@ le temps des cerises, éditeurs, 1995

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@ LE TEMPS DES CERISES, éditeurs, 1995.

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FLEUR DE RAGE

ou le roman de Mai jacques Mondoloni

préliminaire alphonse Boudard

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Préliminaire

À la réflexion... je me demande... si l'écriture, au départ, ça n'a pas été seulement une tentative pour garder ce qu'on disait... «geler» les paroles, comme Rabelais. Les cunéiformes, hiéroglyphes, ara- besques... Les idéogrammes, pictogrammes, gribouillogrammes, sténogrammes. Même de nos jours, les taguistes... l'Obélisque de Louqsor, que personne sait ce qu'il y a écrit dessus. Peut-être des injures : « Allez vous faire foutre, sacrés pilleurs de cimetière»... Tout prévu! Qu'on n'en saura jamais rien.

L'effort pathétique. Pour se faire entendre au-delà de la tombe... au-delà de l'espace ! Les télégrammes antédiluviens, gravés sur du granit peut-être. Allez savoir...

On se trompe, aujourd'hui, sur la poésie. Que c'est pas naturel.. que c'est un truc à la con inventé par des chochotttes... les alexan- drins... «une langue étrangère» que j'ai entendu dire un débile... en ricanant ! J'en atteste !

À ce propos, je vous confie... un vieux poème qui me trotte des fois dans la tête... me fait rigoler... si naturel :

Vieille haha! Vieille houhou ! Vieille chouette ! Vieux hibou ! Vieille grimace de marotte ...

Un poète qui chantait ça, pour engueuler en musique, sous le coup de 1600. Un certain sire de Mont-Gaillard, le si bien nommé. C'est pas du parlé, ça ? Quatre siècles plus tard, ça marche encore. Essayez sur votre belle-mère, votre directrice «du personnel»... votre présidente de correctionnelle... vous verrez. M'en direz des...

Si la poésie s'est emparée du théâtre, c'est pas pour des prunes. Nous ça nous épate. Mais en son temps, la poésie parlait... et par- lait plus que le parlé. Me fais-je ouïr ? Bien comprendre ?

Tenez... un exemple. Au début du siècle finissant, il y a quelque cent années... Tout le monde chantait. Dans un propos télévisé, Céline le rappelle... qu'au passage Choiseul, c'était monnaie cou- rante... un trottin, une arpète prenait le passage dans sa longueur, entonnait une chanson à l'entrée, la poursuivait tout du chemin... Jusqu 'au bout. C'était normal. Courant?. Pas imaginable de nos jours ! Que la pauv' môme, on appelerait le psy, l'assistante socia-

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le... la croix et la bannière... Une vieille dame, très vieille, qu'aurait cent ans aujourd'hui si

elle ne nous avait quittés... racontait que vers 1905, alors qu'elle était arpète dans la teinturerie, le patron... enfin, le mari de la patronne, comme au bocsif... il surveillait l'atelier, et s'il avait à redire, il tirait les tifs, les oreilles.... tout en chantant une chanson d'alors, furax, les dents serrées :

Soleil de mai... Soleil de ma jeunesse... Ainsi vivait-on...

Faut savoir... comprendre... Ce pourquoi la poésie, les chansons, ça revenait au parlé après que les savants, les professeurs, ils avaient inventé le divorce d'avec la langue écrite... l'académique... la jaco- bine. Définie par l'académie, les écoles. Que Rabelais déjà, il s'en gaussait à vastes farces. Qu'il accumulait les gros mots, les histoires de cul, de pets, d'énormes rigolades... histoire de déblayer le terrain. Lui aussi, Rabelais, il allait au parlé...

Tenez, aux alentours de 1900, il y avait un poète qui jactait dans les cabarets... Jehan Rictus, il signait.

Merd: v'la l'hiver et ses dur'tés ! Voilà l'temps oùs 'que dans la presse, Entre deux trois lanc 'ments d'putains, On va r 'découvrir la détresse. La purée et les purotins...

Il voulait le rendre, le parlé, Jehan ! Notez qu'il a réussi qu'à moi- tié. Il a été doublé par deux gaillards qu'avaient du «génie» : Gaston Couté, qui chantait La chanson d'un gars qu 'a mal tourné, et Aristide Bruant, un très grand... une institution, vous direz, exact ! Mais ça lui enlève rien ! Qu'il a bel et bien écrit la geste des inclassables, des marginaux, des «classes dangereuses»... des paumés broyés par la machine, réduits à soulager les «pantres» de leur trop-plein de foutre, et aussi de sang et de monnaie... les «Noctambules en or massif»...

Mais tout ça restait à part... avec les alibis du divertissement. Que très bêtement, on croyait que c'était de la blague... on affectait. Qui tirait pas à conséquence. Erreur ! Un siècle après, on prend la vraie mesure...

Les « livres» restaient dans les boudoirs, les salons des riches, ils échappaient. Ils célébraient l'académie... l'académique... Anatole France, Paul Bourget... tous talents confondus. C'est la guerre qu'a

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cassé la baraque, la Grande Guerre 14-18, deux millions de morts pour nozigues, si on compte bien tout... les à-peine survivants, les épaves, les courts sursis, les gueules cassées... les gazés des Eparges... Ça secoue une langue. Il y eut alors Marc Stéphane après Jean Richepin... les trimardeurs du langage. Et puis, on oublie un peu trop le Jean Giono du Grand troupeau, qui se mettait dans la peau des victimes... leur langage... celui des décimés, des exterminés, qui sont jamais revenus que sur les plaques des monuments aux morts.

Le Céline, il est arrivé là-dessus. Voyage au bout de la nuit, c'est un pavé. Il est tombé dans la mare du langage. Au grand scandale... Et après, ç'a été Mort à crédit, composé comme un poème. Certains ont compté les périodes... les décasyllabes. Mais ça n'a pas d'im- portance. C'est la mécanique du système. Seule compte la chanson. Celui qui ne veut pas chanter, s'y perd... cherche encore du côté de chez Paul Bourget... Marcel Prévost, ses «demi-vierges»...toute la brigade.

Or c'est fini tout ça. Même si on continue à fabriquer du béton à la tonne, le béton académique des H.L.M. du discours. Le parlé a pris le dessus et on n'y peut plus rien. La langue s'est remise à chan- ter.

On peut toujours chercher qui doit quoi à qui. L'essentiel : que les portes du langage se sont rouvertes. Qu'on est revenu au plus vrai... foutu en l'air les monocles, cols cassés, chapeau-claques de l'écrit «académique». Que le parlé a repris le crachoir et l'encrier. Même s'il y a de l'inutile, des fois... les bricolos... les jeunes «auteuses» qui narrent la saga des cramouilles... que c'est devenu bien monotone...

L'essentiel... je répète : on a ouvert les portes. Et les livres sont là... les miens très modestement... Pas mal d'autres... Et aujourd'hui celui que voici. Fleur de rage... un beau titre. De Jacques Mondoloni. Il évoque du trop plein, Mondoloni. Il se dégonfle pas... Du ras-le-bol. Une révolution en papier, comme le fameux tigre... mai 68... Ça vous dit encore quelque chose ?

Jeunes générations... générations Mitterrand... Giscard... géné- ration Chirac... oublieuses jeunesses ! Penchez-vous sur Mondoloni. Il vous explique les tenants... aboutissants... le déblatère institu- tionnalisé. Ça y va, les menus propos. Les déconnages. Ça crépite à tout va. Un vrai «d'artifice». Vous allez comprendre l'ambiance. Je vous recommande ses formules.

Mondoloni, il raconte les choses. Il évoque, mais c'est pas

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Cézanne, il peint pas que des pommes. Il vous transporte trente ans en arrière... que les ventrus d'aujourd'hui... les «pré-retraités»... comment ils s'amusaient quand ils croyaient encore qu'ils étaient jeunes. La langue de Mondoloni, je la trouve tout à fait authen- tique. C'est pas de la fabrication tribale... médiatique... coolos ! Elle a ses racines. L'image surgit, l'animée, la cinématographique... La langue colle au délire ! Je témoigne ! J'y étais... Ça bouillonnait, mais en surface. On comprenait plus très bien, à écouter glapir. Les humeurs peccantes... parties honteuses... onomatopées agressives... « Jean-Louis Barrault est mort» lançait-il. Ça a fini par arriver, notez-bien. N'importe quoi a suffi pour que le soufflé retombe. Et puis le totem nous est revenu sur la gueule, le chêne qui se rabat. Tout ça était pas si mort finalement. On était encore au théâtre... Au festival... Avignon, que les connards d'outre-harengs venaient cracher le Jean Vilar... contestaient Brekt... le Bertolt d'outre-mur... Alors on a fermé le guignol. Et on est reparti pour un tour.

C'est ça qu'il raconte, Mondoloni. Je crois pas me tromper de beaucoup... Enfin... Prenez le livre en main. Jugez et soupesez. Assumez le voyage et marrez-vous. Riez de vous d'abord. De ce que vous auriez pu être. De ce que vous êtes et de ce que vous serez. Il vous faudra du courage, fils de la société de consommation... des cons sans sommations !

Que l'avenir vous attend. De pied ferme ! Les lendemains qui chantent et qui déchantent... les dents agacées et les raisins de la foutaise. Vous êtes pas sortis... Ce qu'il vous annonce, en somme, Mondoloni.

Je crois pas me tromper... Enfin... peut-être. Vous apprécierez... L'expérience des autres est pas très utile... Déjà que la sienne à soi... Y aurait beaucoup à dire. Alors, tournez la page... Place à Mondoloni !

Alphonse Boudard.

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Du MÊME AUTEUR :

Romans et nouvelles disponibles :

Papa 1er ( Denoël, 1983 ) Le Marchand de Torture ( Denoël, 1989 ) Le jeu du petit Poucet ( Gallimard, 1994) Richard-Coeur-de-Lièvre ( L'Atalante, 1993 ) Longue Durée ( Syros, 1994 ) Les Milles ( Presses-Pocket, 1995 )

Pour la jeunesse :

L'Ami Crados ( Syros, 1991 ) Jules et ses cabanes ( Syros, 1993 )

À paraître ( 1996 ) :

Tenue de Galère ( Le Temps des Cerises ) - réédition Il faut partir, Quilichini ( L'Atalante ) - réédition

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FLEUR DE RAGE

ou le roman de Mai

jacques Mondoloni

LE TEMPS DES CERISES

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Enragez-vous

« Je ne veux plus cracher dans la gueule à papa. »

Claude Nougaro ( Paris-Mai )

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Chapitre 1

Avril 1968

Viré, puis repris, ça vous entame l'innocence envers le monde du travail, on ne regarde plus les chefs pareil. On vous a recollé la tête mais elle garde le souvenir de la décollation. Quelque chose s'est déboîté, dans le cerveau n'y circule que la méfiance, d'infinis cir- cuits crissent de haine. On croyait que le boulot était un droit, une fonction naturelle, le paquet-cadeau offert à la jeunesse pour démarrer dans l'existence. D'un coup la défaveur, le chômage qui s'en suit vous apprennent le mot «précarité», l'art de la survie. Foin d'ambitions, insouciances à l'ombre des projets, quand on est resté un temps sur la touche, on appréhende le patron. Mic-macs de l'en- trevue, critères de l'embauche, on se les représente. On n'emporte- ra pas la décision. A peine dans son bureau, vous êtes prêt à la décar- rade, la confiance en vous c'est comme un organe que vous n'avez plus...

Mon nouveau patron, pourtant c'était du sérieux. «Qu'il vienne rapido !», il avait dit à Chichoua, son agent, pote interlope de la galère. Mais comme le premier, il incarnait le Chanteur, espèce carne et faux-jeton, et j'avais peur.

- Tes références ? Mais t'as travaillé avec les plus grands. Pas de bile à te faire.

Après la pommade, Chichoua m'avait passé la brosse à enthou- siasmes... Oh ! les voyages, l'air du large, piscines, palaces, régalades, la vie en terrain conquis... Chanteurs : race des seigneurs, leurs lar- bins encore des seigneurs, tout le monde : au pied !...

Tout ce que j'avais retenu c'est que je serais payé 250 francs par gala.

- Quand est-ce que je commence ? - Bientôt, mais viens voir. J'avais jeté un coup d'oeil aux guitares du Chanteur dans son

camion. Il en avait de tous les modèles : des six, des douze cordes, des espagnoles, des «country». Avec des bretelles, en laine, cuir, lanières tortillées, parsemées de verre, rivets, poils de zébu, plumes

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d'oie : camelote qui accrochait la lumière et qui encharmait les spec- tateurs. - C'est quoi la gaffe à ne pas commettre ? -Tu diras qu'il est le meilleur. Comme toutes les idoles, il buvait du sirop d'ego. «Moi ! moi !

ma voix, mon allure, mes tubes !»... Je connaissais la musique. - Tu l' as déjà vu en concert ? - J'ai écouté un disque ou deux. C'était le «message», son fonds de commerce. Il la serinait bien

la protestation, tout son public en frissonnait. Les notables, les corps constitués, tous les cons autoritaires, il allait les déquiller, leur faire avaler leur cuiller. Roulez jeunesse ! crève pépère ! ne resterait plus rien des hiérarchies, sociétés va-t-en guerre. Il les défiait les chieurs, empêcheurs tous crins. Dans la belle nuit étoilée, à la lueur des veillées, il envoyait le signal. La douze cordes sonnait comme un couperet. C'étaient des accords qui les garrottaient à distance les censeurs...

- Mais va pas croire, c'est pas un intello, il vise le public popu- laire. Son tour n'était pas si contestataire, d'après Chichoua, si on y

regardait bien. Son inspiration, il la puisait dans le folklore, mélan- colies mataf... «J'ai parcouru les mers avec mon beau rafiot»... «Je suis copain avec une baleine qui joue du banjo»... Il y avait des lutins, spectres d'écume, fiancées sages à la fenêtre, guettant le retour du marin, les mains dans la farine. Parfois, il s'accompagnait à l'harmonica, maintenu par un râtelier devant le menton, et c'étaient des vents d'aventure qui soufflaient sur le ponton, des miasmes alizés qui touchaient les premiers rangs. Des éperviers sur- volaient les flots. Vieux capitaines, fantômes d'épaves, à la fin, repoussaient les rebelles des autres chansons, réconciliaient tout le monde, fille à papa, fiston étrangleur de patron. Chacun des camps repartait content.

- Pas un pet, jamais d'émeute... Un signe : après le spectacle, allumées du poivron, candidats au

bordel, personne ne se pressait contre la loge du Chanteur. - Et privautés, dévergondages dans les caravanes, ce n'est pas son

genre. - C'est mieux ainsi. Rien ne viendrait troubler le comptage des biftons.

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Le Chanteur perche dans les beaux quartiers, rue de la Pompe : duplex, véranda sur le balcon. L'intérieur est décoré style rustique mexicain : grands chapeaux, tapis rutilants, photos de chevaux et de caballeros moustachus, accrochés aux murs. Dans un coin, au milieu des plantes grasses : un piano, des guitares, tambourins.

- Je te présente le nouveau sonorisateur, dit Chichoua. Le Chanteur me fait signe d'approcher. Le casque sur les oreilles,

il écoutait une cassette, trafiquait dans l'ivresse, mais holà pas d'in- termédiaires, barrières, batterie de secrétaires, il est tout disposé à traiter de l'affaire. Chichoua m'a pistonné mais il veut m'entendre. Les seconds couteaux, il les a à la bonne, mais faut qu'ils aiguisent leurs talents.

Chichoua s'éclipse. Le Chanteur s'assoit sur un canapé en cuir, il met un peu de désordre dans ses cheveux à la lionne, il s'ébouriffe en même temps qu'il se gratte le crâne. Il m'examine, évalue... - T'étais avec l'autre ?

«Débile» n'est pas loin. Mon nouveau patron, il le drape d'offi- ce, l'ancien. Ses chansons ? Des produits avariés, baston de conne- ries pour rosières chipies, boutonneux ados...

- Oui, en effet. Je me tiens aux faits. Médire exige du doigté, on n'est jamais sûr

qu'une vanne ne fera pas boomerang. Les chanteurs se déchirent, cascadent, tourmentent, vacheries dans les échos, les radios... ils en ont plein les poches de peaux de banane, ils se les glissent à chaque instant dans leur carrière, mais ce sont des roturiers devenus sei- gneurs, un clan, un ordre, tout à fait solidaires...

- Ça va te changer... Le Chanteur commence à me faire l'article : fini ies airs vul- gaires, bluettes pour radasses et biffins, tagada-tsouin-tsouin. Lui, son domaine, c'est la chanson à texte, merveilles d'harmonie, mélo- dies à charmer un bataillon de serpents... Et le «message» !... Il ne chante pas pour ne rien dire. Vitupérer l'époque, dénoncer les pro- fiteurs... Et en même temps : divertir, haut la barre, pas viser bas, bourres et ratatam. Pas être populaire à tout prix : il veut conduire le public à s'évader, rêver, sans compromissions, facilités impures. «Transporter», c'est son mot, transporter ceux qui ont foi en lui vers

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d'autres cieux, là où il y a des anges, de bons copains, des senti- ments épatants. Au passage, dans le voyage, il réveillera l'idéal, cette part de morale qu'on a tous bazardée dans le sauve-qui-peut de l'existence.

- Est-ce qu'il picole toujours autant ? Je fais un geste : exagéré, rumeurs... Et quand bien même !

Motus, c'est pas mon genre de baver. Le Chanteur semble apprécier. Il me dévisage, instant crucial...

Le maître doit se décider sur votre bonne gueule... Certificats de travail, recommandations, parrainages, «talentueux lascar», «poin- ture hors norme», bien d'accord, mais accessoire : un chanteur, quand il prend quelqu'un, il prend époux. La troupe et lui, c'est un ménage. Il faut qu'ils s'entendent jour et nuit. Humeurs compa- tibles à tout moment et partout : sur scène, sur la route, à table, jus- qu'à la chambre.

- Tout ça, pour te dire que tu as dû acquérir des mauvaises habi- tudes avec l'autre.. Il insinue que j'ai l'oreille polluée, le bastringue a dû m'enlever toute finesse. - Je suis «acoustique», tu comprends ? Il me désigne les guitares, les flûtes, mandolines, charangos, per-

cussions qui traînent dans la pièce. Il évoque les délicatesses orches- trales, les arrangements mouchetés de son tour. - C'est tout en nuances.

Il attend peut-être que je lui montre une radio de mes tympans. - Les balloches déforment le goût, qu'il m'enfonce encore. Je hoche la tête, j'admets. Chapiteaux ruisselants, viande soûle,

bibine et décibels, c'était mon ordinaire. Il fallait renvoyer le bou- let : sonorisateur, c'était un peu artilleur.

- C'était l'exception, je me défends. Je minore, je ne veux pas porter le chapeau, du tout je renonce. - Moi, mon circuit, ce sont les Maisons de la Culture, les

théâtres, les arènes... Le public est assis et écoute en silence. Le tour de chant de mon ancien patron se déroulait autrement :

des braillards ruaient dans les barrières, les groupies passaient leur temps à lui tirer sur les chaussettes. Mais c'était hier, aucune allu- sion, j'ai oublié.

- Est-ce que tu vas savoir ? il insiste, le Chanteur. Je suis bien embarrassé. Je ne trouve pas les mots pour m'accré-

diter. Heureusement, Chichoua revient avec le chien de la maison,

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un berger blanc, qui réclame caresse. Il gigote, donne des coups de truffe dans la main de son maître, se retourne pour me flairer.

- Dickie, un chien de l'Ardèche. Tu connais l'Ardèche ? Oh ! que oui, j'adore ! Salutaire climat, pureté austère, âpres

lumières, voilà un sujet qui me convient. Je ne suis pas si dur d'oreille : c'est sa terre d'élection, au chanteur. L'Ardèche, ses mys- tères à fleur de pierre, gorges, ravins, lauzes et fromages de chèvre, je ne pense qu'à ça. Mes plus belles vacances, je les ai passées en Ardèche, j'en rêve, impérissables souvenances. Si j'en avais les moyens, je m'achèterais un mas dans le causse, au sommet d'une montagne, avec vue sur le vallon, ségalas, châtaigneraies séculaires, ruisseaux gazouillants, eau limpide, grenouilles qui parlent patois, comme au commencement du monde.

- Vraiment ? Et tu aimes les chevaux ? Et comment ! Le cheval, le chien : l'harmonie fondamentale,

l'émotion diamant, on n'a rien fait de mieux depuis la Création, la Nature signe là son plus beau tableau.

- Tu t'y connais en chevaux ? Oh ! je campe dans les paddocks, dans les manèges, hippo-

dromes. Je sais reconnaître un bourrin qui amble, aubine, savate méchant. Les pedigrees, races à performances, montes, croisements, je suis au parfum, j'ai étudié, je suis abonné à «L'haridelle de Saumur», «L'écho des manades».

- Ah ! la Camargue, tous ces sabots qui cinglent l'eau dans le soleil couchant.... Il s'éblouit, j'ai tapé en plein dedans : galoper, jouer au gardian,

c'est son cœur d'enfant qui se revanche. - Ah ! un ranch, je lui lance. - Ah oui ! avoir un ranch, j'y pense.... Qu'il achète le terrain, bon Dieu, je suis volontaire pour planter

des piquets, dérouler la clôture. - Je restaure une ancienne magnanerie, à mes moments perdus,

mais ce n'est pas pareil.... Cette magnanerie, je désire la voir sur le champ. Qu'il m'emmè-

ne contempler le chef d'oeuvre. Brodons, brodons, racolage bon- bon : c'est un ranch, je suis dans les écuries, avec juments, étalons, pétard d'imaginaire...

- Cet été, je pendrai la crémaillière. On fera le boeuf tous ensemble. Tu verras, là-bas, dans la nuit, le son !

Je suis embauché, tope-là, mon seigneur.

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... Fleur de rage... un beau titre. De Jacques Mondoloni. Il évoque du trop plein, Mondolini. Il se dégonfle pas... Du ras-le- bol. Une révolution en papier, comme le fameux tigre... mai 68... Ça vous dit encore quelque chose ?

Jeunes générations... générations Mitterrand... Giscard... génération Chirac... oublieuses jeunesses ! Penchez-vous sur Mondoloni. Il vous explique les tenants... aboutissants... le débla- tère institutionnalisé. Ça y va, les menus propos. Les déconnages. Ça crépite à tout va. Un vrai «d'artifice». Vous allez comprendre l'ambiance. Je vous recommande ses formules.

Mondoloni, il raconte les choses. Il évoque, mais c'est pas Cézanne, il peint pas que des pommes. Il vous transporte trente ans en arrière... que les ventrus d'aujourd'hui... les « pré- retraités »... comment ils s'amusaient quand ils croyaient encore qu'ils étaient jeunes. La langue de Mondoloni, je la trouve tout à fait authentique. C'est pas de la fabrication tribale... médiatique... coolos ! Elle a ses racines. L'image surgit, l'animée, la cinémato- graphique... La langue colle au délire ! Je témoigne ! J'y étais... Ça bouillonnait, mais en surface. (...)

C'est ça qu'il raconte, Mondoloni. Je crois pas me tromper de beaucoup... Enfin... Prenez le livre en main. Jugez et soupesez. Assumez le voyage et marrez-vous. Riez de vous d'abord. De ce que vous auriez pu être. De ce que vous êtes et de ce que vous serez...

Alphonse Boudard. (extraits de la préface )

Jacques Mondoloni, a publié plusieurs romans, dont Le marchand de torture, Richard-cœur-de-lièvre et Tenue de Galère. Dans ce nouveau roman, picaresque, haut en couleur et truculent, il raconte les mésaven- tures d'une bande de saltimbanques en mai 68.

1 20 F TTC

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