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Que Vlo-Ve ? Série 4 N o 23 juillet-septembre 2003 pages 65-75 Images de la Côte d’Azur BENVENUTO © DRESAT IMAGES DE LA CÔTE D'AZUR par Alex BENVENUTO LA REINE VICTORIA ET APOLLINAIRE Lorsque Guillaume va voir en 1897 dans la rade de Cannes le prince de Galles, futur Edouard VII, manœuvrer lui-même son yacht le Britannia, la reine Victoria, sa mère, fréquente la Côte d'Azur depuis déjà six ans. A Cannes, où j'étais au collège, comme les élèves s'intéressaient aux régates, on nous menait parfois, le jeudi ou le dimanche, du côté du port ; le prince de Galles y commandait la manœuvre de son yacht à voile : le Britannia. Le prince héritier avait toujours l'air ennuyé. Après avoir fréquenté le Grand Hôtel de Grasse, puis Cannes, Victoria s'est installée à Nice et loge maintenant à l’Excelsior que les Niçois n'appelleront bientôt plus que le Régina. Elle l'investit plus de deux mois par an, accompagnée d'une partie de son mobilier des châteaux d'Osborne et de Balmoral, de son argenterie et de sa vaisselle, ainsi que d'une centaine de personnages de la cour et de domestiques. La Reine, qui passe ses mois d'hiver sur la Côte, est alors à l'apogée de son règne. Reine d'Angleterre et impératrice des Indes, elle ne voit jamais le soleil se coucher sur son empire. Elle est aimée des Niçois pour sa simplicité et ses cadeaux, aussi bien des bonbons aux enfants que des montres au préfet ou des photographies aux gendarmes. Dans le même temps, elle représente la « locomotive » de toute la société cosmopolite de la Côte d'Azur. Elle reçoit en voisins du Cap Ferrât le roi des Belges Léopold II aussi bien que l'impératrice Eugénie, veuve de Napoléon III, ou l'impératrice d'Autriche Sissi et son époux François-Joseph qui résident au Cap Martin. Les Niçois de souche et les riches hivernants la voient quotidiennement conduire sa petite voiture vernissée noire et 1

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Que Vlo-Ve ? Série 4 No 23 juillet-septembre 2003 pages 65-75Images de la Côte d’Azur BENVENUTO© DRESAT

IMAGES DE LA CÔTE D'AZUR

par Alex BENVENUTO

LA REINE VICTORIA ET APOLLINAIRE

Lorsque Guillaume va voir en 1897 dans la rade de Cannes le prince de Galles, futur Edouard VII, manœuvrer lui-même son yacht le Britannia, la reine Victoria, sa mère, fréquente la Côte d'Azur depuis déjà six ans.

A Cannes, où j'étais au collège, comme les élèves s'intéressaient aux régates, on nous menait parfois, le jeudi ou le dimanche, du côté du port ; le prince de Galles y commandait la manœuvre de son yacht à voile : le Britannia. Le prince héritier avait toujours l'air ennuyé.

Après avoir fréquenté le Grand Hôtel de Grasse, puis Cannes, Victoria s'est installée à Nice et loge maintenant à l’Excelsior que les Niçois n'appelleront bientôt plus que le Régina.

Elle l'investit plus de deux mois par an, accompagnée d'une partie de son mobilier des châteaux d'Osborne et de Balmoral, de son argenterie et de sa vaisselle, ainsi que d'une centaine de personnages de la cour et de domestiques.

La Reine, qui passe ses mois d'hiver sur la Côte, est alors à l'apogée de son règne. Reine d'Angleterre et impératrice des Indes, elle ne voit jamais le soleil se coucher sur son empire.

Elle est aimée des Niçois pour sa simplicité et ses cadeaux, aussi bien des bonbons aux enfants que des montres au préfet ou des photographies aux gendarmes. Dans le même temps, elle représente la « locomotive » de toute la société cosmopolite de la Côte d'Azur.

Elle reçoit en voisins du Cap Ferrât le roi des Belges Léopold II aussi bien que l'impératrice Eugénie, veuve de Napoléon III, ou l'impératrice d'Autriche Sissi et son époux François-Joseph qui résident au Cap Martin.

Les Niçois de souche et les riches hivernants la voient quotidiennement conduire sa petite voiture vernissée noire et rouge, attelée de l'âne Jacquot dans les jardins de Cimiez. Pour les grandes promenades dans Nice ou sur la Côte, elle fait atteler le landau.

La presse niçoise relate ses moindres faits et gestes, et notamment L'Eclaireur qui faisait partie des journaux que le jeune Guillaume pouvait lire la même année à la librairie Visconti dans le Vieux Nice.

On comprend mieux alors qu'Apollinaire, qui n'a jamais fréquenté à Saint-Charles ou à Stanislas qu'un milieu aisé, au contact des mondanités, ait accumulé

[66]des images que la bonne Société découvrait au travers de ce personnage célèbre et hors du commun.

Il faut voir qu'à Nice, Victoria lance la « saison » aussi bien que les modes, et que le jeune étudiant, même révolté, n'a pas pu y être insensible.

Guillaume utilisera les souvenirs de ses années de rhétorique niçoise à trois reprises au moins.

On voit la reine Victoria en couverture du Petit Journal, assister à une procession du Jeudi-Saint dans le Vieux Nice avant de se rendre chez Mgr Chapon, évêque de Nice, elle, la représentante de l'Église Anglicane. Elle est entourée des Pénitents Rouges, chargés des

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enterrements, masqués avec leur cagoule.Et on trouvera dans une lettre à Madeleine du 15 septembre 1915, en relation avec la

cagoule anti-gaz dont le maréchal des logis Kostrowitzky vient d'être doté ce souvenir où les images de la tendre enfance romaine interfèrent avec celles de l'adolescence à Nice :

La cagoule est une chose qui a vivement frappé mon enfance. [... ] je me souviens fort bien d'une certaine confrérie qu'on voyait aux enterrements et dont les membres avaient tous des cagoules. Cela m'épouvantait un peu et la dernière chose que j'aurais pu penser c'est que je porterais moi-même la cagoule un jour.

On la rencontre, mêlée à la population, au très démocratique festin des Cougourdons dans le jardin des Arènes de Cimiez. Elle y achète en 1897 et 1898 une profusion de courges ornées à ses armoiries.

Et on entendra, dans la bouche de la Mia, jeune monégasque du « Poète assassiné » :

Cette année, je veux aller à Nice, à la foire aux cogourdes, je veux.

C'est également en 1898 qu'elle va en pèlerinage au monastère de Laghet, lançant ainsi une mode jusqu'ici plutôt connue des Niçois et des Piémontais que des hivernants en séjour sur la Côte.

Pour Guillaume, cela deviendra un de ses chefs-d'œuvre de prose : « Les Pèlerins piémontais ». Merveille d'écriture, mais aussi, remarquable dans la description des diverses classes sociales qui participent au pèlerinage :

Les pèlerins débouchaient de tous les chemins. Il en venait d'essoufflés, qui avaient grimpé par la rude côte de la Trinité-Victor. Des paysannes arrivaient de Peille et portaient, posés sur un coussinet au-dessus de leur tête, des paniers pleins d'œufs. [... ] Des paysannes riches étaient assises sur leurs mules au sabot assuré. Des filles se donnaient le bras et égrenaient le rosaire. Elles étaient coiffées de ces chapeaux de paille, presque plats, particuliers aux femmes du comté de Nice et pareils à ceux que portaient les dames grecques [... ]

Des troupes de pèlerins élégants, des demoiselles à robes de foulard, des bandes d'Anglais arrivaient de Monaco.

[66]Au début de l'année 1899, hasard des destins, Victoria, et Angélica quitteront la Côte

d'Azur et prendront le train pour Paris. Ni l'une ni l'autre ne la reverront jamais.

LE PÈLERINAGE À NOTRE-DAME DE LAGHET EN 1897

La reine Victoria va à Laghet en juin et Guillaume place son conte « Les Pèlerins piémontais » en juillet, probablement de la même année.

À cette même époque, il était de tradition de faire le pèlerinage à pied, tel que nous le détaille le Guide Touriste de 1897.

Les pèlerins de toute la région faisaient parfois vœu d'y aller avec des pois-chiches dans les souliers, mais, comme le rappelle Guillaume dans sa lettre à Madeleine du 20 mai 1915 :

La tradition des pois dans les souliers, pois cuits au préalable est aussi ancienne que les pè-lerinages.

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Que Vlo-Ve ? Série 4 No 23 juillet-septembre 2003 pages 65-75Images de la Côte d’Azur BENVENUTO© DRESAT

Cette belle excursion demande une journée.De la Place Masséna, suivre le quai Saint-Jean-Baptiste jusqu'au pont Garibaldi que l'on traverse.

Suivre à gauche le boulevard Risso jusqu'à la place de ce nom que vous traversez en biais. Prendre à gauche la route de Turin.

Après avoir croisé le chemin de fer, la route longe, à droite, l’usine à gaz, les casernes d'artillerie, le quartier Saint-Roch où se récoltent les meilleures oranges du pays, et à gauche les abattoirs. La route se rapproche du Paillon ; à droite, au bord de la route, la chapelle du Bon-Voyage, où jadis se faisaient tristement les adieux, alors que les routes étaient peu sûres.

Vis-à-vis du torrent qui descend de la route de Saint-André, la route se dirige subitement à droite : au dessus de notre tête apparaît la masse blanche de l’Observatoire.

Avant d'arriver au pont de Laghet, on traverse une plaine parfaitement cultivée. C'est un coin de verdure rappelant les frais vallons des Pyrénées.

Après avoir passé le pont, vous tournez à gauche devant la Croix de fer, laissant à gauche le village de la Trinité-Victor.

De là, se détache le chemin muletier qui va à Laghet par la hauteur (2 h. 45). On passe face à la gorge de la Drette que domine le nouveau fort, par les petits villages de Scoffier et de Falgères.

Gravissant alors le large chemin pavé, vous atteignez en 8 minutes la Place du Couvent.À gauche l'Église, à droite deux auberges.(NB : commander immédiatement son déjeuner au restaurant des Pèlerins; demander un lapin aux

pommes d'amour et pendant qu'il se prépare, visiter le sanctuaire.)

C'est en 1654 , après enquête faite par Monseigneur de Palletis, évêque de Nice, sur la véracité des miracles que l'on disait s'opérer à Laguet, que fut décidée la construction d'une église. Elle devait remplacer la petite chapelle du XIe siècle, alors en ruine. Deux ans après, aux frais de la ville de Nice, s'élevaient l'église actuelle, le cloître qui lui sert de ceinture, l'hôpital chargé de recevoir les malades, et la place sur laquelle les eaux étaient amenées.

Dès 1665, les Carmes déchaussés y furent installés. Possession vaut titre. Depuis lors, et sauf quelques éclipses forcées, motivées par les guerres et les malheurs des temps, ils n'ont cessé de desservir et d'habiter le sanctuaire. Quatre ans après l'annexion du Comté de Nice à la France (1864), et pour des motifs inutiles à rapporter ici, le monastère fut mis en vente parle gouvernement français. Les chanoines du chapitre de Nice crurent devoir pousser l'enchère jusqu'à la

[67]somme énorme de 100 000 francs, prix auquel les Carmes abandonnèrent la lutte. Mais ils appelèrent à Rome de cette adjudication et le pape, leur donnant gain de cause condamna les chanoines de Nice à leur restituer le monastère, contre le remboursement de la somme de 100 000 francs.

De la place qui précède le parvis on jouit, sur les montagnes environnantes et la gorge de Laghet, d’une vue des plus pittoresques. Sur la hauteur, à gauche les forts de la Révère, à droite, à mi-côte, le Château, derrière soi, les derniers contreforts de l’Agel.

L’église, d'un beau style italien-Renaissance, surmontée d'un élégant clocher ajouré, richement décorée à l'extérieur, est placée au centre d'un cloître qui fait corps avec elle. Au-dessus du cloître, et au midi, les logements des religieux au nombre de dix, six pères et quatre frères. Le cloître, ou mieux cette sorte de galerie qui entoure l'église, offre un aspect tout à fait particulier, avec ses nombreux ex-voto, et les peintures ultra-naïves qui retracent les dangers auxquels les donateurs ont échappé, grâce à l'intercession de la Vierge.

La réputation dont jouit Notre-Dame de Laghet est considérable et, chaque année, plus de dix mille pèlerins se rendent à son sanctuaire. Mais c'est surtout à la fête de la Trinité que la foule afflue, et le spectacle qu'offre alors le monastère est des plus curieux. Partout des campements primitifs, des installations sommaires ; ceux-ci sont accroupis sur les marches ; ceux-là étendus sur les dalles du cloître, sur la place, sur les rochers avoisinants ; ça et là des familles réunies se partagent les vivres apportés de loin, et attendant l'ouverture de la chapelle et le commencement des offices. Puis, quand tous les fidèles sont réunis, on fait, sous les voûtes du cloître, neuf fois le tour de l'église, en chantant sept fois le Salve Regina, pour rappeler que la Vierge est restée 63 ans sur terre. Pénétrant dans l'église, la foule s'agenouille,

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se frappe la poitrine poussant des cris déchirants, sanglotant et criant : Santa Maria ! Santa Maria !

(N.B. : on peut rentrer à Nice par l'omnibus qui part de Laghet à 4 h., arrivée à Nice à 6h. 15 du soir. Pour les marcheurs, deux chemins muletiers conduisent à Monte-Carlo ou Monaco.)

Nous proposons un ensemble de documents photographiques : deux cartes postales anciennes (qui montrent que toutes les classes sociales fréquentaient ce lieu de pèlerinage), ainsi que plusieurs ex-voto naïfs. A ce sujet, d'après Alex Benvenuto, qui a consulté madame Marie-Thérèse Pulvenis de Séligny, conservatrice du Musée Matisse et auteur d'une thèse sur ces ex-voto (elle y recense les 1498 ex-voto du monastère et du musée), ceux décrits par Apollinaire dans « Les Pèlerins piémontais » n'ont pas été retrouvés : aucun ne correspond à la date ou à la description du texte d'Apollinaire.

Signalons enfin que depuis 1975, les tableaux de Laghet sont inscrits au pré-inventaire de la Caisse nationale des Monuments historiques.

Ces « images » sont suivies du texte d'un dépliant consacré à N.-D. de Laghet ; on sait que dans ce domaine, il y a pléthore. Tous les textes qui figurent sur ces feuillets n'ont pas la même rigueur. Nous avons retenu celui qui nous semblait le plus sérieux (il doit dater du dernier quart du XXe siècle).

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