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" G r a n d ang le"

: Chawla, Navin (texte) & Rai, Raghu (photographies) : Mère Teresa. Foi et compassion. Mareuil, Arnaud de : Lanza del Vasto. Sa vie, son œuvre, son message.

: Gravelaine, Joëlle de : La Déesse sau- vage. Les divinités féminines : mères et prostituées, magiciennes et initiatrices.

: Borg-Hoffmeister : Nos cinq sourires cardinaux. Cameron, Julia : Libérez votre créati- vité. Osez dire oui à la vie! Cameron, Julia : La Veine d'or. Exploi- tez votre richesse intérieure. Murdock, Maureen : Le Parcours de l'héroïne, ou la féminité retrouvée. Parfitt, Will : Comment abattre nos murs intérieurs. L'élimination de nos blocages. Pierrakos, Eva : Le Chemin de la transformation. Raquin, Bernard : Rire pour vivre. Saint Girons, Benoît : L'Alchimie du Succès. Wilde, Stuart : Demain sera un jour meilleur ! Pour nous adapter aux mutations du XXI siècle.

: Hark, Helmut : La Force de guérison de l'Arbre de vie. Laskow, Leonard (D : L'Amour, énergie subtile de la guérison. Stévanovitch, Vlady : La Voie de l'énergie. L'éveil et le développement du Chi, ou énergie vitale.

: Muller, Jean-Marie & Refalo, Alain : Vers une culture de non-violence.

: Chôdron, Thubten : Cœur ouvert, esprit clair. La pratique du bouddhisme tibétain au quotidien. Feuga, Pierre : Tantrisme. Doctrine, pratique, art, rituel... Finley, Mitch : Messages d'amour de l'au-delà. Ingram, Catherine : Dans les traces de Gandhi. La force de la non-violence. Rutledge, Don & Robinson, Rita : Le Chant de la Terre. La spiritualité des Amérindiens. Vincent, Ken R. : Visions divines lors d'états proches de la mort.

Arnold, Roland : Le Temple de l'âme. La Parole divine du corps humain. Barbault, André : Prévisions astro- logiques pour le nouveau millénaire. Berno, Simone : Tarot et psychologie des profondeurs. Bourre, Jean-Paul : Le Message des prophètes. Gabut, Jean-Jacques : La Magie tra- ditionnelle. Louvigny, Philippe de : Les Nombres, reflet de l'âme, clé du devenir.

Lachaud, René : Magie et initiation en Égypte pharaonique. Lachaud, René : Templiers. Cheva- liers d'Orient et d'Occident.

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« Grand angle / Sociétés »

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OUVRAGES DU MÊME AUTEUR

L'Évangile de la non-violence (Fayard; 1969). Le Défi de la non-violence (Le Cerf; 1976). César Chavez, un combat non-violent (en collaboration avec Jean Kalman)

(Fayard/Le Cerf; 1977). Stratégie de l'action non-violente (coll. Points. Politique, Le Seuil; 1981). Vous avez dit : «Pacifisme» ? De la menace nucléaire à la défense civile non-

violente (Le Cerf; 1984). La Dissuasion civile (en collaboration avec Christian Mellon & Jacques Seme-

lin) (Fondation pour les études de Défense nationale ; 1985). Lexique de la non-violence (Institut de recherche sur la résolution non-violente

des conflits; 1988). La Nouvelle Donne de la paix (Témoignage chrétien; 1992). Désobéir à Vichy, la résistance civile de fonctionnaires de police (Presses uni-

versitaires de Nancy; 1994). Gandhi, la sagesse de la non-violence (Desclée de Brouwer; 1994). Simone Weil, l'exigence de non-violence (Prix Anne de Jaeger) (Desclée de

Brouwer; 1995). Le Principe de non-violence, parcours philosophique (Desclée de Brouwer;

1995; Marabout; 1999). Comprendre la non-violence (en collaboration avec Jacques Semelin) (Non-

violence actualité; 1995). Guy Riobé et Jacques Gaillot, portraits croisés (Desclée de Brouwer; 1996). Paroles de non-violence (Albin Michel ; 1996). Principes et méthodes de l'intervention civile (Desclée de Brouwer; 1997). Gandhi l'insurgé : l'épopée de la marche du sel (Albin Michel ; 1997). Les Moines de Tibhirine, «témoins» de la non-violence (Témoignage chrétien;

1999). Paroles de bonté (Albin Michel ; 1999).

ISSN : 1160-3380 ISBN : 2-7033-0503-6

© Éditions Dangles - Saint-Jean-de-Braye (France) - 2000

Tous droits de traduction, de reproduction et d'adaptation réservés pour tous pays.

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Jean-Marie Muller en collaboration avec A l a i n Refalo

Vers u n e c u l t u r e d e n o n - v i o l e n c e

Ouvrage publié sous la direction d'Aline Apostolska

Editions Dangles 18, rue Lavoisier

45800 SAINT-JEAN-DE-BRAYE

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Jean-Marie MULLER :

Né à Vesoul en 1939, Jean-Marie Mul- ler a été officier de réserve avant de s'en- gager dans la voie de la non-violence. En 1969, le tribunal correctionnel d'Orléans le condamne à cinq ans de privation de ses droits civiques pour avoir renvoyé son livret militaire au ministre des Armées. En 1983, le ministre de la Défense lui demande une étude sur la défense civile non-violente.

Membre-fondateur du Mouvement pour une alternative non-violente (M. A.N.), il est directeur des études à l'Institut de recherche sur la résolution non-violente des conflits (I.R.N.C.).

Écrivain, Jean-Marie Muller est l'auteur de nombreux ouvrages de réfé- rence sur la philosophie de la non-violence et sur la stratégie de l'action non- violente dont plusieurs sont publiés à l'étranger. Il est notamment l'auteur de Gandhi l'insurgé et Le Principe de non-violence.

A l a i n R E F A L O :

Né à Toulouse en 1964, Alain Refalo vit à Montreuil (Seine-Saint-Denis) où il exerce le métier d'instituteur en école primaire.

Depuis 1982, il est membre du Mouve- ment pour une alternative non-violente (M.A.N.), dont il a été secrétaire national entre 1988 et 1990. Objecteur de conscience, il a effectué un service civil durant deux ans (1985-1987) dans un centre de formation à la paix.

Depuis 1985, il travaille avec l'Institut de recherche sur la résolution non-violente des conflits (I.R.N.C.) au sein duquel il a réalisé une étude sur « Le rôle des associations dans une stratégie de dissuasion civile» (1988).

Il est membre du comité d'orientation de la revue trimestrielle Alter- natives non-violentes, qui est associée à l'I.R.N.C. En 1997, il a publié Tolstoï, la quête de la vérité (Desclée de Brouwer).

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Introduction

A L'AUBE d'un nouveau millénaire, il apparaît que les événements qui ont marqué le XX siècle mettent en relief deux faits majeurs : les crimes contre l'humanité, qui ont violenté et meurtri des mil-

lions de femmes et d'hommes de par le monde, et l'émergence de luttes non-violentes pour les droits de l'homme, qui ont donné une espérance nouvelle aux humbles et aux opprimés. Paradoxalement, la non-violence est née dans le siècle où la barbarie de l'homme a atteint des degrés inimaginables dans l'horreur.

Ce siècle aura vu la domination meurtrière de dictateurs comme Hitler et Staline, mais aussi l'irruption et le rayonnement d'hommes comme Gandhi et Martin Luther King, dont les convictions et les com- bats demeurent des références pour aujourd'hui et demain.

La non-violence a ouvert une brèche dans les murailles de la vio- lence. Désormais, une faible lumière éclaire sous un jour nouveau la destinée des hommes et des peuples. Se révèle ainsi une nouvelle espé- rance dont l'absence ne nous laissait entrevoir qu'une issue absurde à l'Histoire. À la suite de Gandhi et de King, de nombreux peuples, refu- sant à la fois la facilité et l'absurdité de la violence, ont mis en œuvre cette force authentique : la non-violence. Celle-ci, en quelques décennies, a remporté des victoires aussi inattendues qu'impensables, prenant à rebours nos cadres de référence habituels. Que l'on pense seulement à l'effondrement des régimes communistes en Europe de l'Est sous la pression pacifique des sociétés civiles ! En cinquante ans, les luttes non- violentes ont connu d'importants développements sur tous les continents, et il est légitime de penser que cela inaugure un fait culturel majeur dans l'histoire de l'humanité. Ainsi, un nouveau face-à-face historique, celui de la violence et de la non-violence, a-t-il commencé ; si les forces de la violence sont très largement supérieures aujourd'hui à celles de la

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non-violence, ces dernières sont loin d'avoir exprimé toutes leurs poten- tialités.

Cependant, en France comme ailleurs, la non-violence demeure encore largement méconnue. Son évocation suscite bien souvent le scepticisme et l'incrédulité de ceux qui se veulent « réalistes ». En vérité, bien peu encore sont ceux qui réfléchissent à la signification de la non- violence, que ce soit comme philosophie et sagesse ou comme méthode d'action et stratégie. Quels sont les lieux «publics» et les milieux «auto- risés» où l'on parle véritablement de «non-violence»? Ne serait-ce qu'à la télévision : ils sont quasi inexistants les reportages, les émissions, les débats, les fictions consacrés à la non-violence, tandis que chaque jour la violence envahit et domine le petit écran.

En France, depuis près de trente ans, Jean-Marie Muller tente de relever le formidable défi que nous lance la non-violence. Professeur de philo- sophie jusqu'en 1970, il a quitté l'enseignement pour se consacrer à des travaux de recherche sur la non-violence et à sa mise en œuvre sur le plan de la formation et de l'action. Son nom apparaît sur la place publique à Orléans, en janvier 1969, lors d'un procès où il comparaît avec deux autres Orléanais pour avoir renvoyé son livret militaire. Deux ans aupa- ravant, il avait demandé, en tant qu'officier de réserve, à bénéficier du statut d'objecteur de conscience. Il sera condamné à trois mois de prison avec sursis et à cinq ans de privation de ses droits civiques.

Écrivain, il est l'auteur de nombreux ouvrages de référence sur la philosophie de la non-violence et la stratégie de l'action non-violente, dont plusieurs ont été publiés à l'étranger. Fin connaisseur de la pensée et de l'action de Gandhi, dont il ne cesse de s'inspirer, il a publié récem- ment Gandhi l'insurgé : l'épopée de la marche du s e l , analyse rigou- reuse de la magistrale campagne de désobéissance civile de Gandhi. S'il consacre une grande part de son temps à l'écriture, Jean-Marie Muller est d'abord un militant de la non-violence. «Le philosophe peut- il réfléchir sur la non-violence s'il n'est pas lui-même un "militant" ? » s'interroge-t-il dans son livre : Le Principe de non-violence, parcours philosophique. Poursuivant son interrogation, il ajoute : «Ne convient- il pas de mettre en question l'image du philosophe qui réfléchit en se tenant à l'écart des conflits de la cité ? Comme si le fait de ne pas s'enga- ger, de ne pas prendre parti permettait de mieux réfléchir... Ne faut-il

1. Albin Michel; 1997. 2. Desclée de Brouwer; 1995.

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pas affirmer, au contraire, que si la philosophie est une réflexion sur l 'action, le philosophe ne peut pas ne pas agir et, qu 'en ce sens il ne peut pas ne pas être un mili tant? Nous pensons en effet qu ' i l faut procéder à une réhabilitation philosophique de la militance. »

Fidèle à ce principe, il participera à plusieurs actions d 'envergure : en juin 1970, il entreprend une grève de la faim de quinze jours pour dénoncer les ventes d ' a rmes au Brésil, ce qui suscite un large débat public sur le commerce des armes ; en 1973, il participe à l 'équipée du «batail lon de la pa ix» menée dans le Pacifique, pour protester contre les essais nucléaires français. Avec Jacques de Bollardière, il se trouve à bord du Fri, lorsque ce voilier est arraisonné par la Marine nationale à l ' intérieur de la zone interdite autour de Mururoa. Voulant donner une

expression politique à la non-violence, il prend l 'initiative, en 1974, de créer le Mouvement pour une alternative non-violente (M.A.N.), fédé- ration nationale de groupes non-violents, dont il est aujourd'hui le porte- parole. Avec le M . A . N . il par t ic ipe à la créat ion du Front auto- gestionnaire, qui présentera de nombreux candidats à l 'occasion des élections législatives de 1978. Avec le recul du temps, il apparaît aujour- d 'hui que le Front autogestionnaire, par son posi t ionnement politique qui entendait affirmer une identité écologiste de gauche, était le pré- curseur du parti des Verts qui, bien des années plus tard, décidera de se situer au sein de la gauche plurielle. En 1982-1983, avec le M.A.N., il participe activement à la campagne pour la nouvelle loi sur l 'objection de conscience qui, entre autres, donne aux réservistes la possibili té d 'obtenir le statut légal d 'objecteur de conscience.

Durant l 'été 1987, Jean-Marie Muller se rend en Pologne, où il ren- contre les principaux leaders de l 'opposi t ion démocratique, alors dans la clandestinité. La résistance polonaise avait traduit et publié illéga- lement, en 1985, son ouvrage Stratégie de l 'act ion n o n - v i o l e n t e , un classique paru en France en 1972. La grille de lecture de la non-violence appliquée à la situation des régimes totalitaires de l 'Est s 'avérera parti- culièrement féconde pour définir une stratégie de résistance non-violente qui aboutira finalement à la chute du mur de Berlin.

Anticipant sur les événements de 1989, Jean-Marie Muller écrit dès 1985 : «Il s'avère que, si le pouvoir totalitaire est parfaitement armé pour briser toute révolte violente, il se trouve largement désemparé pour faire

3. Qui sera rejoint par le PSU et quelques rares groupes écologistes. 4. Coll. Points. Politique, Le Seuil; 1981 (première édition Fayard; 1972).

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f a c e à la r é s i s t a n c e n o n - v i o l e n t e d e t o u t u n p e u p l e q u i s ' e s t l i bé r é de la

peur . [ . . . ] A i n s i d o n c , la n o n - v i o l e n c e , d o n t les e sp r i t s d o c t r i n a i r e s p r o - f e s s e n t q u ' e l l e f a i t le j e u d e s r é g i m e s t o t a l i t a i r e s , s ' a v è r e e n r é a l i t é l ' a r m e la m i e u x a p p r o p r i é e p o u r les c o m b a t t r e . » Fo rce es t de r e c o n n a î t r e

q u ' à l ' é p o q u e b i e n p e u d ' o b s e r v a t e u r s é t a i e n t p r ê t s à p a r t a g e r ce p o i n t d e vue .

L a qua l i t é r e c o n n u e d e s é tudes en t r ep r i s e s p a r le M . A . N . sur les ques -

t i ons d e d é f e n s e t r o u v e u n d é b o u c h é i n s t i t u t i o n n e l e n 1983 l o r s q u e le m i n i s t r e d e la D é f e n s e , C h a r l e s H e r n u , d e m a n d e à J e a n - M a r i e M u l l e r

d e c o n d u i r e u n e é t u d e s u r les p o s s i b i l i t é s d e la r é s i s t a n c e n o n - v i o l e n t e

d a n s le c a d r e de la « d é f e n s e g l o b a l e » de la F rance . P o u r la p r e m i è r e fois e n F r a n c e , u n g o u v e r n e m e n t a c c o r d a i t u n e o re i l l e a t t en t ive à l a n o n - v i o l e n c e e t f i n a n ç a i t u n t rava i l d e r e c h e r c h e f o n d a m e n t a l e . C e t t e é t u d e ,

r é a l i s é e e n c o l l a b o r a t i o n a v e c C h r i s t i a n M e l l o n e t J a c q u e s S e m e l i n , e s t p u b l i é e e n 1985 p a r l a F o n d a t i o n p o u r les é t u d e s d e D é f e n s e n a t i o n a l e

s o u s le t i t re L a D i s s u a s i o n civile. C e t t e p u b l i c a t i o n e s t à l ' o r i g i n e d e la c r é a t i o n d e l ' I n s t i t u t de r e c h e r c h e s u r l a r é s o l u t i o n n o n - v i o l e n t e d e s

c o n f l i t s ( I . R . N . C . ) , d o n t J e a n - M a r i e M u l l e r e s t a u j o u r d ' h u i d i r e c t e u r

d e s é t u d e s . A v e c l ' I . R . N . C . , il c o n t r i b u e , p a r d e m u l t i p l e s c o n t a c t s

i n s t i t u t i o n n e l s , à so r t i r la n o n - v i o l e n c e de s a m a r g i n a l i t é e n e s s a y a n t de

fa i re e n so r t e q u ' e l l e so i t r é e l l e m e n t p r i s e e n c o m p t e p a r les d é c i d e u r s .

C e f a i san t , il n ' e n t e n d p a s r e s t e r « a u - d e s s u s d e la m ê l é e » , m a i s a g i r p o u r q u e la n o n - v i o l e n c e i n c a r n e u n e n o u v e l l e e s p é r a n c e d a n s la v i e de n o s s o c i é t é s m a l a d e s d e la v i o l e n c e .

C o n f é r e n c i e r e t f o r m a t e u r , il p a r c o u r t l ' H e x a g o n e et d e n o m b r e u x

p a y s , e n E u r o p e e t d a n s le m o n d e , p o u r s e n s i b i l i s e r et c o n v a i n c r e ses aud i to i r e s d e la s a g e s s e et d e la force d e la n o n - v i o l e n c e . U n e c o n f é r e n c e

de J e a n - M a r i e M u l l e r es t t o u j o u r s u n é v é n e m e n t . S a v o i x , s o n h u m o u r ,

la c l a r t é de ses a n a l y s e s , s e s r e p a r t i e s « d é s a r m a n t e s » n e l a i s s e n t p a s

i nd i f f é r en t . E t s ' i l d é r a n g e o u a g a c e p a r f o i s p a r s o n à - p r o p o s qu i n e

la i sse a p p a r a î t r e a u c u n e fa i l le , o n es t g é n é r a l e m e n t e n c l i n à r e s p e c t e r sa

f o r c e d e c o n v i c t i o n q u i s ' e x p r i m e à t r a v e r s u n r a i s o n n e m e n t t rès ca r t é - s ien . C e s d e r n i è r e s a n n é e s , inv i t é p a r d e s a s s o c i a t i o n s et m o u v e m e n t s d e d é f e n s e d e s d r o i t s d e l ' h o m m e , il a e f f e c t u é p l u s i e u r s s é j o u r s a u

L i b a n et a u T c h a d , o ù il a a n i m é d e s c y c l e s d e f o r m a t i o n à la r é s o l u t i o n n o n - v i o l e n t e des conf l i t s . P a r a i l leurs , il a p a r t i c i p é à p l u s i e u r s m i s s i o n s

d e p a i x a u N i c a r a g u a et e n C o l o m b i e .

P a r c e q u e J e a n - M a r i e M u l l e r es t à la fo is p h i l o s o p h e e t mi l i t an t , s o n

p a r c o u r s e s t j a l o n n é d e r é f l e x i o n s et d ' a c t i o n s qu i se c o n j u g u e n t p o u r

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d o n n e r u n c o n t e n u r a t i o n n e l et c o h é r e n t à l a n o n - v i o l e n c e , q u ' i l a lar -

g e m e n t c o n t r i b u é à so r t i r d e s é q u i v o q u e s e t m a l e n t e n d u s o ù e l le é ta i t e n f e r m é e . L e s n o m b r e u x o u v r a g e s a i n s i q u e les a r t i c l e s q u ' i l a p u b l i é s

d a n s la p r e s s e n a t i o n a l e et la p r e s s e m i l i t a n t e o n t f a i t de lui , a u f i l d e s a n n é e s , u n e v é r i t a b l e r é f é r e n c e i n t e l l e c t u e l l e s u r l a q u e s t i o n , e n F r a n c e

et au -de là . C ' e s t p o u r q u o i , à l ' a u b e d u XXI s ièc le , il m ' a p a r u i n t é r e s s a n t

de r a p p e l e r q u e l l e s f u r e n t les g r a n d e s é t a p e s de s a r é f l e x i o n e n p u b l i a n t u n e s é l e c t i o n d e ses a r t i c l e s . C e u x - c i d o n n e r o n t a u l e c t e u r u n e j u s t e

i dée de ce t t e s a g e s s e de la n o n - v i o l e n c e , q u e J e a n - M a r i e M u l l e r n o u s

p r o p o s e c o m m e u n e a l t e r n a t i v e r a i s o n n a b l e à l ' i d é o l o g i e d o m i n a n t e qu i c o n s i d è r e la v i o l e n c e c o m m e « n é c e s s a i r e , l é g i t i m e e t h o n o r a b l e » .

C e t t e s é l e c t i o n p a r m i les q u e l q u e t r o i s c e n t s a r t i c l e s p u b l i é s p a r

J e a n - M a r i e M u l l e r , j e l ' a i r é a l i s é e d a n s le s o u c i d e d o n n e r u n a p e r ç u

aus s i l a rge q u e p o s s i b l e d e s t h è m e s s u r l e s q u e l s il s ' e s t e x p r i m é d u r a n t

t o u t e s ces a n n é e s : la p h i l o s o p h i e d e la n o n - v i o l e n c e , le c h r i s t i a n i s m e et les Égl i ses , les « t é m o i n s » de la n o n - v i o l e n c e , la r é s i s t a n c e an t i to ta l i t a i re

à l ' E s t , la p o l i t i q u e d e d é f e n s e d e la F r a n c e , e t d e n o m b r e u x s u j e t s

d ' a c t u a l i t é , s u r le p l a n t a n t n a t i o n a l q u ' i n t e r n a t i o n a l . A t r a v e r s c e s

« s e m e n c e s d e n o n - v i o l e n c e », le l e c t e u r p o u r r a a i n s i a p p r é c i e r la c o h é -

r e n c e e t la c l a r t é d ' u n e p e n s é e qui , à l ' o p p o s é d e t o u t d o g m a t i s m e , n o u s

inv i t e à u n e n g a g e m e n t for t , f a c e a u x g r a n d s d é f i s d e n o t r e t e m p s .

Il m ' a p a r u o p p o r t u n , à l ' o c c a s i o n d e la p u b l i c a t i o n de ce r e c u e i l

d ' a r t i c l e s , de q u e s t i o n n e r J e a n - M a r i e M u l l e r s u r les p r i n c i p a u x a s p e c t s de ce t t e p h i l o s o p h i e d e la n o n - v i o l e n c e , p i e r r e a n g u l a i r e d ' u n e c u l t u r e

de la n o n - v i o l e n c e qu i res te à c o n s t r u i r e . L ' e n t r e t i e n qu i o u v r e ce r e c u e i l

se p r o p o s e d o n c d ' a l l e r p l u s l o i n d a n s la r é f l e x i o n s u r l a s i g n i f i c a t i o n d e la v i o l e n c e e t d e la n o n - v i o l e n c e d a n s n o s c u l t u r e s e t n o s t r ad i t i ons .

B i e n l o i n de la p e n s é e u n i q u e e t d e s c o n f o r m i s m e s , J e a n - M a r i e M u l l e r

n o u s p r o p o s e u n g r a n d dé f i , c e l u i de « d é c o u v r i r d e s r é f é r e n t s é t h i q u e s

un ive r se l s » qu i p e r m e t t e n t a u x h o m m e s « d e v iv re e n b o n n e i n t e l l i gence

les u n s a v e c les a u t r e s », a u - d e l à de t o u s les p a r t i c u l a r i s m e s qu i , t r o p s o u v e n t , l es o p p o s e n t d a n s d e s c o n f l i t s m e u r t r i e r s .

A l a i n R e f a l o .

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PREMIERE PARTIE

(interview)

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Différentes approches peuvent être faites de cette culture de la violence qui domine en effet nos sociétés. La première qui vient d'emblée à l'esprit s'appuie sur l'héritage de l'idéologie militaire. L'histoire qui nous a été enseignée, et dont le souvenir est très pro- fondément ancré dans notre mémoire collective, est celle de nos guerres. Ce serait une erreur de penser que cela appartient désor- mais au passé. Cela structure aujourd'hui encore, pour une part importante, notre identité citoyenne. Il suffit pour preuve d'obser- ver que la majorité des Français semble parfaitement s'accom- moder des paroles de leur hymne national, qui les appellent à prendre les armes pour qu'un « sang impur» abreuve leur terre... Changer des paroles aussi déraisonnables apparaît impensable à la plupart d'entre eux. Et lors de la fête nationale, les citoyens français sont invités à venir applaudir l'armée qui parade en fai- sant admirer les dernières inventions de la technologie militaire. Pourtant, que je sache, le 14 juillet 1789, ce n'est pas l'armée qui a pris la Bastille, mais c'est la Bastille qui fut prise à l'armée...

?

Je n'en suis pas sûr. Il est remarquable que, pour établir le bilan du XX siècle, l'unité de référence soit le million de morts. C'est en août 1914 que l'Europe et l'humanité ont basculé dans la vio- lence. Mais il ne faut pas oublier que la guerre de 1914 veut être une revanche de la défaite de la guerre franco-allemande de 1870. Cette guerre n'occupe pas une grande place dans notre mémoire collective, et cela est dû probablement au fait qu'elle fut pour la France une véritable débâcle politique et militaire. Tous les histo- riens affirment que la décision de déclarer la guerre à la Prusse était parfaitement inconsidérée. Elle ne s'explique, en réalité, que

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par l'irresponsabilité et l'incompétence de quelques hommes politiques de l'entourage de Napoléon III, soutenus par l'impé- ratrice Eugénie, qui estimèrent, au vu d'une simple dépêche d'une agence de presse falsifiée par Bismarck - la fameuse « dépêche d'Ems» -, que l'honneur national avait été bafoué parce que le roi de Prusse avait manqué d'égards envers l'ambassadeur de France. Ces faits jettent à terre toute la rhétorique patriotique qui voudrait faire de la guerre une épopée glorieuse. Et la France vaincue dut céder à l'Allemagne l'Alsace et la Lorraine. C'est cette humiliation qui provoqua l'esprit de revanche qui allait conduire à la guerre de 1914. Pendant quatre longues années, cette guerre civile européenne va tuer plusieurs millions d'hommes et profondément meurtrir les populations. Mais, en réalité, les com- mémorations de la victoire autour des monuments aux morts vont occulter tout ce qu'il y avait eu d'effrayant au cœur même de cette guerre. Jean Guéhenno, lui-même ancien combattant, montre b i e n que nous nous sommes menti à nous-mêmes en voulant faire de ce terrible drame une aventure héroïque. Ce formidable malentendu va marquer toute la culture de l'après-guerre. La France, en effet, va célébrer la victoire en faisant de ses morts des héros, alors qu'ils étaient essentiellement des victimes. On va ainsi occulter toute la violence de la violence derrière l'éloge du courage et du sacrifice de ces hommes qui ont subi en plein visage et en plein cœur la cruauté de cette guerre. En définitive, sans même s'en apercevoir, en célébrant la victoire, on célèbre la guerre.

Pour une part certainement. Mais il convient de comprendre ce que signifie une telle célébration. J'ai toujours regretté que ce ne soient pas les morts qui fassent les discours devant les monuments qui sont érigés en leur honneur, mais les survivants. Et ceux-ci, tout en voulant honorer les morts, vont s'honorer eux-mêmes. Pour une minute de silence en l'honneur des morts, combien d'heures de bruit en l'honneur des survivants ? Dans Masse et Puissance,

1. Dans un très beau livre intitulé La Mort des autres (Grasset; 1970).

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Elias Canetti a écrit des pages lumineuses qui montrent comment l 'Histoire se trouve travestie dès lors qu 'e l le est écrite par les survivants. Car il y a une véritable jouissance des survivants à avoir survécu. Le héros, en définitive, ce n 'es t pas tant celui qui a tué l 'ennemi, que celui qui a survécu à la mort que l ' ennemi voulait lui infliger. Le héros, c 'est celui qui a vaincu la mort. Cela lui confère l ' immortalité.

Pendant la Première Guerre mondiale, Freud imaginait le futur vainqueur fêter la victoire. S 'appuyant sur certains récits d 'ethno- logues, il citait l 'exemple de ces Africains qui, lorsqu'i ls reve- naient vainqueurs du sentier de la guerre, devaient se soumettre à de dures pénitences pour expier leurs meurtres avant de réintégrer leur communauté. Ils portaient ainsi le deuil de ceux qui étaient morts de leur propre main. Et Freud concluait que ces hommes primitifs faisaient preuve d 'une délicatesse morale dont les hom- mes civilisés se montraient incapables.

Je voudrais aborder un autre aspect de cette guerre. Pour qu ' un combat soit juste, il ne suffit pas que la cause soit juste, il importe également que la victoire soit juste, c 'est-à-dire que la paix qui s ' instaure après la guerre soit fondée sur la justice. Or, une vic- toire militaire est rarement une victoire juste. Il est ainsi certain que le diktat imposé à l 'Al lemagne par le traité de Versailles de 1919 était davantage un facteur de guerre qu ' un facteur de paix.

Des familles françaises entières, touchées par la mort de l 'un des leurs, ont été démantelées. Mais ces souffrances ont été occultées, cachées, refoulées par les discours officiels. Reconnaître que tou- tes ces souffrances n 'étaient pas véritablement justifiées, qu'elles n 'étaient pas nécessaires, qu'elles auraient pu être évitées, c 'étai t admettre un formidable échec. Il fallait donc aff irmer que ceux qui avaient été tués n 'étaient pas morts pour rien. Il fallait conti- nuer la guerre. C 'es t un engrenage sans fin. Le sang versé sacra- lise la guerre. Il ne faut pas s 'y tromper, ce n 'est pas parce qu 'une cause est sacrée que les hommes versent leur sang pour elle, mais c 'es t parce que les hommes versent leur sang pour une cause qu'elle devient sacrée.

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C'es t précisément la question que se pose l 'historien François Furet, et il en vient à affirmer que ce qui est étonnant, ce n 'est pas qu'il y ait eu des mutineries dans l 'armée française en 1917, mais qu'il n ' y en ait pas eu plus tôt et davantage. En réalité, c 'est parce que les hommes refusent d 'être lâches qu'ils acceptent de faire la guerre. C 'es t vrai tout part icul ièrement pour les soldats de la Première Guerre mondiale. Ce qui caractérise la culture de la vio- lence, c 'es t que le citoyen se croit enfermé dans une situation où il n 'aurai t le choix qu 'entre la violence et la lâcheté. Et parce qu ' i l refuse d 'être lâche, il accepte d 'être violent. L'idéologie de la violence exerce ainsi un véritable chantage sur les citoyens en les accusant à l 'avance d'être lâches s'ils refusent d 'être violents.

En effet, et cela est très ancien dans notre tradition occidentale. Déjà pour Platon, le courage est la vertu de celui qui surmonte la peur de la mort et accepte d 'affronter les dangers de la guerre. C ' e s t éga lement toute la problémat ique de Hegel : la guerre est le moment où l 'homme, renonçant à ses intérêts particuliers, accomplit son être moral et spirituel en risquant sa vie pour servir l ' intérêt général. D ' o ù les mystiques de la guerre. Plutôt le héros guerrier que le bourgeois corrompu !

Les soldats de 14 n 'avaient- i l s p a s le sen t iment de se sacr i f ier dans

Jean Guéhenno aff i rme que les soldats de 14 ne se sont pas sacrifiés pour la patrie, mais qu'ils ont été sacrifiés par l'État. Par ailleurs, il me semble qu'il y a maldonne lorsque l 'idéologie mili- taire fait l 'apologie du sacrifice. Car l 'art militaire, ce n 'est pas se préparer à être tué, mais apprendre à tuer. Il ne s 'agit pas de se sacrifier, mais de sacrifier l 'ennemi. Le bon soldat, ce n 'es t pas celui qui est tué, mais celui qui tue. Lorsqu 'un soldat meurt à la guerre, c 'es t une erreur de programmation. Mais dès lors qu'il est mort, pour rester cohérent il faut bien lui rendre hommage.

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Né en 1939, j ' a i été élevé dans l 'admirat ion des résistants, et j e n 'a i jamais renié cette admiration. Ceux qui sont entrés dans la Résistance en prenant les armes pour lutter pour la liberté esti- maient précisément qu' i ls n 'avaient le choix qu 'entre la violence et la lâcheté. Dès lors, choisir la violence était effectivement le choix du courage et de l 'honneur. Cela dit, il me semble que l 'Histoire nous oblige à prendre quel- que recul par rapport à la mythologie de la Résistance qui s 'est construite après la Libération, et à travers laquelle les Français ont célébré un héroïsme dont la plupart d 'entre eux n 'avaient pas fait montre pendant l 'Occupation.

Par ailleurs, le plus souvent, les résistants n 'on t pas fait la guerre et, lorsqu'ils l 'ont faite, que ce soit sur le plateau des Glières ou dans le mass i f du Vercors, ils l 'ont perdue. Je ne crois pas que la véritable grandeur de la Résistance fut militaire. En réalité, il aurait certainement été plus efficace d 'organiser une résistance civile non-violente, dont le fer de lance aurait été la désobéissance des fonctionnaires français aux ordres du gouvernement de Vichy. Mais force est de reconnaître que la collaboration, qui a été le fait du plus grand nombre, était davantage « à hauteur d ' h o m m e » que la résistance.

La guerre d 'Algérie a été en quelque sorte l 'occasion de mon ini- tiation politique. Pendant les premières années de cette guerre qui ne voulait pas dire son nom, j 'étais au lycée et nos préoccupations n 'étaient guère politiques. Ce n ' es t que lorsque je suis arrivé à l 'université que j ' a i commencé à comprendre que le droit n 'é tai t pas du côté de l 'État français, mais des rebelles algériens. Placé devant l 'obligation du service militaire, j ' a i choisi de prendre des responsabilités plutôt que de subir cette guerre comme simple sol- dat. C 'es t ainsi que j ' a i décidé de faire l 'école des officiers de réserve. Je suis arrivé en Algérie en même temps que les accords d 'Evian, qui mettaient un terme à la guerre. Je ne suis resté que

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quelques semaines là-bas, mais j ' a i pu prendre conscience des contradictions dans lesquelles la violence avait enfermé tous les protagonistes de ce conflit. Je me suis alors convaincu que la vio- lence était incapable d 'appor ter une solution humaine aux iné- vitables conflits qui constituent la trame de notre Histoire. Il est clair que, par cette guerre, la France et son armée ne défendaient pas les valeurs de la démocratie, mais qu'el les les bafouaient. Il convient de rendre hommage à la minorité des citoyens français qui ont résisté à cette entreprise qu'il faut bien qualifier de crimi- nelle. Mais, là encore, comment se fait-il que ces événements n 'a ient pas suscité la désapprobation ouverte de l 'ensemble de l 'opinion publique française? La guerre d'Algérie m ' a conduit à faire une relecture de la coloni- sation, qui est certainement un échec majeur de la civilisation occidentale. Je ne suis pas sûr qu 'aujourd 'hui nous ayons pris toute la mesure des violences que nous avons fait subir à des peuples entiers, et dont les conséquences dramatiques n 'on t pas encore été effacées. Comment ne pas voir dans les guerres colo- niales l 'une des manifestations les plus tragiques de la culture de violence de l 'Occ ident?

Il faut d ' abord rompre avec tous les processus de justification et de légitimation de la violence à travers lesquels nous la déguisons plutôt que nous ne la désignons. Il nous faut mettre à nu la vio- lence, c 'est-à-dire regarder la violence de la violence. Connaître la violence, c 'es t reconnaître qu'el le est inhumaine, c 'est-à-dire qu'el le pervertit l 'humanité de l 'homme, à la fois de celui qui l 'exerce et de celui qui la subit.

En un mot, toute violence est un viol. Pour moi, aujourd'hui, la violence s 'exprime à travers l ' image d 'un être humain défiguré de par la volonté d 'un autre homme. La violence, c 'est la défigu- ration du visage de l 'homme. Cette défiguration est l ' incarnation du drame de l 'humanité. Cette défiguration prive l 'existence d 'un

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sens et brise l 'espérance. La violence est véritablement désespé- rante. En définitive, la plus grande tragédie de l'existence, ce n 'est pas que l ' homme soit mortel, mais qu ' i l soit meurtrier. Dès lors, le fondement de la non-violence, ce n 'es t pas le rêve d 'une société sans violence, mais la prise de conscience que cette défiguration du visage de l 'autre homme est inacceptable, injus- tifiable; c 'est la révolte devant cette violence intolérable. Faire l 'option de la non-violence, c 'est raisonner comme Tarou, l 'un des personnages de La P e s t e , qui explique ainsi sa volonté de com- battre la peste : «Je dis seulement qu ' i l y a sur cette terre des fléaux et des victimes et qu' i l faut, autant qu' i l est possible, refu- ser d'être avec le fléau. » Comment se fait-il que la réaction immé- diate de tout homme raisonnable ne soit pas de refuser d 'ê t re avec le fléau ? Et refuser de pactiser avec le fléau qui défigure l 'autre homme, c 'es t d 'abord refuser toutes les raisons qui justi- fient le fléau. Car ce qui est encore plus inacceptable que la vio- lence, c 'es t sa justification.

Sans aucun doute. L 'homme est un animal juridique, c 'est-à-dire qu' i l a besoin de raisonner pour justifier, à ses yeux et aux yeux des autres, son attitude et son comportement. Mais l ' homme est également un animal violent. Il est même le plus cruel des êtres vivants. Je dirais même que la violence est le propre de l 'homme. Les animaux, en définitive, ne sont violents que du point de vue de l 'homme, car ils sont incapables de penser leurs « violences ». C'est vrai que le gros poisson mange le petit poisson et que le loup mange l 'agneau. Mais les animaux ne sont pas responsables de ces «violences». Seul, parce qu' i l est un être de conscience et de raison, l ' homme est responsable de ses actes et donc de ses vio- lences. La violence de l ' homme n 'es t pas un comportement ani- mal ; elle est bien pire que cela : elle est un comportement inhu- main. Il nous faut regarder en face cette tragique évidence : seul l ' homme est capable d ' inhumanité .

2. Albert Camus (Gallimard; 1947).

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L'homme étant ainsi un animal à la fois violent et juridique, il va vouloir se convaincre que la violence est un droit de l 'homme. Mais, en légitimant la violence, la raison justifie à la fois l ' irra- tionnel et l ' injustifiable.

Le fondement de l 'opt ion pour la non-violence, c 'es t précisé- ment la conviction que la violence, quelles que soient ses rai- sons, n 'es t jamais un droit de l 'homme, mais toujours un crime contre l 'humanité.

La violence, tant celle que je subis que celle que j 'exerce, est la perversion radicale de mon humanité. Je ne peux donc que lui opposer un non catégorique. Cette objection de conscience et de raison fonde le concept de non-violence. Mais la violence peut faire perdre à l ' h o m m e toute raison. Renonçant alors à toute justification, il s 'enferme dans la violence. C 'es t la violence qui devient alors sa propre raison. La violence est davantage l 'œuvre de la passion que de la raison. Mais, dès lors que la raison offre à la passion les arguments dont elle a besoin pour se justifier, la violence se déchaîne, plus aucun frein ne peut l 'arrêter. En définitive, l ' homme n 'es t pas un loup, mais un fou pour l 'homme. Et c 'es t beaucoup plus grave.

Certes, dans telle ou telle situation, la violence peut apparaître nécessaire, mais elle n 'en devient pas légitime pour autant. Néces- sité ne vaut pas légitimité. Le plus souvent, on récuse la non- violence sous prétexte que la violence est parfois nécessaire. Mais la question est de savoir quand la violence est strictement nécessaire. Je crois précisément que c 'es t l 'option pour la non- violence qui dispose le mieux l 'homme à ne recourir à la violence que sous la contrainte de la stricte nécessité.

On pourrait exprimer en ces termes la problématique qui carac- térise la culture de la violence : « Tout le monde est contre la vio-

lence, c 'est-à-dire tout le monde est pour la contre-violence; en définitive tout le monde est pour la violence et personne n 'es t pour la non-violence. » Bien sûr, de tels propos sont exagérés et mériteraient d 'être nuancés, mais ils expriment certainement les tendances lourdes qui conditionnent les idées et les comporte- ments de la très grande majorité des gens.

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La violence, elle est là, partout présente, dans le monde et en cha- cun de nous. Il ne s 'agi t donc pas de la refuser, mais d 'accepter de la regarder en face et de la voir. Le non qu ' i l s 'agi t de dire à la violence n 'es t pas un non de négation mais d 'opposit ion. Le grand malentendu au sujet de la non-violence, c 'est qu ' on s ' ima- gine généralement qu' i l s 'agit d ' ignorer la violence pour pouvoir rêver d 'une société parfaitement réconciliée avec el le-même et entièrement libérée de l 'emprise de la violence.

La non-violence serait ainsi une utopie, c'est-à-dire un monde mer- veilleux non seulement qui n 'existe nulle part, mais qui n 'exis- tera jamais. Tout au contraire, faire l 'opt ion de la non-violence, c 'es t prendre conscience de toute la mesure de la réalité de la violence. Le drame de l 'existence et de l 'histoire, c 'es t que nous devons vivre dans un monde dominé par la violence et tous ses débordements. Aujourd 'hui , notre perception de la violence est certainement différente de celle qui prévalait dans les siècles pas- sés. Grâce aux moyens modernes de communicat ion et d ' infor- mation, nous vivons en direct, c 'est-à-dire en temps réel, les vio- lences qui surviennent aux extrémités du monde. Nous sommes les voyeurs des drames qui se déroulent aux quatre coins de la Terre.

Le mot « non-violence » est décisif par sa négativité même, parce que la première inclination naturelle de l ' homme est à la violence et non à la bonté. Il s 'agit donc de prendre conscience de ce désir de violence qui est en nous, afin de le dominer et de le transformer. Si le premier penchant naturel de l ' homme est à la violence, la première exigence de la sagesse est donc bien la non-violence. L'option pour la non-violence, c 'est l ' incarnation dans notre exis- tence de l 'exigence universelle de la conscience raisonnable : «Tu ne tueras pas». Cette exigence est, elle aussi, négative, car le désir de tuer est en l ' homme parce qu' i l est ja loux de l 'autre homme. Cette exigence, je ne la conçois pas comme un comman- dement qui serait donné à l ' homme par quelque autorité supé-

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rieure, mais comme une exigence m ê m e de la conscience de l ' homme dans son « être-dans-le-monde ».

L'homme est essentiellement un être autonome, c'est-à-dire qui se donne à lui-même ses propres lois. Au demeurant, si Dieu a créé l 'homme, il l ' a créé libre et Dieu merci !

Le terme « non-violence » est en effet confus tant qu ' on se limite à le percevoir au travers du prisme déformant de l ' idéologie de la violence qui domine nos sociétés. Mais la philosophie de la non-violence le fait apparaître dans la plus grande clarté. Pour le reste, s ' en tenir à l 'usage du qualif icatif «non-violent », c 'es t se désintéresser de la dimension philosophique de la non-violence et ne vouloir considérer que son aspect pragmatique. C'est évidem- ment un choix possible. On peut, en effet, tout en continuant à penser que la violence est légit ime lorsqu 'e l le est nécessaire pour atteindre une fin juste, s ' intéresser aux possibilités offertes par l 'act ion non-violente et juger de son efficacité selon les cir- constances. Mais il ne s 'agi t alors que d 'une actualisation de la vieille rhétorique sur la violence, qui a toujours prétendu qu' i l ne convenait.de recourir à la violence qu 'en dernier recours, lorsque tous les autres moyens avaient échoué. On propose donc d'essayer d 'abord les moyens de l 'act ion non-violente.

C 'es t un progrès que j 'apprécie à sa juste valeur. Mais je ne crois pas que cela suffise pour briser le ressort de l 'idéologie de la vio- lence. Pour cela, il faut délégitimer la violence, et seule la philo- sophie de la non-violence peut le faire.

Je dois avouer que, j u squ ' à ces dernières années, je n'étais guère préoccupé par cette question. Aujourd 'hui , elle me semble de la plus grande importance. L'animal n 'es t peut-être pas un être rai-

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sonnable, mais il est un être sensible, c'est-à-dire qu'il est capable d 'émot ion et de souffrance.

J ' en viens à me persuader qu' i l doit être traité par l ' homme non pas comme un être taillable et corvéable à merci, qui serait à sa disposition pour satisfaire ses besoins, mais comme un être qui a le droit d'être respecté. Il n 'est certainement pas dans l 'ordre des choses que l ' homme fasse souffrir et tue l 'animal. La prise de conscience de toutes les souffrances endurées par les animaux a quelque chose d'effrayant. Que l 'on pense au traitement des ani- maux dans l 'élevage industriel. . . Et c 'es t d 'autant plus effrayant que, face à cette souffrance, les hommes, dans leur immense majo- rité, gardent la conscience parfai tement tranquille. Allez donc parler du respect de la vie des animaux aux Français, qu'ils soient de la ville ou de la campagne ! Vous pouvez être certain que, sauf exception, vous ne serez pas pris au sérieux. . . La plupart pense- ront que vous êtes décidément bien sensible. . .

Dans la tradition occidentale, la violence la plus cruelle exercée contre un animal n 'es t pas considérée comme une violence. En définitive, le crime contre l ' an imal i té n ' ex i s te pas. Pourtant, quand tout a été dit, j ' a i maintenant la conviction qu ' i l n 'es t cer- tainement pas dans la vocation de l 'homme d'être sur terre le plus cruel des prédateurs. Je vais j u squ ' à penser que toute violence faite à un animal par un homme porte atteinte à l 'humani té de celui-ci. La facilité avec laquelle nous acceptons de tuer les ani- maux n 'es t pas sans influencer notre conduite vis-à-vis des autres hommes. Pour mieux just if ier nos violences à l 'encontre de nos ennemis, nous prétexterons qu' i ls ne méritent pas d 'être traités comme des hommes, en faisant valoir qu 'eux-mêmes ne se com- portent pas comme des hommes.

Nous avons besoin de déshumaniser notre ennemi pour légi- timer nos violences à son encontre. Et le déshumaniser revient

forcément à laisser entendre qu' i l se comporte comme un animal, comme une bête, ce qui nous autorise à le tuer. C 'es t pourquoi il me semble urgent que la philosophie réintègre l 'animal dans le champ de l'éthique. La compassion à l 'égard des animaux est cer- tainement l 'un des fondements d 'une culture de la non-violence.

Mais je mesure la difficulté à faire comprendre ces idées à nos contemporains. . .

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Déjà, dire le «non-vio lent» , c 'est vouloir signifier que la non- violence n ' es t pas notre affaire.. . Dire les «non-violents», c 'es t déjà exprimer clairement que nous n ' en faisons pas partie. . . Dire le «non-vio len t» , c 'es t déjà dire en effet, entre autres choses, qu ' i l est un «idéal is te» en ce sens qu' i l ne tiendrait pas compte du réel. En fait, il s 'agi t là encore d ' un malentendu, car l 'option pour la non-violence se fonde sur un réalisme d 'une extrême rigueur, voulant voir la violence en face, sans que le regard soit troublé par la passion, le préjugé ou l 'idéologie. Mais le terme « idéalisme» signifie également l 'affirmation d 'un idéal au nom duquel on se refuse à se satisfaire du réel que l 'on entend transformer. La non-violence est un «idéalisme» en ce sens

qu ' au nom des exigences de l 'esprit, elle refuse de se résigner à la violence et veut s 'efforcer de promouvoir, sans illusion mais avec détermination, un monde plus humain.

L 'homme est un être de relation qui ne construit son identité que dans son rapport avec l 'autre homme, à travers une relation de réciprocité, dans la reconnaissance et le respect de la dignité de chacun. Mais, comme l 'explique Kant avec beaucoup de lucidité, il y a en l ' homme une inclination naturelle à vouloir dominer l 'autre homme par amour de soi. Chaque individu s 'approprie un territoire qu' i l considère comme son espace vital, et il juge que l 'intrusion d 'un autre dans cet espace est une atteinte à ses propres droits. Dès lors, son premier réflexe est d 'exclure l 'autre comme un intrus qui vient lui prendre sa place. C 'es t ce conflit pour l 'appropriation d 'un même espace qui engendre la violence.

Avant de répondre par l 'affirmative, je voudrais souligner qu' i l y a un « bon usage » de la jalousie, donc une certaine nécessité et une certaine légitimité de la jalousie. Lorsqu 'on dit d 'un homme qu' i l est « j a loux» de sa liberté ou de son indépendance, il s 'agit d ' un éloge. Cet homme est « j a loux» en ce sens qu' i l ne veut pas

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que les autres hommes portent atteinte à sa liberté et que, le cas échéant, il entend la défendre. Pris en bonne part, le terme «jalou- sie» signifie donc la volonté de défendre son territoire et de sauve- garder son identité contre d 'éventuel les menaces extérieures. Mais le même terme est souvent pris en mauvaise part, et il signi- fie alors non plus la volonté de défendre son bien, mais le désir de posséder un bien qui est la propriété de l 'autre.

Je reprends ici volontiers à mon compte l 'hypothèse de René Girard, que l 'on trouve déjà formulée chez Spinoza et chez Kant : l ' homme est essentiellement envieux de l 'autre homme. Il désire

le même objet que l 'autre homme et, s ' i l le désire, c 'es t précisé- ment parce que l 'autre homme le désire. Ils vont donc rivaliser pour l 'appropriation de cet objet et, pour cela, ils n 'hési teront pas à recourir à la violence l 'un contre l 'autre. C 'es t l 'engrenage de la rivalité mimétique. Chacun imite d 'abord le désir de l 'autre, puis il imite sa violence dans une relation parfai tement symé- trique. La violence est un processus d' imitation. Chacun affirme bien haut que c 'es t l 'autre qui a commencé et qu ' i l ne fait que se défendre. Chacun va donc justif ier sa propre violence comme un moyen de légitime défense. Chacun va affirmer que sa violence est juste parce qu 'e l le défend une cause juste. On connaît l 'his- toire. C'est précisément l'histoire de l 'humanité jusqu 'à nos jours.

En effet, si la violence apparaît comme une fatalité qui pèse sur notre Histoire, la vie ne vaut guère la peine d 'être vécue. La vio- lence pose le problème du sens de l'existence. Une telle perception de la violence risque de nourrir, particulièrement chez les jeunes, un sentiment d ' impuissance qui engendre le désespoir.

Ce qui est pervers dans l'effet médiatique, c 'es t que l ' information se réduit à des images de violence qui ne s 'adressent qu ' à notre émotion. La violence est la matière première de l 'actualité. En définitive, l'actualité, pour l 'essentiel, c 'es t la violence. Une telle

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information crée une émotion publique et non pas une opinion publique. On nous informe sur la violence en tant que violence, et non pas comme l'expression d'un conflit humain qui a ses cau- ses, ses conséquences, mais aussi ses solutions. Et une image va chasser l'autre. On va passer d'un drame à un autre, d'une guerre à une autre, d'un massacre à un autre, sans que nous ayons eu le temps de comprendre les véritables enjeux de ces événements, sans que nous ayons pu situer notre propre responsabilité et donc notre possibilité d'agir. Un jour, on va nous demander de nous émouvoir sur le drame des enfants du Rwanda, le lendemain sur celui des enfants de Bosnie, la semaine suivante sur celui des populations du Soudan et le mois suivant sur celles du Kosovo. Au sentiment d'impuissance va s'ajouter celui de la culpabilité. Pourtant, s'il s'agit de prendre conscience des drames qui surviennent aux quatre coins de notre planète, il ne s'agit pas de cultiver notre mauvaise conscience.

L'option pour la non-violence est également fondée sur la convic- tion que la violence n'est pas une fatalité. Ce qui fait l'extrême tragique de la violence, c'est qu'elle est exercée par des hommes à l'encontre d'autres hommes, ce qui prouve bien qu'elle n'est pas une fatalité. La violence est une possibilité de la nature humaine et, en ce sens, elle est «naturelle». Mais la bonté est une autre possibilité de notre nature et elle est tout aussi «naturelle». En d'autres termes, de par sa nature, l'homme est à la fois capable d'être violent et d'être bon. Cette ambivalence constitue la nature même de l'homme, mais n'oublions pas que c'est cette ambivalence qui fonde sa liberté. Sans la possibilité d'être violent, nous n'aurions pas la liberté d'être bon. La nature n'est pas une donnée mais une proposition. La nature propose et la liberté dispose. Dès lors, la question est de savoir quelle est la part de nous-mêmes que nous voulons cultiver. Mais il est plus facile d'être violent que d'être bon. La violence est primaire et obéit à la loi de la pesanteur. Tandis que la bonté est un dépassement, une conquête, une ascension qui exige une grande volonté. La culture de la non-violence est donc plus difficile, elle demande plus d'attention que celle de la vio- lence. Le temps de maturation et de mûrissement des fruits savou-

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reux de la non-violence est beaucoup plus long que celui des fruits amers de la violence. Selon les termes de Kant, il y a en chacun de nous une inclination naturelle à la violence vis-à-vis de l'autre homme qui vise à satis- faire nos propres besoins, et une exigence morale qui nous invite au respect de l'autre homme en étant attentif à ses besoins. Ces penchants naturels qui nous disposent à la violence, il ne s'agit pas de les nier, de les congédier, mais de les accueillir pour les transformer. Il y a ainsi en chacun de nous un « désir» de violence à l'encontre de l'autre et, en même temps, la possibilité de trans- muer ce désir, c'est-à-dire de transformer la nature de son énergie, pour établir avec l'autre une relation fondée sur la bonté. Il s'agit de transmuer le désir d'hostilité à l'encontre de l'autre homme en une volonté d'hospitalité à son égard. Et, en définitive, l'homme trouvera davantage de bonheur en accueillant l'autre homme qu'en l'excluant. Mais, pour prendre le risque de l'hospitalité, il faut oser surmonter nos peurs. Et, souvent, nous n'osons pas. Le philosophe Éric Weil dit que ce qui caractérise l'homme, c'est la double possibilité d'être violent et d'être raisonnable. «La liberté, dit-il, choisit entre la raison et la violence. » Lhomme sage est celui qui renonce à la violence pour conformer aux exigences de la raison son attitude à l'égard des autres. Lhomme raisonnable est celui qui est capable de maîtriser ses désirs et ses passions pour faire prévaloir la non-violence dans ses relations avec les autres. Il ne s'agit pas d'entendre ici la raison au sens rationaliste et réducteur des philosophes français du XVIII siècle, mais de la comprendre comme la capacité de l'homme à s'arracher à son être égoïste, et à affirmer sa transcendance. Le cœur a ses raisons, mais la raison ne les ignore pas. Elle seule, au contraire, les connaît et peut les exprimer.

Notre culture est en crise parce qu'elle n'est plus ouverte sur la recherche d'un sens à l'existence et à l'Histoire. Il existe dans notre société un tel primat de l'économique que l'identité sociale ne nous est offerte qu'à travers le travail. Le statut social de cha- cun se réduit à son emploi. Bien sûr, l'exigence d'avoir un travail

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répond à une nécessité. Le travail structure le temps de nos jour- nées. Le travail est lui-même un repère qui donne un sens à notre temps. Il est de la dignité de l'homme de travailler pour satisfaire ses besoins vitaux, c'est-à-dire se nourrir, se loger, se vêtir et se soigner. Un homme sans travail est littéralement désœuvré. Il ne sait plus que faire de son temps. Lorsqu'un individu n'est plus en mesure de satisfaire ses propres besoins par un travail personnel, il subit une dégradation de son identité qui engendre une déstruc- turation de sa personnalité. Et c'est alors le désespoir. C'est le drame des chômeurs dont beaucoup ont honte d'eux-mêmes. Mais, au-delà de la nécessité de vivre en travaillant, l'homme a un besoin également vital de donner un sens à sa vie. L'homme a besoin de gagner son pain pour vivre, mais l'homme ne vit pas seulement de pain. L'existence que nous offre la société souffre d'un déficit de sens qui est un déficit spirituel. Pendant des siècles, ce sont les religions qui ont apporté un sens à l'existence. Il semble bien que, dans les pays dits «développés», ce ne soit plus le cas aujourd'hui, du moins pour le plus grand nombre. C'est la raison pour laquelle beaucoup, et notamment beaucoup de jeunes, se trouvent devant un vide qui les déstabilise. Pour ma part, je ne regrette pas cette perte d'influence des religions. En prétendant détenir la vérité révélée, elles maintenaient l'homme dans une dépendance qui revêtait trop souvent la forme d'une aliénation. Les mythologies religieuses ne sont pas dénuées de sens, mais à condition qu'on les comprenne bien comme des mythologies inventées par l'homme et non pas comme des vérités révélées par Dieu. Je crois que la recherche philosophique, au sens de la recherche d'une sagesse, peut donner un sens à l'existence. Cependant, la philosophie elle-même ne doit pas s'enfermer dans les limites d'un système - elle court alors le risque de devenir une idéologie -, mais s'ouvrir sur le spirituel et, donc, sur l'universel. L'homme a un besoin vital de transcendance, mais la transcendance n'est pas à rechercher dans je ne sais quel ciel, elle est en l'homme. Malheureusement, la «philosophie des professeurs» s'est réduite à l'enseignement livresque de l'histoire de la philosophie. Au demeurant, même cette philosophie-là n'est plus proposée à nos enfants. L'école est elle-même assujettie aux nécessités écono- miques. Elle a pour projet principal d'offrir aux jeunes des qualifi-

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cations professionnelles, dont nous savons qu'elles ne leur donnent aucune garantie de trouver un emploi. Nous nous trouvons donc dans une impasse. C'est un fait dominant de notre culture que le savoir technologique a évacué la connaissance qui relève du sens.

L'éducation devrait avoir en effet pour ambition principale de préparer nos enfants à devenir philosophes et citoyens. Ils auront par la suite tout le temps d'acquérir le savoir technique qui leur permettra de devenir travailleurs. Mais, aujourd'hui, quels sont les moments, quels sont les lieux qui sont proposés à nos enfants pour devenir philosophes et citoyens ? C'est une nécessité vitale de permettre à nos enfants de visiter l'héritage culturel qui est le nôtre, mais également celui des autres civilisations. Pendant des siècles, des hommes ont réfléchi aux questions existentielles que nous ne pouvons pas ne pas nous poser sur le sens de la vie et de la mort. Comment ne pas profiter de l'expérience de ceux qui nous ont précédés ? Je fais le pari que nous pourrions enthou- siasmer les jeunes en leur proposant un tel projet éducatif. Pour cela, il est essentiel de redonner une place centrale à la lec- ture. Je ne crois pas que l'on puisse passer d'une civilisation du livre à une civilisation de l'écran. Je ne pense pas que l'image puisse remplacer l'écrit. L'informatique nous donne des outils extraordinaires, mais j ' ai peur que le jour ne vienne où nos biblio- thèques seront des musées.

Le citoyen grec avait le loisir de partager son temps entre l'action politique et la réflexion philosophique. Cependant, n'oublions pas qu'il était déchargé du travail quotidien par les esclaves et les ouvriers qui, eux-mêmes, étaient privés des privilèges des citoyens. Jusqu'à présent, le travail a été une contrainte qui a pesé sur l'homme, il a été la cause d'une réelle aliénation. Je n'ai jamais été séduit par la philosophie marxiste, mais l'analyse que Marx a faite de l'aliénation du travailleur me semble irrécusable. L'une

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des conséquences les plus graves de l'aliénation de l'homme par le travail a été de le priver de la réflexion philosophique et de l'action politique. Tout le temps de l'homme s'est trouvé confis- qué par son activité économique. La Grèce antique nous permet de définir l'idéal d'une cité politique où toutes les femmes et tous les hommes partageraient leur temps entre le travail écono- mique, la réflexion philosophique et l'action politique, où tous seraient travailleurs, philosophes et citoyens. Pour nous rappro- cher de cet idéal, il ne s'agit pas seulement de réduire le temps du travail, mais de restructurer entièrement le temps de notre vie.

Certainement. L'école aujourd'hui n'est plus un lieu protégé, et le problème de la «violence à l'école» est devenu un enjeu cen- tral de notre société. Sans doute ce problème n'est-il pas nouveau, mais il se pose avec une acuité nouvelle. Dès son plus jeune âge, l'enfant se trouve confronté à des situations de violence, et le maître d'école ne saurait l'ignorer. Le projet pédagogique des établissements scolaires doit avoir pour visée de permettre à l'enfant de découvrir que la violence n'est pas une fatalité, et que la résolution non-violente des conflits est le seul moyen de construire une société fondée sur le respect des droits et des liber- tés de chacun. Les conflits de récréation constituent une expérience privilégiée pour permettre aux enfants de s'initier à la non-violence comme règle de vie. Lorsqu'un enfant est agressé physiquement, l'adulte a souvent le réflexe de lui dire : «Ne te laisse pas faire», «Défends- toi », ce qui signifie : «Bats-toi», c'est-à-dire : «Rends coup pour coup ». Une telle attitude conduit à avaliser la violence comme règle de conduite dans la relation à l'autre. Il ne s'agit évi- demment pas de lui conseiller de se laisser faire sans réagir. L'adulte doit intervenir comme médiateur afin de permettre aux protagonistes du conflit de s'exprimer sur les raisons de leur dis- pute et de trouver les moyens d'y mettre un terme. Cela exige que l'école se soit dotée de règles qui déterminent les droits et les devoirs de chacun vis-à-vis des autres. Ces règles de vie de l'école doivent préfigurer les lois de la société. Elles doivent viser à délégitimer la violence. Elles doivent imposer des contraintes et

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des interdits qui fixent des limites aux enfants. Il convient donc, pour toute transgression de la loi, de prévoir une sanction, mais celle-ci doit être davantage une réparation qu'une punition. Il importe que les élèves comprennent le sens de ces règles et, pour cela, le mieux est de les faire participer à leur élaboration. L'édu- cation doit apprendre l'obéissance à la loi, mais l'obéissance ne saurait résulter d'un rapport de domination-soumission entre l'adulte et l'enfant. L'autorité de l'adulte doit prévaloir, mais à tra- vers un processus de communication et de dialogue. Il faut que l'enfant s'approprie l'espace scolaire comme un lieu où il a droit à la parole.

?

La délinquance est la conséquence de la rupture du lien social. À partir du moment où un individu, surtout un jeune, ne trouve pas dans la société un enracinement qui structure sa personnalité et donne un sens à son existence, il va être dans une situation de rup- ture par rapport à cette société. S'il est en situation d'échec sco- laire, il risque fort de se retrouver sans travail alors qu'il est déjà privé d'une véritable citoyenneté. C'est un engrenage. Il va subir une crise d'identité. L'incivilité est précisément la conséquence d'une privation de citoyenneté. C'est alors que la violence s'offre à lui pour qu'il s'affirme et montre qu'il existe.

En effet, la violence risque d'apparaître comme le dernier moyen d'expression à celui auquel la société a refusé tous les autres moyens d'expression. La violence est le dernier recours de celui qui est exclu de toute participation à la vie de la communauté. La violence est ici une volonté de vivre. Celui dont tous les liens avec la société ont été brisés n'a plus de possibilité de communiquer avec les autres, sinon avec ceux qui se trouvent dans la même situation. Ils vont donc constituer une « bande » en marge de la société. Ils estimeront qu'ils n'ont aucune raison de respecter les lois d'une société qui ne respecte pas leurs droits. Et la violence va leur apparaître d'autant plus séduisante qu'elle est une trans- gression des lois. La transgression délibérée des interdits va leur procurer une réelle jouissance. N'est-ce pas là une forme dégé- nérée, gauchie, d'accès à la transcendance? Toute tentative de «moralisation» est vouée à l'échec.

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