches et pays en développement n’ont fait que diminuer, mais les inégalités au sein même des pays n’ont jamais été aussi fortes, avec des conséquences immédiates sur la santé, l’urbanisation, la biodiversité… Objet de préoccupation commune, nécessitant la mise en œuvre de politiques nova-trices à l’échelle internationale, la question de la réduction des inégalités est au cœur des objectifs d’un développement qui permette à chacun un niveau de vie convenable tout en préservant les besoins des générations futures.

Fruit d’une coopération entre l’AFD (Agence française de développement), l’Iddri (Institut du développement durable et des relations internationales) et le TERI (The Energy and Resources Institute), Regards sur la Terre constitue un outil d’information et de compréhension indispensable.

Rémi GENEVEY, Rajendra K. PACHAURI et Laurence TUBIANA (dir.)

Réduire les inégalités : un enjeu de développement durable

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25 € Prix TTC France6990683ISBN : 978-2-200-28326-1

Établissement public, l’Agence française de développe-ment (AFD) agit depuis soixante-dix ans pour combattre la pauvreté et favoriser le développement dans les pays du Sud et dans l’outre-mer. Elle met en œuvre la politique définie par le gouvernement français. Présente

sur quatre continents où elle dispose d’un réseau de soixante-dix agences et bureaux de représentation dans le monde, dont neuf dans l’outre-mer et un à Bruxelles, l’AFD finance et accompagne des projets qui améliorent les conditions de vie des populations, soutiennent la croissance écono-mique et protègent la planète : scolarisation, santé maternelle, appui aux agriculteurs et aux petites entreprises, adduction d’eau, préservation de la forêt tropicale, lutte contre le réchauffement climatique… En 2011, l’AFD a consacré près de 6,9 milliards d’euros au financement d’actions dans les pays en développement et en faveur de l’outre-mer. Ils contribueront notamment à la scolarisation de 4 millions d’enfants au niveau primaire et de 2 millions au niveau collège, et à l’amélioration de l’approvisionnement en eau potable pour 1,53 million de personnes. Les projets d’efficacité éner-gétique sur la même année permettront d’économiser près de 3,8 millions de tonnes d’équivalent CO2 par an. www.afd.fr

Institut de recherche sur les politiques, l’Institut du développement durable et des relations internationales (Iddri) a pour objectif d’élaborer et de partager des clés d’analyse et de compréhension des enjeux stratégiques

du développement durable dans une perspective mondiale. Face aux défis majeurs que représentent le changement climatique et l’érosion de la biodiversité, l’Iddri accompagne les différents acteurs dans la réflexion sur la gouvernance mondiale et participe aux travaux sur la redéfinition des trajectoires de développement. Ses travaux sont structurés transver-salement autour de cinq programmes thématiques : gouvernance, climat, biodiversité, fabrique urbaine et agriculture. www.iddri.org

The Energy and Resources Institute (TERI) est une organisation non gouvernementale indienne créée en 1974 pour développer des solutions innovantes afin de traiter les enjeux du développement durable, de

l’environnement, de l’efficacité énergétique et de la gestion des ressources naturelles. Ses diverses activités vont de la formulation de stratégies locales et nationales jusqu’à la proposition de politiques globales sur les enjeux énergétiques et environnementaux. Basé à Delhi, l’Institut est doté de plusieurs antennes régionales sur le territoire indien. www.teriin.org

Rémi GENEVEY, directeur exécutif à l’Agence française de développement (AFD), est actuellement responsable de la direction de la stratégie, qui regroupe les activités de production de connaissances, pilotage stratégique, évaluation et formation de l’AFD, ainsi que le Secrétariat du Fonds français pour l’environnement mondial. Il a exercé des fonctions de management à l’AFD dans

différents postes, en tant que directeur financier (2006-2008), directeur du département Méditerranée et Moyen-Orient (2002-2005), directeur de l’agence de l’AFD au Maroc (1999-2002), directeur général adjoint et directeur des opérations de Proparco, la filiale de l’AFD pour le financement du secteur privé (1994-1999). Il a été responsable entre 2008 et 2010 de la coordination, pour la France, du groupe de travail international en charge de la création du Centre de Marseille pour l’intégration méditerranéenne.

Laurence TUBIANA, économiste, a fondé et dirige l’Institut du développement durable et des relations internationales (Iddri) et la chaire Développement durable de Sciences Po. Elle est professeur au sein de l’École des affaires internationales de Sciences Po et à l’université Columbia (États-Unis). Elle est membre du comité de pilotage du débat national français sur la

transition énergétique et co-présidente du Leadership Council du Réseau des solutions pour le développement durable des Nations unies. Chargée de mission puis conseillère auprès du Premier ministre sur les questions d’environnement de 1997 à 2002, elle a été directrice des biens publics mondiaux au ministère des Affaires étrangères et européennes. Elle est membre de divers conseils d’universités et de centres de recherches internationaux (Coopération internationale en recherche agronomique pour le développement – Cirad, Earth Institute à l’université Columbia, Oxford Martin School). Elle est également membre du China Council for International Cooperation on Environment and Development et du Conseil d’orientation stratégique de l’Institute for Advanced Sustainability Studies (Potsdam, Allemagne).

Rajendra Kumar PACHAURI est docteur en génie industriel et en économie. Il est actuellement le directeur général de The Energy and Resources Institute (TERI) basé à Delhi (Inde). Depuis 2002, il préside le Groupe intergou-vernemental d’experts sur l’évolution du climat (GIEC) qui a obtenu le prix Nobel de la paix en 2007.

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L’inégalité d’accès aux ressources naturelles et, en particulier, à la terre est un enjeu majeur qui fait l’objet, partout dans le monde, de mouvements

sociaux1. La croissance démographique et les modèles de développement et d’agriculture intensifs, transfor-ment de nombreuses régions en véritables champs de bataille pour l’usage des ressources naturelles, détério-rant ainsi la vie des paysans qui en dépendent [Shiva, 2004]. En Inde, le mouvement Ekta Parishad a été créé depuis les années 1990 pour soutenir et défendre les sans-terre, dans un pays marqué par une importante pression foncière et dont 70 % de la population vit dans les zones rurales. La construction de barrages, de mines d’extraction de minerais et de ciment, la création de réserves naturelles et autres parcs animaliers, la produc-tion d’agrocarburants, accroissent sans cesse la pression sur la terre, la forêt et l’eau. Le bras de fer déséquilibré entre les entreprises, les grands propriétaires ou l’État et les populations indigènes (Adivasis) ou les petits paysans (en majorité Dalits ou « intouchables ») a, dans la plu-part des cas, fait de ce dernier groupe le grand perdant de cette situation. « Le modèle de possession des terres est si inégalitaire que 40 % de la population rurale est constituée de travailleurs agricoles sans terre travaillant pour des salaires journaliers de misère sous la coupe des propriétaires fonciers locaux » [Chinnappan, 2010].

Ekta Parishad signifie « Forum de l’unité ». Ce mou-vement2 rassemble des milliers de Dalits et Adivasis,

1. Il existe de nombreux mouvement sociaux actifs autour de l’accès à la terre tant au Sud qu’au Nord. Le plus connu est le Mouvement des sans-terre du Brésil (MST). Quelques autres exemples : le mouvement international la Via Campesina (dont le siège est en Indonésie) présent dans toutes les régions du globe. En France, le mouvement associatif Terre de Liens ou, en Belgique, Terres en vue.

2. Les activistes d’Ekta Parishad parlent de people’s movement ou de people’s organization plutôt que de social movement pour mettre l’accent sur le fait que leur mouvement est aux mains de la population, des plus pauvres, des concernés.

Ekta Parishad, mouvement des sans-terre en Inde : des revendications aux alternatives locales solidaires

Emeline DE BOUVER, université catholique de Louvain, Belgique

issus de dix États indiens et fédère plusieurs milliers d’organisations locales. « Mené par P.V. Rajagopal (un Gandhi bis […]) » [Singleton, 2004], le mouvement réitère aujourd’hui le défi gandhien : réduire les iné-galités par la voie de la non-violence. Le travail d’Ekta Parishad se donne à voir principalement dans des actions d’envergure dont la marche Jan Satyagraha en 2012 constitue l’illustration la plus récente. Cette action a rassemblé 50 000 sans-terre pour réaliser la plus grande marche non violente de l’histoire3 afin de porter au gouvernement la voix des exclus. En 2007, Janadesh, une marche similaire rassemblant 25 000 personnes pendant un mois avait permis d’obtenir des titres de propriété pour certains sans-terre mais avait surtout débouché sur des avancées pour les droits des plus pauvres : principalement, la promesse de mise sur pied d’une Commission nationale de réforme agraire et une reconnaissance et des amendements aux Actes d’acquisition des terres (Land Acquisition Act) et de droits des Adivasis (Forest Rights Act). Deux ans plus tard, les activistes d’Ekta Parishad ont com-mencé à préparer Jan Satyagraha 2012, une marche visant à maintenir la pression sur le gouvernement et l’amener à tenir ses promesses, celles-ci ne s’étant, de loin, pas toutes concrétisées.

L’expérience d’Ekta Parishad montre que les actions d’envergure constituent seulement la face visible de l’iceberg. C’est de la partie immergée dont il sera majoritairement question dans cet article : l’analyse du mouvement enjoint à penser que les grandes mobi-lisations ne constituent qu’une étape dans le proces-sus de changement social.

3. Après seulement dix jours de marche, l’action a été interrompue suite à la signature d’un accord entre P.V. Rajagopal et le Premier ministre, celui-ci s’engageant à entamer les premières étapes de la réforme agraire dans les six mois.346

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Un mouvement aux multiples visagesCe qui frappe le chercheur qui tente de comprendre Ekta Parishad, c’est la multiplicité des réalités que ce mouve-ment recouvre : groupes de self-help, marches ou sit-in rassemblant des milliers de personnes, ashrams, groupes de lobbying politique, occupation de terres, formations à l’apiculture, camps de jeunes… L’observateur peine à déterminer qui fait partie de ce mouvement et comment celui-ci fonctionne4. Cette multiplicité d’actions (sou-vent considérée comme une dispersion dans l’analyse mainstream des mouvements sociaux5) et les différentes déclinaisons de l’objectif du mouvement sont des réali-sations en ligne avec la conception de l’activisme et du changement social portée par P.V. Rajagopal. Pour celui-ci, la transformation de la société vers plus d’égalité se construit d’une action sur plusieurs niveaux. « Être acti-viste, ce n’est pas être mendiant » répète-t-il inlassa-blement. Pour lui, la revendication des droits des plus pauvres ne trouve sa légitimité et sa pertinence que si se développe en parallèle un travail sur les responsabili-tés des populations elles-mêmes. L’action revendicatrice d’Ekta Parishad s’enracine dans un travail de transfor-mation durable du quotidien des Dalits et Adivasis par la mise en place d’initiatives locales allant de la création d’emplois à la construction de routes en passant, entre autres, par le soutien à l’agriculture biologique. Ekta Parishad est ancré dans des milliers de villages où ses activistes mettent sur pied et soutiennent quantité d’ini-tiatives qui s’inscrivent dans l’économie alternative et solidaire (voir l’article de B. Frère dans ce volume).

L’exemple de Lalita, permet de comprendre le tra-vail de fond réalisé localement par ces centaines d’acti-vistes. Lalita coordonne l’activité des femmes et enfants sur 10 villages dans le sud de l’Inde depuis une dizaine d’années. Elle a été engagée pour développer le travail d’Ekta Parishad dans la région où elle habitait avec son mari. Au début, ne connaissant quasiment personne, elle a créé une école de devoirs dans un premier vil-lage rassemblant des enfants de tout âge. Elle l’a ensuite répliquée dans les villages avoisinants. Grâce au temps

4. Cette multiplicité se retrouve également dans les différents titres qui sont attribués aux membres du mouvement : travailleurs (ceux qui sont salariés d’Ekta Parishad), activistes (inclus toutes les autres dénominations), leaders locaux, leaders nationaux (les leaders sont responsables de la coordination de l’action du mouvement dans un village, une région, un État).

5. Pour un regard critique sur l’assimilation, la multiplicité et la dispersion, se référer à l’ouvrage de Benasayag M. et Aubenas F., 2002, Résister, c’est créer, Paris, La Découverte.

qu’elle consacrait aux enfants, elle a commencé à ren-contrer leurs mères. Elle s’est intéressée à la vie de celles-ci et aux difficultés qu’elles rencontraient. Le manque de revenus était criant, elle a donc décidé de répondre au besoin d’emplois avant tout autre chose. Elle a mis en place avec l’aide d’autres activistes d’Ekta Parishad des formations en apiculture et en couture. Ces forma-tions ont donné pour les familles concernées l’accès à des « petits business » fournissant un apport matériel non négligeable. Toutes ces démarches ont établi entre Lalita et de nombreuses personnes du village un lien de confiance très fort. Cette confiance lui permet d’avan-cer dans son projet pas à pas. Avec le temps, aux écoles de devoirs des enfants est venu s’ajouter un conseil des enfants où ceux-ci apprennent à exprimer les forces et faiblesses de leur village. Des élections ont eu lieu dans ces conseils pour sélectionner des leaders qui iront dis-cuter des problèmes (et solutions) du village dans un conseil intervillages et puis dans un conseil interdis-tricts. L’objectif des ateliers de couture dépasse égale-ment l’objectif d’acquisition d’un travail. Ces ateliers sont des lieux où chaque jour les femmes apprennent à exprimer les difficultés qu’elles rencontrent au quo-tidien et à y trouver des solutions. Parmi elles, Lalita repère et forme des leaders : celles qui sont susceptibles de représenter leur village au sein de réunions publiques et celles qui pourraient travailler, comme elle, pour Ekta Parishad.

« Penser local » au sein de ce mouvement, c’est avant tout aller à l’écoute de la population pour comprendre ses besoins les plus urgents et trouver, avec la popu-lation, comment y répondre à partir des capacités et ressources locales. La multiplicité des initiatives est donc la conséquence d’une extrême adaptabilité aux contextes locaux. Penser local, c’est aussi pour les acti-vistes pouvoir prendre du recul par rapport aux idéaux pour mettre toute leur attention sur le processus et res-pecter le temps nécessaire à l’apprentissage de la non-violence. Contrairement aux nombreux mouvements dont la priorité est de hâter le changement, la distance des activistes d’Ekta Parishad vis-à-vis des résultats de leur action leur permet d’envisager le rythme lent des transitions. Leur premier objectif est de composer avec la réalité à laquelle ils font face, au risque de paraître incohérent. Si l’observateur ne replace pas les faits dia-chroniquement, il pourra voir les couturières de Lalita comme des femmes pauvres travaillant pour un salaire de misère. Il ne percevra pas le processus vers une plus

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grande résilience dans lequel elles sont insérées. Trou-ver un travail pour sortir les familles de l’extrême pau-vreté, c’est pour Lalita une première étape nécessaire. Il lui faut commencer par répondre aux besoins indi-viduels vitaux et gagner la confiance des personnes qu’elle accompagne, pour ensuite pouvoir les orien-ter petit à petit vers les enjeux collectifs. Cette façon de procéder est caractéristique du fonctionnement d’Ekta Parishad qui se base sur deux postulats : apprendre la non-violence est un processus de longue haleine et se mettre au service du collectif demande de l’énergie dis-ponible une fois que les besoins individuels sont écou-tés. Les activistes vivent auprès des populations (dans leur région d’origine ou ailleurs selon l’historique de leur engagement et les besoins du mouvement), se mettent à leur service et leur montrent comment mener une existence non violente. Avant d’être respectés et imités, ils doivent établir, entre la population locale et eux, une relation de confiance durable. Cette exigence prend du temps.

Les inégalités comme violence structurelleS’enracinant dans un activisme local, Ekta Parishad n’en reste cependant pas à ce seul niveau. Le mouve-ment est porteur d’une vision et d’une stratégie glo-bale. Ses revendications se centrent sur l’accès à trois ressources principales : l’eau, la terre et la forêt (jal, jangle, zameen). Pour le foncier en particulier, Ekta Parishad réclame un « changement structurel qui consiste en une redistribution complète des terres pour permettre aux marginalisés et aux opprimés de sortir de la pauvreté6 ». La pauvreté, multidimensionnelle (repère), touche une large proportion de la population indienne (l’enquête ayant débouché sur les cartes a évalué à 55 % la part des Indiens vivant sous le seuil de pauvreté). P.V. Rajagopal se mobilise contre un modèle de développement créateur de violence à travers les inégalités et la perpétuation de ces inégalités.

Ne pouvant être partout en même temps, il est accom-pagné sur le terrain par de nombreux leaders locaux et leurs équipes. Il est entouré de personnes qui s’engagent pour la non-violence mais qui viennent aussi cher-cher la satisfaction de besoins ou d’envies assez divers

6. Traduction par l’auteur : “The structural change that Ekta Parishad is calling for is a complete land redistribution to enable the marginalized and downtrodden, to get out of poverty” (disponible sur : www.ektapa-rishad.com).

(reconnaissance, pouvoir, revenu, réseau, famille…). La compréhension de la non-violence et la cohérence des initiatives locales est par conséquent à géométrie variable et dépend des compétences et de l’exemple montré par les leaders locaux. Pour répondre à cette dis-parité, des centaines de camps de jeunes ont été organi-sés par Ekta Parishad ces dernières années pour former à l’action sociale non violente et soutenir l’autonomisa-tion des sans-terre7.

En Inde, la situation à laquelle Ekta Parishad fait face est moins l’absence de lois favorables aux plus pauvres que leur application très partielle. Le mou-vement déplore que de nombreux acquis sur le plan juridique n’aient pas été transformés en changements concrets, notamment en raison de la corruption et d’un résidu de féodalisme récurrents au sein des différents niveaux de pouvoirs. L’idée que les activistes se font de leur mission correspond à la définition de la démo-cratie du philosophe Alain : un « contrôle continu et efficace que les gouvernés exercent sur les gouver-nants » [Alain, 1985]. Ils tirent aujourd’hui la son-nette d’alarme voyant petit à petit dans les discours politiques le « droit à la terre pour tous » évoluer vers un « droit à la nourriture pour tous ». Ce changement subtil de vocabulaire traduit, pour le mouvement, une option à combattre : celui d’une dévalorisation de l’agriculture au profit de l’industrialisation. Disposer d’une terre, c’est disposer pour une famille de moyens de se nourrir mais aussi de se loger, de s’ancrer dans une collectivité, d’être autonomes… Le seul accès à la nourriture risque, lui, de figer la relation de dépen-dance des plus pauvres vis-à-vis de ceux qui possèdent la terre et ne mener nullement à une diminution des inégalités à long terme.

7. Ces formations visent à développer les capacités des populations locales et leur permettre de mieux comprendre et défendre leurs droits. Un manuel pour formateurs a d’ailleurs été publié : Carr-Harris J., 2010, A Pedagogy of Non-Violent Social Action, Based on the Work of Ekta Parishad, New Delhi, Ekta Parishad.

Mesurer la pauvreté en Inde reste un défi politique. Si on regarde le revenu par habitant et par jour, seuls 25 % de la population seraient dans une situation d’extrême pauvreté (moins de 2 dollars par jour). Si on accepte une définition plus large de la pauvreté, prenant en compte l’accès aux services essentiels, on arrive au chiffre bien plus élevé de 55 %. Quelle que soit la méthode, ce sont les populations rurales qui supportent les plus grandes privations matérielles. .

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ConclusionAmener un partage plus équitable des ressources natu-relles ne peut se faire pour Ekta Parishad qu’en tra-vaillant conjointement sur plusieurs niveaux. Le mouvement a développé en parallèle un activisme local ancré dans des réalités contrastées visant une plus grande résilience locale et un activisme plus classique portant les revendications de l’accès aux

ressources auprès des différents niveaux de pouvoirs. Ekta Parishad dans son ensemble constitue un formi-dable espace d’expérimentation utilisant la moindre occasion pour soutenir la transformation de chacun en leader de sa vie et en leader non violent au service de la collectivité. Nulle trace cependant d’un collectif de saints : à l’heure d’aujourd’hui, les activistes sont en chemin. n

R É F É R E N C E S B I B L I O G R A P H I Q U E S

Alain, 1985, Propos sur les pouvoirs. Éléments d’éthique politique, propos choisis et classés par Françis Kaplan, Paris, Gallimard.

Benasayag M. et Aubenas F., 2008, Résister, c’est créer, Paris, La Découverte.

Carr-Harris J., 2010, A Pedagogy of Non-Violent Social Action, Based on the Work of Ekta Parishad, New Delhi, Ekta Parishad.

Chinnappan, N., 2010, « Accès et contrôle de la terre en Inde, un défi pour les communautés paysannes », Alternatives Sud, vol. 17/79.

Shiva V., 2004, “The future of food: countering globalisation and recolonisation of Indian agriculture”, Futures, 36(6-7): 715-732.

Singleton M., 2004, « Le World Forum de Mumbai (janvier 2004) : foire, foutoir ou foutaise ? », Mau ss, 2(24), p. 428-440.

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La première partie dresse le bilan de l’année 2012 : retour sur les dates qui ont marqué l’avancée des connaissances et la construction de l’action dans les domaines du climat, de la biodiversité, des ressources naturelles, de la gouvernance, de l’énergie, de la santé ou du développement ; analyse des événements clés et des tendances émergentes, identifi cation des acteurs majeurs, des enjeux et des perspectives.

Le Dossier 2013 traite des relations entre l’accroissement des inégalités contemporaines et l’insoutenabilité de nos trajectoires de développement. Les inégalités sont-elle un obstacle au développement durable ? La réduction des inégalités est-elle un prérequis à un mode de développement plus soutenable ? Vingt ans après le Sommet de la Terre de Rio, les aspects sociaux du développement et de la croissance ont en effet pris une place prépondérante dans le débat public. La frontière historique entre les préoccupations présumées pour l’environnement des pays de l’OCDE, actuellement en crise, et le désir légitime de croissance des pays émergents en pleine expansion semble aujourd’hui s’être brouillée et les équilibres mondiaux profondément transformés. Sous l’effet de la crise économique, les écarts de revenus entre pays riches et pays en développement n’ont fait que diminuer, mais les inégalités au sein même des pays n’ont jamais été aussi fortes, avec des conséquences immédiates sur la santé, l’urbanisation, la biodiversité… Objet de préoccupation commune, nécessitant la mise en œuvre de politiques nova-trices à l’échelle internationale, la question de la réduction des inégalités est au cœur des objectifs d’un développement qui permette à chacun un niveau de vie convenable tout en préservant les besoins des générations futures.

Fruit d’une coopération entre l’AFD (Agence française de développement), l’Iddri (Institut du développement durable et des relations internationales) et le TERI (The Energy and Resources Institute), Regards sur la Terre constitue un outil d’information et de compréhension indispensable.

Rémi GENEVEY, Rajendra K. PACHAURI et Laurence TUBIANA (dir.)

Réduire les inégalités : un enjeu de développement durable

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Établissement public, l’Agence française de développe-ment (AFD) agit depuis soixante-dix ans pour combattre la pauvreté et favoriser le développement dans les pays du Sud et dans l’outre-mer. Elle met en œuvre la politique définie par le gouvernement français. Présente

sur quatre continents où elle dispose d’un réseau de soixante-dix agences et bureaux de représentation dans le monde, dont neuf dans l’outre-mer et un à Bruxelles, l’AFD finance et accompagne des projets qui améliorent les conditions de vie des populations, soutiennent la croissance écono-mique et protègent la planète : scolarisation, santé maternelle, appui aux agriculteurs et aux petites entreprises, adduction d’eau, préservation de la forêt tropicale, lutte contre le réchauffement climatique… En 2011, l’AFD a consacré près de 6,9 milliards d’euros au financement d’actions dans les pays en développement et en faveur de l’outre-mer. Ils contribueront notamment à la scolarisation de 4 millions d’enfants au niveau primaire et de 2 millions au niveau collège, et à l’amélioration de l’approvisionnement en eau potable pour 1,53 million de personnes. Les projets d’efficacité éner-gétique sur la même année permettront d’économiser près de 3,8 millions de tonnes d’équivalent CO2 par an. www.afd.fr

Institut de recherche sur les politiques, l’Institut du développement durable et des relations internationales (Iddri) a pour objectif d’élaborer et de partager des clés d’analyse et de compréhension des enjeux stratégiques

du développement durable dans une perspective mondiale. Face aux défis majeurs que représentent le changement climatique et l’érosion de la biodiversité, l’Iddri accompagne les différents acteurs dans la réflexion sur la gouvernance mondiale et participe aux travaux sur la redéfinition des trajectoires de développement. Ses travaux sont structurés transver-salement autour de cinq programmes thématiques : gouvernance, climat, biodiversité, fabrique urbaine et agriculture. www.iddri.org

The Energy and Resources Institute (TERI) est une organisation non gouvernementale indienne créée en 1974 pour développer des solutions innovantes afin de traiter les enjeux du développement durable, de

l’environnement, de l’efficacité énergétique et de la gestion des ressources naturelles. Ses diverses activités vont de la formulation de stratégies locales et nationales jusqu’à la proposition de politiques globales sur les enjeux énergétiques et environnementaux. Basé à Delhi, l’Institut est doté de plusieurs antennes régionales sur le territoire indien. www.teriin.org

Rémi GENEVEY, directeur exécutif à l’Agence française de développement (AFD), est actuellement responsable de la direction de la stratégie, qui regroupe les activités de production de connaissances, pilotage stratégique, évaluation et formation de l’AFD, ainsi que le Secrétariat du Fonds français pour l’environnement mondial. Il a exercé des fonctions de management à l’AFD dans

différents postes, en tant que directeur financier (2006-2008), directeur du département Méditerranée et Moyen-Orient (2002-2005), directeur de l’agence de l’AFD au Maroc (1999-2002), directeur général adjoint et directeur des opérations de Proparco, la filiale de l’AFD pour le financement du secteur privé (1994-1999). Il a été responsable entre 2008 et 2010 de la coordination, pour la France, du groupe de travail international en charge de la création du Centre de Marseille pour l’intégration méditerranéenne.

Laurence TUBIANA, économiste, a fondé et dirige l’Institut du développement durable et des relations internationales (Iddri) et la chaire Développement durable de Sciences Po. Elle est professeur au sein de l’École des affaires internationales de Sciences Po et à l’université Columbia (États-Unis). Elle est membre du comité de pilotage du débat national français sur la

transition énergétique et co-présidente du Leadership Council du Réseau des solutions pour le développement durable des Nations unies. Chargée de mission puis conseillère auprès du Premier ministre sur les questions d’environnement de 1997 à 2002, elle a été directrice des biens publics mondiaux au ministère des Affaires étrangères et européennes. Elle est membre de divers conseils d’universités et de centres de recherches internationaux (Coopération internationale en recherche agronomique pour le développement – Cirad, Earth Institute à l’université Columbia, Oxford Martin School). Elle est également membre du China Council for International Cooperation on Environment and Development et du Conseil d’orientation stratégique de l’Institute for Advanced Sustainability Studies (Potsdam, Allemagne).

Rajendra Kumar PACHAURI est docteur en génie industriel et en économie. Il est actuellement le directeur général de The Energy and Resources Institute (TERI) basé à Delhi (Inde). Depuis 2002, il préside le Groupe intergou-vernemental d’experts sur l’évolution du climat (GIEC) qui a obtenu le prix Nobel de la paix en 2007.

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Dossier

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