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3 4èmes Assises du social / Vierte Konferenz für Sozialfragen Vendredi 7 avril 2006 / Freitag 7. April 2006 « Vers un nouveau modèle social » « Wege zu einem neuen Sozialmodell » Reconnaissance et cohésion sociales Anerkennung und sozialer Zusammenhalt Les Assises du social © Direction de la santé et des affaires sociales Département travail social et politiques sociales de l’Université de Fribourg Fribourg, 2008

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4èmes Assises du social / Vierte Konferenz für SozialfragenVendredi 7 avril 2006 / Freitag 7. April 2006

« Vers un nouveau modèle social »« Wege zu einem neuen Sozialmodell »

Reconnaissance et cohésion socialesAnerkennung und sozialer Zusammenhalt

Les Assises du social ©Direction de la santé et des affaires socialesDépartement travail social et politiques sociales de l’Université de FribourgFribourg, 2008

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Vers un nouveau modèle socialReconnaissance et cohésion sociales

Les sociétés contemporaines se caractérisent, parallèlement à la mondialisation et àla tendance à l’uniformisation qui en résulte, par une montée des particularismes detoutes sortes. Aujourd’hui, les différences ne se cachent plus, elles s’affichent, elless’affirment et, plus encore, elles demandent à être reconnues comme des composan-tes intrinsèques de la vie sociale.

La récente loi sur l’égalité pour les handicapés ou l’aménagement des voies publiquesconciliant les intérêts tant des piétons que des cyclistes ou des automobilistes sontdes exemples qui témoignent de la prise en compte de différences qui n’étaient pasreconnues il y a peu. Les formes familiales ou d’emplois se multiplient, les différencesculturelles se manifestent, les demandes à l’égard de l’institution scolaire sont tou-jours plus pressantes. À partir de quand et jusqu’où prendre en compte les demandessingulières ? Comment les concilier ? Que coûtent les politiques intégrant le respectdes différences ?

La collectivité se trouve placée devant un triple défi face à cette demande de recon-naissance des différences qui émane de divers acteurs de toutes catégories sociales.1/ Elle doit d’abord élargir ses catégories d’action. L’action publique ne peut pluss’appuyer sur les grandes catégories abstraites d’ayants droit ; elle doit au contrairechercher à coller au plus près au particularisme des conditions exprimées et revendi-quées.2/ Elle doit ensuite rendre politiquement conciliables ces différences reconnues etl’affirmation d’un monde commun. La question de l’intégration sociale est donc à re-définir.3/ Elle doit enfin garantir une justice sociale qui repose, d’un côté, sur la reconnais-sance des différences et, de l’autre, sur la réduction des inégalités économiques.L’enjeu de cette reconnaissance est à la fois la participation de chacun et l’intégrationde tous à la vie commune.

Articuler« reconnaissance » & « réciprocité »est le défi auquel ces quatrièmes Assises du social invitent à réfléchir.

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Wege zu einem neuen SozialmodellAnerkennung und sozialer Zusammenhalt

Die heutigen Gesellschaften sind durch weltweite Ausdehnung und die daraus resul-tierende Tendenz zur Vereinheitlichung geprägt, gleichzeitig aber auch durch einenAnstieg von Partikularismen aller Art. Heute werden Unterschiede nicht mehr ver-steckt sondern offen zur Schau getragen, sie behaupten sich und verlangen darüberhinaus, als eigentliche Komponenten des sozialen Lebens anerkannt zu werden.

Das neue Gesetz über die Gleichbehandlung Behinderter oder über die Planung deröffentlichen Strassen sowohl im Interesse der Fussgänger, der Radfahrer als auch derAutomobilisten sind Beispiele für die Berücksichtigung von Unterschieden, die bis vorkurzem nicht anerkannt wurden. Es gibt immer mehr Familien oder Beschäftigungs-formen, kulturelle Unterschiede zeigen sich, die Forderungen an die Institution Schulewerden immer drängender. Ab wann und bis wohin sind Einzelanliegen zu berück-sichtigen? Wie miteinander zu versöhnen? Was kost eine Politik, die die Achtung vorden Unterschieden beinhaltet?

Angesichts dem Verlangen verschiedener Akteurinnen und Akteure aller Gesell-schaftsgruppen nach Anerkennung von Unterschieden sieht sich die Gemeinschaftvor einer dreifachen Herausforderung.1/ Zuallererst muss sie ihre Kategorien des Handelns erweitern. Das öffentliche Han-deln kann sich nicht mehr auf die grossen abstrakten Kategorien von Anspruchsbe-rechtigung stützen, es muss im Gegenteil darum bemüht sein, sich so nah wie möglicham Partikularismus der ausgedrückten und geforderten Bedingungen zu bewegen.2/ Sodann muss sie diese anerkannten Unterschiede und die Behaupten einer gemein-samen Welt politisch in Übereinstimmung bringen. Die Frage der sozialen Integrationist somit neu zu definieren.3/ Schliesslich muss sie eine soziale Gerechtigkeit gewährleisten, die einerseits auf derAnerkennung von Unterschieden beruht, andererseits aber auf der Verringerung so-zialer und wirtschaftlicher Ungleichheiten. Bei der Anerkennung geht es sowohl umdie Integration aller in das Gemeinschaftsleben.

« Anerkennung » und « Wechselseitigkeit »miteinender zu artikulieren,ist die Herausforderung, die sich diese vierte Konferenz für Sozialfragen zum Themamacht.

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PRENDRE EN CONSIDÉRATION LES REQUÊTES SINGULIÈRESET RÉPONDRE À LA DEMANDE COLLECTIVE

VIVRE ENSEMBLE ET DIFFÉRENTSVivianne Châtel, Maître d’enseignement et de recherche, Département travail socialet politiques sociales, Université de Fribourg

LA POLITIQUE FAMILIALE À L’AUNE DE L’ÉCLATEMENT DES MODÈLESFAMILIAUXJean-Claude Simonet, Conseiller scientifique, Service de l’action sociale

GENERATIONENUNTERSCHIEDEOtto Piller, ehemaliger Direktor des Bundesamtes für Sozialversicherung

L’ÉCOLE ET LA FORMATION CONFRONTÉES AUX SOLLICITATIONS MULTIPLESIsabelle Chassot, Conseillère d’État, Direction de l’instruction publique, de la cultureet du sport

L’EMPLOI FACE AUX REVENDICATIONS IDENTITAIRES (SOCIO-CULTURELLES) :EXEMPLE DE l’ÉTAT DE FRIBOURGMartine Morard, Cheffe de service adjointe, Service du personnel et d’organisation

KULTURELLE UNTERSCHIEDE UND INTEGRATIONWalter Schmid, Vice-Präsident der Bundeskommission für Ausländerfragen

VERS UN NOUVEAU MODÈLE SOCIAL

PERSPECTIVE SCIENTIFIQUE : Vers un nouveau modèle sociétal d’intégrationMarc-Henry Soulet, Professeur titulaire de la Chaire francophone de travail social,Département travail social et politiques sociales, Université de Fribourg

PERSPECTIVE POLITIQUE : Reconnaissance de la politique sociale comme élémentconstitutif de la prospérité du paysRuth Lüthi, Conseillère d’État, Direction de la santé et des affaires sociales

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VIVRE ENSEMBLE ET DIFFÉRENTSVivianne Châtel, Chercheure associée, Département travail social et

politiques sociales, Université de Fribourg

« Aujourd’hui, plus qu’à aucun autremoment de l’histoire, l’humanité setrouve à la croisée des chemins. D’uncôté le désespoir et l’impuissance ab-solue. De l’autre, l’extinction totale.Prions pour que nous ayons la sagessede faire le bon choix… » 1.

Woody Allen

Lors des dernières Assises du social,intitulées « Quelle qualité de vie pourdemain ? », j’évoquais comme pistesde réflexion et lieux possiblesd’intervention de la puissance publi-que les registres de la confiance, de lajustice sociale et de la participation ci-toyenne. Mais surtout je concluaismon intervention sur ce que j’appelaisalors « le profond handicap de la so-ciété contemporaine, à savoirl’indécidabilité des valeurs » et invi-tais, sans doute en une sorte de rêveéveillé, à une réflexion sur la sagessepratique qui viserait une « vie bonne,avec et pour autrui, dans des institu-tions justes » 2. Il me semble que laquestion qui nous rassemble au-jourd’hui « Vers un nouveau modèlesocial : reconnaissance et cohésionsociales » prolonge les débats d’alors,en les inscrivant dans le contexte par-ticulièrement délicat de la démultipli-

1. Cf. Allen W., The Complete Prose of Woody Al-len, New York, Wings Book, 1991.2. La formulation exacte est la suivante : « vivrebien, avec et pour les autres, dans desinstitutions justes ». Ricœur Paul, Le Juste 2, Paris,Éditions Esprit, p.68.

cation des revendications particularis-tes.

Pluralité des fins, pluralité des valeurs,pluralité des appartenances, pluralitédes revendications, pluralité des choixde vie, pluralité des manières d’être,de penser, d’agir… telles sont, enbref résumé, les caractéristiques ma-jeures de la société contemporaine.Mais cette condition de pluralitécomme expression de l’expériencecontemporaine n’est pas neutre. 3 Aucontraire même. Elle n’est pas simpleartifice qui désignerait un arrière-planfactice de l’action individuelle et col-lective. Cette pluralité, qui est, avec lasingularité, condition de l’humanité,signifie aussi, dans le contextecontemporain, exacerbation des dif-férences et en conséquence intolé-rance, voire stigmatisation, ce quedénote, me semble-t-il, l’extrême di-versité des revendications particula-ristes et leur confrontation dramati-que. Comme l’écrit un philosopheaméricain, « tant que 95% de la popu-lation mondiale est occupée à se dé-chirer dans des conflits ethniques oureligieux qui les distraient de leur dé-sespoir, les super-riches n’auront rienà craindre. » 4. Soyons ironiques

3. « La pluralité des formes de vie est un des traitsles plus frappants de l’expériencecontemporaine ». Canto-Sperber M., « Bonheur »in Canto-Sperber Monique (s/s la dir. de),Dictionnaire d’éthique et de philosophie morale,Paris, Presses universitaires de France, 1996,p.177.4. Richard Rorty, L’Amérique : un projet inachevé,Pau, Presses de l’Université de Pau, 2001, p.89.

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jusqu’au bout : panem et circenses. Dupain, des jeux, quelques différencesreligieuses, quelques révoltes ici ou là,et pendant ce temps les super-richesveillent, dans le calme et l’espace deleur bureau futuriste, au destinéed’un monde, n’oubliant pas au pas-sage l’augmentation de leur capital destocks options et l’exposition de leursacquisitions artistiques.

Autre dimension de l’expériencecontemporaine, le processus demondialisation qui, lui, « place aupremier rang des enjeux sociaux, poli-tiques et culturels non seulement leproblème de l’action collective » 5

mais aussi l’uniformisation des com-portements, donc le balayement detoute revendication particulariste.Dans ce contexte, la classique indéci-dabilité des valeurs, des fins, deschoix de vie… refait surface comme sifinalement le processus de civilisationqui vise, entre autres, la civilisationdes mœurs et le respect d’Autrui,s’était arrêté à Eboli 6.

S’exacerbe aujourd’hui la confronta-tion entre d’un côté un modèle éco-nomico-financier surdéterminant etun modèle politico-social totalementassujetti à trois principes : la revendi-cation individualiste, la tentation res-ponsabilisante et la sécurité physique.Il est de bon ton aujourd’huid’évoquer Alexis de Tocqueville,homme politique libéral qui décriaitles volontés égalisatrices. Mais n’est-

5. Zygmunt Bauman, « L’humain comme projet »in Anthropologie et sociétés, 2003, volume 27, n°3,Déshumanisation / Réhumanisation, p.17.6. Levi C., Le Christ s’est arrêté à Eboli, Paris,Éditions Gallimard, 1948.

ce pas oublier en substance sa lectureô combien annonciatrice du XXèmesiècle, à savoir l’idée selon laquelle lacentration des êtres humains sur leurbien-être et leur sécurité physiqueouvrait grand la porte au despotisme.Le XXème siècle lui a donné raison,bien atrocement d’ailleurs et à multi-ples reprises. En fait, Alexis de Toc-queville plaidait pour un modèle so-cio-politique qui faisait toute sa placeà la condition de citoyen, donc d’unsujet responsable et autonome parti-culièrement soucieux des affaires pu-bliques (non réduites à ses seuls inté-rêts privés).

Malheureusement deux orientationsde la société contemporaine validentla dimension quelque peu surannée(ou peut-être utopique) de cetteanalyse. D’une part, les participationsaux différentes votations, que ce soiten Suisse ou plus largement enEurope, dessinent, ces dernièresannées, un désenchantement dupolitique et une désaffectiongénéralisée du rôle de citoyen.D’autre part, le développement de lanouvelle gestion publique, dans leprolongement du new managementdu secteur privé, tend à transformerle citoyen en simple contribuable-consommateur et à faire desinstitutions publiques des dispen-sateurs de services au seul avantagede l’individu et de ses intérêtspropres, oubliant de fait la nécessitéde l’être-ensemble et le sens mêmede la fonction publique. Qui n’a paseffectivement revendiqué pour lui cequ’il refuserait à d’autres ! À de rares

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exceptions près, l’intérêt individuelprime souvent sur l’intérêt collectif.Et il ne s’agit pas seulement d’intérêtsfinanciers.

À la globalisation ou mondialisationde l’économie, répondent donc deuxprocessus contradictoires dans lestermes : celui d’une uniformisation etcelui d’une fragmentation. Uniformi-sation des pratiques, des modes depenser, des modes de consommer…et en même temps fragmentation po-litique, culturelle, ethnique et reli-gieuse du monde qui se dessine dansdes revendications particularistes(sectes, groupes minoritaires qui dé-passent les groupes habituellementreconnus….) revendications particu-laristes que déguisent parfois des ten-tations xénophobes.

À cette contradiction, la réponse estla suivante : la défense du multicultu-ralisme. C’est devenu le standard dela « rectitude politique », le nec plusultra de la pensée politique, ou end’autres mots, le « politiquement cor-rect ». Par peur de l’étiquetted’intolérance. Parce que la toléranceest la marque des sociétés occiden-tales dont le fait majeur est celui dupluralisme des croyances et des con-victions.

Vivre ensemble, différents… C’est letitre de mon intervention au-jourd’hui ; et je vais essayer non pasde répondre à une telle propositionmais d’expliciter ce qui me semble enconstituer les tenants et aboutissants,et ce sans prétendre à l’exhaustivitéde l’analyse. Vous m’excuserez de

passer sous silence ou très vite surdes aspects essentiels de la questionmais l’idée ici retenue est plutôt dedessiner quelques pistes de réflexionpour essayer de dépasser ce quim’apparaît comme des contradictionsdu multiculturalisme pris dans un sensélargi de société à choix multiples etnon dans un sens restreint deconfrontations entre deux ou troismodèles culturels. Je ne discuteraiscependant pas de l’idée pourtant es-sentielle (dans cette perspectived’une société à choix multiples) parcequ’elle en est une traduction concrèteselon laquelle l’identité de chaqueêtre humain n’est pas figée dans letemps, qu’elle est historique en cesens qu’elle est un enchaînement nonfini d’expériences, d’histoires entre-mêlées, d’illusions et de désillusions,d’intentions, d’actes qui empruntentà ces choix multiples, qu’elle participedonc d’héritages culturels non figéset donc qu’elle se remodèle sanscesse (en cela identique au phéno-mène culturel).

Le multiculturalisme, dans son credolargement inspiré du relativismeculturel, n’apporte aucune réponse àla question des fins ultimes, à la ques-tion du bien vivre-ensemble, à laquestion de la cohésion sociale. Et ilest clair que les tenants du multicultu-ralisme, plus ou moins armés de bon-nes intentions, et notamment celle dela reconnaissance du droit à la diffé-rence, ont finalement initié ce quej’appelle la culture de l’indifférence.Autrement dit, le résultat du multi-culturalisme s’exprime dans cette re-

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marque : l’indifférence au nom dudroit à la différence. Et in fine, danscette centration que déplorait Alexisde Tocqueville sur la sphère privée,sur le bien-être privé, sur la sécurité,indépendamment et indifféremmentau devenir d’Autrui.

Le multiculturalisme, comme nouveaumodèle social, n’apporte donc aucuneréponse à la question du vivre-en-semble, ou alors une seule : celle de lajuxtaposition d’êtres humains les unsà côté des autres, quand ce n’est pasla juxtaposition de groupes commu-nautaires les uns à côté des autres, ouplus probable d’ailleurs, la juxtaposi-tion de groupes communautaires lesuns en conflit avec les autres.

Et, dans cette soif inextinguible de re-connaissance de la différence, il n’y aplus que de la cacophonie ou, àl’autre extrême, du terrorisme, de lacriminalisation, de l’exploitation. Dis-paraissent la parole, le débat, le res-pect de l’Autre, la dignité… Parce quefondamentalement comment débat-tre de valeurs que l’on sait inconcilia-bles ou que l’on ne peut hiérarchiser,laissant ainsi la porte ouverte aux cli-chés qui inondent la société. Ou parceque fondamentalement commentdébattre avec quelqu’un qui nous estcomplètement indifférent ? Ou en-core, autre attitude possible, com-ment débattre avec quelqu’un quinous est tellement différent qu’il nepeut comprendre notre différence,laissant dès lors la porte ouverte àtous les abus. Ou, plus violemmentencore, comment débattre avecquelqu’un inscrit dans des formes de

vie qui refusent tout simplement ledébat ?

Se dessinent en creux deux orienta-tions possibles qui alimentent au-jourd’hui l’ensemble des sociétés oc-cidentales :

1/ la reconnaissance négative qui nousincite « à une tolérance de l’altérité, àune posture d’indifférence et de dé-tachement, plutôt qu’à une attitudede bienveillance sympathique ».

2/ la reconnaissance positive quioriente vers la discrimination positive,c’est-à-dire « le droit à un traitementpréférentiel et à l’octroi d’une noteplus élevée ayant pour tout fonde-ment le fait d’être différent » 7

Nous connaissons tous les limites deces deux orientations. La reconnais-sance négative n’est pas vraiment unereconnaissance des différencespuisqu’elle résulte du seul fait de latolérance dans sa version minimale.Ne s’attache à cette forme de recon-naissance aucun droit et donc aucunavantage. Nul ne peut en tirer gloireet dès lors elle n’est in fine qu’unelutte, souvent faible, contre la stigma-tisation. La reconnaissance positive,en ceci qu’elle s’attache à des droitsparticuliers, réservés, semblerait àpremière vue plus prometteuse, maiselle sert tout autant le ressentimentque l’incompréhension et finalementne concerne qu’une faible partie de lapopulation marginalisée ou minori-taire, aggravant de fait les effets de la

7. Zigmunt Bauman, « L’humain comme projet »,loc. cit., pp.32-33.

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stigmatisation. Il suffit de se tournervers les États-Unis.

La question « comment vivre ensem-ble différents ?» peut ainsi apparaîtrecomme étant la plus désespérante etla plus délicate pour nos démocratiestant ces différences s’opposent sou-vent entre elles. Parce qu’il ne s’agitpas seulement de la couleur de lapeau ou même des manières de man-ger (avec des baguettes ou avec desfourchettes). Mais parce que ces dif-férences sapent le fondement mêmedes sociétés occidentales contempo-raines basées sous une forme, certesplus ou moins avancée selon les pays,d’une certaine neutralité de l’État etdes institutions publiques qui laissentplace normalement à la discussionpublique sur le bien-vivre ensemble,sur le vouloir-vivre ensemble dans desinstitutions justes, faisant une place àtous indépendamment des apparte-nances et surtout indépendammentdes particularismes.

Ces dernières années ont vu pourtantressurgir avec éclat le spectre de cesdifférences et surtout le spectre desincompatibilités des valeurs. On apresque tout vu, tout entendu, toutrevendiqué… Et parallèlement, toutest devenu prétexte, au nom du droità la reconnaissance des différences, àune critique acerbe et à un combatjudiciaire sans fin pour atteinte à ladignité ou plus généralement pouréviter tout débat sur justement cesdifférences et leur légitimité. Le « po-litiquement correct » du multicultu-ralisme tue immédiatement et impla-cablement tout débat de fond sur les

revendications des uns et des autres.Un récent article du journal Le Monde,sous la plume d’une professeur dedroit, évoquait ainsi « l’intimidationjudiciaire devenue pratique cou-rante pour les associations chargéesd’une cause à défendre » 8, intimida-tion qui, grâce à l’arsenal juridique,lutte contre la confrontation desidées et surtout la libre communica-tion des pensées et des opinionspourtant partie intégrante de la Dé-claration des droits de l’homme et ducitoyen dont l’article 19 rappelle que« tout individu a droit à la libertéd’opinion et d’expression ; ce qui im-plique le droit de ne pas être inquiétépour ses opinions et celui de cher-cher, de recevoir et de répandre, sansconsidération de frontières, les in-formations et les idées par quelquemoyen d’expression que ce soit. ».Ajoutons à cet article le rappel de laCour européenne des droits del’homme selon laquelle « la libertéd’expression vaut non seulementpour les informations ou idées ac-cueillies avec faveur ou considéréscomme inoffensives ou indifférentes,mais aussi pour celles qui heurtent,choquent ou inquiètent l’État ou unefraction de la population. » 9

Et nous avons là clairement établi lecocktail contradictoire dans lequel sedébattent les pays européens et lemulticulturalisme : à savoir accepterl’intolérance au nom de la tolérance.

8. Anne-Marie Le Pourhiet, « L’esprit critiquemenacé » in Le Monde, Samedi 3 décembre 2005,p.26.9. Arrêt Handyside, Cour européenne des Droitsde l’homme, 1976. cité par Anne-Marie LePourhiet, loc. cit.

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La frontière est ténue entre recon-naissance des minorités et en mêmetemps acceptation de la diffamation,incitation à la discrimination… Le dé-bat récent sur la légitimité de la lapi-dation des femmes, ou celui plus an-cien sur la légitimité de l’excision,parce qu’inscrites dans des codesculturels ou religieux particuliers, n’ensont que des illustrations.

In fine le multiculturalisme est l’arbrequi cache la forêt. La forêt des inégali-tés sociales mais aussi la forêt desinégalités culturelles. Nombre degroupes minoritaires aux revendica-tions particularistes se sont transfor-més en groupes d’oppression tels quele monde politique hésite à ne pas lessatisfaire. Ils ont réussi, nous venonsde le voir, à limiter la libertéd’expression. Le débat en France voi-sine sur l’enseignement de l’histoireet du colonialisme dans les établisse-ments scolaires et, parallèlement,l’instrumentalisation aussi de l’escla-vage pour une assignation en justiced’un historien, pourtant spécialistereconnu de l’esclavage et des traitesnégrières, illustre cette tendance àconfondre histoire et militantisme10.Les lobbys minoritaires non seule-ment ré-écrivent l’histoire mais font

10. Il s’agit ici de Olivier Pétré-Grenouilleau,auteur du livre Les Traites négrières qui évoque lalongue histoire étendue sur treize siècles de latraite négrière (due certes aux Occidentaux maisaussi préalablement aux marchands arabes ouencore due aux Africains eux-mêmes). OlivierPétré-Grenouilleau, Les Traites négrières. Essaid’histoire globale, Paris, Gallimard, 2004. Sesdétracteurs lui reprochent, en insistant sur cettelongue histoire, d’avoir nié le caractère particulierde la traite transatlantique. Cf. le très intéressantarticle de la revue L’Histoire sur ce débat :Chandernagor F., « Laissons les historiens faireleur métier ! » (débat) in L’Histoire, n°306, février2006, pp.77-85.

aussi dans l’écriture juridique. Et là ilsdénient ce mot de Voltaire : la libertéd’expression, c’est d’abord celle desgens avec lesquelles nous ne sommespas d’accord.

Mais qu’en est-il de tous ceux qui,quoique minoritaires, quoique cultu-rellement différents, ne bénéficientpas de cette compétence à se rendre« totalitaires » ? Ainsi en est-il desgens du voyage, groupe culturel sil’en est, oublié de nos experts en mul-ticulturalisme ? J’ai toujours beaucoupde peine à comprendre commentdans des pays dits démocratiques, ungroupe social (autrement dit d’êtreshumains) peut encore faire l’objetd’un tel déni d’existence. Pas de placede parcs ou alors des places de parcssouvent coincées entre la zone indus-trielle, les chemins de fer etl’autoroute, là où personne n’aimeraithabiter. Des préjugés en pagaille quiidentifient toute une communauté àn’être que des « voleurs de poule ».Pourquoi la revendication multicultu-raliste s’arrête-t-elle aux portes descaravanes ? L’Atlas des valeurs euro-péennes montre ainsi que les Euro-péens de l’Ouest ne sont pas prêts àavoir comme voisins les gens duvoyage même si leur intolérance vad’abord aux toxico-dépendants et auxalcoolo-dépendants. (Les Européensde l’Ouest préfèrent manifestementêtre voisins de criminels que de cestrois groupes sociaux.) 11

11. Halman L. & al. (s/s la dir. de), Atlas of Euro-pean Values, Tilburg, Brill / Tilburg university,2005, p.100. Les Européens de l’Ouest incluent leshabitants de l’Allemagne, l’Autriche, la Belgique,la Grande-Bretagne, la France, l’Irlande, l’Irlande

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Le multiculturalisme, c’est donc bienaussi l’indifférence à ces groupes, làpour le coup, vraiment minoritaires.S’exprime ici avec violence l’inégalitécruciale dans laquelle se tient cetexercice de la liberté d’expression etd’opinion. Parce qu’en fait le droit à ladifférence n’existe que pour ceux etcelles qui sont capables d’exercer,non pas cette liberté d’expression etd’opinion qui leur serait d’une quel-conque manière déniée, mais unepression politique suffisante leurpermettant de faire entendre leursdifférences ou particularités, quitte àdénier aux autres cette même libertéd’expression et d’opinion. (Commel’exemple de l’historien l’atteste : enévoquant la très longue période de latraite négrière qui s’étend sur plus detreize siècles, il aurait ainsi nié le ca-ractère spécifique de la traite transa-tlantique).

Le multiculturalisme ne serait-il que lenouveau jouet du monde contempo-rain lassé de l’uniformisation dans la-quelle le tient le monde de laconsommation, lassé d’une sociétéentièrement et exclusivement sou-mise aux impératifs du Marché ?

Le multiculturalisme ne serait-il pas infine que la version très contempo-raine de la domination avec des asso-ciations qui tentent de contrôler la vieculturelle et intellectuelle, entrantdans une cacophonie sans nom entreles revendications des uns et les re-vendications des autres, et surtoutentrant dans une compétition féroce

du Nord, le Luxembourg, les Pays-Bas et laSuisse.

entre catégories sociales qui n’a pourrésultat que la fragmentation ducorps social, et, en contrepoint sansdoute de cette cacophonie, la montéedu racisme, de l’intolérance, des inté-grismes, etc. ? Aucun pays d’Europene semble échapper à cette dérive,révélant de fait un fossé grandissantentre une forte tendance raciste et denon moins fortes revendications mi-noritaires qui pour certainess’expriment violemment.

En fait, le multiculturalisme, enbrouillant le message du pluralisme,en insistant sur la différence sans tropsavoir qu’en faire, n’a-t-il pasréalimenté la peur de l’Autre, del’étranger, et, paradoxalement sansdoute, contribué au replicommunautaire avec tout ce qu’ilcomporte de violence symbolique ?Parce que le repli communautairen’est autre que la négation de ladifférence et la suprématie d’uneseule et unique identité, celle définiepar la communauté. Le replicommunautaire, ne l’oublions pas,c’est aussi la négation de la liberté. Àl’intérieur de la communauté, pas deplace pour la différence, pas de placepour un autre choix que celui définipar la communauté. Pourquoi nierl’assignation identitaire qui déjà régitles rapports sociaux ? À cet effet, unepiste s’ouvre à nous dans l’inscriptioncomme droits de l’homme, déjàsubdivisés en droits libertés et endroits créances, de droits culturels,ceux-ci étant attachés non à lacommunauté d’appartenance mais à

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la personne 12. Cette piste, nous disentses promoteurs13, aurait pour intérêtmajeur d’éviter justement l’enfer-mement de la personne dans unecommunauté particulière. En dehorsde faire reconnaître sur la placepublique des formes de vie différen-ciées, comme la communauté homo-sexuelle a pu le faire à un momentdonné, et sachant que cette possibi-lité est déjà offerte, nous l’avons vu,par la Déclaration des droits del’homme et du citoyen, quel intérêt ya-t-il à rajouter à la longue liste desDroits de l’homme, des droits cultu-rels dont on ne voit pas bien la te-neur ? Par ailleurs, en quoi cette ins-cription s’opposerait-elle au repliidentitaire, à l’ethnicisation des grou-pes minoritaires ou à l’exponentialitédes revendications particulières déjàen cours actuellement ? Et surtout onvoit mal comment ces droits culturelspourraient s’inscrire dans la Déclara-tion des droits de l’homme et du ci-toyen alors que nombre d’entre euxsont en contradiction complète et ab-solue avec les principes mêmes et lesdifférents articles que cette Déclara-tion contient. Ou alors cela consiste-rait-il à opérer des choix parmi lesdroits culturels qui pourraient être ounon éligibles à l’inscription dans laDéclaration des droits de l’homme etdu citoyen ? N’est-ce pas restaurer,

12. Les droits-libertés se résument dans l’article 9de la Déclaration des Droits de l’homme et ducitoyen : « La loi doit protéger la liberté publiqueet individuelle contre l’oppression de ceux quigouvernent ». Les droits-créances sont là pourassurer l’exercice des droits-libertés.13. Cf. notamment Mesure S. &Renaut A, Alterego, Les Paradoxes de l’identité démocratique,Paris, Éditions Flammarion, 2001.

sans le dire, l’idée de hiérarchisationdes valeurs ? Mais, dès lors, avecquels critères ?

La question demeure donc lanci-nante : comment finalement ne pascorrompre les droits-libertés en fai-sant place à des revendications parti-cularistes qui sont en contradictionavec ces mêmes droits-libertés ?Pourquoi opposer irrémédiablementles valeurs de prétention àl’universalité qui dominent dans nossociétés démocratiques et la recon-naissance de la dignité de chaque êtrehumain ? Pourquoi cette dernièrepasserait-elle par des droits qui trèsvite aboutiraient à la fragmentationou minimalement à l’incompréhen-sion ?

Si l’on peut à juste titre s’inquiéter del’uniformisation (socio-culturelle) quiest au cœur du processus de mondia-lisation et qui se traduit par une pertede la diversité mais aussi del’humanité, faut-il pour autant favori-ser l’explosion même de l’être-en-semble ? Parce qu’il n’y a tout sim-plement pas d’être-ensemble possiblesans valeurs communes, sans valeursqui transcendent les différences et lesparticularités. 14 N’est-ce pas juste-ment dans la définition de cet être-ensemble, de ce vouloir-vivre-ensem-ble et de ce pouvoir-vivre-ensembleque se tient l’éventuelle réponse auxcontradictions du multiculturalisme ?

C’est pourquoi il me semble essentiel,comme le suggèrent des auteurs aussi

14. Je renvoie le lecteur ici aux différents textesde Hannah Arendt.

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différents que Paul Ricœur, NancyFraser ou encore Zygmunt Bauman,de ré-inscrire le problème de la re-connaissance des différences dans uncontexte de justice sociale et de ci-toyenneté plutôt que dans celui de laréalisation de soi, pourtant injonctioncontemporaine par excellence15. Unetelle démarche aurait pour consé-quence d’éviter le piège du relati-visme culturel pour lequel toutes lesvaleurs se valent, entraînant de faitincompréhension, ressentiment etviolence et d’éviter aussi le piège del’enfermement communautaire. En-core faudrait-il, il est vrai, que soientrésolues la question des groupes depression et celle des inégalités fon-damentales sur le plan du pouvoirparler et du pouvoir débattre. Celasupposerait aussi de définir le droit àla reconnaissance comme un droitégal à la participation démocratique.Cela supposerait donc de définir oude réfléchir à un « nouveau modèlesocial » qui ne soit pas simple répéti-tion des slogans actuels, souventsoumis aux impératifs du marché,mais qui mettent au cœur du disposi-tif la condition d’humanité.

Deux registres, déjà évoqués lors desprécédentes assises, reviennent ainsiau devant de la scène : la justice so-ciale et l’espace public. À cela s’ajoutebien évidemment l’idée d’humanité.Le multiculturalisme se nourrit, mesemble-t-il, d’une confusion sur les

15 Cf. Ricœur P., op. cit. Fraser N., Qu’est-ce que lajustice sociale ? Reconnaissance et redistribution,Paris, Éditions La Découverte, 2005. Bauman Z.,loc. cit..

idéaux des sociétés démocratiquespensés sur le modèle de la res publica.

Il n’y a ni contradiction ni oppositionentre la revendication d’universalisa-tion et pluralité des formes de viehumaine.

Le fait qu’il y ait diversité culturelle etreconnaissance de cette diversité suf-fit-il à tordre le coup à la vieille pré-tention à l’universalité, marque de lacivilisation occidentale, au risque dedonner raison à cette idée du choc descivilisations dont nous parle SamuelPhillips Huntington qui évoquait, dé-but 1990, et de manière peut-être unpeu trop réductrice, l’idée selon la-quelle « les grandes causes de divisionde l’humanité et les principales sour-ces de conflit seront culturelles ». 16

Il n’y a ni contradiction ni oppositionentre la notion d’égalité et le non-ef-facement des différences.

La revendication égalitaire colle habi-tuellement avec l’idée d’effacementdes différences. Ainsi à l’égalité poli-tique correspondrait une seule etmême identité. Il est vrai que l’égalitédevant la loi constitue souvent unobstacle à la reconnaissance de droitsspécifiques à certains groupes minori-taires et qu’à ce titre elle serait véhi-cule d’une réduction identitaire. Maisen même temps cette égalité devantla loi garantit à tous le même traite-ment sans distinction d’origine, derace ou de religion et qu’à ce titrecette égalité n’est pas l’extinction desdifférences mais plutôt l’affirmation

16. Huntington S.P., Le Choc des civilisations, Paris,Éditions Odile Jacob, 1997.

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de la distinction entre sphère publi-que et sphère privée. Elle ne s’opposepas, par exemple au niveau des reli-gions, à des pratiques différenciées,elle les inscrit seulement dansl’intimité de la sphère privée. La laïcitéà la française n’est que la marque decette reconnaissance. Elle évite ainsil’affrontement dans l’espace publicde pratiques religieuses qui seraientcontradictoires. Et signe l’articulationpossible entre les différences et unespace commun. Le rôle du politiquen’est pas d’être le chef d’orchestredes différences mais bientôt d’être legarant de l’espace public autour devaleurs communes.

Et bien entendu il n’y a ni contradic-tion ni opposition entre citoyennetéet dignité.

Au contraire même. Mais cela sup-pose sans aucun doute de redéfinir leconcept de citoyenneté à la hauteurdes enjeux que pose la coexistencede groupes sociaux de nationalité dif-férente. En associant étroitement ci-toyenneté et nationalité, les démo-craties occidentales ne mesurent sansdoute pas les enjeux dont est porteurune société multiculturelle. Mais unecitoyenneté ouverte, dans et par lareconnaissance de valeurs commu-nes, ne serait-elle pas le moyen de lareconnaissance de la dignité de cha-cun des membres du corps social ?

L’enjeu réside dans la capacité dessociétés démocratiques non pas tantà s’adapter au pluralisme culturel (cequ’elles ont fait avec plus ou moins deréussite, il est vrai) mais surtout à

faire en sorte qu’une discussion véri-tablement ouverte à tous s’ouvrepour aboutir à une définition com-mune du vouloir-vivre-ensemble etdonc pour dépasser les différences etl’indifférence. Et cette quête ne peutfaire l’économie d’une inscription,comme nous le rappelions au début,dans des institutions justes au servicedu bien commun. Idée qui semblepourtant bien loin des préoccupationsde nos contemporains parce qu’ellese heurte de plein fouet aux injonc-tions contemporaines de l’être-soi.

C’est autour de trois suggestions quej’aimerais clore ma contribution à cesQuatrièmes Assises du social :

Redonner force et sens à l’idéed’universalisation, en considérant quecelle-ci n’est pas la marque de la do-mination d’une culture par rapport àune autre mais bien plutôt une idéerégulatrice qui puisse inscrire dans ledébat rationnel, des manières defaire, de penser, d’être, hétérogèneset a priori contradictoires, en vue del’élaboration commune d’un vouloir-vivre-ensemble.

Redonner force et sens à l’idéed’éducation comme travail de com-préhension, d’émancipation, de dé-passement des idéologies particula-ristes ou totalitaires, de dépassementde la seule réalisation de soi, et doncredonner force et sens à l’idéed’éducation comme ouverture surl’Autre et surtout comme respect del’humanité de l’Autre Homme.

Redonner force et sens à l’idéed’espace public sans laquelle les idées

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d’éducation ou même de débat pu-blic, donc de mise en scène publiqued’une discussion rationnelle, en vued’un consensus sur les pratiques etles différences acceptables par touteset tous, consensus qui ait forced’obligation intersubjective, ne se-raient que de vaines idées. Cela sup-pose de redonner force et sens à laquestion de la citoyenneté, c’est-à-dire de la participation aux Affairespubliques. Mais cela suppose aussi deredonner force et sens à l’idée d’uneséparation entre ce qui est du registrede la sphère privée et ce qui est duregistre de la sphère publique.

Il est grand temps sans doute que lessociétés démocratiques occidentales,au lieu de se replier sur un nationa-lisme quelque peu guerrier, renou-vellent les pratiques démocratiquesen faisant une place à celles et ceuxqui y participent pleinement dans lerespect des valeurs communes. Cen’est ni en stigmatisant, ni en parti-cularisant, que l’Occident a dépasséles guerres de religion. Puissent-ellesse souvenir en ces temps troublés del’importance de l’éducation, du débatet de l’espace public, la conjugaisonde ces éléments étant peut-être l’unedes clés de la reconnaissance de la di-gnité de chaque homme. Et ainsi ledépassement possible de l’intolé-rance et du racisme.

L’enjeu de ce nouveau modèle socialse situe donc dans les conditions depossibilités pratiques du consensushabermassien (et ce bien que le mo-dèle d’une communication non dis-tordue soit sans doute aucun idéal-

typique). Rappelons donc quelqueséléments, déjà évoqués pour certainsd’entre eux lors des précédentes As-sises, qui pourraient être des pistesde réflexion pour la construction d’un« nouveau modèle social ». Le premierconsiste en la restauration d’un es-pace public qui dépasse justement lesdifférences et où chacun puisse fairel’épreuve et de sa singularité et de sapluralité. Le deuxième élémentconsiste en la réaffirmation du pro-cessus d’éducation, conçu comme unprocessus d’émancipation et d’ap-prentissage de l’esprit critique, et noncomme un dressage aux exigences duMarché. Le troisième consiste en laformation à la discussion sans lequeltoute argumentation ne serait vouéequ’à la violence symbolique. Cet élé-ment vise en fait à prendre en compteet à dépasser l’inégalité foncière déjàévoquée, culturellement et sociale-ment produite, au plan du pouvoirparler et du pouvoir débattre. Mais ilconviendrait sans doute au préalablede réaffirmer l’importance d’un vou-loir-vivre ensemble commun qui dé-passe les différences des uns et desautres, ne serait-ce que pour que lareconnaissance de ces différencespuisse exister.

Affirmation ainsi pour l’être humain etde sa singularité (en tant qu’il est dif-férent des Autres) et de sa pluralité(en tant qu’il n’existe que parmi lesAutres). Réalisation aussi de laconjonction entre un sujet responsa-ble et autonome, auteur de ses choix,et la reconnaissance d’une règle qui

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oblige, celle du vouloir-être ensemble,défini en commun.

Réalisation en quelque sorte de laconjonction entre un projet à voca-tion universelle et la multiplicité deshéritages culturels. 17 Revendiquer lareconnaissance du droit à la diffé-rence en oubliant la reconnaissancede droit à la participation aux Affairespubliques, c’est faire de l’être humainun être bancal. Il lui manque toutsimplement l’un des piliers majeurs desa condition d’être humain, parcequ’il n’est humain que parmi les Au-tres hommes qui le reconnaissentdans sa dignité d’être humains.

17. En référence au titre d’un article de PaulRicœur. Ricœur P., « Projet universel etmultiplicité des héritages » in Bindé J. (s/ s la dir.de), Où vont les valeurs ?, Paris, ÉditionsUnesco / Albin Michel, 2004, pp.75-80.

Et que cette condition ne réside pas,comme nous l’imaginons trop sou-vent, dans le temple de la consomma-tion mais bien dans la participation audébat public.

Le chemin sera encore long. La fin ul-time de ce chemin est le possible del’être-ensemble. Sans cela la sociétéoccidentale risque autant la fragmen-tation que la ghettoïsation. Elle ris-que, pour reprendre Woody Allen, au-tant de sombrer dans le désespoir ab-solu que de tomber dans l’extinctiontotale.

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LA POLITIQUE FAMILIALE À L’AUNE DE L’ÉCLATEMENT DES MODÈLESFAMILIAUX

Jean-Claude Simonet, Conseiller scientifique, Service de l’action sociale

Mesdames et Messieurs, dites-moisincèrement : préférez-vous faire lalessive ou laver la voiture ? En cas denécessité, il y a fort à parier quel’homme rechignera à faire la lessiveet la femme à laver la voiture. Ils yverront une corvée imposée. Desétudes le montrent : la corvée pourune personne d’un sexe donné est latâche qui appartient au stéréotype del’autre sexe. Pour l’homme, laver lavoiture n’est pas une corvée parceque c’est typiquement masculin,comme couper du bois. Et symétri-quement pour la femme.Cette question liée aux tâches domes-tiques se pose surtout après l’arrivée« d’évènements critiques » : forma-tion d’une famille, naissanced’enfants, divorce, nécessité de pren-dre en charge un parent âgé, etc. Cesévènements sont liés à la vie familiale.Traditionnellement, dans la famille, laréponse aux évènements critiquesétait simple : la femme au foyer. Maison le sait, cette réponse fonctionnede moins en moins. De plus en plus defemmes travaillent. La femme aufoyer est une forme d’assurancecontre les risques d’incompatibilitéentre travail et famille.La répartition des responsabilités fa-miliales n’ayant guère évolué, biensouvent les femmes s’en acquittent etassument ce qu’on appelle « la doublejournée de travail ». De là émergent

de nombreuses demandes pour fairereconnaître des situations particuliè-res : congé spécial lorsqu’un enfantest malade, prolongation d’un congématernité, correspondance des horai-res de travail avec les horaires scolai-res. Bref, il s’agit de la demande géné-rale de rendre compatible l’emploiavec les tâches domestiques. Et der-rière cette requête se profile celle del’égalité entre les genres : égalité desalaire, égalité dans l’accom-plissement des tâches domestiques,congé paternité, etc. Mais les femmesqui demeurent au foyer demandentaussi une reconnaissance au traversde leurs prestations domestiques. Onl’a vu dans le débat sur l’assurancematernité. Lorsque les deuxpartenaires travaillent malencontreu-sement dans deux cantons différentssurgit la demande d’harmonisation dusystème d’allocation familiale. Si unparent vit seul avec ses enfants, ilpeut être amené dans une situationprécaire à devoir demander uncomplément de revenu.La question dans le cadre de ces Assi-ses du social est de savoir commentet dans quelle mesure ces différencesrevendiquées par les familles sont pri-ses en compte dans la politique fami-liale ?Mais quelle politique de la famille ? Iln’y a pas en Suisse de conceptiond’ensemble de la politique familiale.

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La Constitution fédérale confie destâches à la Confédération, mais tradi-tionnellement les cantons et lescommunes jouent un rôle essentieldans ce domaine. Fédéralisme et sub-sidiarité sont les maîtres mots en ma-tière de politique familiale. Ce quidonne lieu à la formule récurrente :« la politique familiale est multiple ettransversale ». Mais il s’agit d’unedescription, pas d’une définition.Et pour quelle famille ? Il n’y a plusune famille, mais des familles ou, plusexactement, des modèles familiauxdifférents. Avec l’augmentation desdivorces, la baisse du taux de natalité,la baisse du taux de nuptialité, le reculdu taux de remariage, l’accroissementdes naissances hors mariage, la struc-ture familiale a connu d’importantesmutations. Le nombre de ménages depersonnes seules a fortement aug-menté et les modèles familiaux sesont multipliés. Avec l’accélération deces mutations entre les années 70 et80, on a même parlé de l’éclatementdes modèles familiaux, du déclin oude l’érosion de la famille.Si l’on en croit cette tendance, il n’yaura bientôt plus besoin de définir lapolitique familiale ! Pour mieux com-prendre les enjeux actuels, on vas’intéresser à la transformation desmodèles familiaux, puis essayer defaire le point sur les différentes de-mandes revendiquées par les familleset ensuite voir comment s’intègrentces demandes dans la politique fami-liale, avant de conclure.

1. TRANSFORMATION DES MODÈLESFAMILIAUXDe façon rapide et schématique, leterme de « famille » est souvent ré-duit au ménage composé de deuxadultes représentants des deux sexesaccompagnés d’un ou plusieurs en-fants mineurs. Il s’agit de la famillenucléaire, appelé souvent tradition-nelle ou conjugale. Il faudrait nuancer.Mais le fait est que ce type de familleest encore largement prédominant.

Grandir avec deux adultes unis par desliens d’alliance reste le modèle domi-nant mais tendanciellement en reculBien que les ménages familiaux avecdeux adultes soient tendanciellementen recul, ils restent de loin le type deménage le plus répandu. En Suisse, en2000, 85% des enfants vivaient avecdeux adultes unis par des liensd’alliance (mariage ou concubins). Ilsétaient encore 91% en 1990.Dans le canton de Fribourg, un peuplus de la moitié de la population ré-sidente18 vit dans une familletraditionnelle. Ce qui représente prèsde 90% des ménages avec enfants.Ces ménages représentaient 55% de lapopulation en 2000, mais ils étaientencore 59% en 1990.Outre leur évolution, il est intéressantd’étudier les transformations impor-tantes qu’a connues ce type de mé-nage récemment.

18 en 2000

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Dans la famille conjugale, le modèle« nourricier » a désormais cédé le pasau modèle « pragmatique ».Le fonctionnement de la famille de-meure très empreint du traditionnelpartage sexuel des tâches et des rô-les. C’est à l’homme qu’incombe dansune large mesure la tâche de pourvoirà l’entretien de la famille et à lafemme de se préoccuper de son en-tretien domestique. La famille a long-temps fonctionné exclusivement se-lon ce modèle « nourricier ».Depuis quelques années, les femmessont de plus en plus nombreuses àtravailler. Même si leur activité pro-fessionnelle constitue souvent plutôtune source économique d’appoint,l’organisation familiale s’en trouvenéanmoins modifiée. Or, aujourd’hui,on constate que les familles conjuga-les optent davantage pour ce modèle« pragmatique » dans lequel les deuxpartenaires travaillent.

La répartition des tâches profession-nelles a rapidement évolué ces der-nières années dans le canton deFribourgEntre 1990 et 2000, la proportion decouples avec enfants dans lesquelsseul l’homme est actif à plein temps(modèle « nourricier ») a pratique-ment diminuée de moitié en passantde 60% à 34%. Tandis que dans lemême période, la proportion defemmes actives à temps partiel dansles couples avec enfants (modèle« pragmatique ») est passée de 24% à44%.

La forte progression du double emploidans les couples avec enfants estl’élément marquant de la dernière dé-cennie.Dans le canton de Fribourg, la propor-tion de double emploi dans les cou-ples avec enfants est ainsi passée de37% à 58% entre 1990 et 2000.En outre, le nombre de ménages avecenfants dans lesquels les deux parte-naires exercent une activité profes-sionnelle à temps partiel a fait unénorme bond en avant dans le cantonde Fribourg. Ce modèle familial plus« égalitaire » et qui semble attirer toutparticulièrement les parents de lajeune génération a plus que doublé endix ans, passant de 1.1 % à 3.3 %. Uneévolution qui correspond à lamoyenne nationale, mais qui est en-core loin du taux de 8,4% observabledans l'espace urbain de Berne où cemodèle enregistre le plus de succèsen Suisse.

La part des ménages monoparentauxdemeure constante et mesuréeEn marge du modèle « traditionnel »,parmi les ménages familiaux, figureégalement un nombre croissant depersonnes seules avec un ou plusieursenfants. Dans le canton de Fribourg,le nombre de ménages empruntantcette nouvelle forme de vie a presquedoublé au cours de ces trente derniè-res années (passant de 2191 en 1970 à5081 en 2000).Mais, proportionnellement, la part deces ménages n’a presque pas varié aucours de cette période. En effet, la

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proportion de ménages monoparen-taux parmi les ménages familiauxétait de 10% en 1970 et de 13% en 2000.D’ailleurs, ces ménages représen-taient 5,1% de la population résidenteen 1990 et 5,6% en 2000. Il est vrai quela taille de ces ménages a légèrementaugmentée.La monoparentalité demeure unequestion avant tout féminine. Constatmaintenant classique, dans neuf cassur dix, soit dans 85% des situations, leparent seul avec enfant(s) est unefemme. La tâche de pourvoir àl’entretien matériel du ménage inciteces mères le plus souvent à être acti-ves professionnellement. Dans la moi-tié des cas, elles travaillent à tempspartiel. Un quart travaille à pleintemps.

Mais le visage de la monoparentalitéévolue…La raison principale de la monopa-rentalité aujourd’hui est le divorce.Dans le canton de Fribourg, en 2000,la garde des enfants était attribuée àla mère dans trois quarts des situa-tions. Aujourd’hui, la garde est attri-buée à la mère et au père, dans 40%des cas, une proportion qui ne cessed’augmenter depuis l’introduction dunouveau droit du divorce. Il est doncparfaitement envisageable de consi-dérer la monoparentalité à la fois sousl’angle de la mère et du père.Les couples consensuels et les famillesrecomposées font concurrence auxménages conjugaux

Les relevés statistiques relatifs auxcouples consensuels ou concubins nedatent que de 1980. Depuis cettedate, on observe une forte progres-sion des couples vivant en union libredont la proportion a pratiquementtriplé en vingt ans, mais sans jamaisatteindre les 5% des ménages au ni-veau suisse.Il faut toutefois noter que seul lequart de ces ménages ont des en-fants, ce qui représente 1,8% de la po-pulation en 2000.Il est vrai que dans la classe d’âge oùles couples commencent à se former,les couples vivant en union libre sontplus nombreux que les couples ma-riés. L’époque où le mariage consti-tuait la norme est bien révolue. Maisla proportion de couples non mariés aatteint dans cette classe d’âge unpoint de saturation. Elle n’augmenteplus depuis une dizaine d’année qu’àun rythme très ralenti. Par la suite, lenombre de ménages en union librediminue considérablement. Les cou-ples qui décident d’avoir des enfantschoisissent souvent d’officialiser leurrelation par le mariage.

La famille sur le déclin ?En regard de l’évolution des modèlesfamiliaux et compte tenu des proces-sus démographiques qui ont marquéla structure familiale (divorces, baissede la natalité, etc.), la thèse del’érosion, voire de l’effondrement dela famille, semble plausible. Maiscette explication s’avère trop sim-pliste et ne rend pas compte de

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l’enchaînement des phénomènes ob-servés.La thèse de l’érosion correspond àune vision statique qui considère lesliens familiaux selon un schéma li-néaire et comme une juxtaposition demodèles. Elle conclut à l’éclatementdu modèle familial.En réalité, il s’avère plus pertinentd’appréhender les liens familiaux enterme de trajectoire ou de successiondans les itinéraires de vie. D’abord, lestendances démographiques (baissede la natalité ou divortialité) se sontstabilisées ou ont ralenti à la fin du20ème siècle. Ensuite, on assiste à unemodernisation de l’institution du ma-riage, qui se traduit par le recul de lafamille traditionnelle au profit denouvelles formes de partenariat fon-dées sur l’idée du consentement mu-tuel. Cette bipartition des ménagesfamiliaux est l’effet du mouvementgénéral d’individualisation de la so-ciété qui a donné naissance à de nou-velles formes de vie fondées surl’égalité des membres du couple. Cemouvement entraîne non pas uneérosion du mariage, mais une diminu-tion du modèle conjugal (fondé sur lemariage et de nature plus tradition-nel) au profit de formes de vie nonconjugales telles l’union libre ou lamonoparentalité. Mais ces formes devie, pour les individus, sont le plussouvent des étapes dans les itinérai-res de vie. L’union libre prend fin sou-vent avec le premier enfant ; la mo-noparentalité ne dure que quelquesannées. Ces nouvelles formes de vierestent toutefois marginales compa-

rativement à l’ensemble des ménagesfamiliaux.En résumé, nous sommes en quelquesorte en présence d’une diversifica-tion du modèle familial. Régression,on l’a vu, de la famille conjugale tradi-tionnelle et augmentation importantedu modèle conjugal « pragmatique »,qui se veut plus égalitaire. Parallèle-ment cohabitent désormais les mé-nages consensuels et monoparen-taux, mais dans une proportion limi-tée et relativement stable.Ainsi, la famille contemporaine achangé mais elle demeure. Elle cor-respond de moins en moins au mo-dèle traditionnel ayant servi de réfé-rence à l’élaboration du système desécurité sociale : stabilité du couple,multiparité, répartition sexuée desrôles parentaux et professionnels.

2. DEMANDES REVENDIQUÉES PARLES FAMILLESAvec la diversification des modèlesfamiliaux, on pourrait s’attendre àune diversification des demandes desfamilles. En réalité, elles convergentvers six axes principaux. Cela provientessentiellement du fait que les ména-ges familiaux, quels qu’ils soient, onten commun la responsabilitéd’enfants et que la majorité d’entreeux est confrontée au risqued’incompatibilité entre travail et fa-mille.

Sécurité économiqueCe premier axe rassemble toutes lesdemandes ayant trait à la prise en

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compte des charges familiales, aucoût de l’enfant et au risque accru deprécarité économique que peut cons-tituer les enfants pour les familles, àl’instauration d’une fiscalité plus favo-rable à leur égard, à l’aide au loge-ment, mais aussi à une harmonisationdes bourses et des allocations fami-liales.La demande d’être reconnue en tantque famille avec des charges spécifi-ques correspond à une réalité tangi-ble. Les familles sont menacées depauvreté dans des proportions supé-rieures à la moyenne. Les famillesnombreuses et les ménages monopa-rentaux sont davantage exposés aurisque de précarité. Le chômage tou-che davantage les femmes avec en-fants. Les familles disposent de moinsd’espace habitable et paient cher leurloyer.

Prestations familialesCorollaire de l’axe précédent, les fa-milles demandent à ce que leurs pres-tations soient reconnues et qu’ellessoient soutenues dans leur rôle afinde fournir des prestations de qualitéet dans de bonnes conditions.Les familles assument en effet un rôlespécifique et remplissent au sein de lacollectivité une mission qui leur estpropre. Elles fournissent en particulierdes prestations domestiques (loge-ment, repas, etc.), éducatives (socia-lisation, transmission des valeurs etdes apprentissages, etc.) et de solida-rité (soins aux parents âgés, etc.). Àce titre, la famille doit aussi être com-prise au sens d’institution dans la-

quelle se cristallisent les représenta-tions et les pratiques, des relationsentre partenaires, entre parents etenfants et entre générations.

Conciliation des univers familiaux, sco-laires et professionnelsLes familles demandent aussi desstructures d’accueil extra-familial, desaccueils extra-scolaire, davantaged’emplois à temps partiel, du travail àhoraire continu, des job-sharing, demeilleures offres de réinsertion pro-fessionnelle, des congés non payé,des congés parentaux et paternité,une harmonisation des horaires sco-laires, etc.Ces demandes correspondent à laforte progression du double emploidans les couples avec enfants et à lasituation de la majorité des ménagesmonoparentaux confrontés à de mul-tiples difficultés liées à la reprise d’unemploi, à la formation, à la garde desenfants pendant le travail, etc.

Information et formationLes familles demandent aussi à êtremieux informées, conseillées, voireformées. Elles demandent à bénéfi-cier d’un meilleur accès aux mesuresde soutien qui les concernent, no-tamment par le truchement d’un gui-chet famille. Elles demandent aussiune meilleure coordination entre lesprestations dont elles peuvent béné-ficier.Les dispositifs de politique familialesont complexes. La politique familialecantonale offre déjà de nombreuses

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prestations, mais dont la visibilitén’est pas toujours évidente. En plus, iln’est pas toujours facile d’établir lacorrespondance entre ces prestationset les divers ménages familiaux.Par ailleurs, la transformation desmodèles familiaux a rendu l’exercicedes rôles parentaux plus difficile. Lesparents sont confrontés à de nom-breuses questions qui nécessitent denouveaux apprentissages.

Partage des tâches domestiquesDans les ménages familiaux, les fem-mes demandent aussi une meilleurerépartition des tâches domestiquesdans le couple.Bien que le modèle familial tradition-nel soit en perte de vitesse, les tâchesdomestiques restent du ressort desfemmes.Enfin, au travers de ces différentesrevendications s’exprime aussi la de-mande de reconnaissance des diffé-rents modèles familiaux.Derrière ces différentes requêtes seprofilent quatre types de demande dereconnaissance :L’individualisation de l’espacefamilial. C’est-à-dire la prise encompte et la reconnaissance desindividualités – la femme d’une part,l’enfant d’autre part –indépendamment de l’entité familiale.La famille ne peut plus êtreappréhendée comme un ensemblequasi indistinct d’élémentsreprésenté par le père. Homme,femme et enfant veulent pouvoirexister en tant qu’individus. Dans ce

contexte, prendre en comptel’enfant, c’est aussi reconnaître qu’ilne doit pas constituer un risque depauvreté pour l’entité qui l’accueille.L’égalité des genres. La revendicationdes femmes à voir leur identitépersonnelle descellée de leur identitédomestique reflète une volonté derompre avec la situation dedépendance économique etidentitaire des hommes.La liberté de choix et l’autonomieindividuelle. Des hommes et desfemmes demandent à pouvoirconcevoir librement leur mode de vie.L’équité. L’indifférence de la sociétédevant le fait que certains acceptentla responsabilité d’élever des enfantsrevient à discriminer d’une certainemanière les familles. Une équité estdemandée pour compenser cetteabsence d’égard envers les famillesau travers d’une reconnaissance desprestations familiales.

3. LES DILEMMES DES POLITIQUESFAMILIALESCes différentes demandes sont légi-times, elles touchent des personnesau cœur de leur quotidien, des per-sonnes qui revendiquent la reconnais-sance de leur situation concrète.Comment la politique familiale, que cesoit au niveau fédéral ou cantonal,voire communal, peut-elle intégrerces demandes ?Il existe évidemment déjà un certainnombre de réponses dans les disposi-tifs actuellement en vigueur. Au coursde ces vingt dernières années, la poli-

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tique familiale cantonale s’est pro-gressivement étoffée d’un grandnombre de mesures. Ces mesurescontribuent à améliorer les conditionsde vie des familles, à les soutenir dansl’accomplissement de leurs tâches, euégard à leur responsabilité, et partici-pent par là même à une reconnais-sance des prestations fournies par lesfamilles.Ces mesures s’orientent globalementvers quatre directions :Procurer aux familles une compen-sation financière conséquente deleurs charges courantes, renforcer lasécurité matérielle des familles avecun revenu modeste, soutenir laconciliation de la vie familiale etprofessionnelle et favoriser uneégalité entre hommes et femmes.En outre, la politique familiale canto-nale a ouvert de nouveaux chantierssuite aux travaux de la Commissioncantonale pour une politique familialeglobale et suite à l’introduction de lanouvelle Constitution. Le Conseild’État vient d’instaurer aussi un co-mité de pilotage chargé de coordon-ner la politique familiale cantonale etde déterminer des objectifs. Il a éga-lement fixé des priorités : mise enœuvre de l’assurance maternité can-tonale, amélioration de l’accueil extra-scolaire, examen de l’opportunitéd’une deuxième année d’écoleenfantine.

Un double dilemmeAu vu des demandes de reconnais-sance précédemment citées, deuxdilemmes principaux auxquels est

confrontée la politique familiale sem-blent se dessiner.Le premier dilemme est celui del’intégration. Doit-on faire un choixentre la reconnaissance des différen-ces et la préservation d’un bien com-mun ? Ou bien, les deux sont-ils conci-liables, mais à quel prix ? L’enjeu se si-tue dans le maintien d’une cohésionsociale.L’individualisation de l’espace familialet l’égalité des genres correspondentessentiellement à la reconnaissancede la femme. Cette reconnaissance apour corollaire, on l’a vu, l’intégrationtoujours plus importante des femmessur le marché du travail. Avec le dé-veloppement de mesures favorisantla conciliation des univers familiaux,scolaires et professionnels, le doubleemploi dans les couples avec enfants,déjà en forte progression, pourras’étendre encore davantage. À moinsde choisir un modèle égalitaire centrésur la famille (soit deux temps par-tiels), mais encore rare aujourd’hui, ledéveloppement d’infrastructuresextra-familiales risque bien de provo-quer une externalisation toujours plusforte des prestations familiales. Cetteévolution pourrait ainsi fragiliser l’ins-titution familiale.La politique familiale actuelle s’inscritbien dans cette tendance puisque de-puis les années 1990 une approcheémancipatrice s’est substituée à l’ap-proche familialiste. Cette vision sup-pose une politique familiale qui sesoucie de l’individu et améliore la si-tuation de chacun des membres de la

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famille, en particulier celle de lafemme.Le risque de voir apparaître une crisede l’institution familiale est effecti-vement un problème relevé dans dif-férentes études. Or, l’institution fami-liale n’est-elle pas précisément unbien commun exerçant un rôle socialessentiel, comme je l’ai relevé précé-demment ? La conciliation des diffé-rences revendiquées dans le domainede la famille avec la pérennité del’institution familiale comme biencommun ne va donc pas de soi.Rassurez-vous, je ne suis pas en trainde prôner le retour à un modèle tradi-tionnel. Je pose simplement la ques-tion de savoir comment reconnaîtredes différences, telles que celles re-vendiquées dans le domaine de la fa-mille, sans affaiblir le bien commun.Bien sûr, on peut considérer que lareconnaissance de différences impli-que réciproquement une responsabi-lité des parents dans l’entretien del’institution familiale. Sans doute,mais cela ne résout pas encore laquestion de l’inégale répartition destâches domestiques. Il serait aussipossible d’occulter ce problème pardes explications telles que « la démis-sion des parents ». Mais rapporter lesproblèmes qui affectent le lien fami-lial à cette assertion simpliste com-porte le triple risque d’enfermer lesparents dans un processus de culpa-bilisation, de diluer les responsabilitéscollectives dans une mosaïque de casparticuliers et de masquer l’impor-tance des évolutions structurelles quitraversent la famille.

Le second dilemme est lié aux inégali-tés sociales. Doit-on faire un choix en-tre la reconnaissance de l’égalité desgenres et la réduction des inégali-tés sociales ? On aimerait avoir lesdeux. Mais ces deux logiques de jus-tice sociale ne peuvent être menéessans autre de pair.Pour surmonter l’inégalité persistanteentre les sexes, les efforts se concen-trent en particulier sur le problème dela conciliation entre vie familiale et vieprofessionnelle. Ceci afin de permet-tre une participation de toutes et tousau monde du travail ; ce qui n’est quejustice.Mais tous les ménages et surtout tou-tes les femmes ne sont pas à égalitéface à cette demande. Certaines dis-posent de peu de ressources, faible-ment qualifiées, elles subissent la pré-carité de plein fouet. Pour ces fem-mes de condition modeste, des mesu-res seraient avant tout nécessairespour réduire les inégalités sociales.D’autant plus si l’on sait que la forma-tion des parents détermine dans unelarge mesure les performances scolai-res des enfants.Aujourd’hui, on constate une vérita-ble dualisation des destins féminins.L’attention portée sur les inégalitésdes sexes peut tromper et le risquemajeur des mesures censées y remé-dier est qu’elles reproduisent uneforme inédite d’inégalité entre lesfemmes.Les mesures de conciliation entre viefamiliale et vie professionnelle n’ontpas la même signification selon lesdestins. Je prends un exemple simple.

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Lorsque l’on dit à une femme auchômage disposant d’un bon bagagesocioculturel qu’elle doit chercher unemploi parce que son dernier enfantvient d’avoir 5 ans, l’accueil extra-sco-laire peut être un élément détermi-nant pour reprendre une trajectoireprofessionnelle. En revanche, si cettefemme est sans qualification, en si-tuation précaire, elle n’aura que faired’un accueil extra-scolaire, si encoreelle peut se le payer, puisqu’ellen’aura guère de chance de retrouverun emploi.

4. CONCLUSION

Les mutations en cours ne peuventêtre abordées seulement en réfé-rence à la seule réalité intra-familiale.Ce serait sous-estimer le poids ducontexte social, économique, culturelet politique sur les échanges fami-liaux. La famille n’est pas un lieu au-tonome, n’est pas qu’une questionprivée, mais une question sociale, po-litique et économique.C’est en intégrant ce contexte quel’on peut envisager des moyens desurmonter les deux dilemmes quisemblent conduire la reconnaissancedes différences dans une impasse.Les demandes de reconnaissance dela part des ménages familiaux sur-viennent lors d’évènements criti-ques : mariage, divorce, chômage,etc. Dans ces situations, notre répon-se consiste à leur faciliter l’accès autravail en améliorant, par exemple, laconciliation des tâches domestiqueset professionnelles.

L’idée de faciliter l’accès au travail re-pose sur un système de protectionbasé sur l’échange, production contreprotection : « Travaille et tu seras pro-tégé ». Mais aujourd’hui, l’emploin’est plus le même qu’il y a trente ans.L’exemple de la chômeuse cité pré-cédemment le montre bien.On peut gagner autrement cette sé-curité en équipant les individus pourles rendre plus flexibles par rapport àleur contexte. Il s’agit de créer enquelque sorte des passerelles pourleur faciliter les transitions. C’est ceque certains appellent la « flexecu-rité ». Dans l’exemple de la chômeuse,il s’agit de lui fournir une formationqui lui permette de s’adapter à sanouvelle situation. Dans le dilemmede l’intégration, le temps partiel pour-rait être une solution. Mais il faudraitaussi favoriser un plus grand enga-gement des hommes dans les tâchesdomestiques. Pour qu’elles ne leurparaissent pas une corvée, il faut en-core que ces tâches soient autantvalorisées que l’activité profes-sionnelle. Cela implique que soientnégociées avec le monde de l’emploides formes de valorisation desactivités domestiques, par exemple lecongé parental.Perspectives ambitieuses, mais quiont été expérimentées. Cela impliquetoutefois une transformation de l’ac-tion publique. L’État n’arbitre plus lechoix des demandes de reconnais-sance recevables, mais il a un rôled’anticipation pour favoriser la cré-ation de passerelles. C’est un nouveaumodèle social.

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GENERATIONENUNTERSCHIEDEOtto Piller, ehemaliger Direktor des Bundesamtes für Sozialversicherung

Kurz vor Jahresende 2005 informier-ten die Medien über die Resultate ei-ner internationalen Studie zur künfti-gen globalen Bevölkerungsstatistik.So wurde mit grosser Genugtuungfestgestellt, dass die Bevölkerung aufunserem Globus weit weniger starkanwachse als dies noch vor einigenJahren angenommen wurde und esdürfe mit einer Stabilisierung bei ca. 9Mia Menschen gegen das Jahr 2050hin gerechnet werden. Dies sei mitBlick auf die beschränkten natürlichenResourcen als erfreulich einzustufen.Als negativ wurde dann ins Feld ge-führt, dass leider der Anteil der über60jährigen Menschen sich im gleichenZeitraum verdoppeln werde. Eine sol-che Aussage ist doch eigentlich eineUngeheuerlichkeit und müsste Reak-tionen bei den politischen Behördenauslösen. Da ist man einerseits froh,dass die Weltbevölkerung nicht mehrso stark wächst, ist doch der Lebens-raum auf unserem Globus begrenzt,beklagt aber andrerseits den zu ho-hen Anteil älterer und alter Men-schen. Das heisst doch implizit, dassdie Kommentatoren dieser Studie fin-den, die Menschen würden zu alt,denn würde der Anteil der Jungenwieder stark steigen, würden bei glei-cher Lebenserwartung im Jahre 2050weit mehr Menschen die Erde bevöl-kern, als dies heute von den natürli-chen Resourcen her gesehen als op-timal eingestuft wird!

Am 20. März 2006 erschien in der Bas-lerzeitung ein Gastkommentar einesUniversitätsprofessors. Ich rieb mirmehrmals beim Lesen die Augen. Dastanden unter Anderem folgendeAussagen : « Die Förderung der Kin-derzahl ist für die Alterssicherungschädlich" und weiter : « Deshalb soll-ten wir die Finger von einer aktivenKinderförderung lassen und aufhören,politische Projekte wie Kindergeldund die staatliche Förderung von Ta-gesschulen und Kinderkrippen mitKinderförderung für die Alterssiche-rung zu begründen » und wiederumweiter : « Deshalb könnten wir vielGeld sparen, wenn wir weniger Kinderhätten. Einen Teil der gesparten Mit-tel sollten wir zur Sicherung der Ren-ten auf dem internationalen Kapital-markt anlegen, damit wir als Rentnerdank hohen Zinsen viele Güter undDienstleistungen im Ausland einkau-fen und uns ausländisches Pflegeper-sonal leisten können. Den anderenTeil sollten wir für eine gute Ausbil-dung derjenigen Kinder ausgeben, die–zum Glück- auch ohne aktive Kinder-förderung geboren werden ». Dergleiche Professor schreibt dann noch,dass es statistisch erwiesen sei, dassKinder von wohlhabenden Eltern inder Regel später auch wohlhabendwürden, dass deshalb die Geburten-rate der Durchschnittsverdiener klei-ner werden sollte, und dass Eltern mitbesonders gutem Verdienstpotentialzu mehr Kinder angeregt werden soll-

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ten. Er schreibt dann weiter: « Dieheutigen staatlichen Förderungs-massnahmen sind kaum auf diese fi-nanziell ergiebigen Kinder ausgerich-tet. Zumeist bewirken sie sogar dasGegenteil. Ein fixes Kindergeld sowieTagesschulen und Krippen mit einersogenannten sozialen Gebührenord-nung helfen eher den ärmeren Eltern,Kinder zu haben ».Diese beiden Informationen, erschie-nen in unseren Medien, werden be-wusst an den Anfang gestellt, weil sievon Personen stammen, die sich ger-ne als Wissenschaftler bezeichnenund die einen nicht geringen Einflussauf unsere Gesellschaft haben. Siesind auch ein Beweis dafür, dass inunserer heutigen Gesellschaft der In-dividualismus und der Egoismus aufdem Vormarsch ist und die Solidaritätlangsam schwindet.Allerdings hat der Souverän mit derneuen Verfassung, die am 1. Januar2000 in Kraft trat, ein klares Bekennt-nis zu einen sozialen Staat abgege-ben, in dem alle Menschen von derGeburt an bis zum Tode in Würde le-ben können. In Art. 8 wird ein umfas-sendes Diskriminierungsverbot aus-drücklich festgelegt und mit den So-zialzielen in Art. 41 werden die sozialeGerechtigkeit und die soziale Sicher-heit als fundamentale Prinzipien fürein menschenwürdiges Dasein dergesamten Bevölkerung konkretisiert.Speziell wird auch gefordert, dass diewirtschaftlichen Folgen der wichtigenLebensrisiken Alter, Invalidität,Krankheit, Unfall, Arbeitslosigkeit,Mutterschaft, Verwaisung und Ver-

witwung für alle Personen abgesi-chert werden.Trotz dieses klaren Verfassungsauf-trages werden Risse in der tragendenSäule « Solidarität » sichtbar.Selbst politische Verantwortungsträ-ger beginnen die stetig anwachsendeLebenserwartung, die wir eigentlichals grosses Geschenk entgegenneh-men sollten, als Bedrohung und Lasteinzustufen. So erklären fundamenta-listisch-liberale Kreise immer lautstar-ker, unser Sozialstaat sei wegen derdemografischen Entwicklung unbe-zahlbar geworden, allerdings ohneBeweise dazu zu liefern. Der Alters-lastkoeffizient (welch schrecklicherBegriff!) steige besorgniserregend an,die Altersvorsorge über die Sozialver-sicherungen sei längerfristig nichtmehr möglich und für die hohen undimmer noch wachsenden Gesund-heitskosten seien insbesondere die al-ten Menschen schuld. Es gibt bereitsForderungen, dass diese deshalb inAbweichung zum Solidaritätsprinziphöhere Versicherungsprämien zu be-zahlen hätten. Ebenfalls beängsti-gend und verletzend wirken Aussa-gen, dass unsere Invalidenversiche-rung nur deshalb defizitär sei, weilScheininvalide diese plünderten. Be-hinderte Menschen werden so auf dieAnklagebank gesetzt und letztlich alsBelastung empfunden.Wir wissen heute auch, dass die ge-sellschaftlichen Veränderungen derletzten Jahrzehnte uns neue Familien-formen und insbesondere auch vieleallein erziehende Mütter brachten.Eine solidarische Gesellschaft dürfte

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eigentlich nie zulassen, dass Kinderfür die Familien zum Armutsrisikowerden. Trotzdem wird das Referen-dum gegen ein Gesetz ergriffen, dasendlich für jedes Kind in unseremLand eine bescheidene Kinderzulagegarantieren würde. Sind wir im Beg-riffe den sog. Generationenvertrag,den « Kitt zwischen den Generationen» aufzubrechen und unsere Gesell-schaft in Klassen zu fraktionieren, sonach dem Motto « der Starke ist ammächtigsten allein »? Anzeichen sindda und sie werden in letzter Zeit stär-ker. Die Schere zwischen arm undreich geht immer mehr auf undgleichzeitig sollen die Reichen bei ih-ren Soliditätsleistungen (Steuern undSozialbgaben) entlastet werden. Ob-wohl der durch die demografischeEntwicklung ausgewiesene zusätzli-che Bedarf an Sozialausgaben vor-liegt, wird die Einfrierung der Sozial-ausgaben gefordert. Bis heute warendie meisten dieser Forderungen

glücklicher Weise nicht mehrheitsfä-hig.Werden sie es morgen sein? Wir kön-nen dies verhindern, wenn wir auchkünftig den Gemeinsinn über den Ei-gennutz stellen.Sorgen wir dafür, dass auch künftig al-le Menschen in Würde leben können.Wachen wir darüber, dass die gelebteMenschlichkeit nie auf dem Altar derGewinn- und Renditeoptimierung ge-opfert wird und dass der klare Verfas-sungsauftrag nicht toter Buchstabebleibt! auch künftig den Gemeinsinnüber den Eigennutz stellen.Sorgen wir dafür, dass auch künftig al-le Menschen in Würde leben können.Wachen wir darüber, dass die gelebteMenschlichkeit nie auf dem Altar derGewinn- und Renditeoptimierung ge-opfert wird und dass der klare Verfas-sungsauftrag nicht toter Buchsta-be bleibt!

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L’ÉCOLE ET LA FORMATION CONFRONTÉES AUX SOLLICITATIONS MULTIPLESIsabelle Chassot, Conseillère d’État, Direction de l’instruction publique, de la culture

et du sport

« La crise de l’enseignement n’est pasune crise de l’enseignement : il n’y apas et il n’y a jamais eu de crise del’enseignement ; les crises de l’ensei-gnement sont des crises de vie : quandune société ne peut pas enseigner, cen’est point qu’elle manque acciden-tellement d’un appareil ou d’une in-dustrie. Quand une société ne peut pasenseigner, c’est que cette société nepeut pas s’enseigner, c’est qu’elle apeur de s’enseigner elle-même. Pourtoute humanité, enseigner, au fond,c’est s’enseigner : une société quin’enseigne pas est une société qui nes’aime pas, qui ne s’estime pas : et telest précisément le cas de la sociétémoderne. »

Charles Péguy, «Pour la rentrée», Ca-hiers en prose, Gallimard, 1904.

Madame la Conseillère d’État, ChèreCollègue,

Monsieur le Professeur,

Mesdames, Messieurs,

Chers participants à l’édition 2006 desAssises du social,

Je ne sais pas si l’école à laquelle faitréférence Charles Péguy, aujourd’huicentenaire, tentait déjà de construirela meilleure articulation possible entrereconnaissance, réciprocité et redistri-bution sociale des biens et des sa-voirs. Je pense qu’elle s’efforçait

avant tout, dans la période de trou-bles qui caractérisait cette époque, dedire les valeurs essentielles qui luidonnaient sa légitimité, à elle-mêmeen tant qu’institution et à la sociétédont elle était à la fois l’émanation etle miroir. Ce qu’elle est d’ailleurs tou-jours, cent ans plus tard, donnantainsi une réelle modernité aumessage : « Une société quin’enseigne pas est une société qui nes’estime pas ».Sommes-nous si sûrs, aujourd’hui, desvaleurs générales, universelles, cons-tantes et inconditionnelles dontl’école doit se porter garante etqu’elle doit enseigner afin d’assurer àchacun formation, développementpersonnel, reconnaissance sociale,accès au savoir et connaissances pro-fessionnelles ? Les diversités cultu-relles et sociales, liées à une dilutioncertaine des valeurs collectives, mar-quent la société et ont envahi nos es-prits au point d’ébranler nos certitu-des. Que faut-il donc enseigner à tousquand s’expriment, plus fort encore,les individualités, les particularismeset que naissent les communautaris-mes ?Au cœur de l’éducatif, il y a donc ten-sion entre le collectif et le singulier.Penser l’école en terme dialectiquen’est en soi pas gênant, car la véritéest plus à chercher dans un équilibre,un accord partagé que comme un ab-solu défini une fois pour toutes. Que

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l’on se souvienne de la querelle desAnciens et des Modernes, du tout af-fectif opposé au tout normatif, del’opposition entre rigueur et créati-vité, entre restitution appliquée dessavoirs et expression libre de sa per-sonnalité, entre traditionnel et pro-gressiste.Penser la diversité et gérer la com-plexité dans l’expression de ses diffé-rentes nuances, le tout bien souventdans l’urgence, serait, en fin decompte, une formule définissant as-sez justement la conduite de l’écoleaujourd’hui.Wie ich bereits erwähnt habe, stecktdie Schule im Umgang mit Differenz ineinem Dilemma, welches sie mit trag-fähigen pädagogischen Konzepten zubewältigen hat. Nochmals zur Erinne-rung : Aus der Perspektive des Ler-nens hat sich die Schule an den indivi-duellen Lernvoraussetzungen deseinzelnen Kindes zu orientieren, daLernen immer ein individueller Pro-zess meint und auf der anderen Seitesoll sich die Schule ebenfalls an all-gemeinen Kategorien der Bildung undErziehung ausrichten, wenn es um dieFrage der Unterrichtinhalte, der Ba-siskompetenzen und der allgemeinverbindlichen Normen und Wertegeht.Dieses Spannungsfeld der Schule zwi-schen Individualität und Kollektivität,welches pädagogisch zu bewältigenist, kann meines Erachtens am Themader Begabungsförderung exempla-risch aufgezeigt werden. Wie könnenKinder mit besonderen Begabungenim Kontext der staatlich-öffentlichen

Schule auf angemessene Art und Wei-se gefördert werden und zugleich imKollektiv der so genannten Regel-klasse integriert bleiben? Eine Ant-wort darauf ist zum Beispiel das En-richment-Modell, welches sich für je-de Schule adaptieren und durchfüh-ren lässt und im Kanton Freiburg be-reits auch vereinzelt umgesetzt wird.Enrichmentgruppen sind alters- undklassenunabhängige Gruppen vonSchülerinnen, Schülern und Lehrper-sonen, die ein gemeinsames Interesseteilen und für eine begrenzte Zeit re-gelmässig wöchentlich zusammen-kommen. Die Enrichment-Kurse sindim wöchentlichen Stundenplan ein-gebettet und finden während der re-gulären Schulzeit statt. Die Themenvariieren und hängen stark von denInteressen der Kinder ab. BeliebteThemen sind Astrologie, Technik undPhilosophie. Enrichment-Kurse kön-nen auch Projekte, Exkursionen oderkleine Expertisen beinhalten. Die Ak-tivitäten sind dann auf ein Endpro-dukt hin ausgerichtet. Beispielsweiseeine Aufführung oder eine Ausstel-lung, welche von der Enrich-mentgruppe für die ganze Schulge-meinschaft kreiert worden ist.Donner à tous une base commune età chacun la possibilité d’enrichir sessavoirs, de développer ses talents etd’élargir l’horizon de ses possibles :voilà une perspective valorisante quiimprègne petit à petit aussi bien lesdémarches pédagogiques des ensei-gnants que l’organisation du tempsscolaire par des grilles horaire com-prenant des composantes option-

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nelles, vision qui figure aussi dans lesdéclarations générales.Notre constitution cantonale, parexemple, y a été sensible, puisqueconstituantes et constituants ont te-nu à renforcer le pôle social de l’ensei-gnement en réaffirmant la nécessitéde soutenir l’action des familles etd’étendre les champs de compéten-ces à développer chez l’enfant à desperspectives sociales et environne-mentales.« L’école assure la formation des en-fants en collaboration avec les parentset seconde ceux-ci dans leur tâche édu-cative. Elle favorise le développementpersonnel et l’intégration sociale desenfants et leur donne le sens des res-ponsabilités envers eux-mêmes, autrui,la société et l’environnement », art 64,alinéa 2 Cst.La maîtrise des connaissances de bases’est élargie à des besoins plus vas-tes : l’école développe chez l’enfantet chez le jeune la conscience de soi,de sa richesse potentielle, de sa per-sonnalité naissante et de ses compé-tences relationnelles à construire.

Un exemple plus concretMême s’il représente en fait tout unprogramme, le développement dusens des responsabilités est au cœurde l’action éducative.Les adultes, l’école, la famille atten-dent de l’enfant qu’il soit responsableenvers lui-même dans ses choix, dansl’investissement qu’il consent dansson parcours d’écolier puis d’étu-diant, dans le respect de sa propre

santé. Ils attendent aussi qu’il soitresponsable envers autrui par unecompréhension plus fine des consé-quences de ses dires et de ses gestes,responsable d’offrir de soi une capa-cité à interagir, à construire dans larelation aux autres des projets, desentreprises communes. Responsableégalement de sa qualité de vie, de l’airqu’il respire, de la biodiversité, capa-ble de saisir la force des échangesentre nord et sud, conscient des di-versités culturelles et des richessespropres à chacun.Or, force est de constater, quel’enfant et le jeune sont d’abord trèsdemandeurs, pris par eux-mêmes,très sensibles à leurs besoins aux-quels jamais ni personne ne sait ré-pondre, égocentriques et parfois hy-persensibles à la frustration d’un ca-price non assouvi. Les exemplesabondent qui requièrent une in-croyable patience aux enseignantsconfrontés à la difficulté d’assurer laconduite collective de la classe touten laissant une place à l’expressiondes besoins individuels. Tension entreun idéal pédagogique à construire surle long terme et la manifestation égo-centrique et immédiate de besoinsindividuels. Responsabilité ou auto-nomie.C’est sans doute à ce niveau que sepose un défi majeur à relever pourl’institution : comment concilier l’ap-prentissage et le développement denormes et de valeurs souhaitées etgarantes de notre cohésion socialetout en reconnaissant la diversité desdiscours, des croyances et des cultu-

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res qui se côtoient au quotidien et quiémanent d’horizons et de milieux sidifférents parfois ?

La différenceLes enfants et les jeunes particuliersou différents, souffrant du trouble dudéficit d’attention et d’hyperactivité,de dyslexie, de dysorthographie, dedyscalculie, tous ces fameux troublespsychomoteurs, de mal-être, de diffi-cultés relationnelles, psychologiques,voire psychiatriques, de trouble dusommeil et de l’alimentation auxquelsse sont ajoutés plus récemment lesenfants et les jeunes à haut potentielqui tous nous posent la question de lanorme, du standard.Il y a une prise en compte des diffé-rences qui a commencé par une prisede conscience puis par des gestes,des actions, des dispositifs, des ins-truments. Le concept d’intégrationdes enfants souffrant de handicap enest un exemple patent. Face àl’expression de cette diversité, lesprofessionnels sont amenés à travail-ler différemment, à davantage con-fronter leur conception du métier, àcollaborer à des projets d’équipe. Lanouvelle politique menée dans lesétablissements scolaires visant à res-ponsabiliser davantage les ensei-gnants face aux enjeux multipless’inscrit dans ce souci de donner sens,de développer des interactions cons-tructives et fertiles sous la forme deprojets.Je souligne avec satisfaction que nosdeux Directions incitent et soutien-nent la mise en place dans le canton

d’actions d’éducation générale, depromotion de la santé et de projetsd’établissement.

Dans un registre plus légerCitons la question de l’habillementdes adolescents, expression de la li-berté individuelle qu’un uniforme, pardéfinition commun, ne saurait brimer.Les choses sont en fait plus com-plexes, puisqu’à y regarder de plusprès une forte tendance pousse àl’uniformisation des styles afin defaire comme les autres. L’école recon-naît la manifestation des différences –jusqu’à un certain point – tout enn’étant pas dupe du jeu et de la sé-duction exercés par les grandes mar-ques commerciales. On pourrait aussiévoquer les demandes de congé et lanécessité d’assurer la scolarité.

Les particularismes culturels et reli-gieuxCette question est par contre beau-coup plus difficile quant aux réponsesà apporter. Être ouvert et acceptantne signifie pas être tolérant àl’intolérance. Quand des valeurs à ca-ractère fortement communautaristeprésentent une forme de dérive, alorsl’école publique, expression du creu-set culturel de nos sociétés, doit met-tre le holà. Quand l’expression indivi-duelle ou collective devient prosélyti-que, alors il y a dérive. Une barrièreest franchie ; il faut oser direl’inacceptable. Il y a sans doute ma-nière de le dire, dans le respect, maisil faut le dire.

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ConclusionDonner la connaissance des codes,construire des repères, analyser lesenjeux et donner un sens aux valeurscommunes est un souci actuel de no-tre école. Elle tente de le faire en in-tégrant les enseignants à la construc-tion de références communes.À en croire ce catalogue d’intentions,de priorités institutionnelles, l’écoleserait donc à même de remplir sa mis-sion de formation. Et pourtant…ilsubsiste des échecs au terme de lascolarisation, des situations de mar-ginalisation au terme même d’un cur-sus scolaire inadapté ou chaotique.Devrait-on, comme le proposent cer-tains, concentrer l’énergie et les for-ces à instruire et renforcer les appren-tissages scolaires en abandonnant à laresponsabilité individuelle des famil-les dans un premier temps puis de lasociété les aspects sociaux et rela-tionnels ? Notre société choisirait-ellede miser davantage sur des program-mes alliant éducation et formationdès le plus jeune âge ? Quatre anscomme cela est proposé au niveau dela Conférence des directeurs et direc-trices de l’instruction publique descantons suisses ?Se donner les moyens de poursuivreune politique humaniste et sociale,c’est accepter et reconnaître la valeurde la collaboration nécessaire entrel’institution et la famille, mais égale-ment entre l’institution et l’économie.Des rapprochements sont indispen-sables afin de mieux comprendre à lafois les attentes des uns mais égale-ment la richesse des autres et de par-

tager ainsi des visions à moyen etlong terme.L’évolution passera sans doute cesprochaines années par la mise en pla-ce de nouveaux plans d’étude. Ceux-ciprésentent comme particularité delier les branches d’apprentissage en-tre elles dans une cohérence visant àdévelopper des compétences trans-versales. C’est ainsi par exemple quel’on parlera de domainesd’apprentissage au sein desquels l’his-toire et la géographie, la citoyennetéet le civisme pour citer un exemple segrouperont pour former le domainedes sciences de l’homme et de la so-ciété.Aider l’enfant à devenir un citoyen,reconnu pour lui-même, qui puisse sesentir à l’aise dans son milieu de vie etde travail, dans sa relation aux autres,aux systèmes en place, aux évolutionsen devenir, à l’environnement, qui aitla capacité et l’envie de s’engager etde développer toujours et encore seschamps de compétences et ses rela-tions. La vocation de l’école évolue.Elle doit concilier à la fois l’apprentis-sage des codes et des outils d’inté-gration mais également l’apprentis-sage du choix, de la création, de lacommunication, de l’initiative et desinteractions fédératrices de projets.

Ainsi, l’école et la société se donnentou tentent de se donner les moyensde répondre à l’affirmation de CharlesPéguy : une société qui enseigne estune société qui a de l’estime pour elle-même, et tel est précisément le cas dela société moderne.

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L'EMPLOI FACE AUX REVENDICATIONS IDENTITAIRES (SOCIO-CULTURELLES) :EXEMPLE DE l’ÉTAT DE FRIBOURG

Martine Morard, Cheffe de service adjointe, Service du personnel et d’organisation

1. INTRODUCTIONLa relation entre l’employeur etl’employé-e est basée sur une volontéréciproque librement consentie. L’em-ployeur est ainsi libre d’engager unepersonne et de fixer les conditions detravail. L’employé-e est libre d’ac-cepter et il-elle peut négocier, dumoins dans une certaine mesure, sesconditions de travail. Cette liberté estlimitée pour les employeurs privés parla législation fédérale sur le travail etle Code des obligations, pour lesemployeurs publics par certainesdispositions de la loi sur le travail etpar leur propre réglementation dedroit public. Hormis quelques règlesde protection sociale et de la santé,les réglementations fédérales neprennent pas en compte lesparticularismes inhérents aux diversescatégories de personnel. Les entre-prises privées et publiques ont doncle choix de reconnaître et, le caséchéant, de valoriser des différencesrevendiquées par des membres deson personnel. Cette liberté s’étendmême aux grandes catégories depersonnes dont la différence apourtant fait l’objet d’une recon-naissance légale : personnes handi-capées, demandeurs d’emploi, etc.La reconnaissance des différences vaainsi dépendre essentiellement desvaleurs retenues par l’entreprise dansles limites suivantes :En premier lieu, l’employeur est tenude ne pas prendre en compte

certaines différences afin d’évitertout traitement discriminatoire. Onpense notamment à l’interdiction desdiscriminations liées au sexe, à lapersonnalité, à la race, à l’état civil.En second lieu, l’action des em-ployeurs publics ne peut s’inscrire quedans le respect des grands principesde l’activité administrative, enparticulier, le principe de l’égalité detraitement.Dans ce contexte, il n’est pas sansintérêt de présenter la situation d’unemployeur public, en l’occurrencel’État de Fribourg, face à la demandecroissante de la reconnaissance desdifférences au sein du personnel.Seront évoquées tout d’abord, desdonnées de base relatives au per-sonnel de l’État de Fribourg. Ensuite,seront exposés quelques exemplesde particularismes pris en compte parl’employeur, les mesures concrètesd’application et les limites de lareconnaissance.

2. QUELQUES DONNÉES DE BASE

Afin d’évaluer la position de l’État deFribourg face à la reconnaissance desparticularismes de son personnel, ilconvient de préciser quelques don-nées de base.

L’État de Fribourg compte actuel-lement 8'400 postes à plein temps(EPT) répartis sur environ 13'500personnes. 52 % des EPT sont occupés

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dans l’enseignement (depuis l’écoleenfantine jusqu’à l’Université), 27 %dans l’administration au sens strict,17 % dans les hôpitaux cantonaux et4 % dans les établissements étatiquestels que les Etablissements péni-tentiaires ou l’Institut agricole deGrangeneuve.La totalité des charges de personneldépasse, au budget 2006, un milliardde francs (1078 millions). Celacorrespond à 43,5 % des chargestotales de fonctionnement. Pourrappel, le budget est présenté par leConseil d’État au Grand Conseil pouradoption. Les dépenses de personnelsont donc décidées en dernier ressortpar l’organe législatif.Ce ne sont pas moins de 380fonctions qui sont exercées à l’État deFribourg, réparties sur six familles defonctions, couvrant ainsi des activitésaussi diverses que celles exercées parles agents de la force publique, lepersonnel de fouilles archéologiques,les professeurs de musique auConservatoire ou encore les forestiersbûcherons.

Les femmes représentent 53 % dupersonnel total et environ 22 % dupersonnel occupé dans des fonctionsde cadres et de spécialistes (dès laclasse 26 de l’échelle destraitements). Les personnes tra-vaillant principalement en langueallemande représentent 29 % dupersonnel.

3. PARTICULARISMES RECONNUSPAR L’ÉTAT-EMPLOYEUR

Il est ici fait état d’un certain nombrede particularismes reconnus parl’État-employeur. Il s’agit d’un choixdélibéré qui n’est pas exhaustif.La situation des femmes n’est pastraitée. En effet, la prise en comptede la situation des femmes sousl’angle de la promotion de l’égalitédes chances entre hommes etfemmes n’entre pas réellement dansle cadre de l’analyse desrevendications identitaires : 52 % dupersonnel de l’État étant féminin, cen’est pas sous cet angle qu’il y a lieude traiter de cette problématique ;celle-ci suscite d’ailleurs pour elle-même de très nombreux débats. Àrelever la volonté expresse de l’État-employeur de ne pas se limiter àgarantir l’égalité des chances mais à lapromouvoir. Le succès à cet égarddoit toutefois être considéré commerelatif si l’on se réfère, par exemple, àla proportion de femmes occupantdes postes de cadres à l’État.

4. RECONNAISSANCE DANS LECADRE DE LA POLITIQUE DUPERSONNEL

Intégration des personnes handi-capées

L’État de Fribourg a, depuis denombreuses années, admis la néces-sité de favoriser l’engagement depersonnes handicapées. La Loi sur lepersonnel de l’État (LPers) est venueconsacrer, au niveau des principes depolitique du personnel, l’Arrêté du

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Conseil d’État du 25 février 1992relatif à l’engagement des personnesinvalides. La mesure consiste àengager des personnes reconnuescomme étant invalides (mais nonnécessairement rentières) sur unbudget centralisé spécifique. Lespostes occupés par ces personnes nesont pas décomptés de l’effectifautorisé. Sous réserve de cet aspect,les personnes engagées sont sou-mises aux mêmes règles que le restedu personnel de l’État. Les aména-gements de la place de travail sonteffectués avec le soutien éventuel del’AI. L’employeur consent égalementdes aménagements d’horaire, sinécessaire. Actuellement, le budgetconsacré à l’engagement de per-sonnes handicapées est de 1,6millions pour un budget total depersonnel de l’ordre d’un milliard.Une quarantaine de personnes sontengagées sur ce crédit.La mesure est considérée comme trèspositive. Elle permet aux personnesconcernées une intégration ou uneréintégration dans le monde dutravail avec les conséquencesfavorables que cela comporte sousl’angle économique, social et de lasanté. Elle a toutefois ses limites: lemontant prévu au budget spécifiquene permet pas d’ouvrir suffisammentla voie à l’intégration. Lors del’adoption des dispositions légales, ilétait prévu que les personnesbénéficiant de la mesure seraient,après une certaine période, intégréesdans le budget général du personnelet libéreraient de ce fait le budget

spécifique. Or, on constate quemalgré des incitations auprès desservices concernés, l’utilisation d’unposte, figurant à l’effectif, par unepersonne handicapée, reste un faitexceptionnel. Il persiste unerésistance au sein des unitésadministratives face à l’engagementde personnes invalides. Crainte d’unrendement insuffisant, crainte que lesautres collaborateurs-trices n’aient àsupporter des tâches complé-mentaires, peur tout simplement dela différence, voilà autant de motifsque l’on peut invoquer pour expliquercette réticence. Dès lors, en l’étatactuel de la situation, sous réserved’une augmentation du budgetspécifique, les possibilités d’engage-ments de personnes handicapéesresteront très limitées.

La situation des personnes handi-capées face à l’emploi nécessite uneprise en compte plus globale, déjà enamont de la survenance de l’i-validité,ainsi que le démontre la modificationactuellement en cours de l’AIfédérale. Dans cette perspective, lamise en place d’un système de « casemanagement » en vue d’une détec-tion précoce des cas d’invalidité etd’une réinsertion au travail, à l’instard’autres entreprises publiques (Züri-ch, Bâle, Lucerne, etc.) ou de cer-taines entreprises privées (Migros parexemple) est actuellement à l’étude àl’État de Fribourg. Un tel systèmeprésente d’évidents avantages so-ciaux et économiques pour l’ensem-ble des partenaires : employé (réin-tégration dans le monde du travail),

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employeur (baisse du taux d’absen-téisme), assurances sociales (diminu-tion des cas AI et des cas d’aidesociale). Le « case management » aégalement comme avantage nonchiffré mais indéniable, de modifierpeu à peu, par un travail de formationet d’information, la mentalité desorganes et personnes concernées(collègues de travail par exemple)face à un employé atteint dans sasanté. Dans cette perspective, il estfait un travail d’acceptation et dereconnaissance de la différence. Il nefaut toutefois pas négliger le fait quela mise en place d’un tel système a uncoût relativement important, soit enengagement de personnel supplé-mentaire (plusieurs « case manager »seraient nécessaires pour répondreaux besoins de l’État-employeur), soiten honoraires pour des mandatsconfiés à des tiers.

Intégration des jeunes demandeursd’emploiL’article 4 let. i LPers préconise desmesures favorisant l’intégration desdemandeurs d’emploi. En exécutionde cette disposition, le Conseil d’Étata adopté une réglementationfavorisant la création de places destage et l’intégration des jeunesdemandeurs d’emploi dans le mondedu travail. Ces mesures sontanalogues à celles prévues pour lespersonnes handicapées. Elles consis-tent essentiellement dans la créationd’un budget spécifique permettantl’engagement de jeunes ayantterminé leur formation. Ces enga-gements ne comptent pas à l’effectif.

Ils s’étendent sur une durée de 6 à 12mois. Ils sont rémunérés selon lesrègles ordinaires applicables aupersonnel de l’État. Combinés avecles mesures issues de l’assurance-chômage, ces engagements permet-tent l’acquisition d’une réelleexpérience professionnelle sur unedurée qui peut aller jusqu’à 18 mois.Étant donné que ces mesures sontrécentes, puisqu’elles ont étéintroduites en 2005, le budget actuelest encore modeste (500'000 francs).L’expérience faite est très concluante.Les jeunes qui ont bénéficié de ceprogramme ont un atout supplé-mentaire sur le marché du travail etde ce fait, nombreux sont ceux qui,grâce à cette mesure, ont déjà trouvédes places de travail stables.

Les mesures ne s’étendent pas actuel-lement à l’ensemble des demandeursd’emploi. Or, s’il est vrai que sur leplan du marché du travail, les jeunesprésentent une fragilité certaine, lespersonnes qui ont atteint un certainâge, en particulier celles qui sontproches de l’âge de 60 ans sont ensituation de grande précarité. On nepeut que souhaiter que l’État-employeur étende ses efforts àl’égard également de cette catégoriede personnes. La prise en compte dela situation des jeunes demandeursd’emploi soulève ainsi la question dela prise en compte d’autres catégoriesanalogues. Ces mesures s’inscriraientd’ailleurs également dans le cadre desprincipes de politique du personnelprévus par la LPers. Cependant, ellesauraient un coût supplémentaire qui

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viendrait s’ajouter à celui déjàexistant.

Création de places pour les jeunes enapprentissage ou en formationLes jeunes en formation connaissentactuellement des difficultés parfoisconsidérables à trouver des em-ployeurs prêts à leur offrir lapossibilité d’accomplir la partiepratique de leurs études. En vertu dela LPers, l’État-employeur doitfavoriser la création de telles placesde travail. Plusieurs mesures ont étéprises en exécution de ce principe :budgets spécifiques et simplificationdes procédures d’engagement. Enoutre, les unités administratives sontsollicitées régulièrement par leService du personnel et d’organisa-tion pour l’engagement d’apprenti-e-set de stagiaires. Ces efforts ontpermis d’augmenter l’offre de placesde formation.

Malgré ces mesures, force est deconstater que l’offre actuelle estencore insuffisante. Dans une périodeoù les restrictions en personnel sontimportantes, la requête d’accueil depersonnes en formation, au seind’une entité organisationnelle déjàsurchargée, ne suscite que rarementune réponse favorable. Des in-citations spécifiques devraient êtremises en place pour favoriser cetteacceptation des personnes enformation : octroi d’effectifs supplé-mentaires à l’entité d’accueil, octroide primes aux maîtres-ses d’appren-tissage ou de stage, etc. Or, l’instau-ration de ce type de mesures inci-

tatives représenterait un coût supplé-mentaire pour l’État-employeur.

Promotion du bilinguismeLa promotion du bilinguisme, principede politique du personnel, a étévoulue expressément par le GrandConseil. Il est actuellement surtoutconcrétisé par rapport aux des-tinataires des prestations. Ainsi, toutepersonne de langue allemande estassurée de pouvoir communiquerdans sa langue avec un membre dupersonnel de l’État. Chaque domained’activité étatique se déploie dans lesdeux langues officielles du canton.Une proportion du personnel aumoins équivalente à la proportionalémanique du canton est de langueallemande.

Cependant, au niveau du personnellui-même, la revendication de ladifférence consiste précisément dansla requête d’une prise en compte dela compétence spécifique dubilinguisme. Or, aucune mesureformelle n’existe actuellement enfaveur des personnes bilingues.L’avantage qu’elles possèdent est enprincipe valorisé sans qu’il soitnécessaire de le prévoir formel-lement. En effet, au niveau del’embauche, la personne bilingue amanifestement plus de chanced’obtenir un emploi et, par la suite, cebilinguisme sera souvent un atoutpour obtenir une promotion. Ce-pendant, des demandes, émananttant des personnes bilingues elles-mêmes que de responsables d’unitésadministratives, démontrent que le

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sentiment que cette compétencen’est pas suffisamment valoriséeexiste. D’ailleurs, jusqu’au milieu desannées 80, le bilinguisme faisaitl’objet d’une rémunération supplé-mentaire par le biais de l’octroi d’uneindemnité (20 francs par mois !). S’il aété renoncé à cette pratique, c’estqu’en maintenant la reconnaissancede cette compétence, on ouvrait laporte à la reconnaissance d’autrescompétences : connaissance d’autreslangues utiles ou maîtrise particu-lièrement élevée de l’une des langues,ou encore compétence particulièredans tout autre domaine. Or, avecl’introduction du système analytiqued’évaluation des fonctions (Evalfri),on estimait que ces compétences,dans la mesure où elles étaient utilesà l’exercice de la fonction, seraientprises en compte dans ce cadre (cf. adch. 2.1.). L’État-employeur a doncprivilégié une démarche globale parrapport à la reconnaissancespécifique d’une différence qui auraitentraîné certainement le dépôtd’autres requêtes. Il n’en reste pasmoins qu’une certaine déceptionpersiste auprès du personnelconcerné quant à la prise en comptede l’atout du bilinguisme, atout qui nepeut être totalement valorisé par ladémarche Evalfri.

5. PARTICULARISME PRIS ENCOMPTE DANS LE CADRE DE LARÉMUNÉRATION

La rémunération du personnel del’État se base sur la classification desfonctions, sur l’expérience acquise

par le collaborateur ou de lacollaboratrice et sur la qualité desprestations fournies. A premièreanalyse, ces critères sont sans rapportavec la notion de la revendicationidentitaire. Or, c’est l’un des do-maines de la gestion du personnel oùse font, de plus en plus fréquentes,les demandes de reconnaissance desdifférences.

Classification des fonctions

Pour évaluer la valeur en terme derémunération de chaque fonctionexercée au service de l’État deFribourg, celui-ci a adopté un systèmeanalytique d’évaluation des fonctionsqu’il a dénommé Evalfri. Ce système apour base l’instrument d’évaluationrecommandé par le Bureau fédéral del’égalité entre femmes et hommes(ABAKABA). La méthode Evalfrirepose sur quatre domaines soumis àl’analyse (intellectuel, psycho-social,physique et de responsabilité spé-cifique et risques) et une cinquantainede critères et sous-critères. Lesrésultats selon les domaines sontpondérés : 58 % en faveur du domaineintellectuel, 17 % en faveur dudomaine psycho-social, 8 % en faveurdu domaine physique et 17 % en faveurdu domaine de la responsabilité. Laméthode permet d’évaluer l’en-semble des fonctions exercées auprèsde l’État dans toute leur diversité.Ainsi, le système comprend des cri-tères qui sont pertinents aussi bien,par exemple, pour la fonction decantonnier que pour celle d’infirmier.La méthode Evalfri, par la spécificité

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et le nombre de critères et de sous-critères d’évaluation qu’elle comporteest exemplaire de la prise en comptedes particularismes propres à chaquefonction. Ce système, applicable aux380 fonctions étatiques, est ainsigarant de l’application du principe del’égalité de traitement tout enintégrant les spécificités de chaquefonction évaluée. Il répond, en règlegénérale avec satisfaction, à la de-mande toujours plus pressante desdiverses catégories professionnellesrevendiquant la reconnaissance deleurs spécificités.Cependant, lorsque la méthode et sesrésultats sont contestés par descollaborateurs-trices, les argumentsproduits tendent essentiellement àdémontrer que les particularités de lafonction en cause n’ont pas étécomprises dans leur totalité et n’ontpas été suffisamment valorisées;l’État-employeur ne réussit pas tou-jours à convaincre que la fonction aété évaluée en tenant compte detoutes ses composantes. L’opinionsouvent émise par les contestatairesdu système est que celui-ci (ou samise en application), en se voulantgénéral pour toutes les fonctions,gomme par trop les spécificités. Lecas échéant, le Tribunal administratifse prononce en dernier ressortcantonal. À ce jour, les arguments del’État ont généralement prévalu surceux des recourants devant la Courcantonale.

Prise en compte de la qualité desprestations

Lors de l’adoption de la LPers, l’unedes grandes questions qu’avait àtrancher le législateur était celle del’introduction d’un salaire à la per-formance ou au mérite. On admetgénéralement que le salaire au méritesuppose qu’une part significative dusalaire va varier en fonction de laqualité des prestations. D’unecertaine manière, on peut considérerque le salaire à la performance estl’expression des exigences duprincipe de l’égalité de traitement : endistinguant sur le plan salarial entre« bons et mauvais collaborateurs-trices », le salaire à la performancefait écho au principe qui veut que l’ontraite différemment ce qui estdifférent et de manière semblable cequi est semblable. Or, l’État-employeur a renoncé à l’introductionde ce système de rémunération. Il aconsidéré que les avantages (es-sentiellement liés à la motivation dupersonnel) n’étaient pas compenséspar les inconvénients (part desubjectivité dans l’évaluation, effetpervers sur la motivation dupersonnel, coût, lourdeur du sys-tème). Les associations de personnelétaient également opposées ausalaire au mérite. Dans ce domaine,on constate donc une certaineretenue dans la revendication et lareconnaissance de la différence, dumoins quant au principe. Cependant,dans des cas concrets, le-lacollaborateur-trice qui se voitrémunérée de la même manière

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qu’un-une collègue dont il-elle estimeque le niveau des prestations n’estpas identique au sien, fait valoir unsentiment de frustration, voired’injustice : l’aspect solidarité d’unsystème de rémunération où la partau mérite n’est pas valorisée est alorsremis en cause.

6. PARTICULARISME AU NIVEAU DESCONDITIONS DE TRAVAILPrise en compte des personnes ayantdes tâches éducatives

Les personnes ayant à assumer destâches éducatives, dans le cadre de lasociété actuelle essentiellementencore les femmes, revendiquent quel’employeur prenne en compte cetélément. Des règles fédérales ontdéjà été mises en place en ce quiconcerne le congé de maternité et lecongé d’allaitement. La requête vatoutefois beaucoup plus loin. Il s’agitde permettre au collaborateur-tricede concilier vie professionnelle et viefamiliale. Dans ce contexte, ce sontessentiellement des revendicationsliées à la durée du travail (travail àtemps partiel) et à la localisation dutemps de travail (horaire) qui sont encause. La création de crèches au seinde l’entreprise pour assurer l’accueildes enfants des collaborateurs-tricescorrespond également à des requêtessouvent exprimées.

L’État-employeur n’a répondu quepartiellement aux attentes en matièrede durée du travail et d’horaire.Aucun droit à l’obtention d’un travailà temps partiel ou à l’aménagement

du temps de travail n’a étélégalement consenti. Une dispositionréglementaire prévoit, toutefois,qu’une demande de diminution dutaux d’activité après le congé dematernité ne peut être refusée quepour des motifs liés aufonctionnement du service. Dans lesfaits, on constate que l’État-employeur connaît un grand nombrede collaborateurs-trices qui travaillentà temps partiel, en particulier dans ledomaine de l’enseignement et dessoins. Dans les autres secteurs, laculture de l’employeur est égalementfavorable à l’octroi de durée du travailet d’horaires adaptés à la situationdes personnes assumant des tâcheséducatives.Cependant, cette politique a deslimites, non seulement liées au bonfonctionnement du service qui resteprioritaire, mais également à l’appli-cation du principe de l’égalité detraitement. En effet, lorsque l’octroide conditions privilégiées et durablesà un collaborateur-trice, relatives à ladurée et à l’horaire de travail, pénaliseles autres membres du personnel,l’employeur va, avec raison, renoncerà cette solution. La solidarité entrecollègues de travail peut être exigéepour une période courte; elle sera, enrègle générale, admise par lepersonnel concerné. Au-delà, unetelle exigence provoquerainévitablement des tensions àl’intérieur du personnel, même sil’employeur entre en matière sur unéventuel dédommagement en faveurde celles et ceux qui supportent des

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inconvénients supplémentaires. Larevendication identitaire se heurtedans ce cas clairement au sentimentde justice et d’équité de celles et ceuxqui supporteront les conséquencesde la prise en compte de cetterevendication.

La création de crèches au sein del’État-employeur est au stade deprojet. L’avantage d’une telle mesureest évident aussi bien pourl’employeur que pour les employé-e-s.Elle s’inscrit également dans le cadred’une politique générale de l’Étatfavorable à la famille. Cependant,dans le cadre de la législation actuelle,ces crèches ne pourraient pas êtresubventionnées par les communes.Même si l’on exigeait uneparticipation prépondérante de lapart du personnel concerné, lacréation de crèches supposera doncun certain coût pour l’État-employeur.Une telle démarche risquerait de seheurter à un refus du Grand Conseil.En effet, celui-ci, en tant quereprésentant du peuple et donc descontribuables, sera-t-il prêt à fairesupporter cette charge par lapopulation, pour une catégorie depersonnes déjà considérée commeprivilégiée ? À nouveau, lareconnaissance d’une revendicationde la part d’une catégorie depersonnes va se heurter au principede l’égalité de traitement, du moinsau sentiment ressenti de ce principe.

Prise en compte des catégoriesprofessionnelles face à l’âge de laretraite

Selon la LPers, l’âge minimal de laretraite est fixé à 60 ans et l’âge limiteà 65 ans. La LPers prévoit toutefoisque l’âge limite peut être abaissépour certaines catégories depersonnel. Par ailleurs, l’État peutdécider de prendre des mesuresd’encouragement à la prise de laretraite avant l’âge limite, soit pourl’ensemble du personnel, soit pourdes catégories spécifiques.Actuellement, seuls les agents de lapolice cantonale bénéficient d’unabaissement de l’âge limite de laretraite à 60 ans. Cela signifie d’unepart qu’ils ont l’obligation de prendreleur retraite à cet âge, d’autre partque l’État doit offrir des prestationssupplémentaires (financement pari-taire d’un pont AVS).En ce qui concerne l’encouragement àla prise de la retraite, l’État a adoptéune mesure provisoire applicable àl’ensemble du personnel de l’État. Ils’agit du financement d’un pont AVSoffert à tout-e employé-e comptantquinze années d’activité et ayantatteint l’âge de 60 ans. Le Conseild’État devra décider avant juillet 2006du maintien de la mesure pourl’année 2007 et éventuellement pourles années suivantes.La situation actuelle a fait naître dessentiments d’insatisfaction face à laprise en compte des spécificités descatégories professionnelles. D’uncôté, les agents de la police cantonaleconsidèrent que l’obligation qui leurest faite de participer au financementdu pont AVS est une injustice parrapport aux autres catégories de per-

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sonnel qui bénéficient, actuellementdu moins, du pont AVS sansobligation de participation financière.De l’autre côté, plusieurs catégoriesde personnel estiment que le régimegaranti durablement à la police est unprivilège. L’État-employeur doit ainsifaire face à une requête qui tend à ceque le régime fait aux policiers soitétendu à l’ensemble des agents de laforce publique. Le personnel d’entre-tien des routes cantonales etnationales a également déposé unedemande relative à l’abaissement del’âge de la retraite. Il est à prévoir qued’autres catégories professionnellesferont valoir des requêtes analogues.Il suffit, pour s’en convaincre, de seréférer au succès actuel de la mesureprovisoire du pont AVS auprès decertaines catégories de personneltelles que celle des enseignants oucelle du personnel infirmier. Ainsi, lerisque existe-t-il qu’en prenant encompte les revendications pendantes,on ne fasse que nourrir un sentimentd’inéquité auprès des autres caté-gories professionnelles. Il est pro-bable qu’une réponse satisfaisante àcette question ne peut se situer quedans une prise en compte globale dela problématique de la retraite, sansréférence à l’une ou l’autre catégoriespécifique de personnel. Introduire unsystème de retraite flexible volontairepour tous permettrait d’assurer lerespect du principe de l’égalité detraitement : chaque membre dupersonnel pourrait librement par-ticiper à un plan de retraite anticipée.Cependant, un tel système nécessiteun investissement considérable de la

part de l’employeur. Si le coût del’opération est très élevé, l’employeurva, soit renoncer en ne maintenant unplan de retraite anticipée que pourcertaines catégories professionnelles,soit établir un plan de retraiteanticipée pour tous, mais moinsfavorable que celui déjà en place pourcertaines fonctions spécifiques.Paradoxalement, on constate que laprise en compte de certainesdifférences peut conduire l’em-ployeur à octroyer l’avantage reven-diqué ou une partie de celui-ci, nonseulement à l’égard de la catégoriequi le requiert, mais à l’ensemble dupersonnel. Le principe de l’égalité detraitement, combiné, le cas échéant,avec une exigence de solidarité, vaainsi faire échec à la revendication dela prise en compte d’une différence.

7. AUTRES PARTICULARISMESL’État de Fribourg n’a pas encore étédirectement confronté à des reven-dications identitaires de son per-sonnel liées à des aspects culturels,ethniques ou religieux. Or, il convientde rappeler à cet égard l’interdictiondes motifs discriminatoires tels queceux liés au sexe, à la race ou à lareligion. Cependant, la reconnais-sance de différences ethno-culturellesou religieuses trouve de nécessaireslimites dans l’image que l’État-employeur doit donner aux desti-nataires de ses prestations, dansl’application du principe de l’égalitéde traitement, dans le maintien dubon fonctionnement du service etdans l’exigence de la quantité et de la

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qualité des prestations. Dans cecontexte, toutes les revendicationsdoivent être traitées pour elles-mêmes. Les réponses doivent tenircompte des limites précédemmentévoquées. Elles pourront et devrontêtre différentes selon les fonctions etl’environnement dans lequel ces fonc-tions sont exercées.

8. CONCLUSIONSLa présente analyse fait état de ladiversité des revendications dereconnaissance auxquelles l’em-ployeur doit faire face. L’État-employeur s’est attaché à y répondredans la mesure où il considèrequ’elles sont justifiées, notamment àl’égard de catégories de personnesqui sont, face à l’emploi, d’embléedéfavorisées. Cependant, la prise encompte des revendications de ca-tégories spécifiques de personnel ades limites. Celles-ci sont tout d’abordmatérielles puisque que cette prise encompte implique, à chaque fois, uncoût financier relativement impor-tant. Ces limites se situent ensuite auniveau de l’application du principe de

l’égalité de traitement : celui-ci paraît,dans certaines situations, devoirprimer sur la reconnaissance d’unedifférence. Enfin, on constate quel’acceptation d’une revendication,même justifiée, entraîne souvent unsentiment d’injustice auprès desautres catégories et que cette accep-tation peut faire naître, en cascade,d’autres revendications.Quoiqu’il en soit, l’émergence desrevendications identitaires face àl’employeur oblige celui-ci à définir ouà redéfinir ses valeurs de référence.En outre, s’il accepte de reconnaîtreune différence, il doit également faireen sorte que sa décision soit acceptéepar l’ensemble du personnel. L’em-ployeur doit donc veiller à développerau sein de son personnel un esprit detolérance et d’ouverture. La com-binaison idéale entre égalité detraitement, solidarité et reconnais-sance des différences doit être unevaleur de référence non seulementpour l’employeur mais égalementpour l’ensemble des employé-e-s etfinalement pour l’ensemble de lasociété.

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KULTURELLE UNTERSCHIEDE UND INTEGRATIONWalter Schmid, Vice-Präsident der Bundeskommission für Ausländerfragen

1. EINLEITUNGAuf der Suche nach einem neuen So-zialmodell spielt die Frage der Zu-wanderung nicht nur für die Schweizeine entscheidende Rolle. Überall inEuropa wird mit seltener Heftigkeitüber die Chancen und Risiken derEinwanderung diskutiert. In verschie-denen Ländern spricht man offenvom Scheitern des bisherigen Integra-tionsmodells, spricht vom Ende desMultikulturalismus, sieht in der kultu-rellen Differenz die Erklärung für vieleProbleme. Mit unvermittelter Heftig-keit treten Fragen der Religion, derKultur ins Zentrum der öffentlichenDebatte, die bisher mit diesen The-men nicht viel anzufangen wusste. Ichgratuliere den Veranstaltern dieserKonferenz, dass sie das Thema derKulturellen Unterschiede und der In-tegration auf die Tagesordnung ge-setzt haben. Ich möchte auch für dieEinladung zu Ihrer Konferenz hierhernach Fribourg danken. Sie haben michhierher eingeladen in der Erwartung,dass ich etwas zum Thema der Integ-ration und der kulturellen Unter-schiede zu sagen habe.Ja, was ist Integration? Eigentlichmüsste ich es wissen. Seit mehr alszwanzig Berufsjahren befasse ichmich mit Fragen der Migration. Seit 15Jahren ist für mich die Integration derausländischen, aber auch der einhei-mischen Bevölkerung ein wichtigesThema in meiner Arbeit. Und seitsechs Jahren trage ich als Vizepräsi-

dent der Eidgenössischen Ausländer-kommission Verantwortung für dieUmsetzung des Bundesprogrammszur Integrationsförderung, und in die-sem Zusammenhang beurteilen wirjährlich mehrere hundert Projekteund tragen mit 14 Millionen Frankenzur Förderung der Integrationsarbeitbei. Und doch muss ich gestehen,dass ich es so genau nicht weiss, wasIntegration wirklich ist. Und wenn ichden Leuten zuhöre, wie sie über In-tegration sprechen, dann habe ichnicht selten den Eindruck, dass sienicht vom Selben reden. Wann immerman eine Definition versucht, einenVersuch wagt, kommt einem wiederin den Sinn, weshalb es doch nichtgenau das ist, sondern eben doch et-was anderes.Mich kann dabei etwas trösten, dassdie Eidgenössische Ausländerkommis-sion selber, die sich seit den 70er Jah-ren mit Integration befasst, immerwieder darauf verzichtet hat, eineverbindliche Definition von Integra-tion abzugeben. Sie hat noch im Jahr2000 in ihrem in langen Jahren erar-beiteten Bericht zur Integration expli-zit gesagt, dass sich der Begriff nichtgenau fassen lasse. Es scheint alsoDinge zu geben im Leben – und dazuscheint auch die Integration zu gehö-ren – die sich einer Festlegung immerwieder entziehen, die sich nicht ab-schliessend festhalten lassen. An ihrerWirkung allerdings lässt sich Integra-tion erkennen. Platons Schattenwurf

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in der Höhle. Vermögen wir auch dieWirklichkeit nicht zu erkennen, so se-hen wir doch den Schattenwurf. Wirkönnen die Orte beobachten, wo In-tegration geschieht, wir können er-kennen, wie Integration gewirkt oderversagt hat, wir können den Ton hö-ren, in dem über Integration gespro-chen wird, die Erwartungen sehen,die mit Integration verbunden wer-den, wir können die Messlatten be-schreiben, die an die Integration ge-stellt werden, die Hoffnungen undÄngste wahrnehmen, die Menschenim Zusammenhang mit Integrationbewegen und die Zeiträume ermes-sen, in denen Integration geschieht.Wie soll ich also Integration beschrei-ben, wenn ich nicht genau weiss wases ist? Ich sehe nur einen Weg. Ich su-che nicht nach Definitionen, sondernlade Sie ein, mit mir einige Annähe-rungen an die Integration zu versu-chen. Keine wissenschaftlichen, keinepolitischen, sondern mehr assozia-tive, von persönlichen Erfahrungengeprägte Annäherungen. Wir startenjeweils von Aussen, vielleicht mit ei-ner einfachen Frage, und gehen aufdie Integration zu. Wir werden sienicht ganz erreichen, aber vielleichteinige Aspekte besser kennen lernen,die sie auszeichnen.

2. SEIT WANN SPRECHEN WIR ÜBERINTEGRATION?Zu Beginn meiner Berufstätigkeit alsZentralsekretär der SchweizerischenFlüchtlingshilfe, vor mehr als zwanzigJahren, wollte ich einmal genau wis-

sen, was in der Schweiz eigentlich mitabgewiesenen Asylbewerbern ge-schieht. Damals wurden noch fast alleLeute als Flüchtlinge aufgenommen.In Zusammenarbeit mit dem damali-gen Chef der Zürcher Fremdenpolizeiging ich den wenigen Fällen nach, indenen es zu einer Ablehnung ge-kommen war. Was war aus den Leu-ten geworden? Wir stellten fest, dassfast alle irgendeine Aufenthaltsbewil-ligung dennoch bekamen mit zweiAusnahmen. Ausgewiesen wurden ei-gentlich nur Leute, die kriminell wur-den oder die auf Dauer fürsorgeab-hängig waren.Die Gesetze beachten, keine Schwie-rigkeiten machen? Und für sich selberund die eigene Familie sorgen kön-nen? Dann konnte man bleiben. Istdies nicht eine frühe Umschreibungdessen, was wir heute mit Integrationmeinen? Wer sich an die Rechtsord-nung hält, wer sich sein Leben selberverdienen kann, den betrachten wir inder Regel als integriert. Der oder diekann bleiben. Offenbar galt diesschon, bevor man von Integration zusprechen begann. Allerdings sprachman schon vor dreissig Jahren von In-tegration. Neben der Rekrutierung(man brauchte Arbeitskräfte), derBegrenzung (man tat dies durch Kon-tingente) war die Integration der drit-te Pfeiler der Ausländerpolitik. In-tegration wurde als wichtiges Ele-ment anerkannt, aber viel gemachtwurde nicht. War auch nicht so nötig,weil die wachsende Wirtschaft als In-tegrationsmotor gut funktionierte.

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Und wenn es zu einer Rezession kam,konnten die Arbeitskräfte ohne gros-ses Federlesen zurückgeschickt wer-den.Erst in den Neunziger Jahren ändertesich das: Die lange, anhaltende Rezes-sion führte zu grosser Arbeitslosigkeitvor allem der schwach qualifiziertenausländischen Arbeitskräfte. Sie führ-te zu hohen Sozialauslagen und zurEinsicht, dass die Integration nichtmehr allein über den Arbeitsplatz ge-sichert werden kann. Eine zweite Ge-neration wuchs heran, deren Integra-tion in vielen Fällen nicht gelungenwar. Die Integration wurde zu einemwichtigen politischen Thema und istes seither geblieben. Es brauchte zu-sätzliche Anstrengungen zur Integra-tion. Integrationsprozesse kann manzwar nicht beliebig steuern. Integra-tion kann man weder erzwingen nochverbieten, wie sich dies Manche vor-stellen, aber man kann Integrations-prozesse behindern oder unterstüt-zen. Das Schwierige dabei ist, genauherauszufinden, was der Integrationwirklich dient. In politisch luzidenMomenten, wenn die Politiker undPolitikerinnen miteinander reden undnicht aneinander vorbei, dann kannman sich in Fragen zur Integration je-weils relativ leicht finden. In Zielender Integration besteht oft Einigkeit.Ich meine deshalb, wir sind in denletzten Jahren trotz verschiedenerRückschläge auch ein gutes Stück vo-rangekommen, wenigstens in derpraktischen Integrationsarbeit. DenWeg zu mehr Pragmatismus haben

die vor einigen Jahren erarbeitetenLeitbilder der Städte und Kantone zurIntegration geebnet.

3. WO BEOBACHTEN WIR INTEGRA-TION UND KULTURELLE DIFFEREN-ZEN ?Wenn wir schon nicht genau sagenkönnen, was Integration ist, so lässtsie sich doch wenigstens in ihren Wir-kungen beobachten. Schauen wir unsnur die Schule an. Vor kurzem hat ei-ne umfassende Auswertung des Bun-desamtes für Statistik, an der unsereHochschule mitarbeiten durfte, ge-zeigt, dass die zweite Generation we-sentliche Fortschritte in der Bildunggemacht hat und mit ihren Leistungenteilweise die einheimischen Jugendli-chen hinter sich gelassen hat. Dies istein Erfolg für die Integration. Mankann ihn an den Abschlüssen, amSchulerfolg messen. Integration lässtsich auch in der Arbeitswelt beobach-ten. Insgesamt darf die Integrationder ausländischen Arbeitskräfte amArbeitsplatz in der Schweiz als sehrgut bezeichnet werden. Wir habenselten Spannungen zwischen ver-schiedenen Gruppen am Arbeitsplatz.Die Verteilung der Arbeit ist indessehr ungleich. Das können wir bei denLöhnen sehen. Die Ausländerinnenund Ausländer sind bei den niedrigenLöhnen weit übervertreten. Ein un-trügliches Zeichen für eine schlechteIntegration. Allerdings sind die Aus-länder auch bei den hohen Löhnenweit übervertreten. Manager, Profes-sorinnen, Wissenschafter, gut verdie-

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nende Spitzenkräfte sind sehr oft Aus-länder. Bei dieser Ungleichheit spre-chen wir dann allerdings nicht von ei-nem Integrationsdefizit, sondern al-lenfalls von unerwünschter Konkur-renz und Fremdbestimmung. Die Stel-lung in Schule und Arbeitswelt, dieBildungs- und Berufschancen sindganz wichtige Indikatoren für die In-tegration.Integration können wir im Weiterenbesonders anschaulich in den Wohn-quartieren beobachten. In jeder grös-seren Stadt gibt es typische Auslän-derquartiere mit schlechter Durchmi-schung der Bevölkerung. Wir spre-chen dann von Problemquartieren.Entsprechend haben die Volksschulendort einen sehr hohen Ausländeran-teil. Die Integrations- und Bildungs-chancen der Kinder sind schlechter alsin gemischten Quartieren. Das Quar-tier, der Strassenzug, der Wohnblockist denn auch der Ort, wo gelungeneoder missratene Integration sich di-rekt in der Lebensqualität auswirkt.Nicht ohne Grund hat die EKA im ver-gangenen Jahr den Schwerpunkt ih-rer Tätigkeit auf das Thema ‚Integra-tion und Habitat’ gelegt, also das Zu-sammenleben im Wohnumfeld. Hiergeschieht Entscheidendes. Integra-tion ist immer ein lokales Geschehen,sie geschieht sehr konkret und vorOrt. Spätestens wenn wir an dieQuartiere denken merken wir, dassIntegration weit über die Ausländer-frage hinausgreift. Ist es nicht so, dassdie einheimischen Armutsbetroffenenin den selben Problemquartieren le-

ben und dass im Gegenzug in den‚besseren’ Quartieren auch über-durchschnittlich viele Ausländer woh-nen, aber eben die Besserverdienen-den? Tatsächlich finden wir nicht nurganz unten und ganz oben auf derLohnskala besonders viele Ausländer,sondern auch in den ärmlichen undden ganz reichen Quartieren.Das Thema der Integration geht weitüber die Ausländerfrage hinaus undbetrifft auch die Einheimischen. In-tegration ist eng mit der Frage dersozialen Schichten verknüpft. Auchdie einheimische, ärmere Bevölkerunghat mit sozialer Ausgrenzung undDesintegration zu kämpfen. Wer dieArbeit verliert, steht unabhängig derNationalität in Gefahr, den Kollegen-kreis, den Freundeskreis, den Bodenzu verlieren. Wer keine Lehrstelle fin-det oder die Lehre abbricht, hat un-abhängig des Passes schlechte Kar-ten, um im Berufsleben erfolgreichFuss zu fassen. So war die Frage derIntegration von je her eng verbundenmit jener der sozialen Schicht. Oft istkaum auszumachen, welche Schwie-rigkeiten auf die Schichtzugehörigkeitzurück zu führen sind und welche aufdie ausländische Nationalität. DieserZusammenhang spiegelt sich ja auchin der Einbürgerungsfrage: Für dieSchönen und Reichen der Welt war eskaum je ein Problem, ein SchweizerBürgerrecht zu erhalten. Ihre Integra-tion brauchen sie nicht unter Beweiszu stellen. Die gehobene Schicht, zuder sie gehören, erübrigt die Beweis-führung.

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4. WER WIRD WO WIE STARK INTEG-RIERT?Vielleicht fangen wir noch einmal miteinem andern Gedanken an, der unszur Integration hinführen kann. Wiesteht es denn um uns selber? Jedevon uns, jeder von uns lebt in einemQuartier, lebt vielleicht in einer Fami-lie, ist schon länger an einem Ort odereben erst zugezogen. Wie ist es dort?Wie erleben Zugeheiratete die Fami-lie? Sind sie integriert? Wie steht esmit den Neuzuzügern im Dorf? Wer-den sie von den Alteingesessenen ak-zeptiert? Sind sie integriert? Wir allewaren auch einmal in der Schule undhaben dort Erfahrungen gemacht, ar-beiten an einer Arbeitsstelle oder sindin einer Behörde tätig. Wie steht es anall diesen Orten mit der Integration.Sind Sie integriert? Sie alle sind wahr-scheinlich mehrfach irgendwo integ-riert. Wo wollen wir die zugezogenenAusländerinnen und Ausländer integ-rieren? Im Quartier, in der Arbeits-welt, in der Schule, in unseren Verei-nen? In den Kirchen und Religionsge-meinschaften? In den Ausländerverei-nen? Was meinen wir mit Integrati-onsbereitschaft oder Pflicht zur In-tegration?Ich glaube, es ist einiges gewonnenfür das Verständnis von Integration,wenn wir uns dieser Frage stellen. DieForderung nach Integration kannnicht alle Lebensbereiche betreffen.Integration hat an ein paar wenigenSchlüsselstellen zu erfolgen, die fürdas Zusammenleben in einer offenenGesellschaft zentral sind, die für das

Funktionieren unabdingbar sind. Dazugehört nicht die Freizeit. Deren Ges-taltung kann Sache des Einzelnenbleiben. Dazu gehört nicht die Klei-dung. Auch das ist in unserem Ver-ständnis Privatsache, solange es dieöffentliche Ordnung nicht stört. In-tegration am Arbeitsplatz hingegenist zentral. Nur wer sich dort einfügt,kann eine Erwerbsarbeit ausführenund für den eigenen Lebensunterhaltaufkommen. Pünktlichkeit zum Bei-spiel mag man als schweizerischePingeligkeit anschauen, sie ist aber fürdas Funktionieren einer arbeitsteili-gen Welt unabdingbar. Das Gewalt-monopol des Staates ist, um ein ande-res Beispiel zu nehmen, elementar füreine offene Gesellschaft. Dieses istnicht verzichtbar. Moderne Gesell-schaften stützen ihre Sicherheit nichtauf Privatarmeen oder bewaffneteFamilienclans. Unverzichtbar sind dieGleichberechtigung von Mann undFrau oder unsere Verständnis von Re-ligion als Privatsache im laizistischenStaat. Mit diesen Hinweisen sei ange-zeigt, dass Integration nicht die um-fassende Eingliederung in alle Le-bensbereiche bedeuten kann. Viel-mehr muss bei der Forderung nach In-tegration klar gemacht werden, dasssich diese nur auf die für das Funktio-nieren der Gesellschaft zentralen Be-reiche beschränken kann.Integration ist zudem, wie alle Leitbil-der und vielleicht auch bald das neueAusländergesetz festhalten, ein zwei-seitiger Prozess. Integration betrifftimmer alle Beteiligten. Die Schweizer

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haben sich mit den Zugewandertenverändert. Nicht nur die Ausländersind über die Jahre Schweizer gewor-den, auch die Schweizer haben vonden Zugewanderten Einiges über-nommen. Diese Entwicklungen gehenlangsam und werden deshalb oftnicht wahrgenommen. Und übrigens:Integration in welche Schweiz? In dieSchweiz, der Stadt Fribourg oder inBulle? In jene des Wallis oder jene vonBasel? Wir haben so viele verschie-dene Schweizen. Auch diese Fragesollten wir uns gelegentlich stellen.Und wann wird kulturelle Differenz zueinem Problem in einem Land, dasseine Identität auf der kulturellen Dif-ferenz aufgebaut hat? Ich habe übri-gens bisher noch kaum von denSprachkenntnissen gesprochen, diezur Messung der Integration so wich-tig sind. Ich habe es bewusst getan.Wäre die Sprache tatsächlich das aus-schlaggebende Kriterium wie es in derheutigen Diskussion manchmal fastden Anschein macht, dann dürftenbeispielsweise die Westafrikaner inFribourg eigentlich keine Integrati-onsprobleme haben, weil viele jaschon perfekt französisch sprechen.Leider ist das nicht so. Das zeigt, dassdie Sprache zwar ein wichtiger Aspektist, dass aber deren Bedeutung ge-rade in unserem vielsprachigen Landmit dem differenzierten Blick für kul-turelle Vielfalt betrachtet werden soll-te. Dies sollte eigentlich auch der heu-tigen Sprachtesteuphorie bei Ein-bürgerungen gewisse Schranken auf-zeigen.

5. ZUGANG UND ANERKENNUNGMachen wir nochmals ein Schritt zu-rück und nehmen einen neuen Ge-dankenfaden auf: Was macht eigent-lich Integration aus? Vielleicht ist dasGanze ja gar nicht so kompliziert. Fra-gen wir uns doch ganz einfach: Wannfühlen wir uns integriert? Ich glaube,die Antwort ist nicht so schwierig. Wirfühlen uns in einer Gruppe, einer Ge-meinschaft, einem Verein dann integ-riert, wenn wir wie alle andern Zu-gang haben. Wenn wir nicht ausge-schlossen sind. Wenn wir mit glei-chem Recht wie die andern dabei seinkönnen. Schon nicht mehr ganz integ-riert fühlen wir uns, wenn wir nur be-schränkt Zugang haben. Also, wennes heisst: Du bist willkommen bei uns,aber um 22 Uhr bitten wir Dich wiederzu gehen, weil wir dann leider nochetwas unter uns besprechen sollten.Dann fühlen wir uns nicht ganz integ-riert. Wir sind dann nicht gleich be-handelt.

Nicht anders geht es Zugezogenen.Sie fühlen sich dann zugehörig, wennsie dieselben Möglichkeiten undChancen haben wie alle andern, wennsie Zugang haben. Deshalb ist es einewichtige Aufgabe der Integrationspo-litik, rechtliche und soziale Zugangs-barrieren soweit möglich zu beseiti-gen, beim Zugang zur Schule undAusbildung oder zu Arbeits- oderWohnmöglichkeiten und zu privatenOrganisationen. Dazu kommt abernoch ein Zweites, denn der Zugangreicht nicht: Integriert sind wir, wennwir uns akzeptiert fühlen von den an-

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dern. Sie kennen die Situationen, wozwar jemand Mitglied ist, also Zuganghat, aber er findet keine Anerken-nung. Man meidet seine Gesellschaft,man geht ihr aus dem Weg. Erst werZugang hat und Anerkennung findet,ist wahrhaft integriert. So ist es einewichtige zweite Aufgabe der Integra-tionspolitik, der AndersartigkeitWertschätzung entgegen zu bringenund Anerkennung spüren zu lassen.

Wer Zugang und Anerkennung hat, istintegriert. Das gilt für die Schule, dieVereine, die Behörden nicht andersals für die Zugewanderten in unseremLand. Wer weder Zugang noch Aner-kennung hat gehört zu den Ausge-schlossenen. Man braucht nicht nuran die Sans Papiers als Paradebeispielzu denken, die keine Chance auf In-tegration haben. Es gibt auch dieSchüler, die von der Schule ausge-schlossen werden, die Politikerinnen,die aus Amt und Würden vertriebenwerden, die Arbeitslosen, die mit derStelle auch das Ansehen verloren ha-ben. Sie alle spüren, wie sehr Dazu-gehörigkeit mit Zugang und Anerken-nung zu tun hat.

Man kann den Gedanken noch weiter-führen: Zugang ohne Anerkennungdient der Integration nur halb. Dashaben viele Länder mit der Quoten-politik erfahren. Quoten für Auslän-der, oder Behinderte und selbst Frau-enquoten. Mit dem verbesserten Zu-gang allein war nämlich die Integra-tion noch nicht geschafft. Den Makeldes Quotenarbeitsplatzes, der Quo-

tenfrau, konnten die Betroffenen nieganz ablegen und machte sie immerein stückweit zu Aussenseiterinnenund Aussenseiter. Auch die Anerken-nung allein ohne Zugang reicht nicht.Der Clown im Zirkus hat zwar die gan-ze Anerkennung des Publikums, abernur als Clown, nur in seiner Rolle. Derafrikanische Trommler begeistert dieLeute, aber er kann nur als Trommlerarbeiten. Die Anerkennung ist auf ei-ne Rolle fixiert, sonst hat er keinenZugang. Clown und Trommler sind be-liebt, aber nicht integriert. Es brauchtbeides, Zugang und Anerkennung.

6. SEHNSUCHT NACH ZUGEHÖRIG-KEIT UND DIFFERENZUnd nochmals ein Schritt zurück: Wieviel Integration wollen wir eigentlich?Was, wenn alle wie wir Schweizer wä-ren? Wäre das nicht grässlich, magsich manche schon gefragt haben.Leben wir nicht gerade von der Viel-falt? Ich glaube, wir stossen hier aufeine Ebene, die uns alle trifft: Wir ha-ben eine doppelte Sehnsucht, sowohlnach Zugehörigkeit als auch nach Dif-ferenz. Wir können nur leben als Teilder Gemeinschaft. Dort ist uns nurwohl, wenn wir dazugehören können.Und gleichzeitig brauchen wir die An-erkennung als einzelner Mensch mitseinen Besonderheiten. Amerikanermachen andern mitunter ein Kompli-ment, wenn sie sagen: You make adifference. Du bist anders. Auf Dichkommt es an. Du mit Deinen Fähigkei-ten bist einzigartig. Wir brauchen Dichso wie Du bist und weil Du anders bist

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als wir anderen. Tatsächlich wäre eineerfolgreiche Integration, die alle Un-terschiede einebnet, die Langeweileselbst. Gesellschaften, welche keineVielfalt kennen, entwickeln sich kaum.Die Städte waren in der langenMenschheitsgeschichte von Babylonbis New York Orte der Faszinationund der Innovation, weil es die Diffe-renz gibt. So bin ich der Meinung,dass wir beim Hohelied, das zurzeitauf die Integration gesungen wird,nicht vergessen sollten, dass der ein-zelne Mensch eine Sehnsucht nachZugehörigkeit, nach Gleichheit in sichträgt aber auch das Verlangen nachEinzigartigkeit und Besonderheit. Diejüngst entstandene Bewegung derSecondos bringt dies mit seltenerKlarheit zum Ausdruck. Diese Jugend-lichen erwarten endlich die Gleichheitund die Zugehörigkeit in diesem Land,in dem sie schon geboren wurden. Siedrücken als Secondos aber gleichzei-tig auch den unmissverständlichenWillen aus, als Gruppe, eben alsZweitgeneratiönler in ihrer Besonder-heit wahrgenommen zu werden. Imambivalenten Verlangen nach Zuge-hörigkeit und Differenz kommen wirdem Kern der Integration schon rechtnahe.

7. INTEGRATION IM FLUSS DER ZEITUnd nochmals ein Schritt zurück undeine letzte Annäherung: Wann ist je-mand integriert? Ich habe eine guteBekannte. Deren Augenform hat michimmer etwas irritiert, bis ich erfuhr,dass sie einen mongolischen

Ururgrossvater hatte. Nun, diese Frauwar nach fünf Generationen definitivintegriert trotz der irritierenden Au-genform. Und sonst, von Körper-merkmalen abgesehen, wie langedauert Integration? Eine, zwei, drei,vier Generationen? Sind die Berner,die vor hundert Jahren nach Luzernzogen, erst dann wirklich integriert,wenn der letzte Berner Verein man-gels Mitgliedern ausgestorben istoder doch schon vorher? Gibt es einenSchlusspunkt des Integrationsprozes-ses? Manche sehen in der Einbürge-rung diesen Schlusspunkt, den krö-nenden Abschluss der Integration.Aber ist das so? War das so? Habenwir nicht während Jahrzehnten zig-tausend ausländische Ehe-frauen vonSchweizern mit der Heirat ins Bürger-recht aufgenommen, ohne zu fragen,ob sie ‚ja’ und ‚nein’ auf dem Stimm-zettel unterscheiden können? Gibt esnicht auch eingebürgerte Schweizer -nicht Wenige dienen heute als Rekru-ten in der Armee, welche bestenfallsals Papierlischweizer oder als Yugos inSchweizer Uniform betrachtet wer-den? Nein: Die Integrationsprozessedauern sehr lange, über Generatio-nen. Die Lasten der Anpassung wer-den oft über verschiedene Generatio-nen verteilt. Die Einbürgerung kannnicht mehr sein als ein punktuellerEntscheid irgendwann auf diesemWeg.

Auf dem Weg, die Integration in ihrerzeitlichen Dimension begreifen zulernen, dient mir ein Bild, das Sie auchkennen. Gerade letzten Sonntag auf

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einem Spaziergang bin ich ihm be-gegnet: Am Rhein, an der Stelle wodie Thur einmündet, kann man nacheinem Gewitter beobachten, wie dergrosse Strom, der aus dem Seekommt, grünblau ungerührt dahinfliesst. Der vom Gewitter aufgewühlteNebenfluss stösst hier mit seinembraunen Wasser dazu. Noch kilome-terlang fliessen die beiden Gewässer,klar an ihren Farben erkennbar, ne-beneinander her. Sie vermischen sichnicht oder kaum. Erst lange Zeit spä-ter beginnen sie sich zu vermengen.Bezeichnenderweise beginnt dieVermengung mit Wirbeln dort, wo diebeiden Gewässer mit unterschiedli-chen Fliessgeschwindigkeiten mitein-ander in Berührung kommen. Die Un-terschiede schwächen sich mit derZeit ab und irgendeinmal erkennt mannicht mehr, aus wessen Gewässer dasWasser kommt. Geworden ist einStrom. Inzwischen steht der Betrach-ter selber an einem ganz andern Ort,kilometerweit vom Ort des Zusam-menflusses entfernt. Die Landschaftist eine andere geworden, der Flussist nicht mehr derselbe. Und so ist esmit der Integration. Über längere Zeitbleiben die Unterschiede noch sicht-bar. Aber irgendwann, kaum merklich,hat die Integration stattgefunden.Dann hat sich auch die Gesellschaftwieder etwas verändert. Sie hatfremde Einflüsse angenommen undglaubt in diesen das Eigene zu erken-nen. Geworden ist ein Mainstream.

8. ANPASSUNG, INTEGRATION UNDMULTIKULTURALITÄT

In den vergangenen Jahren und Jahr-zehnten ist viel darüber gesprochenund gestritten worden, wie wir unsgegenüber dem Fremden verhaltensollen. Sollen wir den Nutzen der Zu-wanderung ins Zentrum stellen? Sol-len wir die kulturelle Vielfalt preisen?Die Integrationsdefizite? Wollen wirdie Anpassung der Fremden an un-sere Schweiz? Ist die Integration derKönigsweg, was immer wir damitmeinen? Oder die Mulitkulturalität alsfriedliches Mit- und Nebeneinander inder Verschiedenheit? Ich bin kein Ver-fechter grosser Konzepte und Lehr-meinungen zur Integration. Für michgalt als pragmatische Leitlinie, mit un-serem Handeln und unserem Redendarauf hinzuwirken, das Zusammen-leben zwischen Fremden und Einhei-mischen gedeihlich zu gestalten. Esgeht dabei um Versuche, die Prob-leme, die sich im Zusammenleben derverschiedenen Bevölkerungsgruppenergeben, am Arbeitsplatz, in der Schu-le, im Wohnblock, im öffentlichenRaum zu verstehen und diese zu lö-sen. Ich versuche, die grossen An-passungsprobleme, denen Fremdeund ihre Familien, vor allem die weni-ger Privilegierten unter ihnen, hierbegegnen, zu verstehen. Gleichzeitighalte ich mich an die unverzichtbarenGrundsätze, die unser Zusammenle-ben ausmachen und von denen ichgesprochen habe. Die stellen wir nichtzur Disposition. Die gesellschaftlicheGrundordnung gehört dazu. Ich mer-

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ke ja auch, dass zu viel Toleranz undüber die Dinge Hinwegsehen oft mehrmit Gleichgültigkeit zu tun hat als mitGrosszügigkeit. Die Anerkennung desAndern setzt die Auseinandersetzungmit ihm voraus, auch den Konflikt, dernötig sein kann.

Integration braucht die Auseinander-setzung und kann anstrengend sein.Wenn wir uns dieser Aufgabe stellen,in Empathie für den Andern, dann ha-ben wir auf dem Weg der Integrationeinen Schritt gemacht, unabhängig

davon, wie wir die Konzepte benen-nen und unabhängig davon, ob wir In-tegration abschliessend definierenkönnen. Auf dieser Grundlage werdenwir wohl auch unsere Sozialmodellegestalten müssen, die nicht auf theo-retischen Wirkungsanalysen aufbauenkönnen, sondern auf gelebten Wer-ten, die unsere Gesellschaft mit ihrenkulturellen Unterschieden und sozia-len Verwerfungen als gemeinsameerkennt und anerkennt.

Accès et reconnaissance : les clefs de l’intégration

reconnaissance

exclusion accès

méconnaissance

intégration

action affirm.Quota

désintégration

exotique

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VERS UN NOUVEAU MODÈLE SOCIAL

PERSPECTIVE SCIENTIFIQUE : Vers un nouveau modèle sociétal d’intégrationMarc-Henry Soulet, Professeur titulaire de la Chaire francophone de travail social,

Département travail social et politiques sociales, Université de Fribourg

Trois postulats sont à la base de monexposé :

1. Les sociétés démocratiques,reposant par principe sur l'égalité etla souveraineté des individus, ontbesoin pour se maintenir commetelles de se travailler sinon ellesencourraient un risque d'entropie, unrisque de destruction à partir de leurscontradictions internes : liberté /éga-lité appelant l'instauration d'unespace de régulation de cette doubledynamique, d'une part, et souve-raineté/égoïsme confinant à l'anomieet à la désaffection du politique fautede mécanismes correctifs adaptés,d'autre part.2. Ce travail de la société sur elle-même se doit de répondre à troisenjeux : a) faire place, c'est-à-direintégrer les individus; b) souder, c'est-à-dire cimenter la cohésion sociale etc) contenir les écarts, c'est-à-diredéfinir les inégalités socialement ac-ceptables. En raison de l'interdé-pendance de ces trois enjeux, laréponse donnée prend une formecohérente et devient un quasi-modèled'action sur le vivre-ensemble.

3. La nature de ce modèle de travailde la société sur elle-même est liée àla représentation que les sociétés dé-mocratiques ont d'elles-mêmes à unmoment donné. Si changement du

cadre d'intelligibilité de celles-ci il y a,alors, corrélativement, changementdu mode de travail de la société surelle-même il y a aussi.

Or ce modèle est en train de changer.Nous sommes en train de passerd'une société de compensation avecun État bailleur à une société d'in-vestissement avec un État souteneur,passage qu'il est possible de résumerde la façon suivante : plutôt que deverser catégoriellement des presta-tions à des populations cibles dansl'indistinction des situations particu-lières, donnons à chacun les moyensspécifiques qui lui sont nécessairespour faire face aux aléas de sonexistence et prendre place au sein dela société. Sachant que chacun de ceschacuns se devra d'y mettre du sien.Ce moment est entamé mais pas a-chevé.

Pour synthétiser cette idée dechangement de cadre d'intelligibilitédu vivre-ensemble, j'ai essayé dereprésenter le modèle de travail de lasociété sur elle-même dont noussommes en train de prendre congé(même s'il continue encore àstructurer des pans entiers de notreexistence collective) sous la formed'une matrice dont j'ai repris ensuitela structure dans la présentation dumodèle qui se dessine sous nos yeux.

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Pour ce faire, je suis parti des troisenjeux du travail de société sur elle-même (faire place, souder et contenirles écarts) que j'ai mis en rapport avecles conceptions de la nature de lasociété et du statut de membre decelle-ci à chaque fois en vigueur,partant du principe qu'un modèle detravail de la société sur elle-même, entant que moyen d'agir sur le vivre-ensemble, était justement fonction decette double conception.

1. DE LA SOCIÉTÉ SOLIDE À LASOCIÉTÉ LIQUIDE

Que constatons-nous ? La sociétén'est plus pensée comme un vasteensemble préexistant et contrai-gnant, mais se conçoit désormaiscomme un mouvement de productioncontinue se nourrissant de l'inter-action volontaire des individus ets'instituant à partir d'eux. La sociétémoderne reposait sur des modalitésdu travail sur autrui qui opérait desmédiations entre les valeursuniverselles et les individus singulierset participait, ce faisant, à produiredes individus conformes en mêmetemps que des sujets conscientsd'eux-mêmes et capables d'orienterleur vie. Or ces dispositifs desocialisation hétéronormée et auto-nomisante qui permettaient à chacunde se concevoir à la fois commesemblable et singulier, s'épuisent. Cemouvement d'ensemble souligne,d'une certaine façon, le report de laformation d'un individu émancipé,différencié et responsable sur l'indi-

vidu lui-même et sur les appuis qu'ilpourra prendre sur des institutionsayant perdu une grande partie de leurcapacité instituante et qui ne sedonnent plus à voir que comme desorganisations. En ce sens, nousn'assistons pas tant à la disparitiondes normes de l'être-en-société qu'àla recomposition des règles autour del'exigence d'individuation, i.e. la capa-cité à bâtir sa propre vie et à la rendresignifiante pour soi-même et pour lesautres.

Dans un tel modèle, est ainsi identifiéun nouveau type de rapport entreindividu et société, dans lequel lecommun ne serait plus instauré dehaut en bas, mais construit par en basà partir des interactions des individus,à partir de leurs propres tentativesd'individuation. La différenciation per-sonnelle, dans un cadre maintenud'égalité formelle, devient dès lors lemoteur de l'être-en-société. La multi-plication des facettes des individus, ladiversification de leurs expériencessociales au cours de leur vie, la variétédes formes de poursuite de laréalisation de chacun d'entre eux,tout cela, loin d'accentuer l'écartentre ces individus, permet au con-traire de démultiplier les possibilitésde rencontre et de mise en relationsur des bases tant affinitairesqu'électives.

Le changement de cadre d'intel-ligibilité du vivre-ensemble brise unmodèle de solidarité qui s’était dé-ployé de manière quasi hégémoniquedans les pays européens : le modèle

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assurantiel. Le modèle antérieurreposait sur un principe de réciprocitéentre contributeurs socialement etéconomiquement utiles; il caracté-risait une forme d’État d’équilibresocial redistribuant les richesses afinde maintenir la cohésion sociale. Lemodèle actuel promeut uneconception entrepreuneuriale et pri-vatiste de la solidarité. En analogieavec le management participatif, lasolidarité participative repose surl'adhésion expressive des membres. Ils'agit d'une solidarité de responsa-bilisation par l'engagement des indi-vidus à participer, à entreprendre, àfaire société.

De manière générale, on assiste auremplacement du principe de so-lidarité de la société envers sesmembres par le principe de respon-sabilité des membres envers eux-mêmes et envers la collectivité. Laredistribution des responsabilitésentre État et individus est en effet aucœur de la modernisation actuelle dela protection sociale : les individussont ainsi conviés de façon croissanteà assumer leur propre protection.

2. LA TRANSFORMATION DES TROISENJEUX

Les trois enjeux, qui constituent lespiliers du travail de la société sur elle-même, connaissent eux aussi unprofond glissement de sens quiaccompagne la transformation dumodèle social caractérisée ci-dessus.

Faire place : de l'intégration par letravail à l'intégration par laparticipation

Le rebalancement des lignes deforces de la société contemporaine acontribué à déplacer le curseur de laquestion sociale – le problèmecentral contemporain n'est plus lapauvreté mais le déficit d'intégrationou, pour le dire autrement, lapauvreté n'est plus tant vue commemanque de ressources que commemanque de liberté dans les grandschoix de la vie – et a ainsi conduit àune transformation profonde desmodalités de l’intégration sociale. Àune logique d'intégration par letravail qui avait pour cheville ouvrièrela sécurisation des travailleurs (droitdu travail et revenu de remplacementen cas d'empêchement de travail),succède une logique d'intégration parla participation. En conséquence lalogique générale des politiquessociales connaît une incurvation forte.Il faut désormais faciliter laparticipation dans la mesure oùparticiper n'est pas tant un devoirsocial qu'un besoin fondamental. Ilfaut corriger les mécanismes quidécouragent les personnes à êtreactives et développer des capacités àgénérer des résultats autonomesplutôt que renforcer une dépendancemutilante promue par les politiquescompensatoires. L'aide doit en cesens être émancipatrice afin d'éviterla trappe de la pauvreté.Souder : de la promotion de valeursabsolutisées à l'arbitrage des diffé-rences

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Le modèle solidariste se fondait surune conception compacte et tangiblede la société. L'assise de la cohésionsociale, ce qui faisait le ciment del'existence collective, reposait sur desvaleurs communes clairement percep-tibles (nation, progrès, mobilité so-ciale...). Le caractère éminemmentpartagé de ces valeurs était bien sûrle résultat d'une absolutisation, d'uneforme de violence symbolique, quirendait ces valeurs indiscutables. Etce d'autant que le travail du politiqueconsistait, outre à produire une réfé-rence positive à l'avenir génératriced'un idéal collectif, à tenter de réaliserces valeurs. Or, aujourd'hui, le poli-tique a muté devant, d'une part, latolérance à la différence et la recon-naissance des singularités qui façon-nent les rapports sociaux et, d'autrepart, la conscience de la non-maîtrisedes conséquences des développe-ments technologiques et scientifiquesdont l'humanité est porteuse. Le po-litique s'apparente à un cadre pro-cédural et délibératif autorisant l'arbi-trage d'intérêts contradictoires ou, àtout le moins, différenciés. Le main-tien de la cohésion sociale ne passedès lors plus par les mêmes voies;l'entreprise de soudure se présenteen ce sens sous un double jour : 1)comme une forme d'arbitrage desdifférences et de gouvernement desparticularismes et 2) comme une mo-dalité d'élaboration de préférencesnégatives (comme l'illustre le principede précaution) dans une visée desurvivance cherchant à conjurer les

menaces qui pèsent sur notre avenir.Le politique devient dans une telleconfiguration un gestionnaire des dif-férences revendiquées et un canali-sateur de l'inquiétude face à l'avenir.

Contenir les écarts : de la réductiondes inégalités de condition à laréduction des inégalités de possibilité

État social actif, État d'investissementsocial, flexicurity,…, par delà ses va-riantes, le nouveau modèle social estdéjà là, en partie tout au moins.Certes avec des blancs, mais les baseset les structures porteuses sont déjàplus qu'esquissées. Il n'est pas besoinde faire de la prospective socialeapprofondie pour voir que ce qui sedessine logiquement à l'horizon de cemodèle, c'est le retour métamor-phosé d'une question ancienne : celledes inégalités. Cependant le nouveaumodèle de travail de la société surelle-même ne nous dit, pour le mo-ment, rien de clair et précis sur l'enjeudu contenir les écarts, i.e. celui desinégalités socialement supportables.Or la consistance et la légitimité desvoies ouvertes au niveau des deuxautres enjeux dépendent d'uneréponse claire en matière de luttecontre les inégalités… mais pro-bablement d'une lutte d'une autrenature, puisque changement du modede travail de la société sur elle-mêmeil y a eu, que la "seule" réduction desinégalités structurelles de conditionpar la voie de la redistribution de larichesse collective.

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Le cadre d’intelligibilité de la société solide

Le cadre d’intelligibilité de la société liquide

Modèle socialÉtat social solidariste

d’indemnisation des risques

SociétéÊtre en soi construisant sesmembres sur la dialectique dela conformité et singularité

MembresProducteurs conformes et

complémentaires

SouderProduire de la cohésionde valeurs absolutisées

partagées (progrès,nation, mobilité

sociale…)

Contenir les écartsRéduire, par la redistribution, desinégalités structurelles diminuant

au fur et à mesure du déploiementde s politiques sociales

Faire placeIntégrer par le travail

en sécurisant lesproducteurs par

l’assurance

SociétéRésultat de l’action combinéedes individus

MembresActeurs et électeurs autonomes,

accomplis et reconnus

Modèle socialÉtat social responsabiliste

d’investissement dans le capitalhumain

SouderArbitrer les différences

Contenir les écartsPromouvoir une égalisation

des possibles

Faire placeIntégrer par laparticipation

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Un enjeu politique nouveau : lesinégalités de possibilité

En cherchant à éviter la trappe del'assistance, la collectivité sociétale avalorisé des formes de mise enmouvement social symbolisées parl'insertion, impliquant le chemine-ment des personnes mises à la margedans un parcours de gestion etd'activation de leur intégrabilité. Lesens des politiques sociales est dèslors en train de profondémentchanger : il ne s'agit plus tant dedévelopper la protection desindividus que d'encourager àreprendre place dans la société (sipossible sur le marché du travail). Laparticipation à la vie publique estdésormais vue comme condition del'intégration sur la base d'une auto-nomie assumée et d'une subjectivitéresponsable. Mais, les individus sontinégalement positionnés dans uncontexte social d'incertitude commele promeut la société liquide, passeulement en conséquence de leurschoix mais avant tout parce qu'ilssont inégalement protégés. L'expé-rience contemporaine de l'inégalitéconfronte en fait les individus à desrapports différenciés face au risque,de quelque ordre qu'il soit (inégaleexposition et inégal accès à laprotection face à ce dernier), et à desdifférences dans les processus deconstitution/reconstitution de soi.Pour le dire autrement et plusdirectement, nous sommes confron-tés ici au fait qu'il existe des moda-lités inégales de réalisation socialedes qualités individuelles. L'entrée sur

la scène socio-politique de l'individuparticipant appelle donc, priori-tairement, une thématisation de laquestion des inégalités sociales, alorsmême que ladite entrée ne donne àvoir dans un premier temps que desdifférenciations de potentialités oudes fragilités personnelles. Se des-sinent ainsi d'autres modalités delutte contre les inégalités, étayées surune généralisation de la logique del'égalité des chances et donnant lapriorité à l'égalisation des processusde constitution des personnes plutôtqu'à l'égalisation des conditions despersonnes constituées promues parles politiques traditionnelles deréduction des inégalités.

L'idée centrale en est la suivante : unepolitique de redistribution est d'au-tant plus mobilisatrice et efficace sielle se présente comme favorisant lelibre épanouissement de chacun quecomme une égalisation des résultats.L'État promouvant cette action doitdonc être entendu comme un Étatd'investissement social (pour repren-dre l’expression de l’ancien ministrecanadien Pierre Pettigrew) à mêmede stimuler le développement depolitiques génératives. Cette logiqued'investissement social peut emprun-ter en fait deux figures distinctes del’individualisme pour favoriser laconstitution de l'individu participant.a) La version de l'individualismepatrimonial repose sur l'accrois-sement des capitaux individuels(scolaires, sociaux, culturels, expé-rientiels…). La propriété de capitauxdevient un substitut de la propriété

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privée comme condition de lapropriété de soi et renvoie à unereprésentation de la société commeensemble de propriétaires (de soi)indépendants et à l'affirmation de laresponsabilité de chacun promouvantla mise en avant des choix individuelscomme fondement de la démocratie.D'où l'importance d'équiper lesindividus pour faire face au marché dutravail et plus largement au marchégénéralisé qu'est la société ; prioritédonc aux processus de constitutiondes personnes. L'État doit mettre enœuvre une "politique de la vie" quisoutienne les trajectoires individuellesen leur offrant un maximum demoyens en les incitant à acquérir uneautonomie existentielle aussi largeque possible. En faisant une placecentrale au capital humain, l'indi-vidualisme patrimonial place laformation à la base de l'État-providence de demain puisqu'ellepermettra aux individus de se doterde capitaux et d'actifs (assets),conditions de leur pleine actioncomme véritable acteur. b) La versionde l'individualisme citoyen supposed'équiper le marché du travail (ré-gulations) pour doter les citoyens dedroits nouveaux et étendre leurslibertés réelles. L'idée ici est de dé-placer la focale de la sécurisation de lasituation de l'individu à celle de sa tra-jectoire par le biais de droits y étant

attachés et suivant l'individu dans sesfluctuations biographiques et sa mo-bilité professionnelle, ce qui impliquede considérer chaque personne enfonction de ses spécificités propres etdonc le traitement fin d'une massed'informations importantes et diver-sifiées.

À la base de cet individualisme cito-yen, on trouve la promotion de droitsindividuels transférables et négociéscollectivement (droit à la formation,droit à la mobilité professionnelle,droit à une place d'accueil pour cha-que enfant de 0 à 3 ans…).

L'arrière-plan de cette perspective estd'accroître les opportunités desindividus à la participation démo-cratique et pas seulement au libre jeudu marché.

J'ai pour ma part tenté de caractériserces deux dernières options par letableau suivant qui en souligne lesgrandes différences et surtoutspécifie les types d'inégalités socia-lement légitimes, celles qui permet-tent justement de contenir les écarts :des inégalités résultant d'un diffé-rentiel de nature, dans un cas, desinégalités résultant d'un différentielde choix, dans l'autre.

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Les voies de la réduction des inégalités particulières de possibilité

Identité Favoriser un AutonomiePossibilités réelles individualisme Possibilitésd’exprimer socialement institutionnel par le réelles desa différence développement de participer au

politiques génératives jeu social

Agir en amont Agir en parallèleFavoriser un individualisme Favoriser un individualismeinstitutionnel patrimonial institutionnel citoyen

Développement de Développement depolitiques individuantes politiquesIndividualisées

reposant sur des reposant sur desdroits de subjectivation droits de mobilitécentrés sur l’individu centrés sur la trajectoire

→ Équiper les individus → Sécuriser les transitionsdoter les individus de capitaux Développer les opportunitéspour leur permettre d’être pour permettre la participationpropriétaires d’eux-mêmes démocratique au fil de la

trajectoire biographique

Inégalités acceptables Inégalités acceptablesrésultant d’un différentiel résultant d’un différentielde nature de choix

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3. CONCLUSION

Quelle que soit la réponse donnée àcette alternative, le coût sera élevé.

1. Si le modèle de travail de la sociétésur elle-même n'est pas complété, i.e.si l'enjeu de la contention des écartsest délaissé parce que l'intégrationpar la participation et l'arbitrage desdifférences semblent des pilierssuffisants d'un État social respon-sabiliste investissant dans le capitalhumain, très grand serait alors lerisque de voir le commun s'enfonceret disparaître tout comme lesindividus se noyer. D'une part, si ne semettaient pas en place des mé-canismes de contention des égoïsmesparticuliers, alors le spectre d'unefragmentation sociale planeraitfortement sur le vivre-ensemble, aveccomme corollaire la montée enpuissance d'une gestion sécuritairedes frontières de l'intérieur. D'autrepart, l'absence d'implantation depolitiques génératives soutenantl'individualisme institutionnel révèle-rait le coût individuel devant l'iné-galité structurelle de l'épreuve de soi,entraînant par là même un accrois-sement de formes de souffrancesdestructrices.

2. Si, par contre, le modèle de travailde travail de la société sur elle-mêmevoulait être complété pour accepterle prix de la liquidité de la sociétévoulue par l'économie et souhaitéepar les individus, il deviendrait alorsnécessaire de repenser l'ensemble a)

des politiques de l'emploi et du droitdu travail, b) des protections socialeset des politiques sociales; c) despolitiques de formation et des âgesde la vie; et donc de créer denouveaux dispositifs et de nouveauxdroits. Une telle refonte globalerencontrerait bien évidemment unproblème de financement énorme,mais aussi probablement des méca-nismes de résistance individuelle etinstitutionnelle (mentalités, avanta-ges acquis).

Pour compenser ces deux typesd'écueils, il ne semble y avoir d'autresmodalités que de promouvoir : a) uneclaire intentionnalité politique deréforme d'ensemble et non des rac-commodages sectoriels, car il s'agitrien moins que de trouver unemanière d'accorder le principe de so-lidarité impliquant que la collectivité aune dette envers ses membres et leprincipe de responsabilité supposantque chaque individu est maître de sonexistence et a à prendre en chargeson destin; b) une réelle mise endébat de la question des inégalités etdes différences sociales légitimespour éviter que le sentiment de jeubiaisé ne se traduise par la montée enpuissance publique de l'injustice donton sait qu'elle est la forme d'ex-pression du malaise social la plus diffi-cile à prendre en compte politi-quement.

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PERSPECTIVE POLITIQUE : Reconnaissance de la politique sociale comme élémentconstitutif de la prospérité du pays

Ruth Lüthi, Conseillère d’État, Direction de la santé et des affaires sociales

1. INTRODUCTION

Après cette journée très instructivede conférences et de débats,permettez-moi de vous parler encorede mes visions et espoirs, de la façondont je vois les besoins et les pos-sibilités d’y répondre. Cette analyse sebase essentiellement sur l’expériencede 14 années de politique sociale, aucours desquelles j’ai non seulementvu évoluer les possibilités techniques,sociales et financières, mais aussi etsurtout constaté un changement duclimat politique et idéologique.

Je crois que nous sommes toutes ettous d’accords sur un point : le mondechange et avec lui les problèmes quise posent tant au niveau individuelque collectif. Une réflexion sur ce quepeut devenir la politique sociale enSuisse s’impose donc.Les nouvelles situations auxquellesnous devons faire face demandentcertes de nouvelles réponses. Mais, etje le dis sans détour, celles et ceux quicroient que la protection socialed’aujourd’hui est un luxe et empêchenotre pays de se développer se sontengagés, de mon point de vue, sur lamauvaise voie. Et c’est pour cela, quej’ai choisi d’intituler mon exposé : Lapolitique sociale comme élémentconstitutif pour la prospérité de notrepays – et j’ajoute : pour le bien-être denotre population.

2. CONSTATS

Notre société connaît de profondesmutations. Ces phénomènes ont desrépercussions sur notre modèle so-cial. Je cite donc quelques élémentsde base de ce changement :

La globalisation : le changement desrapports entre les entreprises, lasociété civile et la politique…L‘exclusion sociale : la pauvreté et laprécarité, l‘illettrisme, les emploissous qualifiés, les salaires insuf-fisants…Les transformations de la structurefamiliale et des modes de vie : l’aug-mentation du nombre de famillesmonoparentales, égalité des femmeset des hommes…Le vieillissement démographique : lefinancement des systèmes deprotection sociale, soutien au travaildes séniors…La remise en question de certainsservices de l’État : la mise en questionde l‘accès pour tous à l‘éducation etaux services de santé, l’aide sociale, laprise en charge des handicapés…Les migrations : la mise en questionde la politique d‘immigration (accueil,accompagnement, insertion).Les inégalités et tensions découlantde ses phénomènes représentent undanger pour la cohésion sociale denos sociétés. Si nous ne trouvons pasde réponses aux besoins et pro-

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blèmes émergeant de ces phéno-mènes, nous courrons le risque d’unefracture sociale.

3. VISION

Nous devons donc nous attacher àpréserver et renforcer cette cohésionsociale, qui est définie comme lacapacité d’une société à assurer lebien-être de tous ses membres, àminimiser les disparités et à éviter lapolarisation. Une société cohésive estune communauté solidaire composéed‘individus libres poursuivant desbuts communs par des voiesdémocratiques.La cohésion sociale s’appuie sur cinqdimensions clés :L’appartenance : le partage desvaleurs, le sentiment de faire partied’une même communauté.L’insertion : notamment sur le marchédu travail.La participation : c’est-à-dire uneimplication en tant que citoyen dansles affaires publiques.La reconnaissance : la tolérance desdifférences religieuses, culturelles.La légitimité des institutions publi-ques et privées qui sont les garants dela solidarité et de l’intérêt publics.

Le défi que nous devons donc releverest de savoir comment nous pouvonspréserver voire renforcer la cohésionsociale.Pour cela, j’aimerais citer cinq pointsqui me paraissent essentiels pourgarantir notre cohésion sociale :

Un nouveau modèle social danslequel politique sociale et politiqueéconomique se complètent. Il ne peuty avoir de protection sociale efficacesans efficacité économique. Et uneéconomie florissante doit se fondersur une éthique sociale.Une politique sociale s’appuyant surla solidarité, mais aussi sur le capitalsocial.La complémentarité entre secteurpublic et secteur privé. Certaines mis-sions publiques doivent pouvoir êtreconfiées à des établissements dedroit privé.La présence de l’État commerégulateur et acteur d’une politiqueet d’un système social efficaces,adaptés aux besoins de notreépoque.

L’autoresponsabilité et la respon-sabilité sociale des citoyens, ainsi quela responsabilité sociale des milieuxéconomiques.

1. La tendance de ces dernières an-nées a été de traiter la politique so-ciale d’« ennemi » de l’économie. Tropde sécurité sociale diminuerait lamotivation au travail, la protectionsociale coûterait trop cher et charge-rait trop les entreprises (ex. allocationfamiliale). Le premier pas à faire estdonc de reconnaître – et l’histoire etdes études le confirment – que labonne marche de l’économie dépendde la protection sociale autant que lesocial a besoin d’une économie saine.2. La politique sociale ne se limite pasaux assurances sociales. Son champ

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d’action est beaucoup plus vaste etengage également toute la sociétécivile.3. L’engagement de la société civilesignifie que l’État n’est pas seul àoffrir les prestations d’intérêt public.Dans de nombreux domaines, commecelui des institutions pour personnesayant un handicap ou des personnesâgées, l’État et le secteur privécoopèrent.4. L’État se doit cependant de resterle garant de la cohésion sociale, enétant l’acteur principal de la politiquesociale. Mais pour assumer ce rôle, il abesoin des moyens !5. La dignité humaine veut qu’unepersonne puisse assumer et jouir desa propre responsabilité. Mais sansresponsabilité sociale, le risque est decréer une société très individualiste,dans laquelle chacun pense à soi et oùla devise suisse « un pour tous et touspour un » n’aurait plus sa place ; lesperdants étant évidemment lespersonnes fragilisées et vulnérables.

4. NOTRE NOUVEAU MODÈLE SOCIAL

Ce que je présente comme nouveaumodèle social ne représente pas unerévolution en soi – il s’inspire trèslargement du modèle social euro-péen. Il consiste en un équilibre entrela prospérité économique et la justicesociale. Il combine trois élémentsessentiels et étroitement interdé-pendants : une économie perfor-mante, un niveau élevé de protectionsociale et d‘éducation et le dialoguesocial.

1. Une économie performante. Quelssont les facteurs d’une économie per-formante? Quelles sont les bonnesconditions cadres ?Dans un discours simpliste, cesconditions sont souvent réduites auxcharges fiscales. Mais les décideurséconomiques conçoivent que plu-sieurs autres facteurs entrent en jeu ;des facteurs dépendant de la poli-tique de l’État. Une économie perfor-mante a besoin de collaborateurs etcollaboratrices bien formés. Elle aaussi plus de chances de trouver lepersonnel si la qualité de vie de larégion est bonne et le système sa-nitaire performant et accessible. Laproductivité de l’entreprise dépendégalement de la sécurité du travail etde la paix sociale. En plus, pourqu’une économie puisse se déve-lopper, elle a besoin des consom-mateurs et consommatrices. Elle adonc tout intérêt que le niveau dessalaires soit haut.

2. Un niveau élevé de protectionsociale. Il est donc dans l’intérêt del’économie que l’État investisse dansdifférents domaines :- dans l’éducation et la formation, cequi accroît directement la produc-tivité et réduit les échecs sociaux. Unmeilleur niveau d’instruction aug-mente la productivité, les revenues etl’adaptabilité sur le marché du travail.- dans les normes de sécurité et desanté sur le lieu de travail, ce quiréduit considérablement le coût lié àde mauvaises conditions de travail etaux accidents.

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- dans une politique active en matièred’intégration, ce qui permet de faireentrer dans la vie économique despersonnes qui – sans aide – nepourraient y parvenir.- dans la paix sociale, ce qui permet deminimiser les conflits sociaux ou lesconflits de travail qui coûtent trèscher. Le partenariat social renforce lecapital social.3. Le dialogue social. Le dialogue socialen Suisse peut être qualifié de bon.Cependant, les récents événementsdans les banlieues de villes françaisesdevraient inciter tous les partenairessociaux et le monde politique à restervigilants, afin de maintenir cettequalité d’échange. Ils montrent égale-ment à quel point le dialogue socialest important pour la cohésion so-ciale.Comme exemple du bon dialogueentre les partenaires sociaux et lapolitique, on peut citer les allocationsfamiliales dans notre canton. Si lecanton de Fribourg est un descantons avec les meilleuresprestations dans ce domaine, c’estgrâce au dialogue entre lespartenaires sociaux. Les allocationsfixées par le Conseil d’État onttoujours été proposées consen-suellement par les milieux desemployeurs et des employés.

5. POLITIQUE SOCIALE : SOLIDARITÈET CAPITAL SOCIAL

La politique sociale a pour but decréer l’égalité des chances. Pour cela,elle remplit deux grandes fonctions :elle investit dans les structures d’in-térêt public (formation, santé, sécu-rité, intégration) et elle redistribue lesressources. Elle dépasse ainsi large-ment les domaines propres au social.La politique sociale intervient à troisniveaux :Le premier niveau est l’investis-sement dans les capacités de l’indi-vidu : soutien aux familles dans l’édu-cation, la formation, la vie culturelle,etc.Au second niveau, elle permet d’offrirun soutien ponctuel et/ou complé-mentaire aux personnes en difficulté(personnes ayant des revenusinsuffisants, souffrant de maladiepsychique par ex.).Au troisième niveau, elle intervient enfaveur des personnes qui pour uneraison ou une autre ne peuvent sub-venir à leurs besoins (prestationscomplémentaires, aide sociale).Si ces interventions visent en premierlieu les individus (leur dignité et leursbesoins), la société et plus spéciale-ment l’économie en bénéficient aussi.La politique sociale est donc unfacteur productif pour l’économie.Une économie dynamique, moderneet performante doit reposer sur desfondations sociales solides et sur lajustice sociale.Mais les interventions étatiques nesuffisent pas pour assurer la cohésion

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sociale. La cohésion sociale ne peutêtre atteinte que si les membres de lacommunauté en question sont so-lidaires. Sans solidarité, il n’y a plusd’État social. Ce principe de solidaritéa marqué le développement de lapolitique sociale et économique denotre pays tout au long du sièclepassé. Pour ne citer que quelquesexemples : nous profitons tous d’unebonne couverture de soins grâce àl’assurance maladie, d’une écoleobligatoire et d’un accès facilité auxformations professionnelles (le par-tage du savoir). Nos aînés profitentd’une Assurance vieillesse créée en1947, grâce à une volonté de soli-darité et au courage des politiques etdu peuple de l’époque.Aujourd’hui, il s’agit bien sûr deréfléchir aux nouveaux instrumentsqui permettront de répondre auxnouveaux problèmes. Mais il s’agitaussi de défendre et sauvegarderl’esprit qui est à la base de notresystème de protection sociale, cettevolonté d’assurer le bien-être de tousles membres de la communauté, leprincipe de la solidarité tout sim-plement. Parce que, et je cite encoreune fois le Professeur Jean-PierreFragnière : «Si nous ne prenons pasgarde, si nous manquons de vigilance,il n’est pas impossible que lesinstruments de solidarité construitspas à pas par nos mères et pères seliquéfient dans un courant socio-économique qui s’avance à visage pastoujours découvert… ».Je reste profondément convaincuequ’il n’y a pas de contradiction entre

la volonté d’adapter notre politiquesociale aux nouveaux besoins et lavolonté de sauvegarder ce qui a étéconstruit par nos parents et grands-parents. Les Assises, organisées lapremière fois il y a 7 ans, en réunis-sant des acteurs de différents milieux,visent justement à créer une plate-forme locale afin de piloter leschangements nécessaires au lieu deles subir, de fixer ensemble les objec-tifs à atteindre et de réfléchir auxmesures efficaces à développer. Deschangements sont justes et justifiéss’ils provoquent une augmentation del’efficacité des mesures et assurentleurs pérennités.Sans solidarité, il ne peut donc y avoird’État social, ni de justice sociale.Dans ce contexte, il faut aussi parlerdes impôts. J’entends souvent direque le seul rôle les impôts serait definancer les prestations de l’État etd’assurer l’équilibre budgétaire, maisque ce n’est pas un instrument de lapolitique sociale. C’est faux ! Lesimpôts sont l’élément de base per-mettant de corriger les immensesdifférences de revenus et de fortunequi existent entre les citoyens etd’assurer une redistribution des res-sources. Prenons un exemple simple :notre pays compte des gens ayantdes salaires 100 fois supérieurs à d’au-tres. Ces personnes n’auraient aucunproblème à payer les frais scolaires.Ce qui n’est pas le cas de beaucoupd’autres personnes ayant de faiblesrevenus. Mais grâce aux impôts desuns, l’état peut financer la scolaritédes autres. Prenons un autre ex-

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emple : celui d’un chômeur de longuedurée, qui malgré tous ses efforts, n’apas réussi à se réinsérer dans lemarché du travail et bénéficie au finalde l’aide sociale. N’y a-t-il pas unecertaine équité dans le fait que lesimpôts permettent à cette personnede vivre dignement ? N’oublions pasque la cohésion sociale est aussi unequestion d’intégration. Qu’avons-nous à gagner de créer des exclus ?Mais la solidarité n’est pas la seulecaractéristique d’un État social. Notresociété pourrait aussi arriver àsauvegarder certains intérêts publicsen s’appuyant davantage sur lecapital social. Qu’est-ce que cela veutdire ? Voici une définition : Le capitalsocial peut être défini comme« l’ensemble des normes et desréseaux qui est utile pour atteindredes objectifs communs ».Dans le domaine de la santé parexemple, des études ont montré quele capital social et le soutien socialpeuvent avoir un impact positif sur lasanté. Les réseaux informels etformels y jouent un rôle fondamental.En Suisse, il existe un grand nombrede réseaux formels, composés : parexemple les organisations œuvrantdans le domaine social commeCaritas, Pro Senectute ou ProJuventute, mais aussi les associationsd’entraide et de prévention dans lesdomaines de la santé comme la Liguecontre le cancer, l’Association suissepour la prévention du tabagisme ouencore les associations de malades.L’État doit encourager la formationde capital social, et le capital social lui-

même renforce l’efficacité de l’actiondes pouvoirs publics.Pour qu’un État soit social, solide etperformant, il faut donc un enga-gement de toutes et tous. Il signifieque les membres de la communautéparticipent à la vie communautaire,mettent à disposition leur savoir sansnécessairement recevoir une contre-prestation directe et immédiate, maisen faisant confiance à la réciprocité,cela veut dire que d’une manière oud’une autre chacun profite ens’engageant pour l’autrui.

6. LA COMPLEMENTARITÉ ENTRESECTEUR PUBLIC ET SECTEUR PRIVÉ

La réflexion sur le capital social l’adémontré : la présence de réseauxformels et informels améliore l’ef-ficacité des institutions et des servicesde l’État. La collaboration entre l’Étatet le secteur privé est donc essen-tielle, notamment lorsqu’il s’agit derépondre rapidement aux besoins decertaines minorités (personnes handi-capées, minorités ethniques) ou auxbesoins émergents.L’État peut et doit soutenir les ré-seaux sociaux au travers d‘actionspolitiques, de subventions et en cré-ant le cadre juridique nécessaire.Dans le canton de Fribourg, l’État a pumandater une multitude d’associa-tions de droit privé pour réaliser desmissions d’utilité publique comme lesœuvres humanitaires ou les associa-tions et fondations actives dans ledomaine de la prévention, de la priseen charge des personnes handi-

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capées, âgées ou malades. Elles assu-ment un rôle fondamental que ce soitdans la politique familiale (par ex-emple les structures d’accueil pour lapetite enfance et les enfants en âgescolaire) ou dans le domaine de la po-litique de santé (soutien aux aidantsnaturels, Spitex).

7. ÉTAT : ACTEUR PRINCIPAL D’UNSYSTÈME SOCIAL EFFICACE

Tout en reconnaissant la très grandeimportance que les réseaux asso-ciatifs et informels jouent au sein denotre société, je tiens à revenir ici surle rôle essentiel que joue l’État enmatière de politique sociale. Celle-ci,en effet, ne peut être réellementefficace, que si elle est menée par unÉtat solide et stable.Un État solide et stable est lacondition principale pour le dévelop-pement et l’implémentation d’une po-litique sociale efficace. Il doit être legarant :- de l‘intégration et de la coordinationde toutes les dimensions qui cons-tituent la politique sociale et favori-sent la cohésion sociale (politiqued’éducation et formation, politique dulogement, politique de l’emploi…) ;

- du principe de solidarité fondant laprotection sociale ;- de la défense des droits des groupesles plus vulnérables (enfants, per-sonnes âgées ou handicapées...) ;- du cadre favorisant ledéveloppement du capital social etl’autoresponsabilisation des individus.C’est à l’État d’assumer entièrementla définition des conditions cadres quipermettront de mener une politiquesociale efficace ; or nous avons vutout au long de cet exposé que lechamp d’action de cette politique so-ciale est vaste et complexe. Il recou-vre à la fois différents niveaux (de lastratégie à l’opérationnel), et diffé-rents domaines (formation, santé, lo-gement…). La politique sociale recou-vre donc beaucoup plus que la protec-tion sociale à proprement parler.J’aimerais illustrer toute sa com-plexité dans le graphique suivant :

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Le système des prestations socialesen Suisse est constitué de troispiliers : les prestations publiques debase, les instruments de la protectionsociale ainsi que les prestations etprotections privées. Les deux pre-mières entrent dans la sphère decompétence de l’État. Or, on a puconstater au cours de ces dernièresannées, que notre système se heur-tait à ses limites. Le déficit de l’AI oules problèmes du deuxième pilier ensont que deux exemples.

Selon l’analyse de Rossini et Favre(2004), après le développement del’État social articulé autour du prin-cipe d’assurance, une nouvelle orien-tation émerge, celle du «ciblage desprestations », réduisant les interven-tions par l’assurance et renforçantcelles de l’aide sociale. Les effets sontnégatifs à plusieurs niveaux : lescharges sont entièrement transféréessur les pouvoirs publics, les pres-tations ciblées affaiblissent la classemoyenne qui n’en profite plus et l’on

Les composantes du système des prestations sociales

Source : Rapport de la DSAS Fribourg accompagnant le projet d’instauration du RDU pour les prestationssociales cantonales

Prestations etprotections privées(Responsabilitéindividuelle etfamiliale)

Prestationspubliques de base(Education, sécuritépublique, systèmejudiciaire, etc.)

Protections socialesProtections sociales de

solidaritéProtections sociales liée

aux besoinsProtection sociale

subsidiaire

Sphère de compétencede l’État

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renforce la logique d’assistance alorsque l’on devrait miser sur le gaind’autonomie et la réinsertion desbénéficiaires (lorsqu’elle est possi-ble).Il est donc primordial de défendre lesprincipes d’assurance. Mais cela nesuffit pas. Notre système de protec-tion sociale doit être modernisé, celaveut dire adapté aux nouveauxbesoins et attentes. Dans cetteadaptation, quatre objectifs doiventnous guider : assurer sa pérennité,augmenter la qualité des prestations,respecter les individus et leurs souf-frances et assurer une allocationoptimale des ressources.Pour y arriver, le monde du social doitpouvoir se repositionner et se re-définir. Il ne suffit pas de défendre lesacquis. Il doit devenir un partenaire àpart entière en matière de politiquesociale dans une logique d’antici-pation.Pour augmenter l’efficacité de nosinstruments de protection sociale, ilfaut décloisonner les structures,redéfinir le pouvoir décisionnel etencourager la collaboration interins-titutionnelle, interdisciplinaire, autre-ment dit le travail transversal.

8. RESPONSABILITÉ SOCIALE DESCITOYENS ET DES ENTREPRISESL’autoresponsabilité et la respon-sabilité sociale des citoyens et entre-

prises sont les éléments essentiels denotre modèle social. Il doit pouvoirs’appuyer sur l’autoresponsabilité desindividus. Mais cela ne suffit pas. Elledoit pouvoir compter sur la res-ponsabilité sociale de chaque mem-bre de la société ainsi que sur celledes entreprises. Les individus commeles entreprises doivent également ac-cepter d’être responsables les uns vis-à-vis des autres.La responsabilité sociale des entre-prises consiste à s’occuper desquestions économiques, sociales etenvironnementales dans une optiquede développement durable. La res-ponsabilité sociale des entreprises estintégrée dans les structures et lesprocessus de l'entreprise. Elle estaussi souvent à la source de solutionsnovatrices et proactives face auxdéfis sociétaux et environnementaux.Ainsi, une entreprise socialementresponsable va notamment s’engagerpour la formation tout au long de lavie, pour l’amélioration de l’équilibreentre travail, famille et loisirs et dansl’application du principe de l’égalité.

9. CONCLUSIONL’État, les acteurs économiques, la so-ciété civile et les familles ont un rôleessentiel à jouer dans le maintien et lerenforcement de la cohésion sociale.