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1 Colloque du Mans (du 5 au 7 juin 2013) : « L’Histoire par en bas ». « Ornithologie et littérature au tournant des XVIII e et XIX e siècles », Anne-Gaëlle Weber (équipe ANR Jeunes Chercheurs « HC19 » et EA 4028, Université de Lille-Nord) Les oiseaux ont des plumes, volent et chantent. Ces trois évidences ne sont certes pas destinées à résoudre la question du choix des caractères extérieurs les plus efficaces pour bâtir des systèmes, que se posent les premiers ornithologues (si on entend par « ornithologie » la science de la classification des oiseaux). Mais elles expliquent peut-être les raisons pour lesquelles l’ornithologie, en tant que discipline savante à part, a eu à résoudre le problème de la place à accorder à la littérature et à la poésie dans son discours. Il s’agit moins ici de bâtir une « histoire par en bas » de l’ornithologie analysée au crible de ses relations avec la littérature, une « histoire par en bas » de la littérature analysée du point de vue de son traitement des objets devenus ceux de l’ornithologie, mais de constituer une histoire croisée de la manière dont deux discours se séparent ou se rejoignent et se définissent l’un par rapport à l’autre. Le tournant des XVIII e et XIX e siècles est à la fois le moment de l’émergence de l’ornithologie comme science, selon Paul Lawrence Farber, et celui de la naissance de la « littérature », issue de l’effondrement du système des « Belles Lettres » 1 . Les oiseaux ont des plumes et des plumes de couleurs extrêmement variées. Ce plumage change en fonction de leur sexe et de leur âge, ce qui suppose de décrire de manière extrêmement précise chacun des spécimens afin de ne pas les confondre avec l’espèce. Et les couleurs des oiseaux deviennent un problème : parce qu’il est difficile que les produits utilisés pour les conserver dans les grandes collections du XVIII e siècle, en France et en Angleterre, n’en altèrent pas les couleurs et que la peinture même de leurs représentants ne 1 Cf. à ce propos Paul Lawrence Farber, Discovering Birds. The Emergence of Ornithology as a Scientific Discipline, 1760-1850, Baltimore and London, John Hopkins University Press, 1997 et Jacques Rancière, “Introduction. D’une littérature à l’autre”, La Parole muette. Essai sur les contradictions de la literature. Paris, Hachette, 1998, p. 5-14.

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Colloque du Mans (du 5 au 7 juin 2013) : « L’Histoire par en bas ».

« Ornithologie et littérature au tournant des XVIIIe et XIXe siècles », Anne-Gaëlle Weber (équipe ANR Jeunes Chercheurs « HC19 » et EA 4028, Université de Lille-Nord)

Les oiseaux ont des plumes, volent et chantent. Ces trois évidences ne sont certes pas destinées à résoudre la question du choix des caractères extérieurs les plus efficaces pour bâtir des systèmes, que se posent les premiers ornithologues (si on entend par « ornithologie » la science de la classification des oiseaux). Mais elles expliquent peut-être les raisons pour lesquelles l’ornithologie, en tant que discipline savante à part, a eu à résoudre le problème de la place à accorder à la littérature et à la poésie dans son discours. Il s’agit moins ici de bâtir une « histoire par en bas » de l’ornithologie analysée au crible de ses relations avec la littérature, une « histoire par en bas » de la littérature analysée du point de vue de son traitement des objets devenus ceux de l’ornithologie, mais de constituer une histoire croisée de la manière dont deux discours se séparent ou se rejoignent et se définissent l’un par rapport à l’autre. Le tournant des XVIIIe et XIXe siècles est à la fois le moment de l’émergence de l’ornithologie comme science, selon Paul Lawrence Farber, et celui de la naissance de la « littérature », issue de l’effondrement du système des « Belles Lettres »1.

Les oiseaux ont des plumes et des plumes de couleurs extrêmement variées. Ce plumage change en fonction de leur sexe et de leur âge, ce qui suppose de décrire de manière extrêmement précise chacun des spécimens afin de ne pas les confondre avec l’espèce. Et les couleurs des oiseaux deviennent un problème : parce qu’il est difficile que les produits utilisés pour les conserver dans les grandes collections du XVIIIe siècle, en France et en Angleterre, n’en altèrent pas les couleurs et que la peinture même de leurs représentants ne trahisse pas leur éclat. Ce plumage, prodigieux parfois, est ce qui fait de l’oiseau un objet de luxe et un défi à la représentation, picturale comme littéraire. François Levaillant raconte en 1803 comment il perdit l’ensemble des plumes d’autruche qu’il avait récoltées en les cédant aux officiers du Cap qui voulaient les offrir en parure aux élégantes du pays2 ; il faut en quelque sorte arracher l’oiseau à ses prédateurs féminins pour en faire un objet de science en même temps qu’un objet d’intérêt pour des lectrices peu aptes à se satisfaire de l’aride nomenclature. La description du plumage, ne serait-ce que par l’invention langagière qu’elle impose pour dire les couleurs et leurs infinies nuances, est sans conteste le lieu, y compris dans les histoires naturelles des oiseaux ou manuels d’ornithologie, d’une débauche de figures qui l’informe en un morceau de bravoure poétique.

Les oiseaux volent et cela les a prédisposés depuis longtemps à devenir des messagers des dieux, puis des symboles de l’aspiration de l’homme à une condition qui le dépasse. Mais le vol des oiseaux est aussi ce qui permet les migrations et ce qui rend difficile le devisement systématique des espèces et variations ainsi que l’exacte détermination de leur origine géographique : un oiseau décrit est toujours susceptible de ne pas exister. De là viennent l’appel lancé par les naturalistes en cabinet tels que Coenraad Jabob Temminck en Hollande ou Buffon en France, aux « faunistes » locaux et la multiplication, au début du XIXe

siècle, des ouvrages particuliers composés par des « amateurs » qui revendiquent cependant le statut de savants tout en imposant au discours ornithologique des règles propres.

1 Cf. à ce propos Paul Lawrence Farber, Discovering Birds. The Emergence of Ornithology as a Scientific Discipline, 1760-1850, Baltimore and London, John Hopkins University Press, 1997 et Jacques Rancière, “Introduction. D’une littérature à l’autre”, La Parole muette. Essai sur les contradictions de la literature. Paris, Hachette, 1998, p. 5-14.2 François Lavaillant, Second Voyage de F. Le Vaillant dans l’intérieur de l’Afrique, par le Cap de Bonne-Espérance, pendant les années 1783, 1784 et 1785, Paris, Desray, an XI, t. I, p. xiv-xv.

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L’oiseau chante enfin et c’est ce qui le rapproche de l’homme. Aristophane déjà, dans Les Oiseaux, avait envisagé une république aviaire dont tous les acteurs sont des oiseaux et Cyrano de Bergerac, dans les Empires de la Lune et du Soleil, accueille aussi son voyageur dans un royaume des oiseaux. Le « langage » des oiseaux, ou leur cri, est l’une des causes du lien que l’on tisse souvent entre l’oiseau et l’homme au point de décrire le comportement des oiseaux comme exemplaire de celui de l’homme ou, en matière de poésie et de littérature du moins, au point de donner la forme d’un oiseau aux caractères humains. Depuis La Fontaine, on sait ce qu’est un geai ou un paon à deux jambes. Et le vocabulaire commun, issu en grande part des images créées par le fabuliste, se charge, depuis le XVIIe siècle, de désigner parmi les humains les véritables pigeons, les bécasses, les poules, etc…Preuve s’il en est que le nom des oiseaux véhicule avant même que Buffon ou Brisson ne s’en préoccupent, des significations morales plus larges. Mais les oiseaux ne servent pas seulement à incarner les pires dérives morales de l’homme ; leur chant peut devenir aussi un modèle d’harmonie et de poésie.

Les poètes du XIXe siècle, Musset et Baudelaire en témoignent, se reconnaissent dans l’albatros. Le rossignol et le cygne ont envahi les poèmes pour dire la parole poétique et les conditions de sa possibilité : avant de nidifier dans la poésie romantique anglaise, française ou allemande, le cygne et le rossignol ont été les personnages privilégiés des lais de Marie de France. Le lai du Laüstic, où l’amante empêchée de voir son amant et réduite à communiquer avec lui par une fenêtre, a l’audace de prétendre, face à son mari jaloux, s’adresser à un rossignol, faisait déjà du pauvre chanteur l’incarnation même du texte : l’amante parvient à transmettre le cadavre du rossignol enfermé dans un tissu brodé par elle où elle raconte son histoire, à son amant et l’oiseau devient le signe du texte qui se transmet, par delà la mort. Évoquant les oiseaux, il se pourrait que les savants ornithologues eux-mêmes s’interrogent, comme en miroir, sur la forme de leurs propres écrits et sur la manière de les transmettre  ; le discours ornithologique deviendrait alors le lieu d’une interrogation formelle et linguistique, toute littéraire.

L’ornithologie ou les limites de la descriptionEn 1827, la définition que donne l’article « Ornithologie » du Dictionnaire classique

d’histoire naturelle s’informe en un long commentaire historique des œuvres et des discours relevant de cette branche de l’Histoire Naturelle. Après avoir déploré que les Anciens ne se préoccupent surtout des oiseaux que pour orner leurs banquets et admis que quelques ouvrages (dont celui d’Edwards3) valent encore par la « vérité de leur figure »4, Pierre-Auguste-Joseph Drapiez réserve la part belle à l’Ornithologie de Mathurin-Jacques Brisson, « ouvrage en six volumes, beaucoup plus recherché pour l’exactitude des descriptions, souvent trop minutieuses, que pour celle des figures »5. Á partir de ce moment-là, il s’agira de passer les ouvrages savants au crible de deux critères : la pertinence des critères retenus pour distinguer les espèces et l’exactitude et la beauté soit des figures, soit des descriptions. De l’histoire naturelle des oiseaux de Buffon, le lecteur retiendra que la « première partie de cette Histoire des Oiseaux » a valu à son auteur « le surnom de Pline moderne » : « Buffon essaya d’y peindre, avec les couleurs les plus vraies et les plus agréables, les mœurs et les habitudes des nombreuses tribus habitantes de l’air »6. Et si le maître français, sous la plume de l’auteur de l’article, parvient encore à participer à l’émergence de grands systèmes ornithologiques en conciliant le plaire et l’instruire et en faisant de la littérature l’équivalent de la peinture, 3 George Edwards (1694-1773) est un ornithologue anglais, auteur notamment de A Natural History of Uncommon Birds en 1743.4 Pierre-Auguste-Joseph Drapiez, « Ornithologie », Dictionnaire classique d’histoire naturelle, Paris, Déterville, 1827, t. XII, p. 369.5 Ibid.6 Ibid., p. 371.

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d’autres, moins heureux, voient leurs ouvrages cantonnés dans le domaine des « beaux livres » qui ne font guère avancer la science. Ainsi Levaillant a-t-il publié « de grands ouvrages, qui, par le luxe typographique de leur exécution, semblent réservés pour orner les bibliothèques de parade »7. Il semble bien que le discours ornithologique savant ait eu à se définir contre et par rapport aux « beaux livres » de parade et aux « beaux discours » valant par leur beauté autant que par leur vérité.

D’une certaine manière, Drapiez ne fait que reprendre à son compte la manière dont Brisson lui-même, en 1760, retraçait les grandes lignes de l’histoire de la discipline savante qu’il entendait pratiquer en désignant et en commentant en préface les œuvres de ses prédécesseurs. L’ouvrage de Brisson était le catalogue raisonné de la collection de M. de Réaumur et avait pour but notamment de donner à lire la description d’espèces inconnues ; la progressive détérioration de certains spécimens rendait la tâche plus urgente et nécessaire encore et le livre devenait, si la collection d’une manière ou d’une autre disparaissait, la seule trace de l’existence d’espèces inconnues par ailleurs : un ouvrage sans référent. Brisson justifie donc sa tâche en prônant la nécessité de construire un nouveau système taxinomique permettant de faire place à de nombreuses espèces inconnues.

Il avait également entrepris de souligner les lacunes des travaux de ses prédécesseurs pour mieux justifier encore l’utilité de sa tâche. L’ouvrage de Belon, « excellent pour le temps auquel il a été publié »8 pèchait par son manque de descriptions et les figures en sont mauvaises. Celles dont usait Gesner étaient non seulement imparfaites mais aussi, le plus souvent, empruntées à d’autres. Aldrovande avait certes donné des descriptions « assez exactes » mais a cru bon d’ajouter pour chaque espèce « tout ce qu’il a entendu dire, qui avait quelque rapport à son objet, sans s’embarrasser si la chose était avérée ou non. Tout lui a paru bon : les rêveries même du peuple ont trouvé place dans son ouvrage ». Le livre d’Aldrovande était donc autant une description d’espèces naturelles qu’un recueil de textes : objets naturels et discours fabuleux étaient mis sur le même plan.

Chez les modernes, le reproche de la copie accompagnait le plus souvent celui des défauts de la représentation ou de la figuration : les figures de Jonston étaient « méconnaissables »9 ; Ray avait donné de bonnes descriptions mais des figures inexactes ; la méthode d’ornithologie de Moehring était d’autant plus arbitraire qu’elle reposait sur des figures inexactes illustrant des genres qui n’existaient pas. George Edwards avait donné de belles figures, mais « il faut cependant avouer que dans quelques-unes les couleurs sont trop vives & plus belles que le naturel »10.

Ce que Brisson nomme « cette légère esquisse de l’Histoire et du progrès de l’Ornithologie » pourrait donc se résoudre à être l’histoire des progrès de la représentation et de la description des oiseaux et celle de l’évolution de l’équilibre entre la copie et l’observation. L’enjeu de la description et des figures ornithologiques n’est pas seulement esthétique : il ne s’agit pas seulement de plaire (mieux vaut ne pas trop plaire) ; il est scientifique dans la mesure où la dispersion des collections et leur détérioration risquent de faire du texte descriptif et de l’image les seules preuves de l’existence de l’oiseau (le parfait équivalent de l’observation) et de mener, s’ils sont inexacts, à des classifications imaginaires. Il n’en demeure pas moins qu’est érigé en critère savant un critère poétique ou esthétique.

La difficulté du discours ornithologique tient, écrit encore Buffon, à l’orée du premier tome de l’Histoire naturelle des oiseaux, autant à l’objet dont on traite qu’à la forme qu’on entend donner à la description :

7 Ibid., p. 374.8 Mathurin-Jacques Brisson, Ornithologia sive synopsis methodica, Paris, Bauche, 1760, p. viij.9 Ibid., p. x.10 Ibid., p. xiv.

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« Le grand nombre des espèces, le nombre encore plus grand des variétés ; les différences de forme, de grandeur, de couleur entre les mâles et les femelles, entre les jeunes, les adultes et les vieux, les diversités qui résultent de l’influence du climat et de la nourriture, celles que produit la domesticité, la captivité, le transport, les migrations naturelles et forcées, toutes les causes, en un mot, de changement, d’altération de dégénération, en se réunissant ici et en se multipliant, multiplient les obstacles et les difficultés de l’Ornithologie, à ne la considérer même que du côté de la nomenclature, c’est-à-dire, de la simple connaissance des objets ; et combien ces difficultés n’augmentent-elles pas encore, dès qu’il s’agit d’en donner la description et l’histoire. Ces deux parties, bien plus essentielles que la nomenclature, et que l’on ne doit jamais séparer de l’Histoire Naturelle, se trouvent ici très difficiles à réunir, et chacune a de plus des difficultés particulières que nous n’avons que trop senties, par le désir que nous avions de les surmonter. L’une des principales est de donner, par le discours, une idée des couleurs ; car malheureusement, les différences les plus apparentes entre les oiseaux, portent sur les couleurs encore plus que sur les formes ; dans les animaux quadrupèdes, un bon dessin rendu par une gravure noire, suffit pour la connaissance distincte de chacun, parce que les couleurs des quadrupèdes n’étant qu’en petit nombre et assez uniformes, on peut aisément les dénommer et les indiquer par le discours ; mais cela serait impossible, ou du moins supposerait une immensité de paroles, et de paroles très ennuyeuses pour la diversité des couleurs des oiseaux ; il n’y a pas même de termes en aucune langue pour en exprimer les nuances, les teintes, les reflets et les mélanges ; et néanmoins les couleurs, sont ici des caractères essentiels, et souvent les seuls par lesquels on puisse reconnaître un oiseau et le distinguer de tous les autres »11.

Il faut peut-être alors que l’ornithologue fasse œuvre d’écrivain et que, pour que son ouvrage fasse science, il use des mêmes talents que le poète. L’analogie entre les deux pratiques est plus claire encore dans les préfaces des ornithologues anglo-saxons contemporains. Thomas Pennant, dans la British Zoology, en 1768, décrit ainsi les facultés nécessaires au savant : « Taste is no more than a quick sensibility of imagination refined by judgment, and corrected by experience ; but experience is another term for knowledge, and to judge of natural images, we must acquire the same knowledge, and by the same means as the painter, the poet, or the sculptor”12. Alexander Wilson, qui fut poète avant d’être ornithologue et qui fut très vite considéré comme le père de l’ornithologie américaine après la publication en 1831 de l’American Ornithology, n’hésite pas quant à lui à faire le lien entre l’activité du poète et celle du savant. La biographie d’Alexander Wilson qui accompagne en 1831 la réédition du premier tome de son ouvrage est ainsi entrecoupée de lettres du savant à son père ou de poèmes où Wilson dit l’utilité de sa formation littéraire et poétique : « The Publication of the Ornithology, though it has swallowed up all the little I have saved, has procured me the honour of many friends, eminent in this country, and the esteem of the public at large, for which I have to thank the goodness of a kind father, whose attention to my education in early life, as well as the books then put into my hands, first gave my mind a bias toward relishing the paths of literature, and the charms and magnificence of nature »13. John James Audubon, en 1840, dans l’introduction des Birds of America, revendiquait un double lectorat : “Having been frequently asked, for several years past, by numerous friends of science, both in America and in Europe, to present to them and to the public a work on the Ornithology of our country, similar to my large work, but of such dimensions, and at such price, as would enable every student or lover of nature to place in his Library, and look upon it during his leisure hours as

11 Georges-Louis Leclerc comte de Buffon, Histoire naturelle des oiseaux, nouvelle édition accompagnée de notes, Paris, Aux Deux Ponts, Sanson et Cie, 1785, t. I, p. vij.12 Thomas Pennant, British Zoology, London, Benjamin White, 1768, t. I, p. x.13 Alexander Wilson et Charles Lucian Bonaparte, American Ornithology, Edinburgh, Constable, 1831, vol. I, p. xiv.

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a pleasing companion, I have undertaken the task with hope that those good friends, and the public will receive the “Birds of America”, in their present miniature form, with that pleasure and kindness they have already evinced toward one who never can cease to admire and to study with zeal and the most heartfelt reverence, the wonderful productions of an Almighty Creator”14. Un autre argument apparaît ici qui fait qu’un naturaliste, même avec le support de planches, se devra toujours de décrire l’indescriptible : l’argument financier. Et le souci de vulgarisation n’explique pas qu’on puisse séparer les jolis ouvrages des ouvrages savants.

Le défi lancé aux savants par le plumage de certains oiseaux rend ténue la limite entre l’effort déployé pour faire voir exactement et la volonté de rendre plus beau encore qu’il ne l’est l’objet décrit. Cela vaut tout particulièrement des oiseaux de Paradis où il est rare qu’un savant ne s’exclame pas, comme encore René-Primevère Lesson dans son Manuel d’ornithologie ou description des genres et des principales espèces d’oiseaux, en 1828, qu’il est « impossible, par une description écrite ou par la peinture, d’avoir une idée exacte de la richesse et de la variété des teintes de ce superbe oiseau »15. La description de l’épimaque, dans le même texte, disait, par la surabondance des comparaisons et des métaphores, par la longueur des phrases traduisant les nuances du plumage, la volonté de faire du texte descriptif l’équivalent de la peinture et même de l’oiseau :

« Il a un plastron de plumes écailleuses, brillantes, d’un vert émeraude, prenant aux reflets de la lumière diverses teintes chatoyantes et métalliques. La forme de ces plumes est triangulaire ; elles sont de couleur vert-olive mat, et comme frangées sur les bords, tandis que leur portion centrale est éclatante ; les plumes qui revêtent le corps de l’oiseau sur le dos, les ailes, ont la douceur du velours noir dont elles affectent la couleur et l’aspect, mais exposées diversement au jour, elles prennent la teinte la plus riche d’un velours noir-ponceau ; le ventre est également recouvert de plumes écailleuses, à teinte de cuivre de rosette, mais plus fermes que celles du cou et de l’occiput ; la queue est courte, carrée, à plumes vertes dorées ; les pieds sont noirs et munis d’ongles crochus »16.

Il faut la douceur et le grain des tissus les plus riches, l’éclat de l’or et du cuivre, pour dire la richesse du plumage de l’oiseau : cette richesse des comparaisons ne peut manquer de séduire une lectrice autant qu’un lecteur, en transformant le naturel en artificiel.

Que dire encore des paradisiers émeraudes, des oiseaux mouches « rubis-topaze » que le même Lesson se plaît à décrire dans ses Compléments de Buffon en 1838 et que leurs noms seuls désignent comme des objets de luxe ? Non d’ailleurs que Lesson ignorât les dangers du « style » et de ses figures ; ses compléments sont l’occasion aussi de commenter des descriptions savantes anciennes autant que des descriptions littéraires des oiseaux abordés. Au cœur de la description des paradisiers surgissent ainsi deux textes étranges : le premier est un emprunt à la Vigie de Koatven d’Eugène Sue qui vient clore l’histoire de la manière dont les dépouilles des paradisiers servaient de parure par un étrange renversement : « Au-dessus du trône d’Hyder-Ali, un humai (oiseau de paradis) de grandeur colossale et d’or massif, étendait ses ailes ; mais ces ailes, couvertes d’opales, de rubis et d’émeraudes, étaient si admirablement travaillées, qu’on retrouvait dans cette imitation jusqu’aux nuances les plus délicates de ce plumage éblouissant »17. Le texte romanesque prend les descriptions naturalistes au pied de la lettre et préside à un étrange renversement : l’oiseau décrit est un oiseau artificiel, composé de métaux et de gemmes précieux et sa description, dans un récit

14 John James Audubon, Birds of America, Philadelphia, J. B. Chevalier, 1840, t. I, p. 1.15 René-Primevère Lesson, Manuel d’ornithologie ou description des genres et des principales espèces d’oiseaux, Paris, Roret, 1828, t. II, p. 8.16 Ibid., p. 7.17 René-Primevère Lesson, Compléments de Buffon, Paris, P. Pourrat Frères, 1838, p. 455.

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qui ne prétend nullement faire voir un spécimen « naturel » devient plus exacte que celle d’un manuel ornithologique. La comparaison du plumage de l’oiseau aux pierres précieuses est inversée : le comparant devient le comparé et la description, doublement fictionnelle (d’un roman traitant d’un oiseau fabriqué par l’imagination de l’homme), y gagne une exactitude supérieure à celle d’un traité savant.

Le second texte est un extrait de l’histoire naturelle de Pline, consacré au phénix : « Les oiseaux d’Ethiopie et de l’Inde sont remarquables par l’éclat et la variété de leurs couleurs. Mais le phénix d’Arabie est le plus admirable d’entre eux ; il a la taille d’un aigle, le cou de couleur d’or, le plumage pourpre ». Et cela vaut à Pline le commentaire suivant : « Or, qui ne voit dans cette description, aussi exacte que l’on pouvait la faire alors, que le style descriptif en histoire naturelle n’existait pas, qu’il s’agit du faisan doré encore très rare, mais transporté des régions montueuses du Caucase et de l’Indochine, et dont l’éclatant plumage, en séduisant les yeux, consacra la tradition d’un oiseau beau entre les plus beaux, nommé le phénix »18. Á trop vouloir donc rendre admirable la description d’oiseaux admirables, on risque de faire exister des légendes, de les rendre vraies mais il faut croire que le naturaliste, en 1838, sait lui conjuguer le « style descriptif » et l’exigence de vérité tout en usant des mêmes métaphores que celui qu’il critique.

Lesson, à quelques lignes d’intervalle, condamne donc l’usage pittoresque du style précieux et loue l’exactitude du récit romanesque qui vient redoubler l’objet artificiel décrit et faire du sens figuré (la pierre) la représentation la plus exacte de la Nature. Le paradoxe ne s’explique que si l’on admet que l’usage du style et de ses figures, au sens littéraire du terme (au sens d’une ornementation) est autant une nécessité savante qu’un risque et que les ornithologues du XVIIIe et du XIXe siècles n’ont pu définitivement résoudre le dilemme entre la nécessité de faire voir des espèces admirables et la volonté de s’en tenir à une stricte « nomenclature ». L’idée d’un style descriptif (scientifique) pourrait n’être qu’une déclaration de principe qui ne permette pas tant que cela de distinguer la science de la poésie.

Il en va du « littéraire » et de la « littérature » comme du style. De même que la notion de style (au sens de la poétique) ne permet pas de distinguer, quoi qu’en disent les savants, le discours littéraire du discours scientifique, le terme de « littérature » ne permet pas nécessairement de dessiner la ligne de partage entre des ouvrages systématiques relevant de l’ornithologie et composés par des savants en cabinet et des ouvrages de vulgarisation souvent composés par des amateurs ou des manuels particuliers. Ce qui en revanche est certain est que l’argument du littéraire surgit de manière quasi systématique sous la plume de ceux qui défendent leur statut de savants.

Scientificité et littérarité : la glose et la dénominationCela vaut au moins depuis la publication des livres de François Levaillant, mi-

aventurier mi-savant, qui revendique dès l’orée de la relation de son voyage dans l’intérieur de l’Afrique, en 1790 le statut de savant ornithologue tout en distinguant sa pratique de celle des savants en cabinet auxquels reproche de ne pas l’avoir accepté parmi eux.

Se livrant donc en guise de préface à une longue autobiographie, Levaillant décrit en ces termes les grandes étapes de sa formation savante : « je connaissais, il est vrai, divers ouvrages d’Histoire Naturelle, mais remplis de contradictions si rebutantes que le goût qui n’est pas encore formé ne peut que beaucoup perdre à les lire. J’avais surtout dévoré les chefs d’œuvre immortels consacrés à la postérité par un des plus grands génies ; je brûlais tous les jours un nouvel encens aux pieds de sa statue, mais son éloquence magique ne m’avait pas séduit au point d’admirer jusqu’aux écarts de son imagination et je ne pouvais pardonner au Philosophe les exagérations du Poëte »19. Et la critique est récurrente dans l’Histoire des

18 Ibid.19 François Levaillant, Voyage de M. Le Vaillant dans l’intérieur de l’Afrique, Paris, Leroy, 1790, t. I, p. 84.

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perroquets, en 1801, où Levaillant, posant définitivement en savant ornithologue, confère à son propre ouvrage le statut de texte savant en rejetant ceux de Buffon du côté de l’éloquence ou de la littérature : la description des mœurs des perruches à tête bleue se conclut en ces termes : « Les scènes touchantes qu’on vient de lire eussent sans doute beaucoup gagné à être décrites par une plume éloquente. Un Buffon, un Lacépède, y auraient répandu tout le charme qu’on trouve dans leurs célèbres ouvrages ; mais j’espère que le lecteur, sentant qu’on n’apprend point l’art de polir ses écrits en courant les montagnes, les vallées et les bois, pardonnera à mon style en faveur de mon zèle et de mon exactitude »20.

Le plus amusant est que la littérature n’est pas seulement du côté de Buffon et de ses disciples. Levaillant use aussi de ce critère pour exclure du domaine de la science (qu’il pratique) aussi bien les faiseurs de nomenclature que les tenants de l’anatomie comparée ; tout se passe comme s’il s’agissait de lutter a priori contre les critères de scientificité élaborés au cœur des institutions savantes.

Le progrès de l’ornithologie est, pour Levaillant, lié au développement d’ouvrages particuliers (limités à une région ou à une espèce) et à la description des caractères extérieurs : « Le naturaliste qui veut embrasser à la fois toutes les parties du vaste règne organique, et donner une histoire de toutes ses productions, ne peut, quelque zèle qu’il y apporte, entrer dans tous les détails nécessaires à la connaissance des animaux dont il traite. Il ne peut qu’en parler d’une manière superficielle, et quelquefois d’après les récits les plus disparates »21. Le second Voyage dit le rejet de l’anatomie comparée : « qu’on ne s’attende pas, comme je l’ai dit, à des démonstrations géométrico-microscopiques. Je m’étendrai avec plaisir sur les mœurs et les habitudes des animaux avec qui j’ai vécu ; la plus simple observation de cette nature nous donnera des résultats toujours plus heureux et bien plus certains, que l’exploration de leurs entrailles fumantes et muettes : vraie charlatanerie, faite pour tromper d’ignorants admirateurs, et, qui pis est, bien souvent des savants même »22. Ni taxinomiste ou systématicien donc, ni anatomiste, Levaillant revendique cependant le statut savant de son ouvrage en refusant d’être jeté sur les « tréteaux de la littérature » : « Au reste, quelque nom qu’on donne à cet ouvrage, il m’importe peu qu’il y règne une méthode scolastique, et ce n’est pas l’art que je professe ici, c’est la vérité, la clarté ; je cause avec mes amis, et ne suis point sur les tréteaux littéraires »23.

Curieusement, le même argument du mépris pour ceux qui haussent leurs traités d’ornithologie sur les « tréteaux de la littérature » pour leur conférer une postérité que la qualité scientifique ne garantirait pas, surgit sous la plume de Coenrad-Jacob Temminck lorsqu’il se défend dans l’introduction au Manuel d’ornithologie ou tableau systématique des oiseaux qui se trouvent en Europe contre les accusations lancées à son encontre par Louis-Jean-Pierre Vieillot en 1816 dans son Analyse d’une nouvelle ornithologie élémentaire.

Ce dernier avait osé reprocher à Temminck d’avoir usé sans le dire de travaux ornithologiques antérieurs et déplorait la complexité des dénominations usitées par Temminck qui empêchaient, écrivait-il, qu’un amateur puisse s’adonner grâce à elles à l’étude des oiseaux. La réponse de Temminck s’ouvre en ces termes : « Sans doute déjà quelques-uns de mes lecteurs ont rendu justice à la conduite de M. Vieillot, et peut-être on me blâmera de répondre à des puérilités ; mais attaqué comme je le suis, par un censeur qui vise à la célébrité, non moins par les prétentions littéraires que par les travaux scientifiques, je montrerai à mon tour de la suffisance en empruntant d’autres armes que les siennes »24. Elle

20 François Levaillant, Histoire naturelle des perroquets, Paris, Levrault, an IX (1801), t. I, p. 81.21 François Levaillant, Voyage de M. Le Vaillant dans l’intérieur de l’Afrique, op.cit., p. viij.22 François Levaillant, Second Voyage de M. Le Vaillant à l’intérieur de l’Afrique, 1803, t. II, p. 1-2.23 François Levaillant, Voyage de M. Le Vaillant dans l’intérieur de l’Afrique, op.cit., p. 84.24 Coenraad-Jacob Temminck, Manuel d’ornithologie ou tableau systématique des oiseaux qui se trouvent en Europe, Paris, Gabriel Dufour, 1820, p. xi-xij.

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se poursuit par la dénonciation, par Temminck lui-même, de ce que lui reproche Vieillot et par la revendication de ce qui distingue son texte de ceux des « amateurs » écrivant pour des amateurs : « La ferme résolution que j’ai prise de n’introduire dans l’index que des oiseaux vus et bien examinés, sans emprunter aucune description à d’autres ouvrages, quand même elle serait accompagnée d’une figure, donne les plus sûres garanties que les bases de mon plan sont bien différentes de celles des autres ouvrages de ce genre. Des espèces décrites ou figurées dans les ouvrages d’ornithologie, mais dont on n’aura pu retrouver les individus dans les collections, seront toujours indiquées séparément, comme suite et appendix de chaque genre, dont ils paraissent faire partie. Plusieurs de ces espèces nominales qu’il est impossible de retrouver parmi les sujets déposés dans les cabinets d’Europe, ne doivent probablement l’existence qu’à la manie des compilations, dont le galimatias a tellement embrouillé le système de la nature qu’il m’a paru bien plus facile, et surtout moins ennuyeux, de recommencer l’immense besogne et de faire en entier le species des oiseaux, que de passer mon temps, sans espoir de succès, à rapprocher des descriptions altérées par les traductions, et par les copies ou extraits faits par des gens souvent peu versés dans l’étude de la nature »25.

La ligne de démarcation entre les critères de scientificité et de littérarité se déplace ici : Temminck, prétendant exclure la glose de son traité, entend ne décrire que ce qu’il a observé et éviter, autant que possible, de recenser les « espèces nominales » qui n’existent que d’être nommées. Réserver dans un manuel d’ornithologie une place à la glose et aux espèces crées de toutes pièces par le discours est le fait des gens peu « versés » dans l’étude de la nature, de ceux qui ne sont pas des savants.

La littérature désigne là l’exercice du commentaire ou de la glose et, corrélativement, l’invention par les mots et les noms, d’une nature qui n’existe pas : la science ornithologique menace de devenir une science non référentielle qui se préoccupe de mots plutôt que d’oiseaux.

Ce danger pourrait guetter aussi les tenants des taxinomies qui ne manquent pas d’ailleurs de s’accuser les uns les autres (en témoigne la controverse Temminck/Vieillot) d’user de dénominations arbitraires et mal imaginées, nées de jeux sur les mots davantage que de la volonté de représenter les oiseaux ou de permettre au lecteur de les distinguer.

La solution défendue par les auteurs de manuels d’ornithologie pour défendre la nécessité de leur propre taxinomie, tout au long du XIXe siècle, peut être savante autant que littéraire : tout se passe comme si les manuels, les « ornithologies » ou les compléments à l’histoire naturelle poursuivaient le débat tout au long du siècle sans se soucier de l’adoption de la nomenclature linnéenne ou de la méthode naturelle de Georges Cuvier. Certains proposeront l’adoption d’une nomenclature particulière en plaidant pour l’efficacité des critères retenus par eux pour bâtir cette classification ; d’autres chercheront dans les noms eux-mêmes et dans leur étymologie la justification de leur nomenclature ; d’autres encore feront profession de ne pas adopter les nomenclatures savantes afin de mieux permettre aux lecteurs et amateurs d’identifier les oiseaux. Dans certains cas, le nom est justifié par l’observation ou l’expérimentation (par les critères retenus), dans d’autres, il est justifié par son rapport « naturel » aux objets qu’il désigne ; dans d’autres, il est justifié par l’histoire et l’étymologie. Et dans tous les cas, l’ornithologie s’intéresse aux processus de dénomination, au rapport du langage à son référent, rejouant le débat entre cratylisme et nominalisme.

En 1838, dans les compléments à l’histoire naturelle de Buffon, Lesson ne se contente pas, comme le faisaient déjà Aldrovande et Belon, puis Buffon, de mêler à la description des espèces de volatiles tout ce qui a été écrit sur chacun d’eux ; il ajoute aux descriptions savantes des descriptions littéraires et commente les dénominations littéraires et poétiques, autant que vulgaires, pour justifier le nom savant adopté. Le nom d’usage des « oiseaux-

25 Ibid., p. ix.

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mouches » fait ainsi l’objet d’un commentaire très long qui aboutit à la nécessité de renoncer à ce nom et le commentaire s’ouvre par un « morceau littéraire » : « Parmi les morceaux littéraires qui sont relatifs aux oiseaux-mouches du Brésil, nous citerons de préférence un extrait emprunté à notre ami Ferdinand Denis. Il est tiré de ses Scènes de la nature entre les tropiques. « Le papillon, chez les Grecs, était, dit ce jeune voyageur, l’emblème de l’âme ; on ne sera donc point surpris de voir que le plus léger et le plus charmant des oiseaux ait renouvelé la même croyance chez des peuples brésiliens. Combien de fois n’ai-je point admiré les gracieux oiseaux-mouches sur les aigrettes blanches des jemrosa ! s’ils passent d’un arbre à l’autre, le regard a moins de rapidité »26 : le nom de l’espèce dérive donc moins de ses particularités que des croyances ; il a valeur symbolique et métaphorique.

Suit la liste des noms que reçurent les oiseaux-mouches de la part des Indiens comme des Européens qui « varient suivant le génie de chaque peuple ». Et parmi ces noms figurent notamment ceux que donnèrent les Indiens, « hommes livrés toute leur vie aux observations instinctives, dont les idées de poésie sont les images des objets qui frappent leur yeux » et « qui ont adopté des noms qui signifient le plus souvent et par métaphores » : « rayons du soleil, cheveux de l’astre du jour, oiseaux-murmures ». Après les noms métaphoriques viennent les noms construits par analogie, dont les Espagnols et les Français sont les champions : leurs dénominations sont liées à la petitesse de la taille de l’oiseau. Mais les progrès des observations qui ont abouti à la découverte de grands oiseaux-mouches rendent cette dénomination absurde : « ce nom hybride d’oiseau-mouche doit disparaître du langage ; car non seulement il emporte avec lui une idée fausse, mais encore il ne peut être compris des étrangers ».

La solution consiste à chercher dans les racines grecs un nom nouveau : « Ce sont ces motifs qui nous ont porté à le travestir en ornismye, mot tiré du grec, et signifiant également oiseau-mouche, mais sans valeur comparative dans l’usage, et par suite préférable »27. Il s’agit donc, pour le savant, d’éviter les noms poétiques (métaphoriques et comparatifs) pour inventer de nouveaux noms, aux racines « savantes » qu’on puisse dégager des noms d’usage et du vocabulaire commun : inventer donc des noms qui ne signifient rien pour les amateurs d’oiseaux.

D’autres ornithologues tentent de réconcilier les noms poétiques et les noms d’usage en inventant, s’il le faut, des étymologies fallacieuses aux noms d’usage afin de montrer qu’ils reflètent « naturellement » les caractéristiques de l’oiseau. C’est ainsi qu’en 1857, l’abbé Michel-Honoré Vincelot, dont Les Noms d’oiseaux expliqués par leurs mœurs ou essais étymologiques sur l’ornithologie connaîtront plusieurs rééditions fait de l’observation ornithologique le moyen de prouver le caractère « naturel » des noms savants et vulgaires des oiseaux en recréant, grâce aux mœurs des volatiles, la racine de leurs noms et en montrant alors comment les noms vulgaires ou savants ont pu dériver de lectures possibles de ces racines. Dès l’orée de son ouvrage, il s’adresse aux membres de la société linnéenne de Maine-et-Loire pour en justifier la visée et pour rappeler que, si son livre est supposé être un complément à la faune de Maine-et-Loire, il entend bien y faire œuvre de savant et d’ornithologue et sans nier la visée religieuse d’un tel ouvrage : « Dans mes études sur l’ornithologie, j’ai été souvent arrêté par certaines dénominations données aux oiseaux, dénominations qui me paraissaient plus ou moins obscures ; aussi ai-je pensé qu’un travail dont le but tendrait à démontrer que ces mots, vulgaires ou savants, sont fondés sur quelques particularités des mœurs ou du plumage des oiseaux, ne serait dénué ni d’intérêt, ni d’utilité. Ces notes pourraient même contribuer à rendre les éléments de cette science plus faciles et moins arides, en associant à chacun de ces noms des notions propres à caractériser les

26 René-Primevère Lesson, Compléments de Buffon, Paris, P. Pourrat Frères, 1838, p. 546.27 Ibid., p. 547.

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oiseaux, et à montrer aussi l’action de la Providence là où les naturalistes ne voient trop souvent que bizarrerie ou caprice »28.

Il s’agit donc de résoudre la difficulté de la variété des dénominations savantes en justifiant la vérité savante de ces noms par le recours à l’étymologie ; montrer en quelque sorte que des noms savants peuvent être « naturels » et, en tant que tels, demeurer comme les seuls admissibles. L’abbé Vincelot sait d’ailleurs qu’on peut aisément contester les présupposés de son travail et qu’il n’est pas évident d’admettre que les noms des oiseaux reflètent systématiquement leurs habitudes ou leurs caractères extérieurs. Il revient sur ce reproche en préface au lecteur et le balaie d’un revers de la main en s’étonnant avec une certaine mauvaise foi qu’on puisse supposer que des savants aient inventé des noms « sans signification »29 et que surtout ces noms soient ensuite admis par des éminents ornithologues : si ces noms sont sans « signification », c’est donc qu’ils ont été « dénaturés » et qu’il faut en retrouver la forme primitive, nécessairement signifiante ; l’idée de transformation s’applique ici non plus aux oiseaux mais à leurs noms qu’il s’agit de remotiver en dessinant des étymologies parfois fallacieuses.

De sa méthode, Vincelot donne ensuite un exemple en préface en s’intéressant au bruant et à son nom savant de « cirlus ». Non seulement il justifie le nom savant par l’étymologie mais il montre comment les caractéristiques indiquées par sa source étymologiques expliquent ensuite les noms populaires : le nom savant n’est donc pas un nom qui se surajoute à d’autres pour les remplacer ; il est en quelque sorte une langue « naturelle » dont découlent des noms d’usage. Et une recherche sur les noms seuls permet de reconstituer une taxinomie naturelle ; l’ornithologie, subordonnée aux recherches étymologiques, est une science des mots :

« Dans le procès qu’on m’intente, je pourrais invoquer comme témoin à décharge le mot cirlus, employé pour désigner le bruant. Cette dénomination, que l’on soutenait être vide de sens, ne se trouve dans aucun dictionnaire, et cependant elle représente une idée juste et détermine, d’une manière précise, l’oiseau dont il s’agit. Le mot cirius, comme beaucoup d’autres, s’est modifié en traversant les siècles. Pour revenir au point de départ, je me suis appliqué à étudier avec une attention soutenue les mœurs du bruant, et j’ai cherché à trouver en observant les habitudes de cet oiseau, le fil qui devait me conduire dans le dédale de mes investigations […].

Cirlus me semble venir naturellement de killouros, cilhtrus, d’où, par transposition historique, on obtient cirrulus, et par abréviation cirlus. Or killouros a pour racine kellô, « se mouvoir », et aura « queue », expressions qui représentent exactement l’une des habitudes du bruant. Cet oiseau se tient très souvent à l’extrémité des branches des haies ou des arbres, sur le bord des routes, et il doit à cette position un mouvement presque continuel qui le fait ressembler au hoche-queue »30. L’abbé ajoute encore que de kellô dérive killos « âne, bourrique » et qu’en italien le bruant est dit « matto » et l’étymologie et ses dérivés se trouve une fois de plus justifiée parce qu’elle coïncide parfaitement avec un oiseau dont l’air est « niais et stupide » et dont le cri rauque évoque le braiement d’un âne (d’où les noms vulgaires de crécelles ou de bréant…).

Vincelot n’est pas le seul à justifier le nom par les caractéristiques extérieurs et, d’une certaine manière, à réconcilier l’usage commun qu’on peut faire des noms des oiseaux et les dénominations savantes ; il arrive aussi que les ornithologues se livrent à des opérations de dénominations et en profitent pour justifier, par les descriptions externes des volatiles, les comparaisons populaires des espèces et de l’homme : dans son manuel d’ornithologie en 1828, Lesson, s’inspirant le plus souvent de Levaillant, montre comment les noms d’oiseaux

28 Michel-Honoré Vincelot, Les Noms d’oiseaux expliqués par leurs mœurs ou essais étymologiques sur l’ornithologie, Angers, Lachèse, Belluvre et Dolbeau, 1857, p. 8.29 Ibid., p. 4.30 Ibid., p. 8.

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peuvent refléter des analogies entre les espèces ou expliquer les circonstances de la découverte en prenant la forme du nom du naturaliste (il a lui-même baptisé une colombe du nom de son épouse) et justifie au passage l’usage populaire des « noms d’oiseaux ». Traitant de la « bécasse », Lesson précise que selon M. Cuvier (Règne animal, T. I, p. 486) : « un caractère particulier à ces oiseaux est d’avoir la tête comprimée et de gros yeux placés fort en arrière, ce qui leur donne un air singulièrement stupide et qu’ils ne démentent point par leurs mœurs »31 : l’ouvrage savant fait ainsi place au vocabulaire commun et au bon sens populaire en en justifiant la pertinence savante ; tout se passe comme si ces comparaisons communes devançaient la classification savante qui, en retour, justifie les parallèles qu’on peut faire entre les habitudes des oiseaux et celles des hommes.

Les ornithologies locales et manuels d’ornithologie, tout au long du XIXe siècle, diffusent et promulguent l’idée que la taxinomie savante des oiseaux n’est pas figée et se saisissent de ce constat pour devenir de formidables laboratoires d’invention de noms qui ne coïncident pas toujours avec des espèces, voire de réflexions linguistiques sur le rapport entre signifié et signifiant.

Les oiseaux étaient sans doute prédestinés, par nature, à devenir les prétextes à la recherche d’un langage originel et naturel, d’une langue qui reflétât directement les objets qu’elle désigne et qui lui ressemble. En témoignent les analyses du chant des oiseaux et des noms qui reflètent ces chants, dès les années 1760. En 1767 exactement, M. Salerne donnait une traduction du Synopsis avium de Ray qu’il augmentait de nombreuses descriptions, empruntées aux ornithologues anciens et aux voyageurs modernes (complément et réécriture). Chaque description se concluait par une table de concordance des noms d’usage de différents pays et des noms savants. En introduction, Salerne revenait sur les étymologies des noms français, en ajoutant « qu’il y a bon nombre de mots dont il est comme impossible de découvrir l’origine », « l’art des étymologies étant l’art des conjectures »32. Puis il passait à l’exposition « des différents cris » en livrant là une étrange énumération :

« L’Aigle et la Grue glapissent ou trompettent ; la Cigogne craquette ou claquette, de même que le Torcol et le Traquet ; le Pélican brait comme un Ane ; le Cygne et l’Oie en colère sifflent comme un Serpent, et le Jars jargonne ; le Paon braille ou craille ; le Coq-d’Inde glougloute ou glouglote, et semble aboyer ; la Poule d’Inde et le Poulet piaulent ; le Coq caquette ou coquette, et chante coquelicais ou coquericot ; la Poule closse ou glousse quand elle a des petits, et dit cocodaste quand elle a pondu ; la Perdrix cacabe ; la caille chante courcalihat, courcaillet, caracaillet ou carcaillot ; le Canard cajole, et la Cane cancane ; la Poule d’Eau et la Canepetiere pettent ; le Chat-Huant hue ; la Fresaie crisse ou frissonne ; la Chouette dit toutou, gout ou gouayon ; le Pigeon et le Crapaud-volant rocoulent ou roucoulent ; la Tourterelle gémit ; le Geai graille ; le Merle, la Grive dite Mauvis, le Rossignol et le Serin chantent mélodieusement au printemps, et l’hiver ils gringottent ; la Pie agasse, le Corbeau et les Corneilles croassent ; le Coucou, les Courlis, le Loriot, la Puput, le Tire-Arrache, les Vitrecs, l’Alouette dite Cugelier, le Francolin et le tarin, s’appellent par leur nom ; le Pinçon, le Rossignol de murailles et le Roitelet dit Chanteur, repetent lui, huit ou tuit ; le Sansonnet, le Torchepot, le Bouvreuil et la Linotte, sifflent comme l’Homme ; le Verdier dit titi ou zizi ; la Hochequeue curu, ou quiri ; la grosse Mésange quiquicu ou fils de Dieu ; le Guêpier grulgruru, ou urubul ; le Pluvier huithuit ; le Vanneau dixhuit ; l’Alouette tirelire et adieu Dieu ; le Piverd pluplui, ou pleupleu ; les Grives grigri ; le Moineau guilleri, ou pilleri ; l’Hirondelle commune gazouille ; le Perroquet parle comme l’Homme ; le Bruant

31 René-Primevère Lesson, Manuel d’ornithologie ou description des genres et des principales espèces d’oiseaux, Paris, Roret, 1828, t. II, p. 268-269.32 François Salerne, Histoire naturelle éclaicie dans une de ses parties, l’ornithologie, Paris, Debure père, 1767, p. 1-2.

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hennit, le Râle de Genêt coaxe comme une grenouille, la Gorge-rouge rossignole ; le Chardonneret sifflote ; les Mouettes criaillent ; les petites Mésanges tintent ; le Roitelet crêté imite le cri de la Sauterelle ; la Barge et la Bécassine chevrotent ; le Butor mugit, ou beugle comme un Taureau ; la Pie-Griesche contrefait le cri des petits Oiseaux »33.

Saverne concluait cependant que s’il se trouvait « du vrai dans plusieurs de ces sortes de dénominations, il fa[llait] convenir qu’il y a[vait] là bien souvent de l’imagination » : « C’est ainsi qu’en Orléanais le Pinçon est nommé Riche-Prieur, parce qu’on lui fait dire : Qu’est-ce qui veut venir à Saint Symphorien ? » C’est ainsi qu’on s’imagine que la grosse Mésange dit, Comme il te fait fais lui, ou fils de Dieu. Les Solognots prétendent que la grosse Mésange dit, Que de petits, et que la petite Mésange bleue lui répond, tout drus ; la Puput mâle, Boute boute, et la femelle, Fi qui put ; la Caille, Paye tes dettes ; le Rossignol de muraille, Huit clos ; que l’Alouette commune bénit et prie Dieu en montant, et qu’elle maudit et jure en descendant. C’est ainsi que des Paysans effrénés ont inventé, d’après le chant du Rossignol franc et du Rossignol de Rivière, nommé ici Tire-arrache, des Chansons obscènes qu’il n’est pas permis de répéter. En un mot il en est du chant des Oiseaux, comme du son des Cloches, auxquelles on fait dire tout ce qu’on veut »34. Voilà donc rejetée du côté de la fable l’idée d’une dénomination naturelle des oiseaux comme aussi le parallèle fondateur entre le langage des oiseaux et celui de l’homme qui voudrait voir en l’oiseau un modèle politique ou moral. Mais ce constat n’empêche pas qu’un siècle plus tard encore, les vulgarisateurs savants ou les ornithologues ne relevant pas des institutions savantes, interrogent encore l’origine naturelle des dénominations vulgaires ; ils proposent même des articulations variées du rapport entre le « nom » et son référent, allant du reflet des mœurs de l’espèce à l’arbitraire et à l’imagination, rejoignant en la matière les recherches des poètes contemporains.

Poètes-ornithologuesLe parallèle entre l’homme et l’oiseau n’est pas nouveau et repose en partie sur la

capacité qu’a l’oiseau de chanter. Et souvent les savants ornithologues, à partir des années 1780, vont lier directement le caractère savant de leur ouvrage à la position qu’ils adoptent face à ce parallèle. Dès 1784, dans l’article « Perroquet » rédigé par Mauduyt de la Varenne de l’Encyclopédie méthodique, le parallèle entre l’homme et l’oiseau est rappelé et mis au compte de Buffon, présenté quasiment comme un cliché : « les perroquets n’ont donc au-dessus des autres animaux que de jouir d’une organisation plus analogue à la nôtre relativement aux organes de l’ouie et de la parole […]. Je ne m’étendrai pas davantage sur ces propositions dont le lecteur trouvera les preuves détaillées dans l’ouvrage de M. le comte de Buffon, à la tête de l’histoire des perroquets, édit. In-12, tom. XI, pag. 90 et suiv. Morceau plein de savoir et de philosophie, dans lequel l’auteur en faisant l’histoire du perroquet, en rappelant celle du singe, éclaire l’homme sur ses propres prérogatives et lui découvre l’espace qui est resté vide entre lui et les animaux »35. Les termes usités sont fort intéressants : le « morceau » est l’œuvre d’un écrivain plus que d’un savant et, sous la plume de certains ornithologues-voyageurs notamment, la présence systématique de comparaisons entre les mœurs des hommes et ceux des oiseaux semble la marque de la trop grande littérarité d’un ouvrage dont on loue les qualités poétiques pour mieux l’exclure du domaine de la science.

S’ébauche là apparemment, à l’orée du XIXe siècle, une séparation entre une ornithologie littéraire (destinée à charmer par le style et ne répugnant guère aux comparaisons pour mieux tendre un miroir à son lecteur) et une ornithologie savante renonçant aux

33 Ibid., p. 3.34 Ibid., p. 4.35 Pierre-Jean-Claude Mauduyt de la Varenne, « Perroquet », Histoire naturelle, in Encyclopédie méthodique ou par ordre de matières, par une société de gens de lettres, de savans et d’artistes, Paris, Panckoucke, 1784, t. II, p. 324 t. II, p. 324.

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comparaisons, traitant de l’oiseau pour l’oiseau en quelque sorte. Parmi les tenants de cette ornithologie « littéraire » figureraient aisément les romans didactiques bien plus tardifs, qui empruntent au discours savant et prétendent diffuser auprès des jeunes lecteurs l’idée du parallèle entre l’oiseau et l’homme. Traduisant Les Exilés dans la forêt de l’américain Thomas Mayne-Reid pour la bibliothèque rose illustrée de Hachette, en 1863, Henriette Loreau intervient dans les notes pour commenter les nombreuses descriptions naturalistes et ornithologiques du romancier et, souvent, pour en contester la pertinence, en des termes qui souvent développent l’analogie entre l’homme et l’oiseau :

« Nous pensons que le huarahua du vaquero pourrait bien être un milvago polyboriné, qui fréquente les plaines et les montagnes, fait généralement son nid dans les anfractuosités du roc et vit effectivement de charogne, de larves et d’insectes […].Le polybore, type du groupe et dont le nom signifie mangeant de tout, ne vit pas exclusivement de charogne, comme l’affirme le bon vaquero. Il est bien vrai qu’il en mange et qu’il n’attaquerait pas le plus petit des moineaux ; mais il vole à sa mère le poussin à peine couvert de plumes et l’agneau qui vient de naître ; il attaque les reptiles et dévore beaucoup de serpents et poursuit, associé avec ses pareils, le catharte urubu, qu’il fait dégorger pour s’emparer de la proie vomie par ce dernier, mais en revanche, s’il est menaçant avec ce lâche, il n’en est pas moins lâche à son tour avec les braves, et s’enfuit devant les gobe-mouches qui le harcèlent. Quant à être un faucon, il n’en faut rien croire, en dépit de ceux qui disent le contraire ; le faucon est un oiseau de grand cœur, au bec acéré, dentelé […] qui chasse avec plus de délices qu’il ne mange et que la lutte passionne, au point qu’il a mis au service de l’homme ses qualités et son courage, sans autre intérêt que l’amour de la bonne cause »36.

Deux ans plus tard, la traductrice-ornithologue raille la taxinomie sous le prétexte d’une remarque du narrateur des Vacances des jeunes boërs en 1865 pour commenter l’absurdité des noms d’oiseaux : « Cette phrase complémentaire, qui paraît empruntée au chantre de M. de La Palisse, est moins naïve qu’on pourrait le croire tout d’abord ; dès qu’il existe dans le vocabulaire ornithologique une foule de becs-croisés à bec droit et un rouge-gorge à gorge bleue, il n’est pas superflu de dire que le bec-rouge n’a pas pas le bec noir ou violet »37. La préférence accordée aux mœurs et aux habitudes des oiseaux plutôt qu’à la classification et à la taxinomie est souvent l’une des revendications inaugurales des ouvrages des « faunistes » ou des ouvrages ornithologiques consacrés à des faunes locales. Elle est récurrente sous la prose aussi bien de John James Audubon, d’Alexander Wilson et de Charles Lucian Bonaparte qui continue en 1831 l’œuvre de Wilson.

Si on ajoute à ces noms ceux de Levaillant et de Toussenel, une nouvelle généalogie se constitue qui, tout en instituant un corpus d’œuvres savantes fondatrices (en tout cas de l’ornithologie américaine), préside à une justification savante de la comparaison de l’oiseau et de l’homme. Et le parallèle semble bien, à différents degrés, présider à la forme des ouvrages savants qui, chacun à leur manière, l’illustre en retour et la fonde, engageant là une nouvelle articulation entre science et poésie. De l’idée selon laquelle présenter les mœurs et les habitudes des oiseaux revient à les présenter à travers une grille de lecture humaine, on dérive vers celle que l’oiseau est un homme ou un poète et que l’ornithologue-poète, devenu un objet d’observation au même titre que les oiseaux, doit faire en sorte de parler la langue des oiseaux.

En 1831, John James Audubon entreprend la publication en volumes de son Ornithological Biography, or An Account of the habits of the birds of the United States of America: accompanied by descriptions of the objects represented in the work entitled The

36 Thomas Mayne-Reid, Les Exilés dans la forêt, trad. fr. Henriette Loreau, Paris, Hachette, 1863, p. 40-41.37 Thomas Mayne-Reid, Les Vacances des jeunes boërs, trad. fr. Henriette Loreau, Paris, Hachette, 1865, p. 335.

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birds of America, and interspersed with delineations of American scenery and manners. Dès la préface, l’auteur suggère que son travail savant n’est pas celui d’un tenant de la méthode : « I do not present to you the objects of which my work consists, in the order adopted by the systematic writers. Indeed, I scarcely believe that yourself, reader could wish that”38. Il y a là, d’emblée, l’affirmation d’une rupture avec certains ouvrages savants, au nom de l’horizon d’attente du lecteur. Mais la rupture ne s’arrête pas là.

Le titre est en soi révélateur d’une forme très particulière, glissant de la biographie de l’auteur au synopsis ornithologique puis à une étude de mœurs. La préface revient sur l’importance de la description, sur la découverte d’espèces nouvelles et explique le goût de l’étude des oiseaux par une attirance précoce pour les oiseaux : « None but aërial companions suited my fancy »39 : l’imagination précède l’étude et la justifie.

En même temps que les habitudes des oiseaux qui constituent la plus grande part du livre, il s’agit d’étudier l’ornithologue lui-même et les habitudes des hommes qui peuplent les mêmes contrées que les volatiles. Le parallèle dicte au livre entier sa forme et sa structure. Les chapitres ornithologiques, construits sur un même schéma procédant en général de l’énumération des principaux traits extérieurs de l’espèce pour déboucher sur le récit de ses « habitudes » et, parfois, sur des récits de chasse sont interrompus par des digressions étonnantes consacrées parfois à des plantes, parfois à des félins, parfois à une région, parfois encore à des villes ou à des personnages particuliers.

Deux de ces « écarts » valent mises en abyme : l’un s’intitule « The Original Painter » et l’autre « The Eccentric Naturalist » : ces deux portraits, mi-réels mi-imaginaires, sont deux morceaux de bravoure qui encadrent la description d’espèces ornithologiques par le savant. Le peintre est un chasseur et un peintre spécialisé dans la représentation des oiseaux qui considère que le savoir des savants est insignifiant (et l’on se souvient de la défense par Audubon dans son adresse au lecteur de ses propres peintures, dites à tort « exagérées »). Le naturaliste (« M. de T. ») confond ce qui est inconnu avec ce qui ne l’est pas, n’aime guère parcourir les terrains difficiles à la recherche des espèces rares et devient le héros d’une histoire franchement comique dont l’ornithologue, manifestement, se moque comme il se moquerait sans doute du savant en cabinet. Dans les deux cas, l’ornithologue met en scène une certaine pratique de l’ornithologie et se désigne lui-même comme un objet d’observation, au même titre que les oiseaux40.

L’American Ornithology or the Natural History of the Birds of the United States composé par Alexander Wilson et continué en 1831 par Charles Lucian Bonaparte mêle également la biographie de Wilson à la description ornithologique des espèces. L’auteur des « Memoirs of Alexander Wilson », après avoir rappelé sa double carrière de poète et de savant ornithologue, rappelle le succès de l’élégant ouvrage qui fit comprendre que la jeune Amérique pouvait produire, comme la vieille Europe, des ouvrages de science : « No one appeared to entertain an adequate idea of the treat which was about to be afforded to the lovers of the fine arts of elegant literature : and when the superb volum was presented to the public, their delight was equalled only by their atonishment that America, as yet in its infancy, 38 John James Audubon, Ornithological Biography, or An Account of the habits of the birds of the United States of America: accompanied by descriptions of the objects represented in the work entitled The birds of America, and interspersed with delineations of American scenery and manners, Edinburgh, Charles and Adam Black, 1831, p. xix.39 John James Audubon, Ornithological Biography, or An Account of the habits of the birds of the United States of America: accompanied by descriptions of the objects represented in the work entitled The birds of America, and interspersed with delineations of American scenery and manners, Edinburgh, Charles and Adam Black, 1838, t. IV, p. vi.40 Cf. resp., John James Audubon, Ornithological Biography, or An Account of the habits of the birds of the United States of America: accompanied by descriptions of the objects represented in the work entitled The birds of America, and interspersed with delineations of American scenery and manners, op. cit. , 1831, p. 410 et p. 455. Ajoutons qu’il est fort probable aussi que le portrait du naturaliste soit un portrait à clef.

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should produce an original work in science, which could vie in its essentials with the proudest productions of a similar nature of the European world”41. Comme Audubon, Wilson, dans sa préface insiste sur la préférence qu’il a accordée aux figures et aux caractères plutôt qu’à la classification et Charles Lucian Bonaparte met en exergue la beauté de certaines descriptions et sur le style, évoquant “The Mocking Bird” ou “The Bald Eagle”42.

Dans L’Oiseau, en 1856, Michelet s’inscrit dans la lignée de Levaillant et des ornithologues américains dont il semble retenir la nécessité de proposer, pour traiter de l’oiseau de manière savante, une forme poétique originale engageant des rapports très particuliers non seulement entre le savant et l’oiseau mais aussi entre la science et la littérature. Le nom de Wilson survient au moment d’évoquer l’oiseau comme modèle politique ; Michelet traite alors des « héronnières de Wilson »43 et les commente en disant sa méfiance vis-à-vis des classifications : « Dieu ne s’informe pas, je pense, de nos classifications ; il crée tel être, s’inquiète peu des lignes imaginaires dont nous isolons les espèces. De même, Wilson ne connaît pas d’oiseaux en général, mais tel individu, de tel âge, de telle plume, dans telles circonstances […]. J’ai connu un pivert […]. Quand il s’exprime ainsi, vous pouvez vous fier à lui ; c’est qu’il a été avec eux en relation suivie, dans une sorte d’amitié et d’intimité de famille. […] Il est bien entendu facile de deviner que quand cet homme-oiseau revint parmi les hommes, il ne trouva personne pour l’entendre »44.

Il s’agit moins, pour Michelet, de filer l’analogie entre la société et le caractère des oiseaux et ceux des hommes, lui qui explique à l’orée de son livre avoir abandonné l’Histoire pour la Nature et y voit une rupture, que de défendre l’idée de la nécessité de se faire oiseau pour parler des oiseaux. La métaphore ou le symbole est pris ici au sens littéral.

Aussi son ouvrage se distinguera-t-il d’emblée de L’Esprit des bêtes, publié en 1853 par le phalanstérien Toussenel auquel cependant Michelet rend hommage. Il s’en différenciera à la fois par une interprétation propre du parallèle de Buffon entre l’homme et l’oiseau et par un usage particulier également de la référence aux œuvres littéraires et artistiques. Car Toussenel lui aussi interroge le rapport entre l’oiseau et l’homme et reproche à Buffon de l’avoir traduit dans ses écrits par une étrange sympathie, par un « attendrissement irréfléchi » qui aboutit à « doter les créatures ailées de maux imaginaires » en usant du style et de l’éloquence45. L’« ornithologie passionnelle » défendue par Alphonse Toussenel va beaucoup plus loin : il ne s’agit pas de peindre l’oiseau en projetant sur lui des sentiments humains mais de faire de l’oiseau le symbole de l’homme : « Mais ce livre n’en est pas moins pour cela un traité complet d’ornithologie passionnelle, c’est-à-dire un traité dans lequel sont consignées avec une fidélité scrupuleuse toutes les observations relatives aux mœurs et aux coutumes des oiseaux de France, sans compter une multitude de détails analogiques inédits. Seulement le monde des oiseaux n’en est que le sujet accessoire, tandis que le monde des hommes en est le sujet principal »46.

Les écrits des savants et des poètes sont sous sa plume autant de preuves de l’harmonie universelle qui lie les volatiles aux êtres humains et font des premiers les archétypes des seconds. George Sand montre par ses romans, dont les héroïnes sont des femmes, que les créatures privilégiées que sont les oiseaux nouent de préférence des liens avec les êtres supérieurs et divins que sont les femmes qu’avec les hommes47. Les fabulistes et les savants 41 Alexander Wilson, American Ornithology, Edinburgh, Robert Jameson, 1831, vol. I, p. xlvii.42 Ibid., p. lxxv.43 Jules Michelet, L’Oiseau, Paris, Hachette, 1856, p. 72.44 Ibid.45 Alphonse Toussenel, « Errata », in L’Esprit des bêtes. Le monde des oiseaux. Ornithologie passionnelle, Paris, Librairie Phalanstérienne, 1853. 46 Ibid., p. 2.47 Ibid., p. 62.

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n’ont, sur la fourmi, donné que de fausses informations qu’il s’agit de réfuter : « La fourmi a été longtemps calomniée par les fabulistes ignorants et par les historiens perroquets pour qu’un écrivain courageux croie enfin l’heure venue de prendre sa défense et de lui restituer ses mérites »48. Enfin, Hernani de Hugo, se voit doter de visées ornithologiques, car Don Ruy Gomez de Sylva n’a rien compris aux oiseaux et donc, à l’amour : « Non seulement chaque nouvelle mue apporte un nouveau lustre au costume de l’oiseau, mais les vieux, dans toutes les espèces, muent beaucoup plus tôt que les jeunes, c’est-à-dire sont encore plus affolés de parure, ce qui est cause que Ruy Gomez de Sylva commet une faute d’ornithologie effroyable lorsqu’il dit à Dona Sol, pour la mettre en défiance contre l’amour des jeunes hommes : …Tous ces jeunes oiseaux/A l’aile vive et peinte, au langoureux ramage/Ont un amour qui mue ainsi que leur plumage »49. Ainsi la comparaison littéraire est-elle prise au sens littéral et s’inscrit dans le domaine des erreurs savantes.

Certes l’ornithologie passionnelle de Toussenel n’incarne pas le progrès de la science ornithologique en France dans les années 1850, mais elle constitue une incarnation possible la manière dont l’oiseau, emblème poétique et métaphorique, entraîne un certain nombre de recherches formelles dans les traités qui en traitent et qui, à leur manière, prétendent à la science. Dans cette perspective, L’Esprit des bêtes illustre la manière dont la « science » réinvestit l’oiseau de sens métaphoriques et figurés, et la confusion, pour mieux rendre compte de cet objet symbolique, entre discours littéraire et discours savant qui ont même visée à dire la vérité.

D’autres ouvrages, plus « sérieux » en apparence, ont pu sembler suivre la voie d’une ornithologie poétique où le savant doit se faire l’équivalent de l’oiseau qui, lui-même, est l’analogue, par son chant, du poète. La réunion du discours scientifique et du discours littéraire ne passe plus, cette fois, par l’analogie entre l’oiseau et l’homme, ni même par le parallèle. Plus exactement, le discours savant sur l’oiseau doit se faire l’équivalent du discours de l’oiseau, de son chant et, pour ce faire, suivre l’exemple du chant poétique, seule traduction possible de l’objet étudié. Le livre ornithologique mime par sa forme même l’animal dont il traite : l’écart entre le discours et son objet serait dans une telle perspective totalement annihilé et le propos nécessairement vrai (si l’on mesure la vérité savante à l’aune de la conformité de l’objet décrit et de la description). Tel est l’idéal poursuivi par L’Oiseau de Jules Michelet qui part de nouveau d’un commentaire et d’une réappropriation nouvelle du parallèle fondateur et prend immédiatement position contre L’Esprit des bêtes : « Toutefois, le livre qu’on va lire part d’un point de vue différent de celui de l’illustre maître. Point de vue, nullement contraire, mais symétriquement opposé. Celui-ci, autant que possible, ne cherchant que l’oiseau dans l’oiseau, évite l’analogie humaine »50.

Il faut donc non pas chercher ce qui dans l’oiseau ressemble à l’homme, non pas projeter sur l’oiseau des caractères humains mais se faire oiseau pour parler de l’oiseau et lui emprunter même sa voix. Très curieusement, Michelet file dans sa préface, intitulée en hommage à Wilson et à Audubon « Comment l’auteur fut conduit à l’étude de la Nature », la métaphore de l’incubation : son œuvre même est l’œuf d’un oiseau, surgie après une longue période d’ « incubation »51. Et comme l’oiseau est poète, l’auteur qui se veut oiseau doit se faire poète pour parler le même langage que lui : « Mais la haute lumière de vie, l’art dans sa première étincelle n’apparaît qu’en les plus petits. Aux petits oiseaux sans éclat, d’une robe modeste et sombre, l’art commence, et sur certains points, monte plus haut que la sphère de

48 Ibid.49 Ibid., p. 138.50Jules Michelet, L’Oiseau, op. cit., p. viii.51 Ibid.

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l’homme. Loin d’égaler le rossignol, on n’a pu encore le noter, ni même se rendre compte de sa chanson sublime. Donc l’aigle est détrôné ici, le rossignol intronisé »52.

Cette nouvelle analogie du chant de l’oiseau à l’écriture entraîne une double caractéristique formelle : l’ouvrage de Michelet abonde en extraits de poèmes qui viennent souvent clore les chapitres, tels la citation de Goethe qui ouvre le chapitre consacré à « La lumière, la nuit », la référence à Aristophane qui, au même titre que les héronnières d’Audubon, vaut description savante, les références à Virgile, dans la traduction de Delille qui décrivent les augures53. Mais Michelet ne s’arrête pas là, faisant parler les oiseaux dans le chapitre consacré aux « Rivages » ou entreprenant de traduire en vers leur chant dans le chapitre consacré au « Chant » ou dans celui consacré au « Rossignol, l’Art et l’infini ». Michelet, dans le premier de ces chapitres, rappelle l’indignation de Toussenel, « qu’aucun poète n’ait chanté le rouge-gorge » et, après avoir ajouté que « l’oiseau même est son poète » propose une transcription en vers de ce chant, confiée à une femme : « Je suis le compagnon/Du pauvre bûcheron/Je le suis en automne,/Au vent des premiers froids,/Et c’est moi qui lui donne/Le dernier chant des bois »54.

Abordant le chanteur et le poète sublime qu’est le « Rossignol », Michelet raconte une anecdote selon laquelle il aurait observé un pauvre rossignol dans un marché aux oiseaux, dont il a immédiatement compris le chant qu’il transcrit aussitôt : « Son cœur chantait le chant muet que j’entendais parfaitement. Lascia che io pianga/La libertà… »55. Les paroles de l’aria de Rinaldo de Händel sont donc seules la transcription poétique idéale du chant de l’oiseau.

L’oiseau est l’artiste, comme le savant lui-même et Michelet entreprend même une classification des oiseaux par genre poétique, reprenant les trois temps et les trois modes hugoliens : « L’alouette a le génie lyrique, le rossignol a l’épopée, le drame, le combat intérieur : de là une lueur à part »56. Et l’auteur qui traite des oiseaux doit inventer un manuel qui marie les différents modes, comme son objet lui-même. C’est cette part d’invention formelle qui dit l’absolue coïncidence de la forme et de l’objet (tel qu’il est bien sûr défini a priori) qui est pour Michelet la garantie de l’exactitude savante (même dans un manuel, que l’historien regrette deux ans plus tard, dans sa préface à L’Insecte : « Ce qui pourtant me fait regretter le petit monde de l’oiseau, de ce charmant compagnon qui me porta sur ses ailes, ce ne sont pas ses concerts, ce n’est même pas le spectacle de sa vie légère et sublime. Mais c’est qu’il m’avait compris !

Nous nous entendions, nous aimions, et nous échangions nos langages. Je parlais pour lui, il chantait pour moi.

Tombé du ciel à l’entrée du sombre royaume, en présence du mystérieux et muet fils de la nuit, quel langage vais-je inventer, quels signes d’intelligence, et comment m’ingénier pour trouver moyen d’arriver à lui ? Ma voix, mes gestes, n’agissent sur lui qu’en le faisant fuir »57.

Le domaine de l’ornithologie est sans aucun doute exemplaire de la manière dont un discours savant a pu s’arracher à la « littérature » sans cependant laisser indemne la sphère dont il se séparait. Il montre à la fois que des polémiques savantes, participant à l’émergence d’une discipline autonome, ont pu trouver des solutions dans des pratiques et des formes littéraires et que les problèmes auxquels se heurtaient les tenants de la science contribuaient à

52 Ibid., p. lvi.53 Ibid., p. 195.54 Ibid., p. 203.55 Ibid., p. 248.56 Ibid., p. 250.57 Jules Michelet, L’Insecte, Paris, Hachette, 1858, p. v-vi.

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renouveler des problématiques esthétiques et poétiques. L’art de la description, l’usage des figures de style, la convenance du discours et de son objet, la nécessité de réinventer le langage commun, le pouvoir de nommer et de créer sont autant d’entrées possibles dans l’histoire de la poétique et de la littérature qui, pour n’être pas nouvelles au tournant des XVIIIe et XIXe siècles, sont réactualisées alors par les savants. L’histoire croisée ébauchée ci-dessus est peut-être l’histoire d’une « ornithologie littéraire », entendue non comme le catalogue des usages savants du littéraire, non comme le répertoire des descriptions d’oiseaux nichés dans des œuvres considérées comme littéraires, mais davantage comme l’histoire de la manière dont le discours savant et le discours littéraire se définissent, tout au long du XIX e

siècle, l’un par rapport à l’autre, entraînant bien souvent au point de leur croisement l’élaboration de nouveaux critères de littérarité et de scientificité. Plus encore, l’ornithologie littéraire est peut-être celle qui reprend au savant son vocabulaire et plaide pour les significations morales ou philosophiques dont il a pu être investi avant de ne relever plus que d’une sphère « spécialisée ». Émergent alors des corpus de textes qu’on ne peut classer dans le domaine de la science ou de la littérature qu’au prix d’une certaine illusion rétrospective. Émergent aussi d’étranges influences : des auteurs français, dont les œuvres aujourd’hui semblent ne relever ni de la littérature, ni de la science, ont trouvé les modèles de l’écriture savante aux États-Unis, chez des ornithologues dont la renommée savante est indéniable pour le lecteur américain et dont les ouvrages sont déjà inclassables pour les lecteurs français contemporains.