0. visage des sans-papiers

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Evolution 2000 - 2010 Commission fédérale pour les questions de migration CFM Documentation sur la politique de migration Visage des sans-papiers en Suisse.

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  • Evolution 2000 - 2010

    Commission fdrale pour les questions de migration CFMDocumentation sur la politique de migration

    Visage des sans-papiers en Suisse.

  • 2010 Commission fdrale pour les questions de migration CFM

    Auteures Denise Efionayi-Mder, Silvia Schnenberger, Ilka SteinerForum suisse pour ltude des migrations et de la population (SFM), Universit de Neuchtel

    RdactionSimone Prodolliet, Pascale Steiner

    Traduction Marie-Claude Mayr, Steinbrunn-le-Bas, France

    Photo de couverture LInconnu sans visage. Copyright: Sabrina Horak, photo: Galerie Suppan Contemporary (fragment dimage en noir/blanc, avec accord de lartiste)

    Graphisme/impression W. Gassmann SA, Bienne

    DistributionOFCL, Vente des publications, CH-3003 Bernewww.bundespublikationen.admin.chArt.-Nr. 420.925 F

    Commission fdrale pour les questions de migration CFMQuellenweg 6CH-3003 Berne-WabernTl. 031 325 91 16www.ekm.admin.ch

  • Evolution 2000-2010

    Denise Efionayi-Mder, Silvia Schnenberger, Ilka Steiner

    Dcembre 2010

    Visage des sans-papiers en Suisse.

    Documentation sur la politique de migration

  • Visage des sans-papiers en Suisse.2

    table des matires

    Table des matires

    1 RSum 6

    1.1 Mthodologie 7

    1.2 Evolution gnrale politique et juridique 7

    1.3 Profil des sans-papiers et champs de tensions dans leur quotidien 7

    1.4 Perspectives 9

    2 IntRoDuctIon 11

    2.1 Dfinition des termes employs 12

    2.2 Approches mthodologiques et dfis 13

    2.3 Structure de l'tude 14

    3 mIgRatIon IRRgulIRe ancRage thoRIque et hIStoRIque 16

    3.1 Comment expliquer la migration irrgulire? 16

    3.2 Dveloppement historique de la migration irrgulire dans le contexte international 17

    3.3 La gestion de la migration irrgulire dans le contexte international 18

    4 le contexte De la mIgRatIon IRRgulIRe et DeS SanS-papIeRS en SuISSe 21

    4.1 Bibliographie en progression 21

    4.2 Les tenants et les aboutissants du sjour illgal 22

    4.2.1 Les raisons de l'migration 22

    4.2.2 L'entre en Suisse et les modalits de sjour 23

    4.3 Des chiffres controverss 26

    4.3.1 Les tendances depuis 2000 27

    4.3.2 Comparaison europenne 28

    4.4 Caractristiques sociodmographiques et origine 29

    4.5 Rpartition gographique 31

    5 eVolutIon Du caDRe polItIque gnRal en SuISSe 34

    5.1 Evolution en matire de dispositions d'admission 34

    5.2 Dispositions concernant l'entre dans le pays 35

    5.3 Dveloppements en matire de sjour 36

    5.4 Evolution gnrale en matire d'asile 37

    5.5 Consquences et champs de tensions 38

    6 tenDanceS polItIqueS et juRIDIqueS en matIRe De SanS-papIeRS 40

    6.1 Bases juridiques 40

    6.2 Interventions politiques et rponses des autorits 40

    6.2.1 Tendances gnrales dans la gestion des sans-papiers 41

    6.2.2 Mariage 43

    6.3 Cas de rigueur contre rgularisation collective 45

    6.3.1 Rponses aux demandes de rgularisation collective 45

  • Visage des sans-papiers en Suisse. 3

    table des matires

    6.3.2 Qu'est-ce qu'un cas de rigueur? 46

    6.3.3 Rglementation des cas de rigueur dans le domaine des trangers 46

    6.3.4 Rglementation des cas de rigueur dans le domaine de l'asile 48

    6.4 Mobilisations de sans-papiers et acteurs du travail de soutien 51

    6.4.1 Manifestations de sans-papiers 51

    6.4.2 Rponses de la socit civile et de la politique locale 52

    6.4.3 Perception publique 53

    7 champS De tenSIonS et DomaIneS ImpoRtantS 55

    7.1 Activit lucrative 55

    7.1.1 Les conditions cadre juridiques du travail 55

    7.1.2 Branches d'activit 56

    7.1.3 Conditions de travail 57

    7.1.4 Modalits du travail au noir 58

    7.1.5 La loi fdrale en matire de lutte contre le travail au noir 59

    7.1.6 Evolution gnrale 61

    7.2 La situation des sans-papiers mineurs et laccs lducation 63

    7.2.1 Dpart dans la vie: les jeunes enfants et leurs droits 63

    7.2.2 Le droit des enfants lenseignement scolaire obligatoire 64

    7.2.3 Perspectives davenir: formation postobligatoire 65

    7.3 Soins et sant 67

    7.3.1 Droit aux soins de sant 67

    7.3.2 Obligation de sassurer 67

    7.3.3 Dveloppement dans la pratique 68

    7.3.4 Importance de la sant dans la vie quotidienne 69

    7.3.5 Apprciations et dveloppements rcents 70

    7.4 Autres domaines 71

    7.4.1 Le logement 71

    7.4.2 Conditions de vie laide durgence 71

    7.4.3 Scurit sociale 73

    7.4.4 Mobilit 74

    8 concluSIon et peRSpectIVeS 76

    8.1 Tendances gnrales et contexte 76

    8.2 Dveloppements dans les diffrents domaines de la vie 77

    8.3 Politique en matire de sans-papiers et perspectives 79

    9 noteS 83

    10 bIblIogRaphIe 87

  • Visage des sans-papiers en Suisse. 5

    avant-propos

    Avant-propos

    Ils font le mnage, rcoltent des lgumes, tra-vaillent sur les chantiers, gardent les enfants, soignent les malades et les personnes ges, effectuent des travaux de jardinage ou sont employs dans la restauration. En gnral, ceux quon appelle les sans-papiers travaillent dans des conditions peu attrayantes, et le plus souvent mal rmunres, pour lesquelles on ne trouve pas dautre main-duvre.

    On dsigne par sans-papiers les personnes qui sjournent dans un pays sans autorisation de sjour valable, ce qui ne signifie pas pour autant quils ne pos-sdent pas de papiers didentit. La plupart des sans-papiers sont la recherche dun travail et de meilleures conditions de vie; ils ont migr en Suisse de manire lgale ou illgale et exercent une activit lucrative.

    Sur le plan politique, la question de lillgalit au sens du droit des trangers a surtout t traite jusqu prsent sous laspect de la lutte contre limmigration ill-gale. Dans la lutte contre le phnomne du sjour illgal, la Suisse a opt en premier lieu pour des rgles dadmis-sion restrictives. Une rgularisation nest possible que dans les cas personnels dune extrme gravit. Cette poli-tique de rgulation sexplique par le rle de lEtat appel faire respecter lordre juridique. En revanche, les cercles familiariss avec la situation des sans-papiers se pronon-cent en faveur dune approche pragmatique.

    En sa qualit de mdiatrice, la Commission fdrale des trangers CFE, qui avait prcd la Commission fd-rale pour les questions de migration CFM, a abord plusieurs reprises la question des sans-papiers. Elle a par-ticip des entretiens avec des groupements de la socit civile, soumis la thmatique aux responsables du Dpar-tement fdral de justice et police et de lOffice fdral des migrations, et constitu entre 2005 et 2007 un groupe de travail avec des reprsentants des autorits cantonales et de la socit civile dans le but de faciliter le dpt de demandes pour cas de rigueur de sans-papiers ayant sjourn en Suisse depuis longtemps sans grand succs malheureusement.

    Consciente du fait que la migration irrgulire ne disparatra pas dun monde globalis et que la demande en matire de prestations ralises par les sans-papiers perdurera en Suisse comme ailleurs, la CFM souhaite

    nouveau se saisir de cette thmatique travers la pr-sente publication. Les sans-papiers se trouvent certes dans une situation illgale; pour autant, cela ne signifie pas quils ne disposent pas de droits ou quils ne peuvent pas aspirer vivre dans des conditions dignes. Depuis lt 2001, au moment o diffrents groupements de la socit civile ont attir lattention sur la situation probl-matique des sans-papiers grands renforts de mdias, cette position sest propage de larges cercles de la population suisse. Les adolescents prcisment, qui ne connaissent pas dautre patrie que la Suisse, devraient aussi avoir droit comme les autres jeunes de leur ge la formation aprs la scolarit obligatoire.

    Ltude ralise sur mandat de la CFM se penche sur les mcanismes complexes qui conditionnent la prsence de sans-papiers en Suisse et dcrit leurs situations de vie dans le contexte des changements intervenus au cours des dix dernires annes. En outre, elle met en lumire les principaux aspects qui se dgagent des diffrents domaines politiques. La CFM espre ainsi montrer que le fait de se trouver dans une situation irrgulire ne doit pas tre imput uniquement aux individus, mais relve aussi de la responsabilit de notre socit qui nest pas exempte de contradictions.

    Francis matthey, Prsident de la Commission fdrale pour les questions de migration

  • Visage des sans-papiers en Suisse.6

    rsum

    1 Rsum

    La prsence de personnes sans autorisation de sjour en Suisse a sans cesse gagn en importance depuis les annes 1980. Les sans-papiers comme on les appelle communment sjournent en Suisse parce quils esprent une vie meilleure. Pourtant ils vivent dans lombre de la socit. Ils essaient de ne pas veiller lattention, mais mnent une vie tout fait comparable celle dautres migrs. Les enfants vont lcole et les adultes travaillent afin de soutenir leurs familles dans les pays dorigine avec une partie de leur salaire.

    Le sjour irrgulier au regard de la loi sur les trangers peut avoir des raisons diverses, par exemple lentre illgale puis le sjour, la perte dune autorisation obtenue prcdemment, le rejet dune demande dasile pass en force ou la naissance dun enfant n de parents sans autorisation de sjour. Au cours des dix dernires annes, de nombreuses tudes se sont intresses aux diffrents thmes et problmatiques concernant le sjour illgal dtrangers en Suisse. La prsente tude constitue un tat des lieux dont lobjectif est de donner un aperu des changements intervenus dans le cadre politique et juridique en termes de migration irrgulire en Suisse au cours de cette dernire dcennie. De plus, elle met en lumire les dveloppements survenus dans les diffrents domaines de la vie des sans-papiers et ouvre le dbat sur les champs de tensions actuels.

    les multiples raisons de la migration irrgulire

    La migration rpond a des enjeux la fois conomiques, politiques et sociaux. Limmigration irrgulire est, elle aussi, influence par le contexte conomique, migratoire et politique. En effet, la demande de main-duvre manant de lconomie est couverte par des migrants qui souhaitent amliorer leur vie ainsi que celle de leurs familles. Les pays daccueil essaient cependant dempcher limmigration incontrle, ou plutt de ne permettre limmigration que de manire slective. Pour contrer limmigration illgale, ils recourent diverses mesures de contrle qui vont de la prvention de la migration et de la restriction des admissions jusquaux contrles lintrieur du territoire, comme les mesures prises contre le travail au noir. Certaines tudes conomiques montrent que le

    contrle strict de limmigration irrgulire nest pas toujours dans lintrt de lEtat, dans la mesure o les sans-papiers constituent une main-duvre flexible, qui sert damortisseur conjoncturel.

    porte et ampleur de la migration irrgulire

    Lampleur du phnomne de migration est estime environ 214 millions de migrants par lONU, la part de la migration irrgulire reprsentant environ 10 15% 1. Les dernires estimations pour lUnion Europenne (UE 25) varient entre 1,9 et 3,8 millions de sans-papiers. Malgr le fait que la lutte contre limmigration irrgu- lire occupe une place importante dans la politique de migration de lUE depuis de nombreuses annes, les rgulations appliques par les Etats en vue de limiter limmigration nont eu quun effet limit sur la prsence de sans-papiers, ainsi que le montrent les tudes comparatives. Afin de corriger les consquences de limmigration irrgulire, certains Etats europens (France, Italie, Grce, Espagne) ont procd des rgularisations collectives en faveur de personnes sjournant de manire irrgulire; ainsi entre 1973 et 2008, 4,3 millions de personnes ont obtenu une autorisation de sjour pour leur pays de destination (Baldwin-Edwards et Kraler 2009).

    Les estimations du nombre de sans-papiers en Suisse varient entre 70 000 et 300 000 personnes, bien quune tude commande par lOffice fdral des migrations (2004) fasse tat de 90 000 personnes sjour-nant de manire irrgulire. Alors quil y a eu dsac-cord sur le dveloppement de limmigration irrgulire au cours de la dernire dcennie, il est incontestable quelle est tributaire de la conjoncture et est troite-ment lie la situation du march du travail. Du fait de labsence de statut, les sans-papiers dpendent dans une large mesure dune place de travail et, bien sou-vent, ils ne sjournent dans le pays que tant quils peu-vent y exercer une activit lucrative. Indpendamment du march du travail, la politique dasile a galement des rpercussions sur le nombre de sans-papiers. Laug-mentation du nombre de requrants dasile dbouts, observe au cours de ces cinq dernires annes, permet de conclure une hausse du nombre de personnes sans autorisation de sjour.

  • Visage des sans-papiers en Suisse. 7

    rsum

    1.1 mthodologie

    Dans le cadre de la prsente tude, en dehors dune analyse systmatique de la littrature et des documents spcialiss, vingt entretiens semi-structurs ont t mens avec des professionnels et spcialistes. Ensuite, les thmes centraux et les dclarations controverses releves dans ces entretiens ont t soumis un dbat approfondi men dans deux groupes de discussion qui comptaient onze participants en tout. Lors de la slection des partenaires de linterview, le choix sest port sur des personnes avec une vision globale de cette thmatique, en contact direct avec des sans-papiers dans leur travail et qui reprsentent en outre diffrents cantons et rgions suisses.

    Pour donner un visage aux sans-papiers et illustrer leurs parcours de migration ainsi que leurs situations de vie en Suisse, sept personnes qui ont t sans-papiers ou le sont toujours, ont t interviewes.

    Le prsent rapport associe les connaissances issues dtudes, de documents officiels et de la littrature dite grise (rflexions non publies, mmoires de matrise, ouvrages politiquement engags, etc.) ainsi que les valuations des professionnels et des sans-papiers interrogs, afin dobtenir un aperu le plus complet possible des tendances et dveloppements.

    1.2 evolution gnrale politique et juridique

    Diffrents dveloppements politiques dordre g- nral doivent tre pris en considration pour comprendre les tendances en matire de droit des trangers en Suisse. La politique de migration suisse centre dune part sur la libre circulation des personnes issues de lUE et dautre part sur la migration dlites issues dEtats tiers, a t conso- lide au cours de ces dernires annes dans le systme dadmission dit dual et suit ainsi dans une large mesure la tendance europenne gnrale. Ladmission des travailleurs migrants venant de pays tiers est ainsi limite aux personnes hautement qualifies et au regroupement familial.

    Avec laccord de libre circulation conclu entre la Suisse et les Etats de lUE/AELE, il ny a pratiquement plus de citoyens de lUE/AELE qui sjournent en Suisse sans autorisation de sjour valable. Cependant, au cours des dernires annes, diffrentes mesures politiques ont t prises dans le but de contrler limmigration en provenance de pays tiers et de freiner la migration irrgulire. Laccord dassociation lespace Schengen et les ajustements lgislatifs correspondants mis en place ont notamment engendr un durcissement de la politique doctroi des visas, rendant plus difficile ladmission de ressortissants de la plupart des pays non europens. Ladhsion de la Suisse

    lespace Schengen a galement provoqu un dplacement des contrles douaniers aux frontires vers lintrieur du territoire, ainsi que vers les frontires extrieures de lUE. Alors quil est devenu plus facile de circuler au sein de lUE, les contrles de personnes lintrieur des territoires, dans les zones proches des frontires, ont augment. La loi fdrale contre le travail au noir conduit galement un accroissement des contrles lintrieur du pays. De plus, au cours des dernires annes, on a observ une intensification gnrale des changes de donnes et dinformations entre les diffrentes autorits.

    Cette pratique est ancre dans les nouvelles lois sur les trangers et sur le travail au noir. La suppression de laide sociale pour les requrants frapps par une dcision de non-entre en matire (2004) et pour ceux qui ont t dbouts (2008) a marqu un virage lourd de consquences en matire de politique dasile puisque depuis, ils ne peuvent demander que laide durgence. Bien que les personnes concernes soient enregistres auprs des autorits, elles sont considres comme sans-papiers et risquent donc tout moment dtre renvoyes ou expulses. Les experts font remarquer que le durcissement progressif de la politique dasile a conduit de plus en plus de requrants choisir directement lillgalit sans jamais dposer de demande dasile.

    A lchelle fdrale, politique et lgislation abordent la question de lillgalit au regard de la loi sur les trangers surtout sous laspect rglementaire de la lutte contre la migration illgale. Une lgalisation du sjour des sans-papiers par le biais dune rgularisation collective na jamais t susceptible de runir une majorit en Suisse. La rglementation concernant les cas de rigueur individuels (autorisation de sjour humanitaire octroye dans des cas individuels dune extrme gravit) qui existe depuis des annes, a fait lobjet de dbats politiques controverss au cours de la dernire dcennie, mais on ne constate pas de changement notable, ni dans la loi ni dans la jurisprudence; au contraire, la tendance dans la pratique dcisionnelle est devenue plus restrictive. Les rglements au cas par cas offrent peu de scurit juridique aux sans-papiers, puisque les critres dvaluation sujets interprtation sont difficiles apprhender et quil existe en outre des diffrences notables entre les cantons. Ainsi, rares sont les cas dans lesquels ils apportent une solution aux sans-papiers qui se trouvent dans une impasse et qui sjournent en Suisse depuis longtemps.

    1.3 profil des sans-papiers et champs de tensions dans leur quotidien

    Le profil des sans-papiers, et de manire plus gnrale leurs situations de vie, dpendent dun grand nombre de facteurs dterminants. On peut partir du principe que les

  • Visage des sans-papiers en Suisse.8

    rsum

    sans-papiers tout comme les autres migrants sont plutt jeunes (entre 20 et 40 ans) et que ces dernires annes, le nombre de femmes sest accru afin de combler certaines niches sur le march du travail, en particulier dans le secteur des travaux domestiques et des soins la personne (care). Mme si la dure du sjour peut varier entre quelques mois et plusieurs dizaines dannes, il est probable que de plus en plus de sans-papiers sjournent longtemps, ce qui est mis en vidence par la prsence denfants ns en Suisse de parents sans-papiers, ainsi que par des rapports faisant tat de personnes vivant en Suisse sans autorisation de sjour depuis plus de 20 ans.

    La migration irrgulire constitue un champ de tensions dans lequel les intrts de la politique de migration de lEtat sont confronts aux intrts et aux besoins individuels des migrants. Dans la pratique, il sagit de grer le paradoxe de la migration irrgulire tolre jusqu un certain point. Certes, les sans-papiers enfreignent la loi en sjournant dans le pays sans autorisation de sjour, et en y travaillant. Mais dans le mme temps, ils ont des droits qui leur reviennent quel que soit leur statut au regard du droit des trangers. Bien souvent, ils ne peuvent cependant pas les faire valoir. Diffrents domaines de vie sont marqus par les conflits entre le droit des trangers et les droits (sociaux) fondamentaux. Les autorits se fondent sur les bases lgales pour le traitement de la situation des personnes en sjour irrgulier; mais elles disposent gnralement dune certaine marge dapprciation dont elles se servent de manire plus ou moins restrictive selon le canton ou lautorit. Les diffrences marques des autorits dans leur gestion de la question des sans-papiers sont bien connues; en revanche lon ne dispose pas denqutes systmatiques sur le sujet.

    Cependant, en dehors de la sphre politique, les acteurs de la socit civile jouent galement un rle important. En effet, au cours des dix dernires annes, la perception des sans-papiers dans le public sest accrue. Cest en particulier grce la mobilisation des sans-papiers et des cercles engags dans leur dfense, qu partir de 2001 des structures se sont formes dans la socit civile, dans le but de se saisir de la problmati- que des sans-papiers et dapporter diverses prestations de soutien. On a ainsi vu la cration de services de consultation, de centres daccueil, de rseaux de mdecins et de solidarit ou de collectifs de sans-papiers, et certains syndicats ont endoss la cause de ce groupe de popula- tion. Ces cercles de soutien ont largement contribu ce que lhumanisation du quotidien des sans-papiers fasse lobjet dun dbat public grce leurs efforts de sensibilisation et la ngociation de solutions pragmatiques avec les autorits et administrations pour les questions ayant trait la vie quotidienne.

    Certains des principaux dveloppements et des problmatiques actuelles du quotidien des sans-papiers sont mis en lumire par le biais de trois groupes de personnes. Il sagit en premier lieu de lactivit lucrative. En effet, la majeure partie des sans-papiers adultes est tributaire dun poste de travail pour pouvoir se nourrir en Suisse. Cest justement cette activit lucrative gnralement exerce au noir qui gnre des problmes dordre lgal, car les personnes concernes se rendent coupables dun nouveau dlit en plus de leur statut illgal au regard du droit des trangers. Deuximement, il convient daccorder une attention particulire aux enfants et aux jeunes qui bnficient aujourdhui de la garantie de la scolarit obligatoire, notamment parce quils sont vulnrables et ne sont pas responsables de leur situation de sans-papiers. Troisimement, les demandeurs dasile dbouts et ceux qui sont frapps de dcision dirrecevabilit vivent souvent dans des conditions plus difficiles en Suisse que les sans-papiers avec une activit lucrative.

    les sans-papiers avec une activit lucrative

    La majorit des sans-papiers a migr en Suisse, de manire lgale ou illgale, parce quelle tait la recherche de travail et de meilleures conditions de vie et exerce donc une activit lucrative. Ces personnes travaillent surtout dans des secteurs qui ne sont pas couverts par des Suisses ou des citoyens de lUE. Il sagit en particulier de branches comme lhtellerie et la restauration, le btiment et lagriculture. Certains lments indiquent que les travaux de tches mnagres et de soins gagnent en importance du fait de changements dmographiques et conomiques. Tandis que de nombreux sans-papiers travaillent au noir, certains effectuent un travail dit au gris. Ils ne poss- dent certes pas dautorisation de sjour, cependant les contributions pour les assurances sociales et limpt la source sont dduits de leur salaire.

    Pour lheure, il est encore difficile dvaluer les consquences de la loi fdrale en matire de lutte contre le travail au noir (2008). Peu aprs son entre en vigueur, les employeurs craignirent des sanctions juridiques, ce qui a entran dans certains cas des licenciements de sans-papiers. Si cette loi vise avant tout le travail au noir (c.--d. lembauche de personnes sans contributions dassurances sociales ni paiement dimpt) et par consquent les employeurs, les sanctions prises jusqu prsent ont surtout touch le droit des trangers et par l, les sans-papiers qui travaillent. Compte tenu de la facilitation de lchange de donnes entre les assurances sociales et les autorits de migration, mais aussi des craintes des sans-papiers ainsi que de leurs employeurs, il semble que le travail au gris a tendance cder du terrain au profit du travail au noir.

  • Visage des sans-papiers en Suisse. 9

    rsum

    enfants et jeunes

    En rgle gnrale, les sans-papiers adultes entrent en Suisse sans famille. Tandis que certains dentre eux font venir leurs enfants plus tard, dautres envoient de largent dans leur pays dorigine o leurs enfants restent avec des membres de la famille. Cependant, de nombreux enfants sans-papiers naissent en Suisse, y grandissent, sont bien intgrs grce aux structures scolaires et parlent la langue locale. Mais la perspective dobtenir une autorisation de sjour au vu dun cas de rigueur personnel est trs faible, mme pour ces enfants. Entre-temps on observe nanmoins dans la pratique des autorits et la jurisprudence que lon tient compte davantage du bien-tre des enfants.

    Au cours de ces dernires annes, laccs la scolarit obligatoire sest nettement amlior et est gnralement garanti dans toute la Suisse quelques exceptions prs, notamment pour les enfants dans des structures durgence. En revanche, la formation post- obligatoire est toujours lie de grandes difficults; laccs des stages et apprentissages en particulier restant ferm aux jeunes sans-papiers. Dans ce contexte, les spcialistes de terrain, mais aussi des politiciens lchelon cantonal et fdral ont reconnu quil convenait dagir. Cest pourquoi plusieurs possibilits en vue de trouver des solutions sont actuellement ltude et diffrentes approches se dessinent.

    Requrants dasile dbouts et aide durgence

    Les requrants dasile dbouts par une dcision dfinitive et les personnes faisant lobjet dune dcision dirrecevabilit (non-entre en matire) qui restent en Suisse sans autorisation de sjour vivent gnralement dans des conditions plus prcaires que les sans-papiers avec une activit lucrative. Cependant, la chance de recevoir une autorisation en raison dun cas de rigueur personnel (selon la loi sur lasile) est plus grande pour ceux-ci que pour les autres sans-papiers. Diffrentes mesures politiques, avec un but dissuasif, se traduiront par un renvoi rapide des requrants dasile dbouts et il semble que dans certains cantons, lapplication de cette mesure se fasse de manire rigoureuse. En outre, les sans-papiers nont quun accs limit aux soins de sant et la formation scolaire.

    La suppression de laide sociale a encore aggrav la situation de ces personnes au cours des dernires annes. Laide durgence permet certes de survivre, mais la pression exerce en vue du dpart peut engendrer des perturbations psychiques et physiques, notamment pour ceux qui, pour diverses raisons, ne veulent pas ou ne peuvent pas partir. Le cas de personnes recevant laide

    durgence pendant des annes montre quil convient dagir pour rsoudre la situation inextricable de ces requrants dbouts.

    1.4 perspectives

    Les dveloppements observs ces dernires annes montrent clairement que la Suisse ne peut pas plus que dautres Etats dmocratiques empcher lillgalit en matire de droit des trangers. La question des sans-papiers devrait encore perdurer et gagnera probablement en acuit dans le dbat de politique socitale.

    Il apparat, lorsquon traite le sujet en profondeur, que la gestion complexe de biens juridiques en conflit relevant de diffrents champs politiques, ne peut plus tre laisse long terme la seule apprciation des acteurs comptents, mais doit faire place un dbat dmocratique ainsi qu des solutions ngocies collectivement. Enfin, la question est toujours de savoir dans quelle mesure la restriction des droits sociaux au nom de la rgulation de limmigration est quitable et relve de lintrt public, et sil faut accepter les inconvnients qui en dcoulent. Diffrentes rflexions permettent de penser quil y a des possibilits daction alternatives, sans se limiter uniquement aux objectifs du droit des trangers ni dfendre une position de laisser-faire en matire dadmissions position radicale affichant la critique face lordre public.

    Cependant, si lon veut changer doptique, il faut dabord renoncer lobjectif irraliste de vouloir appliquer rigoureusement les dispositions du droit des trangers et admettre que la prsence de sans-papiers a une cause structurelle et constitue un problme rcurrent. Il est dautant plus important de relier le dbat la ralit de la migration que le foss qui se creuse entre la politique de migration idale et la ralit qui renforce la polarisation des positions politiques. Or, si lon souhaite pratiquer une politique socialement acceptable, approprie, ralliant ladhsion de larges pans de la socit, cela nest pas salutaire.

    Ainsi que le montrent divers exemples, il y a dans diffrents cantons et sphres politiques des approches viables pour grer la situation des sans-papiers de manire constructive. Celles-ci pourront inspirer la discussion sur les rponses possibles apporter aux problmes du sjour illgal. En menant un dbat ouvert et en avanant des possibilits ralistes pour endiguer efficacement la migration irrgulire sans nier la ralit des violations des droits de la personne et des difficults sociales lon pourra faire valoir les avantages consis- tant conjuguer diffrentes solutions de manire pragmatique. Il faut esprer en outre quun dbat

  • Visage des sans-papiers en Suisse.10

    rsum

    constructif permettra douvrir des perspectives danalyse et daction qui iront au-del des frontires suisses et quon assistera un rapprochement entre les diffrentes politiques trangres et les programmes de coopration au dveloppement.

  • Visage des sans-papiers en Suisse. 11

    introduction

    De nombreuses personnes vivent et travaillent en Suisse sans autorisation de sjour. Une large part des milieux politiques et du public saccordent reconnatre lexistence de ceux que lon appelle des sans-papiers alors que le sjour illgal ne devrait thoriquement pas exister. Seules quelques rares voix slvent pour qualifier dlucubrations lexistence de ce groupe de la socit. Cest l que les choses se compliquent. Car les conceptions morales, les convictions les plus diverses et, parfois aussi, des craintes et des espoirs diffus sont projets sur les sans-papiers. Sur le plan politique, la question du sjour ill- gal est hautement sensible. Selon lun des profession- nels interviews ce sujet, les politiciens peuvent difficilement viter de sy brler les doigts. Ainsi, les dbats de fond dbouchent souvent sur des conflits idologiques qui entravent la recherche de solutions constructives au lieu de la faciliter.

    Mais en pratique, cela fait des annes que la ralit de la prsence des sans-papiers fait lobjet dune rflexion plus ou moins pragmatique. Les enfants issus de ces familles sont scolariss, les adultes exercent une activit lucrative; on reoit de laide durgence, des organismes privs conseillent et aident revendiquer des droits. Les uvres dentraide, les organisations de migrants, les associations et les rseaux de solidarit offrent leur soutien ce groupe de population et assurent la mdiation en cas de problmes. Quant aux autorits locales et aux organisations prives, tantt elles cooprent, tantt elles saffrontent. Il arrive parfois que le processus de coopration tombe en panne, que des conflits naissent et que des blocages apparaissent; puis on trouve nouveau des accords, des solutions communes. En bref, toutes les personnes concernes essaient de grer cette situation paradoxale leur manire et de faon constructive.

    questionnements et objectifs de cette tude

    Il nest pratiquement pas possible de fournir un aperu global des nombreux aspects du sjour illgal et des manires de le traiter. Il sagit donc dexposer les dveloppements plus long terme et les problma- tiques spcifiques, pour autant quelles puissent tre documentes ou considres dans la pratique par les experts interrogs.

    2 Introduction

    Deux questions centrales se posent dans la prsente tude: qui sont vraiment les sans-papiers et quels sont les principaux problmes auxquels ils sont confronts au quotidien? A ce propos, lintrt sera port en particulier aux dveloppements intervenus au cours des dix dernires annes. Il sera question de chercher plus prcisment dterminer sil y a eu des changements en matire dimmigration irrgulire et dans la situation des sans-papiers en Suisse et en valuer la porte. A cette fin, ltude mettra en lumire les principales volutions sociodmographiques dans le contexte des conditions cadre politiques et juridiques. En outre, il sagira dexaminer comment les diffrents acteurs privs et publics se positionnent face aux sans-papiers. Enfin, ltude abordera la question de savoir quels sont les problmes prioritaires lheure actuelle et quels sont ceux o il convient imprativement dagir.

    Cet aperu, ncessairement simplifi, sappuie sur un tat des lieux de la littrature spcialise parue au cours des dix dernires annes, ainsi que sur une srie dentretiens avec des professionnels qui tudient la situation des sans-papiers. Les opinions exprimes sont trs diverses et donnent rarement une image uniforme. Cela ne surprend pas vraiment compte tenu du fait que les situations de vie individuelles sont, elles aussi, trs diffrentes, et que les relations avec les sans-papiers varient considrablement en fonction du contexte. Laperu suivant ne peut donc mettre en lumire que certaines facettes de la vie des personnes vivant en Suisse sans autorisation de sjour, ainsi que les thmes qui sont actuellement au centre des proccupations; il ne saurait donc tre exhaustif.

    Situation initiale

    Au cours des vingt dernires annes, le nombre de personnes sans autorisation de sjour a pris des dimen-sions considrables dans le monde entier et constitue un phnomne difficile quantifier en Suisse. Une esti-mation ralise par des experts mandats par lOffice fdral des migrations (ODM) valuait leur nombre 90 000 personnes (Longchamp et al. 2005); une autre extrapolation donnait une fourchette allant de 70 000 180 000 personnes (Piguet et Losa 2002), alors que les groupes dintrt engags dans le domaine de lasile voquent souvent des chiffres plus importants. Ces per-

  • Visage des sans-papiers en Suisse.12

    introduction

    sonnes que lon appelle gnralement des sans-papiers en Suisse sont nombreuses travailler dans des branches qui manquent de main-duvre et qui proposent des conditions de travail ainsi que des salaires peu attractifs. Il sagit traditionnellement de certains secteurs de lhtellerie-restauration, de la construction, de lagriculture ou de lconomie domes-tique. La situation des sans-papiers rsulte de la conjonction de plusieurs dveloppements auxquels on peut attribuer diverses significations selon loptique dans laquelle on les considre. Parmi ceux-ci, on compte lintensification des impratifs de rationalisation et la segmentation des marchs du travail; la rduction des prestations de services publiques, ainsi que laccroisse-ment de la demande daide dans lconomie domes-tique et le secteur des soins (care) li au vieillissement de la population, lexercice dune activit profession-nelle par les deux parents et la pluralisation des formes de familles (Peuckert 2004; Madrin et al. en prparation). La mobilit accrue, la limitation des pos-sibilits lgales dimmigration et la politique dasile restrictive sont galement responsables de laugmenta-tion du nombre de sans-papiers.

    Dans un monde toujours plus interconnect, le phnomne de la migration ne peut tre rellement matris par les rgulations tatiques; cela dautant moins que le travail clandestin a une fonction de flexibilisation dans les conomies mondiales et quil est admis dans le cadre de ce que lon appelle la tolrance rpressive. Toutefois, lillgalit au regard de la lgislation sur les trangers et labsence de droits ont aussi leurs inconvnients, comme la pression sur les salaires, les risques dexploitation ou labsence de protection sociale. Voil quelques-uns des mots cl qui incitent examiner la situation des sans-papiers de plus prs. Depuis les annes 1990, le nombre de personnes dpourvues dautorisation de sjour a tendance augmenter lchelle europenne, malgr de brves fluctuations. Par ailleurs, ce phnomne concerne de plus en plus souvent des familles et des enfants qui, pour certains, vivent dans lillgalit depuis des annes.

    Bien que cette situation existe dans pratiquement tous les Etats europens, les profils des sans-papiers, leurs situations de vie, leurs contextes migratoires et la situation politique dans leurs pays dorigine diffrent considrablement. De plus, cette situation est en constante volution. Par exemple en Suisse, depuis lintroduction de la suppression de laide sociale pour les requrants dasile dbouts 2, de plus en plus de familles et denfants se retrouvent dans cette situation. Les jeunes qui finissent leur scolarit en Suisse, qui se trouvent au seuil de lentre dans la vie professionnelle et ne peuvent

    tre tenus pour responsables de la situation dans laquelle ils se trouvent, placent les politiciens devant des dfis bien plus grands que par exemple les anciens saisonniers la fin des annes 1990.

    2.1 Dfinition des termes employs

    Les termes techniques qui ont trait la migration irrgulire ne sont pas utiliss de manire uniforme dans la littrature ni surtout dans les dbats publics et prtent parfois mme malentendu. Dans le contexte inter-national, la notion de migration irrgulire sest impose pour la problmatique dont il est question linstar de lexpression irregular migration en anglais bien quelle fasse aussi lobjet de critiques (Schrover 2008: 10). Cependant, le caractre illgal de la migration dpend toujours de la perspective adopte, selon que la notion est dfinie par les Etats dorigine ou de destination (Ghosh 1998). Ce sont les restrictions et les interdictions qui rendent la migration irrgulire. De ce point de vue, limmigration irrgulire est une construction politique et juridique (Dvell 2007a). La notion de migration irrgulire est employe ci-aprs dans la perspective des pays dimmigration comme terme gnrique au sens de enfreignant les rgles normatives.

    De mme, lensemble du parcours de migration transnational des migrants est qualifi dirrgulier, alors quil ne comporte pas forcment que des tapes illgales; il peut aussi comporter des tapes lgales. Ainsi, le passage de la frontire peut se faire lgalement et lorsque le sjour dans le pays de destination dpasse la dure maximale autorise, il devient illgal. A linverse, une personne peut entrer sur le territoire de manire illgale (par exemple en franchissant une frontire verte sans visa), puis dposer une demande dasile et enfin obtenir une autorisation de sjour. Dautres encore, entrent illgalement sur le territoire, se marient et obtiennent ainsi le droit de sjourner lgalement avec leur conjoint ou conjointe et famille, mais peuvent perdre leur autorisation de sjour suite un ventuel divorce et rester dans le pays de manire illgale.

    Les diffrentes tapes du processus peuvent donc tre lgales pour certaines, ou illgales pour dautres, selon quelles enfreignent ou non les lois et les normes. Voil pourquoi dans cette tude, le terme dillgal nest utilis que pour certaines de ces tapes. Ainsi, le sjour illgal et la situation des sans-papiers reprsentent un aspect important de la migration irrgulire et sont au cur de la prsente tude.

    Les sans-papiers sont des personnes qui sjournent dans un pays sans documents de sjour valables. La plupart des sans-papiers ont des papiers didentit ou

  • Visage des sans-papiers en Suisse. 13

    introduction

    un passeport, mais leur statut est illgal au regard du droit des trangers. La notion de sans-papiers est apparue dans les annes 1970, dans le cadre des premiers mouvements sociaux de sans-papiers en France et sest impose aujourdhui dans de nombreux pays. Les notions de personnes sans autorisation de sjour, sjournant de manire irrgulire ou sans statut de sjour lgal comme synonymes du terme de sans-papiers seront galement utilises. Selon cette logique, les personnes frappes dune dcision dasile ngative entre en force, mais qui continuent sjourner en Suisse, sont galement des sans-papiers. Sauf mention contraire, les requrants dasile frapps par une dcision de non-entre en matire (NEM), seront considrs comme faisant partie des requrants dasile dbouts.

    2.2 approches mthodologiques et dfis

    La prsente tude a t ralise entre avril et juillet 2010 en quatre phases de recherches qui ont t menes de manire conscutive ou se sont chevauches.

    aperu bibliographique

    Au cours dune premire tape, ouvrages, articles et tudes utiles la thmatique ont t compils et les documents les plus divers ont t analyss, afin de rendre globalement compte de ltat de la recherche des dix dernires annes. La littrature suisse a t consulte de manire systmatique, ce qui na pas t possible pour la littrature internationale (environ 600 documents partir de 2000). Parmi les contributions suisses se trouvaient aussi des publications issues de la littrature dite grise (rflexions non publies, mmoires de matrise, ouvrages politiquement engags, etc.), ainsi que des films qui fournissaient des informations intressantes ce sujet. De plus, il y eut la visite de lexposition Aucun enfant nest illgal et la participation diffrentes manifestations.

    Interviews avec des experts

    Au cours dune deuxime tape, au total 20 inter-views avec des professionnels ont t menes, soit person-nellement (17), soit par tlphone (3). Il sagissait dentre-tiens semi-dirigs, qui suivaient une trame prtablie adapte chaque professionnel. A une exception prs, toutes les interviews ont t enregistres, retranscrites intgralement ou en rsum, et leur contenu exploit. De plus, cinq brefs entretiens ont t tenus avec des profes-sionnels et des chercheurs disposant de connaissances sp-cifiques, afin dapprofondir certaines questions.

    Lors de la slection des partenaires des interviews, ceux-ci taient en contact direct avec des sans-papiers, connaissaient leur situation de vie concrte et leurs problmes et avaient ainsi la vision la plus large possible de la situation. Cest pour cette raison que neuf des vingt interviews ont t menes avec des personnes uvrant dans des services de consultation et duvres dentraide et une avec un reprsentant syndical. En outre, quatre scientifiques spcialistes de cette thmatique, un fonctionnaire et deux avocats, ont t interrogs et ont pu donner des rponses sur les aspects lgaux complexes. La perspective des reprsentants des administrations (tat civil, service des migrations, etc.), qui ne sont pas au contact direct du groupe de personnes tudi, na pas pu tre prise en compte dans la prsente tude, quelques exceptions prs.

    Les interviews avec les experts ont permis dune part de dterminer les caractristiques sociodmographiques des sans-papiers et didentifier les problmatiques actuelles et dautre part, dapprhender les volutions et les tendances des dix dernires annes. Les diffrences en termes de conditions cadre gographiques et socitales, ainsi quen matire de pratiques cantonales de la gestion des personnes sans autorisation de sjour, ont pu tre mises en vidence grce aux interviews menes avec des pro- fessionnels issus de cinq des sept grandes rgions suisses.

    grande rgion Rgion lmanique

    Espace Mittelland

    Suisse du Nord-Ouest

    Zurich Suisse orientale

    Suisse centrale

    Tessin Total

    Interviews avec des experts (professionnels)

    8 5 3 1 2 1 20

    Focus groups 4 2 2 1 1 1 11

    Interviews avec des sans-papiers

    4 2 1 7

    tableau 1: Interviews et focus groups

  • Visage des sans-papiers en Suisse.14

    introduction

    Focus groups et interviews avec des sans-papiers

    Au cours dune troisime tape, deux focus groups ainsi que des interviews ont t organiss Berne et Lausanne avec sept personnes sans papiers, ou qui lont t, jusqu la rcente lgalisation de leur sjour.

    Lobjectif des focus groups tait didentifier les champs de tension, de remettre en question les dclarations contradictoires releves dans les interviews, ainsi que de dterminer les diffrences rgionales en confrontation directe avec les participants. Sept personnes issues de cinq grandes rgions de Suisse almanique ont pris part ces entretiens Berne, et quatre personnes qui travaillent dans les cantons de Vaud et de Genve y ont particip Lausanne. Les deux discussions ont t enregistres et retranscrites, ce qui a permis danalyser leur contenu. Au cours de cette tude, au total 15 expertes et 14 experts ont t consults.

    Afin de ne pas laisser la parole qu des professionnels, des entretiens ont t tenus avec sept sans-papiers quatre femmes et trois hommes sur leur parcours de migration et leur vie en Suisse. L aussi, il sagissait dinterviewer des personnes issues de diffrentes rgions de Suisse, car quatre dentre elles vivent en Suisse occidentale, les trois autres viennent de Suisse centrale et de Suisse orientale. Le sjour de quatre des personnes interroges a t rgularis entre-temps, tandis que les trois autres sjournent toujours en Suisse sans autorisation. Ces entretiens ont t soit enregistrs, soit consigns dans un procs-verbal. Ces notes ont galement t utilises pour raliser de brefs portraits des interviews qui maillent les diffrents chapitres de la prsente tude et permettent dillustrer le propos. Lobjectif est de donner un visage aux milliers de sans-papiers ou danciens sans-papiers.

    Paralllement, tait disponible une srie dautres interviews issue de deux autres tudes qui sintressaient la suppression de laide sociale pour les requrants dasile frapps par une dcision de NEM, ainsi qu laccs aux soins des sans-papiers.

    Au cours de la quatrime et dernire tape, lensemble des rsultats de lanalyse de la littrature et de la documentation spcialises, des interviews avec les professionnels et les sans-papiers, ainsi que des entretiens des groupes de rflexion dans le prsent rapport, ont t rsums et exploits.

    Dfis et rserves

    Lintrt et lengagement de la part des pro- fessionnels lors de la recherche des personnes

    interviewer et des participants aux focus groups taient grands. Cependant, la difficult consistait tablir une image cohrente de la situation actuelle partir dun grand nombre dentretiens et dinformations et den dgager les tendances majeures. En raison des diffrences rgionales en matire de gestion de la question des sans-papiers, de la diversit des contextes et des domaines dactivit des participants, des dclarations et des valuations parfois contradictoires ont t recueillies, mais nont pas pu tre systmatiquement vrifies. Par manque de temps, dautres acteurs qui ne sont pas quotidiennement et rgulirement au contact des sans-papiers nont pas pu tre associs cette tude pour complter les diffrentes dclarations. Cependant, la fin de chaque chapitre on trouve une liste des tudes et documents susceptibles de combler cette lacune. Les positions des autorits sont documentes dans les rapports officiels et les bases lgales.

    La disponibilit des ouvrages spcialiss et ltat gnral des connaissances ayant trait aux sans-papiers varient selon les rgions. Lattention sest porte sur des rgions o certaines expriences ont dj t docu- mentes, ou taient accessibles, comme par exemple dans les cantons de Genve et de Vaud ou dans des grandes villes telles que Ble et Zurich. Des recherches cibles dans les rgions rurales auraient certainement t intressantes, mais ntaient pas possibles dans le cadre de la dure relativement courte de ltude.

    Lvaluation du nombre de sans-papiers en Suisse a galement pos problme. Etant donn quune grande partie des personnes interroges na pas souhait, ou pas pu, fournir de prcisions ce sujet, une simple esti- mation de lvolution dans le temps a t demande (voir chapitre 4.3).

    2.3 Structure de ltude

    La prsente tude est divise en sept chapitres. Le chapitre consacr aux tenants et aux aboutissants de la migration irrgulire dans une perspective thorique et historique permettra dintroduire la thmatique et de situer la Suisse dans le contexte international ( cha-pitre 3). Ensuite, seront exposs ltat des connaissances relatives aux sans-papiers en Suisse, leur profil sociod-mographique, leurs parcours de migration et les causes de lillgalit de leur sjour ( chapitre 4). La description du cadre gnral de la politique de migration vise contextualiser les volutions politiques spcifiques et lattitude des politiciens vis--vis de la question des sans-papiers ( chapitre 5). Le chapitre suivant ( 6) prsente les rponses politiques face la visibilit grandissante des sans-papiers dans la socit. Diffrents domaines de la gestion de la prsence des sans-papiers par les autorits

  • Visage des sans-papiers en Suisse. 15

    introduction

    sont galement mis en lumire, la question des cas de rigueur occupant une place particulirement importante. A ce propos, le rle jou par les cercles de soutien, ainsi que par la socit civile est aussi examin de plus prs, et les tendances en matire de perception de lopinion publique sont mises en vidence. Un autre chapitre est consacr aux champs de tensions dans trois domaines de la vie des sans-papiers pour lesquels un besoin daction particulier a t identifi. Il sagit en premier lieu de lexercice dune activit lucrative et des conditions de travail, deuximement de la situation des enfants et des jeunes en accordant une attention particulire au sec-teur de la formation et enfin, de la question des soins de sant. Ensuite, sont abords les champs de tensions plus gnraux relatifs au logement, laide durgence, la mobilit et la protection sociale ( chapitre 7). Le dernier chapitre rcapitule et commente les principales tendances et les problmes majeurs ( chapitre 8).

    Remerciements

    Le prsent rapport se base dans une large mesure sur des donnes et des informations qui nous ont t fournies au cours dentretiens personnels et tlphoni- ques avec nos contacts, qui nous souhaitons adresser nos remerciements. Nous souhaitons particulirement exprimer notre reconnaissance aux sans-papiers qui ont fait preuve de confiance notre gard et nous ont per- mis de dcrire leur vie et leur situation de sjour. Dans la mesure o nous souhaitons garantir leur anonymat, nous ne pouvons malheureusement pas les remercier nommment.

    Nous remercions aussi particulirement les professionnels ainsi que les chercheuses et chercheurs qui se sont montrs prts partager leurs connaissances et lexprience de leur quotidien professionnel. Dans lordre alphabtique, nous adressons nos remerciements : Christin Achermann, Christoph Blanchet, Donato Di Blasi, Myriam Carbajal, Laeticia Carreras, Eva Danzl, Gustave Desarnaulds, Rebekka Ehret, Rosita Fibbi, Regula Fiechter, Eliana Induni, Thierry Horner, Bashkim Iseni, Marianne Kilchenmann, Anni Lanz, Dario Lopreno, Peter Niderst, Pierre Alain Niklaus, Andreas Nufer, Roswitha Petry, Christine Pittet, Simon Rthlisberger, Sylvain Rudaz, Philippe Sauvin, Jakob Schdelin, Mathias Schaer, Myriam Schwab, Bea Schwager, Claudia Studer, Christoph Tafelmacher et Lisa Weiler.

    Nous remercions trs chaleureusement Roswitha Petry de lUniversit de Genve, qui a relu de manire critique la premire bauche du texte intgral, ainsi que nos collgues du SFM, Gianni DAmato, Didier Ruedin et Nicole Wichmann, qui ont mis des observations importantes concernant certains passages du rapport.

    Nous remercions galement Evelyn Wellding, qui sest attache avec courage harmoniser nos styles dcriture, ainsi que Marie-Claude Mayr qui a fait un excellent travail de traduction. Enfin, nos remerciements sadressent Simone Prodolliet, Elsbeth Steiner et Pascale Steiner de la CFM, pour les nombreuses amliorations apportes et la rvision critique et constructive du manuscrit, comme aussi Sylvana Bchon pour la relecture du texte franais.

  • Visage des sans-papiers en Suisse.16

    migration irrgulire ancrage thorique et historique

    La migration irrgulire ne peut tre interprte que dans le contexte plus large de la mobilit globale et du droit des Etats de contrler les flux de biens et de personnes. Elle est engendre par les lgislations adoptes par les Etats ou les communauts dEtats en vertu de leur souverainet visant dfinir quelles sont les personnes qui ont le droit dentrer (lgalement) sur le territoire et de sy tablir moyen ou plus long terme (Jordan et Dvell 2002). 3

    Sassen (1998) dcrit le processus de migration de la manire suivante: Migrations do not just happen; they are produced. And migrations do not involve just any pos-sible combination of countries; they are patterned. Cela sapplique galement la migration irrgulire. Alors que les causes de la migration sont lies des processus de risques conomiques, politiques, sociaux et cologiques, lamigration irrgulire est schmatiquement une con-squence de la politique de migration, entendue au sens des contrles aux frontires et de la migration (Jordan et Dvell 2002). Ce chapitre vise dune part exposer lancrage thorique de cette thmatique et, dautre part, linscrire dans un contexte international.

    3.1 comment expliquer la migration irrgulire?

    Depuis lre de lindustrialisation, au 19e sicle, lEtat moderne favorise la transnationalisation des activi-ts conomiques. Depuis, les dveloppements socio-co-nomiques internationaux dans le domaine du commerce et des investissements ont men une ouverture de plus en plus large des Etats libraux. Cependant, ce rgime des changes internationaux comporte une exception; en effet, la mobilit internationale des personnes est trs largement exclue de ce dveloppement et est toujours soumise aux intrts de la politique intrieure (Freeman 1995; Guiraudon et Joppke 2001). Cette dichotomie entre la logique conomique du libralisme, qui prne louverture, et la logique politique et juridique des Etats, qui souhaitent prserver leur souverainet, est qualifie de paradoxe libral par la recherche sur les migrations (Hollifield 1992). Lconomie globalise cre des marchs du travail de plus en plus flexibles, qui se heurtent une

    lgislation sur la migration ne pouvant ragir de manire aussi flexible la demande de main-duvre trangre en raison de considrations de politique intrieure. Mais les besoins conomiques de main-duvre trangre ne sont pas entirement conciliables avec la politique dad-mission des Etats nationaux (occidentaux) (Castles 2004; Cornelius 2005).

    La logique de dveloppement conomique global a ainsi conduit une sorte de libralisme deux vitesses, qui plbiscite certes la mobilit des biens, des capitaux et des services lchelle mondiale, mais pas la mobilit des personnes. Ce raisonnement se manifeste surtout dans la question de la migration au-del des frontires. A lchelle internationale, on reconnat le droit lmigration et la protection contre la dportation; mais il nexiste pas actuellement de droit limmigration et ltablisse-ment. 4 Cela sexprime aussi entre autres par la dfinition de la politique internationale en matire dasile. Les rfu-gis peuvent faire valoir leur droit, reconnu lchelle internationale, de quitter leur pays pour demander la protection dun autre Etat. Cet Etat, en revanche, est seu-lement tenu de vrifier les raisons de la demande dasile des requrants, qui se trouvent encore sur leur territoire (Jordan et Dvell 2002: 236).

    La migration irrgulire nat de la conjonction de facteurs conomiques, politiques et migratoires. Lcono-mie a besoin de main-duvre et les migrants souhaitent amliorer leurs conditions de vie; mais les pouvoirs poli-tiques essaient dempcher limmigration incontrle quand ils le peuvent. Lorsque la demande de main-duvre manant de lconomie ne peut pas tre satis-faite par une offre de personnel recrut lgalement en loccurrence, lorsquelle est limite pour des raisons poli-tiques on assiste lmergence dun march pour la migration irrgulire dun point de vue systmique (Dvell 2007a).

    Du point de vue des migrants, le manque de pers-pectives ainsi que lingalit croissante en termes de revenus et de conditions de vie les incitent chercher ailleurs de meilleures chances de vivre libres et en scu-rit. La migration peut donc tre interprte comme une

    3 Migration irrgulire ancrage thorique et historique

  • Visage des sans-papiers en Suisse. 17

    migration irrgulire ancrage thorique et historique

    stratgie de participation des personnes dfavorises au systme de justice distributive (Bommes 1999). Dans ce cas, les rglementations nationales relatives limmigra-tion sont contournes, parce que pour les migrants qui ne sont pas recruts pour travailler, il ny a pas de possi-bilit lgale dmigrer. Les seules alternatives qui restent sont la demande dasile ou la migration illgale (Bommes 2006; Scott 1985 dans: Jordan et Dvell 2002: 4).

    Dans le cadre de la comptition conomique mondiale, les pays industrialiss avancs attirent la main-duvre hautement qualifie des pays en dveloppement, ce qui provoque un brain drain dans ces pays, tout en renforant la polarisation entre conomies fortes et conomies faibles et en favorisant lingalit lchelle mondiale (Jordan et Dvell 2002). La crise de migration laquelle la littrature mais aussi lopinion publique font souvent rfrence, peut tre vue comme une crise Nord-Sud. De ce point de vue, pour endiguer efficacement la migration (irrgulire), la seule solution serait damliorer les rapports Nord-Sud et de rduire les ingalits mondiales (Castles 2004: 211).

    La porte dautres facteurs, qui jouent galement un rle dans la gense de la migration, est souvent sous-estime. Ainsi, la migration peut aussi tre considre comme un processus social apte dvelop- per une dynamique propre, trs difficile freiner. La migration transnationale fonctionne notamment grce des rseaux sociaux, entre autres, par le biais de relations familiales. Celles-ci offrent leur aide pour atteindre le pays de destination et sy tablir. Lorsque ces relations nexistent pas, cest lindustrie de migration qui entre en jeu (Hernandez-Leon 2005; Wagner 2010). Il sagit l dune activit lucrative avec des racines internationales qui implique diffrents acteurs, y compris des passeurs, qui mettent en place une sorte de branche parallle du tourisme et fournissent entre autres des visas contrefaits.

    Les mesures de protection prises par les diffrents Etats peuvent galement se traduire par des effets secon-daires indsirables, qui sapent les efforts visant contr-ler ou interdire limmigration (Castles 2004; Cornelius et al. 1995). Le jeu du chat et de la souris auquel se livrent les Etats avec les migrant irrguliers conduit renforcer les contrles dentre, auxquels les migrants rpondent par des contre-stratgies toujours plus inventives, ce qui accrot constamment leur dpendance envers les organi-sations et rseaux criminels, tels que ceux des trafiquants de migrants (Broeders et Engbersen 2007).

    La gestion ou le contrle des flux migratoires figure en tte de lagenda politique de nombreux pays occidentaux. Ce thme revient au centre de lactualit

    chaque apparition dune crise, qui pour diverses raisons ne peut pas tre immdiatement rsolue, que ce soit par manque de volont politique ou parce que les valuations qui en sont faites dans le pays daccueil divergent (DAmato et al. 2005: 30). Les Etats visent matriser la migration pour dmontrer et imposer leur capacit de contrle.

    Cependant, selon certaines interprtations, de nombreux Etats ne souhaiteraient pas appliquer des contrles rigoureux parce quils esprent notamment que la migration irrgulire jouera le rle damortisseur conjoncturel (Amarelle 2010; Joppke 1998). En raison de leur statut illgal, les migrants concerns sont susceptibles dtre soumis des pressions et sefforcent donc de rester invisibles. Ils appartiennent ainsi au groupe le plus vulnrable du march du travail, qui en cas de rcession conjoncturelle peuvent tre licencis immdiatement et sans consquences. Leur absence de droits et le fait quils soient susceptibles dtre renvoys du territoire (De Genova 2002) font des sans-papiers une main-duvre fonctionnelle au sein dune conomie du travail segmente pour ainsi dire, une nouvelle arme de rserve. Par analogie aux anciens saisonniers de la politique de rotation des annes 1950-1990, Amarelle parle de nouveaux amortisseurs conjoncturels (Amarelle 2010: 132).

    Cette approche tend expliquer, du moins partiellement, pourquoi le problme de la migration irrgulire et de ses consquences pour les migrants nest finalement pas trait de manire prioritaire, contrairement ce que laisserait penser une observation sommaire du discours politique. En effet, selon cette interprtation, lordre public nest pas menac, puisque les migrants irrguliers qui demeurent invisibles ne reprsentent pas un danger pour la scurit. Cependant, dans les systmes dmocratiques, le pouvoir politique doit faire face la lgitimation par une opinion publique parfois sceptique; pour cette raison, il doit prouver sa capacit de contrle, surtout lorsquil est mis au dfi par des groupes dintrts organiss. (Freeman 1995).

    3.2 Dveloppement historique de la migration irrgulire dans le contexte international En Europe, la migration irrgulire est un ph-

    nomne qui date du 20 e sicle. Elle est troitement lie lintroduction de dispositions sur la circulation des personnes et de contrles aux frontires. Jusqu la Premire Guerre mondiale, les restrictions la migration taient quasiment inexistantes. La libert de circulation prvalait largement dans lEurope librale du 19e sicle.

  • Visage des sans-papiers en Suisse.18

    migration irrgulire ancrage thorique et historique

    La Premire Guerre mondiale marqua la fin de la libert du commerce mondial et de la circulation, ainsi que lentre dans lre des contrles et de la protection. Cest ladministration coloniale britannique qui utilisa pour la premire fois le terme de migration illgale dans les annes 1930 pour dsigner limmigration juive non dsire vers la Palestine (Dvell 2007a).

    Suite la crise ptrolire de 1973/1974, la ques-tion des trangers revint sur lagenda politique et de nombreux Etats occidentaux mirent fin leurs programmes de recrutement (Castles 2004: 205). De nombreux travailleurs trangers (Gastarbeiter), qui avaient t recruts depuis la fin de la Deuxime Guerre mondiale pour la reconstruction de lEurope de lOuest, ainsi que pour renforcer lconomie durant la priode de boom conomique qui suivit, staient tablis dans les pays htes avec lintention dy rester. Du fait des res-trictions limmigration, les personnes dsireuses dmi-grer cherchrent ds lors rejoindre leurs familles dans les pays daccueil afin dy trouver de meilleures condi-tions de vie, mais de manire illgale.

    La mobilit globale qui sest rapidement dveloppe a galement contribu une hausse de la migration irrgulire lchelle mondiale. La Suisse a souhait contrecarrer ce phnomne par le biais de mesures dendiguement spcifiques. Ainsi, en raction au nombre croissant de demandeurs dasile des annes 1980 et la conviction largement rpandue selon laquelle ceux-ci immigraient sous couvert de fausses raisons, la voie de lasile a t restreinte. Mais le durcissement croissant de la politique dasile a lui-mme provoqu une hausse de la migration irrgulire (DAmato et al. 2005).

    LAccord de Schengen de 1985 visait favoriser la mobilit intra-europenne et soutenir de cette manire lmergence de marchs du travail flexibles. Ainsi, vers lextrieur, lUnion Europenne renforait dune part le contrle de limmigration, en faisant un pilier de la politique intrieure commune. Dautre part, llar- gissement vers lEst ouvrait des canaux de migration lgaux aux nouveaux ressortissants de lUE, mettant fin la migration irrgulire en provenance des pays de lUE (Vogel et Cyrus 2008).

    Lampleur de la migration irrgulire est naturelle-ment difficile valuer. La Global Commission on Inter-national Migration estime 200 millions le nombre de migrants sans statut de sjour rgulier lchelle mon-diale en 2005. Ces migrants se rpartissent sur lensemble du globe et ce phnomne ne concerne pas prioritaire-ment les pays industrialiss occidentaux (GCIM 2005). Aux USA, lOffice of Immigration Statistics a ralis des estimations relatives lenvergure de la migration irr-

    gulire selon lesquelles en 1992, le nombre de sans-papiers aurait atteint 3,3 millions; 8,5 millions en 2000, 10 millions en 2005 et 10,8 millions en 2009. Le nombre de sans-papiers aurait donc augment de 27% entre 2000 et 2009. 5 En revanche, les donnes relatives lEurope sont imprcises, dans la mesure o elles ma-nent de sources trs peu fiables. Dans un communiqu de presse, la Commission europenne voque une four-chette allant de 4 8,8 millions de sans-papiers, toutefois sans citer ses sources.

    Le projet de recherche CLANDESTINO, rcemment achev, qui sappuie sur diffrentes bases de donnes nationales et diverses tudes, prtend pouvoir fournir des estimations plus fiables. Ainsi, selon cette tude, en 2002 entre 3,1 et 5,3 millions de sans-papiers vivaient dans les 15 premiers Etats de lUE et en 2008, ils taient entre 1,8 et 3,3 millions. Ce repli sexplique dabord par ladhsion de nouveaux Etats lUE, entranant la lgalisation automatique des ressortissants des pays de lEst qui sjournaient illgalement auparavant, mais il est aussi partiellement d au succs des programmes nationaux de rgularisation. Les estimations du nombre de sans-papiers dans les 25 pays membres, pour lanne 2008, ne sont que lgrement suprieures (entre 1,9 et 3,8 millions), puisquon suppose que la plupart des sans-papiers vivent dans les 15 premiers pays de lUE. La proportion de sans-papiers en Europe par rapport la population trangre totale se situait entre 7 et 13% en 2008 (Commission europenne 2009).

    3.3 la gestion de la migration irrgulire dans le contexte international

    Dans la recherche, lon sentend largement dire que ce nest pas tant la politique dimmigration qui dtermine ltendue de la migration irrgulire que les mcanismes (mondiaux) des marchs du travail (Castles 2004; Dvell 2006b; Sassen 1998; Tapinos 2000). Cepen-dant, les connaissances acquises par la recherche ind-pendante des pouvoirs politiques sont rarement, ou insuffisamment, prises en compte lors de llaboration des politiques publiques (Carrera et Merlino 2009) et de nombreux chercheurs nourrissent de srieux doutes quant lefficacit des stratgies de lutte contre la migration illgale. Ainsi, les mesures dendiguement de la migration indsirable aux USA, en Australie et dans divers pays europens, ne semblent pas avoir eu le succs escompt. Alors quau cours de ces dernires annes, les investissements dans les mcanismes de dfense et les systmes de contrle ont t renforcs lchelle mon-diale, la migration et en particulier la migration ill-gale ne recule pas (Broeders et Engbersen 2007; Castles 2004: 206; Cholewinski 2000; Dvell 2007a). Jusqu pr-sent, le rapport cot/utilit entre les investissements

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    migration irrgulire ancrage thorique et historique

    raliss et leur efficacit demeure trs obscur. On ne dispose daucune donne empirique relative leffi-cience des mesures dans le contexte europen (Vogel et Cyrus 2008). Une tude consacre aux effets des contrles renforcs aux frontires des USA portant sur la priode comprise entre 1993 et 2004, constate avant tout des consquences ngatives graves: des cots financiers extrmement levs, une dure de sjour plus longue des sans-papiers aux USA, ainsi quun nombre important de morts la frontire. Malgr toutes ces mesures, le nombre de migrants sjournant illgalement aux USA durant la priode considre a t en forte augmenta-tion (Cornelius 2005; Dvell 2007a).

    De manire gnrale, la politique de migration europenne, coordonne de manire toujours plus efficace par les Etats membres au cours des dix dernires annes, fait toujours prvaloir le principe de limitation et de contrle de limmigration venant de pays tiers. Cest en particulier dans le domaine de la politique dattribution des visas et des retours forcs, de lchange dinformations et de la police commune des frontires, que les intrts et les efforts des pays membres de lUE convergent, tandis que pratiquement aucun consensus ne se dgage entre les Etats membres souverains propos des politiques dadmission et dtablissement des trangers. Au cours de cette dcennie, plusieurs mesures juridiques ont t labores par lUE contre la migration irrgulire (Carrera et Merlino 2009). Ainsi, en 2002, le Conseil des ministres de lUE a adopt un plan daction destin la lutte contre limmigration illgale et la traite des tres humains; plan qui vise en outre mettre en place une politique commune en matire dattribution de visas et de rapatriement (Vogel et Cyrus 2008). Les autres efforts portent sur le dveloppement des contrles aux frontires extrieures (Schengen) et les contrles lintrieur, tels que lintensification des contrles sur le march du travail, les changes dinformations et de donnes, ainsi que la surveillance de suspects (Brochmann et Hammer 1999).

    Depuis 2005, lAgence europenne pour la ges- tion de la coopration oprationnelle aux frontires extrieures des Etats membres de lUnion europenne (FRONTEX) est pied duvre dans le but de contrler les frontires extrieures de lUE en particulier les rivages de la Mditerrane. A noter que des bateaux transportant des migrants et des rfugis sont galement arraisonns en mer. En raison de cette politique, lUE d faire face des critiques selon lesquelles elle approuve le droit dempcher prmaturment les dpts de demandes dasile et elle repousse les migrants potentiels dans des pays voisins amis. La responsabilit de la migration indsirable est de plus en plus frquemment rejete sur les pays dorigine et de transit, dont le rle de

    zones tampon et de zones de refoulement gagne sans cesse en importance (comme lUkraine, le Maroc et la Libye) (Dvell 2007a). Cette externalisation de la sur- veillance des frontires fait partie dune politique plus large des pays europens, consistant relier migration et coopration au dveloppement, de manire offrir un soutien financier et politique aux Etats voisins de lUE au Sud et lEst, en contrepartie de la protection de lEurope contre la migration indsirable. 6

    Une directive europenne dicte en 2009 por-tant sur le travail clandestin et la condamnation des employeurs prvoit un alourdissement des sanctions et la restriction des possibilits de travail clandestin comme instrument de contrle de la migration. 7 Dans une communication du 19 juillet 2006 relative la priorit politique de la lutte contre limmigration illgale des ressortissants de pays tiers, la Commission conforte sa volont de mettre en uvre des efforts communs en ce sens. 8 Le programme de Stockholm, qui fixe lagenda politique sur les questions de migration pour la priode 2010-2015, a pour objectif dendiguer le phnomne. On retrouve aussi cette tendance dans le discours officiel qui met souvent en relation la migration irrgulire, la politique de scurit et la criminalit organise, comme la traite et le trafic dtres humains ( ce propos voir DAmato et al. 2005).

    Cependant, on relve galement des tendances qui visent amliorer la situation juridique des sans-papiers en Europe. Le trait de Lisbonne a fait de la Charte des droits fondamentaux de lUE un instrument juridiquement contraignant pour les Etats membres. Ce trait prvoit en outre ladhsion de lUE la Convention europenne des droits de lhomme. 9 Celle-ci garantit le respect des droits fondamentaux pour tous, indpendamment du statut de sjour (Carrera et Merlino 2009). Dvell a identifi en tout 12 accords, conventions et traits internationaux qui portent sur la migration irrgulire, cest--dire qui protgent les droits des sans-papiers. Cependant, dans la pratique, il est trs difficile de faire valoir ces droits (Dvell 2006a).

    Diffrents Etats ont recherch des solutions prag-matiques pour contrer les effets ngatifs de la migration irrgulire ou plus prcisment pour trouver un modus vivendi avec les sans-papiers prsents sur leur territoire. Depuis les annes 1970, les Etats europens aussi emploient la rgularisation des migrants sans autorisa-tion de sjour comme instrument correctif de la politique de migration. Ainsi, dans les 27 pays de lUE, 68 pro-grammes de rgularisation ont t mens entre 1973 et 2008. Plus de 6 millions de demandes ont t dposes, dont 4,3 millions ont finalement dbouch sur une rgu-larisation (Kraler 2009). Dans deux tudes publies

  • Visage des sans-papiers en Suisse20

    migration irrgulire ancrage thorique et historique

    rcemment, les auteurs sont arrivs la conclusion selon laquelle les rgularisations pourraient entraner une mobilit accrue des sans-papiers au sein de lUE, mais leffet dappel dair tant redout, cest--dire laugmen-tation gnralise de larrive de migrants illgaux en Europe, na pas pu tre mis en vidence empiriquement (Baldwin-Edwards et Kraler 2009; Finotelli 2008; Kraler 2009).

    La rgularisation, utilise a posteriori comme ins-trument pour corriger une politique de migration qui a chou, a t pratique pendant de nombreuses annes, surtout par les pays mditerranens membres de lUE, ce qui a fait natre un nombre croissant de critiques parmi les autres membres. Bien que lautonomie des diffrents Etats membres soit reconnue en matire de politique dadmission et de rgularisation, lUE essaie dimposer ses intrts. Par exemple, lorsque lEspagne a rgularis un demi-million de sans-papiers en 2005, le Conseil de lEurope a ragi en signant le Pacte europen sur limmi-gration et lasile en octobre 2008, qui renforce la lutte commune contre la migration illgale. Il exhorte gale-ment les Etats membres ne rgulariser quau cas par cas pour des motifs humanitaires ou conomiques. 10 Alors quen 2000, la Commission europenne ne reconnaissait pas encore la rgularisation comme un instrument de rgulation de la migration, elle soutient dsormais la rgularisation individuelle, sur la base de critres trans-parents et juridiques. On a ainsi vu se dgager un consen-sus lchelle europenne quant la ncessit dune politique de rgularisation des sans-papiers au cas par cas (Amarelle 2010: 156).

    Le chapitre 5, qui traite des dveloppements politiques en Suisse, se penche de plus prs sur le champ de tensions politique entre respect des droits de lhomme et des droits fondamentaux dune part, et politique dintrts des Etats souverains visant freiner la migration irrgulire, dautre part.

    bibliographie:

    Berggren, Erik et al., (Hg.) (2007). Irregular migration, informal labour and community A challenge for Europe. Maastricht: Shaker.

    De Genova, Nicholas (2002). Migrant Illegality and Deportability in Everyday Life. Annual Review of Anthropology, 31: 419-447.

    Commission europenne (2009). Clandestino Undocumented Migration, Counting the Uncountable. Date and Trends Across Europe. Final Report. Athens: Hellenic Foundation for European and Foreign Policy.

    Jordan, Bill et Franck Dvell (2002). Irregular migration The dilemmas of transnational mobility. Cheltenham: E. Elgar.

    Kraler, Albert (2009). Regularisation A misguided option or part and parcel of a comprehensive policy response to irregular migration? Vienne: IMISCOE Working Paper No. 24.

  • Visage des sans-papiers en Suisse 21

    le contexte de la migration irrgulire et des sans-papiers en suisse

    Comme dans dautres pays europens, des per-sonnes vivent et travaillent en Suisse sans autorisation desjour. Mais la majeure partie de la socit a seulement pris conscience de cet tat de fait depuis quelques annes une ralit qui suscite des ractions tantt hostiles, tantt dcontractes. Cela ne signifie pas pour autant que les facteurs qui mnent la migration illgale et la dimension macro-sociale du phnomne soient thmatiss.

    En se basant sur ltat actuel des connaissances scientifiques, sont exposs ci-aprs, avec davantage de prcision, qui sont les sans-papiers en Suisse, comment et o ils vivent. Aprs quelques brves informations sur la littrature scientifique et une courte prsentation des causes possibles de la prsence des migrants illgaux, un aperu est donn des chiffres, de lorigine et des caractristiques sociodmographiques concernant le groupe de population tudi. Ces informations proviennent de la littrature disponible, ainsi que des entretiens mens avec divers experts.

    4.1 bibliographie en progression

    Mme si lopinion publique juge gnralement que les migrants sont seuls responsables de leur sjour non autoris et que ce dernier est contraire au droit, les des-tins individuels des sans-papiers veillent rgulirement lattention et aboutissent une remise en question cri-tique de la politique de migration officielle dans ce domaine. Occasionnellement, elle donne lieu des dbats o sopposent les points de vue contraires, orga-niss dans certaines villes, parfois mme lchelle natio-nale. Tout rcemment, cest en particulier la campagne Aucun enfant nest illgal 11 qui a aliment les dbats; elle a incontestablement t lun des lments dclen-cheurs de diverses interventions parlementaires lchelle fdrale, ainsi que davances en matire de politique ducative dans plusieurs villes (Lausanne, Genve, Berne, Zurich, Ble).

    Tandis que la littrature spcialise internationale sintresse la migration irrgulire depuis la fin des annes 1970, on trouve peu dtudes comparables en Suisse. Cela sexplique la fois par ltat des connaissances en matire de recherche sur la migration, mais galement par limportance relativement marginale du phnomne en Suisse lpoque, qui na pris de lampleur quau cours des annes 1990. Des bouleversements sur le march du travail (globalisation, drgulation), ainsi que des volutions en matire de politique de migration ont t observs dans toute lEurope, mais contrairement aux pays voisins, la Suisse na jamais totalement suspendu le recrutement de travailleurs trangers et a continu connatre le plein emploi relativement longtemps. Le problme de lexercice illgal dune activit lucrative na donc t thmatis que sporadiquement par le public et le plus souvent considr comme passager. Cette situation a chang lors de la mobilisation des sans-papiers en 2001 ( chapitre 6.4).

    Selon les propos quelque peu ironiques dun juriste interview, cest partir de ce moment-l que cette th-matique a fini par veiller un certain intrt, du moins chez les chercheurs. Le Centre de documentation du SFM dispose de quelque 200 tudes et articles publis entre 2000 et 2009 qui traitent essentiellement de la problma-tique du sjour irrgulier en Suisse. Parmi ces ouvrages on compte galement la littrature dite grise (par exemple des mmoires de master, des enqutes des ser-vices de consultation, de la littrature engage, etc.). Cependant, la prsentation bibliographique suivante ne prtend pas lexhaustivit. Les explications sommaires ne doivent pas sentendre comme des commentaires des rsultats de recherche, mais comme des indications pour les lecteurs qui sintressent aux autres aspects de cette thmatique. En raison de considrations rdactionnelles, certaines rfrences bibliographiques ne sont indiques qu titre dexemple, dautres rfrences se trouvent dans les diffrents chapitres ou dans la bibliographie complte la fin du rapport.

    4 Le contexte de la migration irrgulire et des sans-papiers en Suisse

  • Visage des sans-papiers en Suisse22

    le contexte de la migration irrgulire et des sans-papiers en suisse

    Dans la littrature tudie, les ouvrages sur le thme de la sant priment sur les questions de la situa-tion professionnelle, tandis que des aspects trs divers sont mis en lumire. En effet, les travaux traitent de ques-tions relevant du domaine biomdical, social, de la lgis-lation sur les assurances et de laccs aux soins (Bahnan Bechi et Sieber 2004; Bodenmann et al. 2003; Tolsdorf 2008; Winizki 2002). Le fait que laccent soit mis sur ces thmes sexplique probablement par ltendue des pro-blmes (de sant) auxquels les sans-papiers sont confron-ts, par lengagement des organisations non-gouverne-mentales dans cette question, ainsi que par labsence de prjugs quant aux affaires du droit des trangers, qui favorise les discussions objectives propos des questions de sant. De plus, certaines tudes ont t publies dans le cadre de la stratgie de la Confdration en matire de migration et de sant, qui inclut explicitement len-semble des catgories de la population, indpendam-ment de leur statut de sjour.

    En toute logique lactivit salarie des sans-papiers a t tudie maintes reprises, en particulier dans les secteurs des emplois domestiques et du care (assistance et soins), qui emploient une part significative de ces per-sonnes (Alleva et Niklaus 2004; Flckiger et Pasche 2005; Pfffli 2009; Tschannen 2003). En tant que facteur majeur de la migration irrgulire, le domaine de lemploi repr-sente non seulement lun des principaux champs de ten-sions dans la vie des personnes concernes, mais il joue galement un rle central pour crer des contacts dans la socit daccueil. Certaines tudes sur le march du travail contiennent galement des enqutes relatives au nombre et au profil des sans-papiers (Longchamp et al. 2005; Piguet et Losa 2002).

    La situation juridique des sans-papiers ainsi que leurs conditions de vie gnrales ont t rcemment ana-lyses plusieurs reprises, ce qui a permis dans de nom-breux cas une clarification bienvenue de la situation (Achermann et Chimienti 2006b; Bolzman et al. 2007; Carbajal 2008; Strauss 2008). A linverse, de nombreuses questions juridiques ne trouvent pas de rponses satisfai-santes. Par exemple, la thmatique de lobligation des institutions de faire des dclarations ou de garder le secret, reste extrmement complexe et opaque, mme pour les professionnels chevronns (Davet 2008). 12

    Outre la situation des jeunes et des enfants (Lachat Clerc 2007; Weiller 2007), la littrature spcialise de ces dernires annes sest aussi concentre sur des questions politiques rglementation des cas de rigueur, rgulari-sation, dveloppement politique (Bolzman 2001; Rthlis-berger 2006; Zeugin 2003) , sur lengagement de la socit et les mouvements sociaux, ainsi que, plus rare-ment, sur les questions du travail social (Baumann et

    Eigenmann 2002; Ducrocq et Quinay 2003). En compl-ment, divers films, documents photographiques et expo-sitions qui traitent de cette thmatique ont t analyss pour les besoins de ltude (Hoessli 2006; Wildi 2008).

    Mme si de nombreuses facettes de la vie des sans-papiers demeurent voiles, la diversit des documents analyss donne une image beaucoup plus nette du ph-nomne que celle dil y a dix ans. Les nombreuses tudes avec une orientation ethnologique ouvrent une nouvelle perspective mme si elle est fragmentaire et limite gographiquement sur la vie des personnes concernes, les motivations qui les incitent migrer, ainsi que leurs stratgies daction dans les socits daccueil.

    4.2 les tenants et les aboutissants du sjour illgal

    De nombreuses tudes internationales attestent que les ingalits conomiques croissantes lchelle mondiale constituent le terreau de la migration illgale ( chapi-tre 3). Elles se manifestent dans certains Etats par une aggravation massive de la situation socio-conomique, parfois cologique, ainsi que de celle des droits de lhomme. En outre, les guerres ou les conflits assimilables des guerres civiles peuvent galement jouer un rle, comme dans les Balkans dans les annes 1990 ou actuellement dans diffrents Etats africains, asiatiques ou sud-am-ricains. Lexprience montre que cest moins la misre personnelle que labsence collective et individuelle de pers-pectives qui pousse les personnes migrer ds que locca-sion se prsente. Les rseaux sociaux transnationaux et la multiplication des possibilits de transports prix abor-dables crent des modalits de migration qui favorisent ce phnomne. En face, il y a la politique dadmission trs restrictive de divers pays industrialiss qui complique consi-drablement limmigration dans ces Etats.

    4.2.1 les raisons de lmigration

    Les revers du destin, quils soient conomiques ou familiaux, peuvent constituer lvnement dclencheur de la migration pour des personnes de presque toutes les couches sociales et de toutes les professions. Cest dans ce contexte quil faut considrer les expriences des sans-papiers interrogs (voir portraits). A ce propos, il est impor-tant davoir lesprit que du point de vue des migrants, la dcision dmigrer nest jamais prise la lgre ou sans consulter dautres personnes, mme si lon peut sy trom-per en considrant le problme sous un angle diffrent. Hagan (2008) explique que mme un vnement religieux, comme ce quon appelle le spiritual travel permit peut tre lorigine de la dcision dmigrer. Cependant, une telle dcision nest jamais prise limproviste et rsulte dune situation donne de contrainte. Mme lorsque la

  • Visage des sans-papiers en Suisse 23

    le contexte de la migration irrgulire et des sans-papiers en suisse

    migration se rvle tre beaucoup plus problmatique quattendue, de nombreuses personnes nenvisagent pas un retour (rapide), soit parce que la situation dans le pays dorigine linterdit, soit parce quelles doivent tenir des engagements et parfois aussi parce quelles doivent payer les dettes contractes pour lorganisation du voyage.

    Il ne fait aucun doute que certains jeunes (plutt aiss) migrent par intrt ou par got du voyage, comme cest le cas en Europe. Mais ces jeunes se dcident probablement de faon tout aussi rapide retourner dans leur pays dorigine et napparaissent donc pas dans les tudes analyses.

    Plusieurs rapports dexprience et tudes montrent clairement quau moment du dpart, la plupart des primo-migrants nont pas conscience que leur sjour ne sera pas rgularisable ou ne sont pas en mesure de sima-

    giner quelle pourra tre une vie sans autorisation de sjour dans un pays comme la Suisse. Cela sexplique par le fait quen Suisse, la migration irrgulire et le travail clandestin nont pas les mmes formes que dans les rgions dorigine de ces migrants. Certaines personnes venant dAmrique du Sud ont des connaissances aux USA et sont conscientes des risques encourus en y entrant illgalement, mais partent du principe que la vie dans le pays de destination sera relativement normale, ce qui peut parfois tre le cas. En outre, la vie dans la clandesti-nit en Amrique ou en Afrique nest pas comparable une situation analogue en Suisse.

    4.2.2 lentre en Suisse et les modalits de sjour

    Pour sexprimer de manire concise, on peut dire quaprs lentre sur le territoire lgale ou illgale diffrents parcours sont possibles: dune part, on trouve les

    Prsen

    t 1r

    e phase

    Entre

    Entre lgale (avec visa valable

    ou sans obligation de visa)

    Sjour lgal comme touriste, travailleur (temporaire),

    poux, etc.

    Franchissement illgal de la frontire

    (sans papiers / faux papiers)

    Sjour illgal

    Sans-papiers(clandestins) au sens strict

    Rgularisation du sjour (cas de rigueur, travail, mariage, etc.)

    Sjour lgal Rvocation ou non-renouvelle-ment de lautorisa-tion de sjour overstayers, requrants dasile dbouts

    Requrants dasile

    Sans-papiers exerant ou non une activit lucrative

    graphique 1: Entre et tapes du sjour des processus de migrations irrguliersSource: adaptation dune illustration de Chimienti et al. (2003), resp. Tapinos (2000)

  • Visage des sans-papiers en Suisse24

    le contexte de la migration irrgulire et des sans-papiers en suisse

    immigrs qui nont jamais obtenu dautorisation de sjour et qui sont entrs illgalement ou avec de faux papiers didentit. Dans un pays comme la Suisse, qui connat une circulation frontalire intense, il nest pas rare que des personnes entrent sur le territoire sans tre contrles et y sjournent pendant un certain temps. Le graphique 1 illustre ce processus dans la colonne de droite.

    Dautre part, on trouve les immigrs qui lorigine sjournaient lgalement en Suisse, mais dont le titre de sjour a t rvoqu ou na pas t renouvel, et qui conti-nuent y sjourner au lieu de quitter le territoire. En effet, le sjour en Suisse est souvent li un motif dfini (travail, tudes, mariage, etc.). Lors dune perte demploi, la fin des tudes ou en cas de divorce, lautorisation de sjour expire; elle est retire et un renvoi peut tre prononc. A ce propos, il convient de signaler quau cours des dernires dcennies, la Suisse a connu une mobilit de migration internationale comparativement leve (Piguet 2006). Autrement dit, une part importante des anciens immigrs a quitt la Suisse, de gr ou de force.

    Les touristes et les requrants dasile dbouts entrent galement dans la catgorie des personnes qui deviennent des sans-papiers au cours de leur sjour. Cest pourquoi leur situation irrgulire est parfois qualifie de secondaire ou dsigne sous le vocable anglais doverstay. Cependant, dans leur cas, la dure autorise de sjour est limite au sjour touristique ou la dure de la procdure de demande dasile.

    Certains rapports dexprience de sans-papiers montrent que les processus de migration peuvent tre encore bien plus complexes, comme par exemple dans le cas dun Sud-Amricain, titulaire dune autorisation de sjour dun an qui na pas t prolonge, lorsquil est revenu en Suisse au retour dune visite dans son pays dorigine ayant dur plus longtemps que prvu. Il y a galement eu le cas de jeunes qui ont grandi en Suisse (avec un statut rgulier) et qui, aprs tre retourns dans leurs pays dorigine avec leurs familles, nont pas pu sadapter et ont dcid plus tard de revenir en Suisse, o ils vivent dsormais sans papiers.

    Ricardo S. Chili 38 ans

    Moi-mme, je ne m