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Cour des comptes - rapport public particulier – La décentralisation en matière d’aide sociale (décembre 1995) 1 Cour des comptes RAPPORT PUBLIC PARTICULIER « LA DÉCENTRALISATION EN MATIERE D'AIDE SOCIALE » DÉCEMBRE 1995

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Cour des comptes - rapport public particulier – La décentralisation en matière d’aide sociale (décembre 1995) 1

Cour des comptes

RAPPORT PUBLIC PARTICULIER

« LA DÉCENTRALISATION EN MATIERE D'AIDE SOCIALE »

DÉCEMBRE 1995

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INTRODUCTION

PREMIERE PARTIE : LES LIMITES DE LA CLARIFICATION OPEREE PAR LE LEGISLATEUR

A. - LE REGIME JURIDIQUE ISSU DES TRANSFERTS DE COMPETENCES

1. Une volonté de clarification

2. Une compétence de droit commun confiée au département

B. - UNE COMPENSATION FINANCIERE ASSUREE LORS DES TRANSFERTS DE COMPETENCES

1. Les principes généraux de la compensation

2. Les principes propres à la compensation des transferts de charges de l'aide sociale

3. Une compensation assurée lors des transferts de compétences

C. UNE LOGIQUE DE BLOCS DE COMPETENCES DIFFICILE A METTRE EN OEUVRE

1. Une répartition fondée sur des critères flous et empiriques

2. Le maintien de compétences partagées

3. L'instauration de nouvelles compétences conjointes en matière de lutte contre l'exclusion

DEUXIEME PARTIE : LE POIDS CROISSANT DES DEPENSES D'AIDE SOCIALE DANS LES BUDGETS DEPARTEMENTAUX

A. - UNE ACCELERATION RECENTE DES DEPENSES D'AIDE SOCIALE

1. Une forte croissance des dépenses depuis 1988

2. Le maintien d'importantes disparités entre les départements

B. - L'EMPRISE LIMITEE DES DEPARTEMENTS SUR LEURS DEPENSES D'AIDE SOCIALE

1. La part croissante des mesures judiciaires de protection de l'enfance

2. L'insuffisante représentation des départements au sein des Commissions techniques d'orientation et de reclassement professionnel (COTOREP)

3. L'influence limitée des départements sur le statut et la rémunération des personnels sociaux et médico-sociaux

4. Les financements conjoints en matière de lutte contre l'exclusion

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C. - DES TENSIONS NOUVELLES SUR LES FINANCES DEPARTEMENTALES

1. L'augmentation de la part laissée aux départements dans le financement des dépenses d'aide sociale

2. Une charge croissante sur les budgets départementaux

TROISIEME PARTIE : LES OBSTACLES A UN PLEIN EXERCICE DE LEURS COMPETENCES PAR LES DEPARTEMENTS

A. - UNE DEFINITION LACUNAIRE DES POLITIQUES D’AIDE SOCIALE

1. Des besoins mal connus

2. Des règlements départementaux d’aide sociale rarement adoptés

3. Une programmation embryonnaire

B. - UN DEVELOPPEMENT MAL MAITRISE DES SERVICES SOCIAUX DES DEPARTEMENTS

1. Des moyens nouveaux consacrés à l'aide sociale

2. Un mouvement de déconcentration et de spécialisation des services

C. - DES RELATIONS INSUFFISAMMENT ORGANISEES AVEC DES PARTENAIRES ASSOCIES A L'EXERCICE DES COMPETENCES DEPARTEMENTALES

1. Les communes : un partenaire peu associé

2. Des relations parfois difficiles avec les organismes de sécurité sociale

3. Les associations : un partenariat mal défini, des relations financières peu contrôlées

QUATRIEME PARTIE : UNE ABSENCE DE COORDINATION PREJUDICIABLE A L'EFFICACITE DES POLITIQUES D'AIDE SOCIALE

A. - UNE CONCERTATION INSUFFISANTE DANS LA DEFINITION ET LA MISE EN OEUVRE DES POLITIQUES D'AIDE SOCIALE

1. Une définition éclatée des politiques d'aide sociale

2. Une mise en oeuvre en ordre dispersé

3. Le rôle limité des instances de coordination

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B. - DES INCOHERENCES DANS LES MODALITES FINANCIERES DE PRISE EN CHARGE DES USAGERS

1. Le financement de la prise en charge des personnes handicapées

2. Le financement de la prise en charge des personnes âgées

C. - UNE INSUFFISANTE EVALUATION DES POLITIQUES D'AIDE SOCIALE

1 L'absence d'instruments d'évaluation

2. Un suivi insuffisant de la qualité des prestations et de l'évolution des bénéficiaires

RAPPEL DES PROPOSITIONS

CONCLUSION

ANNEXES (voir liste des annexes)

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INTRODUCTION

Dix ans après l'entrée en vigueur des premières lois de décentralisation, les juridictions financières ont jugé utile de porter une appréciation sur les résultats des transferts de compétence dans les principaux domaines concernés. Cette approche sectorielle a déjà donné lieu à un premier rapport public de la Cour sur la décentralisation et l'enseignement du second degré, en février 1995. Le présent rapport est consacré à l'aide sociale dix ans après la décentralisation.

En vertu de la loi du 22 juillet 1983, les départements se sont vu confier une compétence de droit commun en matière d'aide sociale. Le transfert ultérieur, en 1987, de la prise en charge des assurés personnels dotés d'une résidence stable, ainsi que les lois de 1988 et 1992 sur le revenu minimum d'insertion et le logement des personnes les plus démunies ont élargi encore le champ légal d'intervention des départements et, dans une moindre mesure, des communes, dans le domaine social.

L'aide sociale constitue, en premier lieu, un droit alimentaire, au sens donné par le code civil. C'est dire que sa finalité est d'apporter l'aide nécessaire à la satisfaction des besoins vitaux des personnes qui ne sont pas en état d'assurer leur propre subsistance. Il s'agit, en second lieu, d'une aide subsidiaire en ce que la puissance publique n'intervient que si l'intéressé et sa famille, au titre de l'obligation alimentaire (1), ne peuvent eux-mêmes, faute de ressources suffisantes, subvenir à ses besoins. Enfin, l'aide sociale est spécialisée pour répondre aux situations prévues par la loi : vieillesse, handicap, pauvreté, enfance en danger, etc.

En cela, l'aide sociale se distingue à la fois de la protection sociale et de l'action sociale, même si toutes ces modalités d'intervention s'adressent également, pour une large part, aux mêmes populations.

Contrairement aux prestations de sécurité sociale, l'aide sociale ne procède pas d'un principe d'assurance, dans la mesure où le droit aux prestations est conditionné, non pas par le versement préalable de cotisations mais par l'existence d'un besoin ; dès lors, elle se fonde sur une logique alimentaire et non indemnitaire. De même, à la différence de l'action sociale, l'aide sociale constitue un droit et ne relève pas d'une faculté laissée à l'initiative des collectivités publiques. Elle ne vise donc pas l'ensemble de la population et les conditions auxquelles le versement de ses prestations est subordonné sont fixées par les lois et règlements.

En conséquence, l'aide sociale ne concerne, aujourd'hui, qu'un nombre limité mais croissant de personnes, environ 2,1 millions, sans tenir compte des allocataires du revenu minimum d'insertion. Elles constituent quatre grandes catégories : les bénéficiaires de la protection maternelle et infantile ainsi que les enfants en danger, les personnes âgées, les personnes handicapées, les personnes sans ressources nécessitant une aide médicale et une couverture sociale.

(1) Prévue par l'article 205 et suivants du code civil.

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Le montant des prestations versées par les départements représentait, en 1993, 66 milliards de francs, soit un peu plus de 3 % de l'effort social de la Nation. Les dépenses assurées par l'Etat au titre de l'aide sociale obligatoire s'élevaient, la même année, à 8,5 milliards (2). Il reste qu'au-delà de son champ limité, l'aide sociale revêt une importance d'autant plus cruciale qu'elle constitue le dernier "filet de protection" des personnes les plus fragiles, répondant ainsi à une fonction aujourd'hui ancienne.

Longtemps assumé par les ordres religieux, l'effort d'assistance s'est peu à peu sécularisé, notamment par la création, sous François 1er, des "bureaux des pauvres". Le principe d'un devoir de la puissance publique à l'égard de tous citoyens ne disposant pas d'un niveau de subsistance suffisant fut posé, en France, par la constitution de 1793 : "la Société doit la subsistance aux citoyens malheureux, soit en leur procurant du travail, soit en assurant les moyens de subsister à ceux qui sont hors d'état de travailler".

La proclamation de tels principes ne fut cependant suivie des textes assurant leur mise en oeuvre qu'à la fin du XIXème et au début du XXème siècle. En 1889, le congrès international d'assistance, réuni à Paris, élabore une "charte de l'assistance", directement inspirée des principes de 1793. Au cours des vingt années suivantes, de 1893 à 1913, un ensemble de lois sur l'assistance publique est voté. Elles couvrent l'aide aux malades avec l'assistance médicale gratuite (1893), l'assistance aux tuberculeux (1901), l'assistance aux vieillards, infirmes et incurables (1905), l'assistance aux femmes en couche et aux familles nombreuses (1913).

Cette législation progressivement mise en place est marquée par un certain nombre de points communs : elle limite le bénéfice de l'assistance à certaines catégories de personnes, les malades, les vieillards ou les infirmes ; les dispositifs mis en place partagent un souci de simplicité en garantissant la gratuité des soins ou en instituant une allocation unique pour toutes les formes d'assistance ; elle privilégie enfin la commune chargée, comme le recommandait la charte de l'assistance, de désigner les bénéficiaires de l'assistance "parce qu'elle seule est en situation de les connaître".

La création d'un système de sécurité sociale, fondé sur une logique d'assurance, n'a pas eu pour effet de limiter le nombre des bénéficiaires de l'aide sociale. Le dispositif évolue cependant vers une plus grande complexité, tout d'abord par le nombre et la diversité des différentes prestations servies, également par l'organisation retenue à l'échelon local. La réforme de 1953, complétée par un ensemble de textes réglementaires pris en 1954 et 1955, met en place un système de financements dits croisés associant l'Etat, les départements et les communes. La mise en oeuvre reste néanmoins confiée aux directions départementales des affaires sanitaires et sociales, placées sous l'autorité des préfets.

Nécessitant une appréciation des besoins et de la situation de chaque demandeur, l'aide sociale relève, par définition, d'une action conduite à l'échelon local, au plus près des usagers. Elle se prêtait, par conséquent, mieux que d'autres politiques, à un transfert de compétences aux collectivités territoriales. Envisagée dès 1978 dans le cadre du projet de loi sur le développement des responsabilités des collectivités locales, la décentralisation opérée par la loi du 22 juillet 1983 a confié aux départements une compétence de droit commun dans le domaine de l'aide sociale. Elle a été complétée, depuis la loi créant un revenu minimum d'insertion, par de nouveaux dispositifs de lutte contre l'exclusion auxquels les collectivités territoriales ont également été associées.

(2) Dépenses imputées au chapitre 46-23 ("Dépenses d'aide sociale obligatoire de l'Etat") du budget du ministère des affaires sociales, de la santé et de la ville, en 1993.

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La préparation et le vote de ces textes n'ont pas donné lieu à des débats aussi difficiles que pour l'enseignement du second degré, dont le rapport précité de la Cour a analysé la situation complexe. La nécessité de clarifier les compétences de l'Etat et des collectivités territoriales s'est, en effet, imposée à l'ensemble des parties prenantes, les principales réserves soulevées portant sur la compensation financière.

L'objectif poursuivi par le législateur fut double : définir, tout d'abord, des blocs homogènes de compétences permettant à chaque collectivité publique d'exercer pleinement ses attributions ; rapprocher, ensuite, l'échelon de décision des usagers en confiant aux départements une compétence de droit commun en matière d'aide sociale.

*

Dix ans après son entrée en vigueur, la Cour a souhaité établir un premier bilan de ce nouveau partage des compétences et des conditions dans lesquelles les départements ont exercé leurs nouvelles missions.

A cette fin, quinze chambres régionales des comptes se sont associées à ce travail : ALSACE, AQUITAINE, AUVERGNE, BASSE-NORMANDIE, BRETAGNE, CENTRE, CORSE, FRANCHE-COMTE, ILE-DE-FRANCE, LORRAINE, MIDI-PYRENEES, NORD-PAS-DE-CALAIS, PAYS-DE-LA-LOIRE, PROVENCE-ALPES-COTE D'AZUR ET RHONE-ALPES.

Elles ont conduit leurs investigations dans trente-quatre départements métropolitains : l'Ain, l'Allier, l'Ardèche, le Cher, la Corse-du-Sud, la Haute-Corse, la Dordogne, la Drôme, la Gironde, l'Ille-et-Vilaine, l'Indre, l'Indre-et-Loire, l'Isère, les Landes, le Loir-et-Cher, la Loire, la Loire-Atlantique, le Lot, la Mayenne, la Meurthe-et-Moselle, la Meuse, l'Orne, le Pas-de-Calais, le Puy-de-Dôme, le Bas-Rhin, le Haut-Rhin, le Rhône, la Haute-Saône, la Sarthe, la Savoie, la Haute-Savoie, Paris, la Seine-et-Marne et les Hauts-de-Seine. Afin de préciser les conditions d'intervention des communes dans la mise en oeuvre des prestations d'aide sociale légale, les chambres régionales des comptes ont également étendu leurs investigations à 46 centres communaux d'action sociale.

Par ailleurs, dans le cadre de la présente enquête, quelques données, tirées des comptes administratifs de tous les départements pour les exercices 1988 et 1993, ont été recueillies par l'ensemble des 25 chambres régionales des comptes.

Pour sa part, la Cour a mené ses vérifications propres auprès des ministères concernés et des caisses nationales de sécurité sociale. L'aide sociale s'insère en effet parmi d'autres modalités d'interventions, telles que la protection et l'action sociales, faisant intervenir l'ensemble des acteurs du champ social. Il a donc semblé difficile de limiter cette enquête au seul rôle des collectivités territoriales sans l'élargir ponctuellement à l'analyse de la cohérence, et partant de l'efficacité, de l'ensemble des interventions publiques en direction des catégories les plus fragiles de la population.

Pour la bonne compréhension des dispositifs et compte tenu de la complexité de la matière, la Cour a donc été amenée, dans le présent rapport, à rappeler un certain nombre de ses précédents travaux, notamment sur les politiques sociales en faveur des personnes handicapées adultes. Elle s'est également appuyée sur les résultats de deux autres enquêtes, conduites au même moment, sur le revenu minimum d'insertion et l'assurance personnelle.

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Il ressort des investigations de la Cour et des chambres régionales des comptes que :

- le partage de l'aide sociale issu des lois de décentralisation s'est progressivement écarté de la logique de blocs de compétences poursuivie initialement (1ère partie) ;

- l'accélération récente des dépenses d'aide sociale s'est traduite par des tensions croissantes sur les budgets départementaux (2ème partie) ;

- les moyens mis en oeuvre par les départements ne leur ont pas permis d'assurer pleinement l'exercice de leurs nouvelles compétences (3ème partie) ;

- la multiplicité des intervenants dans le domaine de l'aide sociale se heurte à l'insuffisance de coordination, de cohérence et d'évaluation de leurs actions respectives (4ème partie).

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PREMIERE PARTIE

LES LIMITES DE LA CLARIFICATION DES COMPETENCES OPEREE PAR LE LEGISLATEUR

Le partage des compétences opéré par la loi de décentralisation du 22 juillet 1983 a cherché à se fonder, dans le domaine social, plus encore que dans les autres domaines, sur le principe des blocs de compétences posé par la loi du 7 janvier 1983. En confiant une compétence de droit commun aux départements, le législateur a procédé à une double clarification au regard de la situation antérieure : les compétences jusqu'alors exercées, pour le compte de l'Etat et du département, par les directions départementales des affaires sanitaires et sociales (DDASS) sont attribuées aux conseils généraux, l'Etat ne conservant qu'un nombre limité de prestations ressortissant de la solidarité nationale ; le financement de l'aide sociale relève dorénavant de chaque collectivité publique (Etat et département) qui assume ainsi la charge des compétences qu'elle exerce directement.

Pour autant, la volonté de doter les départements d'une véritable indépendance de décision, en leur confiant une large compétence dans le domaine social, s'est heurtée à la difficulté d'établir des champs d'intervention véritablement autonomes. Ainsi, l'évolution constatée depuis plus de dix ans a marqué les limites de la clarification opérée par la loi du 22 juillet 1983 : non seulement, les critères de répartition des compétences utilisés n'ont pas permis d'apporter toute la clarification souhaitée mais les nouveaux dispositifs de lutte contre l'exclusion ont conduit à l'organisation de nouvelles interventions conjointes de l'Etat et des collectivités territoriales.

A. - LE REGIME JURIDIQUE ISSU DES TRANSFERTS DE COMPETENCES

. 1° UNE VOLONTE DE CLARIFICATION Le système de financements croisés mis en place par les décrets du 17 novembre

1954 et du 21 mai 1955 reposait sur le principe d'une participation conjointe de l'Etat, des départements et des communes à l'organisation et au financement de l'aide sociale et de la santé. Les dépenses, inscrites en totalité au budget du département, étaient supportées selon une clé de financement entre l'Etat et les collectivités territoriales variant selon les départements et la nature des prestations.

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Une première catégorie de dépenses, regroupant pour l'essentiel, l'aide sociale à l'enfance, les frais du service polyvalent, l'hygiène et la prévention sanitaire, était financée, en moyenne, aux quatre cinquièmes par l'Etat et pour le reste par les départements ; un deuxième groupe de prestations, incluant les dépenses d'aide médicale aux malades mentaux et aux tuberculeux, l'aide sociale au logement, à l'hébergement et à la réadaptation sociale, les frais résultant de l'interruption volontaire de grossesse et la prise en charge des cotisations d'assurance personnelle, faisait intervenir majoritairement l'Etat, pour les deux tiers du montant total des dépenses, le reste étant supporté par les collectivités locales ; enfin, le dernier groupe comprenant toutes les autres formes d'aide sociale, à destination notamment des personnes âgées et des personnes handicapées, ainsi que l'aide médicale, relevait principalement des communes et des départements qui assuraient en moyenne les deux tiers de leur financement.

Le partage entre les communes et les départements de la part des dépenses des groupes 2 et 3 incombant aux collectivités territoriales faisait l'objet d'un calcul dans chaque département qui aboutissait à la fixation des "contingents communaux". Les dépenses du groupe 2 pouvaient être financées par les communes entre 10 % et 50 % du montant à la charge des collectivités locales ; pour les dépenses du groupe 3, cette participation devait rester entre 20 et 75 %. Au total, les communes prenaient en charge environ 10 % des dépenses d'aide sociale.

Dans tous les cas, la décision était prise par les assemblées départementales, le financement était partagé entre l'Etat, les départements et les communes, et la mise en oeuvre confiée aux directions départementales de l'action sanitaire et sociale (D.D.A.S.S.), par l'intermédiaire du préfet, chargé avant la décentralisation de l'exécution des délibérations des conseils généraux.

Le premier inconvénient de ce système de financements croisés tenait à ce qu'il ne permettait pas aux collectivités territoriales de prendre les décisions afférentes à la gestion des prestations dont elles assuraient le financement et, faute de confier à une collectivité publique la responsabilité exclusive d'un type d'action, "ne favorisait pas la mise au point d'une véritable politique de l'aide sociale ou de la santé" (3). Le second inconvénient de ce système est qu'il n'incitait pas les collectivités départementales à exercer une véritable maîtrise des dépenses, notamment de celles du premier groupe assumées principalement par l'Etat.

Le projet de loi pour le développement des responsabilités des collectivités locales déposé devant le Sénat le 20 décembre 1978 proposait déjà de mettre fin à ce système de financements croisés par la définition de deux blocs de compétences répartissant l'aide sociale légale entre l'Etat et les départements.

La loi du 7 janvier 1983 relative à la répartition des compétences entre les communes, les départements, les régions et l'Etat reprend, à son article 2, ce principe des blocs de compétences par lequel chaque collectivité publique devient responsable, tant au plan de la décision que du financement, des actions et prestations dont elle a la charge : "les transferts de compétences entre les collectivités territoriales et l'Etat s'effectuent, dans la mesure du possible, en distinguant celles qui sont mises à la charge de l'Etat et celles qui sont dévolues aux communes, aux départements et aux régions de telle sorte

(3) Assemblée nationale, rapport n° 1532 fait par M. Jean-Pierre Worms, au nom de la commission des lois constitutionnelles, de la législation et de l'administration générale de la République sur la proposition de loi, adoptée par le Sénat, après déclaration d'urgence, tendant à compléter la loi n° 83-8 du 7 janvier 1983 relative à la répartition de compétences entre les communes, les départements, les régions et l'Etat.

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que chaque domaine de compétence ainsi que les ressources correspondantes soient affectés en totalité soit à l'Etat, soit aux communes, soit aux départements, soit aux régions".

En posant une telle règle, la loi du 7 janvier 1983, consacrée aux principes applicables en matière de répartition des compétences, a entendu, à tout le moins, exclure les interventions et les financements croisés en définissant des ensembles de compétences homogènes et en conférant à chaque collectivité publique une réelle maîtrise des attributions dont elle devenait responsable. De toutes les compétences transférées par les lois de décentralisation, l'aide sociale a donné lieu à l'un des transferts les plus poussés en dotant le département d'une compétence de droit commun.

2° UNE COMPETENCE DE DROIT COMMUN CONFIEE AU DEPARTEMENT A) LE CHOIX DE L'ECHELON DEPARTEMENTAL L'article 32 de la loi du 22 juillet 1983 (4) pose le principe de la compétence de

droit commun des départements en matière d'aide sociale et de santé. Selon l'exposé des motifs, le département offre "un cadre suffisamment large pour la mise en oeuvre de politiques variées et cohérentes".

Il semblait difficile en effet de confier une telle compétence à un autre échelon de collectivité. La région n'avait pas vocation à ce que lui soit confiée une tâche de gestion et n'aurait pas répondu au souci du législateur de rapprocher l'échelon de décision au plus près des usagers. Les communes présentaient, en revanche, ce dernier avantage, ainsi qu'une expérience ancienne dans la mise en oeuvre des prestations d'aide sociale : les services municipaux étaient déjà compétents pour distribuer, recevoir et instruire les dossiers d'admission à l'aide sociale ; les maires siégeaient au sein des commissions d'aide sociale et étaient même compétents, en 1983, pour admettre d'urgence une personne au bénéfice de l'aide sociale (5). De surcroît, les communes avaient déjà commencé à développer des actions propres dans le domaine social.

La décentralisation de l'aide sociale au profit de l'échelon communal se serait cependant heurtée aux difficultés liées au très grand nombre de communes dont le législateur craignait qu'il n'accroisse l'ampleur des disparités entre les usagers. De fait, les communes n'ont reçu aucune attribution nouvelle mais ont continué à exercer leurs compétences traditionnelles. De même, les lois de décentralisation n'ont confié aucune compétence à la région dans le domaine social, y compris en matière de programmation.

A l'inverse, le département s'est imposé d'autant plus naturellement qu'il constituait déjà l'échelon de mise en oeuvre, par les D.D.A.S.S., des politiques d'aide sociale et de santé ; le souci de continuité du service de l'aide sociale plaidait donc pour le maintien des mêmes structures au-delà des transferts de compétences. De même, le département apparaissait comme un échelon équilibré, suffisamment proche, par les conseillers généraux, des problèmes locaux pour pouvoir prendre en considération les besoins des usagers, mais doté d'une taille suffisante pour assurer la cohérence des politiques mises en oeuvre.

(4) "Le département prend en charge l'ensemble des prestations légales d'aide sociale, à l'exception des prestations énumérées à l'article 35 de la présente loi". (5) Depuis 1992, cette compétence a été confiée au président du conseil général qui peut la déléguer au maire.

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B) UNE COMPETENCE DE DROIT COMMUN EN MATIERE D'AIDE SOCIALE La loi du 22 juillet 1983 complétant la loi du 7 janvier 1983 a posé dans son

article 32 le principe du transfert au département, à compter du 1er janvier 1984, de la compétence de droit commun en matière de prestations légales d'aide sociale. Celles-ci, dont les conditions sont fixées réglementairement, donnent lieu à un financement obligatoire dans un budget public. Le transfert de compétences exclut donc les prestations d'aide sociale facultatives que peuvent créer les communes comme les départements, ainsi que les interventions des régimes de sécurité sociale et les subventions de l'Etat au titre de ses programmes d'action sociale.

La compétence de droit commun du département dans le domaine des prestations d'aide sociale légale, posée par l'article 34 de la loi du 22 juillet 1983, se définit par différence avec les compétences maintenues par exception à l'Etat, et limitativement énumérées à l'article 35 de la même loi. Celles-ci se regroupent en trois catégories, l'Etat conservant :

1° Le financement de prestations liées à la sécurité sociale : les cotisations d'assurance maladie des adultes handicapés (article 613-15 du code de la sécurité sociale) ; les cotisations d'assurance personnelle (article 5 de la loi du 2 janvier 1978).

2° Les prestations de subsistance : l'allocation simple aux personnes âgées (article 158 du code de la famille et de l'aide sociale - CFAS) ; l'allocation différentielle aux adultes handicapés (article 59 de la loi du 30 juin 1975).

3° Les prestations faisant appel à la solidarité nationale : l'allocation aux familles dont les soutiens indispensables accomplissent le service national (article 156 du CFAS) ; les frais afférents à l'interruption volontaire de grossesse (article 181-2 du CFAS) ; les frais d'hébergement, d'entretien et de formation professionnelle des personnes handicapées dans les établissements de rééducation professionnelle (article 168 du CFAS) ; les frais de fonctionnement des centres d'aide par le travail ; les dépenses d'aide sociale engagées en faveur des personnes sans domicile de secours ; les mesures d'aide sociale en matière de logement, d'hébergement et de réadaptation (chapitre VIII du titre III du CFAS).

Sous réserve des compétences réservées à l'Etat, les départements reçoivent donc la responsabilité de :

a) l'aide médicale (articles 179 et suivants du CFAS), b) l'aide sociale à l'enfance (articles 145 et suivants du CFAS), c) l'aide sociale aux familles (articles 150 et suivants du CFAS), d) l'aide sociale aux personnes âgées (article 157 du CFAS) qui regroupe l'aide à

domicile et l'aide financière au placement familial ou en établissement, e) l'aide aux personnes handicapées adultes qui, outre l'aide à domicile et

l'hébergement en établissement, inclut le versement de l'allocation compensatrice pour tierce personne.

Si la gestion de ces nombreuses prestations relève de la compétence du département, la détermination des conditions légales d'accès des bénéficiaires reste fixée par l'Etat qui conserve son pouvoir de réglementation générale et de définition de la politique sociale. Cependant, les collectivités départementales sont libres de rendre plus favorables ces conditions d'accès ou de faire bénéficier les usagers de prestations supplémentaires, au titre de l'aide sociale facultative.

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Ce transfert de compétence a pour effet de doter le conseil général de nouveaux pouvoirs. Ce dernier peut, en effet, déterminer les conditions d'attribution et le montant des prestations dès lors qu'elles sont fixées à un niveau plus favorable que celui prévu par le code de la famille et de l'aide sociale (CFAS). De même, le président du conseil général reçoit de nouvelles attributions en matière de création, d'habilitation et de tarification des établissements sociaux et médico sociaux régis par la loi n°75-535 du 30 juin 1975. Enfin, il organise l'activité des services placés sous sa responsabilité, dont notamment le service social polyvalent : En vertu de la loi du 22 juillet 1983, les départements se sont vu attribuer :

- le service de l'aide sociale départementale bien qu'aient été maintenus auprès des DDASS les effectifs du service d'aide sociale chargés de l'instruction et de l'attribution des seules prestations dont l'Etat a conservé la charge ;

- le service d'action sociale chargé de l'organisation de l'action sociale polyvalente ;

- le service d'aide sociale à l'enfance, à l'exception de la fonction de tuteur des pupilles de l'Etat ;

- le service de PMI, à l'exception du contrôle des IVG et de la surveillance des établissements d'hospitalisation recevant des femmes enceintes et de l'organisation de la santé scolaire qui relèvent de l'Etat ;

- le service de contrôle des établissements et services sociaux et médico-sociaux agissant dans le champ de compétence départementale, l'Etat conservant le contrôle des équipements restés dans sa sphère de responsabilité ;

- les services chargés en matière de santé, de la prophylaxie de certains fléaux sociaux (tuberculose, maladies vénériennes, affections cancéreuses), l'Etat exerçant, dans ce domaine, une action générale de contrôle des règles d'hygiène ;

- le partage des services généraux affectés à la prévision et à la gestion des crédits d'aide sociale et de santé du budget départemental et à celle des personnels, des locaux et du matériel affectés aux services.

C) LE PARTAGE DES COMPETENCES EN MATIERE DE PREVENTION SANITAIRE Le même principe de la compétence générale du département en matière d'action

et de prévention sanitaires est posé par la loi du 22 juillet 1983, sous réserve des compétences maintenues aux communes et des compétences confiées à l'Etat par les articles 49 et 51 de la loi. Limitativement énumérées, celles-ci regroupent : la protection de la santé mentale, d'une part, la lutte contre les toxicomanies et contre l'alcoolisme, d'autre part, le contrôle administratif et technique des règles d'hygiène, enfin. Elles comprennent également la prise en charge par l'Etat des frais afférents à l'interruption volontaire de grossesse visés à l'article 181-2 du CFAS et qui ne sont pas pris en charge par l'assurance maladie.

De fait, le département devient responsable pour tout le reste du champ sanitaire, qui comprend, en application de l'article 37 :

- la protection sanitaire de la famille et de l'enfance, - la lutte contre les fléaux sociaux, soit la prophylaxie de la tuberculose et des

maladies sexuellement transmissibles, - le dépistage précoce des affections cancéreuses et la surveillance après

traitement des anciens malades, - enfin, les actions de lutte contre la lèpre.

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A ce titre, le conseil général assure l'organisation et le financement des services départementaux de vaccination, des dispensaires antivénériens, des dispensaires antituberculeux, des centres, consultations et actions à domicile de la protection maternelle et infantile, ainsi que la formation et l'agrément des assistantes maternelles.

B. - UNE COMPENSATION FINANCIERE ASSUREE LORS DES TRANSFERTS DE COMPETENCES

1° LES PRINCIPES GENERAUX DE LA COMPENSATION L'article 5, alinéa premier, de la loi du 7 janvier 1983 relative à la répartition des

compétences entre les communes, les départements, les régions et l'Etat pose pour condition à tout transfert de compétences aux collectivités le transfert des ressources nécessaires à l'exercice normal de ces compétences. Ce principe général a été précisé par un certain nombre de règles :

- le transfert de ressources doit être concomitant au transfert de charges (article 5 de la loi du 7 janvier 1983) ;

- les ressources transférées assurent une compensation intégrale des charges transférées (article 102 de la loi du 2 mars 1982) ;

- elles sont équivalentes aux dépenses effectuées à la date du transfert par l'Etat au titre des compétences transférées (art. 94 de la loi du 7 janvier 1983).

Une triple garantie a été apportée aux collectivités bénéficiaires des lois de décentralisation : d'une part, l'évaluation des accroissements de charges et du montant de la compensation est effectuée non seulement pour l'ensemble des collectivités intéressées mais aussi collectivité par collectivité ; d'autre part, l'Etat s'engage à compenser les charges nouvelles qui résulteraient, pour les collectivités locales, de mesures législatives ou réglementaires modifiant les conditions d'exercice des compétences transférées ; enfin, l'évaluation des droits à compensation est arrêtée après avis d'une commission consultative, créée à cet effet.

Cette compensation s'est effectuée en maintenant la complémentarité entre ressources fiscales et dotations budgétaires de l'Etat qui caractérisait, avant la décentralisation, la structure des recettes de fonctionnement des collectivités départementales. Le législateur n'a pas souhaité en effet revenir sur l'équilibre qui caractérisait la structure des recettes affectées, jusqu'à la décentralisation, au fonctionnement des collectivités départementales. Aussi, les accroissements de charges issus de la loi du 22 juillet 1983 ont-ils été compensés par un transfert de ressources fiscales et, pour le solde, par un transfert de ressources budgétaires.

L'Etat a ainsi attribué au département le produit de la vignette automobile, des droits de mutation et de la plus value des recettes résultant de la réforme de la taxe foncière sur les propriétés bâties. En complément, une dotation générale de décentralisation, créée par la loi du 7 janvier 1983, permet de couvrir les charges qui, à la date du transfert de compétences, pour certains départements, ne sont pas compensées par les transferts de fiscalité. Ces recettes fiscales et budgétaires ne sont pas affectées en particulier au financement des dépenses d'aide sociale du département.

2° LES PRINCIPES PROPRES A LA COMPENSATION DES TRANSFERTS DE CHARGES DE L'AIDE SOCIALE

A) LA REVISION DU BAREME DE 1955 ET LE REMBOURSEMENT DE L'AVANCE DE TRESORERIE

Le système des financements croisés en vigueur avant 1984 prévoyait une répartition des dépenses d'aide sociale entre l'Etat et les collectivités qui variait non seulement en fonction de la nature des dépenses mais également selon la situation

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démographique et la richesse économique de chaque département. Cette modulation dans la répartition des charges financières a été fixée par un barème établi par le décret du 21 mai 1955.

Ce barème n'a jamais été révisé malgré les fortes évolutions constatées, en trente ans, dans la situation démographique et économique des départements français. La participation financière de ces derniers aux dépenses d'aide sociale ne reflétait plus, au moment de la décentralisation, leurs capacités contributives réelles ; des départements se trouvaient, par rapport à l'Etat, dans une situation très avantageuse tandis que d'autres étaient pénalisés.

Aussi, l'article 93 de la loi du 7 janvier 1983 a-t-il prescrit, préalablement à tout transfert, la révision du barème de 1955, de telle sorte que la compensation financière par l'Etat des compétences transférées s'effectue sur des bases de nouveau équitables. Cette révision a été opérée, par le décret du 6 décembre 1983, au profit des seize départements les plus défavorisés. Le coût de cet ajustement, qui s'est élevé à 130 millions de francs, fut entièrement supporté par l'Etat au lieu d'être financé, à due concurrence, par la modification des clés de répartition dont bénéficiaient les départements les mieux dotés.

De même, l'ancien système de financements croisés conduisait les finances des départements à avancer la charge de la totalité des dépenses sociales, l'Etat ne s'acquittant de sa participation qu'avec retard. Au moment de la décentralisation, cette avance permanente dont bénéficiait l'Etat s'élevait à 9,7 milliards de francs. L'article 4 de la loi du 22 juillet 1983 prévoit son remboursement échelonné sur 12 ans (1985 à 1997), à raison de 800 millions de francs par an.

B) LE MAINTIEN DE LA PARTICIPATION DES COMMUNES Les communes étaient associées au système de financements croisés appliqué

avant 1983. Le barème de 1955 n'arrêtait une répartition, pour chaque département, qu'entre l'Etat et les collectivités locales, la contribution de ces dernières étant à nouveau répartie par le conseil général entre le département et les communes, dans le cadre des limites imposées par le décret du 21 mai 1955.

En dépit de la suppression des financements croisés, l'article 93 de la loi du 7 janvier 1983 a maintenu le principe de la participation financière des communes. Ce choix se fonde, selon les débats parlementaires, sur un souci de neutralité pour les finances départementales ; il se justifie surtout par le rôle maintenu des communes dans la mise en oeuvre de l'aide sociale légale, marquée par la présence des maires au sein des commissions locales d'aide sociale compétentes pour examiner les demandes d'admission, par le rôle des services municipaux dans l'instruction des demandes déposées auprès d'eux et par les pouvoirs spécifiques conférés aux maires en matière d'admission d'urgence.

Il convenait cependant de limiter la marge de dépendance des communes vis-à-vis des conseils généraux, en application du principe posé par l'article 2 de la loi du 2 mars 1982 selon lequel aucune collectivité "ne peut exercer une tutelle, sous quelque forme que ce soit, sur une autre d'entre elles". De fait, selon le nouveau mécanisme de financement, institué par le décret n°83-1123 du 23 décembre 1983, la participation des communes prend la forme d'une contribution globale annuelle calculée par rapport aux dépenses totales supportées par le département en matière d'aide sociale légale ; son augmentation ne peut, en règle générale, être supérieure à celle des dépenses départementales.

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3° UNE COMPENSATION ASSUREE LORS DES TRANSFERTS DE COMPETENCES La compensation financière au profit des départements en matière d'aide sociale a

été précisée par l'arrêté du 27 novembre 1985 fixant le montant des charges et des ressources transférées aux départements au titre de l'aide sociale et de la santé. En 1984, les départements ont bénéficié d'un transfert de ressources fiscales d'un montant de 11 660 millions de francs (valeur 1983) auxquels se sont ajoutés 8 763 millions reçus au titre de la dotation générale de décentralisation.

Au total, la compensation a porté sur 20 423 millions de francs correspondant exactement au montant constaté en 1983 des dépenses supplémentaires mises par l'Etat à la charge des finances départementales. Cette opération calculée département par département n'a donné lieu à aucune contestation.

De même, le transfert aux départements de l'assurance personnelle pour les personnes dotées d'une résidence stable, à compter du 1er janvier 1987, s'est également traduite par une compensation financière, initialement assurée à hauteur de 469,5 millions de francs, et abondée ultérieurement de 61,5 millions à la suite de l'avis rendu par la commission consultative sur l'évaluation des charges, le 20 octobre 1988.

C. - UNE LOGIQUE DE BLOCS DE COMPETENCES DIFFICILE A METTRE EN OEUVRE

1° UNE REPARTITION FONDEE SUR DES CRITERES FLOUS ET EMPIRIQUES Il était difficile d'opérer au sein des prestations d'aide sociale un découpage entre

celles relevant logiquement de l'échelon national et celles justifiant leur transfert au département. Jusqu'alors, le champ d'intervention des collectivités locales était défini à partir de la notion ancienne "d'affaires d'intérêt local" (article 46-28 de la loi du 10 août 1871). Cette distinction entre les politiques de dimension locale et celles du ressort national fut toutefois critiquée lors de la discussion parlementaire (6). De fait, les critères retenus ont fait appel à plusieurs notions différentes.

L'exposé des motifs de la loi du 22 juillet 1983 justifie le maintien à l'Etat des compétences énumérées à l'article 35 à partir de trois critères : "L'Etat ne conserve qu'un nombre limité de prestations : celles qui relèvent de la solidarité nationale, celles dont les bénéficiaires ne peuvent être rattachés avec certitude à une collectivité territoriale et, enfin, celles dont le montant est lié automatiquement à des prestations de sécurité sociale". La circulaire du 4 novembre 1983 relative au transfert des compétences dans le domaine de l'aide sociale et de la santé en retient également trois, dont deux sont communs avec l'exposé des motifs : les prestations automatiquement liées à des prestations de sécurité sociale, les prestations faisant appel à la solidarité nationale et les prestations de subsistance. Quel que soit le critère retenu, il ne permet pas d'apporter toutes les justifications attendues.

Ainsi, le maintien à l'Etat des prestations liées à une prestation de sécurité sociale offrait a priori une certaine cohérence avec le souci de ne pas donner une compétence tarifaire aux départements pour arrêter le niveau des prestations à la charge financière des organismes d'assurance maladie. Ce premier critère fut toutefois rapidement abandonné lors du transfert aux départements du financement des cotisations d'assurance personnelle, décidé par la loi de finances rectificative du 11 juillet 1986.

(6) Sénat, rapport n°16 fait par M. Paul Girod au nom de la commission des lois constitutionnelles, de législation, du suffrage universel, du règlement et d'administration générale sur le projet de loi déclaré d'urgence relatif à la répartition de compétences entre les communes, les départements, les régions et l'Etat.

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L'intervention des départements dans le domaine de la prévention sanitaire ou de l'accompagnement des malades cancéreux, sans être directement liée à une prestation de la sécurité sociale, semblait déjà proche des rôles de l'Etat en matière de politique sanitaire et de l'assurance maladie dans le domaine de la prévention des risques.

L'examen des débats parlementaires et des modifications apportées au projet de loi avant son vote définitif par le Parlement révèle que les critères de répartition des compétences dans le domaine sanitaire ont fait l'objet d'interprétations nombreuses et contradictoires. Ainsi, la lutte contre les fléaux sociaux, y compris le dépistage précoce du cancer, devait incomber, selon le projet de loi initial, à l'Etat ; il fut cependant confié au département par l'Assemblée nationale. De même, la santé scolaire, dont le projet de loi déposé par le Gouvernement prévoyait qu'elle fût confiée au département, par souci d'inscrire ce service au sein d'une mission plus large de protection de la famille, de l'enfance et de l'adolescence, fut finalement maintenue sous la compétence de l'Etat après l'examen du texte par l'Assemblée nationale.

Le contenu du second critère, attaché à la solidarité nationale, est également apparu difficile à préciser. Cette notion s'est appliquée sans ambiguïté, il est vrai, à l'hébergement des personnes sans résidence stable qui aurait difficilement pu être pris en charge par les départements, faute de pouvoir rattacher les intéressés à une collectivité territoriale. De manière générale, le maintien sous la responsabilité de l'Etat d'un certain nombre de prestations destinées aux exclus et aux sans domicile fixe s'est fondé sur la crainte d'un manque d'attention supposé des élus départementaux vis-à-vis de ces populations peu stabilisées. Ce même raisonnement semble s'être appliqué à la prise en charge des dépenses d'IVG pour lesquelles un financement par l'Etat permettait de garantir que cette nouvelle prestation, parfois controversée, ne puisse être refusée aux personnes concernées.

En revanche, le rattachement à la solidarité nationale du financement des centres d'aide par le travail s'est seulement fondé sur l'existence d'une priorité nationale exprimée par le législateur. Or, une telle priorité, incontestable dans le domaine de l'insertion professionnelle des adultes handicapés, existait également dans d'autres domaines, tels que l'aide sociale à l'enfance ou le maintien à domicile des personnes âgées, pourtant transférés au département.

Il semble en réalité que, là encore, le recours à la notion de solidarité nationale ait permis des choix avant tout marqués par un souci d'empirisme. C'est ainsi que, par la voie d'un amendement, le gouvernement a cherché, au cours de la discussion du projet de loi, à transférer les centres d'aide par le travail (C.A.T.) à la charge du département, alors que le texte initial les maintenait au compte de l'Etat. Cette proposition, motivée, selon le rapport n°269 fait au nom de la commission des lois du Sénat, par un souci de cohérence du bloc de compétences attribué au département en matière d'aide sociale aux personnes handicapées, fut cependant retirée par le gouvernement pour des raisons strictement financières ; les parlementaires ont considéré, en effet, que l'évolution sensible des crédits consacrés au financement de ces structures en faisait "une compétence à haut risque".

Au total, les difficultés pour fonder le partage des compétences en matière d'aide sociale et de santé sur une séparation claire entre la solidarité nationale et la solidarité locale expliquent que le législateur n'ait pas pu, dès l'origine, pleinement appliquer le principe des blocs de compétences dans le domaine sanitaire et social.

Aussi, la mise en oeuvre d'un partage relativement fin au sein des multiples prestations sociales ou sanitaires, même si elle s'est largement faite au profit du département, n'a-t-elle pas empêché que l'Etat et les départements continuent d'intervenir en direction des mêmes publics et au titre des mêmes politiques. Dans ce sens, si la

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décentralisation a mis fin aux financements croisés, elle n'a pas eu pour effet de supprimer les compétences partagées.

2° LE MAINTIEN DE COMPETENCES PARTAGEES L'examen des principales politiques d'aide sociale et de santé soumises à un

transfert de compétences, à compter du 1er janvier 1984, révèle que pour la plupart d'entre elles, l'Etat et les organismes de protection sociale ont conservé des prérogatives suffisamment importantes pour que, dans chacun de ces domaines, l'exercice des compétences confiées aux uns reste très dépendant de l'exercice des compétences conservées par les autres.

Ainsi, dans le domaine de l'aide sociale à l'enfance, la décision de placement en établissement ou en famille d'accueil continue d'appartenir concurremment au président du conseil général en application de l'article 46 du CFAS, et à l'autorité judiciaire, en application des articles 375-3, 375-5 et 433 du code civil. Aussi, l'article 34 de la loi du 22 juillet 1983 précise-t-il que "le président du conseil général est compétent pour attribuer les prestations relevant de la compétence du département au titre de l'article 32 de la présente loi, sous réserve des pouvoirs reconnus à l'autorité judiciaire". Cette compétence concurrente de l'exécutif départemental et de l'autorité judiciaire maintient une situation traditionnelle dans ce domaine, même si le financement des établissements d'accueil n'appartient qu'au département.

Dans d'autres cas, la prise en charge d'un même bénéficiaire suppose la mise en place d'un ensemble de prestations relevant pour les unes de l'Etat ou de l'assurance maladie, pour les autres des départements. Dans le domaine des personnes âgées, les départements prennent à leur charge la totalité des frais d'hébergement des personnes admises à l'aide sociale, ainsi que le financement de diverses mesures favorisant le maintien à domicile (aide ménagère et allocation compensatrice pour l'essentiel). La politique de prise en charge médicale des mêmes personnes âgées continue cependant de relever de l'Etat qui fixe le montant des prestations de soins, financées par l'assurance maladie, nécessaires aux personnes accueillies en lits de long séjour, en section de cure médicale ou bénéficiant de services de soins à domicile.

Enfin, dans le domaine du handicap, l'Etat, l'assurance maladie et les départements interviennent en direction du même public en organisant la répartition de leurs compétences respectives selon l'âge des personnes handicapées et leur établissement d'accueil. Ainsi, la prise en charge des enfants handicapés fait l'objet d'un financement intégralement assuré par la sécurité sociale, tandis que celui-ci est partagé avec les départements pour l'hébergement des personnes handicapées adultes.

Pour ces dernières (7), le partage de compétences confie au département les frais d'hébergement des adultes au sein des différentes structures existantes (foyers de vie, foyers occupationnels, hospices, etc.), à l'exception des maisons d'accueil spécialisées (MAS), réservées aux handicaps les plus lourds et financées par l'assurance maladie, ainsi que des centres d'aide par le travail (CAT) et des ateliers protégés, dont le coût est intégralement assuré par l'Etat.

Ce partage des responsabilités et des financements entre les institutions dont la finalité est très complémentaire et dont les publics présentent souvent les mêmes caractéristiques n'a pas permis d'apporter la clarification recherchée par les lois de décentralisation. La création, par la voie d'une circulaire du 14 février 1986, de foyers à

(7) Voir le rapport public particulier de la Cour, "les politiques sociales en faveur des personnes handicapées adultes" (novembre 1993).

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double tarification (FDT), dont le financement est assuré conjointement par l'Etat pour la partie soins et par le département pour les frais d'hébergement, a fait à nouveau évoluer la logique présidant à la répartition des compétences.

La politique de maintien à domicile des personnes handicapées n'a pas davantage donné lieu à un partage cohérent des domaines d'intervention. Ainsi, la distinction opérée en 1983 entre les allocations de subsistance et les allocations à finalité plus ciblée a justifié que les financements de l'allocation pour adultes handicapés (AAH) et l'allocation compensatrice pour tierce personne (ACTP) soient respectivement mis à la charge de l'Etat et à celle du département. Cette logique initiale a cependant été atténuée par la création, résultant de l'article 58 de la loi du 18 janvier 1994, d'une aide forfaitaire à la vie autonome, destinée à permettre aux personnes handicapées ayant fait le choix de vivre dans un logement indépendant de faire face aux charges supplémentaires que cela implique. Cette nouvelle prestation qui, par sa finalité, semble proche de l'ACTP, est pourtant financée par l'Etat.

La gestion des prestations ainsi créées ultérieurement dans le cadre de politiques destinées au même public, en l'espèce celui des personnes handicapées qui souhaitent demeurer à leur domicile, semble donc avoir été répartie entre l'Etat et les départements sans logique apparente, faute que la loi du 22 juillet 1983 ait pu fonder la répartition opérée à l'origine sur des critères d'ordre général.

Cette superposition partielle des compétences pour les allocations de maintien à domicile s'accompagne, à l'inverse, d'un vide relatif dans le domaine des services de soins à domicile des personnes handicapées, le financement des auxiliaires de vie, créés par simple circulaire, ne relevant de la responsabilité légale ni de l'Etat ni des départements.

Enfin, dans le domaine de la santé, le découpage fin opéré par la décentralisation a abouti, là encore, à ce que l'Etat et les départements soient conduits à intervenir de manière complémentaire, voire superposée. Ainsi, la protection de la famille et de la mère relève des conseils généraux à l'exception des frais d'interruption volontaire de grossesse qui sont pris en charge par l'Etat. Dans le domaine de la lutte contre les grands fléaux, les compétences décentralisées ont inclus la lutte contre la tuberculose, sans toutefois que les départements interviennent en milieu carcéral où se concentre aujourd'hui la majeure partie des cas recensés.

De même, la compétence confiée au département en matière de lutte contre les maladies vénériennes a perdu une large partie de sa portée dès lors qu'elle n'a pas été étendue à la lutte contre le SIDA. Enfin, la mission de prévention sanitaire, confiée au département, ne peut s'exercer que dans de strictes limites dans la mesure où les services de l'hygiène du milieu, intégralement repris par l'Etat, lui échappent.

Au-delà de l'indéniable clarification des compétences opérée en 1984, par la suppression de l'ancien système des financements croisés, il convient donc de souligner le maintien de nombreux champs d'intervention partagés, dont la logique de répartition par blocs de compétences avait pourtant cherché à limiter l'importance. Une telle séparation des politiques d'aide sociale et de santé entre celles relevant de l'Etat et celles relevant de l'échelon local était, il est vrai, difficile à atteindre, dès lors que l'on refusait aux départements de devenir en quelque sorte ordonnateurs des dépenses d'assurance maladie, que l'on conservait à l'Etat le soin de prendre en charge les personnes sans résidence et que l'on maintenait la compétence traditionnelle des juges pour enfants.

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Il reste qu'au-delà de ces contraintes, la clarification recherchée par les lois de décentralisation a trouvé une première limite. L'évolution récente, marquée par le lancement de nouvelles politiques de lutte contre l'exclusion, a accentué encore cette confusion relative en instituant de nouvelles prestations financées de manière conjointe par l'Etat et les départements.

3° L'INSTAURATION DE NOUVELLES COMPETENCES CONJOINTES EN MATIERE DE LUTTE CONTRE L'EXCLUSION

Depuis 1983 et la mise en place, par les lois de décentralisation, de blocs de compétences en matière d'aide sociale et de santé, se sont développées de nouvelles actions destinées à lutter contre l'exclusion sociale. Ces dispositifs nouveaux, définis par l'Etat au titre de sa compétence générale d'élaboration de la politique sociale, ont pris la forme de partenariats prévoyant un financement et une décision conjointement assurés par l'Etat et les collectivités locales. La première atteinte à la logique initiale de la décentralisation a été portée par la loi du 1er décembre 1988 sur le revenu minimum d'insertion ; depuis, d'autres dispositifs visant des publics particuliers, tels que les jeunes en difficultés et les personnes mal logées, ont été créés à l'initiative de l'Etat, en association avec les départements.

A) LE REVENU MINIMUM D'INSERTION La loi du 1er décembre 1988 instituant le revenu minimum d'insertion a associé à

la gestion de ce nouveau dispositif l'ensemble des acteurs locaux, services de l'Etat, du département, des communes et des organismes de protection sociale. S'inscrivant en dehors du code de la famille et de l'aide sociale, il s'est ainsi affranchi du principe de répartition par blocs des compétences dans le domaine de l'aide sociale légale.

En conséquence, un nombre très important de décisions doivent être prises conjointement par le préfet et le président du conseil général : nombre, ressort et composition des commissions locales d'insertion (article 34), nomination des membres du conseil départemental d'insertion (article 35), adoption du programme départemental d'insertion (article 38), agrément des organismes habilités à recevoir l'élection de domicile des personnes sans résidence stable, (article 15), conclusion des conventions avec des collectivités locales ou des organismes pour l'organisation d'activités d'insertion professionnelle ou d'intérêt général (article 40).

Le financement du revenu minimum d'insertion est assuré, de manière également conjointe, par l'Etat et le département, ce dernier étant tenu d'inscrire annuellement dans son budget un crédit au moins égal à 20 % des sommes versées, au cours de l'exercice précédent, par l'Etat au titre de l'allocation attribuée à des personnes résidant dans le département.

L'attribution du revenu minimum d'insertion entraîne, de surcroît, pour les départements, la prise en charge des cotisations d'assurance personnelle des allocataires non affiliés à un régime de sécurité sociale. Le transfert au département des cotisations d'assurance personnelle pour les personnes dotées d'une résidence stable, décidé par la loi de finances rectificative du 11 juillet 1986, a été ainsi complété par les lois du 1er décembre 1988 et, surtout, du 29 juillet 1992 sur le RMI qui introduisent une deuxième obligation financière pour les départements, liée à l'octroi d'une prestation décidée par l'Etat et les caisses d'allocations familiales.

Au même titre que l'exercice conjoint de compétences partagées par l'Etat et les départements, le financement des dépenses liées à l'insertion s'est écarté des principes posés par les lois de décentralisation. Il établit en effet un lien automatique et forfaitaire entre les finances départementales et le montant des dépenses supportées par l'Etat au titre

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de l'allocation. Ce lien est d'autant plus dérogatoire que les départements ne sont pas associés à la décision d'attribution de l'allocation et que le montant et les conditions d'attribution du RMI sont fixés par voie réglementaire.

B) LE LOGEMENT DES PLUS DEMUNIS Les lois de décentralisation, et plus particulièrement celle du 22 juillet 1983, n'ont

porté que sur l'aide sociale légale ; elles n'ont donc pas eu pour effet de procéder à une répartition claire des compétences respectives de l'Etat et des départements dans le domaine de l'action sociale en faveur du logement. Si, en effet, l'article 35 de la loi du 22 juillet 1983, prévoit que sont à la charge de l'Etat les mesures d'aide sociale en matière de logement, d'hébergement et de réadaptation prévues au chapitre VIII du titre III du CFAS, cette disposition visait essentiellement la prise en charge, notamment dans des centres d'hébergement et de réadaptation sociale (CHRS) financés par l'Etat, des personnes sans domicile fixe.

La loi du 31 mai 1990 instaure de nouveaux instruments destinés à faciliter l'accès au logement des plus démunis : d'une part, des plans départementaux d'action, arrêtés par le préfet et le président du conseil général, fixent les mesures permettant de mieux loger les plus démunis ; d'autre part, des fonds solidarité logement (FSL) sont institués pour permettre la mise en oeuvre de ces plans. Le financement de ces fonds est assuré, à parts égales, par l'Etat et par les départements, aboutissant à rétablir le principe du financement conjoint de prestations gérées en commun.

C) LES FONDS D'AIDE AUX JEUNES La loi n°92-722 du 29 juillet 1992 portant adaptation de la loi du 1er décembre

1988 sur le revenu minimum d'insertion et relative à la lutte contre la pauvreté et l'exclusion sociale et professionnelle institue, dans chaque département, des fonds d'aide aux jeunes en difficultés. Ceux-ci délivrent des aides financières directes à des jeunes âgés de dix-huit à vingt-cinq ans, pour une durée limitée, à titre subsidiaire. Le financement du fonds départemental est assuré par l'Etat et le département. La participation du département est au moins égale à celle de l'Etat. De la même manière que pour le RMI, les conditions d'attribution des aides sont déterminées par voie réglementaire.

Dans le domaine des politiques de lutte contre l'exclusion, l'Etat a ainsi créé un ensemble de nouveaux dispositifs destinés à assurer une fonction de soutien et d'insertion qui ne relevait jusqu'alors directement ni de sa compétence ni de celle des collectivités territoriales. Cette évolution ne peut donc pas s'apparenter véritablement à une nouvelle forme de décentralisation ou de recentralisation. Elle aboutit cependant à ce que l'organisation de l'aide sociale repose essentiellement aujourd'hui sur le principe d'une gestion commune par l'Etat et les départements des différentes politiques mises en oeuvre, assise sur des compétences conjointes ou partagées.

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RESUME DE LA PREMIERE PARTIE

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La loi du 22 juillet 1983 s'est inspirée d'une volonté de clarification des compétences en matière d'aide sociale, exercées jusqu'alors conjointement par l'Etat, les départements et les communes, dans le cadre d'un système de financement croisés.

En confiant au département une compétence de droit commun dans le domaine de l'aide sociale, le législateur a procédé à une très large décentralisation, l'Etat ne conservant qu'un nombre de compétences limitativement énumérées. Les départements sont donc devenus l'acteur essentiel de la politique d'aide sociale et en supportent aujourd'hui l'essentiel de la charge financière. La compensation financière intervenue lors du transfert initial a respecté les principes posés par la loi et n'a donné lieu à aucune contestation des départements.

En choisissant le département, le législateur a privilégié un échelon de décision assez proche du terrain pour pouvoir mieux prendre en considération les attentes des usagers et néanmoins doté d'une taille suffisante pour assurer la cohérence des politiques mises en oeuvre. Les communes, traditionnellement associées à l'exercice des compétences, n'ont reçu en propre aucune attribution nouvelle ; elles ont cependant continué à participer au financement des prestations gérées par le département.

Le souci de clarifier les attributions respectives de l'Etat et des départements n'a cependant pas permis d'atteindre l'objectif initial de confier aux différentes collectivités publiques de véritables blocs de compétences. Au contraire, les difficultés rencontrées, dès l'origine, pour instituer des champs d'intervention homogènes et autonomes, fondés sur des critères clairs, se sont traduites par le maintien de compétences partagées, entre l'Etat et les départements.

Cette difficulté s'est accrue, depuis lors, par la création de nouveaux dispositifs de lutte contre l'exclusion associant, parfois à parts égales, l'Etat et les collectivités départementales dans leur financement et leur mise en oeuvre.

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DEUXIEME PARTIE

LE POIDS CROISSANT DES DEPENSES D'AIDE SOCIALE

DANS LES BUDGETS DEPARTEMENTAUX

Dans le cadre de la présente enquête, les juridictions financières ont directement appuyé leur analyse sur l'examen des comptes administratifs des départements pour les exercices 1988 et 1993. Ces données, recueillies par l'ensemble des chambres régionales des comptes, ont fait l'objet d'une contradiction auprès des conseils généraux et ont été recoupées avec celles établies chaque année par la direction générale des collectivités locales (DGCL).

Les dépenses totales d'aide sociale et de santé ont augmenté, depuis la décentralisation, de 48,5 milliards en 1984 à 77,1 milliards en 1993. Cette progression a connu une accélération particulièrement sensible depuis 1988 (+ 40 %), les dépenses évoluant, depuis cette date, trois fois plus vite qu'entre 1984 et 1988 (+13,5 %). L'accélération est encore plus marquée si l'on mesure la progression en francs constants (valeur 1984) et révèle une rupture dans l'évolution des dépenses sociales des départements depuis la décentralisation : ces dernières ont diminué de 1,3 % entre 1984 et 1988 puis ont augmenté de 21,1 % entre 1988 et 1993.

Cette augmentation, largement due à la crise économique, s'est traduite, au cours des dernières années, par un poids croissant des dépenses sociales au sein des budgets des conseils généraux.

A. - UNE ACCELERATION RECENTE DES DEPENSES D'AIDE SOCIALE

Les dépenses d'aide sociale sont retracées dans les comptes administratifs des départements aux chapitres 950 à 957. La ventilation par nature des dépenses d'aide sociale se fonde sur l'instruction M 51 relative à la comptabilité des départements. Cette nomenclature souffre cependant de ne pas avoir été actualisée depuis la décentralisation. Ainsi, elle comporte encore des comptes correspondant à des compétences exercées entièrement par l'Etat, telles que les centres d'aide par le travail, mais ne comprend pas de rubrique permettant d'identifier les dépenses relatives aux foyers à double tarification, apparus depuis 1986, ou à l'hébergement des personnes âgées en long séjour. De même, les dépenses afférentes aux fonds d'aide aux jeunes et à l'aide au logement ne sont pas inscrites sur des comptes spécifiques, ce qui ne favorise pas l'évaluation des montants consacrés par les départements à ces deux dispositifs.

Surtout, la nomenclature n'offre pas une ventilation claire des dépenses inscrites au chapitre 956 ("Aide sociale générale") selon qu'elles s'imputent à l'aide médicale, aux personnes âgées ou aux personnes handicapées. Ces distinctions sont introduites par des procédés extra-comptables et ouvrent, de ce fait, une marge d'incertitude importante.

Dans la suite du présent rapport, l'examen de l'évolution et de la composition des dépenses d'aide sociale distinguera les dépenses brutes des dépenses nettes, d'une part, et les dépenses directes des dépenses indirectes, d'autre part :

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- les dépenses brutes se distinguent des dépenses nettes en ce qu'elles représentent le montant total des prestations versées par les départements sans tenir compte des recettes ultérieurement encaissées auprès des bénéficiaires de l'aide sociale, de leurs obligés alimentaires et des organismes de sécurité sociale ; les dépenses nettes constituent précisément le solde issu de la différence entre les dépenses brutes et les recettes dites directes ;

- les dépenses directes ne comprennent que les prestations versées, tandis que les dépenses indirectes incluent les dépenses de fonctionnement liées à l'exercice par les départements de leurs compétences ; elles se composent essentiellement de dépenses de personnel, ainsi que des dépenses d'équipement et de fonctionnement courant des services sociaux du conseil général.

Ainsi, les dépenses indirectes feront, chaque fois, l'objet d'une analyse distincte. De même, l'analyse de l'évolution des dépenses se limitera ici aux dépenses brutes ; seule une telle approche permet, en effet, de connaître, du point de vue du bénéficiaire, le montant des prestations délivrées en matière d'aide sociale. L'évolution des dépenses nettes qui renseigne davantage sur la charge financière réellement supportée par les départements sera examinée ultérieurement, à la fin de cette partie (II.C.).

1° UNE FORTE CROISSANCE DES DEPENSES DEPUIS 1988

A) L'EVOLUTION DES DEPENSES DIRECTES S'EST SENSIBLEMENT ACCELEREE DEPUIS 1988

Les dépenses directes d'aide sociale (8) ont connu, de 1984 à 1988, une progression modérée en valeurs absolues, évoluant de 43,4 milliards de francs à 48,3 milliards de francs, soit une progression annuelle moyenne de 2,7 %. En 1993, les dépenses directes d'aide sociale ont atteint 66,1 milliards de francs, enregistrant, depuis 1988, une augmentation moyenne annuelle de 6,4 %. L'accélération se confirme en francs constants (valeur 1984) : les dépenses directes diminuent, entre 1984 et 1988, de - 0,8 % par an tandis qu'elles progressent de 3,4 % en moyenne annuelle, entre 1988 et 1993.

Les différentes catégories de l'aide sociale ont été concernées inégalement par cette accélération de la croissance des dépenses observée depuis 1988 (francs constants) : celle-ci s'est surtout concentrée sur l'aide sociale aux personnes handicapées (+37 %) et sur les dépenses d'aide médicale et d'assurance personnelle (+ 26,1 %) (9).

La contribution de chacune des catégories de dépenses à l'augmentation totale des dépenses directes d'aide sociale (+17,8 milliards de francs entre 1988 et 1993) confirme le poids de l'aide sociale pour les personnes handicapées et de la lutte contre l'exclusion : l'aide sociale aux personnes handicapées (ASPH) explique, à elle seule, 39 % de la croissance globale observée depuis 1988, dont 18 % au titre de la seule allocation compensatrice pour tierce personne ; pour le reste, celle-ci est imputable, pour près d'un quart, à l'aide médicale, aux cotisations d'assurance personnelle et aux dépenses d'insertion du RMI, et pour un autre quart à l'aide sociale à l'enfance ; l'aide sociale aux personnes âgées n'explique que 9 % de l'augmentation totale des dépenses directes.

(8) L'évolution des dépenses directes a été calculée en retenant le montant total des dépenses du département de Paris dont la comptabilité ne distingue pas dépenses directes et dépenses indirectes. (9) Les dépenses liées au revenu minimum d'insertion n'étant apparues que depuis 1989, le pourcentage d'augmentation 1993/1988, pour ces dépenses, n'aurait pas de signification.

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(en millions de francs)

PRINCIPALES catégories de dépenses d'aide sociale

1988 1993 Croissance Part (%) croissance

Aide sociale à l'enfance 16 756 21 218 4 462 25 % Hygiène et prévention sanitaire (10) 1 191 1 441 250 1 % Personnes âgées 11 608 13 181 1 573 9 % Personnes handicapées 11 955 18 931 6 976 39 % Aide médicale 4 064 5 923 1 858 10 % Insertion RMI 0 2 136 2 136 12 % Aide sociale facultative Autres prestations

1 2391 491

1 5451 750

306259

2 % 2 %

TOTAL dépenses directes 48 305 66 125 17 820 100 % source : données communiquées par la DGCL.

Il reste que toutes les catégories de dépenses brutes ont enregistré, depuis 1988, une nette accélération de leur rythme d'augmentation, comme le montre l'évolution du taux de croissance annuel moyen entre 1984 et 1988, d'une part, et entre 1988 et 1993, d'autre part :

Dépenses d'aide sociale (francs constants)

Croissance 1988/1984

Croissance 1993/1988

Moyenne annuelle

1988/1984

Moyenne annuelle

1993/1988 Aide sociale à l'enfance -4,2 % 9,6 % -1,1 % 1,8 % Personnes âgées -12,5 % -1,8 % -3,3 % -0,4 % Personnes handicapées 10,1 % 37,0 % 2,4 % 6,5 % Aide médicale -5,4 % 26,1 % -1,4 % 4,7 % TOTAL dépenses directes -3,2 % 18,4 % -0,8 % 3,4 %

B) UNE REPARTITION PLUS EQUILIBREE DES DEPENSES ENTRE LES DIFFERENTES COMPOSANTES DE L'AIDE SOCIALE

En 1984, l'aide sociale à l'enfance mobilisait 35 % des dépenses directes, l'aide sociale aux personnes âgées représentait un peu moins de 30 %, l'aide sociale aux personnes handicapées atteignait 22 % et l'aide médicale moins de 10 %. Depuis 1984, les différences observées dans les rythmes de croissance des diverses catégories de dépenses ont conduit à sensiblement modifier le poids respectif de celles-ci.

Ainsi, la part de l'aide sociale à l'enfance, si elle reste prédominante, a diminué depuis 1988 pour n'atteindre, en 1993, que 32 %. L'aide sociale aux personnes handicapées a pris une place sans cesse croissante, en passant de 22 % à 29 % des dépenses, soit sensiblement plus que l'aide sociale aux personnes âgées qui ne représente plus que 20 % des dépenses totales. Enfin, le développement des dépenses liées à la lutte contre l'exclusion et la pauvreté aboutit à ce que l'aide médicale et le RMI représentent ensemble 12 % des dépenses sociales.

(10) Ce poste de dépenses regroupe les comptes 952 ("Hygiène publique") et 953 ("Hygiène sociale").

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Evolution de la structure des dépenses directes d'aide sociale

1984 1988 1993

Aide sociale à l'enfance 35 % 35 % 32 % Hygiène publique et sociale 1 % 2 % 2 % Personnes âgées 27 % 24 % 20 % Personnes handicapées 22 % 25 % 29 % Aide médicale 9 % 8 % 9 % Insertion RMI (11) 0 % 0 % 3 % Aide sociale facultative 0 % 3 % 2 % Divers 3 % 3 % TOTAL dépenses directes 100 % 100 % 100 %

. - Le poids de l'aide sociale à l'enfance décroît mais reste prédominant :

Les dépenses d'aide sociale à l'enfance (ASE) ont augmenté, en francs constants, de 4,9 % depuis 1984 ; cette progression est cependant restée inférieure à celle de l'ensemble des dépenses d'aide sociale (14,6 %), contribuant, de ce fait, à diminuer le poids de l'aide sociale à l'enfance. Il reste qu'avec 21,2 milliards de francs en 1993, l'ASE constitue encore aujourd'hui le premier poste de dépense des départements dans le domaine de l'aide sociale.

La structure des dépenses d'aide sociale à l'enfance a évolué depuis dix ans dans le sens d'un renforcement du poids des placements en établissement ou en famille d'accueil, d'un maintien de la part de la prévention et d'une réduction de celle des aides financières aux familles, comme l'indique le tableau ci-dessous :

AIDE SOCIALE A L'ENFANCE

Montant 1993(millions de f.)

Croissance 1993/1988

(FF constants)

Part dans total 1988

Part dans total 1993

Prévention (art. 642) AEMO Préventions spécialisée Aides ménagères

2 6241 241

765308

21,4 %16,6 %15,0 %14,5 %

11 % 5 % 3 % 1 %

12 % 6 % 4 % 1 %

Placements (art. 643) Frais d'éducation spécialisée Frais d'internat Frais d'hébergement Placements en familles d'accueil

15 991426497

10 1364 801

16,2 %-30,4 %- 6,7 %21,3 %18,8 %

70 % 7 % 2 %

40,5 % 20,5 %

77 % 6 % 2 %

46 % 23 %

Aides financières aux familles (art. 65)

1 724 -39,0 % 13 % 7 %

Autres dépenses ASE 879 45,6 % 6 % 4 % TOTAL 21 218 7,7 % 100 % 100 % source : données communiquées par la DGCL.

(11) Les dépenses d'insertion liées au revenu minimum d'insertion ne sont apparues qu'à compter de 1989 ; le pourcentage d'augmentation 1993/1988 n'a donc pas de signification.

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Les dépenses de placement, soit en établissement, soit auprès de familles d'accueil, soit encore dans des établissements d'éducation spéciale (12), représentent une part de plus en plus importante des dépenses d'ASE, soit environ 77 % du total en 1993.

Cette évolution semble à première vue contradictoire avec la diminution constante du nombre des enfants placés aussi bien en établissements que dans des familles d'accueil : 134 200 enfants en 1984, 111 800 en 1992 (13). En réalité, cette diminution a été plus que compensée par l'augmentation du coût de la prise en charge en établissement, composé pour l'essentiel des charges de personnel. Celles-ci ont en effet été revalorisées à plusieurs reprises au cours des dernières années par l'application aux filières sociales et médico-sociales des accords conventionnels négociés dans le cadre de la fonction publique hospitalière. De même, le coût des placements d'enfants auprès des assistantes maternelles a été sensiblement augmenté par les hausses salariales accordées à cette profession par le décret de juillet 1992.

Les actions d'assistance éducative en milieu ouvert (AEMO) ont augmenté régulièrement, passant de 101 198 mesures en application au 31 décembre 1984 à 121 960 en 1992. Les AEMO désignent l'ensemble des mesures d'assistance éducative en milieu ouvert, décidées tant par l'autorité judiciaire que par le président du conseil général (mesures dites administratives). Elles sont prises en charge par les associations ou par les services du conseil général. Leur augmentation ne semble cependant pas s'être accélérée depuis 1988 par rapport à la période antérieure ; leur poids dans le total des dépenses pour l'enfance est donc resté constant, autour de 6 %, au même titre que les actions de prévention qui représentent 4 % du total des dépenses directes d'aide sociale à l'enfance.

Enfin, la réduction sensible des diverses aides financières accordées aux familles (allocations mensuelles, allocation d'habillement, secours d'urgence) est essentiellement liée à la mise en place du revenu minimum d'insertion. Cette tendance semble cependant se stabiliser depuis 1992, au-dessus de 1,7 milliard de francs, soit 7 % des dépenses consacrées à l'enfance et aux familles.

- L'aide aux personnes âgées et l'aide aux personnes handicapées tendent à s'équilibrer :

Représentant aujourd'hui 29 % des dépenses directes brutes, l'aide sociale aux personnes handicapées (ASPH) se situe au deuxième rang des dépenses sociales des départements et se concentre sur deux postes essentiels : les dépenses d'hébergement en établissements et l'allocation compensatrice pour tierce personne.

Les frais d'hébergement des adultes handicapés dans les foyers ou établissements relevant du département ont représenté, en 1993, 9,4 milliards de francs, en progression de 39,9 % depuis 1988 (francs constants, valeur 1984). Or, le nombre des bénéficiaires (71 940 personnes accueillies en établissement au 31 décembre 1992) n'a augmenté que de 10,3 % sur cette même période. Là encore, la progression des prix de journée, due, à la fois, à la revalorisation de la filière médico-sociale et à l'effort de modernisation des établissements, explique la majeure partie de cette évolution : la dépense brute par bénéficiaire, avant récupération, représentait 130 865 francs en

(12) Les dépenses imputées au chapitre 954- article 6432 ("Frais d'éducation spécialisée") regroupent le montant des frais de séjour pris en charge par le département pour les enfants handicapés, placés dans des établissements d'éducation spéciale, dans l'attente d'une décision de la commission départementale d'éducation spéciale ; les départements prolongent parfois ces placements au-delà de la décision de la CDES lorsque celle-ci n'autorise pas la prise en charge de l'enfant par l'assurance maladie. (13) Données au 31 décembre publiées par le service des études et statistiques du ministère des affaires sociales, de la santé et de la ville (Documents statistiques - dépenses et bénéficiaires d'aide sociale - résultats 1992).

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1993 (14) contre 90 107 francs en 1988, soit une augmentation de 45,2 %.

L'allocation compensatrice pour tierce personne, versée pour un montant total de 8,7 milliards en 1993, a connu une croissance continue depuis la décentralisation : son montant a augmenté, de 1984 à 1988, de 30,7 % en francs constants, puis de 35,8 % depuis lors. La forte croissance de l'allocation compensatrice s'explique essentiellement par l'augmentation du nombre de ses bénéficiaires : 150 538 personnes en 1984, 252 940 en 1992, soit une progression de 68 % depuis 1984, dont 38 % depuis 1988.

Les dépenses en faveur des personnes âgées ont connu, après une période de régression jusqu'en 1988, une relative stagnation (-0,1 %), en francs constants, au cours de la période 1988-1993. Cette évolution s'explique pour l'essentiel par la diminution sensible et régulière du nombre des bénéficiaires : en 1984, près de 308 000 personnes âgées de 60 ans ou plus relevaient de l'aide sociale départementale (hors allocation compensatrice) ; elles n'étaient plus que 244 600 au 31 décembre 1992.

L'aide sociale aux personnes âgées se concentre toujours sur les dépenses d'hébergement dont la part se maintient depuis 1988 autour de 86 % du total. La légère diminution des dépenses brutes en francs constants (-3,1 %) s'explique avant tout par la baisse du nombre des personnes prises en charge (143 790 au 31 décembre 1988, 138 430 au 31 décembre 1992), due à l'élévation des revenus moyens des personnes âgées. Cette tendance a été partiellement compensée par l'augmentation du coût annuel moyen de l'hébergement (15).

Cette même tendance est également perceptible pour l'aide au maintien à domicile qui enregistre une légère augmentation des dépenses (+12 % entre 1988 et 1993) pour des bénéficiaires de moins en moins nombreux (-9,5 %). Le poids modeste de cette dernière catégorie de prestation (2 % du total des dépenses d'aide sociale aux personnes âgées) est cependant compensé par le développement de l'allocation compensatrice et s'explique également par l'intervention croissante des communes et des caisses régionales d'assurance maladie en direction des mêmes publics.

Cette inversion du poids respectif de l'aide sociale aux personnes âgées, d'une part, et aux personnes handicapées, d'autre part, tient, en effet, pour une large part, à ce que les dépenses d'allocation compensatrice sont comptablement inscrites au titre des prestations réservées aux personnes handicapées. Or, une analyse plus fine des bénéficiaires de cette allocation justifierait qu'une part de son montant soit imputée aux personnes âgées. Une telle clarification devrait ainsi figurer parmi les améliorations qu'il semble nécessaire d'apporter à l'actuelle nomenclature comptable des départements.

Créée par l'article 39 de la loi d'orientation du 30 juin 1975 en vue de favoriser le maintien à domicile, cette allocation peut, en effet, être versée à toute personne handicapée adulte, quel que soit son âge, ne bénéficiant pas d'un avantage analogue au titre d'un régime de sécurité sociale, et dont, d'une part, le taux d'incapacité est égal ou supérieur à 80 % et, d'autre part, l'état nécessite l'aide d'une tierce personne pour les actes essentiels de la vie. Ces dépenses sont comptablement inscrites par les départements parmi les dépenses d'aide sociale aux personnes handicapées. Or, la part des personnes âgées au sein des bénéficiaires tend à devenir majoritaire puisque 68 % des allocataires

(14) Les frais d'hébergement de 1993 ont été rapportés au nombre de personnes présentes au 31 décembre 1992 et les frais totalisés en 1988 rapportés au nombre de personnes présentes au 31 décembre 1987. (15) Selon les dernières donnée disponibles à partir de l'enquête budgétaire annuelle sur le financement des établissements et services sociaux et médico-sociaux, réalisée par les services du ministère des affaires sociales, le coût annuel moyen de l'hébergement dans les établissements pour personnes âgées est passé en francs constants de 56 570 francs en 1988 à 60 491 francs en 1992.

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comptabilisés au 31 décembre 1992 étaient âgés de plus de 60 ans. Il convient donc de relativiser la diminution du poids relatif des dépenses d'aide

sociale pour les personnes âgées qui, en 1993, ne représentait plus que 20 % du total des dépenses sociales, contre 28,6 % en 1984. Si l'on devait, en effet, répartir les crédits consacrés à l'allocation compensatrice entre les deux publics bénéficiaires, les personnes âgées dépendantes et les adultes handicapés, le poids respectif des deux catégories s'établirait de la manière suivante : les personnes âgées de plus de 60 ans représentent 68 % des bénéficiaires mais perçoivent une allocation à un taux généralement inférieur à celui accordé aux personnes handicapées adultes (16) ; dès lors, leur part du total peut être évaluée à environ 55 % du montant total versé, soit 4,73 milliards de francs.

Selon cette hypothèse, les dépenses directes consacrées à l'aide sociale aux personnes âgées s'établiraient à 27,4 %, et à 21,4 % pour l'aide sociale aux personnes handicapées. Le rapport s'inverse donc mais tend à s'équilibrer davantage, marquant la contribution finalement proche de ces deux catégories de dépenses à la croissance des dépenses d'aide sociale.

- LES DEPENSES D'INSERTION REPRESENTENT 12 % DES DEPENSES SOCIALES DES DEPARTEMENTS :

Les dépenses liées à l'insertion et à la lutte contre la pauvreté ont représenté un peu plus de 8,1 milliards en 1993. Elles se composent, d'une part, des dépenses d'aide médicale et des cotisations d'assurance personnelle, pour un montant de 5,9 milliards, et, d'autre part, des dépenses d'insertion liées au RMI qui ont atteint 2,1 milliards en 1993.

La forte augmentation des dépenses d'aide médicale depuis 1988 (+ 26,9 %) recouvre une évolution contrastée : les dépenses d'aide médicale hospitalière et à domicile ont diminué, tandis que les cotisations d'assurance personnelle ont plus que triplé au cours de la même période et représentent, en 1993, 2 775 millions de francs.

Cette croissance importante des dépenses d'assurance personnelle, transférées à la charge des départements par la loi de finances rectificative du 11 juin 1986, a été particulièrement forte après l'instauration du revenu minimum d'insertion dont les allocataires non assurés sociaux sont dorénavant pris en charge automatiquement par l'assurance personnelle. Ainsi, le nombre des bénéficiaires a plus que doublé entre 1988 et 1990, passant de 116 017 à 262 400 personnes. En 1992, près des trois quarts des 284 000 bénéficiaires de l'assurance personnelle étaient allocataires du RMI. Cette extension de l'affiliation à l'assurance personnelle explique la diminution des dépenses des départements, au titre de l'aide médicale.

La montée en charge du nombre d'allocataires du revenu minimum d'insertion s'est progressivement répercutée sur les finances départementales. D'un montant total de 2,1 milliards en 1993, les dépenses d'insertion ont augmenté de 10 % par rapport à l'année antérieure. Ce poste de dépense ne représente cependant que 4 % du total des dépenses d'aide sociale.

(16) Selon une étude de l'observatoire national de l'action sociale décentralisée, une personne âgée reçoit en moyenne 60 % de l'allocation perçue par un bénéficiaire de moins de 60 ans, soit environ 26 700 francs en 1993.

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- AUTRES DEPENSES : L'action sanitaire en matière de prévention médicale (vaccination, protection

maternelle et infantile, prévention du cancer, des maladies sexuellement transmissibles ou de la tuberculose) ou d'hygiène publique (dératisation) a augmenté, en francs constants, de 4,6 % en moyenne depuis 1988. Le poids de ces dépenses, d'un montant de 1 440 millions de francs, consacrées aux deux tiers à la protection maternelle et infantile, atteint 2,1 % des dépenses d'aide sociale.

Enfin, les dépenses facultatives qui ont atteint 1 545 millions en 1993, soit 2,3 % de l'ensemble, ont enregistré une augmentation de 7,8 % par rapport à 1988.

C) LES DEPENSES INDIRECTES LIEES A L'AIDE SOCIALE ONT PROGRESSE, DEPUIS 1988, PLUS VITE QUE LES DEPENSES DIRECTES

Les dépenses indirectes ont atteint, en 1993, un montant total de 10 970 millions de francs, soit depuis 1988 une augmentation de 40,1 %, supérieure à celle des dépenses directes (18,4 %). Les départements inscrivent au titre de leurs dépenses indirectes un ensemble de frais de fonctionnement et de personnel dont il est parfois difficile de vérifier la bonne imputation, faute pour les conseils généraux de s'être dotés d'outils de suivi analytique des dépenses et de principes d'imputation comptable homogènes et durables. Ainsi, le département de Paris ne distingue pas dans sa comptabilité les dépenses indirectes d'aide sociale.

Pour limiter cette difficulté, on retiendra que les seules dépenses de personnel inscrites au chapitre 931-15 ("Dépenses de personnel du service d'aide sociale") représentaient, en 1993, 9 642 millions, soit 88 % du total des dépenses indirectes. Là encore, la croissance enregistrée depuis 1988 atteint 37,3 %. Le poids des charges de personnel a donc progressé puisqu'il représentait, en 1993, 14,5 % des dépenses totales d'aide sociale, au lieu de 12,5 % en 1988.

. 2° LE MAINTIEN D'IMPORTANTES DISPARITES ENTRE LES DEPARTEMENTS La décentralisation de l'aide sociale et de la santé a pu laisser craindre que le

transfert à 100 départements différents de la gestion de prestations, même strictement encadrées sur le plan réglementaire, pourrait creuser les disparités géographiques. De tels écarts existaient, il est vrai, dès avant la décentralisation. Celle-ci ouvrait cependant le risque de les accroître encore, notamment dans le développement de l'offre de services et des places en établissements. L'analyse conduite par les juridictions financières à partir des comptes administratifs montre que si les disparités restent importantes, elles ne se sont pas accentuées depuis 1988.

. A) DES DISPARITES TOUJOURS IMPORTANTES EN TERMES DE DEPENSES PAR HABITANT L'analyse de la dépense par habitant, limitée par son caractère financier, ne permet

certes pas de tenir compte des spécificités socio-démographiques ou des autres particularités géographiques pouvant justifier de fortes différences entre les budgets consacrés par les départements aux dépenses d'aide sociale. Toutefois, partant de l'hypothèse d'une certaine stabilité des caractéristiques départementales, l'étude de l'évolution de la dépense par habitant entre 1988 et 1993 permet de faire apparaître une tendance à la réduction des écarts géographiques, plus ou moins accentuée, selon que l'on raisonne en termes relatifs ou absolus.

Les disparités entre départements métropolitains tendent en effet à se réduire si l'on retient, pour base de calcul, le rapport entre la dépense moyenne des départements ayant le montant de dépenses par habitant le plus élevé, d'une part, et celle des départements ayant le montant de dépenses par habitant le plus faible, d'autre part.

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Selon cette première méthode (17), on peut observer, en effet, que les disparités d'origine ont plutôt eu tendance à se réduire légèrement : la dépense moyenne des 15 premiers départements (5ème au 19ème rang) représentait, en 1988, 1,72 fois celle des quinze derniers départements (75ème au 89ème rang). Ce rapport de dispersion a été ramené à 1,54 en 1993, soit une réduction de l'écart de 10,4 %.

On relève cependant que cette convergence, non seulement maintient des écarts importants, mais est très inégale selon les catégories de dépenses et s'avère d'autant plus poussée que la croissance des dépenses a été élevée. Ainsi, partant des mêmes bases de calcul, les écarts se sont réduits pour l'aide sociale à l'enfance (-8,5 %), pour les dépenses d'aide médicale (-20 %) et pour l'aide sociale aux personnes handicapées, à la fois pour les dépenses d'allocation compensatrice (-9,5 %) et pour les autres dépenses, consacrées pour l'essentiel à l'hébergement (-10,4 %). En revanche, les écarts se sont légèrement accentués pour l'aide sociale aux personnes âgées (+1,7 %)

Dépenses d'aide sociale

(Francs/habitant)

Moyenne 5è au 19è

1988

Moyenne 75 au 89è

1988

Moyenne 5è au 19è

1993

Moyenne 75 au 89è

1993

coeff. 1988

coeff 1993

Evol. (%)

Aide sociale à l'enfance 1 370 F 732 F 1 629 F 952 F 1,87 1,71 -8,5 % Personnes âgées 1 343 F 577 F 1 579 F 659 F 2,35 2,39 +1,7 %Personnes handicapées 578 F 286 F 828 F 459 F 2,02 1,80 -10,4%Allocation compensatrice 162 F 62 F 233 F 99 F 2,61 2,35 -9,9 %Aide médicale 83 F 21 F 127 F 43 F 3,95 2,95 -25,3 %Total dépenses directes 1 039 F 604 F 1 324 F 862 F 1,72 1,54 -10,4%

L'aide sociale aux personnes handicapées ne tient pas compte des dépenses

d'allocation compensatrice, dont la dispersion est examinée en tant que telle. Les dépenses d'aide sociale à l'enfance ont été rapportées à la population âgée de

moins de 20 ans ; les dépenses d'aide sociale aux personnes âgées à la population de plus de 60 ans ; les dépenses d'aide sociale aux personnes handicapées (hors allocation compensatrice) à la population âgée entre 20 et 59 ans ; les dépenses d'allocation compensatrice et d'aide médicale à la population totale. Les données démographiques par départements sont celles publiées par l'INSEE à la suite du recensement de 1990.

Les disparités tendent même à s'atténuer, mais dans une moindre mesure, selon la seconde méthode d'évaluation des disparités analysant l'évolution de la moyenne des écarts entre l'ensemble des départements par rapport à la dépense nationale moyenne par habitant (écart-type).

L'analyse des écarts-type fait ressortir, en effet, que le rythme élevé de progression des dépenses n'a pas conduit à creuser les écarts en francs constants (valeur 1988) par habitant. Ainsi, la moyenne des écarts par rapport à la moyenne nationale atteignait 172 francs par habitant en 1988 et 169 francs en 1993. Les écarts se sont toutefois creusés légèrement dans le domaine de l'aide sociale aux personnes âgées, de manière plus accentuée pour les personnes handicapées et l'aide médicale.

(17) Cette constatation a été vérifiée à partir de plusieurs méthodes de calcul : comparaison des quinzième et quatre-vingtième départements, des vingtième et soixante-quinzième départements, de la moyenne des vingt premiers et des vingt derniers départements métropolitains, et, enfin, de la moyenne des départements classés du 5ème au 19ème rang rapportée à celle des départements classés du 75ème au 89ème rang. Les résultats présentés découlent de cette dernière méthode, finalement retenue dans le souci d'écarter les situations extrêmes et de lisser les cas particuliers.

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Evolution de l'écart-type en francs constants

Ecart type 1988(FF/hab)

Ecart-type 1993

(FF/hab)

Différence (%)

Aide sociale à l'enfance 285 F 280 F - 1,7 % Personnes âgées 349 F 355 F + 1,7 % Personnes handicapées 196 F 203 F + 3,5 %

Hébergement pers. handicapées 74 F 102 F + 37,8 % Allocation compensatrice 89 F 85 F - 4,4 %

Aide médicale 27 F 34 F + 25,9 % Total dépenses directes 172 F 169 F - 1,7 %

Au-delà de cette tendance, marquée par une légère atténuation des écarts, en termes tant relatifs qu'absolus, les disparités entre départements sont toutefois encore très importantes. Il existe un rapport du simple au triple entre la dépense par habitant des départements métropolitains situés aux deux extrêmes : 1 738 francs par habitant dans le premier cas, 670 francs par habitant dans le second.

L'accélération du rythme d'augmentation des dépenses directes a connu de fortes variations selon les départements puisque la plus forte progression départementale, enregistrée entre 1988 et 1993, a atteint 81,4 %, tandis qu'à l'opposé, un département enregistrait une diminution de ses dépenses de 10,3 % : pour une moyenne nationale de 37,7 %, vingt départements ont enregistré une croissance de leurs dépenses inférieure à 30 % tandis que, pour vingt-deux autres, elle était supérieure à 50 %.

Au total, il ne semble pas, quelle que soit la méthode de calcul retenue, que la décentralisation ait eu pour effet d'accentuer les écarts géographiques.

B) LA CORRELATION AVEC LE POTENTIEL FISCAL : NEGATIVE POUR L'AIDE SOCIALE LEGALE,POSITIVE POUR L'AIDE SOCIALE FACULTATIVE

Le rapprochement entre le potentiel fiscal des départements et le montant des dépenses d'aide sociale légale rapportées au nombre d'habitants permet d'identifier une corrélation négative : les départements dont le potentiel fiscal est supérieur à la moyenne nationale enregistre un niveau de dépenses par habitant inférieur à la moyenne nationale :

- les 25 départements ayant le plus fort potentiel fiscal (Paris exclu) ont enregistré une dépense moyenne par habitant de 1 026 francs, inférieure de 4,8 % à la moyenne nationale (1 077 francs/hab, Paris exclu); inversement, les 25 départements ayant le montant de dépenses d'aide sociale le plus faible par habitant ont en moyenne un potentiel fiscal de 1 078 francs, supérieur de 9,3 % au potentiel fiscal moyen (1 006 francs).

- Les 25 départements ayant le potentiel fiscal le plus faible ont enregistré une dépense moyenne par habitant de 1 079 francs, égale à la moyenne nationale ; de la même manière, les 25 départements ayant le montant de dépenses d'aide sociale le plus élevé par habitant ont en moyenne un potentiel fiscal de 1 002 francs, inférieure de 0,3 % à la moyenne nationale.

S'il semble donc difficile d'établir un lien positif entre un potentiel fiscal faible et un montant de dépenses élevé, il apparaît plus clairement que les départements à potentiel fiscal fort enregistrent un niveau de dépenses sociales inférieur à la moyenne nationale.

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En revanche, les montants consacrés par les départements à l'aide sociale facultative varie de manière étroitement corrélée au niveau du potentiel fiscal. Ainsi, les dix départements dont le potentiel fiscal est le plus élevé ont, en moyenne, consacré à l'aide sociale facultative 56,5 francs par habitant, tandis que dans les dix départements ayant le potentiel fiscal le plus faible, ce montant n'atteignait que 19,5 francs par habitant, soit 2,9 fois moins, la moyenne nationale se situant à 26 francs. A titre d'exemples, les deux premiers départements (18) par le montant de l'aide sociale facultative disposent respectivement du 1er et du 5ème potentiel fiscal.

Il apparaît donc que la richesse relative des départements détermine logiquement les besoins de prise en charge des populations résidentes au titre de l'aide sociale légale et entraîne, de fait, un montant de dépenses par habitant d'autant plus faible que le potentiel fiscal est élevé ; à l'inverse, les dépenses d'aide sociale facultatives tendent à être plus importantes dans les départements disposant des marges de manoeuvre financières suffisantes.

C) LE MAINTIEN DE FORTES SPECIFICITES DEPARTEMENTALES DANS LA STRUCTURE DES BUDGETS D'AIDE SOCIALE

La structure des budgets d'aide sociale des départements a évolué, en moyenne nationale, de manière convergente depuis 1988, notamment du fait de la diminution du poids relatif de l'aide sociale à l'enfance et de l'augmentation des dépenses d'insertion. Cette situation observée au plan national ne se retrouve cependant pas dans tous les départements. Pour près du tiers d'entre eux, la répartition des dépenses d'aide sociale, diffère de la structure moyenne nationale.

Si ces variations ou ces singularités méritent d'être observées, elles ne constituent pas cependant autant d'anomalies : les spécificités d'ordre démographique, le niveau des revenus des habitants, le développement plus ou moins important des capacités d'accueil des établissements ou l'état des solidarités familiales influent, notamment, sur le montant des dépenses que les départements sont amenés à consacrer aux différentes catégories d'aide sociale.

Ainsi, pour l'aide sociale à l'enfance, si 49 départements y consacrent entre 27 % et 37 % de leurs dépenses (soit plus ou moins 5 points par rapport à la moyenne nationale, égale à 32 %), 46 départements connaissent une situation divergente : quatre se situent au-dessus de 40 %, tandis que sept autres y consacrent moins de 20 % de leurs dépenses d'aide sociale. Cette différence s'explique principalement par la structure démographique distincte de ces deux groupes de départements, le premier connaissant, à l'inverse du second, un nombre de jeunes supérieur à la moyenne nationale.

Le taux de croissance des dépenses d'aide sociale à l'enfance (ASE) a atteint un niveau particulièrement élevé dans certains départements, neuf d'entre eux enregistrant une progression supérieure à 50 %, deux fois plus élevée que la moyenne nationale (+25 % entre 1988 et 1993). A l'inverse, huit départements ont connu une croissance inférieure à 10 % sur la période, dont deux ont vu leurs dépenses d'ASE régresser en francs courants.

La part des dépenses d'aide sociale pour les personnes âgées dans le total des budgets départementaux varie de 38 % à 9,1 %. Si les deux tiers des départements atteignent un niveau voisin (plus ou moins 5 points) de la moyenne nationale, égale à 20,7 %, quatre départements consacrent à cette catégorie de dépenses plus de 30 % de leurs dépenses brutes et cinq autres moins de 12 %.

(18) Sans tenir compte de Paris.

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Le rapprochement avec la structure démographique des départements présente, là encore, des corrélations évidentes sans qu'elle ne puisse toujours tout expliquer. Ainsi, les quatre départements dont la proportion de personnes âgées de plus de 60 ans est la plus élevée consacrent à cette catégorie de bénéficiaires (hors allocation compensatrice) une part de leur budget d'aide sociale inférieure à la moyenne nationale.

A l'inverse, les départements de l'Eure ou du Calvados, où les personnes âgées de plus de 60 ans ne représentent que respectivement 17,3 % et 18,4 % de la population (la moyenne nationale s'établissant à 20 %), consacrent à cette catégorie de dépenses respectivement 33,6 % et 27,3 %. Ces deux départements se sont également dotés d'un niveau d'équipement en places d'hébergement pour personnes âgées très supérieur à la moyenne nationale (167,4 places pour 1 000 personnes âgées de 75 ans et plus en 1992) : 224,3 places dans le Calvados et 217,5 dans l'Eure.

L'évolution des dépenses d'aide sociale aux personnes âgées, dont l'augmentation nationale a atteint 15,6 %, entre 1988 et 1993, a très fortement varié selon les départements : elle a été supérieure à 30 % dans 26 départements, atteignant un maximum de 132 %, alors que dans 17 autres départements, les dépenses diminuaient en termes absolus, dans des proportions parfois importantes (19).

Certains cas extrêmes attirent cependant plus particulièrement l'attention. Ainsi, la part des dépenses d'allocation compensatrice dans les budgets des départements varie de manière considérable : elles représentent moins de 8 % des dépenses directes totales dans cinq des sept départements de la région parisienne et totalisent respectivement 32,9 % et 41,2 % des dépenses en Haute-Corse et en Corse-du-Sud. Ces deux départements se singularisent, en effet, par un montant de dépenses au titre de l'allocation compensatrice particulièrement élevé : 817 francs et 632 francs par habitant, soit un montant très supérieur à la moyenne nationale (146 francs par habitant), voire au montant atteint par le département situé au troisième rang (270 francs par habitant).

Si l'allocation compensatrice figure, avec les dépenses d'hébergement des personnes handicapées et d'assurance personnelle, parmi les postes en forte croissance, cette évolution a parfois pris une dimension exceptionnelle puisque dans 16 départements, les montants consacrés à cette prestation ont plus que doublé, en francs courants, entre 1988 et 1993. Il est à noter que les deux départements corses ont enregistré, sur la même période, une croissance inférieure à la moyenne nationale et que dans quatre départements, les dépenses d'allocation compensatrice ont diminué. Dans deux de ces quatre cas (Ardèche, Dordogne), des pratiques restrictives dans l'attribution de l'allocation compensatrice ont il est vrai, été relevées (Cf. partie III.A p. 64).

Les dépenses d'aide sociale aux personnes handicapées, hors allocation compensatrice, se concentrent, dans les deux tiers des départements métropolitains, autour de la moyenne nationale (16 %). Il reste que, là encore, cette concentration relative s'accompagne d'écarts assez importants : plus du quart des départements consacrent plus de 25 % de leurs dépenses à cette prestation tandis que dans deux autres, l'hébergement des personnes handicapées représente moins de 5 % du budget.

Enfin, les dépenses liées à l'insertion et à la lutte contre la précarité donnent lieu à des écarts en valeur absolue de moindre ampleur en raison de leur importance encore limitée au sein des budgets départementaux. Cependant, d'un budget à l'autre, les

(19) Cette évolution à la baisse semble toutefois s'être expliquée par la mise en place du prix de journée différentiel permettant au département de n'inscrire au titre de ses dépenses brutes que la différence entre le coût total de l'hébergement et la participation financière des bénéficiaires (Cf. partie II.B.1.).

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juridictions financières ont noté des différences. Elles s'expliquent surtout par les montants respectifs des cotisations d'assurance personnelle, lesquels dépendent à leur tour du nombre d'allocataires du RMI, variable selon les départements.

Les dépenses d'insertion liées au RMI varient également fortement : elles atteignent 10% des budgets dans trois départements, mais ne dépassent pas 1,2 % dans trois autres départements qui se distinguent, il est vrai, par un taux de consommation très inférieur au montant des crédits théoriquement ouverts dans leurs budgets au titre de la règle des 20 %.

Cette obligation faite aux départements d'ouvrir dans leur budget un montant de crédits égal à 20 % des dépenses d'allocation assumées par l'Etat au titre du RMI concourt, lorsqu'elle est respectée, à ce qu'une large partie des dépenses d'aide sociale des départements échappe ainsi à la maîtrise de ces derniers. Ce constat dépasse toutefois les seules dépenses d'insertion et s'explique par l'intervention de multiples contraintes pesant sur les départements.

B. - L'EMPRISE LIMITEE DES DEPARTEMENTS SUR LEURS DEPENSES D'AIDE SOCIALE

L'accélération des dépenses d'aide sociale, observée depuis 1988, s'explique, notamment, par la montée de l'exclusion, le vieillissement de la population, les besoins encore mal satisfaits dans le domaine du handicap et la revalorisation générale du coût de la prise en charge en établissement. Cette évolution s'impose donc largement aux départements.

Ceux-ci, avant comme après 1983, disposent, il est vrai, d'une marge d'initiative limitée dans le domaine de l'aide sociale légale, dont le régime est défini par la loi et les règlements. De fait, l'attribution des prestations ne relève pas de la seule appréciation des départements qui, s'ils assurent la gestion de l'aide sociale, sont néanmoins soumis aux principes de légalité et d'égalité de l'usager devant le service public. Par leur nature même, les compétences transférées par les lois de décentralisation en matière d'aide sociale échappent donc largement à la maîtrise des collectivités départementales qui sont tenues d'accorder le bénéfice des prestations légales sous réserve que soient réunies un certain nombre de conditions prévues par les textes, notamment en matière de ressources financières.

Il reste que le montant des dépenses d'aide sociale à la charge des départements dépend aussi de multiples autres facteurs, parmi lesquels figurent le montant des crédits inscrits au budget, le niveau des prix de séjour pratiqués par les établissements d'accueil, le choix des établissements pour le placement des bénéficiaires, l'évaluation des besoins des personnes, les durées de placement ou de prise en charge. Sur ces autres déterminants, les départements n'exercent toutefois qu'une emprise également limitée. Cette constatation, partagée par la plupart des départements retenus dans le cadre de l'enquête, souligne encore combien le principe des blocs de compétences - et de son corollaire financier "qui paye décide"- a été difficile à mettre en oeuvre.

. 1° LA PART CROISSANTE DES MESURES JUDICIAIRES DE PROTECTION DE L'ENFANCE

En application de l'article 41 du code de la famille et de l'aide sociale, les prestations d'aide sociale à l'enfance sont accordées par le président du conseil général, sans préjudice des pouvoirs reconnus à l'autorité judiciaire. Le système de protection de l'enfance et de la jeunesse, organisé par les lois de décentralisation, partage donc la compétence de la décision entre le président du conseil général et le juge pour enfant mais confie au seul département la responsabilité du financement de l'ensemble des prestations.

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La part des mesures prononcées par les juges, tant dans le domaine éducatif que pour les placements en établissement, a toujours été prédominante par rapport aux mesures administratives prises par la D.D.A.S.S. avant la décentralisation, et par le président du conseil général depuis. En 1982, selon les chiffres publiés par le ministère des affaires sociales (service des statistiques, des études et des systèmes d'informations - SESI) sur les effectifs présents en fin d'année, 66 % des actions éducatives en milieu ouvert (AEMO) et 60 % des placements en établissement provenaient déjà de décisions judiciaires. L'évolution constatée depuis une dizaine d'année révèle que le poids des mesures judiciaires tend à s'accroître, notamment pour les placements.

Le nombre des AEMO en cours, au 31 décembre 1992, décidées par le juge des enfants s'élevait à 89 340, pour 32 620 AEMO administratives, décidées par les services du département. La part des décisions judiciaires s'établit donc à 73 % du total, au lieu de 66 % dix ans plus tôt. Il semble cependant que cette progression ait été acquise avant 1989 et que la part des AEMO d'origine judiciaire se soit stabilisée depuis lors. Certains départements n'ont cependant pas enregistré une telle pause : en Isère, la part des décisions judiciaires est passée de 70 % à 80 % entre 1991 et 1992.

La prédominance des placements en établissement, d'origine judiciaire, tend également à s'accentuer. Selon les derniers chiffres du SESI établis au 31 décembre 1992, les décisions administratives concernaient 35 300 mineurs ou jeunes majeurs tandis que le nombre des enfants confiés à l'ASE à la suite d'une décision judiciaire s'élevait à 71 790. S'ajoutent environ 26 000 enfants placés directement par les juges dans des établissements, mesures également prises en charge par le département bien que ses services n'aient pas été associés à sa mise en oeuvre. Aussi, la proportion des placements initiés par le juge des enfants représente-t-elle aujourd'hui 71 % du total, au lieu de 60 % en 1982.

L'importance du nombre d'enfants confiés par le juge à l'ASE ou placés directement auprès d'un établissement ne s'explique pas nécessairement par un nombre de mesures judiciaires beaucoup plus élevé que celui des mesures administratives ; les deux atteignent, selon les quelques observations statistiques disponibles (20), un niveau comparable en flux annuels. En revanche, les durées de placement décidées par le juge sont en moyenne plus longues que celles des mesures d'accueil prises par le président du conseil général, plus limitées dans le temps de par leur vocation même.

Cette "judiciarisation" de l'aide sociale à l'enfance s'explique par de multiples facteurs, tenant aussi bien à la situation de plus grande précarité des familles qu'à la loi du 10 juillet 1989 sur l'enfance maltraitée visant à favoriser la saisine des autorités judiciaires au cas où un risque de mauvais traitement ou d'abus sexuel serait constaté. Elle provient également des difficultés rencontrées par les services départementaux pour gérer directement des situations familiales de plus en plus nombreuses et difficiles ; dans de nombreux cas (21), les saisines adressées aux cabinets des juges proviennent directement des services départementaux, comme l'ont confirmé les constatations faites par certaines chambres régionales, dans le cadre de cette enquête ; cette pratique a ainsi été relevée dans quelques départements, dont notamment la Sarthe où les placements d'origine judiciaire représentent près de 80 % du total.

(20) Les statistiques publiées par le SESI ne retraçent que le nombre de bénéficiaires présents le jour de l'enquête, le 31 décembre, sans apporter d'informations sur le nombre de mesures prises au cours de l'année. (21) Il n'existe pas, là encore, de mesures statistiques nationales. Les quelques sondages réalisés à l'occasion d'une enquête conduite conjointement par l'inspection générale des affaires sociales et par l'inspection générale des services

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Cette intervention croissante de l'autorité judiciaire dans les décisions prises en matière d'aide sociale à l'enfance n'est donc ni nouvelle ni en elle-même préoccupante, ce d'autant moins qu'elle est la conséquence, pour une large part, de "signalements" transmis par les travailleurs sociaux du département. Cette tendance semble répondre à une évolution de fond. Elle limite, néanmoins, d'autant l'emprise des départements sur l'évolution de leurs dépenses, notamment dans le cas des placements directs décidés par le juge sans même consulter le département sur le choix de l'établissement, comme l'y autorise le Code civil (article 375-3 3°).

2° L'INSUFFISANTE REPRESENTATION DES DEPARTEMENTS AU SEIN DES COMMISSIONS TECHNIQUES D'ORIENTATION ET DE RECLASSEMENT PROFESSIONNEL (COTOREP)

Comme la Cour l'a relevé dans son rapport public particulier sur les politiques sociales en faveur des personnes handicapées adultes (22) la gestion de l'allocation compensatrice pour tierce personne (ACTP) se caractérise par une séparation entre l'autorité qui prend la décision d'attribution et celle qui assure son financement. L'ACTP représentait, en 1993, un montant de 8,6 milliards de francs, en croissance très importante depuis 1984.

L'attribution de l'ACTP relève, en effet, d'une décision technique prise par les COTOREP, alors que le versement de l'allocation est à la charge du département. Il appartient aux COTOREP de vérifier que le taux d'invalidité de la personne est égal ou supérieur à 80 %, d'apprécier la réalité du besoin de tierce personne et de fixer le taux de l'allocation et la durée de son versement. Le président du conseil général se limite à prendre la décision administrative d'admission ou de refus mais en étant lié sur le fond par la décision technique de la COTOREP. Ses services interviennent pour apprécier, chaque année, les ressources du demandeur afin de fixer le montant de l'allocation, qui est égal à la différence entre le plafond correspondant au taux accordé par la COTOREP et le revenu de l'intéressé.

Or, la composition des COTOREP ne comprend, sur vingt membres, qu'un seul représentant des élus départementaux, doté de surcroît d'une simple voix consultative. Cette sous-représentation ne permet donc pas que soient simultanément examinées les conditions médicales, sociales et administratives d'octroi de l'allocation. Elle fait que l'essentiel de la procédure échappe au département, y compris quand il s'agit d'apprécier les besoins des personnes ou de fixer le taux de l'allocation et la durée de versement.

La mise en oeuvre prochaine, à la suite de l'expérimentation en cours dans une douzaine de départements, d'une nouvelle "allocation autonomie" complétant ou remplaçant l'allocation compensatrice versée par les départements, pourrait être l'occasion de réformer cette procédure, comme la Cour l'avait déjà proposé dans son rapport public particulier, en confiant celle-ci à une nouvelle commission équitablement représentative de chacune des parties.

judiciaires sur le dispositif de protection de l'enfance (rapport n° 95038), évaluent la proportion des "signalements" provenant des services de l'ASE à environ 50 % du total. (22) Rapport déjà cité, pages 97 et suivantes.

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3° L'INFLUENCE LIMITEE DES DEPARTEMENTS SUR LE STATUT ET LA REMUNERATION DES PERSONNELS SOCIAUX ET MEDICO-SOCIAUX

Le coût de l'hébergement en établissement représente près de 56 %, soit plus de la moitié, des dépenses directes d'aide sociale. Le prix de journée acquitté par les départements se compose pour près des trois quarts de son montant des rémunérations des personnels des établissements sociaux et médico-sociaux. Or, les procédures nationales de fixation des conditions de rémunération des salariés de ce secteur échappent largement aux départements.

Le régime salarial des personnels des établissements sociaux et médico-sociaux a été, en effet, aligné sur celui des personnels des établissements sanitaires par le biais de la transposition du protocole dit "Durieux/Durafour" sur l'amélioration des conditions de vie et de travail des personnels de la fonction publique hospitalière. Le bénéfice de ces accords, conclus en novembre 1991, a été étendu aux agents du secteur social et médico-social, par le jeu combiné des dispositions d'une circulaire du ministère de la santé, en date du 23 décembre 1991, et de deux décrets du 2 janvier 1992 (n° 92-4 et 92-7).

Sur cette base, les partenaires sociaux du secteur privé à but non lucratif ont conclu, en mars 1992, des avenants aux conventions collectives de 1951 et 1966, applicables aux salariés de ce secteur. Conformément à la procédure instituée par l'article 16 de la loi du 30 juin 1975, ces avenants ont été soumis à l'agrément du ministre des affaires sociales. Après que le ministre eut refusé son agrément, par arrêté en date du 5 août 1992, l'un des organismes signataires a formé un recours gracieux. Par un nouvel arrêté, en date du 20 avril 1993, le ministre a finalement accepté de revenir sur sa première décision. Le retrait du premier arrêté, neuf mois après sa notification, ainsi que la portée rétroactive ainsi conférée à ces revalorisations de rémunération ont fait l'objet d'un recours en annulation introduit devant le Conseil d'Etat par l'assemblée permanente des présidents des conseils généraux.

Les conditions dans lesquelles ont été accordées ces revalorisations appellent une réserve qui s'applique à la méthode suivie de manière générale dans la conduite des négociations salariales dans le domaine social et médico-social. Celles-ci concernent, en effet, des établissements relevant, pour leur financement, aussi bien de l'Etat, de l'assurance-maladie que des départements. Or, l'agrément du ministre des affaires sociales est toujours intervenu sans que les services du ministère soient capables d'estimer l'incidence des mesures ainsi accordées sur les finances départementales.

Faute de disposer d'outils d'analyse sur la structure financière des dépenses d'hébergement supportées par les conseils généraux, les décisions ministérielles d'étendre les accords "Durieux/Durafour" relatif à la fonction publique hospitalière au secteur social et médico-social ont, en effet, été prises sans connaître la marge de manoeuvre budgétaire des départements. Plus de trois ans plus tard, les services du ministère sont toujours dans l'impossibilité de chiffrer l'impact financier de ces mesures.

Celui-ci pourrait atteindre, dans certains départements, des montants considérables. Ainsi, en Meurthe-et-Moselle, l'incidence de ces accords sur les budgets d'hébergement des établissements de compétence départementale a pu être évaluée par le département, au terme des trois années de montée en charge des avenants, à 35 millions de francs en année pleine, soit plus de 7 % de la masse correspondante des dépenses d'hébergement.

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Cette répercussion sur les finances départementales peut d'autant moins être maîtrisée que les modalités de tarification des établissements sociaux et médico-sociaux relevant des départements sont toujours fondées sur le principe du prix de journée, et non sur le système de la dotation globale en vigueur dans le secteur hospitalier et dans les établissements sociaux financés par l'Etat (CAT et CHRS). De fait, l'augmentation directe des tarifs induite par ces avenants a pu être estimée à 5,5 % en Meurthe-et-Moselle.

Pour toutes ces raisons, des conseils généraux ont refusé d'appliquer certains avenants : l'Indre-et-Loire n'a pas mis en oeuvre l'avenant 235 à la convention collective agréé par l'arrêté du 20 avril 1993 dont le coût d'application atteindrait, selon le département, 8 à 10 millions de francs ; cette pratique, peu justifiable en dépit du recours pendant devant la haute juridiction administrative, a conduit un établissement, à statut public, à former un recours contre le refus du conseil général d'intégrer cette dépense dans le prix de journée.

La décision de conduire à l'échelon national les négociations salariales du secteur social et médico-social semble difficilement pouvoir être remise en cause, sauf à renoncer au souci de maintenir une certaine unité entre les différentes catégories d'établissements, quelle que soit la collectivité responsable de leur financement. Pour autant, la définition préalable du cadre des négociations doit pouvoir se fonder sur une connaissance précise de la traduction budgétaire des accords pour l'ensemble des parties concernées, Etat, assurance-maladie et conseils généraux.

Il est vrai que les absences répétées, au cours des dernières années, des trois représentants de l'assemblée permanente des présidents des conseils généraux de France (APCG) au sein de la commission nationale d'agrément n'a pas facilité cette concertation. A la faveur du choix récent de l'APCG de participer plus activement à cette instance consultative, les départements pourraient être davantage associés à la conduite des négociations qu'ils ne l'ont été jusqu'à présent. La récente définition d'un "panel" d'établissements, établi en commun avec les partenaires sociaux et les différents financeurs publics, en vue de mieux anticiper le coût prévisible des avenants aux conventions collectives proposés à l'agrément ministériel, devrait marquer un progrès en ce sens.

4° LES FINANCEMENTS CONJOINTS EN MATIERE DE LUTTE CONTRE L'EXCLUSION La mise en place, à partir de 1989, de nouvelles politiques de lutte contre

l'exclusion s'est traduite, pour les collectivités départementales, par l'instauration de nouvelles charges financières dont le montant est directement subordonné à l'action de l'Etat. Dans cette hypothèse, le montant de la dépense échappe, en tout ou partie, à la décision des élus départementaux.

Ainsi, l'allocation du revenu minimum d'insertion relève d'une procédure à laquelle les départements ne sont pas associés. La décision d'attribution relève de l'Etat qui en assure le financement, après que l'instruction eut été conduite par les caisses d'allocations familiales. L'allocation du RMI entraîne cependant pour les départements un certain nombre d'obligations financières : l'ouverture dans leur budget d'aide sociale des crédits nécessaires au financement des actions d'insertion demandées aux bénéficiaires du RMI, à hauteur de 20 % des dépenses d'allocation engagées par l'Etat l'année précédente ; la prise en charge des cotisations d'assurance personnelle des allocataires non assurés sociaux.

Si le montant des dépenses d'insertion échappe entièrement au département, leur emploi relève d'une décision partagée entre de nombreux acteurs, parmi lesquels figurent, au premier chef, les services de l'Etat et les élus locaux. De même, les fonds d'aide aux jeunes et les fonds solidarité logement imposent aux départements d'apporter une

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contribution financière au moins égale à celle mise en place par l'Etat, la gestion des fonds étant partagée entre le président du conseil général et le préfet du département, dans le cadre des plans départementaux.

Les départements disposent donc d'une marge de manoeuvre réduite dans la gestion d'une large partie de l'aide sociale légale : les décisions de placement ou d'attribution leur échappent largement ; le montant du coût des prises en charge dépend, pour une part, d'accords salariaux passés en dehors des conseils généraux ; ceux-ci sont, enfin, tenus par la loi de participer à de nouveaux dispositifs de lutte contre l'exclusion dont ils maîtrisent d'autant moins la charge financière que celle-ci découle de procédures ou de décisions relevant de l'Etat.

Réduite, la marge de manoeuvre des départements n'est cependant pas nulle : par le développement plus ou moins important des équipements et des services, par la délimitation de la taille des circonscriptions d'intervention des travailleurs sociaux polyvalents, par une politique active de contrôle sur les prix et le nombre des journées d'hébergement dans les établissements, les conseils généraux disposent de divers moyens pour influer sur le niveau de leurs dépenses. Ils n'en usent pas toutefois systématiquement (Cf. troisième partie).

En définitive, la situation constatée s'éloigne du principe "le payeur est le décideur", souvent évoqué au moment de l'élaboration des lois de décentralisation. Ces dernières semblent, en effet, par bien des aspects, s'être limitées à la décentralisation de la dépense sans avoir pu s'accompagner d'une véritable décentralisation de la décision. Un tel principe ne pouvait trouver, cependant, qu'une application limitée dans le domaine de l'aide sociale légale où la décision ne saurait relever de la libre appréciation des collectivités départementales.

Difficile à maîtriser par les conseils généraux, l'évolution de plus en plus rapide des dépenses sociales se reflète nécessairement dans la structure des budgets départementaux.

C. - DES TENSIONS NOUVELLES SUR LES FINANCES DEPARTEMENTALES

Le financement définitif des dépenses brutes d'aide sociale n'incombe pas dans sa totalité aux départements. Ces derniers bénéficient de deux catégories de recettes prévues par les textes en matière d'aide sociale : des recettes directes, composées des récupérations obtenues auprès des bénéficiaires, de leurs obligés alimentaires, de leurs légataires et des organismes de sécurité sociale ; les contributions financières versées par les communes du département.

Les montants recouvrés par ces deux voies représentaient, en 1988, une somme totale de 17 818,3 millions de francs, soit 32,4 % des dépenses totales d'aide sociale ; en 1993, ces recettes s'élevaient à 21 977,6 millions mais ne représentaient plus que 28,5 % des dépenses totales. Dans l'intervalle, le montant des dépenses d'aide sociale et de prévention sanitaire restant à financer par le département, autrement dit les charges nettes (23), progressaient de 47,7 %, plus que les seules dépenses brutes, pour atteindre 55 055 millions.

(23) Les charges nettes sont à distinguer des dépenses nettes. On a déjà vu (p. 22) que les dépenses nettes d'aide sociale sont égales aux dépenses brutes moins diverses recettes dont les principales sont les participations des bénéficiaires de l'aide et de leurs obligés alimentaires. Les charges nettes correspondent aux dépenses nettes moins les contributions des communes.

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Le tableau ci-après retrace la progression, depuis 1984, du rapport entre les charges nettes et les dépenses brutes d'aide sociale. Le poids croissant des charges liées aux dépenses sociales dans les budgets des départements se traduit par des tensions nouvelles sur les finances départementales.

.

C h a rg e s n e t te s / d é p e n s e s b ru te s

6 0 ,0 %6 2 ,0 %6 4 ,0 %6 6 ,0 %6 8 ,0 %7 0 ,0 %7 2 ,0 %7 4 ,0 %

SOURCE : GRAPHIQUE ELABORE A PARTIR DE DONNEES DE LA DGCL.

1° L'AUGMENTATION DE LA PART LAISSEE AUX DEPARTEMENTS DANS LE FINANCEMENT DES DEPENSES D'AIDE SOCIALE

A) UNE AIDE SOCIALE DE MOINS EN MOINS SUBSIDIAIRE Les recettes directes de l'aide sociale sont constituées pour l'essentiel par les

récupérations sur les bénéficiaires et leurs obligés alimentaires.

Selon l'article 142 du code de la famille et de l'aide sociale, les ressources des personnes bénéficiaires de l'aide sociale, doivent être affectées, dans la limite de 90 %, au remboursement de leurs frais d'hospitalisation.

Selon l'article 144 du même code, lorsque les bénéficiaires ne sont pas en état de payer, leurs descendants doivent subvenir à leurs besoins et s'acquitter de leur obligation alimentaire en payant au département une participation financière aux frais de prise en charge de la personne âgée, déterminée par la commission d'aide sociale. L'article 146 du CFAS prévoit également la possibilité pour le département d'exercer un recours sur succession et, à cette fin, les immeubles appartenant aux bénéficiaires de l'aide sociale peuvent être grevés d'une hypothèque légale dont l'inscription est requise par le représentant de l'Etat ou le président du conseil général (article 147 du CFAS). Pour le reste, les départements effectuent un certain nombre de récupérations auprès des organismes de sécurité sociale, notamment dans le cadre de l'aide médicale.

- LA PROGRESSION DES RECETTES DIRECTES EST RESTEE TRES INFERIEURE A CELLE DES DEPENSES BRUTES :

Les recettes dites directes, liées aux récupérations sur les bénéficiaires, leurs obligés alimentaires et les organismes de sécurité sociale, ont atteint, en 1993, un peu plus de 11 milliards de francs pour la France entière, soit 16,6 % des dépenses brutes d'aide sociale. Ce rapport est en nette diminution par rapport à 1988 (19,9 %). En effet, la progression des recettes directes n'a été que de 15,5 % alors que les dépenses brutes augmentaient de 36,9 % entre 1988 et 1993. Cet écart s'explique, en premier lieu, par le développement très important des prestations non soumises à récupération : les dispositifs de lutte contre l'exclusion, à travers la prise en charge des cotisations d'assurance personnelle ou des charges liées à l'insertion des bénéficiaires du RMI ; l'allocation

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compensatrice, dont la croissance forte est largement due au nombre de plus en plus important de bénéficiaires âgés de plus de 75 ans.

En second lieu, cette évolution s'explique aussi par une moindre participation des bénéficiaires ou des obligés alimentaires à certaines catégories de dépenses d'aide sociale. Tel est notamment le cas des personnes handicapées accueillies en établissement, pour lesquels le montant des récupérations représentaient, en 1988, 25 % du total des dépenses brutes d'hébergement, et seulement 18,9 % en 1993. Dans certains départements, cette réduction atteint des proportions très importantes, le montant des récupérations ne représentant plus qu'environ 5 % du total des dépenses brutes. Ainsi, se poursuit une tendance de fond, amorcée par la suppression de l'obligation alimentaire pour les personnes handicapées par la loi d'orientation du 30 juin 1975 et prolongée, en partie, par la faible progression des revenus des personnes hébergées, souvent composés de la seule allocation adulte handicapé.

La diminution peut aussi s'expliquer par la possibilité ouverte aux départements, par la loi de juillet 1992 sur l'aide médicale, de ne plus faire jouer l'obligation alimentaire en cas d'aide médicale à domicile.

L'obligation alimentaire mise en jeu par les départements dans le cadre de l'aide sociale à l'enfance donne lieu également à un montant de récupérations relativement modeste (549 millions de francs en 1993) ; sa part dans le total des dépenses consacrées à l'aide sociale à l'enfance enregistre malgré tout une diminution, entre 1988 et 1993, passant de 3,1 % à 2,6 %. Cette évolution semble s'expliquer essentiellement par la tolérance de certains départements n'effectuant aucune récupération sur les allocations familiales reçues par les familles pour des enfants placés en établissement ou en famille d'accueil.

La pratique des recouvrements sur les bénéficiaires ou leurs obligés alimentaires se concentre donc de plus en plus sur les personnes âgées hébergées. En 1988, leur participation financière couvrait 47,1 % des dépenses brutes des départements pour l'hébergement des personnes âgées ; en 1993, leur contribution représentait 55,2 % des mêmes dépenses. Les personnes âgées demeurent ainsi les premiers contributeurs à l'aide sociale : les sommes recouvrées auprès d'elles se sont élevées, en 1993, à 57 % du total des recettes directes perçues par les départements au titre de l'aide sociale, contre 56,4 % en 1988.

De même, les remboursements des organismes de sécurité sociale couvrent une part croissante des dépenses exposées par les départements en matière d'aide médicale : 46 % en 1988, 56 % en 1993. Cette tendance s'explique cependant par la diminution des dépenses d'aide médicale et non par une augmentation des remboursements, lesquels ont atteint à 1 090,5 millions de francs en 1988 et 1091,3 millions en 1993.

- L'EVOLUTION CONTRASTEE DES RECETTES ENTRE LES DEPARTEMENTS REVELE DES DIFFICULTES DE RECOUVREMENT :

L'évolution des recettes entre 1988 et 1993 oscille entre + 143 % et - 95,7 % ; 19 départements ont enregistré une progression des recettes supérieure à celle de leurs dépenses brutes, dont 3 dépassant 100 % et 6 comprises entre 50 et 100 % ; à l'inverse, 20 départements ont vu leurs recettes régresser. Le ratio recettes/dépenses brutes permet de mesurer l'évolution de l'effort contributif demandé aux bénéficiaires : le taux de couverture des dépenses brutes oscille entre 1 % et 43,9 %.

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Dans certains départements, la chute brutale des recettes s'explique par la mise en place, depuis 1992, d'un prix de journée différentiel. Ce système, autorisé par une instruction de la comptabilité publique (24), permet au département de ne verser aux établissements que la différence entre le coût d'hébergement et la contribution du bénéficiaire. Par ce biais, le département n'assure plus d'avance de trésorerie aux établissements, entre le moment où il paye le prix de journée et celui où il encaisse la participation financière de l'usager.

L'introduction du prix de journée différentiel a eu pour effet de priver les services comptables des départements de tout contrôle direct sur des recettes dont le recouvrement est désormais confié aux établissements. Dans ce cadre, l'application des règles fixées par l'article 142-1 du CFAS, selon lequel une somme minimale (10 % des revenus) doit être laissée à la disposition des bénéficiaires, est également confiée aux gestionnaires des établissements.

Les difficultés les plus fréquemment rencontrées en matière de recouvrement concernent les obligés alimentaires et les successions. Si la nomenclature comptable des départements ne permet pas de distinguer les participations encaissées selon leur origine (bénéficiaires, obligés alimentaires, succession, organismes de sécurité sociale), il ressort néanmoins que dans de nombreux départements, les participations des obligés alimentaires ont sensiblement diminué.

Cette évolution semble due aux obstacles rencontrés par les départements dans la récupération de la participation demandée aux obligés alimentaires. Les principes sur lesquels se fonde la procédure fixée par les articles 205 et suivants du code civil s'avèrent relativement protecteurs des obligés alimentaires. Les commissions d'admission à l'aide sociale ne sont pas, en effet, compétentes pour conférer force exécutoire à la dette que constitue la participation demandée à la famille du bénéficiaire.

S'il est possible, dans le cas de plus en plus fréquent d'une carence des obligés alimentaires, de saisir le juge d'instance, seul compétent pour fixer juridiquement la dette et ordonner son versement, celle-ci ne sera calculée qu'à compter de la saisine du juge et non de la décision de la commission d'admission. L'application de l'adage "les aliments ne s'arréragent pas" aboutit ainsi à diminuer d'autant le montant recouvrable.

La mise en jeu de l'obligation alimentaire semble ainsi de plus en plus théorique et se heurte à des difficultés de recouvrement de la dette qu'accentuent aussi bien les réticences des obligés que la réserve des départements. Certains départements ont toutefois exprimé leur souhait que soit renforcé leur pouvoir de recouvrement de la participation demandée aux obligés alimentaires : soit par l'adaptation de la procédure actuelle afin d'attribuer aux commissions départementales la faculté de constater la dette des obligés et de la rendre ainsi exécutoire, sous réserve d'un recours devant la juridiction administrative ; soit par le maintien de la procédure actuelle en organisant une saisine automatique du juge civil dès les premiers signes de réticence des obligés.

Il est cependant à craindre que, dans les deux cas, le choix de renforcer l'efficacité des procédures juridictionnelles de mise en jeu de l'obligation alimentaire n'accentue un certain nombre des effets préjudiciables aujourd'hui attachés à cette dernière, et analysés dans la quatrième partie du présent rapport (IV.B.2) : comme l'enquête a pu le montrer, l'intervention du juge crée souvent des tensions familiales et peut entraîner une certaine réticence des personnes âgées à bénéficier de l'aide sociale malgré leur situation financière.

(24) Instruction n°90-94 M2 du 24 août 1990.

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B) LE POIDS CROISSANT DE LA CONTRIBUTION DES COMMUNES Le principe d'une participation financière des communes aux dépenses d'aide

sociale et de prévention sanitaire relevant de la compétence des départements a été maintenu par l'article 93 de la loi du 7 janvier 1983 rappelé dans l'article 32 de la loi 22 juillet 1983. Depuis 1984, avec l'abandon des financements croisés, les communes participent globalement aux dépenses légales nettes d'aide sociale ; ces dernières se limitent aux dépenses nettes, c'est-à-dire après déduction des recouvrements sur bénéficiaires, obligés alimentaires ou organismes de sécurité sociale, et sans inclure des dépenses d'aide sociale facultatives. Après dix ans d'application du nouveau système de participation financière des communes, il a pu être procédé à un certain nombre de constatations.

- LA PART DE LA CONTRIBUTION DES COMMUNES DANS LE FINANCEMENT DE L'AIDE SOCIALE S'EST MAINTENUE :

Entre 1988 et 1993, la contribution financière des communes a augmenté de 33,9 % tandis que les dépenses nettes légales (DNL) des départements progressaient de 46,8 %. De fait, la part de la contribution communale dans le financement des dépenses sociales s'est légèrement réduite de 18,9 % à 17,2 % en 1993.

Contribution communale / total dé pe nse s ne tte s lé gale s

10,0%

12,0%

14,0%

16,0%

18,0%

20,0%

22,0%

France en tière

France hors Paris

source : graphique établi à partir de données de la DGCL

La tendance observée depuis 1988, marquée par une moindre contribution des communes, doit cependant être nuancée. En premier lieu, l'augmentation en valeur absolue de l'effort contributif des communes reste importante puisqu'elle atteint 2 575 millions de francs en cinq ans. En second lieu, une analyse par département montre que, dans un peu plus de la majorité des départements (51), la part de la contribution communale dans le financement des dépenses nettes légales a augmenté depuis 1988.

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Ce résultat paradoxal s'explique par la situation très particulière du département de Paris où le poids exceptionnel pris par la contribution communale et sa diminution récente dans le financement des dépenses sociales tendent à fausser les données nationales. Les décrets des 23 décembre 1983 et 31 décembre 1987 ont en effet autorisé que le montant de la contribution communale soit fixée pour Paris selon des règles dérogatoires à celles applicables aux autres départements français : "la répartition des dépenses d'aide sociale entre la commune et le département est fixée par le conseil de Paris". Contrairement aux autres départements, la contribution communale est utilisée pour assurer l'équilibre du budget départemental en fonction de l'évolution des dépenses d'aide sociale, d'une part, et des recettes fiscales indirectes tirées des droits de mutation, d'autre part.

En vertu de ce régime spécifique, le montant de la participation financière de la ville de Paris est beaucoup plus élevé qu'ailleurs : elle représentait, en 1988, 73,3 % des dépenses nettes légales (DNL), soit 714 francs par habitant, pour une moyenne nationale de 141 francs par habitant ; sa part dans le financement des DNL s'est progressivement réduite pour atteindre 20,2 %, en 1992, se traduisant par une diminution de son montant en valeurs absolues : 1 537 millions en 1988 et 548 millions en 1992. En 1993, le montant de la participation de la ville de Paris aux dépenses d'aide sociale du département a presque triplé, pour atteindre 1 431 millions. De ce seul fait, la moyenne nationale de la part de la contribution communale dans le total des dépenses nettes légales a enregistré une augmentation, comme l'illustre le tableau ci-dessus.

De fait, si l'on exclut le cas de Paris, la part de la contribution communale dans le financement des dépenses nettes légales est restée stable, évoluant de 16,1 % en 1988 à 15,7 % en 1992 et 1993. La contribution financière demandée aux communes s'est donc maintenue depuis cinq ans.

En 1993, le montant de la contribution communale rapporté au nombre d'habitants variait, selon les départements, de 45 francs à 368 francs ; sa part dans l'ensemble des dépenses nettes légales allait de 5,6 % à 36,8 %. Dans 45 départements, la part de la contribution communale dans le total des dépenses nettes légales a diminué depuis 1988 ; elle a augmenté dans 51 autres, restant égale dans deux cas.

Si les disparités constatées en 1993 sont donc importantes, il semble que les écarts soient restés constants depuis 1988 : le nombre des départements dont la contribution communale représente plus de 25 % des dépenses nettes légales n'a quasiment pas évolué, tandis que ceux où ce taux de contribution n'atteint pas 15 % est passé de 23 à 27 départements. Cette relative stabilité des écarts de situation entre les départements résulte, principalement, de l'application des garanties prévues par la réglementation, en vue de limiter la possibilité laissée aux départements d'accroître le taux de la contribution demandée aux communes.

Ce taux est calculé sur la base du contingent communal appliqué en 1983 et ne peut évoluer que dans la même proportion que l'augmentation des dépenses nettes d'aide sociale départementales ; dans la seule hypothèse où la participation financière moyenne des communes d'un département serait inférieure au taux moyen national (25), le conseil général a la possibilité de procéder à un rattrapage progressif en augmentant le taux de la contribution communale, dans la limite de 1 point par an.

(25) Cette moyenne nationale est constatée par un arrêté conjoint du ministre chargé des affaires sociales et le ministre de l'intérieur ; la moyenne pour 1993 a été fixée par l'arrêté interministériel du 19 janvier 1993 à 15,3 %.

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Il semble donc que les conseils généraux n'aient eu que modérément recours à la possibilité d'appliquer cette majoration de 1 point. Cette pratique a été observée dans l'Allier, la Gironde et la Sarthe où les taux de participation communale, très inférieurs à la moyenne nationale, ont conduit le conseil général à appliquer, presque chaque année, une augmentation de la contribution supérieure de 1 point à celle des dépenses nettes légales. A l'inverse, certains départements ont fait un choix favorable aux finances communales en appliquant un taux d'évolution inférieur à celui constaté pour les dépenses d'aide sociale de l'année de référence.

Ces choix ne semblent pas avoir de lien avec la situation financière des départements. Ainsi, parmi les 41 départements ayant un potentiel fiscal au moins égal à 1 000 francs par habitant, le montant de la contribution communale dépasse, dans 25 d'entre eux, 19 % des dépenses nettes légales (moyenne des départements métropolitains hors Paris). Il ne ressort donc pas que les pratiques des départements en matière d'évolution de la contribution communale dépendent directement de leur situation financière ou de l'évolution des dépenses sociales.

- DES REGLES DE CALCUL SOUVENT IGNOREES : Le système mis en place à la suite de la décentralisation s'avère particulièrement

complexe. La détermination de la contribution d'une commune comprend deux phases principales ; la première permet de fixer la contribution globale mise à la charge de l'ensemble des communes ; la seconde répartit cette contribution entre les communes du département selon des modalités spécifiques définies par le pouvoir réglementaire. Le détail de cette procédure frappe par son extrême complexité qui tient notamment au mode de calcul de la participation de l'ensemble des communes : celle-ci fait d'abord l'objet d'une première évaluation au moment de la préparation du budget primitif de l'année N à laquelle elle se rapporte ; elle est ensuite définitivement arrêtée dans le courant de l'année N + 1 au vu du compte administratif de l'année N.

Au regard de la réglementation, la détermination de l'assiette de la contribution communale représente l'étape essentielle du calcul de la participation financière de l'ensemble des communes et repose avant tout sur le montant des dépenses nettes départementales d'aide sociale. C'est pourquoi le conseil général de chaque département doit établir un rapport (article 42 de la loi n° 82-213 du 2 mars 1983 ; article 5 du décret n° 83-1123 du 23 décembre 1983) énonçant "les modalités de calcul de la contribution globale des communes du département. Il fait état des dépenses qui, par application de l'alinéa 2 de l'article 34 de la loi du 22 juillet 1983 susvisée, ne sont pas prises en compte pour le calcul de cette contribution. Les mêmes indications sont portées sur un document annexé à la délibération du conseil général".

Il convient de rappeler, en effet, que les communes ne sont tenues de participer qu'à l'ensemble des dépenses d'aide sociale légale, dites obligatoires. De nombreux manquements à cette règle ont toutefois été relevés dans certains des départements inclus dans l'enquête.

Des dépenses d'aide sociale facultative sont ainsi parfois incluses dans la base de calcul de la contribution communale contrairement aux termes de l'article 34 de la loi du 22 juillet 1983 qui précisent que le département assure seul la charge financière des décisions qu'il prend au titre de l'aide sociale facultative dans la mesure où il accorde des prestations selon des conditions et des montants plus favorables que ceux définis par la législation et la réglementation en vigueur. A cette fin, la nomenclature comptable prévoit un chapitre 957 "aide sociale facultative" permettant d'y imputer l'ensemble des dépenses d'aide sociale auquel la participation des communes n'est pas obligatoire.

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Certes les dépenses facultatives ne représentaient, au plan national, qu'à peine 3 % des dépenses nettes d'aide sociale en 1988 et ont même eu tendance à diminuer depuis (2,6 % en 1993). Mais, sous couvert de mauvaises imputations, ces dépenses sont parfois incluses dans les chapitres de dépenses d'aide sociale légale et ne sont donc pas déduites de l'assiette de la contribution communale. Tel est le cas du département du Puy-de-Dôme qui a institué, notamment, un service de suivi à domicile, au profit d'handicapés disposant d’une capacité de vie autonome mais relevant normalement d’un hébergement de la compétence du département. Les dépenses correspondantes (3 262 353 francs en 1993) sont imputées au chapitre 956-6 (compte 6435), réservé à l'aide sociale légale en faveur des personnes handicapées.

De même dans l'Allier, des prestations dites "extra-légales", d'un montant non précisé par le département, sont maintenues dans l'assiette servant de base au calcul de la contribution communale ; il s'agit soit de prestations supplémentaires créées par le conseil général, soit de dispositions plus favorables appliquées aux prestations légales. Dans le département de la Sarthe, les dépenses de subventions, d'un montant de 5 420 282 francs en 1993, sont inscrites à un chapitre réservé à l'aide sociale légale (954 "aide sociale à l'enfance" art. 657 et 6429.1). Le département de l’Orne inscrit, depuis juin 1990, au chapitre 959 (compte 64094), au titre des dépenses d'aide sociale légale, des prestations facultatives concernant exclusivement l’aide médicale des personnes allocataires du RMI (prothèses dentaires, lunettes), pour un coût il est vrai modeste (63 453 francs en 1993).

Enfin, certains départements incluent des dépenses d'investissement dans l'assiette de la contribution communale. Ainsi, le département de la Gironde qui, jusqu'en 1992, ne prenait en compte que des dépenses de fonctionnement, a inclus depuis lors, dans la base de calcul de la contribution communale, les dépenses d'investissement représentatives de l'effort du département en faveur des résidences pour personnes âgées (rénovation des résidences soit 23 130 000 francs) ou des associations (équipement sanitaire et social, pour un montant de 15 473 000 francs). La Loire-Atlantique procède de la même manière, à hauteur de 2 873 600 francs d'investissement.

Il apparaît pourtant que la notion d'aide sociale légale est définie strictement tant par le décret du 31 décembre 1987 que par la circulaire publiée le 26 janvier 1988 par la direction générale des collectivités locales. Cette réglementation prévoit également que la participation financière des communes ne s'étend qu'aux dépenses nettes d'aide sociale et de santé, entendues après déduction des dépenses obligatoires comprises dans la base de calcul, de toutes les recettes "en atténuation de dépenses". De fait, le manque de rigueur de certains départements, relevé précédemment, en matière de suivi des recouvrements a pour effet, là encore, de reporter indirectement sur les communes une charge financière indue.

De même, la décision de nombreux départements de ne plus mettre en jeu l'obligation alimentaire pour l'aide médicale à domicile et pour les ascendants du premier degré, conformément à la possibilité ouverte en ce sens par la circulaire du ministre des affaires sociales n° 88-02 du 8 janvier 1988, pose un problème de même nature. Laissée à l'initiative des conseils généraux, cette mesure favorable aux familles s'apparente à une dépense facultative relevant de la seule responsabilité financière du département. Le surcoût induit ne peut cependant être précisément mesuré et est répercuté intégralement dans l'assiette communale. Dans la Loire-Atlantique, cette mesure a été évaluée à environ 1,6 million de francs.

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L'ensemble de ces pratiques contribue en définitive à transférer irrégulièrement ou abusivement sur les communes une charge financière supplémentaire.

- UNE MOINDRE PEREQUATION FINANCIERE ENTRE LES COMMUNES : Une fois la contribution globale annuelle déterminée, le conseil général répartit

entre les communes cette charge financière dans les conditions fixées par les articles 5 à 8 du décret n° 87-1146 du 31 décembre 1987 qui a prorogé, pour l'essentiel, le dispositif mis en place par le décret du 23 décembre 1983 applicable aux exercices 1984 à 1987.

La procédure prévoit que la contribution communale globale est divisée en deux parts, réparties entre les communes selon des modalités spécifiques. La première part est répartie entre les communes selon la contribution de chacune d'elles en 1984 ; la seconde part est variable et mise à la charge de chaque commune selon sa situation au regard de trois rubriques : la situation financière de la commune mesurée à l'aide des composantes de la dotation globale de fonctionnement (DGF) ou du potentiel fiscal ; le nombre des bénéficiaires ou des admissions à l'aide sociale provenant de la commune ; la structure par classe d'âge de la population ou la situation de l'emploi.

Pour la première année de mise en oeuvre, en 1988, la seconde part était limitée à 40 %. Depuis lors, les conseils généraux ont eu la possibilité de l'augmenter, dans la limite de 10 points par an. L'objectif de cette démarche était d'aboutir dès 1994, dans un maximum de départements, à une participation financière communale calculée à l'aide des seuls critères regroupés sous les trois rubriques précitées.

Au terme de cette période, il est toutefois apparu que tous les départements n'ont pas adopté la même attitude. Sept départements sur les trente quatre de l'enquête ont utilisé, dans toute son ampleur, la faculté de faire évoluer la proportion respective des deux parts, de sorte que, dès 1994, la seconde a représenté la totalité de la charge financière entre les communes. Quatre autres en sont encore à une situation proche de celle constatée lors de la décentralisation, la première part représentant toujours la référence principale de la répartition. Entre ces deux extrêmes, la situation est variable mais l'évolution constatée tend à conférer à la seconde part un poids toujours plus important.

Pour la détermination de la seconde part, les départements ont été libres de pondérer la part respective, au sein de chaque rubrique, des différents critères limitativement énumérés par le décret du 31 décembre 1987. Les conseils généraux sont cependant tenus de prendre en compte "l'un au moins des critères de chaque rubrique".

Selon qu'un conseil général privilégie plus ou moins les critères de richesse (DGF et potentiel fiscal) des communes, par rapport au nombre d'admissions ou de bénéficiaires de l'aide sociale, sa politique a des effets plus ou moins redistributeurs. L'examen des choix effectués par les départements inclus dans l'enquête montre qu'à ce jour, seize d'entre eux, soit la majorité, ont attribué aux critères financiers un poids inférieur ou égal à 50 %. A l'inverse, une certaine solidarité entre les communes semble avoir été privilégiée dans les onze départements où le poids des critères financiers déterminait l'essentiel de la répartition.

- DES TENSIONS CROISSANTES SUR LES FINANCES DE CERTAINES COMMUNES : Dénoncée par certaines communes pour sa complexité, la contribution communale

a pu entraîner des difficultés financières pour les collectivités locales, sans pour autant que celles-ci soient dues, bien évidemment, au seul montant de la participation communale aux dépenses d'aide sociale.

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Ainsi certaines chambres régionales des comptes ont eu à intervenir dans le cadre de leur mission de contrôle budgétaire de communes. Dans la Loire, le budget d'une commune ne retraçait pas l'inscription des crédits nécessaires au règlement de la contribution communale dont le montant avait augmenté de 19,5 %, entre 1993 et 1994 ; de la même manière, dans le Puy-de-Dôme, une commune contestait l'évolution importante du montant de cette dépense et n'avait pas inscrit la totalité des crédits correspondants.

D'importants retards de paiement ont été également constatés : ils concernent le quart des communes du Rhône, quatre communes dans le Pas-de-Calais et atteignent plusieurs mois dans la Savoie. Dans un contexte financier également difficile, le montant des restes à recouvrer du département de l'Isère, au titre de la contribution communale, atteignait 22,5 millions au 31 décembre 1993.

La contribution communale est le dernier vestige du système des financements croisés. Son augmentation peut difficilement être présentée comme la contrepartie de la participation des communes aux responsabilités du département dans le domaine de l'aide sociale car, dix ans après la décentralisation, celle-ci est de plus en plus limitée (cf. III.C.1.).

2° UNE CHARGE CROISSANTE SUR LES BUDGETS DEPARTEMENTAUX La situation financière des départements, depuis le transfert de l'aide sociale, a

évolué selon une logique proche de celle que connaissent les autres organismes sociaux : leurs recettes dépendent de la situation économique, leurs dépenses de la situation sociale. Cette divergence explique que les départements aient connu, depuis 1984, deux phases distinctes : jusqu'en 1988, la progression sensible des ressources transférées en compensation de la décentralisation s'est accompagnée d'une évolution très modérée de leurs charges nettes d'aide sociale. Depuis 1988, les difficultés économiques et sociales se sont traduites à la fois par une stagnation puis par une diminution des ressources issues de la fiscalité indirecte et par une accélération des dépenses sociales. L'augmentation de la part des dépenses d'aide sociale dans les budgets départementaux tend, depuis 1991, à resserrer leurs marges de manoeuvre financière et à peser sur leurs dépenses d'investissement.

A) LES RESSOURCES DEPARTEMENTALES ET LES DEPENSES D'AIDE SOCIALE EVOLUENT DE MANIERE DIVERGENTE

Entre 1984 et 1988, les départements ont bénéficié d'une tendance budgétaire doublement favorable. Leurs dépenses nettes d'aide sociale, qui avaient progressé, en francs constants, de 6 % par an en 1982 et 1983, ont diminué, après la décentralisation, en francs constants, jusqu'en 1988. Cette évolution s'est accompagnée, au cours de la même période, d'un net accroissement des ressources fiscales indirectes transférées en compensation de la décentralisation de l'aide sociale : leur produit correspondait à 24,3 % des dépenses brutes d'aide sociale en 1984 ; elles atteignaient 48,9 % de ces mêmes dépenses en 1988.

Le même phénomène a été observé pour la dotation générale de décentralisation dont les évolutions sont également liées à la situation économique ; son montant total représentait 16,2 % des dépenses totales brutes d'aide sociale en 1984, et 21,4 % en 1988.

Dans ce contexte, les ressources fiscales vont rapidement dépasser le montant total des charges nettes d'aide sociale : ces dernières s'élevaient, en 1988, à 30,4 milliards tandis que la DGD et les recettes fiscales transférées totalisaient 40,5 milliards de francs, permettant ainsi aux départements de dégager d'importantes ressources disponibles pour financer d'autres dépenses de fonctionnement et développer un haut niveau

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d'investissement. La part des dépenses brutes d'aide sociale dans le total des dépenses réelles de fonctionnement des départements s'est ainsi réduite de 59 % en 1984, à 55,5 % en 1988. En ne retenant que les seules dépenses directes, leur part dans les dépenses de fonctionnement est passée de 52,6 % à 48,5 %.

Le renversement de tendance observé depuis 1988 s'est traduit, en premier lieu, par la progression sensible des dépenses d'aide sociale. Celle-ci s'explique par la conjugaison d'un ensemble de facteurs sociaux et démographiques examinés plus haut, parmi lesquels figurent la revalorisation du coût d'hébergement des personnes accueillies en établissement et l'augmentation des demandes de prise en charge, notamment pour les personnes handicapées et les bénéficiaires de l'ACTP. En outre, la mise en place des dispositifs de lutte contre l'exclusion, liés au revenu minimum d'insertion, a créé une charge nouvelle pour les départements sans que celle-ci ait donné lieu à une compensation financière spécifique.

En effet, le revenu minimum d'insertion, les fonds d'aide aux jeunes, les fonds solidarité logement n'ont pas constitué, à proprement parler, des transferts de compétences jusqu'alors exercées par l'Etat. Les règles de compensation fixées par les lois de décentralisation n'avaient donc pas à s'appliquer. De plus, ces nouvelles obligations financières ont été mises à la charge des conseils généraux alors que ces derniers apparaissaient, en 1989, dans une situation financière favorable. L'idée avait alors prévalu que les dépenses d'insertion mises à la charge des conseils généraux au titre du RMI seraient compensées par des économies de même montant, faites sur les allocations mensuelles versées dans le cadre de l'aide sociale à l'enfance et à la famille et de l'aide médicale générale. L'examen des comptes administratifs indique toutefois qu'il n'en a rien été.

Si l'on a pu constater, entre 1988 et 1993, une diminution du montant des allocations diverses versées aux familles (-722,3 millions) et des sommes consacrées à l'aide médicale hospitalière et à domicile (-425,9 millions), celle-ci a été plus que compensée par le montant des dépenses liées non seulement à l'insertion des bénéficiaires du RMI (2 136 millions en 1993) mais également à la prise en charge des cotisations d'assurance personnelle (+2 196 millions). Au total, la mise en oeuvre du RMI avait entraîné, pour les départements, une charge supplémentaire estimée en 1993 à 3 183,8 millions. Celle-ci s'est sensiblement élevée depuis lors, à mesure de l'augmentation continue du nombre des allocataires (environ 15 % par an) et de l'amélioration progressive du taux de consommation des crédits d'insertion ouverts dans les budgets des conseils généraux.

Inversement, le ralentissement économique, notamment dans le secteur immobilier, a conduit, depuis 1990, à une diminution des recettes issues de la fiscalité indirecte. L'évolution de la dotation générale de décentralisation, indexée sur celle de la DGF, a subi également les effets de la récession économique. Aussi, les évolutions inverses des dépenses d'aide sociale et des recettes transférées, liées l'une et l'autre au contexte socio-économique, se sont--elles traduites par un effet de ciseaux, illustré par le graphique ci-après :

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Cour des comptes - rapport public particulier – La décentralisation en matière d’aide sociale (décembre 1995) 51

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source : graphique établi à partir de données de la DGCL.

Cette situation de déséquilibre des finances départementales ne remet pas pour autant en cause l'équité des règles de compensation mises en oeuvre en 1984. Les principes fixés par le législateur n'ont pas établi de lien entre l'évolution des charges et celle des ressources transférées, ces dernières n'étant pas spécifiquement affectées au financement exclusif des premières. De plus, la divergence d'évolution des recettes et des dépenses transférées en 1984 a permis aux départements de pleinement bénéficier, jusqu'à la fin des années quatre-vingt, de la conjoncture économique favorable et de financer d'autres dépenses que celles afférentes à l'aide sociale. Il reste que la progression des dépenses sociales obligatoires des départements, dans un contexte économique et social devenu aujourd'hui difficile, et marqué par une diminution des recettes indirectes, a sensiblement resserré les marges de manoeuvre budgétaire des départements et pesé sur la fiscalité directe.

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. B) UN POIDS BUDGETAIRE DE PLUS EN PLUS LOURD Perceptible dès 1988, la croissance des dépenses sociales a atteint, à compter de

1990, un rythme très supérieur à celui de l'ensemble des dépenses de fonctionnement des départements : en 1993, ces dernières progressaient de 5,5 %, alors que les dépenses sociales augmentaient encore de 7,6 % par rapport à l'année précédente. De fait, la part des dépenses sociales dans les budgets départementaux s'est sensiblement accrue ; les dépenses brutes représentent ainsi, depuis 1993, 58,9 % des dépenses réelles de fonctionnement. Si l'on ne retient que les dépenses directes, leur part atteint, à nouveau, plus de la moitié du total.

Ce poids budgétaire prédominant des dépenses sociales doit cependant, pour être traduit en termes financiers, tenir compte des contributions des bénéficiaires et des communes, perçues par les départements au titre de l'aide sociale. L'écart entre les dépenses brutes et les charges nettes peut atteindre des proportions souvent importantes, certains départements limitant considérablement la charge nette restant à financer par une politique active de récupération sur bénéficiaires et un effort contributif demandé aux communes relativement élevé : deux départements ont ainsi limité, en 1993, à moins de 50 % la part des dépenses brutes financées directement par le département ; à l'inverse, cette proportion dépasse les 80 % dans six départements.

Il reste que les charges nettes, représentant le solde des dépenses sociales réellement à la charge financière des départements, ont connu une progression similaire, passant de 30,6 % à 33,8 % des dépenses de fonctionnement.

Ev o lutio n (1 9 8 4 -1 9 9 3 ) de la pa rt de s dé pe ns e ss o c ia le s da ns le to ta l de s dé pe ns e s ré e lle s de

fo nctio nne me nt

30,0%35,0%40,0%45,0%50,0%55,0%60,0%

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t (1) Les dépenses nettes sont égales à la différence entre les dépenses brutes et les recouvrements sur bénéficiaires (recettes directes) ; les charges nettes sont égales à la différence entre les dépenses nettes et la contribution communale

La part des dépenses brutes d'aide sociale peut atteindre, dans certains départements, un niveau particulièrement élevé. Ainsi, dans six départements les dépenses brutes dépassent 60 % des dépenses de fonctionnement. Là encore, les disparités financières sont importantes puisque huit départements enregistrent, à l'inverse, un niveau de dépenses brutes inférieur à 40 % des dépenses de fonctionnement. Surtout, plusieurs départements ont vu la part des dépenses sociales dans leur budget de fonctionnement augmenter considérablement : dans six cas, elle a progressé de plus de dix points ente 1988 et 1995.

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L'analyse des résultats enregistrés en 1993, par rapport à l'année précédente, montre que l'augmentation de 5 % des dépenses réelles de fonctionnement, passées de 115 à 121,1 milliards de francs, est due, pour près des neuf dixièmes, à l'augmentation des dépenses sociales. Dans le même temps, les recettes de fonctionnement accusaient une croissance légèrement inférieure, de 4,1 %, due exclusivement au seul accroissement de la fiscalité directe (+ 10 %) ; les recettes liées à la fiscalité indirecte ont, en effet, diminué de 4 % par rapport à 1992, et les dotations de l'Etat de 1,6 %.

Ainsi, pour faire face à la croissance des dépenses de fonctionnement, essentiellement due à celle des dépenses d'aide sociale, la quasi-totalité des départements a dû procéder à une augmentation de la fiscalité directe. Entre 1988 et 1993, la progression de 26,8 % des recettes de fonctionnement s'est expliquée, en effet, par une croissance modérée, de 14,4 %, des recettes issues de la fiscalité indirecte et des dotations de l'Etat, d'une part, et, plus fondamentalement, par une augmentation de 50,4 % de la fiscalité directe. Celle-ci représentait, en 1993, 46,3 % des recettes totales de fonctionnement, au lieu de 38,8 % en 1988.

Dans le même temps, on constate une réduction de l'épargne nette des départements : -21,7 % entre 1992 et 1991 ; -9,7 % entre 1993 et 1992. Cette moindre aisance financière s'est répercutée sur le niveau des investissements qui a accusé une diminution de 4,6 % en 1993 ; cette baisse a dépassé 15 % dans dix-huit départements.

***

La situation budgétaire tendue des départements tient, pour une large part, à l'accélération des dépenses d'aide sociale. Or, celle-ci n'affecte pas de la même manière tous les départements. L'analyse des liens entre dépenses sociales et potentiel fiscal a permis d'établir, précédemment, une relation négative pour les dépenses légales et positive pour les dépenses facultatives : la richesse relative des départements détermine logiquement les besoins de prise en charge des populations résidentes au titre de l'aide sociale légale et entraîne, de fait, un montant de dépenses par habitant d'autant plus élevé que le potentiel fiscal est faible ; à l'inverse, les dépenses d'aide sociale facultative tendent à être plus importantes dans les départements disposant des marges de manoeuvre budgétaire suffisantes.

Cette situation se conjugue de surcroît avec une logique d'évolution divergente des recettes fiscales et des dépenses sociales, dont les effets sont d'autant plus accentués que le département dispose d'un potentiel fiscal limité. Pour autant, la compensation des transferts de compétence n'a pas pris en considération cette relation : la dotation générale de décentralisation n'est, en effet, que très partiellement fondée, pour sa répartition, sur un mécanisme de péréquation.

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RESUME DE LA DEUXIEME PARTIE

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Les départements ont enregistré, à partir de la fin des années quatre-vingts, une accélération sensible de leurs dépenses d'aide sociale, alimentée principalement par les dépenses d'hébergement des personnes handicapées, l'allocation compensatrice pour tierce personne, les dépenses liées à l'insertion et les dépenses de personnel des services sociaux du département. Le rythme moyen d'augmentation est devenu, depuis 1988, trois fois supérieur à celui observé au cours des premières années suivant le transfert de compétences, marquées par une diminution des dépenses en francs constants. La répartition des dépenses entre les grandes catégories de bénéficiaires s'est peu à peu équilibrée, l'aide sociale à l'enfance ne représentant qu'à peine plus de 30 % du total, les personnes âgées et handicapées se situant à un niveau voisin, supérieur à 20 %, les dépenses d'insertion totalisant 12 %.

La croissance enregistrée dans le domaine de l'aide sociale s'est traduite par des tensions nouvelles sur les budgets départementaux. Ces tensions sont d'abord dues à la diminution relative des recettes perçues au titre de la participation des bénéficiaires de l'aide sociale et de la contribution des communes. Elles s'expliquent ensuite par la diminution des ressources fiscales indirectes, transférées en compensation de la décentralisation de l'aide sociale. Elles se traduisent enfin par le poids de plus en plus élevé des dépenses d'aide sociale, devenues majoritaires dans le budget de fonctionnement des départements, ceux-ci assurant leur financement par l'augmentation de la fiscalité directe et une limitation de leurs investissements.

Cette évolution échappe pour partie aux départements dont l'emprise sur les déterminants de la dépense d'aide sociale est limitée par le caractère légal des prestations et par la faible participation des conseils généraux à de multiples procédures de décision. Réduite, leur marge de manoeuvre n'est cependant pas nulle. Par la définition de leur politique d'aide sociale, par l'organisation de leurs services et le contrôle des partenaires associés à la gestion des prestations, les départements disposent en effet de moyens non négligeables dans l'exercice de leurs compétences.

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TROISIEME PARTIE

LES OBSTACLES A UN PLEIN EXERCICE DE LEURS COMPETENCES PAR LES DEPARTEMENTS

Par le transfert d'une compétence de droit commun à un échelon de décision proche des usagers, le législateur a souhaité favoriser la définition d'une véritable politique d'aide sociale et de santé assise sur une connaissance précise des besoins. Il escomptait également que cette plus grande responsabilité confiée aux départements permettrait une meilleure gestion des moyens consacrés à l'aide sociale. Enfin, l'association de partenaires, tels que les communes ou les associations, voire de certains organismes de protection sociale, à l'exercice de ces compétences devait permettre aux départements de mettre en oeuvre leurs actions en s'appuyant sur des relais traditionnels.

Dix ans après la décentralisation, il s'avère cependant que la définition des politiques reste aujourd'hui lacunaire, que le développement important des moyens mis en oeuvre par les départements s'est accompagné d'une mutation encore lente et difficile de l'organisation de leurs interventions ; enfin, que le recours à des partenaires extérieurs n'a pas été assorti des contrôles nécessaires.

A. - UNE DEFINITION LACUNAIRE DES POLITIQUES D’AIDE SOCIALE

En confiant le pouvoir de décision à un échelon politique proche des usagers, la décentralisation entendait favoriser une meilleure connaissance des besoins à satisfaire et une définition plus efficace des moyens pour y parvenir. Elle souhaitait également permettre aux départements de développer, à partir d'un socle de prestations légales garanties à tous les usagers et offertes sur tout le territoire, des dispositifs supplémentaires répondant à des demandes ou des besoins spécifiques tout en veillant à ce que l'usager soit partout clairement informé de ses droits.

Pour inciter les élus départementaux à mieux identifier la meilleure manière de répondre aux besoins locaux et à définir clairement leur politique, la loi du 22 juillet 1983 a donné compétence aux conseils généraux pour, d’une part, adopter un règlement départemental d’aide sociale et, d’autre part, arrêter le schéma départemental des établissements sociaux et médico-sociaux institués par la loi du 30 juin 1975 ; ces deux documents auraient dû constituer les deux pièces maîtresses de la politique sociale locale.

Dix ans plus tard, l'attente du législateur n'a pas été satisfaite ; les schémas et les règlements départementaux commencent seulement à être mis en place dans la plupart des départements. Surtout, la faiblesse des moyens d'observation prive souvent ces derniers d'une connaissance suffisante des besoins pour que les schémas existants soient un véritable outil de programmation. Enfin, le développement encore limité de l'aide sociale facultative n'a pas favorisé l'adoption des règlements départementaux d'aide sociale, instrument pourtant indispensable à la protection des usagers dans le cadre du contrôle de légalité.

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1° DES BESOINS MAL CONNUS

A) DES OUTILS D'OBSERVATION LIMITES La plupart des départements étudiés dans le cadre de l'enquête ne se sont pas dotés

d'outils d'observation propres. Cette absence est regrettée par certains départements, comme la Corse-du-Sud ou le Lot dont les responsables ont constaté qu’un système de connaissance des besoins, formalisé mais souple, leur faisait incontestablement défaut, notamment pour apprécier les efforts fournis et appréhender les besoins sur le moyen terme. Faute d'avoir mis en place des moyens formalisés d'études statistiques et d'évaluations des besoins, certains départements semblent aujourd'hui largement dépourvus d'informations précises leur permettant d'engager un effort d'analyse et de prévision.

Le département de la Savoie dépend pour l'essentiel d'études conduites par les services de l'Etat dont les conclusions ne lui sont pas toujours communiquées. En Haute-Saône, l'assemblée départementale ne s'est dotée que depuis mars 1992 d'une commission spécialisée dans l'action sociale, sans avoir mis en place de véritables outils d'observation. Dans la Loire, le département ne possédait, au moment de l'enquête, aucune information statistique de portée générale et ne disposait des résultats que d'une seule enquête, menée par ses services, sur les foyers-résidences gérés par la ville de Saint-Etienne. Enfin dans l'Ardèche, les services du conseil général n'ont pas réellement formalisé de moyens d'études statistiques et d'évaluation des besoins.

Cette lacune ne s'explique pas seulement par un souci de limiter les coûts de fonctionnement puisque les structures spécialisées dans l'étude du champ social n'ont guère été sollicitées pour contribuer à l'information du département. Ainsi, les observatoires régionaux de la santé (26) n'ont été utilisés que dans deux régions (Aquitaine et Pays-de-la-Loire), pour intervenir toutefois sur des sujets parfois très ponctuels : ainsi, le département des Landes a utilisé les services de l'ORS pour des études sur la mortalité infantile, sur la mortalité dans le département, sur les employés de maison au service des personnes âgées. De même, les informations détenues par les COTOREP ne sont pas systématiquement exploitées en vue de préciser l'ampleur des demandes. Il est vrai, cependant, que ces données ne sont pas partout disponibles, les COTOREP n'étant pas toujours en mesure de fournir des éléments sur les orientations non ou mal satisfaites.

Enfin, le regroupement des différents partenaires intervenant dans le champ social en vue de se doter d'un outil d'observation commun n'a guère été pratiqué que dans le département de l'Isère à travers la constitution d'un groupement isérois d’observation sociale, sous la forme d'un groupement d'intérêt public, réunissant le conseil général, la DDASS, la direction départementale de l'équipement, la direction départementale du travail, de l'emploi et de la formation professionnelle, l'agence nationale pour l'emploi et la caisse d'allocations familiales.

La position de certains départements, longtemps restée réservée vis-à-vis de l'idée même d'évaluation des besoins, a récemment évolué. La plupart marquent un intérêt de plus en plus développé, depuis le début des années quatre-vingt-dix et l'accélération des dépenses d'aide sociale, pour la constitution de services ou de cellules de recherches et d’études. Dans le Haut-Rhin, un observatoire haut-rhinois de l’action sociale a été créé en

(26) Les observatoires régionaux de la santé sont des organismes privés de type associatif financés en partie par l'Etat, dont l'organisation et les missions ont été définies par les circulaires des 28 juin et 31 octobre 1985.

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1991 ; en 1994, le département de la Mayenne s'est doté d’une cellule dite “observatoire départemental de la réalité sociale”; l'Ain a créé en 1994 un observatoire départemental de l’enfance en danger ; enfin, dans les Hauts-de-Seine un observatoire départemental de l’action sociale et médico-sociale a été fondé en 1993.

Il est évidemment trop tôt pour pouvoir apprécier l’efficacité de ces investissements réalisés par un nombre encore limité de départements pour mieux cerner les besoins sociaux des populations relevant de l'aide sociale. Ces efforts tardifs, dix ans après la décentralisation, illustrent la volonté des conseils généraux de rechercher une meilleure maîtrise de l’offre sociale face à une demande croissante. Ces constatations confirment, cependant, que jusqu’à présent les besoins étaient d’une manière générale mal appréhendés, malgré un recours fréquent, mais souvent anarchique, aux études extérieures.

. B) DE FREQUENTES ETUDES EXTERIEURES, RAREMENT DESTINEES A L'APPREHENSION DES BESOINS

Confrontées à d'importantes difficultés pour connaître les besoins sociaux par leurs moyens propres, les collectivités départementales ont adressé leurs commandes d’études, pour des coûts parfois importants, à des cabinets privés ou à des associations oeuvrant dans le milieu social. Les constatations faites dans les départements retenus dans le cadre de l'enquête révèlent la diversité des sujets d'études retenus sans que ceux-ci s'intègrent à l’évidence dans une logique globale d'observation des populations bénéficiaires et de définition d'une politique sociale locale. Les études témoignent plutôt d’un intérêt ponctuel pour une question relative à un segment de l’action sociale ou visent le plus souvent soit à analyser l'origine de l'augmentation des dépenses, soit à soumettre à une évaluation externe le fonctionnement des services départementaux.

Quelques cas d'études portant spécifiquement sur les besoins ont été relevés, notamment dans les Landes sur les besoins de prévention en direction des jeunes, ou dans la Sarthe sur les besoins des personnes âgées. Dans de nombreux autres cas, les études extérieures financées par les départements se sont limitées à un simple bilan des structures existantes ; tel est notamment le cas des études commandées par le conseil général de la Gironde à l'ORS d'Aquitaine sur la population âgée du département.

Quelques départements ont recouru, de manière très importante, aux études extérieures en confiant à une association ou à un cabinet de conseil le soin d'élaborer le schéma départemental des équipements et des services : en Ille-et-Vilaine, le schéma départemental adopté par le conseil général dans le domaine de l'enfance a simplement transposé les conclusions et propositions formulées par deux organismes extérieurs auxquels des études avaient été confiées. Ces études se sont parfois révélé coûteuses : le Bas-Rhin a fait ainsi réaliser son plan gérontologique pour un montant de 679 097 francs ; le Loir-et-Cher a fait élaborer son schéma départemental pour un coût définitif de 700 846 francs.

Ainsi, du fait de l’absence d’outils d’observation locaux et faute d'avoir établi, en matière d'études, une véritable stratégie d'appréhension des besoins sociaux, ceux-ci n’apparaissent pas encore suffisamment bien connus des décideurs. Peut-être faut-il y voir l'une des causes principales, avec la multiplicité des intervenants dans le domaine social (Cf. quatrième partie), de la carence des départements dans l'élaboration tant des règlements départementaux d’action sociale que des schémas départementaux des établissements sociaux et médico-sociaux.

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. 2° DES REGLEMENTS DEPARTEMENTAUX D’AIDE SOCIALE RAREMENT ADOPTES L'article 34 de la loi modifiée n° 83-663 du 22 juillet 1983, précise que le conseil

général adopte un règlement départemental d'aide sociale définissant les règles selon lesquelles sont accordées les prestations d'aide sociale relevant du département. En effet, le conseil général peut décider d’accorder les aides légales à des conditions plus favorables que celles prévues par la législation et la réglementation.

Ce document est obligatoire et rendu exécutoire dans les formes habituelles des actes des collectivités locales. Il constitue une pièce essentielle de l'information des usagers puisque l'article 124.1 du code de la famille et de l'aide sociale en fait le document de référence déterminant les conditions d'admission aux prestations d'aide sociale légale relevant du département ou créées à la propre initiative de ce dernier. Il est ainsi opposable aux usagers, aux collectivités locales. Toutefois son adoption est une obligation qui n'a pas été assortie d'un délai impératif. Il n'a donc aujourd'hui été mis en place que dans un nombre limité de départements.

. A) DES REGLEMENTS DEPARTEMENTAUX RAREMENT PUBLIES Dans le souci de dresser un bilan le plus complet possible de l'état d'avancement

des schémas et règlements départementaux, les chambres régionales des comptes ont interrogé, sur ces deux points, l'ensemble des départements métropolitains. Il ressort de ce recensement (*), qu'à ce jour, 54 des 98 départements consultés disposent d'un règlement complet. Dans quinze autres départements, le règlement adopté ne portait que sur une fraction seulement des prestations.

De nombreux départements n'ont, en effet, toujours pas adopté leur règlement départemental d'aide sociale. Sur les 98 conseils généraux interrogés, 29 ne s'en étaient pas encore dotés dont 13 n'avaient pas le projet de le faire et 16 travaillaient à son élaboration.

Dans quelques départements, l'absence de règlement a été comblée par un ensemble de délibérations prises régulièrement par l'assemblée départementale dans un certain nombre de domaines. Ainsi, en Haute-Savoie, s'il n'existe pas de règlement formalisé, des délibérations ont été prises sur la carte santé-solidarité, sur le minimum des ressources laissé aux personnes handicapées, sur les services d'accompagnement et sur le surcoût horaire des aides ménagères.

C’est parmi les départements qui ont adopté le plus tôt leur règlement départemental d’aide sociale qu'ont été décelées le plus grand nombre de dispositions caduques ou obsolètes, faute que le règlement ait été normalement actualisé.

Le département du Pas-de-Calais justifie l'absence, à ce jour, d'un règlement par le souci explicite de préserver l'autonomie de décision des commissions d'aide sociale. Une telle option, certes inspirée par la recherche d'une adaptation fine des solutions aux cas particuliers, ouvre la possibilité d'une rupture de l'égalité des usagers en matière d'accès aux prestations.

Le peu d'empressement des départements pour s'en doter traduit souvent une remise en cause de l'utilité du règlement. Certains responsables départementaux ont en effet justifié son inexistence par le fait que ce document se limiterait, par la faiblesse des prestations extra-légales, à la simple réplique du code de la famille et de l’aide sociale. De surcroît, son actualité serait sans cesse périmée par la fréquence des modifications

(*) Voir annexe 3.

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réglementaires ou législatives en matière d’action sociale et de santé.

Il semble plutôt que cette réserve tienne davantage à ce que les règlements départementaux devaient, dans l'esprit du législateur, permettre aux départements de rassembler, dans un même document, l'aide sociale légale et les prestations supplémentaires ou les conditions d'accès plus favorables mises en place par l'assemblée départementale par rapport à celles prévues par le code de la famille et de l'action sociale. Or, le plus souvent, l'absence de règlement coïncide avec la faiblesse de l'aide sociale facultative.

. B) LE DEVELOPPEMENT LIMITE DE L’AIDE SOCIALE FACULTATIVE L’aide sociale facultative a pour finalité de permettre aux départements d’adapter

la réglementation nationale dans un sens plus favorable aux usagers. Ce type d’aide se situe donc au coeur des préoccupations d'un règlement départemental d’aide sociale. Son faible développement explique donc, en partie, le nombre limité des départements dotés d'un règlement.

Les dépenses facultatives ne représentaient, en 1988, que 3,2 % du total des dépenses nettes d'aide sociale ; elles ont diminué depuis pour n'atteindre, en 1993, que 2,8 %. Moins d'un quart des départements ont enregistré une tendance inverse, marquée par une augmentation des dépenses facultatives plus importante que celle du total des dépenses nettes d'aide sociale. Il est à noter que trois départements seulement y consacrent plus de 10 % de leurs dépenses nettes.

Dans la plupart des cas, les prestations supplémentaires mises en place ont concerné l'aide médicale. Les départements élargissent ainsi le champ des soins pris en charge : prothèses dentaires, frais d'optique, vaccin antigrippe sont ainsi fréquemment remboursés intégralement. Dans d'autres cas, les départements élargissent l'accès à l'aide médicale pour les personnes dont les ressources vont au-delà du RMI : la création de la carte Paris Santé a eu pour objectif de faciliter l'accès aux soins des personnes sans couverture sociale ; d'autres conseils généraux ont étendu le bénéfice de cette prestation aux personnes dont les revenus dépassent de 40 % le RMI.

En direction des personnes âgées, les départements concentrent pour l'essentiel leurs prestations supplémentaires sur le maintien à domicile : assouplissement du nombre d'heures d'aide ménagère ; gratuité dans les transports urbains ; maintien du minimum vieillesse à une personne restant à domicile en cas d'hébergement en établissement du conjoint. Enfin, les conditions de mise en jeu de l'obligation alimentaire ont été assouplies dans quelques départements où elle n'est plus opposée qu'aux enfants des personnes âgées hébergées.

Les dépenses facultatives ont toutefois enregistré, depuis 1988, une diminution de leur montant brut dans 52 départements, cette réduction dépassant 50 % dans onze départements. Le faible montant des moyens consacrés à l'aide sociale facultative s'explique, en partie, par l’effet des nombreuses imputations irrégulières de dépenses facultatives sur des chapitres réservés aux dépenses d'aide sociale légale. La nomenclature comptable des départements, où figure pourtant un chapitre 957 affecté précisément à "l'aide sociale facultative", est souvent ignorée. L’évaluation de ces mauvaises inscriptions comptables n’est pas toujours possible, y compris par les collectivités qui les pratiquent, en raison de la faiblesse de l’outil statistique de suivi de la politique sociale locale. De telles pratiques ont ainsi pu être constatées dans plusieurs départements, mentionnés plus haut, et présentent l'inconvénient d'abonder irrégulièrement l'assiette des dépenses nettes légales soumises à la contribution des communes.

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Dans d'autres cas, les dépenses d'aide sociale facultative imputées comme telles dans les comptes des départements recouvrent des dépenses n'ayant qu'une lointaine relation avec l'aide sociale. Dans le Haut-Rhin, le conseil général a imputé sur l'aide sociale facultative une subvention de 1 million de francs à l'association d'entraide aux conseillers généraux et anciens conseillers généraux, ainsi qu'une subvention de 6,9 millions à l'association du personnel de l'administration départementale pour le financement d'une prime de fin d'année. En Corse-du-Sud, les mêmes erreurs d'imputation ont été relevées : sur les 7 millions consacrés en 1993 à l'aide sociale facultative, 4,1 millions ont été affectés au financement des chèques-déjeuner des agents du conseil général.

Si le niveau global de l’action sociale facultative s’avère donc relativement faible, l’effort en ce domaine est, de surcroît, très variable selon les départements et illustre l’inégalité des efforts réalisés. En effet, les départements ont mis en place des prestations spécifiques diverses qui ne s’intègrent pas toujours dans le cadre d’une politique sociale locale par méconnaissance sans doute de la réalité des besoins.

. C) UNE PUBLICITE INEGALEMENT DEVELOPPEE Les retards, voire les réticences, des départements dans l'adoption des règlements

départementaux apparaissent d'autant plus regrettables que ce document doit constituer la référence juridique unique des règles applicables dans chaque département, offrant ainsi aux usagers un moyen d'information facile d'utilisation pour connaître l’offre de prestations sociales. Or, l'enquête des juridictions financières a permis de constater, dans les départements dotés d'un règlement, une attitude très inégale quant aux procédures de publicité mises en oeuvre pour porter à la connaissance des intéressés les prestations auxquelles ils peuvent avoir accès et les conditions à satisfaire pour en bénéficier.

Certains départements ont mis en oeuvre des moyens importants pour faire connaître les mesures existantes en faveur des personnes les plus démunies. A Paris, la diffusion du règlement est assurée auprès des usagers par des brochures thématiques disponibles dans les mairies d'arrondissement, les services sociaux de la direction de l'action sociale, de l'enfance et de la santé (DASES), les bureaux d'aide sociale (BAS), les associations, par un service télématique qui précise les principales prestations et les lieux où des renseignements peuvent être obtenus. Dans l'Allier, 5 000 exemplaires du règlement ont été diffusés auprès des institutionnels, des professionnels de la santé, des établissements habilités à recevoir les bénéficiaires de l’aide sociale, les postes comptables, les établissements hospitaliers ainsi qu’auprès des magistrats, notaires, conservateurs des hypothèques. Dans le Haut-Rhin, la diffusion a atteint 900 exemplaires destinés aux principaux partenaires (centres médico-sociaux, autres départements, associations, etc.) et a fait bénéficier les usagers d’une information thématique sous forme de plaquettes (famille candidate à l’agrément, personnes âgées).

Dans d'autres départements, la diffusion de l'information sur les prestations offertes se résume à l’application du régime habituel de publication des décisions du conseil général : elle prend alors la forme d'une simple insertion au bulletin officiel départemental ou au recueil départemental des actes administratifs.

Il arrive également que la présentation ou la forme même du règlement départemental constitue un obstacle à sa compréhension par les bénéficiaires de l'aide sociale. Ainsi, le règlement publié par le département de Seine-et-Marne en 1990, se limitait à une compilation des textes législatifs et réglementaires, cités souvent par leurs seules références. Une nouvelle version, élaborée en 1994, lui a substitué une présentation plus fonctionnelle et simple dont sont encore très éloignés la plupart des

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règlements en vigueur dans les départements qui s'en sont dotés.

Sans que de telles intentions aient été explicitement relevées, la diffusion restreinte de l'information, ou sous une forme difficilement compréhensible, peut constituer l'un des moyens possibles, sans être d'ailleurs le plus efficace, pour tenter de maîtriser l'évolution des dépenses. La diffusion limitée ou inégale de l’information ne place pas les usagers dans une situation d'égalité au regard de leurs droits en matière d'aide sociale. De manière générale, l'existence même d'un règlement offre à ces derniers une plus grande facilité pour vérifier la légalité des conditions d'ouverture par le département des prestations d'aide sociale.

. D) LE REGLEMENT D'AIDE SOCIALE, UN INSTRUMENT DE PROTECTION DES USAGERS CONTRE LES IRREGULARITES

Le règlement départemental d’aide sociale ne peut déroger aux dispositions légales et réglementaires ; le conseil général peut toutefois décider d’accorder des aides légales à des conditions plus favorables que celles prévues par la réglementation. C’est pourquoi ce document est soumis au contrôle de légalité du représentant de l’Etat dans le département dans les conditions prévues par la loi du 2 mars 1982.

Peu de cas de recours devant les juridictions administratives ont été relevés, malgré l'annulation récemment confirmée par le Conseil d'Etat du règlement départemental d’aide sociale de la Dordogne, déféré en 1987 par le préfet pour le motif qu'il comprenait de multiples dispositions restreignant l'accès aux prestations légales, notamment en matière d'allocation compensatrice pour tierce personne (ACTP).

Pourtant, la Cour, dans son rapport public particulier de novembre 1993 sur les politiques sociales en faveur des personnes handicapées adultes, avait déjà relevé le cas de départements qui demandent aux personnes handicapées sollicitant une allocation compensatrice de déposer une demande préalable auprès de la sécurité sociale, leur imposant ainsi une procédure supplémentaire non prévue par les textes. A nouveau, la présente enquête a mis en lumière un nombre important de pratiques tendant à limiter l'octroi de l'allocation compensatrice dans des conditions qui, sous réserve de l'appréciation des tribunaux compétents, paraissent irrégulières.

Dans la majorité des cas, ces restrictions portent sur l'octroi de l'ACTP aux personnes hébergées en établissement. La règle du versement de cette allocation a été admise, en effet, même lorsqu'une personne est hébergée en centre de long séjour ou en maison de retraite (Conseil d'Etat, 20 mars 1985), ces types d'établissements étant considérés comme relevant de l'hébergement et non des soins.

Dans la Meuse, le Cher et la Sarthe, l'A.C.T.P. n'est pas accordée ou n'est accordée que de manière parcimonieuse aux personnes hébergées en établissement. Dans l'Orne, la suppression de l'A.C.T.P. accordée aux personnes hébergées en établissement a été annulée par la commission départementale d'aide sociale. Dans le Cher, cinq recours en commission centrale d'aide sociale ont été formés contre des décisions de refus de paiement de l'A.C.T.P. ; le département a été condamné à verser les allocations, avec un effet rétroactif de trois ans, pour une somme totale de 470 000 francs.

Le contrôle de légalité ne semble pas suffisamment exercé par les services de l'Etat en vue de mettre fin à ces nombreuses pratiques irrégulières. Si, le Conseil d'Etat a récemment annulé la décision du président du conseil général de l'Yonne de refuser l'allocation compensatrice à une personne hébergée en établissement, les recours devant les juridictions administratives restent isolés et sont, le plus souvent, introduits par les bénéficiaires.

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L'existence d'un règlement départemental permet ainsi aux usagers de mieux faire valoir leurs droits devant les commissions compétentes en matière de contentieux de l’aide sociale. Dans la Sarthe, 80 % de ce contentieux portent sur l’allocation compensatrice pour tierce personne en raison de la position adoptée par le département de refuser son versement aux personnes âgées en établissements. A l'inverse, l’absence de règlement dans l'Isère aboutit à ce que les refus d’octroi d'aides financières au titre de l'aide sociale à l'enfance ne se soient fondées sur aucune délibération du conseil général, jusqu'à l'adoption de cette partie du règlement départemental en juillet 1995.

*** En dépit du faible développement des prestations facultatives, l'intérêt du

règlement départemental d'aide sociale est évident : il constitue un instrument de clarification de la politique sociale du département et facilite la défense des droits des usagers. Le nombre encore limité des règlements adoptés constitue donc un obstacle à la bonne information des usagers, ainsi qu'à l'exercice du contrôle de légalité, aussi bien par les services de l'Etat que par les bénéficiaires. Ce document n'est donc pas devenu l'instrument de démocratie locale que le législateur avait souhaité créer.

Pour ce faire, il pourrait être envisagé que l'adoption par chaque département de son règlement soit enfin assortie d'un délai impératif, seul à même de conférer une véritable portée à l'obligation légale.

. 3° UNE PROGRAMMATION EMBRYONNAIRE La proximité des bénéficiaires, recherchée par la décentralisation de l'aide sociale,

devait également permettre aux décideurs locaux non seulement de mieux cerner la diversité et la complexité des besoins sociaux, mais aussi de définir, selon une approche cohérente et programmée, l'offre de prestations et d'équipements nécessaires au département. Pour y parvenir, la loi du 22 juillet 1983 a donné compétence au conseil général pour arrêter le schéma départemental des établissements et services sociaux et médico-sociaux, institué par l'article 2.2 de la loi du 30 juin 1975 relative aux institutions sociales et médico-sociales et précisé ultérieurement par les lois du 6 janvier 1986 et du 19 août 1986.

Selon l'article 2.2. de la loi du 30 juin 1975, ce schéma précise :

- la nature des besoins sociaux et notamment de ceux qui justifient la création d'établissements ou de services sociaux ou médico-sociaux ;

- les perspectives de développement et de redéploiement de ces établissements et services, compte-tenu des besoins recensés, des ressources disponibles et des possibilités des départements voisins ;

- les critères d'évaluation des actions conduites ;

- les modalités de la collaboration ou de la coordination avec d'autres collectivités pour satisfaire tout ou partie des besoins recensés.

La loi n°86-17 du 16 janvier 1986 a décomposé le schéma en deux parties : une première, arrêtée par un vote du conseil général, traite de l’ensemble des établissements et services de la compétence exclusive du département (établissements concourant à l’aide sociale aux personnes âgées ou aux personnes handicapées, services de protection maternelle et infantile, aide sociale à l'enfance) ; une deuxième partie, arrêtée conjointement par le président du conseil général et le préfet, concerne les établissements

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et services à compétence partagée entre l’Etat et le département (27).

Là encore, dix ans après la décentralisation, le bilan est nuancé car les retards constatés dans l'élaboration des schémas ont trop souvent empêché les départements d'inscrire, dans le cadre d'une programmation véritable, les efforts importants qu'ils ont consentis pour le développement de l'offre de services et de places en établissement.

. A) UNE MISE EN PLACE TARDIVE ET INCOMPLETE DES SCHEMAS DEPARTEMENTAUX

Peu de départements ont en effet mis en place un schéma dans les premières années d'exercice de leurs nouvelles responsabilités. Un schéma complet fut adopté dans l'Yonne, la Dordogne et l'Aveyron en 1987, dans le Nord et en Côte d’Or en 1989. D'autres départements ont rapidement élaboré un schéma limité à une seule partie de l'aide sociale, comme les personnes âgées (Yvelines, Haute-Garonne en 1987), les personnes handicapées (Seine-Maritime en 1986) ou l'enfance (Indre-et-Loire en 1987).

Dès 1988, le conseil économique et social avait souligné cette carence et, dans un avis de juin 1988 (28), souhaité que : "les présidents de conseils généraux s'engagent à adopter et à publier leur schéma départemental des établissements et services sociaux et médico-sociaux".

- UNE OBLIGATION NON SANCTIONNEE, UN DOCUMENT NON OPPOSABLE : Cette mise en place difficile s'explique en premier lieu par le caractère ni

obligatoire ni opposable de ce document. Si le texte même de la loi du 22 juillet 1983 restait silencieux sur la portée des schémas, la circulaire du 6 février 1986 (affaires sociales, intérieur, justice) a introduit un doute sur l’intérêt de leur mise en oeuvre. En indiquant, en effet, que le schéma “n'a qu'une valeur indicative et qu'il ne peut en conséquence, être opposable à l'Etat, aux départements, aux organismes de sécurité sociale, aux gestionnaires des établissements et services ou aux usagers”, cette circulaire n'a vraisemblablement pas incité les départements à élaborer ce document.

N’étant pas un document opposable, le schéma n'a pas non plus été rendu obligatoire par la loi qui, faute de prévoir un délai pour son adoption, s'est ainsi privée de toute portée véritable. De fait, son élaboration immédiate n'est pas apparue prioritaire aux responsables locaux. Ceux-ci n'ont pas perçu l'intérêt de cet outil de programmation qui devait leur servir à déterminer des priorités compte tenu de leurs moyens financiers annuels.

En second lieu, l'utilité des schémas a été directement mise en doute par certaines collectivités départementales, tendant à considérer cette obligation comme une charge administrative inutile. D'autres, comme le Cher, ne sont pas dotés d'un schéma pour le motif que les besoins quantitatifs étaient satisfaits et qu'ils préféraient oeuvrer dans le cadre de stratégies sectorielles.

(27) C'est-à-dire les établissements ou services fournissant des prestations prises en charge ensemble ou conjointement par le département, l’Etat, un organisme d’assurance-maladie, d’allocations familiales ou d’assurance-vieillesse ; établissements où sont placés des enfants confiés par la justice, structures accueillant des handicapés : CAT, foyers logement. (28) Avis du Conseil économique et social sur le rapport présenté par M. Jean-Claude Jacquet sur les conséquences de la décentralisation en matière d'aide sociale (séances des 14 et 15 juin 1988).

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- UNE ELABORATION TARDIVE ET INCOMPLETE : Depuis 1990, de nombreux départements ont pourtant pris conscience de l'intérêt

de conduire un tel effort de formalisation des stratégies et de programmation des investissements, comme en attestent les progrès récemment accomplis dans l'élaboration de leur schéma. Il est probable que l'augmentation sensible des dépenses sociales a contribué à souligner l'utilité d'un tel instrument. De fait, comme le montre le tableau reproduit en annexe, un mouvement assez important semble indiquer que cette prise de conscience, si elle fut tardive, n'en est pas moins aujourd'hui largement partagée.

Il reste qu'en 1995, sur les 98 départements consultés par les juridictions financières, seuls 30 avaient publié un schéma complet ; 31 n'avaient encore rien publié, même sous forme partielle, parmi lesquels 18 ont déclaré n'avoir aucun projet en cours.

Pour les autres départements ayant publié des documents partiels, ceux-ci présentent souvent des insuffisances telles que les schémas ne peuvent répondre aux exigences d’une programmation efficace. En premier lieu, les schémas existants sont encore trop souvent incomplets, se limitant fréquemment à une seule catégorie de l'aide sociale. Sur les 37 départements ayant déclaré, dans le cadre de l'enquête, s'être dotés d'un schéma partiel, 32 s'étaient intéressés, exclusivement ou concurremment, aux personnes âgées. Cette priorité semble attester l'intérêt tout à fait particulier porté par les élus départementaux à cette catégorie de la population.

Surtout, les schémas se limitent trop souvent à un simple état des lieux, complété par une série d'intentions ou d'orientations générales. Ils se réduisent même parfois à de simples rapports sur un ou plusieurs secteurs sociaux ; cette facilité a été observée en Haute-Corse, dans le Loir-et-Cher, en Loire-Atlantique, dans la Drôme, dans le Cher, dans l'Indre-et-Loire, l'Orne et la Haute-Savoie.

L'absence d'éléments de programmation budgétaire est fréquente et semble, dans certains cas, délibérée. Le projet de schéma pour les personnes handicapées élaboré en 1992 par les services du département de la Haute-Saône comprenait une traduction budgétaire des orientations arrêtées, s'élevant à environ 37 millions de francs par an. Ce schéma n'a fait l'objet d'aucune discussion en assemblée plénière, demeurant à l'état d'un document de synthèse.

De manière générale, ces schémas ne comprennent guère d'indications sur les besoins à satisfaire, les orientations stratégiques arrêtées par l'assemblée départementale, les investissements prévus, les critères d'évaluation des actions menées ni les modalités de collaboration susceptibles d'être recherchées avec d'autres collectivités. De fait, de nombreux schémas ne répondent pas à la vocation que la loi a entendu leur donner et, par cette lecture a minima, les élus départementaux se privent d'un outil de programmation pourtant essentiel.

De surcroît, dans le cas des schémas se conformant davantage aux dispositions légales, il apparaît que la portée des éléments de programmation adoptés par les départements demeure largement indicative. Ainsi, le besoin de places en maisons de retraite, identifié dans le cadre du schéma pour les personnes âgées arrêté par la Sarthe en 1989, appelait - compte tenu des opérations en cours de réalisation (1 176 lits) - l'autorisation au plus de 270 places supplémentaires entre 1990 et 1994 ; cependant, au cours de cette période, près de 700 places ont été autorisées.

Ce type d'exemple marque ainsi l'importance très relative que les conseils généraux ont conférée à leur schéma départemental, et explique, de fait, l'insuffisance de leurs efforts en matière de programmation.

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B) UN EFFORT DE DEVELOPPEMENT DES CAPACITES D'HEBERGEMENT MENE SANS PROGRAMMATION

- UN EFFORT D'EQUIPEMENT IMPORTANT : Les départements ont consenti, depuis la décentralisation, un effort indéniable en

vue d'améliorer le nombre de places en établissement, notamment pour les personnes âgées et les personnes handicapées. Dans cette perspective, leur souci parfois insuffisant de veiller à l'adéquation de leurs décisions d'équipement avec la réalité des besoins a pu conduire à des situations de déséquilibre, quantitatif et qualitatif.

L’effort d'amélioration de l'offre en établissement s'est traduit, en premier lieu, par un accroissement du taux d'équipement. Pour les personnes handicapées, selon les dernières données disponibles à l'échelle nationale, le taux d'équipement est passé, entre 1988 et 1994, de 1 à 1,2 place pour 1 000 habitants pour les foyers occupationnels et de 0,46 à 0,8 place pour 1 000 habitants pour les foyers d'hébergement.

Concernant les foyers de l'enfance et les maisons à caractère social, structures l'une et l'autre financées par les départements dans le cadre de l'aide sociale à l'enfance, le taux d'équipement a légèrement progressé, de 1988 à 1994, de 3,1 à 3,2 places pour 1 000 personnes âgées de moins de 20 ans. Comme pour les personnes handicapées, aucun département n'a enregistré une augmentation particulièrement forte de son taux d'équipement, la plus élevée s'étant traduite par un gain de 2, 3 places pour 1 000 personnes de moins de 20 ans.

Pour les personnes âgées, l'effort national a été plus accentué puisque le taux d'équipement a progressé, entre 1988 et 1992, de 159 à 167,4 places pour 1 000 personnes âgées de plus de 75 ans. Certains départements ont procédé à des efforts spectaculaires en matière d'hébergement pour les personnes âgées : la Lozère a accru de 56, entre 1988 et 1992, son nombre de places pour 1 000 personnes âgées, l'Yonne de 38,8, le Bas-Rhin de 35,5, les Yvelines de 34,7.

Cet accroissement du nombre des places s'est accompagné d'un effort d'humanisation des conditions d'hébergement, notamment dans les anciens hospices accueillant des personnes âgées, voire des personnes handicapées. Ces investissements se sont inscrits dans le cadre de plans financés conjointement par les départements, les caisses régionales d'assurance maladie, les conseils régionaux et l'Etat. Ces efforts peuvent se mesurer à partir d'un indicateur simple, le nombre de lits par chambre dans les maisons de retraite : pour l'ensemble des types d'établissements, le nombre de chambres à un seul lit représentait 60 % du total à la fin de 1992, contre 54 % en 1990 ; de même, le nombre de chambres à trois lits ou plus tend à s'effacer puisque celles-ci représentaient 8,9 % des capacités d'accueil en 1992, au lieu de 13,4 % deux ans plus tôt.

Cet investissement des différentes collectivités territoriales et de l'Etat pour accroître les capacités d'accueil et améliorer les conditions d'hébergement doit sans aucun doute être mis au crédit, notamment, des départements. Il reste que faute d'avoir suffisamment analysé la réalité des besoins et véritablement programmé leurs investissements, ceux-ci ne sont pas toujours parvenus à mettre fin à des situations ponctuelles de déséquilibres, autant dans la quantité que dans la nature de l'offre de places et de services.

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- UNE PROGRAMMATION INSUFFISANTE : En premier lieu, le développement particulièrement sensible des places

d'hébergement pour les établissements réservés aux personnes âgées, n'a que rarement été précédé d'une analyse précise des besoins. L'absence de schéma départemental en est souvent la première manifestation. Dans de telles conditions, les décisions d'investissement se sont souvent fondées sur des bases relativement frustes. Dans la plupart des départements, l'évaluation des besoins à satisfaire s'est limitée à se référer à la différence entre le taux d'équipement départemental et la moyenne régionale ou nationale. Ainsi, parmi les départements rhône-alpins, seuls l'Isère et le Rhône ont intégré d'autres éléments que ces seules considérations quantitatives.

Dans quelques cas, comme dans l'Indre-et-Loire ou l'Orne, l'effort d'augmentation des capacités d'accueil pour les personnes âgées s'est tout simplement appuyé sur l'objectif de doter chaque canton d'une maison de retraite, sans que ce projet se soit fondé sur une quelconque étude des besoins locaux. Dans les deux cas, cette option s'est traduite par le sur-dimensionnement des équipements. L'indre-et-Loire et l'Orne ont depuis réduit leur taux d'équipement.

Pour ce faire, les listes d’attente pourraient offrir d'utiles informations sur l'importance de la demande non satisfaite. Tous les départements ne disposent pas d'éléments sur les listes d'attente tenues par les établissements. Quand elles existent, leur fiabilité est jugée insuffisante en raison de l'importance des double-inscriptions et des demandes sans suite. On peut néanmoins penser qu'un rapprochement, au moins une fois par an, des listes d'attente tenues par les différents établissements, dans le but de mieux approcher le nombre exact des demandes, permettrait aux services départementaux de cerner précisément l'ampleur des besoins à satisfaire, autrement que par des déductions statistiques sommaires.

L'absence ou l'insuffisance des schémas départementaux se traduit par une couverture géographique inégale et inadaptée des besoins. Pour les personnes âgées, certains départements sont aujourd'hui confrontés à des situations de sous-occupation de leurs établissements pour personnes âgées, sanctionnant des programmes d'équipements mal maîtrisés. Ainsi, selon les dernières données publiées par le ministère des affaires sociales, 8 départements ont enregistré, en 1992, un taux d'occupation moyen inférieur à 90 %. Ces situations reflètent une tendance, observée plus largement, à privilégier ce type d'établissements puisque 41 des départements métropolitains, soit près de la moitié, ne dépassaient pas, toujours pour l'exercice 1992, un taux d'occupation de 95 %. Parmi ces derniers, on peut relever que six départements avaient consacré, au cours des quatre années précédentes, un effort important à l'augmentation de leurs capacités d'accueil en établissement.

Dans d'autres départements, des erreurs de programmation ont parfois abouti à la réalisation d’opérations d’investissement malheureuses. Parmi celles-ci, on citera les deux exemples qui suivent.

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La maison de retraite de Vezzani, d’une capacité de 25 lits, a coûté à la collectivité départementale de Haute-Corse 10 millions de francs. Située dans un département connaissant le taux d'occupation des maisons de retraite le plus faible de France, dans une zone de moyenne montagne à l’écart de tout centre urbain important, ce nouvel équipement ne paraît pas avoir répondu à un besoin clairement identifié ; l’association gestionnaire rencontrant les plus grandes difficultés pour trouver des pensionnaires, l'établissement n'était toujours pas mis en service en 1994.

De même, en Meurthe-et-Moselle, le deuxième programme gérontologique départemental, bien exécuté dans l’ensemble, a connu une entorse notable avec le projet de maison de retraite de Giraumont. Un promoteur privé entreprend la réalisation, sans autorisation, d’une ambitieuse structure d’accueil pour personnes âgées dans l’arrondissement de Briey. La société est mise en liquidation de biens alors que le projet, destiné à une clientèle aisée, n’est réalisé qu’à 60 %. Le département décide en février 1987 d’acquérir cet ensemble immobilier pour le transformer en une maison de retraite de 40 places et crée, au début de l'année 1988, un établissement public départemental pour en assurer la gestion. L’ouverture de cette nouvelle structure accuse un retard de deux ans et, surtout, n’enregistre qu’une dizaine de demandes. L’inadaptation de l’offre à la demande conduit à l’échec de l’opération, sanctionnée par la dissolution de l'établissement public départemental, décidée par le conseil général en mars 1992. Cette opération a coûté au département 9,35 millions, soit le double du montant initialement envisagé.

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Dans certains départements, à l'inverse, le taux d'équipement diminue. Cette réduction des capacités d'accueil sanctionne fréquemment une situation antérieure de suréquipement. Tel est le cas de l'Orne dont le conseil général a refusé l’habilitation à l’aide sociale de 13 maisons de retraite, soit 590 lits, diminuant son taux d'équipement de 245 à 233 lits pour 1 000 personnes de 75 ans et plus. Tel est également le cas du Var dont le taux d'équipement a également baissé de 15 points entre 1988 à 1992 sans parvenir néanmoins à améliorer substantiellement le taux d'occupation, toujours inférieur, en moyenne, à 93 % en 1992.

La règle du domicile de secours, applicable à toutes les formes d'aide sociale, tend également à favoriser les déséquilibres géographiques. Les articles 192 et 193 du code de la famille et de l'aide sociale posent pour principe que les frais d'hébergement et d'entretien des bénéficiaires de l'aide sociale accueillis dans des structures d'hébergement sont, au-delà de la participation financière de l'intéressé, pris en charge par le département dans lequel les bénéficiaires ont élu leur domicile de secours ; or, celui-ci ne pouvant être l'établissement médico-social où ils sont hébergés, il s'agit, le plus souvent, de leur département d'origine. Pour l'aide sociale à l'enfance, le lieu de résidence des parents détermine la collectivité départementale en charge du financement de la prise en charge de l'enfant, celui-ci pouvant être placé en dehors du département.

Dans ces conditions, certains départements peuvent être encouragés à accroître les capacités d'accueil de leurs établissements bien au-delà des besoins de la population départementale, dans le but d'accueillir des personnes originaires d'autres départements, moins bien équipés. Cette politique favorable au développement économique local n'induit aucun coût budgétaire pour le département d'accueil puisque les frais d'hébergement continuent d'être pris en charge par le département d'origine.

L'application de ces dispositions peut ainsi inciter certains départements à développer leurs capacités d'hébergement bien au-delà des besoins de leur population résidente. Elle induit, par conséquent, d'importantes disparités de taux d'équipement entre les départements. Constatées pour les personnes âgées, celles-ci se retrouvent également dans le domaine de l'aide sociale à l'enfance où le taux d'équipement varie, selon les départements, de 8,7 places à moins de 1 place pour 1 000 habitants de moins de 20 ans.

Le manque de places est constaté dans un certain nombre de départements et se manifeste, notamment, par le recours à des structures situées hors du département. Ainsi, en Indre-et-Loire sur 1 400 mineurs confiés à l'aide sociale à l'enfance en 1993, 17 % étaient placés à l’extérieur du département ; en Isère, ce nombre atteignait, fin 1993, 210 enfants. Enfin, le cas de Paris est de loin le plus déséquilibré, les enfants n'étant placés que pour 29 % d'entre eux à Paris même, 11,4 % en petite couronne, 21 % en grande couronne et 36 % en province (29). L'insuffisance du nombre de places en maisons de l'enfance à caractère social (MECS) a été relevée dans cinq autres départements étudiés.

Dans d'autres départements, des situations de surcapacités sont observées. Alors que le taux d'occupation moyen des établissements de l'aide sociale à l'enfance, en France métropolitaine, n'atteint que 92 %, dix départements ne dépassent pas un taux de 80 %.

Enfin, l'application de la règle du domicile de secours, dans le domaine de l'hébergement des personnes handicapées, a incité, là encore, certains départements à favoriser le développement de capacités d'accueil dans des proportions sensiblement supérieures aux besoins locaux : si le taux d'équipement en foyers d'hébergement pour

(29) Le solde, soit 2,41 %, correspond au placement d'enfants dans des familles en vue d'adoption.

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adultes handicapés se situait, au 1er janvier 1994 (*), en moyenne à 1,2 place pour 1 000 habitants âgés de 20 à 59 ans, certains départements atteignent des niveaux que nulle particularité ne semble pouvoir expliquer : 3,3 dans l'Orne, 3,6 dans la Creuse, 3,2 dans le Lot et 14,3 en Lozère. Or, si cette politique de suréquipement, apparemment délibérée, peut certainement être favorable à l'emploi local, les disparités géographiques qu'elle induit nuisent directement au maintien des liens de proximité des personnes prises en charge avec leur milieu familial. Les foyers d'hébergement du département de l'Ardèche accueillent ainsi environ 50 % de personnes handicapées provenant d'autres départements.

*** L'ambition poursuivie par les lois de décentralisation de rapprocher l'échelon de

décision de l'usager n'a pas produit tous ses effets. La connaissance des besoins reste limitée, faute que les départements se soient dotés des outils nécessaires pour mieux connaître les attentes des usagers. Les règlements départementaux n'ont pas été partout adoptés et restent souvent lacunaires. L'élaboration des schémas des équipements et des services a connu un retard général et les quelques documents existant restent, par leur contenu, très en-deçà des objectifs du législateur. Ainsi, les départements n'ont pas mis en place les instruments d'information des usagers, d'appréhension des besoins et de programmation de leurs investissements, nécessaires à la définition d'une politique d'aide sociale.

En vue de restituer à ces instruments la portée que le législateur entendait leur donner, et d'inciter, par ce biais, les départements à mieux appréhender les besoins des usagers, il pourrait être envisagé, d'une part, de fixer un délai impératif pour l'adoption des règlements et des schémas départementaux et, d'autre part, d'examiner dans quelle mesure les schémas pourraient être légalement rendus opposables aux tiers. Cette dernière réforme présenterait l'avantage de conduire les départements à préciser et actualiser le contenu de leurs schémas et obligerait l'Etat et les organismes de sécurité sociale à s'engager plus clairement, dès le stade de la programmation, sur le financement des établissements soumis à une double tarification.

B. - UN DEVELOPPEMENT MAL MAITRISE DES SERVICES SOCIAUX DES DEPARTEMENTS

L'attribution aux départements d'une compétence de droit commun en matière d'aide sociale et de prévention sanitaire s'est accompagnée non seulement d'une compensation financière, mais également d'un transfert massif de services, de personnels et de moyens de fonctionnement. Ainsi, les départements ont pu assumer, dans la continuité, les missions précédemment exercées par les services de l'Etat, sans rupture dans le service des prestations aux usagers.

L'augmentation globale des dépenses d'aide sociale, observée depuis 1988, a également concerné les dépenses indirectes qui regroupent l'ensemble des charges de personnel et de fonctionnement liées à l'exercice des compétences transférées. Leur montant représentait, en 1993, un total de 10,9 milliards de francs, soit environ un sixième de l'ensemble des dépenses d'aide sociale. Elles ont enregistré une croissance de 61,8 % depuis 1988. En leur sein, les dépenses de personnel qui représentent la majeure partie (88 % du total) sont en augmentation de 58,7 % depuis 1988.

(*) source : SESI - ministère des affaires sociales.

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Les départements ont ainsi considérablement renforcé les effectifs et les moyens matériels de leurs propres directions sociales. Face au poids financier croissant de leurs dépenses sociales, ils se sont progressivement impliqués davantage dans la mise en oeuvre de leurs nouvelles missions et ont cherché à modifier leur organisation territoriale et leurs modalités d'intervention. Toutefois, ce renforcement des moyens ne s'est pas fait sans difficultés, notamment en ce qui concerne la gestion des personnels, l'informatisation des prestations et l'organisation des services.

1° DES MOYENS NOUVEAUX CONSACRES A L'AIDE SOCIALE

A) LE PARTAGE REUSSI DES SERVICES ET DES EFFECTIFS Le partage des attributions décidé par la loi du 22 juillet 1983 s'est accompagné

d'un partage des moyens. Les services et les effectifs ont d'abord été répartis, à compter du 1er janvier 1985, au moyen de conventions passées entre l'Etat et les départements ; les dépenses de matériel et de fonctionnement, les immeubles et les équipements l'ont été également, à partir du 1er janvier 1987, selon les mêmes moyens.

- LE TRANSFERT DES SERVICES : Le partage des services a été organisé par le décret n° 84-931 du 19 octobre 1984

relatif à la date et aux modalités de transfert aux départements des services de l'Etat chargés de la mise en oeuvre des compétences transférées en matière d'action sociale et de santé.

La nouvelle répartition des compétences s'est donc traduite par la remise au département et, de fait, le passage sous l'autorité du président du conseil général d'une large partie des services et des agents placés antérieurement sous l'autorité des DDASS. L'Etat a évidemment reçu la gestion en propre des moyens correspondant aux compétences qui lui étaient attribuées. Dans le domaine de la santé scolaire, compétence pourtant conservée par l'Etat en 1983, le département de Paris a néanmoins maintenu, depuis lors, son service de santé scolaire départemental, assuré par la collectivité locale depuis la fin du XIXème siècle. Le décret du 21 décembre 1984, qui transfère la responsabilité de ce service au ministère de l'éducation nationale autorise, à titre exceptionnel, le principe d'une telle dérogation.

Celle-ci a été consacrée par une convention passée entre l'Etat et le département de Paris, organisant l'intervention conjointe du service de santé scolaire de l'Etat, d'une part, et du service départemental, d'autre part, selon une répartition complexe : le service de l'Etat s'exerce dans les lycées et collèges, le service départemental dans quelques collèges et, surtout, dans les écoles élémentaires et maternelles. Par l'effet de cette division, le suivi des enfants est successivement assuré, au cours de leur scolarité, par deux services différents. Le transfert progressif à l'Etat de l'ensemble des 49 collèges initialement confiés au département, pourtant programmé, n'a finalement concerné que 27 établissements.

A l'inverse, un contentieux ancien oppose le département de Haute-Corse à l'Etat qui refuse de prendre en charge les dépenses afférentes au service de lutte antivectorielle, nonobstant la loi du 27 janvier 1987 (30). Dans l'attente d'une révision de la convention de partage, le département supporte ainsi, depuis 1987, des charges indues correspondant à

(30) D'après l'article 20 de la loi n° 87-39 du 27 janvier 1987 portant diverses mesures d'ordre social : "Dans les départements où est constatée l'existence de conditions entraînant le développement de maladies humaines transmises par l'intermédiaire d'insectes et constituant une menace pour la santé de la population, les mesures de luttes nécessaires relèvent de la compétence de l'Etat".

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une compétence de l'Etat.

. - LE PARTAGE DES EFFECTIFS : Les effectifs des services déconcentrés des affaires sanitaires et sociales

s'élevaient, au 31 décembre 1984, à 69 851 agents, dont 76,7 % relevaient d'un statut départemental et 23,3 % appartenaient à la fonction publique de l'Etat. Par l'effet de la décentralisation, trois agents sur quatre des DDASS ont été transférés aux départements.

Les conventions de partage des services n'ont pas entraîné de difficultés majeures en matière de personnels. Dans plusieurs cas, l'Etat et le département ont décidé, lors du partage des services en 1985, de conserver un service social commun, afin de permettre aux agents de ce service d'exercer des attributions relevant à la fois de l'Etat et du département. L'évolution des effectifs et des missions des DDASS a conduit le représentant de l'Etat, dans l'Indre-et-Loire et le Cher, à ne pas toujours pourvoir les postes vacants dont l'Etat avait la charge.

Dans le cadre du partage des services, 5 929 agents départementaux ont été mis à disposition de l'Etat et 2 491 agents de l'Etat mis à disposition des départements. Pour ces 8 420 personnes, un droit d'option a été ouvert pour leur permettre soit de conserver leur statut d'origine, soit de demander leur intégration dans la collectivité à la disposition de laquelle ils ont été mis. La gestion de la procédure du droit d'option s'est avérée d'une grande complexité. Son terme a dû, en conséquence, être reporté d'année en année. Son bilan, demandé au ministère des affaires sociales à l'occasion de plusieurs enquêtes menées par la Cour depuis 1985 (31), continue à donner lieu à quelques incertitudes concernant le nombre de personnes concernées.

Il faut noter, enfin, que le partage des effectifs a entraîné pour l'Etat le départ d'un nombre important d'agents de catégorie A et B. De même, au terme de la répartition des services sanitaires et sociaux, l'Etat a reçu deux fois plus d'agents de catégorie C et D qu'il n'en a perdu. Cette partition a entraîné un appauvrissement de l'encadrement des services déconcentrés de l'Etat, alors même que de nouvelles missions, orientées vers la conception, la régulation et le contrôle, se substituaient à leurs anciennes tâches de gestion.

. - LE PARTAGE DES DEPENSES DE FONCTIONNEMENT ET D'EQUIPEMENT : Les modalités du partage des dépenses de personnel, des biens meubles et

immeubles ont été fixées par les articles 17 à 26 de la loi du 11 octobre 1985. Ces dispositions prévoient qu'une convention financière doit être conclue à cet effet entre l'Etat et les départements. Une circulaire conjointe des ministères de l'intérieur et des affaires sociales, en date du 23 juin 1986, a précisé qu'"un décret fixera au 1er janvier 1987 la date de prise en charge par l'Etat des dépenses de personnel, de fonctionnement et d'équipement des DDASS". Ce décret n'ayant jamais été publié, c'est donc en vertu de cette simple circulaire qu'il a été procédé au partage des moyens de fonctionnement.

La négociation et la signature des conventions n'ont soulevé aucune difficulté majeure. En 1991, lors d'une précédente enquête (32), seules trois conventions n'avaient pas été signées. Elles le sont toutes aujourd'hui. Les quelques désaccords ont porté, pour

(31) Voir rapport public 1990, "les conséquences de la décentralisation sur la gestion des personnels de l'Etat, des régions et des départements", pages 37 et suivantes. (32) Rapport adressé par la Cour à la commission des finances du Sénat sur les incidences de la décentralisation sur les structures administratives, les effectifs en personnel et les dépenses de l'Etat (avril 1992).

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l'essentiel, sur les problèmes d'immeubles ; certains départements ont décidé, après la signature de la première convention, de réoccuper des locaux mis à la disposition de l'Etat moyennant paiement d'une redevance sans que les conséquences financières résultant de cette décision sur le montant de la dotation de décentralisation aient été toujours effectivement tirées.

. B) UN EFFORT DE DEVELOPPEMENT DES MOYENS PROPRES DES DEPARTEMENTS

. - LES TRANSFERTS DE COMPETENCES ONT ENTRAINE UN RENFORCEMENT DES EFFECTIFS :

Les dépenses de personnel des services sociaux des départements métropolitains ont augmenté, en moyenne, de 60 %, entre 1988 et 1993, ce qui représente une progression annuelle, en francs courants, de 9,86 % sur cette même période. Cette forte augmentation, sensiblement plus élevée que celle des dépenses directes brutes d'aide sociale, recouvre cependant des situations très différentes d'un département à l'autre : dans neuf départements, elle dépasse 100 % et atteint même 131 % dans les Vosges et 161 % dans les Alpes-de-Haute-Provence ; dans trois départements, elle reste inférieure à 30 %.

Cette importante augmentation des dépenses de personnel s'explique, en premier lieu, par l'effet des mesures salariales applicables à l'ensemble de la fonction publique territoriale et, surtout, de la revalorisation du statut des travailleurs sociaux et de l'application des accords Durafour évoqués plus haut. L'augmentation de la masse salariale s'explique également par un renforcement de l'encadrement, bien que celui-ci reste, dans les directions sociales, inférieur à la moyenne générale des services départementaux : ses directions se caractérisent en effet par une part moins importante d'agents de catégorie A et une très forte présence d'agents de catégorie B ; l'importance des tâches liées à la gestion des principales prestations (aide sociale générale, aide sociale à l'enfance) exige, en effet, des moyens importants pour assurer leur instruction, leur contrôle et leur mandatement.

Le poids des dépenses de personnel dans le total des dépenses brutes d'aide sociale est passé, en moyenne, de 12,4 % à 14,3 % sur la période, avec des progressions parfois importantes, supérieures à 10 points dans une dizaine de départements. Le poids des dépenses de personnel rapportées au dépenses directes diminue dans seize départements. Au sein d'une même région, l'Ile-de-France, le pourcentage varie entre 42,4 % dans le Val-de-Marne et 12 % à Paris. Cette variation tient, notamment, aux délégations plus ou moins étendues de la gestion de certains services à des tiers ou à l'existence de services assurés en régie par le département en dehors de ses attributions obligatoires ; ainsi, la gestion des crèches collectives est directement assurée par le département du Val-de-Marne.

Ces différences géographiques ne semblent par particulièrement liées aux problèmes sociaux rencontrés mais plutôt, là encore, aux modes de gestion retenus, ainsi qu'aux politiques locales de recrutement.

Dans la plupart des départements inclus dans l'enquête des juridictions financières, cette forte croissance a souvent été liée à des recrutements importants. Ceux-ci ont été souvent rendus nécessaires par la volonté des départements, tels ceux de l'Ain et de Haute-Savoie, d'augmenter leurs effectifs, jugés insuffisants, après la décentralisation. Dans l'Orne, l'augmentation des effectifs au sein du service départemental d'action sociale qui est passé de 75 à 106 personnes entre 1988 et 1993, s'explique davantage par la prise en charge de l'insertion des allocataires du RMI et par la mise en place de nouvelles structures, liées au dépistage du cancer du sein.

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La hausse des effectifs relevée dans la plupart des départements provient, plus généralement, de la mise en place du RMI et du désengagement des caisses d'allocations familiales (CAF) et des caisses de la mutualité sociale agricole (MSA) qui traditionnellement mettaient à disposition du service social départemental des travailleurs sociaux intervenant dans le cadre de la polyvalence de secteur (33).

Le désengagement des CAF de la polyvalence de secteur résulte à la fois des priorités nouvelles définies par les caisses, comme cela a été relevé dans le Cher, mais aussi des mesures de réorganisation décidées par les départements. Ainsi, dans le Loir-et-Cher, le souhait du département de se doter d'un service social placé sous sa seule autorité l'a conduit à dénoncer la convention qui le liait à la CAF et à mettre en place son propre service social. De même, dans le Rhône, la nouvelle organisation territoriale décidée par le département, impliquant la création de "maisons du département" a conduit à la dénonciation de la convention qui le liait à la CAF, et à la perte de 28 postes de travailleurs sociaux jusqu'alors financés par la caisse.

Cette évolution des effectifs ne s'est pas partout accompagnée d'un suivi suffisant. En Haute-Corse, par exemple, le département n'a pu produire l'évolution des personnels par catégorie de 1988 à 1993, ainsi que les taux de rotation ou d'absentéisme des personnels ou, encore, le degré de couverture des secteurs réputés difficiles.

De même, le nombre des agents intervenant à Paris dans le domaine social est mal connu, dans la mesure où le statut hybride de la capitale, à la fois commune et département, conduit certains agents départementaux à exercer des missions de compétence municipale, et réciproquement. Les agents étant répartis entre les budgets respectifs de la ville et du département en fonction de leur statut et non de leur champ d'intervention, l'absence de suivi analytique ne permet pas de mesurer la charge réelle des frais de personnel correspondant à l'exercice des compétences départementales.

. - DES EFFECTIFS PARFOIS INFERIEURS AUX NORMES NATIONALES : Il existe, pour le travail social polyvalent, une norme indicative, définie avant la

décentralisation, fixant à 5 000 le nombre de familles confiées à une assistante sociale de secteur. En revanche, des normes réglementaires ont été fixées par le décret n°92-785 du 6 août 1992 pour la protection maternelle et infantile (PMI) : une sage-femme pour 1 500 naissances et une puéricultrice pour 250 naissances.

Certains départements ne disposent pas des effectifs leur permettant de respecter ces normes. Tel est le cas du Bas-Rhin, du Puy-de-Dôme et de l'Ardèche pour le nombre des sages-femmes. Dans l'Allier, le nombre des puéricultrices ne permet pas au département de respecter la norme d'une puéricultrice pour 250 naissances. Dans le Haut-Rhin, il a été relevé une insuffisance du nombre des consultations de nourrissons et des consultations prénatales.

. C) DES INVESTISSEMENTS MATERIELS IMPORTANTS

Les départements ont généralement doté leurs services de moyens supplémentaires permettant une amélioration sensible des conditions de travail. Ces investissements, notamment dans le domaine informatique, n'ont pas toujours été effectués avec toute la cohérence nécessaire.

(33) Service chargé du suivi des familles intéressant aussi bien l'aide sociale départementale que l'action sociale des organismes de protection sociale.

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. - UN EFFORT D'EQUIPEMENT : Dans de nombreux cas, le choix de conserver dans les mêmes locaux les services

attribués à l'Etat et au département a permis de maintenir les relations antérieures. Ainsi, en Rhône-Alpes, six départements ont choisi, à l'origine, de conserver des bâtiments communs avec l'Etat. Dans deux départements, le Rhône et la Haute-Savoie, les services n'ont même pas été séparés, les agents ayant conservé, pendant un certain temps, leurs bureaux d'origine.

Un tel souci de continuité, s'il n'a certes pas facilité l'identification par l'usager des services départementaux, longtemps confondus avec ceux de l'Etat, a toutefois permis de limiter le coût financier qu'aurait induit le souci de séparer systématiquement les services affectés par la décentralisation.

Il reste que, dans plusieurs départements, d'importants programmes d'investissement ont été réalisés pour doter les services départementaux de locaux propres. En Indre-et-Loire, 10 circonscriptions sur les 12 existantes en 1984 ont été relogées depuis la décentralisation. La mise en place du RMI a également contribué à augmenter les besoins des services ; en Gironde, le tiers des surfaces des 38 circonscriptions d'aide sociale ne garantissent plus des conditions d'accueil satisfaisantes. Des investissements lourds ont été également observés dans le but de favoriser une meilleure installation des services départementaux et une meilleure identification par l'usager : à Paris, le nouvel immeuble de la direction de l'action sociale, de l'enfance et de la santé (DASES), livré en 1992, pour un coût de 187,5 millions de francs, regroupe tous les services, hormis l'aide sociale à l'enfance.

. - UN EFFORT D'INFORMATISATION : Au moment du transfert de compétences, l'informatique était très peu développée

au sein des services sociaux. Ainsi, l'aide sociale générale pouvait être traitée le plus souvent manuellement, malgré un nombre important de dossiers ; on comptait ainsi, dans le Rhône, environ 50 000 demandes par an et 130 000 dossiers en cours.

La plupart des grandes prestations ont fait aujourd'hui l'objet d'une informatisation dans la quasi totalité des départements : tel est presque systématiquement le cas en matière d'aide sociale générale et d'aide sociale à l'enfance ; l'informatisation est moins fréquente en matière de gestion des établissements, de PMI et de RMI. Quelques départements accusent cependant encore un certain retard : dans la Loire, seules l'aide sociale à l'enfance et la protection maternelle et infantile sont partiellement informatisées ; en Haute-Saône, le RMI n'est pas informatisé ; en Haute-Corse, l'informatisation ne date que de 1993 et reste partielle.

Les investissements entrepris se sont fréquemment inscrits dans des projets communs à plusieurs départements, les conseils généraux se regroupant au sein de "clubs d'utilisateurs" afin de limiter les coûts de conception et d'équipement. Il reste que, même dans ce dernier cas, d'importants surcoûts et des délais de réalisation élevés ont été constatés. Ainsi, la conception du logiciel "ANIS" (approche nouvelle de l'information sociale), commun à cinq départements (le Rhône, l'Ain, la Loire, la Haute-Garonne et le Puy-de-Dôme), représentera une dépense évaluée à 22 millions hors taxes, soit un surcoût de 4 millions par rapport à celui prévu à l'origine ; en outre, les délais initiaux de 8 mois sont passés à 16 mois pour la première tranche de "définition fonctionnelle" précédant la mise en oeuvre opérationnelle.

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. 2° UN MOUVEMENT DE DECONCENTRATION ET DE SPECIALISATION DES SERVICES

L'accroissement des dépenses d'aide sociale, observé depuis 1988, a conduit les départements à s'impliquer davantage dans un domaine que nombre d'entre eux avaient géré, au cours des premières années, dans la continuité de l'Etat. Ce souci de mieux contrôler les services sociaux s'est traduit par des tentatives nombreuses visant à revoir leur organisation, aussi bien centrale que déconcentrée.

. A) UN RECOURS EXCESSIF AUX AUDITS D'ORGANISATION

Le recours aux sociétés de conseil a semble-t-il constitué un passage obligé pour la majeure partie des départements inclus dans l'enquête. Ce choix a le plus souvent été privilégié par rapport à la réflexion interne, non pas dans le but de disposer d'un véritable diagnostic externe, mais en vue de pouvoir s'appuyer sur un avis technique neutre pour mieux faire accepter les projets de réorganisation des services. De ce fait, l'intervention massive des cabinets d'études s'est avérée excessive et, parfois, inutile.

Tel est le cas lorsque l'audit précède la conduite d'une réflexion propre sur les objectifs du département et les missions de la direction sociale. En Haute-Saône, une étude portant sur la réorganisation de la direction a été réalisée alors même que les objectifs de la direction sociale ne pouvaient, en l'absence de schéma et de règlement départemental d'aide sociale, être clairement explicités. L'une des principales conclusions de cette enquête n'a donc été que de rappeler la nécessité de définir la politique sociale du département et de clarifier ses objectifs.

Dans d'autres cas, l'absence de politique clairement définie par le département a eu pour effet que soit confié à un audit externe le soin de préciser et de proposer, en lieu et place des élus et de l'administration départementale, les objectifs et les missions assignés aux services sociaux du conseil général. A titre d'exemple, le département de la Drôme a commandé à un cabinet une étude sur l'organisation des services dont l'une des conclusions essentielles fut qu'il convenait de modifier les missions assurées par les travailleurs sociaux au sein des centres médico-sociaux en renforçant les actions en direction du public "enfance-famille" et en allégeant les moyens consacrés aux autres missions du département. Ces propositions qui portaient sur la définition même des politiques sociales ont été entièrement reprises par le conseil général, sans modification.

Enfin, certains de ces audits se sont avérés coûteux, du fait, notamment, qu'ils ont été prolongés de manière excessive, au profit d'un seul et même cabinet. Dans l'Ain, un audit a été réalisé, en 1990, pour élaborer un avant-projet de "structure du siège de la direction de la prévention et de l'action sociale (DIPAS)", pour 250 000 francs ; il a été suivi, en 1991, d'un audit plus lourd (1 679 000 francs) pour la réalisation d'une étude préalable du fonctionnement informatisé de la DIPAS, un avenant étant passé quelques mois plus tard pour un montant de 160 000 francs. L'année suivante, en 1992, une nouvelle étude était confiée au même cabinet pour l'assistance à la mise en place de la nouvelle organisation (350 000 francs), suivie à nouveau d'un avenant de 715 000 francs.

Le coût total de ces interventions confiées à une société de conseil a donc atteint, dans ce département, 3 154 000 francs (T.T.C.) en trois ans. Il apparaît, en définitive, que les services se sont liés pour l'ensemble de la mission de réorganisation à un même cabinet, auquel il était demandé de définir lui-même les besoins avant de proposer ensuite les moyens permettant de les satisfaire.

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Il faut ajouter qu'en juin 1992, le département de l'Ain a décidé de participer avec d'autres départements au projet d'informatisation ANIS déjà cité de l'ensemble des prestations pour un montant de 10,49 millions dont 3,13 millions d'études effectuées par un autre cabinet, néanmoins lié au premier et s'ajoutant aux études précédentes. A ces dépenses de conception se sont ajoutés les coûts de l'informatisation des circonscriptions pour 2,95 millions. Ainsi, le total des dépenses engagées par le département depuis 1989 pour l'ensemble des études d'organisation et pour l'informatisation de sa direction sociale a donc atteint 13,44 millions.

. B) UNE ORGANISATION PARTAGEE ENTRE LE MAINTIEN DE LA POLYVALENCE ET LA SPECIALISATION DES INTERVENANTS

L'organisation territoriale du service social départemental s'appuie traditionnellement sur le principe de la polyvalence de secteur, privilégié avant la décentralisation (circulaires des 25 mars et 12 décembre 1966 et du 15 octobre 1975), dans le but de favoriser un suivi global des familles et de limiter les cloisonnements entre les services. Il reste que la nécessité de renforcer la technicité des interventions a conduit certains départements à spécialiser davantage certaines fonctions, notamment en matière de protection maternelle et infantile, de revenu minimum d'insertion et, plus récemment, d'aide sociale générale.

L'aide sociale à l'enfance et à la famille avait déjà été fréquemment séparée au sein des compétences départementales, selon les dispositions de la circulaire de janvier 1981 prise à la suite du rapport Bianco-Lamy : personnel spécialisé, mise en place d'un dossier familial unique, etc. Cette tendance semble en voie de se généraliser comme le montre l'exemple du département de Gironde où une plus grande spécialisation des personnels a été expérimentée, en 1993, dans le domaine du suivi des enfants, assuré jusqu'alors par le service social polyvalent de secteur. Ce même dispositif a été appliqué en Indre-et-Loire ou en Haute-Saône et maintenu dans la Loire.

Ce souci de spécialisation des intervenants dans le domaine de l'aide sociale doit cependant, pour atteindre ses objectifs, s'accompagner d'une coordination suffisante entre les différents services sociaux du département. Dans l'hypothèse inverse, observée dans le Puy-de-Dôme, l'absence de lien entre les prestations d'aide sociale générale et celles relevant de l'ASE rend difficile un suivi cohérent des familles : plusieurs dossiers sont ainsi ouverts, par des services différents, pour chaque bénéficiaire membre de la famille, en fonction de la prestation servie, au lieu d'être regroupés dans un dossier unique familial.

La mise en place du RMI a pu également conduire à isoler, au sein des missions du service d'aide et d'action sociale, une fonction spécifique d'insertion. Dans l'Allier, comme dans un certain nombre d'autres départements, le principe de polyvalence, sans être remis en question, a été complété par la mise en place de "personnes ressources" spécialisées en matière d'insertion et chargées de relayer l'action des travailleurs sociaux polyvalents auprès des commissions locales d'insertion.

Ce type d'évolution vers une plus grande spécialisation risquerait ainsi d'introduire, à terme, de nouveaux cloisonnements, préjudiciables à l'usager si, par ailleurs, aucun mécanisme n'était mis en oeuvre pour promouvoir une approche globale de la gestion des situations individuelles.

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. C) UNE DECONCENTRATION TERRITORIALE POURSUIVIE AUX DEPENS DE LA COORDINATION ET DE LA COHERENCE DE L'ACTION DEPARTEMENTALE

. - LA RECHERCHE D'UNE PLUS GRANDE DECONCENTRATION TERRITORIALE : La volonté de renforcer le suivi des travailleurs sociaux polyvalents a abouti à la

création d'unités territoriales déconcentrées regroupant, pour un secteur, le service social polyvalent et certaines tâches administratives jusque là exercées par le siège de la direction. Des personnels administratifs disposant d'un pouvoir hiérarchique sur les travailleurs sociaux ont ainsi été nommés à la tête de ces unités dont l'activité était, jusqu'alors, simplement coordonnée par une assistante sociale responsable de circonscription.

Le département de Seine-et-Marne a déconcentré son action en faveur de 15 unités territoriales, placées sous l'autorité d'un responsable administratif. Le même type d'organisation a été retenu en Dordogne, malgré les réticences de certaines catégories de personnels (34), et dans la Drôme. En revanche, certains départements, comme l'Allier ou Paris, ont maintenu une organisation entièrement centralisée, abandonnant dans le dernier cas les expériences de territorialisation mises en oeuvre dans le domaine de l'aide sociale à l'enfance.

Le caractère récent de ces réorganisations rend toutefois prématurée toute évaluation complète des dispositifs retenus. Si le choix de la déconcentration devrait permettre de renforcer le contrôle de l'activité des circonscriptions d'aide sociale tout en leur donnant des moyens propres plus importants, on peut cependant noter ponctuellement l'existence de nouvelles difficultés : opposition du personnel, risque pour la cohérence de l'action d'une unité territoriale à l'autre. Il apparaît donc, à tout le moins, que l'organisation des services d'action sociale des départements est loin d'être stabilisée plus de dix ans après la décentralisation.

. - LA DIFFICILE RECHERCHE D'UN TERRITOIRE D'ACTION COHERENT : La taille des circonscriptions d'action sociale et des secteurs d'intervention des

travailleurs sociaux est très variable d'un département à l'autre. Les normes indicatives, fixées avant la décentralisation par les circulaires de 1966 et 1975 (35), ne servent manifestement plus de références.

Dans certains cas, la taille des circonscriptions est largement supérieure à la moyenne : 45 000 à 80 000 habitants par circonscription dans le Bas-Rhin (hors Strasbourg), avec des secteurs de 5 000 à 9 000 habitants (4 300 habitants en moyenne à Strasbourg) ; en Haute-Savoie, la taille des circonscriptions est encore plus atypique puisqu'elles regroupent 100 000 à 150 000 habitants. Dans d'autres cas, la taille choisie peut être largement inférieure : circonscriptions de 48 600 habitants en moyenne dans le Haut-Rhin ; en Gironde, les circonscriptions, dont le nombre est passé de 27 à 38 en 1987, couvrent 32 000 habitants chacune.

S'il est difficile d'apprécier la pertinence des redécoupages effectués par les services sociaux, on peut cependant regretter qu'une telle réorganisation n'ait pas été l'occasion de rechercher une plus grande cohérence entre les périmètres

(34) Le transfert d'un pouvoir hiérarchique sur les personnels sociaux et médico-sociaux (hors médecins) au responsable d'unité territoriale, n'a pas été accepté notamment par les services de PMI, qui ont craint des conflits entre responsable d'unité et médecins, sous la double autorité desquels ils étaient placés. (35) 3 000 à 5 000 habitants par secteur, 40 000 à 50 000 par circonscription, chacune comportant donc une dizaine de secteurs.

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d'intervention des différents dispositifs ou acteurs sociaux (commissions locales d'insertion, conseils communaux d'action sociale, caisses d'allocations familiales, mutualité sociale agricole, caisse primaire d'assurance maladie, etc.).

D) L'INSUFFISANCE DES INSTRUMENTS DE CONTROLE ET DE SUIVI DE L'ACTIVITE DES SERVICES

- L'INSUFFISANCE DU CONTROLE DE GESTION : L'organisation retenue dans de nombreux départements tend à confier les

responsabilités de la gestion budgétaire et comptable des dépenses sociales, ainsi que la gestion du personnel, à une autre direction que celle des affaires sociales. Celle-ci ne se trouve pas alors en mesure d'assurer un véritable contrôle sur la gestion de ses personnels et des masses financières très importantes dont elle est responsable.

Pour ce faire, certains départements ont cependant tenté de mettre en place des outils dont l'efficacité reste toutefois à démontrer. Ainsi, le département de l'Ain a créé une cellule chargée du contrôle de gestion et des finances : théoriquement responsable de la préparation et du suivi du budget, elle n'avait cependant pu, à la date du contrôle, mettre en place les outils correspondant à sa mission. Dans ce même département, les services chargés de la liquidation des dépenses n'exerçaient aucun contrôle et se bornaient à certifier le service fait. De telles déficiences dans les liaisons entre les services sociaux chargés d'engager la dépense et les services financiers a également été notée dans plusieurs autres départements.

. - L'ABSENCE DE SUIVI D'ACTIVITE : Les nécessités d'un contrôle de gestion performant, ainsi que l'obligation légale (36)

de produire chaque année un rapport d'activité des services, auraient dû conduire les départements à mettre en place des outils permettant de suivre l'activité de leurs services, de mesurer la consommation budgétaire, l'évolution du nombre des bénéficiaires, de l'activité des entités territoriales, de l'occupation des établissements, etc.

Pour autant, tous ne s'en sont pas dotés. En premier lieu, peu de conseils généraux publient un rapport d'activité propre aux services sociaux, préférant leur consacrer une place dans le rapport d'activité générale, rarement proportionnelle au poids financier de cette catégorie de dépenses. La qualité des informations qui y figurent est, de surcroît, très inégale. Enfin, l'absence d'instruments de suivi synthétique a été relevée dans quatre départements.

C. - DES RELATIONS INSUFFISAMMENT ORGANISEES AVEC LES PARTENAIRES ASSOCIES A L'EXERCICE DES COMPETENCES DEPARTEMENTALES

Dans l'exercice de leurs compétences en matière d'aide sociale et de santé, les départements peuvent avoir recours à des partenaires auxquels ils délèguent la gestion d'une partie de leurs attributions. Parmi ceux-ci figurent les communes, les organismes de sécurité sociale et le secteur associatif.

La commune constitue un échelon traditionnellement associé au département dans la mise en oeuvre des compétences d'aide sociale. Les services municipaux constituent souvent le premier point d'accès des usagers aux prestations légales ; ils instruisent une partie des demandes, tandis qu'un élu municipal siège dans les commissions d'admission. Si les lois de décentralisation n'ont pas confié d'attributions spécifiques aux communes,

(36) Article 42-2 de la loi du 2 mars 1982.

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elles ont cependant ouvert la possibilité pour le département de déléguer une partie de ses compétences aux communes.

Les organismes de protection sociale ont également été associés à l'exercice des compétences transférées aux départements depuis que ceux-ci ont reçu pour attributions la protection maternelle et infantile, la prévention sanitaire et la prise en charge des cotisations d'assurance personnelle des résidents sans couverture sociale.

Enfin, le secteur associatif, dont relève la majeure partie des structures d'hébergement, a continué d'oeuvrer, à titre de prestataire de services, voire, dans certains cas, de délégataire de service public, en liaison avec le département.

En pratique, les départements ont très rarement usé de la possibilité ouverte par la loi du 22 juillet 1983 de déléguer une partie de leurs attributions aux communes. Leurs relations avec les organismes de sécurité sociale, ont été régularisées dans le domaine de la P.M.I. mais sont difficilement maîtrisées pour ce qui concerne l'assurance personnelle. Enfin, la participation des associations à la mise en oeuvre des compétences départementales s'est poursuivie, voire accrue, sans que les modalités de leurs interventions et le contrôle de leurs activités soient suffisamment définis.

. 1° LES COMMUNES : UN PARTENAIRE PEU ASSOCIE

. A) L'ABSENCE DE DELEGATION DEPARTEMENTALE A L'ECHELON COMMUNAL L'article 33 de la loi n° 83-663 du 22 juillet 1983 a offert aux départements la

possibilité de déléguer aux communes tout ou partie de leurs compétences. Les services départementaux correspondants sont, dans ce cas, mis à la disposition de la commune, une convention précisant les modalités financières du transfert. Cette possibilité offerte aux départements et aux communes a été cependant très peu utilisée. Parmi les 34 départements retenus dans l'enquête, seuls trois exemples ont été relevés.

Dans la Drôme, la ville de Valence a reçu, par convention du 25 mai 1987, délégation du département pour, notamment, la protection de l'enfance, la P.M.I., la prévention générale. A Paris, dont la situation est exceptionnelle puisque les collectivités départementale et communale sont dotées du même territoire et de la même assemblée délibérante, le département a passé avec la commune, en juin 1992, une convention lui confiant, dans le domaine de l'aide sociale à l'enfance, la gestion des aides financières (allocations exceptionnelles et allocations temporaires). Une convention du même jour entre la commune et le bureau d'aide sociale (BAS) subdélègue cette compétence de la première au second. L'intervention du BAS est inscrite dans le règlement départemental d'aide sociale, dont deux articles prévoient l'attribution des allocations exceptionnelles et des allocations temporaires de l'aide sociale à l'enfance par les directeurs de section du BAS. Enfin, dans le Bas-Rhin, le conseil général et la ville de Strasbourg sont liés par une convention ancienne, par laquelle les missions du service social polyvalent, de la protection maternelle et infantile et de la lutte contre la tuberculose sont exercées par la commune.

En dehors de ces trois exceptions, il apparaît que la possibilité prévue par le législateur est restée lettre morte. La place des communes dans la mise en oeuvre des compétences d'aide sociale est aujourd'hui d'autant plus limitée que leur participation à la décision d'attribution des prestations par le département tend à s'atténuer.

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. B) LA PARTICIPATION DECROISSANTE DES COMMUNES A L'EXERCICE DE L'AIDE SOCIALE

La participation des communes à l'instruction des dossiers et aux procédures d'admission à l'aide sociale s'est progressivement atténuée pour la plupart des grandes prestations, à l'exception de l'hébergement des personnes âgées. Les communes n'interviennent pas, en effet, dans l'attribution de l'aide sociale aux personnes handicapées : les demandes d'allocation compensatrise pour tierce personne et d'hébergement des personnes handicapées sont traitées par les COTOREP, dont les décisions lient les autorités départementales qui prononcent l'admission. De même, les décisions de placements d'enfants sont prises soit par le juge, soit par le président du conseil général, sans consultation de la commune.

De surcroît, le rôle des élus communaux s'est sensiblement réduit dans le domaine de l'aide médicale. La loi n° 92-722 du 29 juillet 1992, inspirée par le souci de permettre un accès plus facile aux usagers et de simplifier le dispositif de gestion de l'aide médicale, comporte des dispositions qui réduisent encore davantage la participation des communes et de leur centres communaux d'action sociale (C.C.A.S.) à l'exercice de l'aide sociale.

Ainsi, le centre communal ou intercommunal d'action sociale, qui, en vertu de l'article 137 du code de la famille et de l'aide sociale, participe à l'instruction des demandes, n'est plus le seul établissement à pouvoir recueillir les dossiers : les services sanitaires et sociaux du département de résidence, des associations agréées à cette fin conjointement par le préfet et le président du conseil général, les caisses d'assurance maladie lorsqu'elles ont pu passer convention à cet effet avec le département, peuvent également accepter les demandes.

De même, l'enchaînement des opérations d'instruction et de décision a été modifié pour améliorer la rapidité et la simplicité du dispositif. Aussi, l'organisation de l'aide médicale a-t-elle été distinguée de celle de l'aide sociale générale dans la mesure où le pouvoir d'admission échappe désormais aux commissions locales d'admission, pour être confiée au président du conseil général (37).

Enfin, le pouvoir d'admission immédiate (anciennement "d'urgence"), essentiellement utilisé dans le cas de l'accès aux soins, n'appartient plus au maire dans le domaine de l'aide médicale mais peut seulement lui être délégué. Cette possibilité de délégation a certes été utilisée par de nombreux départements ; l'accélération des procédures d'admission au bénéfice de l'aide médicale limite cependant les cas où l'urgence peut justifier l'intervention des maires.

En définitive, les communes, par l'intermédiaire des commissions d'admission à l'aide sociale dont l'un des trois membres est obligatoirement le maire de la commune de résidence du demandeur (38) ne se prononcent plus que pour les personnes âgées, à l'exception notable de l'allocation compensatrice.

(37) ou au préfet dans le cas des personnes sans résidence stable et n'ayant pas de domicile au titre du R.M.I. (article189-3 du code de la famille et de l'action sociale). (38) Article 126 du CFAS.

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Le rôle des communes dans la mise en oeuvre du RMI est également limité. Les commissions locales d'insertion (C.L.I.) sont presque systématiquement présidées par un représentant de l'Etat ou du département. La Cour a relevé, à l'issue de son enquête sur le revenu minimum d'insertion, que la place faite aux élus communaux et aux personnes issues des milieux économiques et sociaux restait marginale et ne représentait que 6 % des présidences de C.L.I. S'il est vrai que la commune d'accueil de la commission est représentée par l'un de ses élus, son association à la conduite des actions d'insertion demeure encore marginale.

Cette limitation du partenariat existant entre les départements et les communes en matière d'aide sociale légale semble d'autant plus regrettable qu'elle tranche avec l'accroissement régulier du montant des contributions financières versées par les communes au titre de l'aide sociale. Cette évolution contradictoire n'apparaît pas cohérente avec les dispositions du décret n° 87-1146 du 31 décembre 1987, précisées par sa circulaire d'application du 26 janvier 1988. Selon ces deux textes, les responsabilités laissées aux communes, notamment en ce qui concerne l'instruction des dossiers de demande d'admission à l'aide sociale, justifient, en contrepartie, le maintien de leur participation financière aux dépenses qu'elles contribuent à engager. Or, cette justification est de plus en plus fragile.

Il conviendrait, en conséquence, soit de restituer aux communes une plus grande part dans la décision, soit de supprimer la contribution communale. Cette dernière solution, probablement plus respectueuse de la répartition des compétences voulue par le législateur, permettrait de mettre fin à une forme de participation complexe et sujette à de nombreux abus, qui constitue de surcroît le dernier avatar du système de financements croisés qui existait dans le domaine social. Sans pour autant mettre un terme à l'intervention très utile des services municipaux dans la réception des demandes d'admission des usagers, cette réforme pourrait s'effectuer par le transfert aux départements d'une partie des dotations versées par l'Etat aux communes.

. 2° DES RELATIONS PARFOIS DIFFICILES AVEC LES ORGANISMES DE SECURITE SOCIALE

La principale intervention des organismes de sécurité sociale (O.S.S.) dans la mise en oeuvre de l'aide sociale légale concerne le financement de certaines actions de protection maternelle et infantile (P.M.I.). Ils sont parallèlement gestionnaires de l'assurance personnelle, dispositif très lié à l'aide médicale, que les départements ont des difficultés à maîtriser.

. A) L'AMELIORATION DES RELATIONS FINANCIERES ENTRE LES CAISSES D'ASSURANCE MALADIE ET LES DEPARTEMENTS AU TITRE DE LA P.M.I.

L'article L 186 du code de la santé publique prévoit que les examens obligatoires liés à la protection maternelle et infantile (examen médical prénuptial, examens durant la grossesse et après l'accouchement, examens des enfants de moins de six ans), lorsqu'ils sont pratiqués dans une consultation du service départemental de P.M.I. et concernent des assurés sociaux ou leurs ayants droit, sont remboursés au département par les O.S.S. dont relèvent les intéressés conformément aux stipulations d'une convention passée avec le département.

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Les investigations des juridictions financières ont permis d'établir que la prise en charge par les organismes d'assurance maladie des consultations obligatoires de P.M.I. s'est progressivement généralisée. Des difficultés résiduelles ont toutefois été relevées, au moment de l'enquête, dans les départements de la Haute-Corse et du Puy-de-Dôme (39) où les organismes ne participent toujours pas aux frais afférents aux examens obligatoires, malgré, pour le dernier département, plusieurs demandes du conseil général. Il apparaît néanmoins que les relations financières entre les CPAM et les départements se sont, dans l'ensemble, régularisées.

Dans le domaine de l'aide médicale, aucune difficulté n'a été relevée dès lors qu'existe une convention entre le département et la CPAM. Dans un cas, celui du Val-de-Marne, les relations difficiles entre le département et la CPAM ont abouti à la dénonciation de la convention, au 1er janvier 1986, par la caisse primaire. Au cours des six années suivantes, les services départementaux ont cessé d'adresser à la CPAM les feuilles de soins qui leur permettaient de se faire rembourser le montant des soins pris en charge par la sécurité sociale, estimé, sur la période, à 230 millions de francs. La régularisation n'a pu se faire ultérieurement que sur des bases approximatives.

. B) LES CONSEQUENCES DE LA COMPLEXITE DU REGIME DE L'ASSURANCE PERSONNELLE

L'enquête conduite par la Cour sur l'assurance personnelle a relevé la lourdeur de ce dispositif destiné à permettre l'accès à l'assurance maladie de toutes les personnes dépourvues d'une couverture sociale à un autre titre. Les constatations faites dans le cadre du présent rapport ont confirmé les difficultés rencontrées par les départements, qui prennent à leur charge, au titre de l'aide sociale, les cotisations de 54 % des ayants-droits, pour vérifier la réalité de leur dette vis-à-vis des organismes d'assurance maladie.

La gestion de l'assurance personnelle fait intervenir de multiples partenaires (CPAM, URSSAF, conseils généraux) et donne lieu à une procédure lourde et complexe, comme l'illustre l'organisation relevée à Paris où interviennent, entre la demande d'assurance personnelle et le règlement de la cotisation correspondante, douze opérations différentes impliquant quatre services ou organismes distincts (40).

Les circuits de gestion se décomposent, en effet, en plusieurs phases traitées par des structures différentes soumises à leurs contraintes propres et mal reliées entre elles. Les liaisons entre les départements et les organismes de sécurité sociale se font au moyen d'outils inadaptés, et non sur des systèmes informatiques sûrs et compatibles seuls à même d'éviter les discordances entre les fichiers des assurés personnels des C.P.A.M. et ceux des services d'aide sociale. Même à Paris, où les organismes et services concernés disposent de moyens importants et où la volonté de coopérer ne peut être mise en doute, il a été constaté, au moment de l'enquête de la Cour, que les liaisons prenaient encore parfois la forme de correspondances dispersées et en tous cas utilisaient des supports en papier.

(39) D'après la caisse nationale de l'assurance maladie des travailleurs salariés (CNAMTS), les difficultés relevées dans le Puy-de-Dôme ont été régularisées en 1994 et celles concernant la Haute-Corse seraient sur le point de l'être. (40) Dans le cas le plus simple où ce circuit n'est pas perturbé par des opérations de régularisation ou par des litiges sur l'existence ou sur le montant de la dette.

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Surtout, ce système place les départements dans l'impossibilité de s'assurer que les bénéficiaires de l'assurance personnelle ne sont pas, par ailleurs, affiliés à un régime de sécurité sociale de droit commun, et, partant, de vérifier le montant des cotisations qui leur sont imputées par les U.R.S.S.A.F.

L'enquête de la Cour a permis de constater que l'identité parfaite systématiquement relevée entre les montants appelés par l'ACOSS et ceux versés par les services du département de Paris s'expliquait par l'absence de vérification par la DASES avant paiement. Les premiers contrôles réalisés par sondage, à partir du deuxième trimestre 1994, ont conduit à un taux de rejet de 24 %. Cette absence de contrôle a été également vérifiée dans le département de l'Hérault qui s'acquitte, en général, de sa dette dans la seule limite des crédits disponibles. Parmi les départements inclus dans l'enquête de la Cour sur l'assurance personnelle, seuls le Nord et le Doubs procédaient à de réelles vérifications sans toutefois que ce dernier soit en mesure d'effectuer un pointage systématique de toutes les situations individuelles avec le fichier des U.R.S.S.A.F.

Les constatations faites dans le cadre du présent rapport ont largement corroboré ces difficultés. A titre d'exemples, le département de Haute-Saône n'est pas en mesure de contrôler les cotisations d'assurance personnelle demandées par l'U.R.S.S.A.F. ; en Savoie, le département reconnaissait, au moment de l'enquête, ne pas "pouvoir justifier" environ 130 bénéficiaires de l'assurance personnelle sur les 400 recensés. Dans l'Ain et dans le Rhône, les vérifications lacunaires effectuées par la C.P.A.M. ont abouti à transférer indûment au département un certain nombre d'assurés, estimé à 10 % des bénéficiaires à l'issue d'un premier contrôle.

On comprend, dans ces conditions, que les départements n'aient pas utilisé la possibilité qui leur était offerte par le nouvel article L 182-3 du code de la sécurité sociale, issu de la loi du 29 juillet 1992, de déléguer leurs compétences aux O.S.S. en matière d'aide médicale, au moyen d'une convention. Selon un premier bilan de l'ensemble du régime conventionnel dressé par la C.N.A.M.T.S. le 20 janvier 1994, aucun département n'a délégué à la C.P.A.M. le pouvoir d'admission à l'aide médicale. Ce constat recoupe la situation relevée dans les 34 départements inclus dans l'enquête.

. 3° LES ASSOCIATIONS : UN PARTENARIAT MAL DEFINI, DES RELATIONS FINANCIERES PEU CONTROLEES

La décentralisation a peu modifié la situation du secteur associatif. Sa faculté d'apporter de manière souple et rapide des réponses à des besoins nouveaux en a fait depuis longtemps un acteur privilégié de l'action sociale.

Les associations sont donc restées des prestataires indispensables auxquels les départements recourent largement, voire délèguent, dans certains cas, la gestion d'une partie de l'aide sociale. De fait, le champ d'intervention des associations s'est élargi sans que les départements aient cependant mis en place les moyens d'assurer un suivi approprié des actions conduites par les associations qu'ils financent. Des insuffisances ont, en effet, été constatées tant dans la définition des objectifs fixés aux associations que dans les contrôles financiers dont elles font l'objet.

A) LA PARTICIPATION DES ASSOCIATIONS A L'EXERCICE DE MISSIONS DE SERVICE PUBLIC

Des délégations élargies à la gestion de missions de service public ont été observées dans de nombreux départements, dans tous les domaines de l'aide sociale. De telles pratiques peuvent offrir, lorsqu'elles sont circonscrites, une plus grande efficacité due à l'expérience des acteurs associatifs ; elle donnent cependant lieu à de fréquentes dérives lorsque les services départementaux se privent ainsi de toute information sur les

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conditions d'exercice des missions qu'ils délèguent ou, à l'inverse, recourent à des associations, créées spécialement à cet effet, pour s'abstraire des règles de la gestion publique.

Dans le Rhône, la mise en oeuvre et le suivi du placement familial ont ainsi été confiés par le conseil général à une association chargée de créer et de gérer un réseau de familles d'accueil pour les personnes âgées et les personnes handicapées. En Savoie, le département a décidé de privilégier l'action de deux associations financées en vue de favoriser le maintien à domicile des personnes âgées ; dans ce dernier cas, le recours à une structure tierce pour la mise en oeuvre d'éléments importants de cette politique, a privé le département des informations nécessaires pour développer une stratégie propre dans cette direction.

Dans le Haut-Rhin, le conseil général à délégué à deux associations le service social spécialisé auprès des personnes âgées de plus de 60 ans, dans la quasi totalité des communes du département. Le personnel de ces associations, chargées d'assurer un certain nombre de tâches de coordination et de délivrer des prestations, est pris en charge à hauteur de 19 équivalents temps plein, par le département.

C'est dans le domaine de l'aide sociale à l'enfance que les délégations aux associations sont les plus fréquentes. La plupart des départements figurant dans l'enquête y procèdent pour leur service chargé de mettre en oeuvre les actions éducatives en milieu ouvert (A.E.M.O.), ainsi que pour leur service de prévention spécialisée, dont le champ d'action peut être plus vaste que celui de l'aide sociale à l'enfance. Dans certains départements, la délégation couvre la totalité du service d'A.E.M.O. qui est ainsi confiée à une ou plusieurs associations, ce qui ne manque pas de soulever des difficultés quant à la marge de manoeuvre dont dispose ces départements pour négocier le contenu et le coût des prestations fournies par ces associations placées en situation de monopole. En Haute-Saône, le département a délégué à une association qui emploie 250 personnes la prévention spécialisée et les AEMO, sur la base de conventions qui datent de 1960 et qui n'ont pas été revues.

Le recours à de telles délégations apparaît, dans quelques cas, comme un simple moyen de s'abstraire des contraintes - et partant des garanties - attachées à la gestion publique.

Dans l'Orne, le service social polyvalent du département a été confié par convention du 1er avril 1987 à une association, ce qui constitue un cas unique en France. Celle-ci se substitue ainsi entièrement aux services du conseil général dans la mise en oeuvre d'une mission définie à l'article 28 de la loi du 30 juin 1975, et, selon les termes d'une convention passée le 1er avril 1987, participe à la mise en oeuvre de la politique d'action sociale et médico-sociale définie par le conseil général.

Ses liens avec le département sont par ailleurs très étroits : son conseil d'administration, présidé par le président du conseil général, est composé de onze membres, dont six conseillers généraux ; ses recettes proviennent du département à hauteur de 80 % ; elle bénéficie de mises à disposition de personnel départemental. La diversité de ses activités lui donne une position privilégiée pour connaître les réalités sociales les plus immédiates, mais la remontée d'informations vers les services départementaux compétents ne fonctionne pas de façon satisfaisante, conduisant le département à étudier les modalités d'une absorption de l'association dans un délai de trois ans.

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Dans le cadre de leur enquête sur le R.M.I., les juridictions financières ont également constaté l'existence d'associations spécifiquement créées par des départements pour la mise en oeuvre des actions d'insertion. Dans la plupart des cas, la difficulté d'apprécier leur utilité a été relevée. Ainsi, l'association, créée, en 1989, par le conseil général de la Loire, et présidée par le vice-président du conseil général, a été dotée d'une mission large dans le domaine de l'insertion. L'attribution de la subvention du département, qui constituait sa seule ressource stable et couvrait, en 1992, 85 % de ses charges, ne s'accompagne ni de l'indication de la répartition des fonds entre les dépenses d'investissement et de fonctionnement, ni d'un programme annuel d'activité fixant les objectifs, ni même de l'obligation de fournir chaque année un rapport d'activité au conseil général. Son rôle effectif apparaît, en outre, plus réduit que les missions dévolues par le conseil général.

Dans la Sarthe, le département a créé, en 1989, une association qu'il finance exclusivement, chargée notamment d'assurer la gestion des crédits d'insertion de la collectivité. Depuis 1992, à la suite des observations formulées par la chambre régionale, cette association n'est plus consultée que pour avis pour l'attribution des crédits d'insertion, la décision définitive et l'affectation des crédits relevant de la commission permanente du conseil général. Cependant, le maintien de cette structure a pour effet de soustraire au contrôle de légalité et au contrôle du comptable public, la rémunération des agents employés par l'association dont les missions relèvent de la fonction publique départementale.

Des associations, n'intervenant pas exclusivement comme le relais du département, ont passé convention avec ce dernier pour la mise en oeuvre d'actions d'insertion. Dans certains cas, la convention passée ne contient aucune précision sur la nature des actions financées ; dans d'autres, l'objet de la convention n'a qu'un lointain rapport avec le R.M.I.

Ainsi, dans le Doubs, le conseil général a apporté son concours à l'association "centre départemental de scoutisme" afin de financer à hauteur de 1 million de francs, imputés sur des crédits d'insertion, la première tranche d'une action intitulée "réhabilitation du bâtiment des scouts de France, sur la base d'un projet social de réinsertion". Après enquête, il apparaît que l'insertion s'est limitée à la création d'un emploi de gardiennage et, éventuellement, aux activités d'alphabétisation, tandis que la sous-traitance de certains lots, estimés à 0,3 million de francs, a bénéficié à des associations intermédiaires, attributaires, par ailleurs, de subventions spécifiques.

. B) LES ASSOCIATIONS GESTIONNAIRES D'ETABLISSEMENTS : DES OBJECTIFS MAL DEFINIS ET DES CONTROLES INSUFFISAMMENT EXERCES

Le poids du secteur associatif reste très élevé dans la gestion des établissements et des services. Les établissements pour adultes handicapés sont en quasi-totalité gérés par le secteur associatif : 90,6 % des capacités en foyers d'hébergement, 77,7 % des capacités en foyers de vie, 73,3 % des capacités en foyers à double tarification relèvent du secteur associatif. Si les établissements de l'aide sociale à l'enfance sont dans certains départements, tels Paris, gérés directement par la collectivité territoriale, 78 % des capacités en maisons d'enfants à caractère social ont cependant un statut associatif. Pour les établissements pour personnes âgées, cette proportion n'atteint que 21,6 % sur un total de 529 347 places recensées au 31 décembre 1992.

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Dans le domaine de la gestion des établissements d'hébergement, comme dans celui des services, la mise en place d'un partenariat efficace entre les départements et les associations souffre, tout d'abord, de l'absence d'une définition contractuelle des objectifs à atteindre. Les conventions signées par l'Etat avec les établissements ont toutes été reconduites par les départements sans que ces derniers aient arrêté dans les nouveaux contrats les objectifs fixés aux associations gestionnaires des établissements. Cette lacune peut s'expliquer, pour partie, par le fait que les départements n'ont pas clarifié leurs propres attentes dans ce domaine.

L'intervention des associations financées par le département, sur la base du prix de journée, souffre de surcroît de l'insuffisance des contrôles exercés sur la tarification. Cette situation s'explique, en premier lieu, par les difficultés rencontrées par certains dans l'organisation des services départementaux chargés du contrôle et de la tarification des établissements. Les moyens mis en oeuvre, tant en personnels, qu'en matériels, notamment informatiques, en vue d'assurer le suivi financier des établissements et une réelle vérification de la pertinence des prix de journée sont, le plus souvent, insuffisants.

En Haute-Saône, en dehors d'un cadre issu du corps des personnels supérieurs des affaires sanitaires et sociales, aucun agent n'apparaît qualifié pour exercer ce type de contrôle. En Indre-et-Loire, le contrôle financier des établissements est exclusivement exercé par le service tarification, les services de l'aide sociale à l'enfance n'intervenant que pour effectuer le suivi des situations individuelles. De fait, le contrôle de la facturation n'est assuré que par les services centraux sans que puisse être vérifiée la concordance des factures avec la réalité des présences.

Les défaillances des services départementaux en matière de tarification s'étendent également au retard constaté dans la signature des arrêtés fixant les prix de journée. Alors que la réglementation en vigueur prévoit que la tarification pour l'année N doit être arrêtée avant le premier janvier de l'année N, l'examen des délais de notification des arrêtés de tarification pris, en 1993, par le département de Paris pour les établissements privés à but non lucratif, fait apparaître que, sur 98 établissements, 41 avaient reçu notification de leur tarif au cours du deuxième semestre 1993 et 6 au cours de l'année 1994. Cette situation n'est justifiée par la direction compétente du département que par des raisons internes (vacances de postes, maladies), par des délais trop longs entre les différents intervenants et par la complexité des circuits entre la discussion budgétaire et la décision finale. Or, ces retards, préjudiciables aux établissements qui subissent une charge indue de trésorerie, pénalisent également le département qui, en définitive, en assume le coût par leur inclusion dans le prix de journée.

En second lieu, la tâche des départements n'est pas facilitée par certaines associations qui refusent de transmettre des informations ou limitent ces dernières. Le département d'Indre-et-Loire a constaté que des établissements procédaient à des opérations d'investissement ou à des transformations de postes sans autorisation préalable, bien que le poids financier de ces décisions soit appelé à s'imputer sur le prix de journée. En Seine-et-Marne, le contrôle approfondi de deux établissements pour personnes âgées gérés par une association n'a été effectué pour la première fois qu'en 1991, après que ses responsables eurent longtemps refusé de transmettre les informations demandées par le département.

Surtout, les contrôles restent limités par l'absence de convention financière fixant la nature et les modalités de communication des pièces justificatives. Cette lacune est aggravée par la rareté, voire l'inexistence, des contrôles sur place qui, pourtant, constituent la seule méthode de vérification efficace de la réalité des journées facturées. Dans le Loir-et-Cher, de tels contrôles n'existent pas ; dans le Rhône, ce type de contrôle

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n'existe pas encore pour les établissements habilités de l'A.S.E. mais il devrait se mettre en place progressivement. Quelques départements commencent, en effet, à lancer des initiatives en ce sens : la Haute-Savoie prend à sa charge les honoraires liés à la certification des comptes des associations que le département finance.

Les carences relevées dans les contrôles exercés sur les établissements se retrouvent pour l'attribution des subventions de fonctionnement. Le département de la Dordogne n'a pas défini de critères pour l'attribution de subventions à caractère social et ne passe pas de convention avec les associations bénéficiaires. Le suivi de l'utilisation des subventions versées, dans le but d'éviter le maintien de financements devenus sans objet, n'est pas assuré. Dans la Sarthe, des subventions importantes ont été accordées à des associations sans que les objectifs poursuivis et les engagements réciproques aient été formalisés. Dans le Puy-de-Dôme, l'octroi de subventions aux associations n'implique pas d'engagement de leur part à respecter le schéma départemental ni à suivre la politique départementale d'action sociale. En outre, l'évaluation des concours attribués par rapport aux objectifs départementaux n'est pas faite.

En Haute-Saône, l'utilisation des subventions de fonctionnement ne donne lieu à aucun contrôle particulier, ni convention spécifique. Dans le Loir-et-Cher, le contrôle des organismes subventionnés ne répond pas à un schéma particulier : le bilan certifié conforme est exigé des associations bénéficiant d'une subvention supérieure à 500 000 francs ou représentant plus de 50 % de leur budget (loi 92-125 du 6 février 1992) et un contrôle administratif est effectué dans le cadre de la procédure de reconduction à partir des documents produits ou de renseignements ponctuellement recueillis, sans qu'il existe un véritable dispositif d'évaluation des services rendus par les associations à la collectivité en contrepartie des fonds versés.

*** L'absence de définition des objectifs attendus et le caractère sommaire des

contrôles exercés par les départements ne leur permettent donc pas d'évaluer sérieusement la réalité des services rendus par les associations et des coûts facturés par ces dernières. Or, en 1993, les dépenses d'hébergement en établissements représentaient près de 56 % des dépenses directes brutes d'aide sociale.

La faiblesse des contrôles départementaux est d'autant plus regrettable, que ceux-ci constituent les seuls contrôles financiers externes susceptibles d'être exercés sur les associations. Les chambres régionales des comptes, en effet, ne sont pas elles-mêmes compétentes dès lors que les établissements sont simplement financés par prix de journée, et même s'ils reçoivent par ce biais la majeure partie de leurs ressources d'une collectivité publique.

Les services départementaux semblent pourtant disposer de tous les moyens nécessaires pour assumer une fonction de contrôle qui relève, au premier chef, de leur responsabilité de financeurs. Les quelques cas relevés par les juridictions financières, où des vérifications approfondies ont été conduites par un département sur des associations, attestent de l'efficacité de telles pratiques. En Seine-et-Marne, une association gestionnaire de quatre établissements d'accueil pour personnes âgées et personnes handicapées a fait l'objet d'un contrôle, rendu nécessaire par l'absence de transparence de sa direction ; ses résultats ont montré que le partage des charges existant entre le secteur libéral et le secteur habilité, cohabitant au sein des structures d'accueil, se faisait aux dépens du département qui supportait ainsi un surcoût injustifié.

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Cour des comptes - rapport public particulier – La décentralisation en matière d’aide sociale (décembre 1995) 88

Ainsi, le développement de tels contrôles nécessiterait que, préalablement à toute habilitation d'établissement, des conventions précises soient conclues entre les départements et les associations sur les modalités des contrôles ; celles-ci devraient prévoir le principe de contrôles réguliers sur pièces et sur place, seuls à même de permettre un exercice plein des prérogatives du département. Enfin, le déconventionnement des établissements devrait pouvoir sanctionner les abus ou les manquements aux règles conventionnelles fixées.

Faute d'une telle transparence dans les relations entre les associations et les départements et d'une rigueur véritable dans l'exercice de contrôles, les départements se privent de l'un des quelques instruments en leur possession pour maîtriser l'évolution de leurs dépenses.

RESUME DE LA TROISIEME PARTIE

_______

Les départements ont peu développé, sinon avec retard, les instruments nécessaires à la définition de leur politique d'aide sociale : la connaissance des besoins des populations prises en charge demeure lacunaire, des moyens d'observation et d'analyse n'ayant été que récemment mis en place dans quelques départements. Les règlements départementaux n'ont été adoptés que dans la moitié environ des départements. Leur absence est une gêne pour l'exercice du contrôle de légalité par les services de l'Etat et pour la connaissance de leurs droits par les usagers, dont ils visaient à améliorer l'information.

Le développement des équipements d'hébergement, auquel les départements ont consacré des crédits importants, ne s'est pas partout inscrit dans le cadre d'une programmation formalisée ; les schémas départementaux, créés à cette fin, n'ont pas été, là encore, arrêtés dans la majorité des cas. De fait, le développement de l'offre en hébergement s'est fondée sur une analyse sommaire des besoins et a engendré d'importantes situations de déséquilibre géographique.

Les services départementaux chargés de l'aide sociale, transférés sans difficultés, aux conseils généraux, ont vu leurs effectifs et leurs moyens s'accroître considérablement. Les départements se sont progressivement impliqués davantage dans l'organisation de leur direction sociale en déconcentrant leur gestion et en spécialisant leurs services. Cette mutation en cours de l'organisation de l'aide sociale départementale n'est pas encore stabilisée et reste limitée par l'insuffisance des instruments de suivi de l'activité des services.

Enfin, certains partenaires ont été associés à l'exercice des compétences départementales. Il s'agit, en premier lieu, des associations sur lesquelles les départements s'appuient largement aussi bien dans la gestion de l'hébergement ou de prestations que dans l'exercice de certaines missions de service public. Toutefois, les modalités de leurs interventions et de leur contrôle financier n'ont pas été vraiment définies. De même, les relations avec les organismes de sécurité sociale, associés dans le domaine de la PMI, de l'aide médicale et de l'assurance personnelle, sont encore mal maîtrisées par les départements. Enfin, le rôle traditionnellement important des communes dans la mise en oeuvre des politiques d'aide sociale tend à se réduire alors même que leur contribution financière augmente sensiblement depuis 1984.

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QUATRIEME PARTIE

UNE ABSENCE DE COORDINATION PREJUDICIABLE A L'EFFICACITE

DES POLITIQUES D'AIDE SOCIALE

La logique des blocs de compétences, recherchée par le législateur dans le cadre des lois de décentralisation, n'a pas abouti au résultat souhaité ; loin de permettre la délimitation au sein de l'aide sociale de compétences homogènes et séparées, le partage a maintenu l'intervention conjointe de l'Etat, des organismes de sécurité sociale et des collectivités territoriales dans la mise en oeuvre de politiques visant les mêmes publics.

Ainsi, dans le domaine de l'enfance, la décision est partagée par le département et les services judiciaires. Pour les populations accueillies en établissement ou maintenues à domicile, la prise en charge médicale relève logiquement de l'assurance maladie pour son financement et de l'Etat pour la tarification. Les établissements d'accueil des personnes handicapées (mineurs et adultes) relèvent, selon les spécialisations, soit de l'Etat seul, soit du département, soit encore de l'assurance maladie sous le contrôle de l'Etat.

De surcroît, la mise en oeuvre de nouvelles politiques de lutte contre l'exclusion a associé ces différents acteurs à l'exercice conjoint de compétences partagées. Enfin, cette multiplication des interventions s'est encore accrue du fait du développement, par l'ensemble des organismes de protection sociale et des collectivités territoriales, et notamment des communes, d'actions supplémentaires ou facultatives en direction des mêmes publics.

Ainsi, à l'inverse de l'objectif recherché par le législateur, il apparaît que le domaine de l'aide sociale se prêtait mal à de tels cloisonnements dans les compétences attribuées aux uns et aux autres. Inévitables dans un premier temps, ces interventions croisées ont fini par être légalement réintroduites, pour les dispositifs de lutte contre l'exclusion. Si l'évolution observée depuis dix ans, dans le sens d'une mobilisation de tous les partenaires, a manifestement été imposée par le poids des difficultés qu'aurait soulevé tout autre choix, il est néanmoins regrettable qu'elle ne se soit pas accompagnée d'un effort suffisant pour en limiter les écueils.

Les prestations d'aide sociale s'adressent, en effet, aux catégories les plus fragiles de la population. Elles sont également complétées par d'autres dispositifs, ressortissant de l'action sanitaire et sociale conduite par l'Etat, les communes et les organismes de protection sociale.

Leur efficacité suppose donc que les différentes collectivités publiques responsables offrent aux usagers des dispositifs simples dans leur articulation, cohérents dans leurs conditions d'accès et adaptés aux besoins des intéressés. Or, la multiplication des interventions souffre, aujourd'hui, d'une coordination insuffisante tant dans la définition que dans la mise en oeuvre des politiques ; l'absence de cohérence entre les différentes modalités de financement entraîne des rigidités préjudiciables aux usagers ; l'éclatement des responsabilités a privé les acteurs de l'information nécessaire à la mise en oeuvre de véritables évaluations des politiques entreprises.

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A. - UNE CONCERTATION INSUFFISANTE DANS LA DEFINITION ET LA MISE EN OEUVRE DES POLITIQUES D'AIDE SOCIALE

. 1° UNE DEFINITION ECLATEE DES POLITIQUES D'AIDE SOCIALE La coordination entre l'Etat, les départements et les organismes de sécurité sociale

est insuffisante tant dans l'articulation des différents schémas dont ils se dotent que dans la connaissance réciproque des prestations qu'ils mettent en place.

. A) UNE ARTICULATION INSUFFISANTE DANS LA DEFINITION DES DIFFERENTS SCHEMAS D'INTERVENTION

. - L'ABSENCE DE SCHEMAS DEPARTEMENTAUX RELATIFS AUX ETABLISSEMENTS SOUS DOUBLE TARIFICATION :

L'élaboration des schémas départementaux des équipements et services relevant de la compétence exclusive du conseil général n'a été engagée que très récemment sans concerner encore la totalité des départements français. L'examen des schémas, souvent partiels, d'ores et déjà adoptés montre que leur préparation a souvent associé de nombreux partenaires, publics et privés. Dans le domaine de l'aide sociale à l'enfance, il est ainsi fréquent que des groupes de travail informels aient réuni les services de la protection judiciaire de la jeunesse, des représentants de la DDASS, des magistrats, etc. De même, la plupart des départements ont procédé à des consultations avant d'adopter leur schéma relatif aux personnes âgées.

En revanche, la coordination a été beaucoup moins recherchée dans un domaine où elle s'avère pourtant indispensable. L'Etat et les départements assurent, en effet, le financement conjoint d'établissements relevant d'une double tarification. L'article 2.2 de la loi du 30 juin 1975 modifiée prévoit, dans ce cas, l'élaboration concertée d'un schéma départemental adopté à la fois par le président du conseil général et par le préfet de département. Or, parmi les 34 départements inclus dans l'enquête de la Cour, aucun ne s'est doté d'un tel schéma (41).

Ainsi, en Dordogne, aucun accord n’avait pu intervenir sur le schéma élaboré en 1987, les différents financeurs ayant des plans de financement trop éloignés les uns des autres. Dans la Sarthe, le schéma pour personnes âgées de 1989 ne traite que des équipements et services relevant de la compétence exclusive du département, et pour ce qui concerne la dépendance des personnes âgées et la médicalisation des structures, précise : "les services de l’Etat tentent d’y répondre en fonction des enveloppes budgétaires mises à leur disposition". De même, en Meurthe-et-Moselle, comme dans la plupart des autres départements lorrains, les difficultés rencontrées dans l'élaboration du schéma relatif aux établissements à financement conjoint n'a pas permis d'aboutir à un document de programmation. Enfin, à Paris, aucune démarche n'avait été engagée en ce sens au moment de l'enquête.

. - L'ABSENCE DE CONCERTATION PREALABLE A LA MISE EN OEUVRE DU PLAN NATIONAL DE CREATION DE PLACES EN CENTRE D'AIDE PAR LE TRAVAIL :

Dans le cadre d'un protocole d'accord sur l'intégration professionnelle des travailleurs handicapés, passé avec les grandes organisations représentatives des personnes handicapées le 8 novembre 1989, l'Etat a apporté une réponse aux besoins de places en établissements pour adultes handicapés relevant de sa compétence financière. A cette fin, il s'est engagé sur un plan national pluriannuel 1990-1993 de création de 10 800

(41) Concernant les schémas gérontologiques, établis en application de la circulaire du 7 avril 1982, 14 des 54 schémas recensés avaient été cosignés par l'Etat et le département.

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places en centre d'aide par le travail (C.A.T.).

Comme l'a relevé la Cour dans son rapport de novembre 1993 sur les politiques sociales en faveur des personnes handicapées adultes, les services de l'Etat ont procédé à la répartition des créations de places selon une méthode relativement sommaire, se limitant pour l'essentiel à comparer le taux d'équipement départemental à la moyenne nationale. Or, les ouvertures de places en C.A.T. n'ont pas donné lieu à une concertation organisée avec les départements, alors que l'exécution du plan a eu des conséquences importantes pour ces derniers, en matière d'hébergement des adultes handicapés.

Selon une constatation faite dans la plupart des départements, la création de deux places de C.A.T. doit en effet s'accompagner de celle d'une place de foyer d'hébergement pour permettre une prise en charge satisfaisante des travailleurs handicapés ; une partie d'entre eux s'éloigne en effet de son milieu familial pour pouvoir rejoindre une structure de travail. Aussi, l'absence de concertation entre les services de l'Etat et les départements a-t-elle conduit ces derniers à devoir rapidement modifier leur propre programmation afin de créer les places nécessaires en foyer d'hébergement et d'accompagner l'exécution d'un plan qu'ils ne maîtrisaient pas.

Il est vrai qu'à l'exception d'un seul département, cette situation n'a pas suscité de réels conflits entre l'Etat et les départements, dans la mesure où ces derniers ont accueilli avec satisfaction l'effort financier de l'Etat pour combler le retard constaté dans les C.A.T. Il reste que cette lacune souligne l'absence actuelle de coordination formalisée dans la définition des objectifs et des programmes d'investissements, alors même que les décisions de l'un modifient les conditions d'exercice des compétences de l'autre.

- UN LIEN ENCORE INSUFFISANT ENTRE LA PROGRAMMATION DEPARTEMENTALE EN MATIERE DE PRISE EN CHARGE DES PERSONNES AGEES HEBERGEES ET LA POLITIQUE SANITAIRE DE L'ETAT :

Les outils de programmation dont disposent l'Etat dans le domaine sanitaire et les départements dans le domaine médico-social sont conçus à des niveaux territoriaux différents alors qu'ils concernent, au moins partiellement, le même secteur des personnes âgées dépendantes.

Outre la programmation nationale qu'il met en oeuvre pour certains matériels lourds, l'Etat s'appuie, en effet, sur des schémas régionaux d'organisation sanitaire et sociale préparés par les directions régionales des affaires sanitaires et sociales (DRASS). Ces schémas définissent les besoins concernant les installations, les équipements matériels lourds, les structures de soins alternatives à l'hospitalisation et les activités de soins, dont les soins de longue durée, ou services de long séjour (Cf art R 712-2 du code de la santé publique issu du décret 91-1410 du 31 décembre 1991). Les départements, pour leur part, élaborent des schémas départementaux des établissements et services.

Ces instruments de programmation mis en oeuvre par l'Etat et les départements sont cloisonnés, leur juxtaposition ne garantissant pas la compatibilité des perspectives d'évolution, arrêtées de part et d'autre, des dispositifs de prise en charge. Deux diagnostics différents sur l'état des besoins de la population peuvent, en effet, être formulés dès lors que la maîtrise d'ouvrage dans le domaine social relève du conseil général tandis que l'organisation sanitaire est de la compétence de l'Etat.

Ni la loi du 6 janvier 1986, ni la loi 91-748 du 31 juillet 1991, portant réforme hospitalière, n'ont apporté de solution pour rapprocher ces deux démarches. L'article L 712-4 du code de la santé publique, issu de la loi du 31 juillet 1991, dispose simplement que "des contrats pluriannuels conclus entre les établissements de santé, les organismes de sécurité sociale et, le cas échéant, des collectivités locales permettent la

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réalisation des objectifs retenus par le schéma d'organisation sanitaire".

Ainsi, en Savoie, alors que la volonté manifestée, dès 1985, par le département de médicaliser les établissements pour personnes âgées a été acceptée par l'Etat, la redéfinition de la politique hospitalière conduite par l'Etat n'associe pas le département alors que l'organisation de l'offre de soins influe, en partie, sur celle de l'hébergement des personnes âgées. De même, dans le Haut-Rhin, le département et l'Etat se sont certes accordés sur la nécessité de renforcer la médicalisation des lits pour personnes âgées mais divergent sur l'opportunité de porter cet effort sur le développement de lits de long séjour dans les hôpitaux généraux ou sur l'attribution de moyens permettant une médicalisation plus poussée de chaque maison de retraite.

Dans l'hypothèse même où une coordination est mise en place, les orientations retenues par le schéma départemental ne peuvent s'accompagner d'une évolution simultanée des financements relevant de l'Etat : ainsi, le schéma départemental des établissements et services pour personnes âgées, établi par le Loir-et-Cher, a posé, pour première priorité, la nécessité d'augmenter le nombre des lits de long séjour alors que leur création relève de l'Etat ; de même, il prévoit la transformation de lits de maisons de retraite annexées aux hôpitaux en lits de long séjour et la création de lits nouveaux, toutes initiatives qui appartiennent également aux services de l'Etat.

Les schémas régionaux d'organisation sanitaire (S.R.O.S.) n'auront pas offert, jusqu'à présent, le cadre d'une véritable concertation entre l'Etat et les départements : les premiers schémas qui ne portaient que sur le court et le moyen séjour, ont été élaborés sans associer les conseils généraux (42).

De même, les relations entre les conseils généraux et les comités régionaux d’organisation sanitaire et sociale (C.R.O.S.S.) (43), chargés de rendre un avis sur les projets d'habilitation par les présidents de conseil général des établissements sociaux ou médico-sociaux, sont marquées par une absence regrettable de concertation. L'élaboration des schémas départementaux n'associe jamais les membres des CROSS et les schémas adoptés sont rarement transmis au comité régional ; selon la direction de l'action sociale du ministère des affaires sociales et de la santé, seulement 4 des 54 schémas gérontologiques élaborés par les départements, en application de la circulaire du 7 avril 1982, avaient donné lieu à une consultation du CROSS.

A l'inverse, les avis émis par le comité régional ne découlent pas toujours d'une réflexion globale sur les besoins à satisfaire mais plutôt d'appréciations ponctuelles sans toujours se référer aux schémas existants. L’attitude des présidents de conseil général face aux avis émis par le CROSS souligne cette absence de coordination. Ainsi, en région Rhône-Alpes, de 1983 à 1993, sur 9 255 créations de lits ayant fait l’objet d’un avis défavorable, 46 % d’entre elles ont malgré tout été autorisées par les départements.

Une amorce de coordination a toutefois pris forme dans certains départements. Ainsi, en Meurthe-et-Moselle, les services de l'Etat ont choisi de se référer au schéma départemental pour la répartition des crédits de soins aux structures d'hébergement des personnes âgées et aux services à domicile.

(42) A l'exception du schéma élaboré en Midi-Pyrénées qui aborde le secteur médico-social. (43) Qui existait sous l'appellation de CRISMS (commission régionale pour les institutions sociales et médico-sociales) avant la création des CROSS.

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Pour tenter de débloquer la situation, l'Etat a également mis au point des outils particuliers de programmation, tels que les schémas départementaux de la protection judiciaire de la jeunesse (P.J.J.) qui s'inscrivent dans le cadre des orientations définies par la loi du 19 août 1986 et concernent les établissements et services auxquels l'autorité judiciaire confie directement et habituellement des mineurs. En ce domaine, la coordination entre les services de l'Etat et ceux du département semble avoir été davantage recherchée, comme ont pu le constater les juridictions financières dans la plupart des départements inclus dans l'enquête.

Ces quelques exemples d'une coordination réussie attestent de l'intérêt de formaliser davantage le cadre institutionnel et les outils nécessaires à l'élaboration d'un diagnostic concerté et d'une programmation cohérente entre l'Etat et le département.

B) DE RARES ECHANGES D'INFORMATIONS EN MATIERE DE DEFINITION DES PRESTATIONS

Les départements, les communes et les organismes de sécurité sociale ont développé un ensemble de prestations, légales ou facultatives, qui répondent à des besoins très proches et visent des populations souvent identiques. Il est pourtant peu fréquent qu'ils s'informent mutuellement quand ils définissent les modalités de leurs interventions respectives.

- LES COMMUNES ET LEUR C.C.A.S. CONDUISENT DES ACTIONS D'UNE AMPLEUR CROISSANTE :

Si la décentralisation de l'aide sociale n'a pas amené les départements à déléguer certaines de leurs attributions aux communes, celles-ci, notamment les plus peuplées, n'ont cependant pas renoncé à affirmer leur capacité d'initiative. Les communes sont donc intervenues de façon croissante, au cours des dernières années, dans le domaine de l'action sociale.

Outre leur fonction traditionnelle en faveur de la petite enfance (crèches, haltes-garderies), les communes et leur C.C.A.S. ont élargi leur domaine d'action en organisant des interventions plus globales en matière de développement social et de prévention de la délinquance. L'importance grandissante des interventions communales semble confirmée par le souci de nombreuses communes de reprendre à leur propre compte la gestion de l'action sociale, souvent au détriment des centres communaux d'action sociale (C.C.A.S.).

Il reste qu'au-delà de cette tendance, le partage des rôles entre les services municipaux et ceux du C.C.A.S. est très variable, comme le montrent les trois exemples développés ci-dessous :

A Tourcoing, le C.C.A.S. est compétent pour la partie communale de l'aide sociale légale, l'aide aux personnes défavorisées et les actions en faveur des personnes âgées. La commune prend en charge l'accueil de la petite enfance, les actions de prévention en matière de santé, les actions de prévention de la délinquance et de développement social des quartiers, plus globalement l'insertion sociale et économique.

A Annecy, l'action sociale en faveur des personnes âgées revient au C.C.A.S. ; l'accueil de la petite enfance, l'action sociale en faveur des personnes handicapées et la participation à l'insertion des bénéficiaires du R.M.I. sont traités par la commune.

A Rennes, le C.C.A.S. est intégré à la direction générale solidarité-santé de la commune. Il gère l'action sociale en faveur des personnes âgées, ainsi que le service d'insertion et attribue diverses aides facultatives. La commune prend en charge l'accueil de la petite enfance, l'hygiène et la santé, l'habitat social et l'aide aux familles.

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En règle générale, les C.C.A.S. s'investissent dans l'action sociale en faveur des personnes âgées ; cet accent mis sur l'insertion sociale des personnes âgées les a conduit à intervenir dans le fonctionnement d'établissements et la création de nombreux services (logements-foyers, clubs du troisième âge, portage de repas, téléalarme, etc.). Les communes de taille moyenne ou grande ont été amenées à s'investir dans la "politique de la ville" dont le contenu recouvre des actions en faveur de la jeunesse, la prévention de la délinquance, le développement social des quartiers.

. - DES ACTIONS NI CONNUES NI RECENSEES : Malgré l'accroissement du rôle des communes, leurs actions ne sont ni connues ni

recensées par la plupart des départements compris dans l'enquête. Certes, aucun texte ne prévoit que les départements effectuent un tel recensement dont le caractère obligatoire pourrait même s'apparenter à une forme de tutelle d'une collectivité territoriale sur une autre. Il reste que l'ignorance par le département des initiatives prises par les communes nuit à la cohérence des différents dispositifs.

Aussi, certains conseils généraux ont-ils cherché à mieux connaître la nature des actions menées à l'échelon local. Ce recensement, quand il existe, ne suffit cependant pas à garantir une coordination satisfaisante entre les échelons départemental et communal. Dans le Loir-et-Cher, les deux communes les plus importantes, Blois et Vendôme, ont recruté des travailleurs sociaux sans qu'une convention entre les deux C.C.A.S. et le service départemental ait permis de répartir les tâches, notamment en ce qui concerne l'accueil du public. Un constat assez proche a été fait dans l'Orne où les communes les plus importantes ont défini leur politique d'action sociale, s'estimant les mieux placées pour mener à bien une action sociale de proximité : portage des repas à domicile pour les personnes âgées, cantines pour les enfants, bons alimentaires, logement, etc. Or, aucun partenariat n'a été mis en place avec le département.

Faute d'une coordination formelle, les échanges d'informations dépendent des circonstances ; ils ont lieu, soit sur le terrain lorsque les agents travaillent de concert, soit entre élus de niveau territorial différent, soit entre administrations alertées par des élus titulaires de mandats municipaux et départementaux.

Cette faible connaissance qu'ont les départements des actions menées par les communes ne leur permet donc pas de moduler ou de développer convenablement leurs propres interventions, notamment dans le domaine de l'aide sociale facultative.

- L'ABSENCE DE CONCERTATION ENTRE L'AIDE SOCIALE DEPARTEMENTALE ET L'ACTION SANITAIRE ET SOCIALE DES ORGANISMES DE SECURITE SOCIALE :

Les organismes de sécurité sociale développent, en plus de leur fonction fondamentale d'assurance sociale, des actions sanitaires et sociales (A.S.S.) financées par des fonds spécifiques (fonds d'action sanitaire et sociale). Leurs montants sont très importants : à titre d'exemple, le budget prévisionnel 1995 du fonds national d'A.S.S. de la caisse nationale d'assurance vieillesse des travailleurs salariés s'élève à 3,29 milliards de francs ; celui de la caisse nationale des allocations familiales a atteint 9,4 milliards de francs en 1994.

Malgré l'importance des montants en jeu, aucune disposition législative ou réglementaire ne prévoit que les modalités d'intervention des organismes de protection sociale, définies librement par les conseils d'administration des caisses, soient coordonnées ou, à tout le moins, concertées avec celles des départements. De fait, les échanges d'informations entre organismes et conseils généraux sont très limités : ainsi, en Corse-du-Sud, en Dordogne et dans les Landes, les départements n'ont pas connaissance des actions menées par les CPAM ; en Isère, dans le Puy-de-Dôme et en Haute-Saône,

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cette absence de concertation est observée pour l'ensemble des organismes de sécurité sociale (O.S.S.).

Cette absence d'échange d'informations entre les O.S.S. et les départements ne permet donc pas, là encore, aux uns et aux autres, de moduler leurs actions afin de les rendre complémentaires. Or, un tel souci peut s'avérer fructueux, comme l'indique l'exemple de l'Orne dont le conseil général a engagé une large concertation avec la C.A.F. sur les actions sociales menées par chacune des deux institutions. Cette concertation a permis l'adoption de règles de calcul communes (quotient familial) pour l'attribution des aides sociales facultatives, de travailleuses familiales notamment. Cet exemple reste malheureusement isolé.

. 2° UNE MISE EN OEUVRE EN ORDRE DISPERSE L'absence de coordination entre les différents intervenants dans le domaine social

se traduit par des difficultés de mise en oeuvre des politiques, constatées aussi bien pour l'aide au maintien à domicile, l'aide sociale à l'enfance et le revenu minimum d'insertion.

. A) L'ABSENCE DE COORDINATION ENTRE LES MULTIPLES INTERVENANTS DANS LE DOMAINE DE L'AIDE AU MAINTIEN A DOMICILE DES PERSONNES AGEES

L'action des départements, en principe maîtres d'oeuvre de la politique en faveur des personnes âgées, est fortement limitée par l'intervention croissante d'autres acteurs : les services de soins à domicile échappent à sa compétence puisque ces prestations sont logiquement financées par l'assurance maladie ; les régimes de retraite (CNAVTS et autres régimes) se sont investis, au titre de leur action sociale propre, dans le financement des aides ménagères et de l'habitat, pour des montants aujourd'hui supérieurs à celui de l'aide sociale légale ; enfin, les communes ont développé des aides individuelles de diverses natures, relatives à l'habitat, à la garde à domicile, au portage des repas, etc.

L'absence de tout dispositif de coordination de ces multiples interventions, pourtant prévu dans son principe par le code de la famille et de l'aide sociale, nuit à la cohérence et à l'efficacité de la politique de maintien à domicile, et rend l'offre de prestations singulièrement complexe pour l'usager.

. - LE DEVELOPPEMENT DES ACTIONS CONDUITES PAR LES OSS ET LES COMMUNES A ACCENTUE L'ECLATEMENT DES COMPETENCES ET L'AFFAIBLISSEMENT DU ROLE DES DEPARTEMENTS :

Les interventions en faveur du maintien à domicile des personnes âgées se sont multipliées. En complément de la compétence acquise par les départements dans le domaine de l'aide sociale en faveur des personnes âgées, les organismes de sécurité sociale accordent une attention prioritaire à l'amélioration de l'habitat des personnes de plus de soixante ans. Considérant que ce facteur est un préalable indispensable à la politique de maintien à domicile, les organismes de protection sociale de la branche vieillesse réservent des crédits importants consacrés à l'habitat de leurs ressortissants (137 millions de francs en 1994 pour la CNAVTS).

Les services de soins à domicile pour personnes âgées, institués par la loi du 14 janvier 1978 et réglementés par un décret du 8 mai 1981, échappent également, et logiquement, à la compétence des départements, dès lors que leur financement est assuré par les régimes d'assurance maladie et les décisions relatives à leur création appartiennent aux services de l'Etat. Or, leur vocation qui consiste à apporter aux personnes âgées malades les prestations de maternage et de soins infirmiers qui ne pourraient, autrement, leur être délivrées qu'en service de long séjour ou en section de cure médicale, fait de ces services un maillon indispensable du dispositif de maintien à domicile en autorisant

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notamment l'intervention des aides soignantes au domicile des personnes âgées.

Les services de voisinage en faveur des personnes âgées (portage des repas à domicile, restauration, ramassage de linge, téléalarme, garde à domicile,..) constituent le champ d'intervention privilégié des communes.

Ainsi, le développement des interventions a réduit d'autant la part de l'aide sociale départementale consacrée au maintien à domicile des personnes âgées. Le montant des dépenses départementales en matière d'aide à domicile ne représentait plus, en 1993, que 1.038 millions de francs, soit 1,6 % des dépenses totales contre 1,9 % en 1988. Cette tendance nationale se traduit, dans 46 des départements métropolitains, par une réduction du montant des crédits en valeur absolue ; dans huit départements, cette diminution a dépassé 40 % et atteint des montants parfois sensibles.

Si cette réduction des interventions des collectivités départementales dans le domaine du maintien à domicile doit être nuancée par le poids croissant de l'allocation compensatrice, cette évolution s'explique cependant de deux manières différentes. En premier lieu, le nombre des personnes âgées justifiant d'un niveau de revenus inférieur au seuil de l'aide sociale est en constante diminution : le nombre des bénéficiaires de l'allocation supplémentaire au titre du minimum vieillesse est passé de 1 553 milliers de personnes en 1984 à 1 059 milliers en 1993, selon les chiffres publiés par le ministère des affaires sociales. En second lieu, la multiplication des intervenants en direction des personnes âgées a incité les départements à limiter leurs efforts dans ce domaine, tant au titre de l'aide légale que des prestations facultatives.

L'aide à domicile aux personnes âgées se présente donc comme un ensemble morcelé dont aucune instance de pilotage ou, à tout le moins, de concertation ne semble en mesure d'assurer la cohérence. En Loire-Atlantique, les relations entre le département et les O.S.S. sont marquées par des tensions, notamment en ce qui concerne la communication des fichiers des bénéficiaires de l'aide ménagère. Dans le département des Landes, la modification par la caisse régionale d'assurance maladie des modalités d'attribution de l'aide ménagère a été portée à la connaissance du conseil général par l'intermédiaire des associations, alors même que cette mesure risquait d'entraîner un afflux de demandes en vue de bénéficier de l'allocation compensatrice. En Savoie, le département dispose de peu d'informations sur le maintien à domicile.

La complexité du dispositif actuel nuit à l'efficacité des réponses apportées à cet enjeu de plus en plus essentiel que représente le vieillissement de la population française. S'il ne serait ni opportun ni légitime de regrouper la totalité des prestations d'aide à domicile sous la responsabilité des seuls départements, limitant ainsi d'autant les capacités d'initiative des autres collectivités publiques et acteurs sociaux, il conviendrait cependant d'examiner la possibilité de procéder à une harmonisation des prestations servies concurremment par plusieurs organismes à la fois, selon des critères et des modalités différentes ; tel semble être prioritairement le cas des aides ménagères.

- L'AIDE MENAGERE : UNE MEME PRESTATION SERVIE SELON DEUX PROCEDURES DISTINCTES

Pour les personnes dont les ressources sont inférieures au plafond de l'octroi de l'AVTS (soit 16 331 francs par an au 1/1/94), l'aide ménagère est accordée au titre de l'aide sociale légale. Pour les personnes dont les ressources sont supérieures à ce plafond, l'aide ménagère peut alors être accordée, au titre des aides individuelles, par le régime d'assurance vieillesse dont relève la personne et, éventuellement, par les caisses de retraite, en fonction des disponibilités de leur fonds d'action sanitaire et sociale.

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Pour l'aide ménagère relevant de l'aide sociale départementale, le décret 85-426 du 12 avril 1985 a confié la totalité de la responsabilité tarifaire aux présidents des conseil généraux qui peuvent, en vertu de l'article 6 de la loi du 9 juillet 1984 portant diverses dispositions d'ordre social, fixer la participation financière demandée aux bénéficiaires. Par ailleurs, les conditions d'attribution de la même prestation sont déterminées en toute autonomie par les organismes de retraite pour leurs ressortissants (grille d'évaluation des besoins, barème de participation, nombre d'heures prises en charge).

Le financement d'une aide ménagère peut ainsi intervenir selon des critères différents, concernant tant le niveau de revenu et le nombre d'heures autorisé. Ainsi, l'aide ménagère, attribuée au titre de l'aide sociale pour les revenus inférieurs ou égaux au F.N.S. n'est pas compatible avec l'allocation compensatrice, alors que celle attribuée par la C.N.A.V.T.S. ou les caisses de retraite l'est. De même, la durée des services d'aide ménagère au titre de l'aide sociale légale ne peut excéder 30 heures par mois alors qu'elle peut atteindre 60 heures, sur justifications, au titre du régime général.

Pour l'aide sociale, une récupération sur succession est possible, à la différence des règles applicables au sein des régimes vieillesse ; la participation financière du bénéficiaire est elle-même très variable selon les départements puisque son niveau est laissé à l'appréciation des commissions d'admission sans qu'un minimum légal ait été défini.

La coexistence d'une prestation légale d'aide sociale servie sous conditions de ressources et de prestations délivrées par les régimes de vieillesse est donc source de distorsions, selon le niveau de revenu de la personne âgée, lorsque le département n'a pas défini, au titre de l'aide sociale facultative, de dispositions plus favorables que celles arrêtées par le code de la famille et de l'aide sociale.

*** De manière générale, l'ensemble de la politique de maintien à domicile souffre

d'une absence de coordination. L'article 158 du code de la famille et de l'aide sociale prévoit certes qu'un décret déterminera "les conditions dans lesquelles sera assurée la coordination entre le dit article et les dispositions relevant des régimes de sécurité sociale". Le principe de cette coordination, ainsi posé depuis 1962, attend donc depuis plus de trente ans d'être mis en oeuvre et semble être aujourd'hui devenu plus nécessaire encore.

B) LE RECOURS AU PLACEMENT JUDICIAIRE DIRECT DES ENFANTS MET LES DEPARTEMENTS EN DIFFICULTE

Les liens entre l'autorité judiciaire et l'aide sociale à l'enfance sont traditionnels et ont été confirmés par l'article 34 de la loi du 22 juillet 1983. Les services départementaux de l'aide sociale à l'enfance sont amenés à être en relations fréquentes avec les juridictions judiciaires, la protection judiciaire et la protection administrative étant étroitement complémentaires.

Le juge des enfants, en tant que juge civil, peut, dans le cadre d'une mesure d'assistance éducative, décider soit de confier un mineur à l'aide sociale à l'enfance, qui est alors tenue de lui rendre compte de sa mission, soit de demander à un service habilité d'exercer auprès de l'enfant un mandat d'action éducative en milieu ouvert. Dans tous les cas, le coût de la décision des juges est prise en charge par les départements.

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Il arrive cependant, pour environ un quart des décisions de placement prises par les juges que ceux-ci décident non pas de confier l'enfant au service départemental de l'aide sociale mais de le placer directement dans un établissement de son choix. Cette pratique des placements directs d'enfants dans les établissements de l'aide sociale à l'enfance, prévue par le code civil, réduit singulièrement le rôle des services du conseil général dès lors que le choix même de l'établissement leur échappe : ils ne sont plus en mesure de gérer leur offre de placement, même s'ils sont tenus de supporter le coût de l'hébergement.

Le nombre de ces placements, estimé à environ 26 000 par le SESI, est cependant mal appréhendé par les statistiques nationales qui extrapolent ce chiffre à partir des réponses obtenues auprès de 35 départements. Faute de données plus précises, leur importance ne semble cependant pas avoir sensiblement évolué depuis 1986. Elle atteint dans certains départements une proportion non négligeable : 14 % des placements dénombrés en 1993 à Paris, 24 % dans l'Ain, 37 % dans le Rhône.

En Gironde, 83 placements ont été effectués directement dans des établissements spécialisés, normalement réservés aux enfants atteints de retards mentaux et dont la prise en charge est assurée par l'assurance maladie après que la commission d'éducation spéciale (CDES) a accepté leur admission. Or, dans les cas relevés par l'enquête de la chambre régionale, les juges ayant considéré que leur décision présentait un caractère social, les placements en établissement spécialisé n'ont pu être présentés en CDES, conduisant ainsi le département à se substituer durablement à l'assurance maladie. En Indre-et-Loire, l'enquête a fait ressortir que des placements directs intervenaient dans des établissements en situation de suroccupation.

La concertation entre les juges des enfants et le service de l'aide sociale à l'enfance est donc nécessaire. Les départements se trouvent alors placés dans des situations délicates qu'ils ne manquent pas de critiquer : privés d'informations sur les enfants, écartés des décisions prises sur leur orientation, ils ne sont pas en mesure de gérer leur offre de placement, même s'ils sont tenus de supporter le coût de leur prise en charge.

Des difficultés peuvent également apparaître, comme cela a été le cas à Paris et en Loire-Atlantique, lorsque des associations habilitées pour exercer des actions éducatives en milieu ouvert (A.E.M.O.) et mandatées par le juge, refusent de rendre compte de leurs interventions au service de l'A.S.E. Dans cette situation aussi, le département, privé d'informations sur l'enfant, doit assumer le coût de la mesure ordonnée.

Le souci d'améliorer la coordination entre les services a pu donner lieu, ponctuellement, à l'organisation de rencontres périodiques entre les services du département et les autorités judiciaires pour faciliter les échanges d'informations. Ces échanges proviennent avant tout d'initiatives isolées et dépendent largement de la bonne volonté des personnes en place. L'absence d'une structure de coordination ne permet pas aujourd'hui d'inscrire les relations existant entre les départements et les services judiciaires dans un cadre susceptible d'assurer une bonne articulation des décisions de placements avec les contraintes de gestion de l'offre d'hébergement. Une telle avancée dans l'ensemble des départements conduirait les acteurs à forger plus généralement des outils d'information et d'analyse communs, dans le respect des contraintes de chacun.

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C) LE REVENU MINIMUM D'INSERTION : DES DEFAILLANCES DANS LA COORDINATION, LA PROGRAMMATION ET LE FINANCEMENT DES ACTIONS

Dans le cadre de son enquête sur l'application de la loi du 1er décembre 1988 modifiée relative au revenu minimum d'insertion, la Cour a relevé, notamment, que les instances d'insertion mises en place au titre du RMI ne remplissaient pas leur rôle de coordination, que les programmes départementaux restaient encore peu opérationnels et que de nombreux départements manquaient à leurs obligations relatives à l'inscription et à la consommation des crédits.

La Cour a constaté le rôle formel que jouent les conseils départementaux d'insertion (CDI), institués par la loi de 1988. Rarement réunis, les CDI comprennent, en effet, un nombre de membres beaucoup trop élevé pour leur permettre de remplir une fonction de réflexion, de programmation, d'évaluation et d'animation de la politique locale d'insertion. Les commissions locales d'insertion (CLI) sont restées elles-mêmes limitées à un simple rôle d'enregistrement des contrats individuels d'insertion. Leur fonctionnement souffre également des cloisonnements entre les différentes commissions du même département, sans que là encore existe une instance de coordination ou d'échange, ni a fortiori de politique commune.

Mis en place dans le cadre du RMI, les programmes départementaux d'insertion (PDI) sont adoptés par le préfet et le président du conseil général pour une durée annuelle (loi du 29 juillet 1992). Leur examen révèle un certain nombre de déficiences voisines de celles relevées pour les schémas départementaux (SDES). L'analyse des besoins, préalable à son élaboration, est le plus souvent embryonnaire, voire inexistante. Surtout, le contenu des P.D.I. n'est pas l'expression d'une stratégie et d'une approche prospective des actions à privilégier mais se limite, le plus souvent, à une suite de documents descriptifs, énumérant des séries d'actions thème par thème.

Enfin, l'article 38 de la loi modifiée relative au R.M.I. dispose que le département doit inscrire chaque année à un chapitre particulier (959), un crédit au moins égal à 20 % des sommes versées par l'Etat, au cours de l'exercice précédent, au titre de l'allocation du R.M.I. La position des départements par rapport à cette obligation légale était très variable. Sur les 17 départements retenus par l'enquête de la Cour sur le R.M.I., trois se situaient en dessous de l'obligation légale, sans que le représentant de l'Etat ait recouru à la procédure d'inscription d'office, prévue à l'article 52 de la loi du 2 mars 1982.

Non seulement les crédits ouverts dans les budgets départementaux ne répondent pas toujours aux dispositions légales, mais encore le montant des dépenses effectivement consacrées à l'insertion des bénéficiaires se situe en-deçà. Selon les dernières données publiées par la délégation interministérielle au RMI, le taux moyen de consommation a atteint, en 1993, pour la France entière, 91,4 %, en progression, il est vrai, par rapport aux années antérieures (71,90 % en 1991 et 88,74 % en 1992). Le taux de consommation des crédits du chapitre 929 est très variable d'un département à l'autre : il est compris entre 25 % et 215 %, l'importance de ce dernier taux s'expliquant par le caractère reportable des crédits. Au total, en 1993, 41 départements ne satisfaisaient toujours pas aux obligations légales, et pour 14 d'entre eux, le taux de consommation ne dépassait pas 80 % .

Les constatations faites dans le cadre de la présente enquête auprès d'un échantillon de départements plus important confirment les éléments précédemment relevés par la Cour. Elles ont surtout permis d'établir que la qualification des dépenses éligibles au titre de l'obligation légale était très largement interprétée.

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Une confusion fréquente, en effet, a été faite entre l'obligation financière résultant de la loi relative au R.M.I. et d'autres obligations légales comme celles relatives au fonds solidarité logement (FSL) et au fonds d'aide aux jeunes. Tel est notamment le cas du département de l'Indre dont la participation au financement du FSL a été imputée à tort sur les crédits d'insertion. Les dépenses de santé qui sont à prendre en compte au titre de l'aide sociale générale -cotisations d'assurance personnelle notamment- ont également, dans certains départements, été ajoutées à celles qui sont spécifiques aux bénéficiaires du R.M.I. et qui concernent le surcoût lié à la généralisation de la couverture complémentaire.

De même, des dépenses de structures autres que les dépenses concernant les secrétariats du C.D.I., des C.L.I. et des cellules d'appui, ont été imputées de façon excessive sur les crédits d'insertion. Ainsi, dans le Puy-de-Dôme, à défaut de comptabilité analytique, les dépenses de personnel affectées au service traitant du R.M.I. sont imputées directement au chapitre 959 alors que le chapitre 931-15 doit normalement recevoir toutes les dépenses de personnel des services sociaux. Toutefois, le département ne dépense pas l'intégralité des sommes inscrites à son budget au titre des actions d'insertion malgré une tendance à imputer au chapitre du R.M.I. des dépenses qui ne relèvent pas de l'insertion. En clôture de l'exercice 1993, six mois d'opérations d'insertion, prévues au titre de l'année 1993 ou des années antérieures, ont été reportés sur les exercices suivants.

3° LE ROLE LIMITE DES INSTANCES DE COORDINATION Le souci d'instituer des instances de coordination entre les principaux intervenants

de l'action sociale a déjà justifié la création, par voie législative et réglementaire, de nombreux lieux d'échanges, placés au niveau départemental. Certains d'entre eux, créés avant 1983, subsistent malgré leur inadaptation au nouveau contexte et, pour la plupart, l'activité de ceux mis en place à la suite de la décentralisation, semble aujourd'hui éteinte.

Ainsi, le comité départemental de liaison et de coordination des services sociaux (décret n° 59-146 du 7 janvier 1959), dont les difficultés liées à sa mise en place et à son fonctionnement n'ont pas permis la généralisation, a cessé de se réunir ou fonctionne de manière épisodique dans un grand nombre de départements. De même, le conseil départemental de protection de l'enfance, créé par le décret n° 59-100 du 7 janvier 1959 et placé auprès du préfet, pour assurer la collaboration entre les différents services concourant à la protection de l'enfance en danger et provoquer toutes études en cette matière ne connaît plus de réelle activité. Si aucune disposition légale ne l'a abrogé, après le transfert de compétences de 1983, la composition actuelle de ce conseil, encore dominé par l'Etat, ne lui permet plus de jouer un rôle crédible de coordination entre les services compétents pour l'aide sociale à l'enfance.

Une tentative d'adaptation des instances de coordination à la nouvelle situation, issue des lois de décentralisation, s'est traduite par la création, par la loi du 6 janvier 1986, d'un conseil départemental du développement social. Présidé alternativement par le préfet et par le président du conseil général, ce conseil devait comprendre des représentants de l'Etat, des collectivités locales, des organismes de sécurité sociale, des institutions sanitaires et sociales publiques et privées, des professions de santé, des travailleurs sociaux et des représentants des usagers, notamment des personnes âgées et des personnes handicapées.

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Son objectif était de faciliter la coordination des politiques sociales mises en oeuvre dans le département et permettre aux usagers de mieux se faire entendre. Compétent dans de nombreux domaines, il devait plus précisément :

- être consulté préalablement à l'élaboration du schéma départemental des établissements et services sociaux et médico-sociaux et du règlement départemental d'aide sociale ;

- être saisi par le président du conseil général ou le préfet, ou se saisir à la demande d'une moitié de ses membres, de toute question relative au développement social ;

- examiner chaque année un rapport présentant la mise en oeuvre des programmes sociaux et médico-sociaux au cours de l'année précédente et définissant les orientations de ces programmes pour l'année en cours et les années suivantes.

Il disposait pour remplir cette indispensable fonction de coordination, d'un certain nombre d'atouts : l'étendue de ses compétences qui pouvait permettre de donner à l'ensemble des partenaires une vision plus précise des contraintes respectives des différents partenaires ; la présence des principaux financeurs qui aurait pu garantir l'organisation d'un débat contradictoire sur leurs engagements respectifs.

Ces conseils départementaux n'ont pas eu le temps de se mettre en place. Contestés pour le nombre excessif de leurs membres, ils ont été supprimés et remplacés, à la suite de la loi du 19 août 1986, par une commission à l'objet nettement plus limité. Cette loi, complétant la loi n° 75-535 du 30 juin 1975, prévoit que le président du conseil général consulte, sur les orientations générales du projet de schéma départemental des établissements et services sociaux et médico-sociaux, une commission réunie à cet effet, dont il fixe lui-même la composition. L'existence de cette commission a été relevée dans quelques départements. Tous ne l'ont toutefois pas consultée ; certains ne l'ont pas encore créée.

Malgré la faiblesse des obligations légales relatives à la coordination, certains départements et certaines villes font figure d'exceptions, en ayant maintenu ou développé des outils d'échanges d'informations. A Rennes, la concertation s'est poursuivie après la décentralisation grâce à des instruments créés par le département, la ville et la C.A.F. qui permettent des rencontres entre les partenaires, tant au niveau des décideurs qu'à celui des techniciens. En Haute-Savoie, une tradition de travail concerté s'est maintenue. En Loire-Atlantique, la volonté du département d'établir des relations de partenariat avec les communes s'est traduite par la réalisation d'une charte des procédures, par le développement d'une coordination gérontologique à Nantes, par la rédaction d'une charte de la prévention spécialisée.

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* *

Les collectivités publiques et les organismes de sécurité sociale interviennent en ordre dispersé en direction des populations admises au bénéfice de l'aide sociale. Or, la nécessité de renforcer les instances de coordination dans le domaine social ne peut se fonder sur quelques initiatives ponctuelles et spontanées. L'absence de concertation entre les différents intervenants et le manque de cohérence de leurs modalités d'action respectives appellent l'intervention du législateur en vue de conférer à cette nécessité un cadre légal et une légitimité nouvelle.

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Cour des comptes - rapport public particulier – La décentralisation en matière d’aide sociale (décembre 1995) 102

La mise en place d'une nouvelle instance de concertation départementale associant, au moins pour chacun des principaux domaines de l'aide sociale (personnes âgées, personnes handicapées, enfance, exclusion) pourrait satisfaire cette attente exprimée par un grand nombre des départements retenus dans la présente enquête.

Pour réussir, cette instance nouvelle devrait toutefois éviter un certain nombre des défauts reprochés au conseil départemental de développement social : associant les principaux partenaires de l'aide et de l'action sociales, elle ne devrait cependant comprendre qu'un nombre limité de membres afin de pouvoir conserver une fonction opérationnelle ; placée sous la présidence conjointe de l'Etat et du département, elle serait un lieu d'information et de concertation, sans remettre en cause les attributions propres des uns et des autres ; ne disposant pas d'un quelconque pouvoir de décision, elle serait cependant automatiquement saisie, pour information, des principaux projets élaborés par ses différents membres (création de prestations, modification des conditions d'attribution, ouverture ou fermeture d'établissements, etc.).

B. - DES INCOHERENCES DANS LES MODALITES FINANCIERES DE PRISE EN CHARGE DES USAGERS

La demande de prise en charge exprimée par un usager admis au bénéfice de l'aide sociale ignore les frontières de compétences et de financement existant entre les différentes collectivités ou organismes responsables. Son attente s'adresse à la collectivité publique dont il escompte une réponse claire, simple et adaptée à ses besoins.

Or, le partage des compétences issu de la décentralisation a maintenu un système de financement où interviennent conjointement les départements, l'Etat et les régimes de sécurité sociale, le partage des frais variant en fonction de la nature de la structure ou de la prestation. Ce système de financement pénalise doublement les usagers : il freine l'adaptation de l'offre de prestations et laisse des besoins non satisfaits ; il induit des orientations vers des modes de prise en charge mal adaptés aux besoins des personnes. Ce constat fait par la Cour s'applique aussi bien au domaine des personnes handicapées qu'à celui des personnes âgées.

1° LE FINANCEMENT DE LA PRISE EN CHARGE DES PERSONNES HANDICAPEES

La pénurie d'établissements pour les personnes handicapées adultes a conduit le législateur à répartir, au moment de la décentralisation, le poids financier de l'effort à accomplir. De fait, le partage des compétences s'est établi en répartissant les catégories de structures susceptibles d'accueillir des personnes handicapées.

. A) DES FRONTIERES DE COMPETENCES PREJUDICIABLES AUX USAGERS Schématiquement, l'enfant handicapé est accueilli dans un établissement

spécialisé financé par la sécurité sociale. Une fois adulte, il peut être pris en charge par l'Etat, s'il est admis à travailler dans un CAT ou en atelier protégé. Son hébergement est organisé, s'il ne peut resté dans son milieu familial, dans un foyer financé par le département où sont également accueillis tous ceux n'étant pas en état de travailler.

Pour les personnes lourdement handicapées, ou le devenant progressivement, leur prise en charge est assurée, non plus en foyer départemental, mais dans des structures médicalisées (maisons d'accueil spécialisées) dont le financement est alors assuré intégralement par la sécurité sociale, sauf dans le cas des foyers à double tarification financés, depuis 1986, par le département pour l'hébergement et par l'assurance maladie pour la partie soins.

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De tels cloisonnements en matière de financement, selon le type d'établissements, induisent aujourd'hui de sérieuses difficultés dues, pour l'essentiel, à ce qu'ils s'adaptent mal à la diversité et à l'évolution des besoins des usagers : une même personne peut justifier, en effet, selon la nature de son handicap, à la fois d'une prestation d'hébergement, de soins et d'une activité professionnelle ; surtout, l'évolution de son handicap peut la conduire à devoir changer d'établissement. Or, dans tous ces cas, les partages financiers peuvent constituer autant de frontières qui gênent l'adaptation de la prise en charge aux besoins réels des personnes handicapées.

. - DES PLACEMENTS INADEQUATS DANS LES STRUCTURES D'HEBERGEMENT : L'analyse de la composition des personnes accueillies dans les diverses catégories

d'établissements pour personnes handicapées fait apparaître que certaines orientations semblent être décidées par les COTOREP plutôt en fonction des capacités disponibles que des besoins propres à la personne handicapée. De telles orientations sont dites inadéquates.

Les enquêtes statistiques publiées régulièrement par le service chargé des études, des statistiques et des systèmes d'information (SESI) du ministère des affaires sociales permettent en effet de constater que la spécialisation des établissements n'est pas toujours respectée : les maisons d'accueil spécialisées (MAS), financées par l'assurance maladie, ont été créées pour l'accueil des handicapés adultes qui ne peuvent effectuer seuls les actes essentiels de la vie et dont l'état nécessite une surveillance médicale et des soins constants ; les foyers occupationnels, les foyers de vie ou d'hébergement, financés par les départements, doivent accueillir des personnes moins lourdement handicapées qui ont conservé un certain degré d'autonomie intellectuelle ou physique. Il reste que la nature du handicap des personnes présentes dans ces différentes institutions n'est pas toujours en cohérence avec la vocation de celles-ci.

L'enquête publiée en décembre 1994 par le SESI, sur les établissements et services en faveur des adultes handicapées, fait apparaître, en effet, que la population des personnes polyhandicapées ou atteintes, selon la classification retenue par l'enquête, "d'un retard mental profond ou sévère", et dont l'état justifierait une orientation vers des MAS, était hébergée autant en foyers départementaux qu'en MAS : au 1er janvier 1992, ils étaient 5411 en MAS et 4517 en foyers d'hébergement.

Si ces chiffres gagneraient certainement à être précisés par une connaissance plus fine du degré d'autonomie des intéressés, il reste que des personnes atteintes d'un handicap lourd sont ainsi placées autant dans des structures prévues pour ce type de prise en charge (MAS ou foyers à double tarification, FDT) que dans des foyers d'hébergement relevant des départements. Cette dernière solution, probablement retenue par défaut, prive l'intéressé d'un suivi médical constant que les foyers de vie ou les foyers occupationnels ne sont pas censés apporter.

La présente enquête a permis de confirmer localement l'existence de tels problèmes, déjà constatés lors de la précédente enquête de la Cour sur les politiques sociales en faveur des personnes handicapées adultes. Ainsi, en Meurthe-et-Moselle, l'hospice de Rosières-aux-Salines, dont le programme de rénovation, arrêté en 1987, n'est toujours pas achevé, continue d'héberger, dans de mauvaises conditions, des résidents qui relèveraient de M.A.S., de C.A.T. ou de foyers d'accueil spécialisées. En Indre-et-Loire, il a été observé que des handicapés continuaient d'être pris en charge par des structures inadaptées, réservées normalement aux personnes âgées.

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A l'inverse, des personnes atteintes d'un handicap moindre peuvent avoir fait l'objet d'une orientation inadéquate dans une structure réservée à la prise en charge de handicaps plus lourds : selon la même enquête du ministère des affaires sociales, les personnes considérées comme atteintes d'un retard mental léger ou d'un trouble du caractère ou du comportement se répartissaient entre 6885 dans les foyers d'hébergement, 1926 en foyers occupationnels et 128 en MAS où leur présence se justifie peu et réduit d'autant les places disponibles pour des cas plus graves maintenus en foyers d'hébergement.

De même, les études réalisées par les médecins conseils régionaux de la CNAMTS dans les établissements relevant de la compétence de l'assurance maladie (MAS, FDT, secteur psychiatrique) révèlent l'existence d'orientations inadéquates dans la plupart des structures inspectées. Si elles concernent le plus souvent des effectifs peu nombreux, il arrive, dans quelques cas, que la proportion des placements inadéquats soit très importante. Ainsi, 41 % des personnes placées, au 31 mai 1994, dans un FDT situé dans la Marne relevaient d'un foyer occupationnel non médicalisé ; cette proportion atteignait 56 % pour les personnes hébergées dans un FDT situé en Meurthe-et-Moselle.

L'une des autres manifestations les plus évidentes de cette pénurie de places d'hébergement tient enfin au maintien de jeunes adultes dans des établissements pour enfants handicapés. Selon les enquêtes statistiques conduites par le ministère des affaires sociales sur les établissements et services en faveur des enfants et adolescents handicapés (44), 5,5 % de la population accueillie dans les établissements d'éducation spéciale sont des jeunes adultes. Ces 6 160 personnes âgées de 20 ans au moins sont atteintes le plus souvent d'un polyhandicap ou d'un handicap moteur et, pour cette raison, ne trouvent pas une place dans un établissement adapté à leur état.

Ces placements inadéquats s'expliquent, en effet, le plus souvent par des situations de déséquilibre géographique, dues à une insuffisance de places, soit dans les structures relevant du département, soit dans celles relevant de l'Etat et de l'assurance maladie. Dans tous les cas, la COTOREP est conduite à adapter sa politique d'orientations selon les places disponibles.

Pour les handicapés susceptibles de travailler, la situation n'est pas plus satisfaisante, même si elle peut paraître plus simple a priori, le travail relevant de l'Etat et l'hébergement du département. La pénurie de places en structures de travail a en effet souvent conduit à une nouvelle dénaturation du système par la création, aux frais des départements, de sections dites "occupationnelles" pour accueillir les handicapés ne pouvant être pris en charge par un C.A.T.

De telles pratiques ont été observées dans l'Orne et dans les Landes. Les délais d'attente pour obtenir une place en CAT peuvent en effet atteindre plus de deux ans, comme dans le Cher. Cette carence a également été observée notamment en Rhône-Alpes par le Centre régional pour l'enfance et l'adolescence inadaptée (C.R.E.A.I.) qui a réalisé des études de besoins dans certains départements (Rhône et Drôme notamment). Le manque quantitatif de places en C.A.T. s'accompagne d'une exigence de rentabilité plus élevée conduisant a écarter les handicapés ayant les possibilités les plus réduites sur le plan du travail.

(44) Documents statistiques n°214, décembre 1994.

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Dans tous ces cas, les frontières de compétences induisent de la part des divers intervenants un souci commun de limiter les transferts de charge à leurs dépens. En dépit de quelques initiatives (FDT, foyers occupationnels), cette segmentation limite d'autant la possibilité de faire évoluer les usagers d'une structure à l'autre et n'encourage aucune des collectivités publiques compétentes à développer leurs capacités d'accueil au risque de devoir accueillir des publics qui relèveraient davantage d'autres structures et, partant, d'autres financements.

- LE FINANCEMENT INCERTAIN DU MAINTIEN A DOMICILE DES PERSONNES HANDICAPEES :

Cette difficulté se rencontre également pour le financement du maintien à domicile des personnes handicapées. La loi de 1975 a institué, à cet effet, l'allocation compensatrice dont l'une des vocations est de permettre la rémunération d'une tierce personne pour aider les personnes handicapées à accomplir l'un ou plusieurs des actes élémentaires de la vie. Si cette allocation s'est progressivement éloignée de sa vocation première en bénéficiant de plus en plus, et dans des conditions contestables, aux personnes âgées dépendantes, elle peut également poser quelques difficultés dans ses modalités de versement, y compris aux personnes handicapées.

Versée jusqu'à présent sous la forme d'une prestation en espèces, l'allocation compensatrice ne donne pas lieu à un réel contrôle de son utilisation effective, seul à même de vérifier que les sommes allouées sont bien destinées à la rémunération ou à l'indemnisation d'une tierce personne. Quelques départements, tels la Sarthe, ont mis en place de tels contrôles, sur pièces et sur place, la plupart des autres sont restés en retrait.

Cette situation devrait être cependant améliorée par l'application de l'article 59 de la loi n°94-43 du 18 juillet 1994 relative à la santé publique et à la protection sociale, précisé par le décret d'application du 24 janvier 1995. Ces deux textes récents visent à renforcer les pouvoirs du président du conseil général et préciser les conditions dans lesquelles l'allocation compensatrice peut être suspendue ou supprimée. A cette condition, il semble que l'utilité de cette allocation, à destination des seules personnes handicapées, ne soit pas aujourd'hui mise en cause.

Toutefois, l'objectif de maintien des personnes handicapées dans leur cadre familial est d'autant plus difficile à atteindre que le montant de la prestation n'est pas suffisant pour permettre aux personnes lourdement handicapées de répondre à leurs besoins, notamment pour la garde de nuit et au cours des fins de semaine et jours fériés. Ce dernier constat souligne les difficultés de fonctionnement des services d'auxiliaires de vie, créés à partir de 1981, par le biais de simples circulaires.

Le ministère des affaires sociales recensait, en 1994, 250 services employant 4 000 auxiliaires de vie, pour 1 864 postes d'équivalents temps plein. Selon les mêmes sources, environ 10 000 personnes lourdement handicapées recourent, chaque année à ces services. De 1981 à 1983, leur financement a été assuré par l'Etat sur la base d'une subvention forfaitaire annuelle par poste. Lors de la décentralisation, ce service n'a été rattaché explicitement ni au département, faute de figurer, en l'absence de base légale, parmi les prestations légales d'aide sociale, ni à l'Etat au titre de l'article 34 de la loi du 22 juillet 1983. Celui-ci a donc maintenu son financement en le laissant au même niveau depuis 1985, soit 1 864 équivalents temps plein. Estimant que les départements devaient prendre le relais, l'Etat n'a donc plus créé le moindre poste depuis cette date.

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Dans le même temps, les besoins ont continué d'augmenter sans pouvoir être satisfaits, les auxiliaires de vie rencontrant des difficultés de financement d'autant plus importantes que les collectivités départementales ont refusé d'inscrire à leur budget les crédits nécessaires à leur développement. Ainsi, lors de son enquête sur les politiques sociales en faveur des personnes handicapées adultes (novembre 1993), la Cour observait qu'en 1992, 80 % des services d'auxiliaires de vie ne bénéficiaient d'aucune aide des collectivités locales, le financement de l'Etat ne représentant plus pour sa part que 50 % des dépenses des services.

La complexité du partage de compétences aboutit, là encore, à ce qu'un besoin clairement identifié, reconnu par tous, ne puisse trouver de financement, faute que la collectivité responsable de sa prise en charge ait été dûment désignée. La Cour ne peut que rappeler (45) l'avantage qu'elle verrait à ce que cette situation soit clarifiée en procédant à l'inscription dans le code de la famille et de l'aide sociale du principe d'une aide à domicile polyvalente en faveur des personnes handicapées couvrant tous les champs d'intervention n'ayant pas de caractère médicalisé. Cette nouvelle responsabilité ainsi transférée au département donnerait lieu à une compensation financière assurée par l'intégration à la dotation globale de décentralisation des sommes allouées jusqu'à présent par le ministère des affaires sociales.

- Le cas particulier des enfants atteints de difficultés psychologiques : Plusieurs départements ont fait état de difficultés pour répondre aux besoins de

prise en charge des enfants connaissant des problèmes psychologiques. Comme pour le handicap, la nature de la prestation et de l'établissement est parfois difficile à établir de manière précise. Les troubles du comportement sont très liés aux problèmes sociaux, et leur mode de prise en charge peut parfois donner lieu à un placement au titre de l'aide sociale. Dans d'autre cas, leur gravité sera considérée comme suffisante pour justifier l'orientation de l'enfant, par la commission départementale d'éducation spéciale (CDAS), vers un centre d'éducation spécialisé, qu'il s'agisse d'un institut de rééducation psychologique, d'un centre médico-psychologique ou encore d'un institut médico-éducatif.

Là encore, l'existence de clivages d'ordre financier ou le manque de places dans des établissements adaptés peuvent donner lieu à l'orientation inadéquate d'enfants vers des structures relevant du secteur psychiatrique ou de l'éducation spécialisée. Ainsi, selon les résultats des études conduites par le médecin conseil régional de la CNAMTS pour la région de Dijon, dans un certain nombre d'établissements d'éducation spécialisée, le nombre de placements inadéquats peut parfois atteindre des proportions importantes : en 1992, sur 63 enfants examinés dans un établissement d'éducation professionnelle spécialisée situé en Côte d'Or, 26 justifiaient d'un placement au titre de l'aide sociale à l'enfance ; dans un autre établissement de même nature situé dans le même département, 42 des 212 enfants examinés auraient dû suivre la même orientation.

Les deux exemples cités sont probablement exceptionnels par le nombre très important des enfants relevant davantage de l'aide sociale que de l'éducation spécialisée. Ils reflètent néanmoins une réelle difficulté due, de nouveau, à la séparation financière existant entre deux types de prise en charge.

(45) Cf. rapport public particuliersur les politiques sociales en faveur des personnes handicapées adultes (novembre 1993).

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B) LA REUSSITE INCERTAINE DES RECENTES REFORMES

- LES DIFFICULTES DE MISE EN OEUVRE DE L'ARTICLE 22 DE LA LOI DU 13 JANVIER 1989, DIT "AMENDEMENT CRETON" :

Le législateur a rappelé, par cette disposition, que la prise en charge de la personne handicapée devait intervenir le plus tôt possible et se poursuivre tant que l'état de l'intéressé le justifiait, sans limite d'âge et de durée. Pour y contribuer, il a institué une procédure nouvelle, communément désignée sous l'appellation d'amendement Creton.

Celui-ci prévoit qu'un enfant handicapé accueilli en institut médico-éducatif (I.M.E.), en principe jusqu'à l'âge de 20 ans, doit pouvoir, devenu adulte, faire l'objet d'une orientation par la COTOREP vers un établissement correspondant à son état. Dans l'hypothèse où l'établissement en question ne disposerait pas de places disponibles pour accueillir les personnes orientées vers lui, le texte de loi autorise le maintien provisoire du jeune handicapé dans l'établissement pour enfant jusqu'à ce qu'une place se libère. Toutefois, la prise en charge financière de l'intéressé n'incombe alors plus à l'assurance maladie mais à la collectivité ou à l'organisme qui aurait dû normalement l'assurer si l'orientation de la COTOREP avait pu être suivie d'effet.

L'objectif du législateur visait ainsi à limiter les ruptures de prise en charge, obligeant à un retour mal adapté dans la famille, ou le maintien prolongé de jeunes adultes dans les structures d'éducation spécialisée réservée aux enfants et adolescents. Dans les deux cas, ces situations préjudiciables s'expliquent par l'insuffisance de places dans les établissements pour adultes handicapés. Cette insuffisance provient, elle-même, de ce que ni les départements ni l'Etat n'ont intérêt à développer l'offre dans les établissements relevant de leur compétence : chacun limite ainsi les transferts de charges dus à l'accueil de personnes orientées vers eux faute d'une place disponible dans un établissement mieux approprié, relevant d'une autre collectivité.

L'amendement Creton est un mécanisme de responsabilisation financière des collectivités ou des organismes qui devait favoriser une adaptation de l'offre de places dans les établissements pour handicapés adultes, le coût de la prise en charge de ces derniers étant près de deux fois inférieur au montant de la prise en charge d'un enfant handicapé dans un établissement d'éducation spécialisée. Cette disposition législative n'a cependant pas atteint tous ses effets.

L'article 22 de la loi du 13 janvier 1989, dans son avant dernier alinéa, limite le champ d'application de l'amendement Creton aux seules dépenses d'hébergement et de soins, incombant soit aux départements, soit à l'assurance-maladie. En excluant ainsi les frais afférents à l'aide au travail, le législateur a exonéré l'Etat de toute responsabilité financière dans le cas où l'absence d'une place disponible en centre d'aide par le travail (CAT) conduirait au maintien d'un jeune handicapé adulte dans un établissement d'éducation spécialisée. Dans ce contexte, une circulaire de la direction de l'action sociale du 18 mai 1989 a mis en place un système permettant à l'Etat de reporter sur l'assurance-maladie ou sur les départements les conséquences financières d'une insuffisance de places en structures de travail. Ainsi, la circulaire invite les COTOREP à prononcer, dans cette hypothèse, une orientation dite de substitution, en désignant la structure d'hébergement qui, par défaut, devrait assurer entièrement la prise en charge du jeune handicapé.

Dans ces conditions, il n'est pas étonnant que le mécanisme des transferts de prise en charge ait mal fonctionné. Réagissant au mauvais exemple ainsi donné par l'Etat, les départements ont refusé de se substituer à ce dernier dans le cas des orientations par défaut. Plus encore, nombreux sont les conseils généraux qui ont refusé de rembourser aux CPAM le coût de prise en charge des jeunes adultes maintenus dans les structures

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Cour des comptes - rapport public particulier – La décentralisation en matière d’aide sociale (décembre 1995) 108

relevant de l'éducation spécialisée, alors que l'orientation principale prononcée par la COTOREP les destinait à être accueillis dans un foyer départemental.

La présente enquête a permis de constater de telles situations de blocage dans la plupart des départements visités. Dans l'Orne, le département a refusé, depuis 1990, de supporter le coût du maintien de dix jeunes adultes handicapés dans un établissement d'éducation spécialisée. Dans les Landes, le conseil général a posé pour condition à la prise en charge des jeunes adultes relevant de l'amendement Creton, la création d'une MAS dans le département ; faute de quoi la COTOREP continuerait d'orienter vers les foyers départementaux des personnes lourdement handicapées. En Meurthe-et-Moselle, le département a refusé de prendre à sa charge le coût du maintien, du 1er octobre 1989 au 1er février 1992, de sept jeunes en institut médico-éducatif (IME), puis de neuf autres actuellement maintenus dans un IME situé dans le sud du département.

Les chiffres établis par la CNAMTS permettent d'évaluer l'ampleur des résistances des départements pour appliquer une disposition qui leur est pourtant légalement applicable. Selon les données recensées auprès des caisses primaires, le montant total de la dette des départements s'établissait, en septembre 1993, à 100,2 millions de francs correspondant à l'orientation de 532 jeunes vers des foyers départementaux ; au 1er novembre 1994, leur nombre avait légèrement augmenté pour atteindre 550.

Les effets de cette situation de blocage ne se traduisent pas seulement en termes financiers. Certains instituts médico-éducatifs sont amenés, en effet, à maintenir un nombre croissant de jeunes adultes qui ne trouvent pas de places disponibles dans des structures adaptées. Ainsi, selon la réponse adressée à la Cour par les services territoriaux du médecin-conseil national de la CNAMTS, certains établissements d'éducation spécialisée sont aujourd'hui confrontés à une "situation d'embouteillage". Cette formule reprend les termes mêmes utilisés par les médecins conseils de la région de Limoges qui ont recensé le cas de quatre établissements, situés dans les départements de Corrèze, de la Vienne et de la Haute-Vienne, où le nombre de jeunes handicapés adultes relevant du dispositif Creton représentait, selon les cas, entre 19 % et 40 % des effectifs présents.

Au total, les caisses primaires d'assurance-maladie dénombraient, à la fin de l'année 1994, 3 974 orientations non satisfaites, nécessitant la création de 550 places en foyers départementaux, 2 486 places en CAT, 71 places en atelier protégé et 867 places en MAS ou en foyers à double tarification.

Le constat d'échec fait par la Cour, il y a deux ans, concernant la mise en oeuvre de l'amendement Creton, reste donc aujourd'hui encore largement fondé.

- L'INSUFFISANTE PRISE EN CHARGE DU HANDICAP LOURD :

BILAN DU PLAN MAS : LES LIMITES DU REEQUILIBRAGE La nécessité d'augmenter le nombre de places destinées aux personnes les plus

lourdement handicapées et de réduire les déséquilibres géographiques au profit des régions et départements les plus démunis a conduit l'Etat à lancer, en 1991, un plan de création sur quatre ans de 4 840 places en maisons d'accueil spécialisées (MAS), pour arriver à une capacité d'au moins 13 000 lits en 1993. Au terme de ce programme d'investissement, un premier bilan permet de constater qu'aucun de ces deux objectifs n'a été réellement atteint.

En premier lieu, le nombre de places réellement créées, à la fin de l'année 1993, n'a été que de 4.341, soit un déficit d'environ 500 places par rapport à l'objectif initial. Sur ce total, on ne compte, de surcroît, que 2 171 places en MAS, les 2 170 autres ayant été ouvertes en foyers à double tarification (FDT), financés pour la partie hébergement par

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les départements. Ainsi, le parc de places en établissements pour personnes lourdement handicapées s'élève, au terme de l'exécution du plan, à 12 227 places, dont 3 330 places en FDT ; soit une différence d'au moins 773 places par rapport à l'objectif annoncé.

Dans son rapport spécial consacré en 1993 aux politiques sociales en faveur des personnes handicapées adultes, la Cour avait déjà relevé les incertitudes pesant sur le financement de ce plan gouvernemental. L'aide de l'Etat, apportée sous forme de subventions d'équipement complémentaires à l'effort financier propre de ces établissements, et éventuellement complété par les départements dans le cas des FDT, a évolué entre 20 % et 40 % du coût total subventionnable (46). Ce taux d'intervention s'est avéré d'autant plus insuffisant pour atteindre le nombre de créations de places prévu qu'il existe, parallèlement, une différence sensible entre "le coût total subventionnable" à la place, arrêté par le ministère des affaires sociales à 250 000 francs et le coût réel des nouvelles places créées qui n'est pratiquement jamais inférieur à 350 000 francs.

En second lieu, si le taux d'équipement moyen a progressé pour atteindre, en 1993, 0,4 places pour 1 000 habitants de plus de 20 ans, l'objectif de rééquilibrage géographique n'a été cependant que partiellement atteint.

Considérées à l'échelle régionale, les disparités en termes de taux d'équipement se sont plutôt creusées entre la région la moins bien équipée et la région la mieux équipée : en 1990, le taux d'équipement de la Haute-Normandie était de 0,05 places pour 1 000 habitants de plus de 20 ans contre 1,20 dans la région Limousin ; en 1993, l'Ile-de-France enregistrait un taux d'équipement de 0,10, contre 1,32 dans le Limousin. Considérés à l'échelle départementale, les écarts sont encore plus sensibles : 8,12 en Lozère, 2,18 en Corrèze, 2,42 dans la Creuse pour les départements les mieux équipés ; 0,13 dans le Jura et dans le Loiret, 0,02 en Seine-Saint-Denis, 0,06 dans les Yvelines, 0,07 dans le Val d'Oise, aucune place ouverte dans le Lot.

Cette évolution paradoxale s'explique par le fait que la répartition des créations de places n'a pas toujours été en cohérence avec la situation de départ des différentes régions. Ainsi, trois des quatre régions les mieux équipées au 31 décembre 1990 ont bénéficié de nombreuses créations de places aboutissant à une nouvelle augmentation de leur taux d'équipement (+0,25 place pour 1 000 habitants en Midi-Pyrénées, +0,18 en Languedoc-Roussillon, +0,12 en Limousin). A l'inverse, parmi les 9 régions classées parmi les plus déficitaires, les créations de places ont souvent été peu nombreuses et aboutissent, dans certains cas, à une moindre progression du taux d'équipement : la région Centre a ainsi bénéficié de seulement 426 places supplémentaires et son taux d'équipement est passé de 0,19 à 0,35, soit une augmentation de 0,16 ; de même, le taux d'équipement de la région Rhône-Alpes a progressé de seulement 0,11, passant de 0,32 à 0,43.

L'effort de rattrapage a été particulièrement insuffisant dans deux régions importantes : en Ile de France, le taux d'équipement n'a quasiment pas évolué (0,09 en 1990, 0,10 en 1993) et recouvre des situations départementales de fort sous-équipement. En Provence-Alpes-Côte d'Azur, le taux d'équipement a évolué de 0,19 à 0,24 et reste particulièrement faible dans le Var (0,17) et le Vaucluse (0,17). Dans ces deux cas, le programme d'investissement n'a pas atteint ses objectifs.

(46) L'instruction du 28 décembre 1990 relative à la mise en oeuvre du programme pluri-annuel a limité l'intervention de l'Etat à 30 % de l'ensemble des projets subventionnés au niveau régional.

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LE DEVELOPPEMENT DES FOYERS A DOUBLE TARIFICATION Afin de permettre un exercice conjoint des compétences dans le domaine des

handicapés adultes, les foyers à double tarification ont été créés en 1986. Ils associent l'Etat et le département pour financer des établissements destinés également à l'accueil de handicapés lourds mais autonomes. Palliant le nombre insuffisant de M.A.S., ces foyers représentaient 2 000 places en 1992.

En réalité, ces foyers sont apparus comme un moyen de poursuivre ce qui avait été commencé avec les M.A.S., tout en atténuant la charge financière pour l'assurance maladie : M.A.S. et foyer à double tarification répondent en pratique au même besoin. Selon les régions, le déficient mental profond, voire le polyhandicapé, pourra être pris en charge aussi bien par un établissement que par l'autre.

Il convient néanmoins de rappeler que l'existence juridique de ce type d'établissement repose sur deux circulaires de 1986 et 1987, complétées par une lettre ministérielle de 1988. Cette absence de base légale, si elle a pu contribuer à faciliter leur mise en place, constitue aujourd'hui un frein à leur développement et explique que près du quart des départements métropolitains refusent encore de participer au financement de telles structures. Les FDT offrent pourtant une perspective intéressante d'évolution des modes de financement, capable d'atténuer les effets défavorables des clivages financiers et d'améliorer la prise en charge du handicap lourd. Son développement passe là encore par une légalisation de ce nouveau partenariat.

Ces différentes constatations pourraient conduire à envisager, pour le secteur des adultes handicapés, une refonte globale du régime financier de l'hébergement. Le maintien de diverses catégories d'établissements, relevant de financements distincts, contribue, en effet, à freiner l'adaptation de l'offre et se traduit aujourd'hui par un nombre excessif d'orientations inadéquates. Aussi, une réforme du financement des établissements devrait tendre à annuler l'effet de ces clivages financiers en confiant aux départements la responsabilité de l'hébergement dans l'ensemble des établissements. Le financement de ces derniers serait complété par l'assurance maladie à hauteur des besoins médicaux de chaque personne accueillie. Ainsi, chaque collectivité assurerait le financement d'une prestation (soin ou hébergement) sans tenir compte de la nature de l'établissement. Une telle réforme, supposant l'intervention d'un texte de loi, pourrait aussi permettre de doter d'un statut légal l'ensemble des catégories d'établissements pour adultes handicapés, créées depuis la publication de la loi du 30 juin 1975.

Sa mise en oeuvre devrait cependant être précédée d'une définition très précise de ce qu'il faut entendre par dépenses d'hébergement et dépenses de soins, afin d'éviter tout conflit postérieur. Enfin, elle devrait s'appuyer, pour réussir, sur des modes de financement identiques pour les départements et pour les organismes de sécurité sociale, qu'il s'agisse de la technique de l'enveloppe globale ou de celle du prix de journée. De cette manière, le financement de l'hébergement des personnes handicapées pourrait tirer profit de l'expérience acquise dans le domaine des personnes âgées, tout en évitant cependant les nombreux écueils constatés dans ce domaine.

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. 2° LE FINANCEMENT DE LA PRISE EN CHARGE DES PERSONNES AGEES

. A) DE FORTES DIVERGENCES TARIFAIRES DANS LES MODES DE PRISE EN CHARGE Les lois de décentralisation ont confié aux collectivités territoriales des

responsabilités quasi exclusives dans le domaine de l'aide sociale aux personnes âgées, tout en organisant des chevauchements de compétences complexes. La loi du 22 juillet 1983 a confié aux départements l'ensemble des prestations d'aide sociale aux personnes âgées, à l'exception de l'allocation simple. Mais la prise en charge de la dépendance nécessite le plus souvent l'administration de "soins", même s'il s'agit de simple maternage ou d'accompagnement ; dès lors, la responsabilité de son financement incombe à la sécurité sociale dont le niveau d'intervention est arrêté par l'Etat.

Dans ce contexte, les personnes âgées et leur famille peuvent recourir à une multiplicité de solutions pour bénéficier de l'aide sociale. Le tableau ci-après, élaboré par la Cour, rappelle les principales possibilités.

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POSSIBILITES DE PRISE EN CHARGE D'UNE PERSONNE AGEE

Catégorie d'établissement

Financement

Coût pour l'usager

Durée de séjour

Type de prise en charge

Court Séjour Hôpital 100 % sécurité sociale Nul Limitée à la phase aigûe (sauf absence lits de dégagement)

Soins actifs

Hôpital psychiatrique 100 % sécurité sociale Nul Indéterminée Soins spécialisés Moyen séjour 100 % sécurité sociale Nul 80 jours

(prolongement possible) Phase de convalescence

Long séjour Forfait soins sécurité sociale Forfait hébergement : à la charge de l'usager ; aide sociale possible

Si aide sociale : participation financière de l'usager et mise en jeu de l'obligation alimentaire de la famille

Indéterminée Dépendance lourde Recours possible à l'allocation compensatrice

Maison de retraite médicalisée ou MAPAD

Forfait soins sécurité sociale Forfait hébergement : à la charge de l'usager ; aide sociale possible

Si aide sociale : participation financière de l'usager et mise en jeu de l'obligation alimentaire de la famille

Indéterminée Au minimum hébergement et restauration + degré de dépendance variable selon les établissements (recours allocation compensatrice)

Foyer-logement Loyer : à la charge de l'usager ; subvention communale ; aide sociale possible

Si aide sociale : participation financière de l'usager et mise en jeu de l'obligation alimentaire de la famille

Indéterminée sauf dépendance trop grande

Principalement l'hébergement Médicalisation existe dans certains cas

Unités spécialisées "cantou" Pris tout compris : à la charge de l'usager ; aide sociale possible

Si aide sociale : participation financière de l'usager et mise en jeu de l'obligation alimentaire de la famille

Indéterminée Hébergement et accompagnement (nursing) Pas de forfait de soins

Etablissements à but lucratif de type maison de retraite ou "cantou"

Totalité des prestations à la charge de l'usager

Pas d'aide sociale Indéterminée Degré de dépendance variable selon les établissements ; limité par l'absence de forfait de soins/soins à l'acte

Accueil de jour Hébergement temporaire

Prestations à la charge de l'usager ; aide sociale facultative possible dans certains départements

Si aide sociale : participation financière de l'usager et mise en jeu de l'obligation alimentaire de la famille

Rythme à définir Hébergement + accompagnement éventuellement

Placement familial Pris tout compris : à la charge de l'usager ; aide sociale possible

Si aide sociale : participation financière de l'usager et mise en jeu de l'obligation alimentaire de la famille

Indéterminée Hébergement et accompagnement + soins à l'acte ou service de soins

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Sans être exhaustif, ce tableau récapitulatif des principales situations rencontrées montre la variété des solutions possibles. On ne peut qu'être frappé par leur nombre, chacune relevant d'un régime financier différent. Il est à noter que celles-ci auront pour l'intéressé et sa famille des conséquences financières fort différentes selon que la prise en charge donnera lieu ou non à une participation financière du bénéficiaire ou de ses obligés alimentaires.

En l'absence de commission chargée d'émettre un avis sur l'orientation de la personne âgée, le choix est souvent fait sur le conseil, le plus souvent de la famille, du médecin traitant, voire de l'assistant social. Ceux-ci, et en particulier la famille, se trouveront d'abord confrontés à une difficulté de compréhension du système de prestations. Comme pour les handicapés, le risque est grand de voir la solution adoptée s'écarter des besoins et du souhait réel de la personne âgée, pour répondre à d'autres considérations.

L'admission d'une personne âgée dépendante dans une maison de retraite donne lieu à récupération, alors que le versement de l'allocation compensatrice sera exempt de toute participation ; de même, les différents impacts financiers d'un placement en court ou en moyen séjour, en long séjour ou, enfin, dans une structure relevant du secteur psychiatrique peuvent influencer la décision des familles et conduire à des orientations inadéquates.

C'est ce qu'ont pu déceler les études conduites, au cours des dernières années, par les médecins-inspecteurs régionaux de l'assurance-maladie dans un certain nombre de départements. Ainsi, dans un centre hospitalier spécialisé (CHS) situé dans la Creuse, un examen effectué en 1994 a révélé que sur les 229 patients présents, 70 d'entre eux relevaient davantage d'un lit de long séjour ou d'une maison de retraite que du secteur psychiatrique. De même, le service de contrôle médical de la région de Bourgogne a considéré qu'en 1994, deux CHS situés en Côte d'Or comprenaient un nombre important de personnes âgées placées inutilement en structure psychiatrique : dans un CHS situé à Dijon, 14 patients sur les 164 examinés relevaient du long séjour ou d'une section de cure médicale ; dans un autre CHS, à Semur-en-Auxois, sur les 120 malades examinés, 14 auraient justifié d'une orientation identique.

Des constatations du même ordre ont été faites par la plupart des autres services de contrôle médical de la CNAMTS consultés, comme celui d'Alsace-Lorraine ou celui de la région Midi-Pyrénées. Ce dernier a ainsi recensé en 1994, dans un hôpital du Lot, un taux d'inadéquation de 76,7 % : sur 735 lits installés, 413 malades avaient fait l'objet d'un placement inadéquat ; parmi ceux-ci, ont été dénombrées 252 personnes âgées qui auraient dû être orientées vers un lit de long séjour, pour 127 d'entre eux, ou vers une maison de retraite avec ou sans section de cure médicale, pour les 125 autres.

Là encore, l'importance des placements inadéquats de personnes âgées dépendantes s'explique, pour partie, par le biais introduit par les différences de régime financier applicable selon que le placement dans telle ou telle catégorie d'établissements donnera lieu à la mise en jeu de l'obligation alimentaire ou d'une récupération sur succession. Il reste que ces orientations contestables sont aussi largement dues à l'insuffisance constatée en matière de prise en charge de la dépendance.

B) LA PRISE EN CHARGE DE LA DEPENDANCE

- UNE PRISE EN CHARGE INSUFFISAMMENT MEDICALISEE : Le maintien à domicile concerne aujourd'hui de plus en plus des personnes âgées

dépendantes. Pour répondre à leur attente, les services d'aide ménagère ne constituent qu'une réponse partielle dès lors qu'ils ne peuvent accomplir toutes les tâches nécessaires

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à la personne, et notamment la toilette et l'habillage, travail réservé aux aides-soignantes. Certes, le développement de l'allocation compensatrice permet indirectement le financement de ces services par le recours à une tierce personne, qu'elle soit de la famille ou d'une association habilitée. Mais l'effet reste incertain, faute d'un contrôle d'effectivité suffisant.

Les services de soins à domicile apparaissent donc comme un élément central d'une politique de développement du maintien à domicile. Financé entièrement par l'assurance maladie, ce service est prescrit par un médecin ; sa maîtrise échappe donc entièrement au département, conformément à la séparation traditionnelle entre le champ social et le champ sanitaire.

Autorisés par l'Etat, les services de soins à domicile ont augmenté de 9 782 places entre 1990 et 1993, passant de 42 027 à 51 809. Cet effort affiché au titre du plan de médicalisation annoncé par la circulaire n° 89-20 du 6 décembre 1989 du ministre des affaires sociales et de la solidarité, n'a cependant pas eu, faute de crédits ouverts, toute la portée attendue et n'a donc pu satisfaire l'ensemble des besoins reconnus. Ainsi, en mai 1994, 3 584 places avaient été autorisées "sous réserve de crédits" et 682 autres "sans réserve de crédits".

Cette terminologie recouvre une pratique relativement inédite consistant à autoriser la création de places sans ouvrir les financements nécessaires à leur fonctionnement. Certes, le plus souvent, ceux-ci sont finalement apportés, au terme d'un certain délai. Il reste que par ce biais, l'Etat introduit un décalage entre le nombre de places théorique et le nombre effectivement disponible. Ainsi, au terme de l'achèvement du plan, 4.266 places, soit près de la moitié du nombre théoriquement autorisé, n'étaient toujours pas ouvertes, faute de financement. Pour le seul département de Paris, une estimation globale du besoin a été effectuée par la direction régionale des affaires sanitaires et sociales d'Ile-de-France qui évaluait, en août 1994, à 435 le nombre de places de services de soins à domicile autorisées sans être financées.

Le même décalage a été constaté pour les places en sections de cure médicale. Selon les résultats publiés en février 1994 à l'issue du programme pluriannuel (1991-1993) de médicalisation des établissements pour personnes âgées, le nombre de places en sections de cure médicale avait augmenté de 99 757 à 125 032, grâce à la création de 25 275 places. Là encore, les chiffres établis par le ministère attestent qu'en mai 1994, 10 029 places avaient été autorisées "sous réserve de financement" et 1 692 "sans réserve de crédits".

Pour la seule région Ile-de-France, 1295 places de section de cure médicale (SCM) étaient autorisées, à la fin de l'exercice 1993, sans pouvoir être financées. Pour Paris, il restait 69 lits non ouverts sur le programme 1991-1993 et 227 autres lits avaient été autorisés au cours du premier semestre 1994 sans avoir beaucoup de chances d'être financés. C'est le cas également en région Lorraine, où 583 lits de SCM étaient en attente de création.

Cette politique de blocage en matière d'ouverture des lits de SCM, faute de crédits disponibles sur le budget de l'assurance-maladie risque paradoxalement d'entraîner des coûts supplémentaires. Il est probable en effet que l'insuffisance du nombre des places en SCM freine la reconversion de lits sanitaires (médecine et psychiatrie essentiellement), où sont actuellement prises en charge des personnes âgées dépendantes, pour un coût supérieur, entièrement assuré par la sécurité sociale.

Cette politique confirme également les besoins de médicalisation accrue et les difficultés de l'Etat et de l'assurance maladie pour satisfaire des besoins pourtant

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reconnus. Dans les Landes, la région Alsace, la Drôme, la Haute-Savoie, le Rhône, l'insuffisance de la médicalisation a également été relevée. Les études sur l'ampleur réelle des besoins sont rares : la Savoie a tenté d'estimer ses besoins en terme de médicalisation en partant d'une grille de dépendance ; différentes expériences ont été menées en ce domaine dans le cadre de l'expérimentation en cours sur l'allocation dépendance. Faute d'éléments précis, il est néanmoins possible de relever les écarts très importants entre les départements concernant la médicalisation des établissements pour personnes âgées.

Selon les données établies par la CNAMTS pour les sections de cure médicale, au 31 décembre 1993, on comptait, en moyenne, dans toute la France, 30,7 places en section de cure médicale pour 1 000 personnes âgées de plus de 75 ans. Les écarts restaient toutefois très importants : neuf départements n'atteignent pas un taux d'équipement de 20 places pour 1 000, tandis que 23 dépassent un taux de 40 pour 1 000. Une approche régionale permet également de constater que les régions ayant bénéficié de la plus forte augmentation du nombre de places figuraient déjà en 1990 parmi les régions les mieux dotées. Tel est notamment le cas de la région Rhône-Alpes, des Pays-de-la-Loire et de l'Auvergne. Parmi les régions situées très en-deçà de la moyenne nationale, le Nord-Pas-de-Calais et Provence-Alpes-Côte d'Azur enregistrent toujours un taux d'équipement inférieur de 10 points à la moyenne nationale.

Outre l'ouverture de places en long séjour ou en section de cure médicale (SCM), la couverture médicale des personnes âgées dépendantes dépend également du montant du forfait de soins, arrêté par les préfets, pour chaque établissement. Or, le niveau du forfait de soins est parfois considéré par les départements comme insuffisant. C'est le cas pour les maisons de retraite et les maisons pour personnes âgées dépendantes (M.A.P.A.D.), mais également pour le long séjour. Dans ce dernier cas, le montant insuffisant du forfait de soins rend quasiment impossible la gestion d'un service autonome sans l'appui financier d'une structure hospitalière.

Aussi constate-t-on, dans la plupart des cas, que les services de long séjour constituent des budgets annexes de structures hospitalières plus importantes, de telle sorte que l'assurance maladie prend en charge les soins, par l'intermédiaire de la dotation globale destinée aux services de soins actifs, seule façon d'équilibrer la gestion des services de long séjour soumis au plafonnement du forfait de soins.

La situation est identique pour les maisons de retraite avec cependant un décalage moins important entre le forfait accordé et le prix de revient réel des soins. Le caractère forfaitaire du financement consenti par l'assurance-maladie aboutit également, dans certains cas, à ce que tous les frais ne puissent être couverts, entraînant un déficit de la partie soins, dont la réglementation prévoit qu'il doit être comptablement reporté sur la partie hébergement, à la charge des départements (décret n° 78-478 du 29 mars 1978).

Dans quelques départements, ces transferts financiers ont occasionné des contentieux, portant notamment sur le financement, au titre de l'hébergement, de certaines catégories de personnels paramédicaux, des frais de remplacement des personnels médicaux, des matières consommables (couches) et sur les frais d'amortissement de matériels médicaux. A titre d'exemple, dans le département de Haute-Saône, la seule maison de retraite ayant un statut d'établissement public départemental finance sur la section hébergement les salaires et charges de 13,2 aides soignantes. Deux recours contentieux en 1986 ont été introduits et ont donné lieu, en décembre 1990, à un jugement favorable de la commission inter-régionale de la tarification sanitaire et sociale de Nancy ; les deux créances sur la CPAM, d'un montant total de 3,4 millions de francs n'ont toujours pas été acquittées.

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Certains départements ont évalué le montant de cette charge indue : il s'établit selon les conseils généraux à 25 millions de francs dans la Sarthe, à 2 millions de francs en Meurthe-et-Moselle, à 16,7 millions de francs en Savoie. Il semble en réalité que cette évaluation soit assez délicate à réaliser compte tenu de l'imprécision nouvelle qui résulte de l'évolution des textes et de la pratique gérontologique.

Ainsi, pour ce qui touche au personnel soignant, la distinction ancienne entre le statut des aides-soignants et celui des autres agents des services médico-sociaux a été remise en cause par la revalorisation du statut des agents de services. Depuis lors, ces derniers bénéficient d'un accès plus facile au grade d'aide-soignant, aboutissant à ce que les fonctions exercées par l'ensemble des aides-soignants ne correspondent plus toujours à une activité de soins. De plus la pratique gérontologique amène de plus en plus le personnel dit "soignant" à effectuer des taches d'accompagnement, participant directement à la prise en charge de la dépendance, sans pouvoir s'assimiler à une intervention médicale.

Dès lors, la ligne de partage entre les budgets soins et hébergement n'est pas très facile à tracer. Il reste que la revalorisation du montant des forfaits de soins, opérée depuis quelques années, a permis de limiter les risques de conflit induits par ces imprécisions. En effet, pour les sections de cure médicale, le coût moyen annuel à la place pris en charge par l'assurance maladie a augmenté, depuis 1988, à un rythme moyen supérieur à 7 % par an, passant de 39 632 francs à 52 386 francs. Pour autant une clarification de la composition des frais relevant du forfait de soins semble s'imposer.

- LA DENATURATION DE L'ALLOCATION COMPENSATRICE : Créée par la loi du 30 juin 1975 pour favoriser le maintien à domicile des

personnes handicapées adultes, l'allocation compensatrice pour tierce personne (ACTP) s'est progressivement éloignée de sa vocation d'origine pour bénéficier, aujourd'hui, principalement à des personnes âgées dépendantes, souvent placées, de surcroît, en établissement.

Au plan national, les estimations établies en 1992 par les services du ministère des affaires sociales évaluent à 68 % le nombre de bénéficiaires de l'ACTP de plus de 60 ans, contre seulement 51 % en 1984. La part des bénéficiaires âgés de plus de 75 ans atteint 46 %. Ces données sont confirmées par les constatations faites par les chambres régionales dans les départements retenus dans le cadre de la présente enquête. A titre d'exemple, la proportion de bénéficiaires âgés de plus de 60 ans est, en 1993, de 66 % dans le Haut-Rhin, de 75 % en Dordogne et de 79 % dans la Sarthe. En Savoie, la progression du nombre de bénéficiaires de l'A.C.T.P. âgés de plus de 60 ans est de 102 % de 1988 à 1993 (542 à 1097) ; elle est de 211 % en Meurthe-et-Moselle.

En second lieu, comme la Cour l'a déjà souligné à plusieurs reprises, la généralisation du versement de la prestation en établissement, résultant d'une évolution jurisprudentielle, a abouti à faire dévier la prestation de son objectif premier, le maintien à domicile.

La jurisprudence et la réglementation postérieures à la loi de 1975 ont, en effet, défini un cadre qui, à la fois, manque de cohérence et ne correspond plus aux buts fixés par le législateur. La jurisprudence a initialement admis que l'A.C.T.P. ne pouvait être réduite lorsque les personnes handicapées étaient placées en centre de rééducation professionnelle ou en centre d'aide par le travail ne fonctionnant pas en internat, mais qu'elle pouvait l'être en cas de placement en foyer occupationnel pendant la journée (Commission centrale d'aide sociale - Assemblée plénière du 17 octobre 1986). Dès lors, la règle du versement de l'A.C.T.P. a été admise, même lorsqu'une personne est hébergée

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Cour des comptes - rapport public particulier – La décentralisation en matière d’aide sociale (décembre 1995) 117

en centre de long séjour ou en maison de retraite (Conseil d'Etat, 20 mars 1985), ces types d'établissement étant considérés comme relevant de l'hébergement et non des soins.

Cette ambiguïté née du terme "hébergement", conçu en 1975 comme devant s'appliquer aux établissements pour adultes handicapés, mais dont l'usage a été étendu aux établissements pour personnes âgées, a favorisé une évolution opposée aux objectifs initiaux de la loi.

Les conséquences de cette jurisprudence sur l'augmentation du nombre de bénéficiaires de l'ACTP sont sensibles dans les départements : ceux d'entre eux qui ont comptabilisé le nombre d'allocataires en établissement en dénombraient, en moyenne, près de 25 % sur le total des bénéficiaires.

Face à l'accroissement des demandes, les départements s'inquiètent légitimement de ce que le versement en établissement pourrait potentiellement bénéficier à l'ensemble des personnes hébergées en section de cure médicale. Calculé à l'échelle d'un département d'importance moyenne le versement de l'ACTP à l'ensemble des bénéficiaires potentiels aboutirait à une dépense supplémentaire de l'ordre de 30 millions de francs. L'évolution jurisprudentielle a conduit certains départements à tenter d'en limiter la portée en introduisant, de manière irrégulière, des conditions restrictives.

Toutefois, le développement du nombre des bénéficiaires de l'ACTP en établissement ne s'explique pas exclusivement par l'évolution de la jurisprudence. Son régime financier constitue également une forte incitation. En premier lieu, son versement s'effectue en espèces sans que soient exercés par les départements de réels contrôles sur l'intervention d'une tierce personne. En second lieu, cette prestation n'est pas soumise à recouvrement auprès des bénéficiaires et, surtout, ne met pas en jeu l'obligation alimentaire, dès lors que la personne hébergée n'est pas prise en charge dans un établissement au titre de l'aide sociale. L'allocation ne peut, en effet, être suspendue que si le bénéficiaire hébergé est pris en charge totalement ou partiellement par l'aide sociale ; de fait, les personnes âgées ne relevant pas de l'aide sociale ou hébergées dans un établissement non habilité à recevoir des bénéficiaires de l'aide sociale continuent à la percevoir dans son intégralité.

Ce régime financier favorable aboutit à une double dénaturation. Tout d'abord, les départements se retrouvent dans la situation paradoxale de devoir financer, à partir d'une prestation de maintien à domicile, la prise en charge de personnes âgées dans des établissements non habilités à l'aide sociale. Ensuite, des personnes âgées dépendantes utilisent, en effet, le montant de cette allocation pour financer leur hébergement en établissement sans être prises en charge au titre de l'aide sociale ; si, en effet, leur niveau de revenu leur permettrait le plus souvent de bénéficier de l'aide sociale départementale, ces personnes préfèrent acquitter l'intégralité du prix de l'hébergement, grâce en partie au produit de l'ACTP, dans le souci, très fréquent, d'éviter que le département ne mette en jeu l'obligation alimentaire et le recours sur succession vis-à-vis de leurs enfants.

*

L'obligation alimentaire, instituée par le droit civil français, depuis le XIXème siècle, dans le but de maintenir les liens de solidarité familiale, continue aujourd'hui à contribuer au caractère subsidiaire de l'aide sociale. L'exemple de l'allocation compensatrice et du développement de son versement en établissement souligne cependant les réticences croissantes des bénéficiaires à faire ainsi peser sur leur famille le poids financier de leur hébergement. L'existence de nombreux placements inadéquats de personnes âgées dépendantes en structures psychiatriques révèle enfin les effets pervers auxquels peuvent aboutir de trop grandes distorsions dans les modalités de participation

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financière des familles selon que l'intéressé est pris en charge dans une structure relevant de l'aide sociale ou de l'assurance maladie.

Dès lors, il conviendrait qu'à tout le moins, ces distorsions soient corrigées. Il est à noter que les dernières modifications apportées par les textes législatifs et réglementaires en matière d'obligation alimentaire ont eu pour effet d'en restreindre chaque fois le champ d'application. Ainsi, la loi du 30 juin 1975 l'a supprimée pour les personnes handicapées, mineures et majeures ; le décret du 27 juillet 1977 a également supprimé la référence à l'obligation alimentaire pour l'attribution de l'aide ménagère au domicile des intéressés ; enfin, les conditions d'accès au bénéfice de l'aide médicale ont également été assouplies en ce sens pour les jeunes majeurs et pour l'aide médicale à domicile (loi du 22 juillet 1992 portant adaptation du RMI).

Si, dans son principe, le maintien de l'obligation alimentaire demeure fondé sur la nécessité de sauvegarder, aujourd'hui encore, les liens de solidarité entre les générations, son application à une seule partie des modes d'hébergement favorise l'orientation des personnes âgées vers des structures d'hébergement inadéquates. Cette incohérence, préjudiciable à de nombreux usagers, justifie qu'un débat soit prochainement ouvert sur ses modalités de mise en oeuvre.

Sa suppression, dans le domaine de l'hébergement des personnes âgées, aurait un impact financier sur les budgets départementaux assez difficile à prévoir puisque la nomenclature comptable en vigueur ne permet pas de distinguer l'origine des recettes selon qu'elles proviennent des intéressés, des obligés alimentaires ou des recours sur succession. Selon les informations reçues de certains des départements retenus dans la présente enquête, il semble toutefois que la part des recettes issues de l'obligation alimentaire représente moins de 5 % des recettes tirées par les départements de la participation financière des personnes âgées bénéficiaires de l'aide sociale.

L'allocation compensatrice, destinée, lors de sa création, aux personnes handicapées adultes, n'a pas été conçue pour répondre au problème posé par la prise en charge de la dépendance des personnes âgées. Ce nouvel enjeu social appelle une réponse spécifique et adaptée. L'expérimentation en cours dans une douzaine de départements pilotes d'une prestation complémentaire dépendance (47) a ouvert une première piste, sans toutefois mettre un terme aux problèmes posés par l'ACTP. La création envisagée d'une "prestation autonomie" offrira l'occasion d'instituer une allocation véritablement destinée au maintien à domicile des personnes âgées.

C. - UNE INSUFFISANTE EVALUATION DES POLITIQUES D'AIDE SOCIALE

L'insuffisante coordination entre les différentes collectivités ou organismes intervenant dans ce secteur, le manque de cohérence entre les différents dispositifs financiers institués dans le domaine social s'accompagnent d'une lacune importante en matière de suivi et d'évaluation des actions entreprises par les uns et par les autres. L'éclatement des responsabilités et l'absence d'un chef de file, conjugués à la faiblesse des moyens consacrés à cet objectif, expliquent l'insuffisance des outils de suivi mis en place aussi bien par l'Etat que par les départements, et, partant, l'évaluation lacunaire de la qualité des prestations servies et de leur efficacité sur le parcours des bénéficiaires.

(47) Expérimentation mise en place par la loi du 25 juillet 1994, consistant à compléter l'ACTP par le versement d'une prestation supplémentaire, servie par le régime vieillesse et réservée au maintien à domicile.

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. 1° L'ABSENCE D'INSTRUMENTS D'EVALUATION

. A) L'INSUFFISANCE DU SUIVI EXERCE PAR LES SERVICES DE L'ETAT

. - LA FAIBLESSE DE L'OUTIL STATISTIQUE MIS EN PLACE PAR LE MINISTERE DES AFFAIRES SOCIALES :

L'article 25 de la loi n°83-663 du 22 juillet 1983 complétant la loi n°83-8 du 7 janvier 1983 relative à la répartition des compétences prévoit l'obligation pour la collectivité bénéficiant d'un transfert de compétences de poursuivre selon des modalités définies par décret en conseil d'Etat, l'établissement de statistiques liées à l'exercice de ces compétences.

C'est sur le fondement de ce texte que huit questionnaires sont actuellement adressés chaque année aux départements par le service des statistiques, des études et des systèmes d'informations (SESI) du ministère des affaires sociales. Ils portent sur l'actualisation du fichier FINESS relatif aux établissements, sur la protection maternelle et infantile, la prophylaxie sanitaire, les services d'aide à domicile, les personnels sociaux, les bénéficiaires de l'aide sociale, la santé de la mère et de l'enfant, ainsi que sur les dépenses sociales.

Par rapport aux anciens questionnaires adressés aux DDASS avant 1983, une simplification importante a eu lieu et des modifications techniques ont été apportées : le questionnaire est passé de 900 pages, avant 1983, à 90 pages aujourd’hui. Il n'a cependant permis qu'avec retard le suivi des nouvelles politiques mises en place (par exemple l’aide médicale) et nécessité des modifications des programmes informatiques utilisés par les départements. Ceux-ci n'ont d'ailleurs pas été associés à une véritable réflexion sur leurs besoins statistiques.

Si les départements satisfont globalement à leurs obligations réglementaires, la qualité des réponses fournies apparaît très inégale. Nombre de questionnaires statistiques ne sont que partiellement remplis.

Le mécanisme de collecte des informations est très complexe, les DDASS servant de relais au SESI, ce qui explique le caractère tardif de l'envoi des réponses, qui ne parviennent au ministère en moyenne pour les données relatives à une année N, qu'en janvier N+2, pour être publiées au début de l'année N+3, afin de pouvoir intégrer, pour les dépenses d'aide sociale, les données rassemblées par la direction générale des collectivités locales au premier semestre N+2. Ainsi les données 1992 n'ont été publiées qu'au début de l'année 1995, tandis que celles relatives à 1993 devraient faire l'objet d'une publication début 1996.

Si les délais de réponse étaient respectés (février N+1 pour les informations sur les bénéficiaires, juin N+1 pour les données financières), la sortie des statistiques pourrait intervenir, selon le SESI, huit mois après pour la partie relative aux bénéficiaires ou un an après pour la partie financière. Ceci supposerait toutefois, d'une part, que le SESI soit doté des moyens nécessaires en équipements informatiques et en personnel pour accélérer le traitement des informations.

Outre leur caractère tardif, les quelques documents publiés chaque année par le SESI souffrent de leur faible intérêt au regard de la richesse des informations recueillies. Le SESI dispose, en effet, d'une base de données comportant plusieurs centaines de variables par département qui ne fait l'objet, faute de moyens, d'aucune exploitation véritable. Ainsi, selon les services du SESI, 10 % seulement des réponses concernant l'aide sociale à l'enfance seraient exploitées et 60 % environ pour les autres rubriques. Les bases de données elles-mêmes ne sont que très peu utilisées.

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Enfin, le retour des informations collectées auprès des départements vers ces derniers n'est pas réellement organisé. Cette absence de valorisation des statistiques du SESI n'aide donc en rien à l'amélioration des délais de transmission et à la qualité des réponses des départements. L'enquête menée auprès des départements confirme, en effet, le peu d'intérêt porté par les collectivités à ce dispositif statistique national.

Le département de la Gironde a ainsi regretté l'absence de retour des informations sous forme de tableaux permettant d'établir des comparaisons entre les départements. De même, cette absence de retour de l'information de la part du SESI a également été critiquée par le département de la Corse-du-Sud qui indique "qu'il s'agit plus d'une transmission unilatérale et générale que d'échanges véritables".

En définitive, une refonte complète du dispositif semble nécessaire pour répondre à la fois aux besoins de l'Etat et des départements. Il est, en effet, regrettable que les services de l'Etat comme les collectivités territoriales dépendent, pour leur information, des statistiques publiées non par le SESI mais par l'Observatoire national de l'action sociale décentralisée (ODAS), association regroupant 26 départements et dont les travaux permettent d'anticiper, à partir d'un échantillon de départements, les résultats nationaux avec deux à trois ans d'avance sur le ministère. L'ODAS n'a cependant pas pour vocation de se substituer au ministère dans la publication de statistiques nationales mais de constituer un lieu d'échanges et de réflexion entre les conseils généraux.

La nécessité d'une réforme de l'outil statistique suppose, pour réussir, que soit organisée une véritable concertation entre l'Etat et les départements qui, le cas échéant, pourrait aboutir à la constitution d'une structure commune, qui pourrait prendre la forme d'un groupement d'intérêt public, capable d'être à l'écoute des besoins exprimés autant par l'Etat que par les départements et disposant des moyens et de la légitimité nécessaires pour exercer ce suivi statistique et conduire des évaluations qualitatives associant l'ensemble des partenaires.

Quelle que soit la solution retenue, il importe, en tout état de cause, que les services de l'Etat puissent être en mesure de disposer des informations indispensables pour pouvoir remplir leur fonction de définition de la politique sociale que la loi du 2 mars 1982 a entendu maintenir à l'Etat.

- LE SUIVI LOINTAIN DE L'AIDE SOCIALE DECENTRALISEE PAR LES SERVICES DE L'ETAT :

Le partage des compétences décidé par la loi du 22 juillet 1983 a eu pour effet de recentrer les services de l'Etat sur l'exercice de leurs attributions résiduelles. Cette conséquence, cohérente avec le souci de ne pas maintenir des structures administratives correspondant à des compétences décentralisées, a cependant entraîné un appauvrissement des moyens de suivi et d'analyse, aussi bien à l'échelon central que déconcentré.

De fait, les services de la direction de l'action sociale (DAS) sont aujourd'hui dépourvus de toute information régulière et précise sur les conditions d'exercice des politiques d'aide sociale, alors même qu'il leur revient de définir les règles applicables. Ainsi, les bureaux chargés de l'enfance, des personnes âgées ou des personnes handicapées à la DAS ne disposent d'aucune remontée d'information de la part des DDASS ; les services déconcentrés n'ayant d'ailleurs pas les moyens d'exercer une veille sur les conditions de mise en oeuvre des politiques sociales conduites localement. Seuls sont connus des services centraux du ministère des dossiers ponctuels dont la remontée vers la DAS s'expliquent le plus souvent par une situation de gravité ou d'urgence particulières.

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Ainsi, en matière d'aide sociale à l'enfance, la DAS ne peut que regretter de ne disposer d'aucune information sérieuse sur son champ d'intervention. Privée d'informations qui leur seraient directement transmises par les services déconcentrés, la DAS se fonde, en premier lieu, sur les statistiques publiées par le SESI ; or, celles-ci présentent un caractère non seulement tardif, mais également lacunaire : elles proposent une photographie au 31 décembre de chaque année sans renseigner sur les flux intervenus en cours d'année. Il sera donc possible de prendre connaissance, à la fin de l'année 1995, du nombre d'enfants présents dans les établissements au 31 décembre 1993 ; il ne sera pas possible de connaître le nombre total d'enfants accueillis en 1993 ni d'avoir une idée approximative sur la durée des placements.

Dès lors, l'analyse des conditions d'organisation et de fonctionnement des modes de placement est rendue particulièrement hasardeuse. Elle repose pour l'essentiel sur de rares études conduites sur des sujets ponctuels à l'initiative d'instituts indépendants, avec le soutien du ministère et de quelques conseils généraux. C'est uniquement par ce biais que la DAS dispose, depuis 1994, d'une étude générale sur le recours de l'aide sociale à l'enfance (ASE) au placement familial qui, pourtant, "demeure la solution la plus utilisée par l'ASE pour prendre en charge les enfants qui lui sont confiés", comme le rappelle l'introduction de l'étude (48).

Indépendamment de ces études ponctuelles, on doit regretter qu'aucune véritable évaluation des politiques d'aide sociale n'ait été conduite en France depuis la décentralisation, dans le cadre du dispositif réglementaire mis en place par le décret du 22 janvier 1990 relatif à l'évaluation des politiques publiques. Si la loi instituant le revenu minimum d'insertion a bien prévu le principe d'une évaluation régulière de ce dispositif récent, de telles études n'ont été ni demandées ni effectuées pour les secteurs concernés par les premiers transferts de compétence.

Une seule étude portant sur l'insertion des adolescents en difficultés a été retenue par le comité interministériel de l'évaluation des politiques publiques, mis en place par le texte précité. Comme l'a relevé le conseil scientifique de l'évaluation, dans son deuxième avis, le travail de grande ampleur réalisé à cette occasion, notamment en vue d'établir un tableau complet décrivant l'ensemble des interventions publiques dans le domaine considéré, n'a pas permis d'atteindre l'objectif initialement recherché.

Cette carence en matière d'information de nature qualitative est d'autant plus préoccupante qu'elle ne se limite pas aux dispositifs dont l'Etat n'a pas la compétence de gestion. Elle est également constatée dans le suivi des dispositifs gérés conjointement par l'Etat et les conseils généraux. Tel est notamment le cas des fonds d'aide aux jeunes.

Rendus obligatoires dans tous les départements par la loi n° 92-722 du 29 juillet 1992 portant adaptation de la loi du 1er décembre 1988 sur le revenu minimum d'insertion et relative à la lutte contre la pauvreté et l'exclusion sociale et professionnelle, ces fonds délivrent des aides financières directes à des jeunes âgés de dix-huit à vingt-cinq ans, pour une durée limitée. Or, le financement des fonds départementaux étant partagé entre les départements et l'Etat, il appartient à ce dernier d'exercer un suivi suffisant pour pouvoir s'assurer, à tout le moins, de l'existence des fonds, de la consommation des crédits et des conditions d'attribution des aides. Tel n'est pas aujourd'hui le cas faute de moyens suffisants.

(48) Le placement familial de l'aide sociale à l'enfance - Etude nationale (mai 1992- septembre 1993)

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Ainsi, la mise en place des fonds ne s'est faite que très progressivement. En octobre 1994, plus de deux ans après le vote de la loi, la DAS était en mesure de faire un point dans les vingt principaux départements, dont il ressortait qu'aucune convention n'avait encore été signée dans six d'entre eux et que le fonds n'était pas encore opérationnel dans neuf départements. Des visites sur place étaient organisées au début de l'année 1995, dans les principaux départements.

Le suivi de la consommation des crédits est rendu difficile par le choix de recourir à des associations pour assurer la gestion financière des fonds, pourtant alimentés par l'Etat et les conseils généraux, l'instruction des demandes étant confiée à des missions locales, des CCAS, des commissions locales d'insertion, etc. Dans ce contexte, les services déconcentrés du ministère ne semblent pas en mesure de connaître le niveau de consommation mensuelle des crédits délégués. L'administration centrale a elle-même les plus grandes difficultés à obtenir de ses services déconcentrés le montant des crédits consommés au terme de l'exercice 1994, évalué approximativement autour de 100 millions de francs.

Surtout, le suivi des jeunes bénéficiaires n'a pas été à la mesure de l'ambition initiale : jusqu'en janvier 1995, la DAS a été destinataire d'une fiche pour chaque jeune aidé, en vue d'une exploitation nationale que le ministère n'a évidemment pas eu les moyens de conduire. Depuis lors, il est demandé à chaque DDASS d'élaborer un rapport d'activité annuel, sans qu'il semble acquis que celles-ci aient elles-mêmes les moyens de conduire cette tâche de manière satisfaisante.

L'insuffisance des moyens d'information et des instruments de suivi mis en place par les services de l'Etat compétents dans le domaine de l'aide sociale et de la santé hypothèque largement la capacité d'évaluation des dispositifs. Dans ces conditions, l'Etat ne semble pas en mesure d'exercer de manière satisfaisante son rôle réglementaire de définition des politiques sociales.

Cette carence est d'autant plus critique qu'elle est partagée par les départements qui, pour la majeure partie, sont également dépourvus de moyens de suivi et d'évaluation.

B) LE SUIVI DE L'AIDE SOCIALE PAR LES DEPARTEMENTS

Le souci du législateur de favoriser l'évaluation par les départements de l'efficacité de leurs interventions s'est manifesté par l'obligation de préciser, dans le schéma départemental des établissements et services, les critères d'évaluation des actions conduites. La mise en place de tels instruments d'évaluation est cependant intervenue très récemment, de manière incomplète et souvent peu efficace.

L'évaluation des politiques suppose en effet que les collectivités se dotent, en premier lieu, d'instruments de mesure de l'évolution des dépenses, du nombre des bénéficiaires et des prestations.

Certains départements n'ont pas encore atteint ce premier stade élémentaire : le département de Paris ne tient pas de comptabilité analytique de ses dépenses d'aide et d'action sociale, alors qu'elles s'élèvent à plus de 4 milliards de francs. Ce même département ne dispose pas encore d'outils d'aide à la gestion en matière sociale : outre les contrôles ponctuels de l'inspection générale des services de la ville, il dispose simplement au sein du bureau du budget d'une cellule qui effectue des "audits" à dominante financière portant sur les services de la direction ou sur les partenaires associatifs en difficultés. En matière d'aide sociale à l'enfance, un simple suivi des effectifs par catégorie de décisions est effectué, sans aucune mise en perspective permettant de constituer une quelconque aide à la décision ou une mesure de l'impact de la politique conduite.

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Un des obstacles rencontrés tient au fait que les outils informatiques dont se sont dotés les départements n'intègrent pas le plus souvent la fonction statistique. Ce constat a été fait, par exemple, dans le Cher, où les tableaux de bord qui ont pu être conçus ultérieurement sur micro-informatique ne peuvent extraire directement les données nécessaires et supposent des retraitements complexes. Dans l'Orne, le logiciel aide sociale à l'enfance ne permet aucune sortie statistique et se limite à la gestion de la paye des assistantes maternelles, à l'enregistrement des dossiers et à la liquidation des prestations.

Les instruments de suivi des actions développées par les départements sont donc généralement absents ou lacunaires. L'évolution préoccupante des dépenses d'aide sociale a cependant conduit certains départements à récemment mettre en place des tableaux de bord plus complets permettant au moins de suivre les dépenses, les prestations et les bénéficiaires.

Tel est notamment le cas du département de la Gironde qui a créé une mission "évaluation et prospective" dont le but est de construire des outils d'aide à la décision en complétant les tableaux de bord budgétaires par des données sur la gestion des prestations et par le recensement d'indicateurs d'activité permettant à terme de constituer un système d'information complet sur la gestion de la direction sociale départementale. De même, l'Indre-et-Loire a mis en place, depuis peu, un ensemble de tableaux de bord publiés mensuellement et diffusés dans les services. Ils permettent d'avoir un suivi en temps réel des principales données concernant l'aide sociale à l'enfance (évolution des dépenses, des journées d'hébergement et du nombre de bénéficiaires en matière de prévention, d'AEMO, d'aides financières et de placement), l'aide sociale générale (personnes âgées et handicapées, carte santé et assurance personnelle) ainsi que l'ACTP et le RMI.

Pour le reste, les outils d'évaluation conçus par les départements sont le plus souvent beaucoup plus limités et portent seulement sur certaines catégories d'actions ou de bénéficiaires. Ainsi le département de la Loire a mis en place un fichier "clientèle polyvalence 42" permettant d'identifier les usagers du service et de connaître leurs caractéristiques sociologiques. Le même type d'étude de la population rencontrée au sein des circonscriptions d'action sociale a été effectué par l'INSEE pour le compte du département de la Gironde ; malheureusement, le délai de trois ans séparant la date de recueil des données et leur exploitation, ainsi que l'absence de consolidation des chiffres à un échelon départemental, a privé cette étude de toute portée opérationnelle. La Corse-du-Sud ne dispose de tableaux de bord que pour l'aide sociale générale (suivi budgétaire, suivi des bénéficiaires), aucun outil n'étant disponible sur l'aide sociale à l'enfance.

Dans ces conditions, il n'est pas étonnant que les départements, se dotant à peine d'instruments de suivi financiers ou statistiques, enregistrent un retard préoccupant en matière d'évaluation de la qualité des prestations qu'ils financent et de l'efficacité des politiques relevant de leur compétence.

2° UN SUIVI INSUFFISANT DE LA QUALITE DES PRESTATIONS ET DE L'EVOLUTION DES BENEFICIAIRES

A) LES LIMITES DE L'EVALUATION DES PRESTATIONS FOURNIES PAR LES ETABLISSEMENTS

- L'ABSENCE DE SUIVI DES PRESTATIONS : La loi prévoit la possibilité de passer avec les établissements hébergeant des

mineurs ou des personnes âgées une convention liée à l'habilitation à l'aide sociale accordée par le département (article 11-2 de la loi du 30 juin 1975 modifiée relative aux institutions sociales et médico-sociales). Selon les dispositions légales, cette convention,

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ou à défaut l'arrêté d'habilitation, doit obligatoirement préciser la nature des critères d'évaluation des actions conduites. Or, il apparaît que cette disposition est peu respectée dans les relations avec les établissements privés, avec lesquels, en tout état de cause, peu de conventions ont été signées.

Les chambres régionales des comptes ont relevé, dans le cadre de la présente enquête, peu d'exemples de départements ayant tenté de définir leurs exigences qualitatives dans le cadre de leurs relations contractuelles avec les établissements. Ainsi, dans le Rhône, une convention-type a été élaborée en concertation avec l'Union régionale interfédérale des oeuvres et organismes privés sanitaires et sociaux (URIOPSS) de Rhône-Alpes, par laquelle les relations avec les établissements associatifs se sont établies sur de nouvelles bases, tant sur le plan financier que dans le domaine des réponses apportées aux besoins des usagers. La même pratique a été relevée dans l'Indre-et-Loire et le Bas-Rhin où des conventions sont en cours d'élaboration avec les établissements de l'ASE, avec une négociation sur des "projets éducatifs".

Plus rares sont les départements qui vérifient la conformité entre l'arrêté ou la convention d'habilitation et la réalité des prestations fournies : ainsi la plupart des autres départements ne contrôlent pas l'effectivité de la présence des personnes âgées placées en établissement.

L'Isère procède actuellement à un contrôle général des établissements de l'aide sociale à l'enfance (ASE) pour vérifier le respect des arrêté d'habilitation. Le Rhône a également effectué un audit général sur tous les établissements de l'aide sociale à l'enfance, qui a concerné la qualité de l'accueil, les projets pédagogiques existant et la répartition géographique.

Enfin, la Gironde a confié à l'observatoire régional de la santé d'Aquitaine l'évaluation de certains aspects de sa politique en matière de personnes âgées: études sur les structures d'hébergement et les caractéristiques de la population hébergée, études sur les conditions de vie, l'état de santé et les besoins d'aide des personnes âgées vivant à domicile, étude sur les caractéristiques des logements-foyers et le profil de la population résidante, évaluation des expériences de téléalarme dans plusieurs cantons.

- UNE CONSULTATION SOUVENT FORMELLE DES USAGERS : L'article 8 bis de la loi de 1975 précitée a prévu que les usagers, les familles et les

personnels des établissements sont obligatoirement associés au fonctionnement de l'établissement par la création, notamment, d'un conseil d'établissement, dont les modalités de fonctionnement ont été prévues par un décret n° 85 114 du 17 octobre 1985. Si l'effectivité de la mise en place de ces conseils devrait faire partie des contrôles mis en oeuvre par les services départementaux, il n'en a pas été dressé le bilan au niveau national.

Rares sont les départements qui ont tenté de mettre en oeuvre d'autres modalités de consultation des usagers, à l'image du département du Rhône qui a commandé, en 1993, à la SOFRES une étude portant sur la qualité de vie de 6 000 personnes âgées hébergées en établissement. Des démarches analogues ont été recensées également en Meurthe-et-Moselle où s'est engagée une démarche d'évaluation de la politique en faveur des personnes âgées dans le cadre de la préparation d'un troisième plan gérontologique.

De même, le règlement départemental d'aide sociale de la Seine-et-Marne prévoit qu'une charte de la qualité de vie en établissement pour personnes âgées doit être signée par tout établissement sollicitant l'habilitation du département : ce document comporte des obligations générales en matière de sécurité, de vie sociale, de contrat d'hébergement, de prix de journée, d'organisation sanitaire et de qualité des soins ainsi que d'information

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du résident. Cette charte peut également être signée par des établissements non habilités qui en font la demande et qui répondent aux critères énoncés.

La plupart des autres collectivités départementales reconnaissent tout à la fois l'absence de prise en compte du point de vue de l'usager et la nécessité d'y remédier : un département a ainsi estimé que "le dispositif actuel n'apportait pas de réponse à la personne âgée en fonction de son état mais en fonction des moyens développés". Ceci ne pourra cependant être atteint qu'après une véritable réflexion sur les besoins à satisfaire et la politique à définir en conséquence.

- DES CONTROLES INSUFFISANTS SUR LES ETABLISSEMENTS : Les départements sont juridiquement démunis pour exercer la police

administrative des établissements. Leur pouvoir de contrôle découle en effet de leurs attributions tarifaires, ce qui leur interdit d'exercer, par exemple, des contrôles sur place dans les établissements non habilités à l'aide sociale. Dans le cadre de l'aide sociale, une action conjointe du préfet et du président du conseil général est nécessaire pour vérifier le respect des règles d'autorisation, d'hygiène et de sécurité, le président du conseil général ne disposant d'aucun pouvoir de police spécifique.

C'est pourquoi l'exercice effectif du pouvoir de police est délicat et ne parvient pas toujours à empêcher que des établissements fonctionnent trop longtemps sans autorisation. La régularisation des situations est très longue ; elle se heurte fréquemment aux pressions parfois conjuguées des gestionnaires, des élus et des familles elles-mêmes, qui répugnent à s'adresser à des établissements autorisés, soit par manque de places, soit par crainte de l'augmentation du prix de journée.

Ainsi, dans l'Indre-et-Loire, il a été recensé, en 1994, 13 établissements pour personnes âgées fonctionnant sans autorisation : deux sont désormais fermés ; trois sont en cours de régularisation ; pour huit établissements, la situation n'a toujours pas été régularisée. Un de ces établissements a fait l'objet d'un arrêté de fermeture en 1989, dont l'exécution n'a été assurée qu'en août 1994, ce qui montre l'extrême difficulté à faire aboutir une procédure de fermeture.

Dans d'autres cas, l'autorisation provisoire accordée par le département n'est pas suivie des contrôles qui devraient permettre de conduire à son terme la procédure d'agrément et, le cas échéant, de relever les anomalies de fonctionnement. Ainsi, en Meurthe-et-Moselle, une maison de retraite à but lucratif a pu bénéficier d'une autorisation provisoire, sans contrôle de conformité du département, et sans que, par la suite, l'extension et le transfert de l'établissement aient fait l'objet d'une régularisation administrative. Or les règles de fonctionnement adoptées par cet établissement n'étaient guère respectueuses de la dignité des pensionnaires : chambres et placards fermés à clé, lits équipés de sangles pour attacher les personnes pendant la nuit, surveillance des contacts y compris téléphoniques avec les familles ; quatre résidents atteints de démence sénile étaient lors de l'inspection attachés sur une chaise dans un local fermé à clé et éclairé par une lucarne...

Faute d'un contrôle régulier et systématique, ce n'est donc qu'à la suite de plaintes des résidents ou des familles que les procédures de fermeture administrative, associant les services de l'Etat, peuvent aboutir après de long mois de procédure. Ces situations mettent avant tout en lumière le manque de moyens à la disposition des D.D.A.S.S. pour exercer normalement leur fonction de police : déjà constatée dans le domaine du contrôle de légalité, cette carence des services de l'Etat est d'autant plus critiquable qu'elle touche aux conditions d'hygiène et de sécurité rencontrées dans les établissements.

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. B) UN SUIVI INSUFFISANT DES BENEFICIAIRES

. - LE SUIVI DES ENFANTS ADMIS A L'ASE : Les départements ne disposent pas toujours des données élémentaires permettant

d'apprécier l'impact de la politique d'aide sociale à l'enfance.

Ainsi le département du Puy-de-Dôme ne connaît pas la durée des placements, ne disposant d'informations que sur les flux financiers et non de statistiques précises sur les bénéficiaires. De même, les données sur les durées de séjour ne sont connues dans la Sarthe que pour les enfants placés à la pouponnière départementale ou au foyer de l'enfance.

LA REVISION DES DOSSIERS INDIVIDUELS La régularité du suivi des enfants confiés à l'aide sociale est un élément

fondamental pour apprécier l'adéquation des mesures prises à l'intérêt des enfants. Le rapport Bianco-Lamy, publié au début des années quatre-vingt, avait déjà mis l'accent sur l'intérêt de revoir périodiquement chaque situation individuelle sans se limiter à un simple pointage de la situation administrative de l'enfant. C'est à cette fin que la loi du 6 juin 1984 a instauré l'obligation d'une révision annuelle de chaque situation.

Si cette obligation est généralement respectée, les pratiques connaissent de grandes variations : certains départements vont au-delà en effectuant deux ou trois révisions par an ; d'autres n'ont pu fournir, au moment de l'enquête, de données précises sur le nombre de révisions. Il est vrai que les révisions de situation n'étant pas toujours formalisées, il est parfois difficile d'en vérifier la réalité

L'examen de quelques dossiers d'enfants, à Paris et dans l'Indre-et-Loire, a fait apparaître que les compte rendus d'admission ou de suivi n'étaient pas toujours actés et que les rapports d'évaluation étaient produits tardivement.

L'insuffisance des moyens en personnel peut également constituer un obstacle à l'exercice d'un réel suivi : le nombre d'enfants suivis par chaque travailleur social, dont le rapport Bianco-Lamy estimait qu'il ne devait pas excéder 30, est souvent largement dépassé. En Haute-Corse, deux travailleurs socio-éducatifs suivaient ensemble 85 enfants d'un secteur ; en Indre-et-Loire, chaque travailleur social suivait 60 enfants jusqu'à ce que, récemment, la création d'emplois supplémentaires ait permis de ramener ce nombre à 40, ce qui reste élevé.

Enfin, l'organisation administrative retenue ne permet pas toujours de rendre prioritaire la révision des situations : la multiplicité des intervenants (PMI, service social polyvalent, santé scolaire éventuellement, service d'AEMO, établissement, médecin de l'intersecteur pédo-psychiatrique...) gêne parfois la mise en place d'un suivi régulier et efficace. Le cloisonnement des services au sein même de la direction sociale départementale crée également un obstacle supplémentaire au suivi régulier des situations, faute qu'ait été créé de manière systématique un dossier familial unique, permettant d'éviter que les enfants d'une même fratrie puissent être suivis de manière indépendante par des équipes différentes.

. LES SORTIES DU DISPOSITIF La loi ne permet pas aux départements d'exercer un suivi quelconque sur les

enfants qui leur sont confiés, une fois que ces derniers ont atteint l'âge de leur majorité, sauf en cas d'octroi de prestations (contrat jeunes majeurs) entre 18 et 21 ans. Pour cette raison, les départements ne conduisent pas d'évaluation sur la situation des enfants sortis du dispositif d'aide sociale à l'enfance ; à l'exception de certaines catégories de placement

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totalement contrôlées par le département, comme les sorties du foyer de l'enfance.

Une seule investigation sur ce sujet avait été menée dans les départements inclus dans l'enquête. Conduite par le CREDOC, dans huit départements, elle a porté sur le devenir des enfants sortis du dispositif de l'aide sociale à l'enfance.

. - LE SUIVI DES BENEFICIAIRES DU RMI : L'objectif d'insertion des allocataires du RMI passe par la signature d'un contrat

avec chaque bénéficiaire. La réussite de cette démarche est d'autant plus difficile à apprécier que le suivi des contrats est mal assuré, faute d'instruments de mesure appropriés. Il ressort de l'enquête conduite par les juridictions financières que l'information relative au suivi des bénéficiaires est doublement défaillante, aussi bien au cours de leur présence dans le dispositif qu'à leur sortie.

Le suivi systématique, individuel ou global, de la progression des intéressés au cours de leur parcours d'insertion n'existait, au moment de l'enquête de la Cour et des chambres régionales, qu'à l'état d'ébauche. Dans trois des départements visités, la Loire, la Loire-Atlantique et la Savoie, aucun outil n'était disponible.

Dès lors, on ne peut guère s'étonner du caractère parcellaire des informations disponibles sur les sorties du dispositif, les seuls chiffres connus concernant pour l'essentiel les radiations administratives dont la motivation n'apporte qu'un éclairage très limité sur le véritable devenir des intéressés. En Loire-Atlantique, si les flux de sortie étaient statistiquement connus, l'évolution des situations individuelles immédiatement postérieures à cette sortie, restait ignorée. Dans le Bas-Rhin, l'exploitation informatique des courriers adressés aux commissions locales par les différents partenaires concernés par le RMI a permis la réalisation de statistiques partielles sur le taux d'insertion.

Tout aussi regrettable semble être l'absence de suivi spécifique des retours qu'il n'est pas possible, dans la plupart des départements, de distinguer des premières inscriptions. Ainsi, les fréquents allers et retours dans le dispositif du RMI ne peuvent donner lieu à une analyse systématique des motifs d'échec, aussi bien au plan individuel que départemental, afin de pouvoir éventuellement infléchir les orientations d'insertion. Là encore, l'amélioration des appareils statistiques ne pourra intervenir que par une coopération plus étroite entre les différents intervenants dans ce dispositif, la CNAF, la délégation interministérielle au revenu minimum d'insertion, le SESI et les départements.

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RESUME DE LA QUATRIEME PARTIE

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Le partage des compétences opéré par la loi du 22 juillet 1983 dans le domaine de l'aide sociale n'ayant pu véritablement respecter le principe des blocs de compétences, la mise en oeuvre des prestations d'aide sociale et de prévention sanitaire fait intervenir ensemble, de manière conjointe ou complémentaire, l'Etat, le département et l'assurance maladie. De surcroît, les publics de l'aide sociale bénéficient également d'autres prestations au titre de l'action sociale de l'Etat, des organismes de sécurité sociale ou des communes. Si cette mobilisation de tous les acteurs constitue un acquis, l'absence de coordination entre leurs divers modes d'intervention nuit à l'efficacité des politiques d'aide sociale.

Cette carence se traduit, en premier lieu, par un manque de concertation relevé au stade de la définition et de la mise en oeuvre des politiques à destination des mêmes publics. Dans plusieurs cas, la programmation des équipements ou l'aménagement du régime de prestations ne donnent lieu à aucune information des autres partenaires alors même que ces derniers en subissent les effets. Pour y remédier, la faiblesse, voire la disparition, des instances de coordination appelle la mise en place d'un cadre légal pour le développement d'échanges plus systématiques.

Cette coordination insuffisante s'accompagne, en second lieu, d'un manque de cohérence entre les différents dispositifs de prise en charge, concernant notamment leur impact financier sur les bénéficiaires et leur famille. Les distorsions relevées expliquent pour partie l'existence de placements de personnes âgées ou handicapées dans des structures inadaptées. Une harmonisation permettant d'atténuer les clivages financiers entre catégories d'établissements ou de prestations limiterait de tels effets pervers.

Enfin, l'absence de chef de file dans le domaine de l'aide sociale n'a pas favorisé la mise en place de véritables dispositifs d'évaluation des prestations, tant à l'échelle nationale que départementale. L'Etat et les conseils généraux n'ont pas su se doter des moyens nécessaires pour disposer d'un outil statistique performant et sont largement dépourvus d'informations qualitatives sur les conditions de mise en oeuvre des prestations. Cette défaillance est plus particulièrement regrettable dans le domaine du contrôle des établissements d'hébergement, de l'écoute des usagers et du suivi des bénéficiaires.

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Cour des comptes - rapport public particulier – La décentralisation en matière d’aide sociale (décembre 1995) 129

RAPPEL DES PROPOSITIONS

Dispositions d'ordre juridique

Doter d'une base légale les services d'auxiliaires de vie, destinés aux soins des personnes handicapées maintenues à domicile, par leur insertion dans le code de la famille et de l'aide sociale, à la charge des départements ;

Doter d'une base légale l'ensemble des établissements d'hébergement pour les personnes handicapées ;

Fixer une date limite pour l'adoption par les départements du règlement départemental d'aide sociale et du schéma départemental des équipements et des services ;

Rendre opposables les schémas départementaux des équipements et des services ;

Aménagements financiers

Tirer les conséquences du rôle déclinant des communes dans la mise en oeuvre des prestations d'aide sociale en supprimant ou, à tout le moins, en allégeant la contribution des communes ;

Renforcer la péréquation dans la répartition départementale de la dotation générale de décentralisation ;

Confier aux départements le financement des dépenses d'hébergement au sein de tous les établissements d'hébergement pour les handicapés adultes ;

Clarifier, dans les établissements pour les personnes âgées et pour les personnes handicapées, le partage entre les dépenses de soins, prises en charge par l'assurance maladie, et les dépenses d'hébergement, relevant du département ;

Mesures d'organisation administrative

Renforcer la représentation des départements au sein des COTOREP sans toutefois remettre en cause le caractère médical et technique de ces instances d'évaluation du handicap ;

Harmoniser les circonscriptions de mise en oeuvre des différents dispositifs sociaux ;

Créer une instance de coordination départementale réunissant les principaux acteurs du champ social, dotée d'une mission de programmation, de concertation et d'évaluation des dispositifs d'aide sociale ;

Moyens de contrôle et d'évaluation Actualiser et clarifier la nomenclature comptable des départements concernant les dépenses d'aide sociale ;

Renforcer les contrôles sur pièces et sur place exercés par les départements sur les associations gestionnaires d'établissements d'hébergement ou prestataires de services en fixant par convention les conditions d'exercice de ces contrôles ;

Créer, sous forme de groupement d'intérêt public, une structure commune, regroupant l'Etat et les départements, dans le but de conduire des études conjointes et de gérer le dispositif de collecte et de diffusion des données statistiques relatives à l'aide sociale.

Conduire de manière régulière des évaluations nationales sur la mise en oeuvre des politiques d'aide sociale.

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Cour des comptes - rapport public particulier – La décentralisation en matière d’aide sociale (décembre 1995) 130

CONCLUSION

L'enquête conjointe menée par la Cour et les chambres régionales des comptes conduit à formuler une appréciation contrastée sur les conditions de mise en oeuvre des compétences d' aide sociale , plus de dix ans après leur répartition entre l'Etat et les départements.

Le transfert des compétences n'a entraîné aucune rupture dans le service des prestations, la partition des services s'étant effectuée sans heurts. Les départements ont consenti depuis des investissements importants pour développer l'offre d'équipements et les moyens de leurs services d' aide sociale . Les trois objectifs assignés à la décentralisation de l' aide sociale n'ont cependant été que partiellement atteints.

En premier lieu, la volonté de rapprocher le pouvoir de décision des usagers pour mieux mesurer leurs attentes ne s'est pas traduite par des progrès significatifs, tant dans la connaissance des besoins que dans la publicité des prestations. De même, si les départements ont assuré le développement des équipements et des services sociaux , ils n'ont pas toujours inscrit leurs efforts dans le cadre d'une programmation rigoureuse et d'un contrôle adapté des établissements d'hébergement et des prestations gérées conjointement avec des organismes de sécurité sociale . Dans ces deux cas, l'obligation, introduite par la loi de 1983, d'adopter un règlement et un schéma dans chaque département n'a été que peu suivie d'effet ; un réaménagement de ces deux instruments devrait permettre de leur donner une plus grande portée.

Les départements ont, en effet, consacré, au cours des dernières années, une part croissante de leurs budgets de fonctionnement aux dépenses d' aide sociale . Si celles-ci échappent largement, par leur caractère légal et obligatoire, aux initiatives des départements, ces derniers n'ont cependant pas suffisamment utilisé leurs marges de manoeuvre pour maîtriser les coûts des prestations.

En second lieu, la clarification recherchée par le législateur dans l'organisation de l' aide sociale n'a pas complètement abouti. La logique des blocs de compétences, sur laquelle s'est appuyé le partage des attributions dans le domaine social , a été tenue en échec par un ensemble de critères de répartition souvent empiriques et imprécis. L'existence de diverses contraintes rendait difficile, il est vrai, la constitution de blocs de compétences parfaitement homogènes. L'impossibilité de confier aux collectivités territoriales l'intégralité des compétences, à la fois d'ordre social et sanitaire, afférentes à un même public de l' aide sociale (personnes âgées, enfants, personnes handicapées), a justifié, en effet, le maintien d'interventions fréquentes de l'Etat : tarification des prestations de santé délivrées aux personnes âgées ; décisions de placement judiciaire dans le secteur de l' aide sociale à l'enfance ; gestion et financement de certaines catégories d'établissements pour personnes handicapées ; nécessité de confier à l'Etat la prise en charge des personnes sans résidence fixe.

La loi du 22 juillet 1983 n'a donc pas mis fin à l'intervention de l'Etat et des organismes de sécurité sociale dans la mise en oeuvre, aux côtés des départements, des dispositifs d' aide sociale . Plus encore, l'évolution observée depuis dix ans, notamment depuis la mise en place de nouveaux dispositifs de lutte contre l'exclusion, a montré le caractère inéluctable d'interventions conjointes ou partagées.

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L'expérience tend ainsi à souligner les difficultés auxquelles se heurterait, aujourd'hui encore, une nouvelle tentative de clarification des compétences respectives de l'Etat et des collectivités territoriales. La complexité du champ social et la volonté de maintenir à l'Etat une compétence sanitaire limiteraient sensiblement la portée d'une refonte de la loi de 1983.

L'intervention du législateur paraît, en revanche, indispensable, pour assurer la mise en place d'une coordination efficace entre les différentes collectivités publiques et organismes responsables, ainsi que pour mettre fin aux incohérences relevées entre leurs modes d'intervention respectifs. Seul le législateur semble, en effet, en mesure de mettre en place les moyens nécessaires à l'organisation d'une coordination aujourd'hui inexistante, faute qu'existe, au niveau départemental, une structure de concertation, de programmation et d'évaluation des politiques, associant l'ensemble des acteurs concernés.

De même, une plus grande cohérence pourrait être obtenue par un élargissement de la compétence des départements au financement des frais d'hébergement dans l'ensemble des établissements d'hébergement pour les personnes handicapées adultes, ainsi que par un réexamen des modalités de mise en jeu de l'obligation alimentaire pour les personnes âgées.

L'article 65 de la loi du 4 février 1995 d'orientation pour l'aménagement et le développement du territoire qui prévoit la nécessité d'un prochain réexamen des partages de compétences issus des premières lois de décentralisation pourrait précisément offrir une telle occasion.

En dernier lieu, et bien que la décentralisation de l' aide sociale n'ait pas eu pour but de dépouiller l'Etat de ses fonctions régaliennes, on doit constater qu'il n'est pas réellement en mesure de les excercer. D'une part, la faiblesse des moyens dont disposent les services déconcentrés se traduit par un exercice défaillant du contrôle de légalité sur les décisions des départements et du pouvoir de police sur l'hygiène et la sécurité au sein des établissements d'hébergement. D'autre part, les insuffisances du système d'information et d'évaluation privent les services centraux des instruments nécessaires pour adapter, avec la cohérence indispensable, l'appareil législatif et réglementaire dans lequel évoluent les politiques sociales .

C'est précisément parce que la mise en oeuvre de ces politiques restera marquée inévitablement d'une certaine complexité, même si des progrès peuvent être faits pour définir des règles d'intervention plus claires des différents acteurs, qu'il importe d'apporter des améliorations tangibles dans la connaissance, le contrôle et la coordination des multiples actions qui entrent dans le champ de l'aide sociale.

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Réponse du ministre du TRAVAIL et des AFFAIRES SOCIALES

Comme le rappelle la Cour en introduction de son rapport, le secteur social constitue l'un des domaines de l'action publique les plus profondément touchés par les lois de décentralisation du 7 janvier et du 22 juillet 1983, ces dernières ayant consacré la compétence départementale, compétence de droit commun en matière d' aide sociale .

A l'heure où la question sociale , définie comme la recherche de cohérence maximale d'une société, constitue un sujet de débat majeur pour une nation en crise et occupe la première place des préoccupations affichées par ses décideurs publics, l'analyse du bilan de dix ans de décentralisation en matière d' aide sociale s'impose avec une particulière acuité.

Réduire la fracture sociale tout en parvenant à en maîtriser la charge financière croissante, exige en effet d'apprécier à sa juste mesure la pertinence des choix opérés au début des années quatre-vingt et les mutations intervenues depuis lors dans la répartition des rôles entre les différents acteurs de la politique sociale .

Au terme du rapport qu'elle consacre à ce sujet, la Cour conclut que, si la décentralisation n'a pas induit de rupture majeure et décisive dans le versement des prestations et le développement de l'offre de services, elle n'a pas atteint ses objectifs initiaux.

Rapprocher le pouvoir de décision de l'usager n'a pas assuré une meilleure lisibilité des besoins de l'usager d'un côté, des politiques sociales de l'autre, et n'a donc pas contribué à accroître l'efficacité des politiques.

De surcroît, la clarification recherchée par le législateur dans l'organisation d'une aide sociale complexe par définition n'a pas été entièrement obtenue, la logique des blocs de compétences ayant été rapidement supplantée par des adaptations empiriques à la réalité des situations et des circonstances.

Enfin, l'Etat n'a pas su mobiliser les moyens nécessaires pour réaffirmer la légimité d'une fonction régalienne que la décentralisation n'entendait nullement contester.

Ce constat incite en conséquence à poursuivre la réflexion pour clarifier les règles imposées aux diverses collectivités, comme y invite l'article 65 de la loi du 4 février 1995 d'orientation pour l'aménagement et le développement du territoire.

Le ministère du travail et des affaires sociales souscrit pleinement à ce diagnostic lucide et pertinent (I), même s'il convient de le préciser, le nuancer ou le corriger sur quelques aspects (II).

Des mesures récemment engagées, sur le point de l'être ou prochainement à l'étude, et qui vont toutes dans le sens des recommandations formulées par la Cour, témoignent de la prise de conscience par l'Etat des dysfonctionnements révélés par la décentralisation de l' aide sociale , et de la volonté affirmée de ce dernier d'y remédier (III). Ces mesures restent toutefois fragiles et partielles ; elles n'exonèrent pas du nécessaire débat collectif qui doit associer toutes les collectivités, organismes et institutions concernés par la décentralisation appliquée aux différents registres de l'action publique. A ce débat, le ministère du travail et des affaires sociales est toutefois tenu d'apporter une contribution majeure (IV).

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I. - UN DIAGNOSTIC PERTINENT GLOBALEMENT PARTAGE PAR LES MINISTERES SOCIAUX

Le diagnostic porté par la Cour est étayé sur une démonstration approfondie développée en quatre temps :

- le partage de l' aide sociale issu des lois de décentralisation s'est progressivement écarté de la logique des blocs de compétence poursuivie initialement ;

- l'accélération récente des dépenses d' aide sociale s'est traduite par des tensions croissantes sur les budgets départementaux, réduisant progressivement la marge de manoeuvre réelle dont disposaient les collectivités décentralisées, sans toutefois l'annuler totalement ;

- les départements, pivots de l' aide sociale , n'ont pas su exercer leurs responsabilités avec le maximum d'efficacité ;

- la multiplicité des intervenants dans le domaine de l' aide sociale se heurte à l'insuffisance de coordination, de cohérence et d'évaluation de leurs actions respectives, largement imputable à la carence de l'Etat en la matière.

Ces affirmations s'inscrivent dans le prolongement de constats similaires formulés à l'occasion de précédents travaux diligentés, soit par la Cour elle-même sur des secteurs plus spécialisés de la politique sociale (cf. "Les politiques sociales en faveur des personnes handicapées adultes" rapport de novembre 1993), soit, d'autres instances (Conseil d'Etat, médiateur de la République, commissions parlementaires, corps d'inspection de différents ministères).

On ne peut que souscrire à la pertinence du diagnostic ainsi confirmé. Aussi serait-il vain de vouloir reprendre dans le détail la démonstration développée par la Cour à seule fin de l'approuver.

On se contentera de souligner plus particulièrement les trois faits saillants qui constituent pour le ministère du travail et des affaires sociales les principales leçons de dix ans de décentralisation dans le champ de compétence dont il assume le suivi et la responsabilité.

En premier lieu, la décentralisation s'est soldée, comme le démontre la Cour, par le triomphe de l'empirisme dans la conduite des politiques sociales , alors même que son inspiration puisait aux sources de choix foncièrement idéologiques.

En second lieu, la décentralisation n'a pas entraîné le chaos annoncé par certains et sa "réussite" ainsi entendue est à porter à l'actif d'une maturité politique et administrative qui fait honneur à notre démocratie.

Enfin, la décentralisation n'a pas été à l'inverse, ce "miracle" attendu par d'autres, et les causes d'un tel échec sont à mettre au compte des torts partagés entre deux grandes collectivités publiques : les départements et l'Etat.

En fondant le partage des responsabilités en matière d' aide sociale sur la logique de blocs homogènes de compétences, le législateur entendait garantir tout à la fois à l'usager, la lisibilité des dispositifs et des politiques sociales ; aux collectivités responsables, la maîtrise et l'efficacité de leurs interventions. Or cet objectif a été contrarié par trois séries de facteurs.

Des facteurs initiaux, tout d'abord, présents dès la phase d'élaboration de la loi.

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Cour des comptes - rapport public particulier – La décentralisation en matière d’aide sociale (décembre 1995) 134

Au nombre de ceux-ci, nous mentionnerons la faiblesse de la réflexion préalable - hormis une option générale d'ordre idéologique portant sur le sens des rapports entre citoyens et pouvoirs publics - quant à la finalité, aux modalités et aux conséquences d'un transfert des compétences en matière d' aide sociale . Les choix du Gouvernement avaient été arrêtés dès juin-juillet 1981, sans que ceux-ci aient été sensiblement infléchis au cours du débat parlementaire.

L'ambiguïté sous-jacente aux choix préconisés vaut également d'être relevée, la justification par les principes (rapprocher décideurs et usagers) masquant imparfaitement une préoccupation plus immédiate de maîtrise des dépenses publiques et le désir des différentes collectivités de se réserver les seuls "bons risques".

L'action des divers groupes explique également les exceptions au postulat de base que représente, par exemple, le non-transfert aux départements de la santé scolaire, ou encore le maintien à l'Etat de la compétence sur les centres d' aide par le travail.

Mais la complexité même du secteur de l' aide sociale constitue le deuxième facteur dirimant d'une décentralisation réussie, comme le démontre aussi fort justement la Cour. La difficulté d'opérer sur de nombreux sujets une distinction claire entre affaires d'intérêt local et national, le foisonnement de textes et l'enchevêtrement des réglementations sur certains secteurs (principalement les prestations), alors même que des pans entiers de l'édifice sont totalement dépourvus d'un cadrage juridique minimal (tels les services de maintien à domicile ou les établissements d'hébergement pour adultes handicapés), rendaient tout découpage rationnel des compétences particulièrement aléatoire et malaisé.

Enfin s'est ajouté un troisième facteur de dérive au regard des principes initiaux : la formulation de la problématique sociale traditionnelle de l'inadaptation, dans les termes nouveaux de l'exclusion.

L'intervention des lois de décentralisation a effectivement précédé la forte augmentation de l'exclusion. Face à un phénomène aussi massif qu'inédit, qui échappait aux schémas de représentation et de résolution jusqu'alors éprouvés, l'Etat et les collectivités locales ont été amenés à concevoir, déployer et adapter leurs réponses en dehors des principes des blocs de compétences nouvellement établis. L'institution du revenu minimum d'insertion fut, de ce point de vue, précurseur, cette tendance s'étant naturellement poursuivie par la mise en place des fonds d' aide aux jeunes et de dispositifs de plus en plus diversifiés, tels les contrats de ville.

Cette stratégie tous azimuts, qui face à l'urgence et à la gravité de la fracture sociale réclamait la mobilisation collective de toutes les énergies, ne pouvait que bousculer les frontières d'un partage de compétences encore fragile. Ainsi l'Etat, compétent pour l' aide aux "sans-domicile fixe", a-t-il vu son rôle s'élargir et se transformer avec la modification des publics désormais affectés par la montée des phénomènes multiformes d'exclusion (jeunes, couples avec enfants... qui supplantent dans la litanie de la misère et de l'errance les "clochards" d'antan). A l'autre extrémité de la chaîne, les communes sont elles-mêmes de plus en plus fréquemment confrontées à la marginalisation d'une part croissante de leurs administrés, et conduites à imaginer des solutions locales.

Au terme de ces évolutions, si la décentralisation a mis fin aux financements croisés - encore qu'imparfaitement avec le maintien des contingents communaux elle n'a pas eu pour effet de supprimer les compétences partagées, le réalisme d'une adaptation pragmatique aux circonstances et situations l'ayant effectivement emporté sur le respect scrupuleux des principes.

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Cour des comptes - rapport public particulier – La décentralisation en matière d’aide sociale (décembre 1995) 135

Faut-il déplorer uniformément et irrévocablement ce triomphe de "l'empirisme" sur le "dogmatisme" au motif qu'il a brouillé les cartes et rendu le paysage de l' aide sociale particulièrement opaque ? Certes, mais encore convient-il de ne pas oublier que ce parti pris de réalisme a sans doute largement contribué dans un premier temps à ce qui doit être tenu pour la réussite de la décentralisation : l'absence de rupture majeure et irrémédiable dans la conduite des politiques sociales .

La décentralisation n'a pas entraîné en effet le chaos.

D'une part, les transferts de charge - et la Cour le rappelle fort opportunément - ont été équitables et n'ont suscité aucune contestation. Il faut, sur ce point, rendre hommage au travail remarquable accompli à cet effet par les responsables politiques et administratifs qui ont eu la tâche difficile et ingrate de définir les niveaux de compensation des charges transférées.

Surtout, la décentralisation n'a pas accru globalement les disparités locales, en particulier dans l'offre de services et de places en établissements, alors même que le risque existait d'emblée. Ainsi, pour les seuls adultes handicapés, les conseils généraux ont-ils créé plus de 18 000 places nouvelles dans les structures de prise en charge (foyers d'hébergement, foyers occupationnels, foyers de vie...) entre 1985 et 1993, soit un effort sensiblement équivalent à celui réalisé dans le même temps par l'Etat et les organismes d'assurance maladie.

Mais à l'inverse, il est vrai, la décentralisation est loin d'avoir confirmé les espoirs que beaucoup avaient placés en elle, et cela en raison principalement de torts partagés entre les départements et l'Etat.

La gestion d'un transfert technique réussi a été contrariée d'abord par les départements qui n'ont pas utilisé les outils mis à leur disposition.

Des outils d'ordre juridique en premier lieu. Et sur ce point et à la lumière d'une enquête récente diligentée par la direction de l'action sociale , on ne peut que souscrire sans réserve, pour le déplorer, aux observations de la Cour sur les retards, voire la non- production des règlements départementaux d' aide sociale et des schémas départementaux des équipements dont l'obligation figurait pourtant dans la loi.

Des moyens matériels et humains ensuite, et il est vrai, là encore, que le transfert des moyens de fonctionnement s'est avéré très favorable aux départements. Ceux-ci ont en effet considérablement renforcé leurs effectifs, trois agents sur quatre des DDASS ayant été transférés aux départements.

Des moyens financiers enfin, la décentralisation de l' aide sociale n'a pas alourdi les charges des conseils généraux, leurs dépenses ayant décru de 1,3 p. 100 en francs constants. Or, rejoignant sur ce point d'autres constats similaires - et en particulier les conclusions du rapport Derosier - la Cour estime que les préoccupations de gestion comptable l'ont emporté, pour les conseils généraux, sur le souci d'imagination et d'innovation dans les politiques sociales .

Le retournement de conjoncture à compter de 1989 et l'aggravation des problèmes sociaux ne pouvaient que limiter singulièrement une marge de manoeuvre qui n'avait su s'investir efficacement, la limitation des ressources fiscales et le poids croissant de la demande sociale conjuguant leurs effets pour induire un redoutable phénomène de "ciseaux" qui n'a depuis lors cessé de s'aggraver.

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Cour des comptes - rapport public particulier – La décentralisation en matière d’aide sociale (décembre 1995) 136

Dans ces conditions, le pari n'ayant pu être tenu d'une compensation des dépenses d'insertion mise à la charge des conseils généraux au titre du RMI par une économie de même montant sur les allocations de l' aide sociale à l'enfance ou sur l' aide médicale générale, les contraintes nouvelles imposées sans concertation préalable par l'Etat aux départements au titre de la lutte contre l'exclusion ne pouvaient dès lors apparaître que comme autant de charges supplémentaires indues. Elles ont induit en retour des pratiques contestables de non-application du droit par les départements.

Mais l'Etat lui-même n'est pas exempt de reproches dans l'échec des politiques dont la décentralisation des compétences se voulait pourtant le gage d'une efficacité accrue. Agissant davantage, au mieux comme un partenaire parmi les autres, au pire comme un concurrent, il n'a pas assis ses fonctions régaliennes dans trois registres essentiels : celui de l'observation et de l'évaluation des politiques sociales ; celui de la définition et de la coordination de ces politiques ; celui du contrôle de légalité des décisions. Sur ces trois points, force est de constater que l'Etat fut défaillant.

II. - UN CONSTAT QUI APPELLE TOUTEFOIS QUELQUES PRECISIONS, NUANCES OU CORRECTIFS

Si le constat dressé par la Cour sur dix ans de décentralisation en matière d' aide sociale emporte globalement l'adhésion, il appelle aussi, comme en témoigne cette dernière remarque, un certain nombre de précisions, de nuances, voire de correctifs susceptibles d'en parfaire l'appréciation. Ces remarques porteront tour à tour sur les éléments et la méthodologie d'analyse retenue par la Cour d'abord, sur certains de ses jugements ensuite, sur quelques-unes de ses hypothèses enfin.

Les données chiffrées produites par la Cour peuvent susciter quelques commentaires préalables.

Tout d'abord, si le rythme de progression annuel des dépenses nettes d' aide sociale des départements n'a véritablement augmenté de manière importante que depuis 1989, et non 1988 comme il est dit - entre 1988 et 1989, les dépenses directes sont passées de 43 à 45 milliards de francs, cette augmentation de plus de 4,7 p. 100 représente un rythme comparable à ceux observés jusque là depuis 1984, qui variaient de 3 à 5 p. 100 par an - les dernières données dont dispose le SESI confirment bien les tendances observées par la Cour sur les différents postes de dépenses des budgets départementaux ainsi que les évolutions du nombre de leurs divers allocataires.

On enregistrait ainsi sur 1993 : 110 600 enfants placés à l'ASE (confirmation de la diminution du nombre des placements) ; 266 700 bénéficiaires de l'allocation compensatrice (en croissance continue) ; 238 600 personnes âgées bénéficiant d'une aide sociale , dont 138 000 personnes âgées bénéficiaires de l' aide sociale à l'hébergement (diminution sensible et régulière).

L'enquête de la Cour fondée sur des données antérieures à cette date ne pouvait, en outre, faire apparaître "l'envolée" en 1994 des dépenses de soins médicaux et de RMI (1,8 milliard de francs en 1992 contre 3,2 milliards de francs en 1994, selon les estimations des dépenses nettes en France métropolitaine réalisée par l'ODAS), imputable en partie à la généralisation de la carte santé. Pour les cotisations d'assurance personnelle, les contrôles effectués sur les fichiers des caisses primaires d'assurance maladie ont permis à quelques départements de limiter la hausse de 1,8 milliard de francs en 1992 à 2,6 milliards en 1994.

Plus fondamentalement, la méthodologie d'analyse des comptes administratifs départementaux adoptée par la Cour peut justifier un certain nombre de réserves et de précautions.

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L'analyse des dépenses brutes, afin d'apprécier du point de vue du bénéficiaire les prestations délivrées, n'est pas totalement significative, dans la mesure où, pour certains chapitres de l' aide sociale - telle l' aide sociale aux personnes âgées -, le montant des récupérations auprès des bénéficiaires représente 50 p. 100 de la dépense brute (70 p. 100 des dépenses d'hébergement en établissement). Les modes de récupération sont eux-mêmes variables et rendent les comparaisons malaisées (versement de la totalité de sa dotation à l'établissement puis récupération par l' aide sociale de la contribution de la personne à ses frais d'hébergement, ou dotation à l'établissement limitée au solde entre prix de journée et contribution des intéressés). On notera que 80 p. 100 des récupérations proviennent des ressources propres des bénéficiaires, 15 p. 100 au moins des successions et à peine 5 p. 100 de l'obligation alimentaire (sondage réalisé dans six départements).

L'opportunité d'analyser les dépenses directes séparément peut également appeler quelques réserves.

Bien que les dépenses indirectes ne soient pas toujours correctement réparties dans les différents chapitres de l' aide sociale , la simple analyse des dépenses directes ne saurait donner un aperçu totalement fiable des dépenses d' aide sociale . Les différences de gestion et d'organisation des secteurs de l' aide sociale des départements se trouvent en effet ainsi occultées. Certains départements délèguent à des "tiers" une partie de leurs missions, les dépenses correspondantes étant imputées en dépenses directes ; d'autres les effectuent eux-mêmes, et elles apparaissent alors en dépenses indirectes sous forme de dépenses de personnel.

De plus, certains chapitres du compte administratif comme la PMI et le service de soins à domicile sont composés en majeure partie de dépenses indirectes de personnel. Une analyse de ces dépenses permettrait alors de souligner davantage les spécificités des politiques d' aide sociale des différents départements.

Plus globalement, l'augmentation moyenne de 6,4 p. 100 par an des dépenses directes depuis 1988 masque l'augmentation des dépenses indirectes, qui dans la même période sont passées de 6,6 milliards à 11 milliards de francs, ce qui correspond à un taux d'évolution annuel moyen de l'ordre de 7 p. 100 pour les dépenses directes et indirectes d' aide sociale entre 1988 et 1993.

Mais au-delà des précautions que requiert la fiabilité nécessairement imparfaite des éléments d'analyse retenus par la Cour, certaines appréciations formulées par cette dernière paraissent mériter quelques nuances.

S'agissant de la prise en charge des personnes âgées par l' aide sociale , il n'est pas tout à fait exact d'écrire que chaque formule relève d'un régime financier différent. Le régime financier de l'établissement n'est pas en effet systématiquement corrélé à sa nature juridique : des établissements privés lucratifs peuvent très bien être habilités à l' aide sociale , alors même que des établissements non lucratifs, publics ou privés peuvent inversement ne pas l'être. C'est le montant de la prise en charge proposée par le promoteur qui détermine in fine l'habilitation à l' aide sociale .

Par ailleurs, la variété des formules de maintien à domicile et d'hébergement, loin d'être a priori condamnable, constitue un objectif majeur de la politique d'action sociale en faveur des personnes âgées. Des solutions adaptées aux souhaits et à l'état des personnes permettent ainsi d'exercer un véritable choix du lieu de vie et du mode de prise en charge de la dépendance.

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Quant à la pratique relativement inédite et dénoncée par la Cour, consistant à autoriser la création de places de section de cure médicale sans ouvrir les financements nécessaires à leur fonctionnement, on répondra qu'une telle pratique s'avère le plus souvent nécessaire eu égard aux délais courant entre les dates d'autorisation et d'ouverture d'un établissement (environ deux ou trois ans). En l'absence de programmation pluriannuelle des crédits d'assurance maladie depuis la fin du programme 1991-1993, les services déconcentrés ne peuvent engager les finances de la sécurité sociale plusieurs années à l'avance, de même qu'il leur est difficile d'estimer les crédits de redéploiement dont ils disposeront lors de l'ouverture de l'établissement. Dès lors, et afin de ne pas compromettre les autorisations accordées par le conseil général, celles-ci sont assorties d'une disposition conservatoire indiquant clairement qu'elles ne portent pas sur la délivrance de soins aux assurés sociaux . Il est certain toutefois qu'une telle procédure n'est pas satisfaisante au regard des avantages procurés par une programmation pluriannuelle des crédits d'assurance maladie.

Enfin, analysant la répartition des créations de places nouvelles de section de cure médicale, la Cour s'étonne de constater que les régions ayant bénéficié de la plus forte augmentation du nombre de places figuraient déjà en 1990 parmi les régions les mieux dotées.

Il convient de noter que ces dernières sont précisément celles qui ont réalisé d'importants redéploiements au sein de leur enveloppe globale au profit de la médicalisation des établissements et services pour les personnes âgées. Il n'aurait dès lors pas été opportun ni équitable de minorer fortement leurs dotations au profit des régions moins dynamiques sur ce plan, même si une formule de pondération a toutefois été adoptée pour limiter de trop grands écarts dans la répartition des crédits supplémentaires.

S'agissant de l' aide sociale aux personnes handicapées, quelques remarques s'imposent également.

La Cour, soulevant le problème posé par les placements inadéquats d'enfants atteints de difficultés psychologiques, évoque le cas de certains de ces enfants pris en charge par une structure du secteur psychiatrique ou médico- social , alors même qu'ils justifiaient d'une prise en charge au titre de l' aide sociale à l'enfance. Elle explique cette situation anormale par la séparation financière des différents types de prise en charge.

Selon les informations dont disposent les administrations sociales , il ne semble pas que ces dysfonctionnements soient exclusivement imputables à la dualité financière des prises en charge. Ils procéderaient également de la difficulté pour les personnes ou les équipes chargées du suivi de l'enfant (enseignants, juges, professionnels de la santé, personnels sociaux ou médico- sociaux ...), de se coordonner afin d'envisager, sur la base d'un diagnostic partagé, la ou les solutions possibles au mieux de l'intérêt de l'enfant.

La Cour déplore également les effets néfastes de "l'amendement Creton" qui systématise le maintien dérogatoire de jeunes adultes handicapés dans les établissements de l'éducation spéciale. Si ces critiques plaident pour la révision à terme de cette disposition contestée, elles ne doivent pas occulter le rôle incitatif que cette contrainte a fait peser et continue de faire peser sur les différentes collectivités responsables, pour qu'elles créent les places nouvelles indispensables dans les établissements spécialisées pour adultes.

La Cour souligne par ailleurs que les deux objectifs du plan "maisons d'accueil spécialisées" n'ont pas été atteints, à savoir : la réduction des déséquilibres géographiques et la création de 4 840 places en quatre ans pour porter la capacité totale

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à au moins 13 000 places. Cette remarque n'est pas tout à fait exacte, car ne prenant pas en compte la situation des régions Ile-de-France et Provence-Alpes-Côte d'Azur. Ces dernières, eu égard aux difficultés particulières qu'elles ont rencontrées pour la mise en oeuvre du plan (acquisitions de terrains, mobilisation de l'investissement...), ont en effet bénéficié d'un délai complémentaire de deux ans pour sa réalisation. Ainsi, sur la période du 1er janvier 1991 au 31 décembre 1995, 1 128 places auront été créées en Ile-de-France (soit 728 places de plus que celles figurant au bilan du 31 décembre 1993), tandis que la région Provence- Alpes-Côte d'Azur totalisera à la même date 1 541 places.

Mais au-delà de ces précisions et nuances utiles, certaines hypothèses avancées par la Cour nous semblent quelque peu contestables.

Ainsi, et pour rester dans le secteur de la prise en charge des adultes handicapés, les explications de la hausse des dépenses consacrées à leur hébergement, référées principalement à la progression des prix de journée - elle-même consécutive à la revalorisation conventionnelle de la filière médico- sociale et à l'effort de modernisation des établissements -, ne sont que partiellement exactes. Elles sous-estiment largement les créations de places et l'augmentation importante du nombre de personnes accueillies (71 200 personnes handicapées en 1993 selon les dernières données du SESI). De plus, beaucoup de personnes sont accueillies dans des services d'accompagnement à la vie sociale (SAVS) subventionnées par le conseil général et ne sont pas toujours identifiées dans les statistiques du SESI.

Les corrélations de l' aide sociale légale et facultative avec le potentiel fiscal semblent également un peu hasardeuses, l'analyse détaillée s'avérant beaucoup moins nette que ce qui est avancé. La dépense facultative en particulier, à la fois très faible et pas toujours imputée au chapitre ad hoc (comme en conviennent eux-mêmes les rapporteurs), ne justifie pas une analyse statistique qui reste en l'état actuel des données disponibles, très fragile.

III. - DES PROGRES QUI TEMOIGNENT DE LA PRISE DE CONSCIENCE PAR L'ETAT DES DYSFONCTIONNEMENTS DE LA DECENTRALISATION ET QUI EXPRIMENT SA VOLONTE AFFIRMEE D'Y REMEDIER

Des mesures récemment adoptées, sur le point de l'être, ou encore à l'étude, témoignent de la réelle prise de conscience par l'Etat des difficultés induites ou révélées par la décentralisation de l' aide sociale , et de sa volonté résolue de les réduire.

Parmi les mesures déjà adoptées, qui contribuent à apaiser des problèmes souvent aigus pointés par la Cour, nous citerons en premier lieu l'amélioration sensible apportée au fonctionnement des instances d'évaluation et d'orientation des adultes handicapés : les COTOREP.

D'une part, la mise en oeuvre d'un nouveau guide-barème par décret n° 93-1216 du 4 novembre 1993 a doté les commissions d'orientation d'un outil d'évaluation rénové et commun qui contribue à réduire les orientations inadéquates dénoncées par la Cour en ce qu'elles constituent souvent un sujet de conflit entre les collectivités responsables. D'autre part, le décret n° 95-642 du 6 mai 1995, prenant acte des recommandations formulées par la Cour dans son rapport consacré aux adultes handicapés, a élargi substantiellement la représentation des conseils généraux au sein des COTOREP (passage de 1 représentant sur 20 à 6 sur 24).

On signalera également la volonté d'apaisement exprimée par la circulaire du 27 janvier 1995 qui réforme la précédente circulaire du 18 mai 1989 fort contestée et relative aux modalités d'application de l'amendement "Creton".

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Dans un autre registre, le décret n° 95-686 du 9 mai 1995 clarifie la situation des agents de l'Etat et des départements exerçant au sein du service public départemental d'action sociale . Ces dispositions devraient améliorer la connaissance des moyens de l'Etat mis au service d'une action sociale guidée par un impératif majeur : la lutte contre l'exclusion.

D'autre part, les deux chantiers législatifs majeurs sur lesquels l'Etat s'est largement engagé, la prestation autonomie en faveur des personnes âgées dépendantes et l'instauration d'un dispositif global de lutte contre l'exclusion, devraient traduire concrètement des réflexions en cours sur la rénovation des instances actuelles de coordination départementale.

La coordination des services sociaux n'est pas un concept nouveau en effet, une loi du 4 août 1950 ayant créé dans chaque département un comité de liaison et de coordination des services sociaux publics ou privés, dont le contenu a été repris par le décret n° 59-146 du 7 janvier 1959. Les origines légales de ces comités se situant dans un contexte social fondamentalement différent, ces instances sont tombées en désuétude. Une réflexion est donc en cours susceptible de déboucher sur l'institution d'une nouvelle instance chargée de la coordination au niveau départemental, pour ce qui concerne notamment les services relevant de la sphère de l'Etat.

D'autres projets ou réflexions, qui rejoignent les recommandations de la Cour, sont également en voie d'élaboration.

Les administrations sociales ont ainsi étudié avec le ministère de la justice et l'association des présidents de conseils généraux, les grandes lignes d'une préconisation permettant d'établir des conventions départementales portant sur l' aide sociale à l'enfance.

Par ailleurs à la lumière de l'expérience acquise par la mise en place des schémas régionaux de l'organisation sanitaire, le ministère du travail et des affaires sociales est tout à fait favorable au développement de schémas similaires dans le secteur social et médico- social . Ces schémas s'avèrent d'ailleurs d'autant plus indispensables que la nécessité s'impose de dépasser aujourd'hui un cloisonnement trop rigide entre les secteurs sanitaire et social .

Mais, au-delà de l'indispensable effort de coordination entre les divers intervenants des politiques sociales , des clarifications de compétences sont envisageables. Ainsi retiendrons-nous avec un intérêt tout particulier les propositions de la Cour visant à transférer les crédits d'auxiliaires de vie du budget de l'Etat aux budgets départementaux en vue d'affirmer clairement la vocation des autorités décentralisées à construire et conduire les politiques de maintien à domicile des personnes âgées et des adultes handicapés. Semblablement, un projet de décret consolidant l'assise juridique des foyers à double tarification, dont la Cour souligne à nouveau tout l'intérêt, pourrait être prochainement soumis à l'ensemble des partenaires concernés par la prise en charge du handicap (associations, assurance maladie, conseils généraux, professionnels...).

Pourtant, toutes ces mesures, aussi louables soient-elles et dont les effets sont ou seront incontestables, restent néanmoins fragiles et partielles, et ne constituent pas des réponses à hauteur exacte des dysfonctionnements révélés par la décentralisation tels que les apprécie la Cour. En un mot, elles ne constituent pas encore une politique globale et cohérente en rapport avec le problème de fond posé aujourd'hui par la décentralisation de l' aide sociale .

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IV. - UNE REFLEXION D'ENSEMBLE NECESSAIRE POUR APPROFONDIR ET CONSOLIDER LA DECENTRALISATION DE L' AIDE SOCIALE

La maîtrise, à défaut d'une résolution possible, du problème global posé par la décentralisation de l' aide sociale requiert en effet de finaliser l'effort collectif autour d'une triple exigence :

- en premier lieu, élaborer et adopter des outils et un langage communs à l'ensemble des acteurs des politiques sociales , en vue de connaître les besoins ; prévoir les moyens de les satisfaire ; évaluer les politiques engagées ;

- en deuxième lieu, clarifier autant que faire se peut des champs de compétence trop fluctuants impartis aux différentes collectivités responsables ;

- en troisième lieu, enfin, organiser, par le biais de règles du jeu simples et claires, les rapports entre ces mêmes collectivités.

Le partage par l'ensemble des acteurs de l' aide sociale d'une même connaissance des besoins, d'un même langage pour les exprimer et d'une même méthodologie pour les traiter constitue effectivement, comme le souligne fort justement la Cour, le préalable indispensable d'une action collective efficace dans le cadre posé par la décentralisation. Or, en matière de connaissance, si les expériences de mise en commun des données se multiplient - généralement sur des actions sectorielles -, l'absence, ou, au mieux la timidité, d'une stratégie plus affirmée tient sans doute en partie à deux séries de facteurs : la difficulté, d'une part, pour nombre de partenaires, à admettre qu'un système d'information n'a de sens que s'il est pérenne, et que l'information elle-même a un coût qu'il faut consentir à payer, même a minima ; l'ignorance encore trop grande, d'autre part, des productions du système statistique national, tant par ses enquêtes que par ses nomenclatures et définitions.

C'est pourquoi deux initiatives ou suggestions méritent d'être retenues. D'une part, la généralisation d'une obligation déjà signalée, consistant à élaborer

des schémas départementaux, voire régionaux, des équipements sociaux et médico- sociaux s'impose aujourd'hui avec évidence. Elle doit devenir une obligation commune à l'Etat et aux départements pour leurs domaines de compétences respectifs et, à plus forte raison, pour leur domaine de compétences partagées. Au respect de cette obligation doit être subordonnée pour les uns et les autres l'attribution des moyens financiers nécessités par la mise en oeuvre des projets envisagés.

D'autre part, si l'on souscrit à la remarque formulée par la Cour relative à l'obligation pour l'Etat d'être totalement informé y compris, et sans doute prioritairement, des modalités et des résultats des politiques décentralisées, on ne partage en revanche pas son jugement quelque peu sévère sur la place et l'utilité de l'Observatoire national de l'action sociale décentralisée (ODAS).

Créé il y a cinq ans sur un avis du Conseil économique et social (le rapport Jaquet) avec l'appui immédiat des élus nationaux les plus intéressés à l'action sociale et un fort soutien de l'Etat, l'ODAS est une association statutairement limitée à 150 membres actifs dont 50 départements, ce numerus clausus n'empêchant pas 80 p. 100 des départements de participer aux divers travaux, de même que nombre de communes, les organismes de protection sociale , les associations, les professionnels... Parmi les activités de l'ODAS, un groupe permanent de 27 départements permet effectivement de suivre quantitativement et qualitativement l'évolution de la dépense sociale . Surtout, sa finalité n'est pas de se substituer au SESI mais, au contraire, de l'épauler en faisant

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connaître sa production et en suscitant une réflexion sur l'utilité, la fiabilité et la signification des statistiques.

En ce sens, l'ODAS paraît un lieu d'échange et de réflexion particulièrement bienvenu, dont la souplesse d'organisation et la neutralité ont contribué à l'efficacité, et dont l'existence nous semble aller bien au contraire dans le sens de la concertation et de l'observation conjointe préconisée par la Cour. La priorité est donc moins de remplacer cet outli par une structure plus formelle que de consolider davantage l'articulation entre l'ODAS, "tête chercheuse" et lieu de circulation d'information, et le SESI, garant de la cohérence et de la qualité statistique.

Clarifier, par ailleurs, plus encore les compétences dévolues aux différentes collectivités constitue non seulement un voeu mais une obligation aujourd'hui imposée par l'article 65 de la loi du 5 février 1995 relative à l'aménagement et au développement du territoire.

La maîtrise totale par les départements de l'attribution de la nouvelle prestation "autonomie" en faveur des personnes âgées dépendantes, le transfert à ces mêmes départements de la compétence relative aux auxiliaires de vie, ou la généralisation, suggérée par la Cour et étudiée par le ministère du travail et des affaires sociales , d'une formule de base de foyer d'accueil pour adultes handicapés avec, le cas échéant, possibilité de médicalisation, constituent autant de pistes déjà indiquées permettant d'avancer en ce sens dans le domaine de l' aide sociale .

En vérité cependant, si l'aménagement à la marge des blocs de compétences définis en 1983 peut toujours s'envisager, il paraît difficile d'aller très loin dans l'exercice. Comme le souligne la Cour, l' aide sociale se prête mal par définition à un partage rationnel et incontestable des attributions.

Il n'y a de fait aucune solution idéale et les propositions vont souvent en sens inverse les unes des autres : la répartition par "publics" semble contrariée par les mécanismes de prises en charge médicalisées et par les risques d'effets pervers qu'elle pourrait induire en consacrant une citoyenneté "à deux vitesses" ; la répartition par modes de prises en charge (le domicile d'un côté, l'institution de l'autre) n'est elle-même que rarement envisagée car susceptible d'aller directement à l'encontre de l'objectif affiché d'intégration des publics fragilisés.

Au risque d'y ajouter l'instabilité, il convient donc de prendre son parti d'une gestion réaliste et résolue de la complexité. Cette gestion appelle en conséquence la définition de règles du jeu plus claires et plus simples entre les collectivités responsables.

Instaurer l'unité de responsabilité là où "la dictature du partenariat" épuise les forces des partenaires publics et privés en d'innombrables concertations et coordinations entre acteurs jaloux de leur autonomie, donnerait à l'action publique l'efficacité qu'elle n'a pas et dépasserait le débat utile, mais sans issue apparente, sur le partage des compétences.

La création, à titre expérimental et sur le modèle d'expériences étrangères, d'établissements publics locaux auxquels serait transféré, sur le territoire d'un ou plusieurs départements, l'ensemble des compétences des services déconcentrés de l'Etat et des services des collectivités territoriales (financement, aides individuelles, programmation, allocation de ressources, tarification, contrôle...) sur tel ou tel domaine spécialisé ( aide aux personnes âgées, aux personnes handicapées, lutte contre l'exclusion...) pourrait constituer une voie intéressante à explorer.

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De même, l'instauration par conventionnement entre les collectivités et organismes responsables d'un chef de file et référent unique par grand type de projet, voire la délégation de compétence d'une collectivité à l'autre pourraient permettre de dépasser les dysfonctionnements révélés par le contexte actuel de l' aide sociale , et cela, sans remettre en cause le bien-fondé de la décentralisation, mais en faisant le choix lucide et résolu de son approfondissement.

Tels sont donc, succintement exposés, les principaux commentaires, les principales remarques et suggestions qu'appelle en réponse, de la part du ministère du travail et des affaires sociales , le rapport consacré par la Cour au bilan de dix ans de décentralisation en matière d' aide sociale .

Partageant, dans ses grandes lignes, ce constat et l'analyse globale formulée par la Cour, ce ministère entend contribuer à approfondir, par sa réflexion et sa démarche, l'oeuvre établie par le législateur au début des années quatre-vingt.

Cette volonté suppose au premier chef que l'Etat joue pleinement le rôle qui doit être le sien dans l'exercice du contrôle de légalité, mais aussi dans la définition de politiques ambitieuses et responsables, rendues particulièrement nécessaires par la rupture du lien social que connaît notre pays.

La question des objectifs et des modalités de mise en oeuvre des politiques sociales précède donc en ce sens la question de la répartition des rôles entre les divers acteurs de ces politiques.

En ce sens également et par voie de conséquence, le problème posé par l' aide sociale s'élargit à d'autres questions de fond qui échappent pour partie à la compétence du seul ministère du travail et des affaires sociales , même si celui-ci est amené à jouer un rôle déterminant dans la recherche des réponses à leur apporter.

La question des rapports qu'entretiennent les politiques sociales avec les autres politiques publiques (emploi, aménagement du territoire, éducation...), et celle de leur degré de priorité respectif ; la question de la place des politiques sociales dans un monde de plus en plus ouvert ; la question de l'unité administrative pertinente pour une réponse sociale efficace (commune ? département ? région ? ... ou toute autre formule à inventer...) ; la question de la responsabilité et du statut de l'élu et, corrélativement, du renforcement éventuel des moyens d'exercice du contrôle de légalité, constituent ainsi les principaux thèmes d'un débat crucial et aujourd'hui incontournable.

Réponse du GARDE DES SCEAUX, ministre de la JUSTICE

Le texte du projet de rapport élaboré par la Cour et relatif plus particulièrement aux mesures judiciaires de protection de l'enfance 1 appelle les observations suivantes :

1. Le conseil général n'assume pas seul la responsabilité du financement de l'ensemble des prestations

En effet, le ministère de la justice, par le canal de la direction de la protection judiciaire de la jeunesse, prend en charge financièrement, dans ses services propres ou dans des établissements et services privés habilités :

1) Voir pages 55 à 58 et pages 166 à 168 du rapport.

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- la totalité des mesures d'investigations liées à l'instruction des dossiers ; - l'exécution des mesures d'assistance éducative confiées aux services de la

protection judiciaire de la jeunesse ; - l' aide aux jeunes majeurs sous protection judiciaire ; - toutes les mesures concernant les mineurs délinquants. L'ensemble représente, en 1995, plus de 2 milliards de francs sur crédits d'Etat

dont 1,34 milliard de francs pour le secteur associatif habilité (chapitre 34-33). 2. La "judiciarisation", constatée dans certains départements, n'est pas un

phénomène général 2.1. C'est l'ensemble du dispositif, administratif et judiciaire, qui subit la pression

accrue de la demande sociale . Cela a été mis en évidence récemment autant par le groupe de travail commun rassemblant le ministère de la justice et l'Assemblée des présidents des conseils généraux (1994) que par le rapport commun des inspections générales des affaires sociales et des services judiciaires dont la mission avait été définie en lien étroit avec le président de l'APCG (1995). Ainsi, les inspecteurs généraux, sur la base des données du SESI (Services des statistiques, des études et des systèmes d'information), remarquent, concernant l'AEMO : "On n'observe pas de judiciarisation de ce type d'intervention au cours des dernières années : les AEMO administratives et les AEMO judiciaires ont progressé parallèlement et les AEMO judiciaires représentent en 1992 73 p. 100 de l'ensemble, proportion identique à celle relevée en 19862

2.2. Cette évolution est d'autant moins surprenante que, comme le rappelle la Cour, les services des conseils généraux sont les premiers auteurs de signalement à l'autorité judiciaire et qu'ils sont de plus en plus nombreux à établir avec les parquets des procédures précises de signalement.

2.3. La prédominance des mesures judiciaires s'explique par la nécessité de recourir à la justice, garante des libertés individuelles, lorsque le danger encouru par l'enfant demande de porter atteinte à l'autorité parentale. Certaines lois récentes 3 ont d'ailleurs renforcé cette exigence. Dès lors, il est compréhensible que les placements judiciaires, qui ont baissé pendant plusieurs années au même rythme que les placements administratifs 4 se soient stabilisés plus rapidement voire aient légèrement augmenté sous la pression des jeunes et des familles en situation de précarité.

2.4. L'impact des mesures judiciaires sur les budgets des conseils généraux est important puisque les placements constituent le premier poste des dépenses de l'ASE, mais celles-ci ont augmenté deux fois moins que les dépenses d' aide médicale ou d' aide aux personnes handicapées. Il faut donc relativiser cette importance : en 1993, l' aide sociale à l'enfance ne représente plus que 34,9 p. 100 des dépenses d' aide sociale des conseils généraux alors qu'elle en représentait 39,5 p. 100 en 19845.

2.5. Tant que la loi considérera l'autorité parentale comme une liberté fondamentale et qu'y porter atteinte exigera l'intervention du juge, la question qui demeurera au fond sera bien celle de l'articulation de l'administratif et du judiciaire dans le système de protection de l'enfance. Le constat des juridictions des mineurs et des services de la protection judiciaire de la jeunesse est semblable : l'Etat et le conseil

2) Rapport sur le dispositif de protection de l'enfance, IGAS-IGSJ, mars 1995. 3) 6 juin 1984 sur les droits des parents, 10 juillet 1989 sur l'enfance maltraitée et, plus récemment encore 8 janvier 1993 sur l'autorité parentale. 4 )L'action sociale décentralisée, bilan et perspectives ; Odas, 1993 ; p. 85. IGAS-IGSJ, op. cit., p. 51. 5 ) L'action sociale, dix ans de décentralisation ; C. Padieu, J.-L. Sanchez ; Odas ; 1994.

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général ont le même intérêt à la maîtrise de leurs dépenses et l'articulation est possible lorsque leurs représentants collaborent à la définition d'une même politique territoriale de protection. C'est pourquoi la direction de la protection judiciaire de la jeunesse veut inciter les départements à élaborer des schémas départementaux conjoints de protection, judiciaire et administrative, de l'enfance et de la jeunesse.

3. Quelques précisions

3.1. Les "placements directs décidés par le juge des enfants sans même consulter le département" ont été prévus par la loi pour permettre au juge des enfants de choisir, en toute indépendance, la prise en charge éducative la plus adaptée à la situation de l'enfant en danger sans être tributaire des choix de l'ASE. La fréquence de cette pratique (1/4), telle que la constate la Cour, montre qu'elle n'est pas la plus courante.

Certains conseils généraux s'offusquent lorsqu'un magistrat leur confie un enfant avec indication de placement bien que cette pratique ait été confirmée par la Cour de cassation (arrêt du 15 mai 1990). Quelle serait la marge de manoeuvre du juge s'il ne pouvait ni placer directement un enfant ni le confier à l'ASE avec indication de placement ?

3.2. Ce placement direct n'empêche pas la gestion de l'offre de placement par les services du conseil général qui assure le financement. En effet ceux-ci disposent, par les procédures de tarification et de contrôle, de toutes les informations sur le fonctionnement des établissements et services qui, de plus, présentent chaque année un rapport d'activité. Ainsi sont fournies toutes les indications nécessaires à la gestion (nombre d'enfants, durée des séjours, qualité et quantité des prestations...) dont l'analyse sert de base aux prévisions. La communication des rapports de prises en charge individuelles indispensables pour le suivi de la mesure éducative, n'offre qu'un intérêt mineur pour la gestion du dispositif.

Il faut ajouter que tout établissement qui reçoit habituellement des mineurs de justice doit demander l'habilitation du ministère de la justice qui prend obligatoirement l'avis du président du conseil général et le tient informé de sa décision en la matière. A l'évidence, ceux des conseils généraux qui s'opposent à l'habilitation justice s'isolent de la dynamique des procédures conjointes prévues par la loi du 6 janvier 1986 ; ils se tiennent ainsi à l'écart de la coordination avec le représentant de l'Etat et se privent des informations que pourrait leur apporter leur interlocuteur naturel qu'est la direction de la protection judiciaire de la jeunesse.

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3.3. Il est exact que seule la CDES peut se prononcer sur la déficience 6 d'un enfant. Cependant, le juge des enfants, lorsqu'il statue sur la situation d'un mineur en danger, peut le confier "à un service ou à un établissement sanitaire ou d'éducation, ordinaire ou spécialisé" (art. 375-3, 3 du Code civil). Ainsi le magistrat peut-il être amené, dans l'intérêt de l'enfant et parce que ses difficultés entrent dans le cadre du projet de service de l'établissement, à placer un mineur dans un "institut de rééducation". Ces "IR", établissements médico- sociaux relevant de l'annexe XXIV 7 et financés par la sécurité sociale , reçoivent des "enfants souffrant de troubles du comportement", c'est-à-dire une population fort semblable, par ses caractéristiques familiales et sociales , à celle accueillie dans les établissements habilités par l'ASE et la justice. Il faut donc, sans doute, clarifier les rôles et les financements de ces établissements, notamment lorsqu'ils bénéficient de plusieurs habilitations relevant pour les unes de l'Etat (annexe XXIV et protection judiciaire de la jeunesse), les autres du conseil général ( aide sociale à l'enfance), ce qui les place sous la triple autorité du préfet, du conseil général et des magistrats. Mais il est tout aussi important de maintenir la possibilité de placement par les juges lorsque la santé de l'enfant est en danger.

3.4. "L'absence d'une structure de coordination" rend effectivement plus difficile la collaboration et, en tout cas, abandonne celle-ci à la clairvoyance ou à la bonne volonté du président du conseil général que la pression des événements ne suffit pas toujours à convaincre de collaborer avec l'Etat ou les juridictions. Les schémas départementaux conjoints, prévus par la loi du 6 janvier 1986, constituent un lieu privilégié pour un travail de programmation commune à l'Etat et au conseil général, c'est pourquoi la direction de la protection judiciaire de la jeunesse a souvent pris des initiatives en ce sens. Ainsi des schémas conjoints existent déjà depuis plusieurs années dans des départements comme les Vosges, le Gard, les Pyrénées- Atlantiques... tandis que d'autres sont en préparation en Moselle, dans la Sarthe, le Pas-de-Calais, la Vienne... Malheureusement, lorsqu'un conseil généralse montre réticent, le préfet dispose de peu de moyens pour imposer au président du conseil général le respect de cette législation. Aussi, en avril 1995, le garde des sceaux, le ministre des affaires sociales et le président de l'Assemblée des présidents des conseils généraux ont entrepris un travail commun pour inciter au développement d'accords contractuels entre chaque département et l'Etat. Cet effort de contractualisation vise toutes les situations où l'application de la décentralisation pose quelques difficultés, notamment le signalement, la circulation des informations et la mise en oeuvre des schémas départementaux. On ne peut cependant que regretter l'absence du "conseil départemental de protection de l'enfance" institué par le décret du 7 janvier 1959 mais qui, dans la plupart des départements, ne fut jamais constitué ou demeura purement formel.

6) Décret du 8 mai 1984 concernant la nomenclature des déficiences, incapacités et désavantages (se substitue au terme usité de handicap). 7) Décret du 9 mars 1956, modifié par le décret du 3 octobre 1989, concernant la prise en charge des enfants déficients.

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Réponse du président de la CAISSE NATIONALE DE L'ASSURANCE MALADIE DES TRAVAILLEURS SALARIES (CNAMTS)

Les caisses d'assurance maladie, partenaires des services de l'Etat et des départements, dans le cadre de la décentralisation en matière d' aide sociale , instaurée par la loi du 22 juillet 1983, ne peuvent, globalement, qu'approuver les constats introductifs dressés par la Cour des comptes.

La CNAMTS est, au demeurant, d'ores et déjà intervenue à de nombreuses reprises auprès des services de l'Etat, afin que les dispositifs actuels soient revus.

S'agissant de planification médico- sociale , la CNAMTS déplore tant les retards apportés dans leur rédaction que parfois même l'inexistence de schémas départementaux soit en matière de personnes âgées, soit en matière de handicaps. De plus, lorsque ces schémas sont réalisés, les organismes d'assurance maladie sont insuffisamment associés à leur élaboration, alors qu'ils disposent d'informations médico- administratives permettant de dresser un état des lieux exact et surtout de donner à ces schémas une visée prospective.

De même, il serait souhaitable que la loi donne aux schémas un caractère opposable. C'est dans ce sens que la commission de l'assurance maladie de la CNAMTS était intervenue, le 15 septembre 1992, à l'occasion de l'examen d'un projet de décret relatif à la procédure de création, de transformation et d'extension des établissements et services sociaux et médico- sociaux .

S'agissant des actions de protection maternelle et infantile, que la Cour aborde dans un chapitre intitulé "Des relations parfois difficiles avec les organismes d'assurance maladie", il convient de relever, ainsi que le note la Cour, que hormis dans deux départements cités dans le rapport, les caisses ont rempli les obligations qui leur étaient imposées par la loi. Encore faut-il ajouter, pour compléter ce constat, les éléments suivants :

1° En ce qui concerne les deux départements mentionnés :

- le premier, celui du Puy-de-Dôme, a régularisé la situation en 1994. En outre, il faut souligner que la CPAM de Clermont-Ferrand gère elle-même un centre de PMI et met à disposition du centre départemental de PMI du personnel infirmier ;

- le second, celui de la Haute-Corse, procède actuellement à la régularisation de la situation.

2° Si les organismes d'assurance maladie prennent en charge, au titre des prestations légales, les examens obligatoires dispensés dans le cadre de la PMI, ils "peuvent également, par voie de convention, participer sur leurs fonds d'ASS aux autres actions de prévention médico- sociales menées par le département" (art. 8 de la loi n° 89-899 du 18 décembre 1989 sur les transferts de compétence en matière d' aide sociale ).

Cette disposition permet aux CPAM de continuer à financer les actions médico- sociales plus complètes qu'elles avaient préalablement développées avec les départements.

Par ce biais, il est permis de penser que les départements n'ont globalement pas vu diminuer le financement assuré par les CPAM avant la loi précitée.

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En effet, après la promulgation de la loi, les CPAM ont souhaité être autorisées à proroger les dispositions conventionnelles accordant des subventions, lorsque les conventions arrivaient à leur date de tacite reconduction (CPAM du Nord, région Est, région Midi...).

Lors de l'examen, par le conseil d'administration de la CNAMTS, du projet de loi (CA du 14 avril 1989 et CAM du 25 avril 1989), il avait été estimé que, globalement, la loi avait pour effet d'augmenter de plus de 25 p. 100 les dépenses des caisses à ce titre.

S'agissant des relations financières entre les CPAM et les départements au titre de l' aide médicale gratuite, il convient de noter qu'au 1er janvier 1995, 95 p. 100 des CPAM avaient conclu des conventions avec les départements ; 38 p. 100 de ces conventions prévoient la prise en charge par le département du ticket modérateur pour toutes les prestations en nature de l'assuré et de ses ayants droit en faveur des titulaires du RMI ou de l'allocation veuvage, ou des personnes dont les ressources sont inférieures au barème départemental.

En ce qui concerne le cas très particulier du département du Val- de-Marne, une convention provisoire spécifique a été signée en vue de la régularisation des dossiers litigieux depuis 1986, et les derniers paiements ont été effectués à ce titre en avril 1995.

En ce qui concerne le régime de l'assurance personnelle, la CNAMTS ne peut qu'être en accord avec la Cour des comptes sur la complexité des règles qui le régissent et leurs conséquences dans leur mise en oeuvre.

Il convient en effet de rappeler que le régime de l'assurance personnelle a été détourné de son objet initial. Créée à l'origine pour des personnes non assurées, mais pouvant se constituer une protection sociale par leurs propres moyens, l'assurance personnelle a été progressivement utilisée pour accueillir des personnes en situation de précarité (jeunes de moins de vingt-sept ans, bénéficiaires du RMI, de l' aide médicale, personnes déplacées de l'ex-Yougoslavie...) et pallier pour ces personnes les conséquences du principe fondamental de notre protection sociale qui veut que le rattachement à un régime de sécurité sociale se définisse en fonction d'une activité professionnelle exercée pendant une certaine durée.

Force est de constater que le régime de l'assurance personnelle ne convient pas à ce type de populations, assimilant difficilement les procédures administratives (relatives à l'affiliation, au calcul et à l'appel des cotisations, à la radiation), même si dans la majorité des cas, les cotisations sont prises en charge par un tiers (CNAF, conseil général, CDC).

Les règles de l'assurance personnelle impliquent qu'une CPAM ne doit affilier une personne que s'il est établi qu'elle est dépourvue de toute protection sociale . Cette vérification est obligatoirement faite, mais elle sous-entend des délais d'instruction qui peuvent parfois être longs.

C'est pourquoi, il a été décidé, pour faciliter l'accès aux soins de ces populations, de procéder à la délivrance des cartes d'assuré social dès réception de la notification d'attribution du RMI, ou de l' aide médicale, ou de la demande d'adhésion dans le cadre de l'assurance personnelle provisoire, et ce, même si l'instruction du dossier, qui peut donc a posteriori faire apparaître un droit à la protection sociale à un autre titre, n'est pas terminée par la CPAM.

Par ailleurs, un circuit d'échanges d'informations pouvant avoir une incidence sur le mode de couverture sociale des bénéficiaires du RMI (par exemple, reprise d'une activité salariée...) a été mis en place entre les CAF et les CPAM. Les liaisons "papier"

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actuelles seront remplacées à terme par des liaisons magnétiques. Dans l'attente de leur mise en place effective, des opérations ponctuelles d'apurement des fichiers sont effectuées.

Ces différentes procédures contribuent à améliorer le dispositif malgré la multiplication des catégories d'assurés personnels. Les caisses s'efforcent de gérer au mieux ce système dont la complexité est désormais telle que son application ne peut plus être satisfaisante.

Enfin, l'analyse des dysfonctionnements à laquelle la CNAMTS a procédé l'a conduite à préconiser les aménagements suivants :

- l'élaboration d'un imprimé unique de demande de RMI, aide médicale et recherche de protection sociale ;

- la ventilation des demandes auprès des institutions concernées dans un même délai et non plus par des délais successifs de transmission ;

- l'institution d'une "plate-forme de services" auprès du bureau instructeur afin de favoriser les relations, d'une part, des diverses institutions avec l'assuré, et, d'autre part, des institutions entre elles.

La Cour dénonce par ailleurs "une absence de coordination préjudiciable à l'efficacité des politiques d' aide sociale ".

La nécessité de mettre en place des dispositifs simples dans leur articulation, cohérents dans leurs conditions d'accès et adaptés aux besoins des intéressés n'a pas échappé à la Caisse nationale, dans le cadre de l'action d' aide individuelle que les caisses primaires d'assurance maladie ont pour mission de développer sur leurs fonds d'action sanitaire et sociale .

Ainsi, elle a étudié et proposé en 1994 aux autorités de tutelle une mise à jour de la liste des prestations supplémentaires facultatives, pour tenir compte, outre la parution de divers textes législatifs et réglementaires, de l'évolution des besoins des assurés, avec la suppression de prestations devenues obsolètes et l'inscription d'une nouvelle prestation en cas de maintien à domicile dans le cadre des alternatives à l'hospitalisation.

De la même façon, s'il est certain que la politique d'action sanitaire et sociale des caisses primaires est arrêtée par leur seul conseil d'administration, on ne peut néanmoins manquer de souligner que cette décentralisation doit permettre une meilleure prise en compte des spécificités des circonscriptions et adaptation aux besoins des assurés sociaux .

En tout état de cause, l'autonomie des caisses réside essentiellement dans :

- l'attribution des fonds de secours : à cet égard, il faut souligner que, dans le cadre des enquêtes sociales , l'examen de la situation individuelle des assurés conduit à l'échange d'informations entre les différents partenaires ;

- la mise en place des dispositifs conventionnels avec les associations ou les collectivités locales : on peut ainsi rappeler les dispositions conclues entre certains départements et CPAM pour la mise en place de la "carte santé" et la prise en charge du ticket modérateur, de même que, dans le cadre de la PMI, la passation de conventions conformément aux dispositions de l'article L. 186, alinéa 2 de la loi du 18 décembre 1989.

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Par ailleurs, la coordination des interventions des différentes branches de l'institution sur le champ social est également recherchée ainsi qu'en témoigne, dans le prolongement de la décision de transfert de la gestion administrative des aides de travailleuses familiales opéré au profit des CAF pour un meilleur service aux assurés, le récent accord-cadre conclu en 1994 entre la CNAMTS et la CNAF visant à la mise en place d'un dispositif national et local de concertation en vue notamment d'une meilleure évaluation de l'activité des services d' aide au foyer, au regard de l'évolution des besoins.

On ne peut en effet à ce sujet que regretter l'absence d'instance de coordination des politiques sociales mises en oeuvre dans les départements permettant en outre aux usagers de se faire entendre.

Ce ne sont pas les quelques comités départementaux de liaison et de coordination des services sociaux (décret de 1959), qui subsistent encore, qui peuvent remplir cette fonction dans son contexte actuel qui est fondamentalement différent de celui qui avait présidé à leur création.

Il faut noter que deux services régionaux qui ont signé, l'un une charte de coordination entre le service social polyvalent de secteur et le service social de la CRAM dans un département, l'autre une convention d'action sanitaire et sociale liant la DDAS, la CMSA, la CAF et la CRAM, ont tenté, à leur manière, de répondre avec certains de leurs partenaires à ce besoin.

Néanmoins, les services sociaux des caisses d'assurance maladie sont à l'heure actuelle associés aux études préalables, aux négociations et à la mise en place (réinsertion professionnelle et/ou maintien dans l'emploi) de plans départementaux pour l'insertion des travailleurs handicapés.

Ils étaient même en 1994, pour huit d'entre eux, signataires de conventions, chartes, ou programmes départementaux.

L'intégration des actions qu'ils mènent conformément à leurs missions doit se faire dans ce cadre, de même que dans celui des plans départementaux d'accès aux soins des personnes les plus démunies qui devraient se mettre en place depuis l'intervention de la circulaire ministérielle du 21 mars 1995 et des plans départementaux d' aide aux personnes âgées dépendantes.

En effet, ces outils de programmation d'actions et de répartition des compétences et des moyens, permettent, lorsqu'ils existent, au service social régional d'intégrer et de faire reconnaître ses interventions sociales dans une politique sociale locale, globale et coordonnée.

S'agissant par ailleurs des personnes âgées, la prise en charge différenciée de la dépendance dans les services de soins de longue durée relevant de la loi hospitalière du 31 juillet 1991 (compétence de l'Etat) et dans les sections de cure médicale d'établissements d'hébergement relevant de la loi médico- sociale du 30 juin 1975 (compétence du conseil général) n'a plus de sens, les clientèles reçues par ces établissements étant également dépendantes.

Dans le cadre de la réforme de la prise en charge des personnes âgées, un dispositif unique serait à mettre en place, permettant une programmation plus cohérente dans ce secteur avec la participation à son élaboration de tous les acteurs, y compris les organismes d'assurance maladie (services administratifs et médicaux), et un passage obligatoire devant les CROSS, pour avis et débat et non pour simple information.

En matière de financement, les dysfonctionnements relevés dans les deux secteurs sont soulignés depuis de nombreuses années par la CNAMTS.

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Celle-ci a réclamé à plusieurs reprises une harmonisation des tarifications dans les structures accueillant des personnes âgées, tarification prenant en compte le degré de dépendance des personnes. Cette tarification devrait clarifier le contenu des forfaits soins, notamment ceux de section de cure médicale.

Dans ce sens, une étude conjointe ministère-CNAVTS sur dix-neuf établissements, réalisée en 1994, a permis de dégager un certain nombre d'orientations.

Ces travaux devraient se poursuivre afin de mettre en place rapidement une nouvelle tarification tenant compte de la création en cours d'une prestation d'autonomie.

S'agissant du secteur handicapés, le dispositif dit "amendement Creton" constitue une illustration de ces dysfonctionnements. Ce dispositif, qui se voulait transitoire en 1989 et avait pour objectif d'éviter le maintien prolongé de jeunes adultes dans des structures réservées aux enfants et adolescents, pérennise leur présence faute de création suffisante de places ; cette situation provoque finalement un engorgement des structures pour enfants, qui est à l'origine de demandes de créations nouvelles dans ce secteur ou de transferts vers l'étranger, en Belgique notamment.

Une nouvelle instruction ministérielle du 27 janvier 1995 (et non une adaptation législative) est intervenue, maintenant à la charge de l'assurance maladie des sommes qu'elle ne devrait pas supporter (orientation en CAT ou atelier protégé ou forfaits de soins en foyer de vie). Le dispositif arrêté pour calculer les prix de journée ne permet plus de connaître le coût supplémentaire pour l'assurance maladie.

L'insuffisance des structures d'accueil et de travail pour adultes handicapés a conduit la Caisse nationale à soutenir, dès 1992, l'effort d'adaptation et de création de places appropriées à chaque catégorie de handicapés mis en oeuvre par l'Etat, et à permettre ainsi, outre l'amélioration qualitative de la prise en charge de cette population, la répartition des compétences et des responsabilités des différents intervenants dans ce secteur.

Au titre de ces quatre derniers exercices, la Caisse nationale a ainsi ouvert des autorisations de programme pour un montant global de 154 millions de francs, dont 97,5 millions de francs pour les maisons d'accueil spécialisées, 44,3 millions de francs pour les foyers à double tarification et 12,2 millions de francs pour les centres d' aide par le travail.

Pour mieux prendre en compte les réalités locales dans ce secteur et donner plus de souplesse à la mise en oeuvre de ces opérations, elle a en outre accepté, en 1994, d'élargir son intervention, à hauteur minimale de 40 p. 100 du coût des projets, aux réalisations présentant un financement sans incidence sur le prix de journée, quelle que soit la source de financement, dès lors que leur opportunité est démontrée par les CRAM au regard des besoins.

De même a-t-elle recommandé aux caisses régionales d'orienter leur financement en priorité sur les foyers à double tarification à compter de 1994, l'intérêt bien compris de l'assurance maladie l'incitant, en effet, à favoriser le développement de ces structures qui repose sur une compétence financière partagée.

Enfin, s'agissant du financement du maintien à domicile des personnes handicapées, la CNAMTS ne s'est pas désintéressée de cette question puisque, bien avant 1981, elle finançait à titre expérimental, par le biais du budget d'action sanitaire et sociale de la CRAMIF, plusieurs services employant des auxiliaires de vie.

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Cour des comptes - rapport public particulier – La décentralisation en matière d’aide sociale (décembre 1995) 152

Ses instances délibérantes, saisies à plusieurs reprises après la création officielle de ces services en 1981, n'ont pas pu s'engager faute d'assurance par les services ministériels sur le coût que l'assurance maladie aurait à supporter, tant paraissent :

- importants les besoins des personnes handicapées dans ce domaine ;

- aléatoires les financements accordés par l'Etat ou les départements ;

- inégalement répartis sur le territoire national les services existants.

Des caisses primaires continuent néanmoins de subventionner quelques services ou d' aider directement les assurés sociaux bénéficiant de leurs prestations.

Réponse du président de la CAISSE NATIONALED'ASSURANCE VIEILLESSE (CNAV)

Nous partageons le constat général fait dans le rapport d'une absence de coordination préjudiciable à l'efficacité des politiques d' aide sociale . Il est en particulier exact, pour ce qui concerne la Caisse nationale d'assurance vieillesse, que les heures d' aide ménagère financées au titre de l'action sanitaire et sociale du régime sont dispensées aux ressortissants du régime général et à leurs ayants droit sans qu'une coordination avec le département, qui finance l' aide ménagère accordée au titre de l' aide sociale légale, n'intervienne.

La prise de conscience de ce défaut de coordination, et des inconvénients qui lui sont liés, nous a conduits à participer à l'expérimentation sur la prestation dépendance, dont le principe a été posé par l'article 38 de la loi du 25 juillet 1994 relative à la sécurité sociale .

Un des objectifs de ces expérimentations, qui ont débuté depuis le 1er janvier 1995 dans douze départements, est en effet d'améliorer la coordination entre tous les intervenants et, en particulier, entre les départements et les organismes de sécurité sociale . Un cahier des charges national et des conventions locales ont défini précisément les conditions concrètes d'une coopération entre les institutions, garante à la fois de l'utilisation optimale des moyens collectifs et d'une meilleure réponse aux besoins des personnes âgées.

Les remarques de la Cour sont tout à fait pertinentes au moment où est envisagée la mise en place d'une prestation d'autonomie destinée aux personnes âgées dépendantes. Cette prestation ne manquera pas en effet d'avoir un impact sur l' aide sociale légale et sur l'action sanitaire et sociale des organismes de sécurité sociale , puisqu'elle aura essentiellement pour objet de financer des heures d' aide ménagère.

Le souci du conseil d'administration de la Caisse nationale d'assurance vieillesse est donc que cette nouvelle prestation permette d'améliorer la cohérence des actions déjà existantes, comme le suggère la Cour, et non l'inverse.

Pour cela, la gestion de cette prestation, dont les caractéristiques seront proches de celles de la prestation en cours d'expérimentation, devrait faire l'objet d'une coordination entre les départements et les caisses régionales d'assurance maladie, qui gèrent localement les aides à domicile de la branche retraite du régime général. Une bonne articulation de la prestation nouvelle avec les aides existantes, une utilisation optimale des moyens publics mis en oeuvre et une gestion satisfaisante du dispositif ne seront obtenues que si les organismes de la branche retraite du régime général (CRAM et

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Cour des comptes - rapport public particulier – La décentralisation en matière d’aide sociale (décembre 1995) 153

CNAV) participent effectivement à l'instruction et au contrôle de cette prestation, ainsi qu'à son suivi statistique et financier.

Une telle association entre la sécurité sociale et les départements permettrait d'éviter de rajouter une strate supplémentaire à un ensemble de procédures insuffisamment coordonnées, et d'utiliser cette opportunité pour améliorer le fonctionnement et la transparence de tout le dispositif.

Les différentes collectivités et institutions pourraient alors organiser leurs interventions en direction des personnes âgées en disposant de toutes les informations nécessaires sur leur situation au regard de la prestation d'autonomie, qui a vocation à devenir le pivot de la politique d' aide aux personnes âgées dépendantes.

Je précise enfin que, actuellement et selon la position constante du conseil d'administration de la CNAV, l'allocation compensatrice n'est pas cumulable avec l' aide ménagère à domicile du régime général de la branche vieillesse. Cette position a été confirmée par une circulaire CNAVTS du 22 septembre 1989.

Par ailleurs, le conseil d'administration de la CNAV du 4 octobre 1989 a décidé la généralisation à l'ensemble des organismes de la possibilité d'accorder des prises en charge d' aide ménagère au-delà de soixante heures et dans la limite de quatre-vingt-dix heures par mois pour une durée très limitée et sur justifications particulières (circulaire CNAVTS n° 26/90 du 21 février 1990).

Réponse du président de la CAISSE NATIONALE DES ALLOCATIONS FAMILIALES (CNAF)

Sur les évolutions affectant la polyvalence de secteur

Le désengagement des CAF de la polyvalence n'a, dans la grande majorité des cas, pas été un choix de leur part. Il a été, la plupart du temps, explicitement initié par les départements qui souhaitaient recouvrer une pleine autonomie de décision, d'organisation et de détermination de leurs priorités. Il a aussi été parfois le fait des caisses lorsque celles-ci constataient qu'il leur était de plus en plus difficile de faire valoir, dans le cadre d'une polyvalence pilotée par le département, les missions propres de l'action sociale familiale des caisses, distinctes des missions légales qui s'imposent à celui-ci.

Aujourd'hui, deux tiers des caisses sont extérieures à la polyvalence et ce mouvement semble devoir se poursuivre dans les prochaines années.

Les travailleurs sociaux (assistances de service social et conseillères en économie sociale et familiale) sont alors :

- soit transférés au département ou mis à sa disposition ;

- soit, le plus souvent, affectés à des missions spécifiques liées à l'action sociale des caisses d'allocations familiales, ceci dans le cadre d'un effectif globalement stabilisé, voire en légère régression.

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Ces principales missions de travail social sont les suivantes :

1° Faciliter l'accès aux prestations (accès aux droits pour les familles en difficulté), aux équipements et services (structures d'accueil des jeunes enfants, centres sociaux , CLSH, aide au foyer...) des familles qui rencontrent des difficultés particulières.

2° Promouvoir la vie familiale et la fonction parentale au travers de l'accompagnement social des familles en difficulté et du développement des structures d'accueil des jeunes enfants.

Les actions menées portent notamment sur l'amélioration de la vie quotidienne, les difficultés budgétaires (action éducative budgétaire en cas de surendettement et prévention de l'endettement).

3° Faciliter l'accès, le maintien et l'insertion des familles dans le logement, l'habitat et le cadre de vie.

Les travailleurs sociaux mènent des actions d'accompagnement social , notamment dans le cadre du FSL, et de prévention au regard des familles accédantes à la propriété.

4° Favoriser l'émergence et le renforcement des liens sociaux et développer la vie sociale .

Les interventions professionnelles concernent essentiellement des publics spécifiques tels que les familles habitant dans des quartiers défavorisés (soutien scolaire, loisirs et temps libre), les bénéficiaires de l'API, des jeunes femmes isolées avec des enfants et des jeunes. Elles s'appuient le plus souvent sur le réseau associatif et valorisent la participation des personnes et des groupes (création de réseaux de solidarité, exemple : banques alimentaires, "femmes- relais").

Sur l'absence de cohérence des découpages territoriaux d'intervention

La critique de la Cour est fondée. Comme la Cour l'indique, la multiplication des divers dispositifs créés et des acteurs sociaux n'a pas simplifié le paysage des territoires d'action.

Une volonté d'harmonisation paraît souhaitable. Elle devrait, cependant, tenir compte de la nécessité, fréquemment réaffirmée, de rapprocher les services publics des usagers.

Sur l'absence de coordination des politiques d' aide sociale

Il convient de souligner qu'une réflexion éventuelle sur la coordination des politiques suppose, au préalable, que soient clarifiés les champs et la spécificité de chacune des politiques que l'on souhaite coordonner.

De ce point de vue, l'action sociale des CAF relève d'une politique beaucoup plus large qu'une politique "d' aide sociale " (exemple : l'importance des dispositifs contractuels et financiers relatifs au développement des structures d'accueil des jeunes enfants et à la conciliation vie familiale/vie professionnelle).

Les zones de "recouvrement" de l'action sociale des CAF et de l' aide sociale des autres collectivités sont en fait assez limitées.

Elles concernent essentiellement l'accompagnement social des personnes en difficulté ( sociales , financières, de logement). Interviennent : les CAF (certaines prestations légales à caractère social , actions menées dans le cadre de leur action sociale familiale), le département (mission légale d'insertion sociale et professionnelle,

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logement), l'Etat (politique de la ville, fonds partenariaux, logement et habitat), les communes ( aide sociale , habitat et politique de la ville...).

Cette multiplicité met en jeu d'ailleurs beaucoup plus les relations entre l'Etat et les collectivités locales que les relations entre celles-ci et les organismes de protection sociale . C'est bien d'abord cette relation Etat/collectivités locales qui est en jeu autour des dispositifs principalement cofinancés par l'Etat et le département (FSL, FAJ), l'Etat et les communes (politique de la ville), alors même que les organismes de protection sociale sont parfois difficilement reconnus dans ces dispositifs, au-delà de leur fonction de gestionnaire (et éventuellement financière).

Sur le strict plan de l'action sociale familiale des CAF, une amélioration de la concertation essentiellement avec le département suppose donc que :

- l'on identifie bien les zones de compétences partagées et donc à coordonner, notamment au regard de l'évolution des relations autour du travail social (qui était le champ principal de relations communes) ;

- l'on identifie bien les responsabilités entre autorités déconcentrées de l'Etat et collectivités locales ;

- le département reconnaisse dans les CAF (dont le conseil d'administration définit le schéma directeur d'action sociale ) un partenaire politique et non un organisme purement administratif et financier.

Par ailleurs, il est utile de préciser que :

- l'arrêté-programme de 1987 relatif à l'action sociale des CAF prévoit que les caisses coordonnent leur action avec leurs partenaires ;

- la branche "famille" s'efforce de progresser sur les échanges d'informations (projet Perspicaf) et estime en effet, qu'à partir d'une dynamique créée par la mise en oeuvre d'échanges d'informations, une harmonisation pourra se structurer localement à partir d'une prise de conscience partagée ;

- la proposition formulée par la Cour, relative à une instance de coordination, devrait s'entendre comme une procédure "d'information". Elle ne devrait pas conditionner la prise de décision de chaque institution à l'information préalable de l'instance de concertation sur les projets (réglementaires, financiers et d'actions) de chacun de ses membres. Là encore, cette instance n'aurait à intervenir que dans des domaines "partagés".

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Réponse du président de l'ASSEMBLEE DES PRESIDENTS DES CONSEILS GENERAUX DE FRANCE (APCG)

"L'influence limitée des conseils généraux sur le statut et la rémunération des personnels sociaux et médico- sociaux 8".

Les éléments contenus dans le texte proposé n'appellent pas d'observations de ma part si ce n'est qu'il faut signaler la lenteur de mise en place du dispositif envisagé en 1994 avec les ministères concernés.

J'ajoute que le choix, mais surtout l'élaboration du panel, a soulevé quelques difficultés liées au choix de la méthode et aux moyens statistiques disponibles dans les ministères sociaux d'une part, et à un engagement tiède des fédérations d'employeurs, d'autre part.

Cependant, ce panel devrait être opérationnel, et sa montée en charge assurée à partir de 1996.

8) Voir pages 59 à 62 du rapport.

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Cour des comptes - rapport public particulier – La décentralisation en matière d’aide sociale (décembre 1995) 157

ILE-DE-FRANCE

Réponse du maire de PARIS

I. - LES INSTRUMENTS D'EVALUATION DE LA DEPENSE

Le projet de rapport de la Cour des comptes mentionne les retards pris par le département de Paris en matière d'évaluation de la dépense, en particulier :

- l'absence de suivi analytique en matière de dépenses de personnel ;

- l'absence de suivi analytique des dépenses de fonctionnement (hors frais de personnel) ;

- l'absence d'outils d' aide à la gestion notamment en matière d' aide sociale à l'enfance.

Or, des progrès ont été ou sont en voie d'être obtenus dans ces trois domaines.

a) Le suivi analytique des dépenses de personnel

Il existe un suivi analytique de ces dépenses de personnel de la collectivité parisienne : la mise en place depuis 1994 d'un code service par agent, permet de distinguer les dépenses au niveau de chaque bureau indépendamment des statuts, municipal ou départemental, des personnels.

Cette distinction a toutefois ses limites qui sont celles des missions des services, lesquelles peuvent être pour partie municipales, pour partie départementales. Les agents du bureau des équipements publics de santé par exemple, travaillent à la fois pour la ville (ensemble des laboratoires) et pour le département (CMS, CIDAG).

Dans ces conditions, l'étape suivante pour la mise en place d'un suivi précis des dépenses de personnel passera par une répartition ville-département, au prorata des dépenses budgétaires ou des masses gérées.

b) Le suivi analytique des dépenses de fonctionnement(hors frais de personnel)

Chaque dépense du département de Paris est enregistrée avec un code analytique comprenant, notamment, le type de structure ou le type de bénéficiaire.

Ce système n'est certes pas totalement satisfaisant compte tenu de la séparation du budget de la DASES en quatre modules comptables. La consolidation n'est pour l'instant pas possible. Une étude sur l'harmonisation des codes analytiques des différents modules ainsi que sur la fusion de ces derniers est en cours. Elle permettra de disposer prochainement d'un véritable suivi analytique du budget.

c) Les outils d'aide à la gestion, notamment en matière d' aide sociale à l'enfance

L'ensemble des services sociaux départementaux édite désormais un tableau de bord mensuel qui présente l'évolution des dépenses et des bénéficiaires par type de prestation.

Un tableau de bord mensuel de la direction est actuellement en préparation. Il permettra de suivre une batterie d'indicateurs représentatifs de l'activité des services et dont l'évolution en positif ou en négatif constituera un signal d'alerte pour les services budgétaires et gestionnaires.

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Cour des comptes - rapport public particulier – La décentralisation en matière d’aide sociale (décembre 1995) 158

Un tableau de bord annuel, intégrant des données chiffrées parisiennes (par exemple le taux de natalité ou le taux de chômage) qu'il est intéressant de mettre en regard des indicateurs d'activité des services sociaux , sera mis en place dans les prochains mois.

Chaque service établit également un rapport annuel d'activité dont la synthèse est présentée, conformément aux textes, au conseil général.

S'agissant de l' aide sociale à l'enfance le logiciel informatisation-organisation-unification des procédures internes, qui sera prochainement installé, devrait constituer un précieux outil d' aide à la gestion.

II. - LA PROGRAMMATION DES EQUIPEMENTS

La programmation des équipements fait l'objet, contrairement à ce qui est indiqué, de divers schémas départementaux actuellement en cours d'élaboration par le département de Paris.

Ainsi, le schéma départemental personnes âgées sera terminé dans les prochaines semaines.

Par ailleurs, le schéma départemental handicapés a fait l'objet de diverses enquêtes préalables : l'insuffisance statistique et le manque de connaissance de la population ont conduit le département à demander au CTNRHI de mener une étude complémentaire. Parallèlement la DDASS a mis sur pied un groupe de travail pour l'application de la circulaire relative aux mesures concernant les autistes, auquel est associé le département. Enfin, une analyse des besoins des malades mentaux stabilisés est actuellement en cours avec les CHS. Le schéma départemental devrait être publié au printemps 1996.

Enfin, s'agissant des équipements de l' aide sociale à l'enfance, le département de Paris est étroitement associé au schéma en préparation par la direction de la protection judiciaire de la jeunesse. Il dispose également d'études nombreuses sur les équipements parisiens qui feront ultérieurement l'objet d'une synthèse au sein d'un schéma départemental.

III. - LA LOURDEUR DE LA GESTION DE L'ASSURANCE PERSONNELLE

Comme l'indique le projet de rapport de la Cour des comptes, le dispositif de prise en charge de l'assurance personnelle donne lieu à une procédure lourde et complexe.

Le département de Paris procède régulièrement à un contrôle des états d'appel de cotisations de l'URSSAF de Paris. Les erreurs constatées sont systématiquement notifiées à la CPAM et à l'URSSAF, pour redressement sur les états d'appel de cotisations suivants.

A terme, le département de Paris envisage d'utiliser le mécanisme de dotation globale prévu à l'article L 741.4.2 du code de la sécurité sociale . Des négociations sont en cours avec la CPAM de Paris pour arrêter les modalités de fixation de la base forfaitaire. L'URSSAF sera associée à ce projet dès que les principes de base auront été fixés.

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Cour des comptes - rapport public particulier – La décentralisation en matière d’aide sociale (décembre 1995) 159

IV. - LA REVISION DES DOSSIERS INDIVIDUELS DES ENFANTS PLACES A L' AIDE SOCIALE A L'ENFANCE

A l'occasion de la remise à plat de l'ensemble des procédures nécessitée par l'élaboration du nouveau logiciel informatique évoquée ci-dessus, le service de l' aide à l'enfance veillera tout particulièrement à améliorer la gestion des dossiers des enfants pris en charge.

Réponse du président du conseil général de SEINE-ET-MARNE

[Sur la recherche d'une plus grande déconcentration territoriale]

Le conseil général a décidé en 1992 de renforcer la cohérence de ses actions médico- sociales sur le terrain et de mieux les adapter à la diversité des situations locales. Il a créé à cet effet, à la place des onze circonscriptions de service social , quinze unités territoriales déconcentrées d'action sociale . Celles-ci regroupent les services de PMI, de l' aide sociale à l'enfance, de vaccinations et de santé pour adultes et le service social polyvalent. Chacun d'entre eux a, à sa tête, un chef de service. L'ensemble est dirigé par un responsable d'unité (indifféremment, selon les cas, attaché territorial, conseiller socio -éducatif, médecin, psychologue...) qui a autorité hiérarchique sur les personnels de tous ces services.

Une évaluation du nouveau dispositif seine-et-marnais a été conduite dans le courant de 1995, auprès des personnels, des conseillers généraux et des maires.Elle a confirmé la pertinence générale de l'organisation adoptée en 1992.

Réponse du président du conseil général du VAL-DE-MARNE

Relations financières entre les caisses d'assurance maladieet les départements au

titre de la PMI Dans le département du Val-de-Marne, la caisse primaire d'assurance maladie a

dénoncé en 1986 la convention relative à sa participation financière aux activités de protection maternelle et infantile, afin de l'actualiser.

Dans un premier temps, les propositions de modifications faites par la caisse étaient en recul par rapport à l'existant. Ainsi, d'une participation à hauteur de 36 p. 100 des dépenses engagées par le département au vu du compte administratif au sous-chapitre 953-41, la caisse envisageait ce taux à 20 p. 100.

Des négociations ont permis néanmoins d'aboutir, en 1989, à la signature d'une convention fondée sur un financement forfaitaire à l'acte, et non plus sur le compte administratif départemental.

La caisse primaire prend en charge 36 p. 100 du coût des actes réalisés dans l'ensemble des structures implantées en Val-de-Marne pour les activités de protection maternelle et infantile, d'une part, de planification et d'éducation familiale, d'autre part.

Le coût unitaire de l'acte a été établi en référence au fonctionnement des centres gérés directement par la caisse primaire.

Suite à la signature de cette convention, les régularisations financières portant sur les années 1986 à 1990 ont été effectuées par la caisse primaire sur la base de ce nouveau texte.

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Cour des comptes - rapport public particulier – La décentralisation en matière d’aide sociale (décembre 1995) 160

Depuis 1990, un avenant à cette convention, signé en 1993, précise que l'évolution du coût de l'acte, fixé en 1990, se fait selon le taux directeur prévu chaque année par l'Etat pour les établissements médico- sociaux placés sous sa tutelle.

La prise en charge par les organismes d'assurance maladie des activités de PMI a été complétée en 1990 par une convention permettant le remboursement à 70 p. 100 des vaccins ROR réalisés dans les structures départementales.

Enfin, deux conventions, signées le 3 octobre 1995, permettent la prise en charge à 100 p. 100, par le fonds d'action sanitaire et sociale de la caisse, des vaccins Haemophilus B et hépatite B dans les structures départementales.

Relations financières entre les caisses d'assurance maladieet les départements en matière d' aide médicale à domicile

La convention liant le département à la caisse primaire, antérieurement à 1986, était considérée par cette dernière comme favorable au conseil général dans la mesure où les remboursements s'effectuaient sur une base forfaitaire.

Rappelons que cette dénonciation est intervenue au moment des mesures dites "Plan Séguin", concernant la sécurité sociale .

En février 1993, deux nouvelles conventions concernant l' aide médicale à domicile ont été signées. La première, s'appliquant à compter du 1er juillet 1993, établit une prise en charge par l'assurance maladie des actes selon les tarifs en vigueur, la part relevant du ticket modérateur, pour les assurés sociaux du régime général, étant assurée par le département. La seconde permet la régularisation financière, sur la base édictée par la première convention, des dossiers d' aide médicale en attente du 1er janvier 1986 au 30 juin 1993.

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Cour des comptes - rapport public particulier – La décentralisation en matière d’aide sociale (décembre 1995) 161

LANGUEDOC-ROUSSILLON

Réponse du président du conseil général de l'HERAULT

Je confirme l'appréciation de la Cour concernant la difficulté qu'ont les départements à contrôler les informations communiquées par les URSSAF et les CPAM, observation qu'avait notée le rapporteur.

Je voudrais y ajouter deux remarques propres à l'Hérault.

D'une part, le département a mis en place depuis 1994 un cadre de travail conventionnel au sein duquel sont évoquées régulièrement avec les caisses d'assurance maladie du régime général et du régime agricole les questions relatives à l'assurance personnelle.

D'autre part, nous recherchons avec la CAF et l'URSSAF les possibilités de transfert des informations qu'ils détiennent et nous entendons nous doter sous peu des moyens humains et surtout informatiques nécessaires au contrôle des procédures d'affiliation. Cependant, nous sommes confrontés à quelques difficultés juridiques inhérentes aux prescriptions de la loi Informatique et Libertés qui compliquent énormément la mise en relation des informations propres aux divers organismes concernés (CNASEA, ASSEDIC, CAF, CPAM, etc.). Cette mise en relation, juridiquement et techniquement délicate, est d'autant plus nécessaire qu'il apparaît désormais clairement que les carences du dispositif se situent en amont de l'appel de cotisations.

LORRAINE

Réponse du présidentdu conseil général de MEURTHE-ET-MOSELLE

Sur la programmation insuffisante des opérations d'investissement]

Les remarques portées sur la création d'une maison de retraite à Giraumont nécessitent quelques précisions. Il y a eu dissolution de l'établissement public départemental, conçu au départ pour assurer la gestion de cet établissement. En revanche, le projet a été repris par un promoteur de type commercial qui a effectivement ouvert la structure d'une quarantaine de places. J'ajoute que moyennant un loyer établi après consultation du service des Domaines, ce promoteur répond à des besoins d'hébergement, puisque l'établissement est actuellement totalement occupé et envisage même une extension de sa capacité. Enfin, s'agissant du coût d'investissement total pour le département, il y a lieu de considérer que le prix de revient définitif est inférieur à la dépense qu'aurait supporté le département dans l'hypothèse d'une construction similaire et de même capacité puisque le prix-référence au lit est de l'ordre de 300 000 francs actuellement.

Sur les difficultés de mise en oeuvre de l'article 22 de la loi du 13 janvier 1989 dit "amendement Creton"]

En Meurthe-et-Moselle, le département a effectivement engagé un contentieux avec les caisses primaires d'assurance maladie de Nancy et de Longwy sur la prise en charge des jeunes maintenus en institut médico-éducatif au regard de "l'amendement Creton". Cette position est motivée par le fait que l'assurance maladie expose au conseil

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Cour des comptes - rapport public particulier – La décentralisation en matière d’aide sociale (décembre 1995) 162

général la dépense totale afférente à l'hébergement et aux soins alors qu'une jurisprudence récente émanant du Conseil d'Etat met à la charge des départements uniquement les dépenses d'hébergement. Un accord amiable n'ayant pas pu être obtenu avec les organismes de protection sociale sur ce point, le département de Meurthe-et-Moselle entend bien obtenir réparation par voie contentieuse.

[Sur les contrôles insuffisants des établissements]

La maison de retraite évoquée, gérée par un promoteur à but lucratif, a bénéficié d'une simple autorisation de création ainsi que le prévoit la loi.

Cet exemple illustre les difficultés pour le département d'appréhender le fonctionnement réel des maisons de retraite privées à but commercial puisque hors habilitation à l' aide sociale , il ne peut y avoir de suivi ni par la procédure de tarification des prix de journée, ni par l'admission individuelle des bénéficiaires (sauf s'il la demande au terme de cinq ans de présence dans l'établissement).

Je tiens enfin à ajouter que c'est à l'initiative du conseil général qu'une enquête a été diligentée sur place par les services de l'Etat pour régulariser un certain nombre de dysfonctionnements réels.

[S'agissant du schéma départemental (annexe III-1)]

Les deux premiers plans gérontologiques couvrant les périodes 1984 à 1993 n'ont pas été validés de façon conjointe par les services de l'Etat et du département. En revanche, le 3 plan gérontologique 1994- 1998 présente des orientations acceptées conjointement par l'ensemble des partenaires.

Réponse du directeur de l'hospice civil de ROSIERES-AUX-SALINES

(Meurthe-et-Moselle)

[Sur les placements inadéquats dans les structures d'hébergement]

Je tiens à vous informer que l'hospice civil de Rosières-aux- Salines a été éclaté en trois établissements :

- un établissement public communal pour personnes handicapées gérant une maison d'accueil spécialisée, construite entre 1992 et 1994, et recevant 55 résidents ;

- un établissement public communal pour personnes âgées gérant une maison de retraite de 120 places éclatée sur deux sites en unités de 12 personnes, construite entre 1992 et 1994 et qui sera autonome le 1er janvier 1996 ;

- un établissement public départemental de travail protégé et d'hébergement gérant trois CAT, un foyer d'hébergement, deux foyers d'accueil spécialisés et des services d'accompagnement et ayant au 1er septembre 1995 328 places.

Les locaux de ces services sont en voie de réhabilitation avec des financements Etat, région et conseil général de Meurthe-et-Moselle et un programme de trois à quatre ans entre 1996 et 2000.

Au 1er janvier 1996, l'hospice civil de Rosières-aux-Salines aura une capacité d'accueil de 52 places, sur les 550 initiales.

Il s'agit de 52 personnes handicapées relevant de CAT qui ne peuvent être accueillies dans l'établissement public départemental de travail protégé et d'hébergement par manque de financement de l'Etat des 52 dernières places de CAT promises en 1989.

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Cour des comptes - rapport public particulier – La décentralisation en matière d’aide sociale (décembre 1995) 163

Réponse du président du conseil général de la MEUSE

I. - ACTP

Le département de la Meuse accorde cette prestation à un certain nombre de personnes hébergées en établissement après vérification de la nécessité de l' aide d'une tierce personne extérieure à l'établissement d'hébergement.

Dans le cadre de l'enquête relative au projet de création de la prestation autonomie, mes services ont d'ailleurs communiqué aux ministères concernés les chiffres suivants :

NOMBRE DE BENEFICIAIRES DE L'ACTP EN MEUSE, EN 1994 :

A domicile : 556

En établissement à loyer mensuel :2

Autres établissements (maison de retraite: avec SCM, long séjour) : 56 :

De plus, en complément de l'ACTP, le conseil général de la Meuse a mis en place une prestation d' aide sociale facultative appelée allocation de maintien à domicile (AMAD). Depuis le 1er janvier 1990, cette allocation permet d'offrir aux personnes âgées ou handicapées une véritable alternative dans leur mode d'existence et un choix réel de leur lieu de vie.

179 personnes ont bénéficié de cette prestation, pour une dépense de 1 554 561 francs (9).

II. - Schémas départementaux

L'article 42 de la loi du 22 juillet 1983 impose au conseil général d'arrêter un schéma départemental des établissements et services sociaux et médico- sociaux .

L'article 2 de la loi 86-17 du 6 janvier 1986 apporte des précisions sur le contenu du schéma départemental des équipements et services sociaux et rappelle que, par une délibération, le conseil général entérine le schéma des établissements et services relevant de sa compétence exclusive.

L'article 1er de cette même loi prévoit la création, dans chaque département, d'un conseil départemental du développement social qui doit être consulté préalablement à l'élaboration du schéma départemental. Le décret relatif à la composition, au fonctionnement et à la mise en place de ce conseil départemental n'étant toujours pas paru, sa consultation est impossible.

De ce fait, le conseil général peut élaborer son schéma départemental et le réviser sans être soumis à l'avis préalable de cette instance. Le schéma n'a alors qu'une valeur indicative et ne peut être opposé à l'Etat, aux départements, aux organismes de sécurité sociale , aux gestionnaires des établissements et services ou aux usagers.

Les personnes âgées

Le plan gérontologique du département de la Meuse est régulièrement mis à jour compte tenu des différents enjeux et, en particulier, de la future prestation autonomie.Le plan gérontologique élaboré fin 1993 avec les services de l'Etat est en cours de révision (joint à la réponse).

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Cour des comptes - rapport public particulier – La décentralisation en matière d’aide sociale (décembre 1995) 164

Le tableau ci-dessous récapitule les capacités d'hébergement offertes aux personnes âgées dans le secteur public et privé du département :

Ces chiffres montrent que le département de la Meuse dispose d'un taux d'équipement en places d'hébergement pour personnes âgées supérieur à la moyenne nationale.

Taux d'équipement pour 1 000 habitants de 75 ans et + :

- Meuse = 155 ;

- France (au 1er janvier 1992) = 141.

Les personnes handicapées

Au delà de la capacité d'hébergement en foyers d'hébergement pour handicapés travailleurs et foyers de vie, respectivement 158 et 83 places, la politique volontariste développée par le conseil général de la Meuse a permis la création des équipements suivants :

- foyer d'accueil spécialisé : le conseil général de la Meuse a été favorable, en 1989, à la création d'un foyer à double tarification de 40 places, pour répondre aux besoins des personnes lourdement handicapées sachant qu'à cette date, la Meuse ne disposait d'aucune place en maison d'accueil spécialisé ;

- les centres d'initiation au travail et aux loisirs (CITL) : le conseil général de la Meuse a créé, pour le moment, 2 CITL d'une capacité totale de 37 places favorisant l'accueil de jour de personnes handicapées ne relevant pas des structures classiques ;

- l'équipe de préparation et de suite du reclassement (EPSR) : le conseil général de la Meuse cofinance, à hauteur de 25 p. 100, cette équipe ;

- le service accompagnement : le conseil général de la Meuse finance, exclusivement, un service d'accompagnement pour personnes handicapées favorisant le maintien à domicile des personnes handicapées pour un coût de 1 500 000 F/an.

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Cour des comptes - rapport public particulier – La décentralisation en matière d’aide sociale (décembre 1995) 165

Le schéma est actuellement en cours de révision pour prendre en compte, au delà de l'adaptation aux besoins, 2 problèmes essentiels :

- la prise en charge des personnes handicapées vieillissantes ;

- la transformation des foyers d'hébergement pour handicapés travailleurs en hébergement individuel adapté à l'autonomie des personnes handicapées.

L' aide sociale à l'enfance

En 1987, un schéma directeur des établissements et services de l'enfance a été rédigé et révisé régulièrement.

Actuellement, un nouveau schéma est à l'étude en Meuse, en liaison avec les différents partenaires concernés par les problèmes de l'enfance dans le département.

III. - Le règlement départemental

Un règlement départemental d' aide sociale a été élaboré en Meuse en 1988 et revu régulièrement (joint à la réponse).

Ce règlement est actuellement en cours de révision, au niveau du chapitre " aide médicale", eu égard à la réforme de l' aide médicale découlant de la loi du 29 juillet 1992 et la mise en place d'une carte santé.

Réponse du président du conseil général des VOSGES

[Sur l'augmentation des dépenses du personnel]

L'augmentation entre les comptes administratifs de 1988 (13 808 872 francs) et 1993 (31 889 000 francs) est de 130,9 p. 100.

Une augmentation de crédits compensée par une diminution sur autre compte :

Le département des Vosges est dans une situation très spécifique car depuis très longtemps la Fédération médico- sociale des Vosges (association privée régie par la loi de 1901) rémunérait du personnel social et administratif qui travaillait pour le compte du département. Cette fédération bénéficiait d'une subvention du département.

Après la décentralisation, la décision a été prise de clarifier cette situation et d'intégrer le personnel de la Fédération médico- sociale dans l'effectif départemental, chaque fois que le statut du personnel le permettait.

Au cours de la période de 1988 à 1993, 28 postes ont été concernés pour un montant de 4 856 000 de francs (le détail figure sur un tableau joint).

Les comptes de personnel ont ainsi été augmentés de ce montant et dans le même temps, la subvention à la fédération a été minorée à due concurrence. La charge pour le département est donc restée inchangée, même si les comptes de personnel ont été augmentés.

Après minoration de 4 856 000 francs qui ne sont donc pas une charge nouvelle, les crédits de personnel du compte administratif 1993 sont de 27 033 000 francs et l'augmentation par rapport au compte administratif 1988 est de 95,77 p. 100.

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Cour des comptes - rapport public particulier – La décentralisation en matière d’aide sociale (décembre 1995) 166

Enfin, je vous précise également que d'autres inscriptions budgétaires ont été faites par minoration d'autres comptes (comme précisé dans le tableau joint). Ces sommes ont été compensées par une augmentation de la DGD et une minoration de la subvention CAF et des comptes de vacations.

Le total général de toutes ces sommes qui ont été compensées d'un même montant s'établit à 7 422 000 francs ce qui représente une augmentation de 77,18 p. 100 des dépenses par rapport à 1988. Après ces rectifications, il apparaît que le département des Vosges est proche de la moyenne mentionnée dans votre rapport.

MIDI-PYRENEES

Réponse du président du conseil général du LOT

Il est exact qu'un système de connaissance des besoins des populations et de leur évolution fait effectivement défaut. Cependant, depuis la réalisation de votre enquête dans le Lot quelques progrès ont été réalisés, qui restent bien sûr à poursuivre.

Il serait cependant souhaitable que les très nombreuses informations que nous transmettons chaque année au ministère fassent l'objet, non seulement d'une diffusion plus rapide, mais surtout d'une exploitation correspondant mieux aux besoins des départements.

En ce qui concerne la règle du domicile de secours et la création d'établissements, les chiffres que vous indiquez, sans en préciser les sources, ni la définition exacte, m'étonnent fortement (10).

En effet, les capacités d'hébergement pour adultes handicapés relevant de la compétence du département s'élèvent à 332 places au 31 décembre 1994 (hébergement CAT et Foyer occupationnel) dont 249 étaient occupées par des lotois. Par ailleurs, le département finançait en même temps l'hébergement de 58 adultes dans d'autres départements. C'est donc un total de 307 adultes financés par le département alors que l'offre locale est de 332.

Il y a donc pas lieu de laisser entendre que le Lot pourrait faire partie des départements développant, pour des raisons économiques, une offre non proportionnelle à la demande.

A la mi-95, ce sont 313 personnes financées pour le même nombre de places.

En ce qui concerne le taux d'équipement, il s'élevait au 31 décembre 1994 à 2,12 pour mille sur la base de la population de 1990 - Midi-Pyrénées comptait à cette époque 4 784 places, pour un taux d'équipement de 1,96 - la France, au 31 décembre 1993, comptait pour sa part 60 702 lits pour un taux d'équipement de 1,07 pour mille.

Ces chiffres, qui tiennent compte des seuls établissements relevant de la compétence des départements (foyers occupationnels, foyers d'hébergement du CAT, foyers à double tarification) sont issus des statistiques publiées par le ministère des affaires sociales .

Il me paraît important de préciser ces ordres de grandeur afin de ne pas laisser se développer de faux raisonnements.

Ainsi, si le département du Lot possédait un taux d'équipement comparable à la moyenne nationale que vous indiquez (1,2 pour mille habitants) il ne mettrait à disposition de ses adultes handicapés que 190 places, pour un besoin actuel de plus de 300 adultes handicapés lotois hébergés.

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Cour des comptes - rapport public particulier – La décentralisation en matière d’aide sociale (décembre 1995) 167

Enfin, et d'une manière plus générale, je crois nécessaire d'appeler votre attention sur la dérive que connaissent certains postes budgétaires, notamment l'allocation compensatrice pour tierce personne et l' aide médicale liée au RMI, qui hypothèquent fortement l'avenir des budgets départementaux.

Je ne reviendrai pas sur l'évolution du poids financier de l'ACTP, largement débattu au niveau national.

Par contre, il me paraît important de souligner les évolutions lourdes de conséquences entraînées par la généralisation de l' aide médicale aux bénéficiaires du RMI, transfert de charges considérable, ainsi que l'opacité totale des relations entretenues avec les CPAM et les URSSAF en ce qui concerne la prise en charge des cotisations d'assurance personnelle des bénéficiaires du RMI.

NORD-PAS-DE-CALAIS

Réponse du président du conseil général du PAS-DE-CALAIS

Sur l'absence de règlement départemental d' aide sociale et la rupture possible de l'égalité des usagers en matière d'accès aux prestations

Avec la mise en place de la réforme de l' aide sociale par la loi n° 92 722 du 29 juillet 1992 et l'adoption récente par le conseil général d'un barème pour l'admission de plein droit à cette prestation, les demandes sont désormais examinées au vu d'un plafond de ressources au- delà duquel l' aide est refusée et les décisions d'admission ou de rejet prises par moi-même.

Le pouvoir et l'activité des commissions d' aide sociale s'en trouvent considérablement réduits, seules les demandes d' aide ménagère ou à l'hébergement pour les personnes âgées et handicapées continuent à leur être soumises, ce qui ne représente plus que 20 p. 100 environ de leur activité antérieure.

De ce fait, l'élaboration du règlement départemental d' aide sociale a été mise en chantier en vue d'une présentation aux élus courant 1996 ou au plus tard lors du vote du BP 1997.

Il convient toutefois de souligner que l'article 32 de la loi du 22 juillet 1983 fixe les conditions des prestations d' aide sociale en deçà desquelles les départements ne peuvent descendre. Les usagers bénéficient donc d'une protection légale leur garantissant un minimum de droits. De plus, les décisions prises sont toujours motivées et les possibilités de recours clairement indiquées.

D'autre part, les prestations plus favorables créées par le département du Pas-de-Calais ont fait l'objet d'une formalisation par le biais des schémas d'équipement ou de délibérations spécifiques, régulièrement publiées.

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BASSE-NORMANDIE

Réponse du président du conseil général du CALVADOS

Tirant les conséquences du versement de l'allocation compensatrice pour tierce personne à un nombre croissant et devenu majoritaire de personnes âgées, il a été décidé à partir de 1993 de comptabiliser la dépense correspondante au chapitre 956.5.

Cet objectif de sincérité du budget, notamment vis-à-vis des associations de handicapés, se traduit au compte administratif 1993 par la réalisation au chapitre 956.5, article 6504 (allocations compensatrices), d'une dépense de 51 254 892,37 francs, ce qui accentue d'autant l'effort du département au profit des personnes âgées par rapport à d'autres départements qui ne procèdent pas ainsi.

Correction faite de cette inscription, le pourcentage de dépenses d' aide sociale aux personnes âgées rapportées au budget social s'établit à environ à 27 p. 100, pourcentage certes encore très au- dessus de la moyenne nationale.

Toutefois, afin que les comparaisons soient parfaitement fiables, il conviendrait de raisonner en net ou de s'assurer que tous les départements interviennent selon le même mode pour la prise en charge des frais d'hébergement.

Pour ce qui concerne le Calvados, le département supporte en dépense la totalité de la dépense d'hébergement et récupère en recette 90 p. 100 des pensions du bénéficiaire et les participations de ses obligés alimentaires.

Cependant, ainsi que le permet la législation, celui-ci pourrait se limiter à intervenir en net, c'est-à-dire à régler à l'établissement la part non couverte par les ressources suscitées.

En conclusion, des variations dans les techniques comptables semblent être pour partie à l'origine des disparités constatées.

Enfin, en ce qui concerne l'explication avancée quant au pourcentage de lits de maisons de retraite pour 1 000 personnes de + 75 ans, je tenais à vous faire part des informations suivantes.

Actuellement, le département du Calvados compte 6 233 lits dont 4 074 sont conventionnés à l' aide sociale . Or sur ces 4 074 lits, 2 160 seulement sont occupés par des bénéficiaires de l' aide sociale , générant une dépense pour le département.

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Cour des comptes - rapport public particulier – La décentralisation en matière d’aide sociale (décembre 1995) 169

HAUTE-NORMANDIE

Réponse du président du conseil général de l'EURE

Vous avez noté que le département de l'Eure consacrait à la population des plus de soixante ans, une proportion de son budget supérieure à la moyenne nationale, malgré un poids moins important de population de cette tranche d'âge, qui pourrait notamment s'expliquer par un taux d'équipement élevé en places d'hébergement.

Je confirme votre analyse. Toutefois, il me paraît important de souligner que le taux de 33 p. 100 des dépenses brutes d'action sociale consacré dans l'Eure aux personnes âgées n'est certainement pas aussi éloigné de la moyenne nationale (20 p. 100 selon votre rapport) qu'il y paraît.

Les raisons en sont les suivantes :

- l'Eure impute sur le chapitre 956.50 les dépenses d'allocation compensatrice pour personnes de plus de soixante ans, ce qui n'est pas le cas de l'ensemble des départements (certains imputent toutes leurs dépenses d'allocation compensatrice au 956.60 "personnes handicapées"). Hors allocation compensatrice, le département de l'Eure consacre environ 24 p. 100 de ses dépenses brutes d' aide sociale aux personnes âgées. Selon plusieurs sources (APCG, BDID., ODAS), on peut estimer à 17,2 p. 100 ce taux au niveau national, ce qui ramène l'écart de près de 13 points à 7 points ;

- l'Eure a des prix de journée bruts, alors que d'autres départements tarifient sur la base d'un prix de journée net. Il en résulte que la seule façon d'établir des comparaisons fiables entre départements serait de parler des dépenses nettes (dépenses brutes moins recettes directes) ;

- le taux moyen national de 20 p. 100 peut, s'il n'est pas lissé, être faussé par un phénomène de report de dépenses N en N + 1. L'Eure paie, pour la majeure partie des établissements, les douze mois de facturations sur l'exercice.

Le programme important de rénovation et d'extension des établissements a probablement participé à ce que le département de l'Eure ait une proportion élevée de personnes âgées hébergées(14 pour 1 000 habitants de plus de soixante ans, contre 12 pour 1 000 en moyenne nationale), et engendré une hausse des prix de journée entraînant une augmentation des dépenses d' aide sociale .

Des statistiques fournies par l'APCG, le SESI et l'ODAS, notamment, il ressort que la dépense nette d' aide sociale aux personnes âgées est plus élevée dans l'Eure qu'au niveau national mais dans des proportions moindres que lorsque la comparaison est faite en dépenses brutes (33 p. 100 pour l'Eure, contre 20,7 pour la moyenne nationale).

Le coût par habitant de la dépense nette d' aide sociale aux personnes âgées (hors allocation compensatrice) est en effet supérieur à 600 francs par habitant de plus de soixante ans, dans l'Eure, alors qu'il est d'environ 550 francs au niveau national.

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Cour des comptes - rapport public particulier – La décentralisation en matière d’aide sociale (décembre 1995) 170

PAYS-DE-LA-LOIRE

Réponse du président du conseil général de la SARTHE

[Sur l'imputation de certaines dépensesd' aide sociale facultative]

Les 5 420 282 F inscrits en 1993 au chapitre 954 " aide sociale à l'enfance" (art. 657 et 6429-1) correspondaient :

- à deux subventions exceptionnelles versées à des organismes relevant effectivement de l' aide sociale légale (prise en charge de déficits cumulés d'une maison d'enfants à caractère social et prise en charge d'une dépense de fonctionnement - frais de personnel - d'un service de prévention spécialisée) ;

- au financement de l'association d'entraide aux pupilles, qui, au terme de l'article 65 du code de la famille et de l' aide sociale , peut être considéré comme une compétence obligatoire du département ;

- à une prise en charge de 30 p. 100 du budget socio -éducatif des foyers de jeunes travailleurs ;

- à une subvention au CAF Montjoie ;

- au montant des allocations versées aux jeunes majeurs.

Seules ces deux dernières prestations pourront être considérées comme des prestations extra-légales. Une régularisation de leur imputation interviendra dans une décision modificative en 1995.

[Sur l'attribution de l'ACTPaux personnes hébergées en établissement]

Dans la Sarthe, l'ACTP pouvait être accordée aux personnes hébergées en établissement mais à un taux plafonné à 40 p. 100, le département considérant que le personnel des établissements peut être considéré comme faisant "office" de tierce personne au sens de la loi du 30 juin 1975. Cette situation a été régularisée au 1er juillet 1995.

[Sur le caractère indicatifdes schémas départementaux des établissements]

Le schéma pour personnes âgées arrêté par la Sarthe en 1989, qui appelait l'autorisation de 1 454 places supplémentaires entre 1990 et 1994, a largement été suivi puisque 984 lits ont, au cours de cette période, été créés.

[Sur l'association chargée de gérer les crédits d'insertion RMI]

Le conseil général maintient la prise en charge directe, par l'association, des crédits correspondant aux salaires et charges d'un agent, et ce, à titre exceptionnel jusqu'à fin 1995, l'agent concerné ayant fait valoir ses droits à la retraite. Les charges de personnel et les frais de fonctionnement des autres agents (administratifs et travailleurs sociaux délégués exclusivement à l'accompagnement social et l'insertion des bénéficiaires du RMI) sont financés directement sur le budget du RMI (chapitre 959 du budget départemental).A l'échéance de fin 1995, le département se propose de procéder à la dissolution de cette association.

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Cour des comptes - rapport public particulier – La décentralisation en matière d’aide sociale (décembre 1995) 171

[Sur le contrôle des associations]

Dans la Sarthe, un poste de contrôleur rattaché à la sous-direction aide sociale adulte a été créé afin de procéder à une étude de qualité des services offerts aux bénéficiaires de l' aide sociale tant en établissements qu'à domicile.Les associations bénéficiaires sont toutefois soumises à des contrôles ponctuels du contrôleur de gestion. La création d'un poste spécifique de contrôle des associations bénéficiant de crédits d'insertion est à l'étude.

[Sur l'absence de schémas relatifs aux établissements sous double tarification]

Le schéma de 1989 répondait au type de besoin recensé ; la majeure partie des demandes de placement concernait des personnes valides. Ce n'est que plus tard que la situation a changé ; le nouveau schéma développé à partir de juin 1993 a tenu compte de cette évolution dans la nature des besoins en associant les services de l'Etat dans son élaboration.

[Sur le suivi des enfants admis à l'ASE]

La mise en place du contrôle de gestion à la direction des interventions sanitaires et sociales prévoit l'extension du suivi de la durée de placement à l'ensemble des établissements.

RHONE-ALPES

Réponse du président du conseil général de l'AIN

a) Sur le paragraphe "Des règlements départementaux d' aide sociale rarement adoptés"

Le conseil général de l'Ain a adopté, en assemblée plénière, différentes délibérations précisant les règles et modalités selon lesquelles sont attribuées les prestations d' aide sociale :

- délibération du 5 décembre 1989 relative à la fixation pour 1990 des conditions de réalisation des heures d' aide ménagère ;

- délibération du 9 décembre 1992 concernant la mise en oeuvre de la réforme de l' aide médicale introduite par la loi du 29 juillet 1992 portant adaptation de la loi du 1er décembre 1988 relative au RMI et relative à la lutte contre la pauvreté et l'exclusion sociale et professionnelle ;

- délibération du 16 février 1993 traitant de la mutualisation de l' aide médicale ;

- délibération du 6 décembre 1993 concernant la réorganisation des modalités de prise en charge de l' aide à domicile pour les familles du département de l'Ain ;

- délibération du 30 novembre 1994 relative au rapport d'orientation en vue d'une politique départementale d'accueil familial dans le cadre de la protection de l'enfance ;

- délibération du 30 mai 1995 traitant des modalités de contrôle de l'effectivité de l' aide apportée aux bénéficiaires de l'allocation compensatrice pour tierce personne.

L'ensemble de ces délibérations constitue le règlement départemental d' aide sociale prévu à l'article 124-1 du code de la famille et de l' aide sociale . Il ne reste plus qu'à les regrouper en document unique facilitant la consultation par les usagers et les services. Ce travail est en cours.

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b) Sur le paragraphe "Un effort d'informatisation"

La conception et la réalisation du progiciel ANIS avaient été estimées, en juin 1992 par les départements fondateurs, à la somme de 18 millions de francs hors taxes.

Le groupement d'intéret économique (GIE) Bossard Sinorg, attributaire du marché par délibération en date du 17 mai 1993 de la commission permanente du Rhône, a estimé le montant prévisionnel de cette opération à 22 millions de francs hors taxes.

Toutefois, le GIE a accepté, en contrepartie d'une concession exclusive du droit d'exploitation et de maintenance des études, des programmes et du logiciel, de participer au financement de la conception et de la réalisation du progiciel ANIS.

Ainsi, pour les conseils généraux fondateurs, notamment l'Ain, le coût de la réalisation du progiciel est conforme à celui fixé par la "convention mandatant le département du Rhône en vue de la réalisation d'un progiciel global de gestion de l'action sociale ", soit 3 millions de francs hors taxes.

Quel que soit le coût réel de la réalisation du progiciel, les départements ont maintenu leur participation à cinq départements, à raison de 3 millions de francs, soit 15 millions de francs hors taxes.

c) Sur le paragraphe "L'organisation des services"

S'agissant des études confiées à des sociétés de conseil, il convient de distinguer :

1° Les études et travaux relatifs à l'organisation et plus exactement à la réorganisation des services sociaux du département.

Ils représentent :

- un marché d'étude signé avec la SA Bossard Consultants, le 30 avril 1990, relatif à une mission d'élaboration d'avant-projet de structure du siège de la direction de la prévention et de l'action sociale , pour un montant de 250 000 francs (TTC) ;

- un marché d'assistance à la mise en place de la nouvelle organisation confiée à la même société pour un montant de 1 065 000 francs (TTC) (y compris un avenant au marché).

Le total des dépenses du conseil général, sur deux ans, des études et des travaux de mise en oeuvre de la nouvelle organisation représente 1 315 000 francs (TTC).

2° L'informatisation de l'action sociale .

a) Etudes préalables

Suite à une délibération du 18 mars 1991, le conseil général a passé un marché avec la société Bossard Consultants en vue d'une étude préalable du fonctionnement informatisé de la direction de la prévention et de l'action sociale , pour un coût global de 1 679 000 francs (TTC).

Cette étude a été complétée par délibération du 17 juin 1991 par un avenant d'un montant de 160 000 francs (TTC).

Le coût total des études préalables à l'informatisation s'est élevé ainsi à 1 839 000 francs (TTC).

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b) La réalisation du progiciel

Les travaux confiés par le conseil général du Rhône au GIE Bossard Sinorg, au nom des cinq départements fondateurs du projet ANIS, ne constituent pas des études au sens strict, mais des travaux de réalisation d'un progiciel. Ces travaux sont conduits selon des méthodes classiques en la matière (Merise) :

- spécifications fonctionnelles générales ;

- spécifications fonctionnelles détaillées ;

- modèle conceptuel des données ;

- modèle conceptuel des traitements ;

- élaboration des programmes et écrans.

Le coût du progiciel a été détaillé précédemment et représente 3 millions de francs pour le département de l'Ain.

3° Analyse des montants.

Ces études et travaux se seront déroulés sur une période de l'ordre de 7 années :

- avril 1990 : étude de la réorganisation de la DIPAS ;

- fin 1996 : achèvement de la livraison du progiciel ANIS.

Leur montant doit être rapporté à la dimension des questions à traiter :

- le conseil général a réorganisé un service dont l'organisation était stable depuis sa mise en place par l'Etat en 1974. L'organisation du siège était inadaptée aux nouvelles conditions d'exercice de l'action sociale . La structure à réorganiser compte plus de 300 agents permanents. Un changement d'une ampleur considérable : transferts de compétence vers des circonscriptions, transferts d'agents sur ces sites, élaboration de fiches de fonctions pour tout le personnel, ... a été effectif sans mouvements sociaux ;

- l'informatisation à mettre en place sur 5 domaines différents ( aide sociale générale, action sociale de terrain, aide sociale à l'enfance, protection maternelle et infantile, revenu minimum d'insertion).

Elle vise à assurer la transversalité de ces domaines, ce qu'aucun progiciel existant n'est en mesure de réaliser.

Le système assurera la gestion de prestations qui représentent, dans l'Ain, un budget annuel de 501 millions de francs.

Le montant des études d'organisation et des travaux d'informatisation ne paraît donc pas excessif, eu égard à la dimension des questions abordées.

d) Sur le paragraphe "... l'insuffisance du contrôle de gestion"

Le département de l'Ain a veillé à laisser à sa direction de l'action sociale le soin de gérer ses moyens d'action afin, précisément, de la responsabiliser sur cette gestion.

La direction de la prévention et de l'action sociale dispose :

- d'un service dit de "liquidation des dépenses" ;

- d'une cellule de suivi et de gestion du personnel ;

- d'une cellule dite de "services généraux" pour la gestion des moyens matériels ;

- d'une cellule contrôle de gestion-finances.

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Cour des comptes - rapport public particulier – La décentralisation en matière d’aide sociale (décembre 1995) 174

La mise en place de cette dernière est récente, mais des outils se mettent progressivement en place :

- tableau de bord de l' aide sociale à l'enfance ;

- tableau de bord du revenu minimum d'insertion ;

- tableau de bord de la protection maternelle et infantile ;

- tableau de bord financier.

Il est certain que ces outils sont à compléter et les fonctions de la cellule liquidation à reconsidérer, compte tenu du rôle de la direction du conseil général. Des travaux sont engagés sur ces deux aspects en vue de l'exercice 1996.

Réponse du président du conseil général de l'ARDECHE

Allocation compensatrice Le conseil général du département de l'Ardèche peut difficilement accepter que

l'on puisse considérer ex abrupto qu'il ait mis en place des pratiques restrictives dans l'attribution de l'allocation compensatrice.

Il serait plus conforme à l'esprit des textes et à la volonté du législateur de dire que, dans le département de l'Ardèche, l'on a privilégié une procédure d'attribution conditionnelle de cette prestation par référence à un contrôle rigoureux de la réalité de l'effectivité de l' aide , garantissant le respect du caractère affecté d'une allocation qui ne saurait être considérée comme un complément, voire un supplément de ressources.

Cette exigence est désormais confortée par les dispositions du décret n° 95-91 du 24 janvier 1995.

S'agissant plus particulièrement des unités de soins de longue durée (centres de séjour), indépendamment des dispositions sus-évoquées et des prescriptions de l'article 39 de la loi d'orientation du 30 juin 1975 qui écartent la double prise en charge, il convient d'observer que l'arrêt du Conseil d'Etat du 20 mars 1985, unique décision rendue en cette matière, n'ayant donc pas le caractère d'une jurisprudence, ne répond plus à la situation actuelle.

Le recours déposé concernait une situation antérieure à la mise en oeuvre des lois de décentralisation. Il était d'ailleurs formulé à l'encontre d'une décision prise par un préfet considérant qu'un établissement portant l'appellation de "centre de long séjour" ne pouvait être qualifié d'établissement "d'hébergement". Sur ce point- là, la réglementation a depuis fortement évolué.

En effet, s'il avait été plus ou moins admis que les centres de long séjour avaient pour mission fondamentale l'hébergement des personnes dépendantes, l'article L. 711-2 du Code de la santé publique introduit par la loi n° 91-748 du 31 juillet 1991 dispose explicitement que ces unités de soins de longue durée ont fondamentalement pour vocation de dispenser des soins et une surveillance médicale, leur fonction d'hébergement étant complémentaire. Leur nouvelle dénomination atteste précisément de cette nouvelle orientation, les centres de long séjour étant devenus des unités de soins de longue durée.

Ainsi, le département de l'Ardèche applique scrupuleusement les dispositions de l'article 6 bis du décret n° 77-1549 du 31 décembre 1977 stipulant que "l'allocation compensatrice est versée pendant les 45 premiers jours d'hospitalisation du bénéficiaire...".

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Cour des comptes - rapport public particulier – La décentralisation en matière d’aide sociale (décembre 1995) 175

Effectif PMI

Le département de l'Ardèche ne dispose en effet que d'une sage- femme. La configuration géographique du département, le maintien de plusieurs maternités en milieu rural nous ont conduit à privilégier l'action de cette sage-femme auprès des populations d'un secteur rural particulièrement éloigné des grands axes de communication.

Dans le même temps, le département a favorisé le recrutement de puéricultrices et d'infirmières afin d'améliorer la prévention aussi bien avant la naissance qu'après.

La définition de normes réglementaires en matière d'organisation de services me paraît antinomique avec l'esprit des lois de décentralisation. Les départements qui se sont vu confier des domaines de compétence en matière de prévention et d'actions médico- sociales sont à même d'organiser au mieux leurs services en fonction de leur situation démographique et géographique.

Réponse du président du conseil général de la DROME

1. Concernant le schéma relatif à l'enfance et à la famille

Il n'est pas exact de dire que le schéma, approuvé par l'assemblée départementale depuis le 27 mars 1995, s'arrête aux intentions et aux orientations générales puisqu'il décrit l'organisation nouvelle des services et les procédures nécessaires à son application ; par exemple, il développe la création du placement familial départemental par redéploiement des moyens de la maison départementale de l'enfance (59 personnes) pour mettre en oeuvre le choix politique de privilégier ce type de placement pour les enfants et de rendre à la maison départementale de l'enfance sa vocation première qui est l'accueil d'urgence et l'orientation.

Ce schéma prévoit également les domaines dans lesquels il sera complété par des chartes comprenant des objectifs chiffrés et leur mode d'évaluation, qui seront présentées à l'approbation de l'assemblée : la prévention spécialisée, l'AEMO, la politique d'évolution du "parc" des maisons d'enfants à caractère social .

Le schéma "politique" approuvé est complété par un manuel d'opérations qui se constitue au fur et à mesure de l'édition des notes de services techniques (modes de faire et contrôle de gestion).

Ce processus d'élaboration du schéma de l'enfance et de la famille correspond à la volonté du conseil général d'exprimer au plus vite ses priorités, sans attendre pour le faire que soient arrêtées les politiques sectorielles dans le détail, celles-ci ne pouvant être fixées sans négociations préalables avec les partenaires, ce qui nécessite du temps.

2. Concernant le schéma relatif aux personnes âgées

Il entre en phase de concertation avec les partenaires ; à l'époque où a été réalisée l'enquête, il était en phase d'élaboration technique.

3. S'agissant des informations contenuesdans l'annexe 3 au rapport particulier

Les domaines de l' aide sociale à l'enfance, d'une part, et des personnes âgées, personnes handicapées, d'autre part, nécessitent effectivement la reprise sous forme de règlements des dispositions existantes ; concernant les PA / PH, ce règlement ne pourra être publié qu'en concomitance avec les schémas correspondants.

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Cour des comptes - rapport public particulier – La décentralisation en matière d’aide sociale (décembre 1995) 176

4. Concernant le recours aux audits d'organisation

Pour la période 1989-1990, durant laquelle est intervenu un cabinet pour assister mon prédécesseur dans la réorganisation fondamentale de la direction sociale , il m'est difficile de répondre avec la plus grande précision : il ressort cependant de l'étude des documents que les objectifs essentiels semblent bien avoir été fixés dans le cadre d'une réflexion interne.

Concernant l'intervention fin 1993 d'un cabinet d'étude sur l'organisation des services, il convient de préciser le contexte particulier qui la rendait nécessaire : il était impératif pour la nouvelle équipe en place (président, directeur) de faire le bilan du fonctionnement d'une structure territoriale instituée deux ans auparavant, radicalement différente de celle qui préexistait et dont la mise en place avait été très perturbée notamment par le départ du directeur et un long intérim.

Est ressortie de cette étude la nécessité de procéder à des ajustements techniques, notamment pour l'application des directives politiques de la nouvelle majorité annoncées en 1992 et janvier 1993 : priorité à l'action en faveur de l'enfance et, dans le cadre de l'enfance, à la politique de prévention sans augmentation des effectifs et des moyens.

Il s'est donc bien agi de la part du cabinet d'une assistance technique, et non pas d'une assistance à la définition d'objectifs politiques.

Réponse du président du conseil général de l'ISERE

[Sur le règlement départemental d' aide sociale ]

Parler d'"absence de règlement dans l'Isère" n'est plus d'actualité depuis le vote le 3 juillet 1995 de la partie du règlement départemental relative aux aides financières allouées au titre de l' aide sociale à l'enfance.

Et l'élaboration se poursuit notamment avec le règlement de l'accueil provisoire ASE qui interviendra au BP 1996.

[Sur les règles de dévolution du financementdes placements]

Le Code de la famille indique que les prestations ASE sont attribuées par le président du conseil général du département où la demande a été présentée (attribuées, donc financées...).

En fait, les prestations ASE sont financées par le département de résidence des parents des enfants bénéficiaires, en tout cas pour les mesures administratives.

C'est aussi le plus souvent le cas pour les mesures prescrites par les tribunaux pour enfants, mais là encore, la règle du domicile de secours ne s'applique nullement : il peut arriver, en effet, que le financement d'un placement judiciaire, qui relève du département où la juridiction de décision a son siège, incombe à un département où les parents de l'enfant ne résident pas.

Pour ce qui concerne l' aide médicale, il convient aussi de préciser que la loi n° 92-722 du 28 juillet 1992 portant réforme de l' aide médicale a supprimé en ce domaine d' aide sociale la règle du domicile de secours.

Cette nouvelle réglementation subordonne désormais le droit à l' aide médicale à une condition de résidence comme l'atteste l'article 187-1 du code de la famille et de l' aide sociale .

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Cour des comptes - rapport public particulier – La décentralisation en matière d’aide sociale (décembre 1995) 177

[Sur les disparités des taux d'équipement]

Dire que les règles de dévolution des financements des placements auraient induit d'importantes disparités d'équipement entre les départements néglige le fait que depuis la loi sociale de 1975, les préfets puis les présidents des conseils généraux ont dû veiller à ajouter le niveau départemental d'équipement à celui des besoins recensés, en matière d'ASE en tout cas.

Par ailleurs, on ne peut pas interpréter le fait que l'Isère place des enfants hors département, uniquement comme la preuve d'un sous- équipement.

Car, à l'inverse, il y a aussi des enfants de départements extérieurs qui séjournent dans les établissements isérois.

Le manque de place en Isère existe à un moment donné pour un profil de jeune déterminé sur une zone géographique déterminée, comme sans doute, dans la plupart des départements importants.

Mais il est également évident que le souci de restreindre l'éloignement entre le lieu de placement de l'enfant et celui de résidence de sa famille conduit, dans le Nord-Isère notamment, les responsables du conseil général de l'Isère à préférer un établissement du Rhône à ceux du Sud-Isère.

Ce phénomène n'est pas nécessairement préjudiciable en soi, mais pourrait conduire à une approche interdépartementale plus active dans ce domaine.

Réponse du président du conseil général du RHONE

[Sur le partenariat avec les associations]

Le commentaire relatif aux conséquences de la décentralisation sur la situation du secteur associatif et la faculté de ce dernier d'apporter de manière souple et rapide des réponses à des besoins nouveaux mériterait, à mon sens, des compléments. Ceux-ci pourraient éclairer par là même, l'analyse présentée quant aux rapports entre le département et les associations en matière de tarification et de contrôle.

La décentralisation devrait permettre au département de consolider la dimension associative des institutions médico- sociales oeuvrant dans son champ de compétence. Pour notre société et notre démocratie, l'enjeu est de taille.

Malheureusement, la réglementation relative à la tarification, la réalité des rapports de force entre les administrateurs des associations et leurs salariés, le mécanisme centralisé de l'évolution des conventions collectives ne permettent que rarement au département de disposer, dans un environnement de rigueur budgétaire, d'associations ayant la faculté de s'adapter aussi facilement et rapidement aux contraintes et besoins nouveaux de l'action médico- sociale .

Il convient aussi de préciser que ces remarques demeurent pertinentes pour les établissements et services soumis à la tarification dite du prix de journée.

De nombreuses associations se voient par ailleurs confier certaines missions d'intérêt général par le biais d'une convention fixant les objectifs, les modalités de contrôle et d'évaluation et le montant des concours financiers du département.

Ces dernières procédures sont sans doute plus adaptées à la décentralisation au sens où le débat, l'analyse et les ressources humaines respectives sont davantage mobilisés par le résultat ou les effets de l'action engagée que par la vérification

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Cour des comptes - rapport public particulier – La décentralisation en matière d’aide sociale (décembre 1995) 178

pointilleuse du bon enregistrement, dans un budget d'établissement, des conséquences des derniers avenants à la convention collective. Les réflexions et expérimentations en cours dans le Rhône avec l'URIOPSS et les associations montrent que des voies nouvelles sont à explorer.

Pour le placement familial, il serait plus judicieux de replacer le placement familial confié par le département à une association spécialisée dans le domaine des personnes âgées et des personnes handicapées dans le contexte plus large de la politique départementale en matière de placement familial.

En effet, le département contrôle et gère directement 448 familles d'accueil pour les enfants. Il a confié par ailleurs la gestion d'environ 205 familles d'accueil pour mineurs à une association. Il a effectivement confié aussi la gestion et le contrôle de 26 familles d'accueil spécialisées pour les personnes âgées ou handicapées.

[Sur le schéma départemental]

En effet, le Rhône a adopté le schéma du secteur des handicapés adultes en décembre 1994. Il a été élaboré en liaison avec l'Etat. La décision de mettre en oeuvre le schéma départemental des équipements et services en faveur des personnes âgées a été prise en novembre 1993 et le schéma définitif devrait être adopté en 1996. Il représente une mise à jour du dernier schéma adopté en 1985. Le département du Rhône a aussi lancé une vaste concertation locale avec l' aide d'experts nationaux en vue d'élaborer un schéma départemental d'action sociale . Ce dernier devrait permettre d'aborder les problèmes d'action sociale sous un angle plus qualitatif que quantitatif.

Réponse du président du conseil général de la SAVOIE

"Des tensions croissantes sur les finances de certaines communes"

"D'importants retards de paiement ont été constatés : ils atteignent plusieurs mois dans la Savoie."

S'il est patent que des retards de paiement existent, il faut souligner que ceux-ci ne sont pas le fait de toutes les communes. Seule une minorité de communes règle avec retard sans que l'on puisse faire de manière automatique un rapprochement avec d'éventuelles difficultés budgétaires.

Des longs délais de paiement peuvent également exister pour d'autres dépenses. La gestion de la trésorerie par le biais des "dettes fournisseurs" se répand dans le secteur public local.

Au-delà de ces considérations de délais de règlement, il est vrai, comme le souligne la Cour, que le cadre législatif et réglementaire en vigueur rend le mécanisme de la contribution communale complexe et donc peu compréhensible.

Mais, dans l'état actuel des textes, comment procéder différemment ?

"Des besoins mal connus"

"Le département de la Savoie dépend pour l'essentiel d'études conduites par les services de l'Etat dont les conclusions ne lui sont pas toujours communiquées."

Cette affirmation est exacte, mais pour un seul domaine de l'action sociale conduite par le département : celui de la médicalisation des établissements de personnes âgées. Effectivement, sur ce point précis, les données recueillies par la DDASS n'ont pas toujours été connues des services du département.

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Cour des comptes - rapport public particulier – La décentralisation en matière d’aide sociale (décembre 1995) 179

Dans tous les autres domaines, l'appréciation des besoins est réalisée par le département :

- à partir d'études menées localement avec les maires et l'Etat (DDASS) pour les créations d'établissements de personnes âgées ;

- à partir d'études menées conjointement avec l'Etat (DDASS et DDTE) pour les besoins des adultes handicapés ;

- à partir d'études menées conjointement avec l'Etat (préfecture, DDTE, DDASS, DDE) pour les besoins liés à la lutte contre l'exclusion ;

- à partir d'études menées conjointement avec l'Etat (protection judiciaire de la jeunesse) pour les besoins en protection de l'enfance.

Le département de la Savoie ne dépend pas de l'Etat pour les études de besoins, il les réalise le plus souvent conjointement puisque la répartition des compétences dans le domaine social a organisé une intrication permanente de ces deux instances.

Exemple : la qualité de l'hébergement offert aux personnes âgées (compétence du département) dépend directement du niveau de médicalisation décidée par la DDASS.

Comment imaginer les besoins en hébergement des adultes handicapés (compétence conseil général) sans connaître la montée des jeunes handicapés (compétence DDASS).

Comment définir une politique de protection de l'enfance (compétence du conseil général) sans connaître les besoins du tribunal pour enfants (ministère de la justice).

"Des relations parfois difficiles avec les organismes de sécurité sociale "

Effectivement, l'articulation entre régime d' aide médicale et organismes de sécurité sociale peut être une source de difficultés.

Le régime d'assurance personnelle actuel rend difficile le contrôle des cotisations versées à l'URSSAF.

En Savoie, effectivement, au moment de l'enquête, en 1993, le département ne pouvait être certain qu'il payait bien à juste titre les cotisations pour 130 bénéficiaires sur 400 recensés. Une procédure existe maintenant depus 1994 qui, par un contrôle systématique des admissions, a réduit notre marge d'incertitude au plus bas. Ainsi, la Savoie a un rapport assurances personnelles bénéficiaires du RMI de 11,5 p. 100 alors que la moyenne nationale est de 20 p. 100.

Les associations

En Savoie, le département a décidé de privilégier l'action de deux associations financées en vue de favoriser le maintien à domicile des personnes âgées.

En Savoie, la politique en faveur des personnes âgées a reposé sur deux volontés :

1° Améliorer considérablement et rapidement les conditions d'hébergement des personnes âgées en établissements, le mot d'hospices étant une réalité pour nombre de lits en 1985. Cette volonté s'est traduite par l'humanisation de lits (592 lits en dix ans), ouverture de places (451 places en dix ans) et par un renforcement du personnel auprès des personnes âgées (ratio de 0,42 en maison de retraite et de 0,68 en USLD aujourd'hui).

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Cour des comptes - rapport public particulier – La décentralisation en matière d’aide sociale (décembre 1995) 180

2° Favoriser le développement du maintien à domicile en soutenant les initiatives locales. La Savoie n'a pas souhaité être gestionnaire direct de services à vocation départementale mais a préféré accompagner les réalisations communales ou associatives.

Cela se traduit par :

- des subventions aux communes pour les différents services qu'elles gèrent (portage de repas, téléalarme, etc.) grâce à un fonds pour le développement des actions de proximité ;

- des subventions aux différentes associations de personnes âgées ;

- aide aux services ménagers :

UDASSAD : 620 000 F.

ADMR : 280 000 F.

Arche en Ciel : 350 000 F.

SPAD : 140 000 F.

- aide à l'information des personnes âgées :

ADAMSPA : 204 000 F.

- aide aux activités, loisirs :

Fédération clubs ruraux : 116 000 F.

Fédération clubs urbains : 18 800 F.

ADAPPA : 50 000 F.

Le soutien du département aux différentes associations concerne des activités précises et non le développement de politiques d'ensemble. Depuis une délibération du conseil général apportant son soutien, à l'origine (il y a plus de quinze ans), à l'UDASSAD et l'ADMR, les choix se sont diversifiés.

"Une définition éclatée des politiques d' aide sociale . Une articulation insuffisante dans la définition des différents schémas d'intervention"

Cette affirmation générale ne peut qu'être approuvée. Le secteur social souffre encore d'un trop grand cloisonnement des différents lieux où se décident les différentes approches sociales , même si des tentatives se font jour de plus en plus souvent pour dépasser cette difficulté.

Les constats suivants sont également exacts. La consultation des départements pour l'élaboration du SROSS a été quasiment inexistante en Rhône-Alpes.

"Le développement des actions conduites par les OSS et les communes a accentué l'éclatement des compétences et l'affaiblissement du rôle des départements"

Il est peut-être un peu rapide de conclure que l'intervention des OSS dans la politique des personnes âgées conduit à l'affaiblissement du rôle des départements : il serait plus exact d'affirmer que ces interventions contribuent à la complexité du système et rendent le pilotage de cette politique encore plus complexe. Par exemple, en Savoie, la gestion par le CAL-PACT, organisme très soutenu par le conseil général, des dossiers d'amélioration de l'habitat de la CRAM est plutôt un renforcement de la politique du conseil général qu'un affaiblissement grâce à une bonne articulation CRAM - CAL-PACT - conseil général.

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Cour des comptes - rapport public particulier – La décentralisation en matière d’aide sociale (décembre 1995) 181

"En Savoie, le département dispose de peu d'informationsur le maintien à domicile"

Le conseil général dispose d'une vision très précise de l'ensemble des services de maintien à domicile des personnes âgées du département et peut renseigner à tout moment sur l'existence de tel ou tel service dans tel coin du département. Par contre, le conseil général ne dispose d'aucune étude précise sur les bénéficiaires de ces services : leur âge, leur état de dépendance, leurs possibilités financières, etc. L'éclatement des structures gestionnaires rend cette perception d'ensemble très difficile et nécessiterait le lancement d'une étude lourde.

"La complexité du dispositif actuel nuit à l'efficacité des réponses apportées... au vieillissement de la population"

Affirmation exacte, mais la complexité étant une réalité difficile à gommer dans notre système social actuel (et à venir), la recherche de solutions (comme la coordination, ou la désignation de référents) pour contourner cette complexité (qui est par ailleurs source de richesse, chaque composante apportant des moyens et des méthodes) paraît une meilleure solution que la recherche d'une gestion unique.

La prise en charge de la dépendance

"En Savoie, la progression... est de 102 p. 100 de 1988 à 1993." Ces données sont exactes et les commentaires généraux nous paraissent fondés.

"La Savoie a tenté d'estimer ses besoins en terme de médicalisation en partant d'une grille de dépendance."

Grilles Colvez puis Kuntzmann à compter de 1993, sachant que la DASS l'utilisait pour l'attribution des forfaits médicaux.

Le suivi des bénéficiaires du RMI

"En Savoie, aucun outil n'est disponible."

Il est vrai qu'aucun instrument ne permet actuellement de connaître le parcours d'insertion suivi par un bénéficiaire du RMI : la seule informatisation en place porte sur le volet "versement de la prestation" et non sur le volet insertion.

Les commissions locales d'insertion, installées en 1990, ne disposent pas d'outils informatiques qui leur permettraient de recenser les parcours des bénéficiaires (ces données étant connues des accompagnateurs).

L'expérience vécue en Savoie à travers le PLIE (plan local d'insertion économique) mené à Chambéry démontre la difficulté de créer cet outil de suivi.