« Être » et « avoir » chez benveniste

5
Junji Kawaguchi « Être » et « avoir » chez Benveniste In: L'information grammaticale. N. 3, pp. 6-9. Citer ce document / Cite this document : Kawaguchi Junji. « Être » et « avoir » chez Benveniste. In: L'information grammaticale. N. 3, pp. 6-9. http://www.persee.fr/web/revues/home/prescript/article/igram_0222-9838_1979_num_3_1_2512

Upload: ultimaflordolacio9019

Post on 09-Aug-2015

71 views

Category:

Documents


2 download

TRANSCRIPT

Page 1: « Être » et « avoir » chez Benveniste

Junji Kawaguchi

« Être » et « avoir » chez BenvenisteIn: L'information grammaticale. N. 3, pp. 6-9.

Citer ce document / Cite this document :

Kawaguchi Junji. « Être » et « avoir » chez Benveniste. In: L'information grammaticale. N. 3, pp. 6-9.

http://www.persee.fr/web/revues/home/prescript/article/igram_0222-9838_1979_num_3_1_2512

Page 2: « Être » et « avoir » chez Benveniste

« Être » et « avoir » chez Benveniste

Jungi KAWAGUCHI

Nous devons à E. Benveniste les lumières qu'il a introduites dans le problème des deux verbes être et avoir dans un article classique : « « Etre » et « avoir » dans leurs fonctions linguistiques » (1). Au lieu de se perdre dans les détails d'une langue particulière, il a examiné un grand nombre de langues sur ce problème, pour tirer des conclusions qui à leur tour devaient éclairer le fonctionnement des deux verbes dans les langues particulières. Nous examinerons quelques propriétés qu'il avance pour les deux verbes en français, ainsi qu'un problème général qui s'en

Nous verrons en I le point de vue de Benveniste, et nous l'examinerons ensuite dans le domaine français en II. En III, nous évoquerons le problème de la relation entre être et avoir, avant d'évoquer très brièvement en IV la perspective de recherche sur ce problème que nous pensons développer dans une étude ultérieure.

I. Le point de vue de Benveniste Benveniste commence par distin

guer nettement le verbe être copule et le verbe être « de plein exercice », qui signifie « avoir existence, se trouver en réalité » (p. 1 88). « Les deux ont coexisté et peuvent toujours coexister, étant complètement différents » (p. 187). La séparation des deux valeurs chez notre auteur est catégorique : « il n'y a aucun rapport de nature ni de nécessité entre une notion verbale « exister, être là réellement » et la fonction de « copule » » (p. 189). Il y a ici un problème de méthode assez important sur lequel nous reviendrons.

Pour la fonction copule, Benveniste dit : « Complètement différente est la

(1) D'abord paru dans Bulletin de la Société de Linguistique, LV, 1960, et reproduit dans Problèmes de linguistique générale, Paris, Gallimard, 1 966. Toutes nos citations renvoient à ce dernier.

situation de la « copule », dans un énoncé posant l'identité entre deux termes nominaux » (p. 188).

L'argument qu'avance Benveniste pour cette hypothèse, est que, en face du léxème à sens plein d'existence, différentes langues, apparentées ou non génétiquement, ont recours à des procédés variés pour exprimer l'« identité ». Il nous en donne quelques types : (i) construction nominale par juxtaposition de deux termes ; (ii) construction nominale par juxtaposition comme en (i), mais avec l'adjonction d'un morphème copule de caractère pronominal ; (iii) construction verbale, mais avec un verbe autre que le verbe d'existence ; (iv) « Enfin, une dernière solution s'est imposée dans la majorité des langues indo-européennes. C'est la généralisation de *es- dans la fonction de copule aussi bien que comme verbe d'existence » (p. 193).

Pour ce qui concerne avoir, il commence par noter les relations entre être et avoir en fonction d'auxiliaire : (i) les deux verbes ont le statut formel d'auxiliaires temporels ; (ii) aucun des deux ne possède la forme passive ; (iii) ils sont tous les deux auxiliaires temporels des mêmes verbes suivant que ceux-ci sont ou non des réfléchis ; (iv) autrement les deux verbes sont des auxiliaires en répartition complémentaire (« il est arrivé/il a mangé »).

« Cette symétrie d'emploi et cette relation complémentaire entre les deux auxiliaires, qui ont en outre le même effectif de formes et les mêmes constructions, contrastent fortement avec la nature lexicale des deux verbes et avec leur comportement syntaxique à l'état libre. Ici une différence essentielle les sépare : hors de la fonction d'auxiliaire, la construction de être est predicative ; celle d'avoir, transitive. Cela semble rendre inconciliable le statut respectif des deux verbes. On ne voit pas, en particulier, comment un verbe

tif peut, devenir auxiliaire » (p. 194). Posée ainsi, la question appelle la

réponse : avoir n'est pas un véritable transitif, c'est un pseudo-transitif : « Entre le sujet et le régime de avoir, il ne peut exister un rapport de transiti- vité, tel que la notion soit supposée passer sur l'objet et le modifier » (p. 1 94). Remarquons ici l'idée que notre auteur se fait de la transitivité, idée qui est en somme assez traditionnelle.

Voici les arguments de Benveniste pour soutenir que avoir n'a pas de rec- tion transitive : (i) le verbe avoir est une rareté dans les langues du monde ; c'est le type « être-à » qui est l'expression la plus courante du rapport qu'indique avoir, constituant en sujet ce qui est l'objet grammatical de avoir ; (ii) la transformation de mihi est pecunia en habeo pecuniam ne confère pas au sujet le caractère véritablement nominatif ; le ego est posé simplement comme sujet mais non comme agent de procès : « il est le siège d'un état, dans une construction syntaxique qui imite seulement l'énoncé d'un procès » (p. 197) ; (iii) il ressort de l'étude de différentes langues, apparentées génétiquement, que certaines présentent le verbe avoir morphologiquement marqué comme appartenant à la classe des « verbes d'état » ; (iv) si avoir est un être-à retourné, on comprend pourquoi avoir ne possède pas de forme passive ; même son équivalent lexical posséder ne se laisse pas tourner au passif sauf au sens figuré-nous montrerons que cette affirmation est inexacte-- ; (v) avoir est un verbe d'état ce que déclarent différents faits morpho-syntaxiques et le problème de la diathèse de habere et gr. echein : type sic habet, bene habet, et les dérivés habitus « manière d'être, comportement, tenue », habi- lis « qui se comporte (bien), qui se prête à « l'usage », habitare « se tenir habituellement, résider », cf. quis istic habet ? chez Plaute ; on ne comprendrait pas le type habere uestem

Page 3: « Être » et « avoir » chez Benveniste

qui décrit l'état du sujet si on n'acceptait pas que avoir soit un verbe d'état.

Benveniste nous met en garde contre l'erreur d'interprétation de son hypothèse : être-à qui correspond à avoir n'est pas l'expression être à française qui exprime le rapport d'appartenance ; « être à demande toujours un sujet déterminé ; « un livre est à moi » serait impossible : il faut « ce livre... ». Inversement avoir demande toujours un objet indéterminé : « j'ai ce livre » n'aurait au mieux qu'une faible chance d'emploi ; il faut « j'ai un livre ». C'est pourquoi lat. est mihi répond à fr. j'ai, et non à est à moi » (p. 196).

Benveniste passe ensuite au problème du parfait dont nous ne nous occuperons pas.

II. Examen des faits en français Transitivité, prédicativité et verbe d'état

Ces trois concepts sont cruciaux dans l'argumentation de Benveniste. On constate aisément que l'emploi prédicatif du verbe être dans la construction être + « prédicat » (ou « attribut ») dénote une propriété du sujet, l'état où se trouve le sujet. Benveniste dit donc que être est le verbe d'état par excellence. Remarquons toutefois qu'il n'est pas le seul, cf. manquer, coûter, dormir. C'est un problème qui concerne le sémantisme du verbe.

En fait, la notion de verbe d'état est à rattacher à la propriété aspectuelle du verbe. Concernant le verbe avoir, Benveniste pense que, pour qu'il puisse être un verbe d'état, il est nécessaire que sa construction ne soit pas transitive. Grévisse note, au sujet de la transitivité : (i) que certains verbes intransitifs tels que coûter, valoir, peser, mesurer, marcher, courir, vivre, dormir, régner, durer, reposer, etc., peuvent être accompagnés d'un complément circonstanciel de prix, de valeur, etc., et que le participe passé de ces verbes reste invariable ; (ii) que certains intransitifs peuvent devenir transitifs, et alors leur participe passé est variable : coûter « être cause de quelque douleur ou de quelque peine » ; valoir « faire obtenir, procurer, produire » ; etc. (2). Cf. Les nombreuses réflexions que m'ont values

(2) Grévisse, Le Bon Usage, p. 716.

la lecture et la méditation des uvres de Paul Claudel (ap. G Robert, s.v. valoir).

On voit donc que la transitivité n'exclut pas le caractère statif du verbe. En plus, le fait d'être utilisé prédicativement ne confère pas automatiquement le caractère statif au verbe :

Etat Procès transitif valoir frapper intransitif dormir marcher prédicatif être devenir

L'opposition état/procès (ou action) nous paraît d'ailleurs une première distinction assez grossière derrière laquelle il convient de chercher la construction des valeurs aspectuelles complexes.

Quelle que soit l'interprétation qu'on donne au concept de verbe d'état, il est difficile de s'en servir comme un argument pour la pseudo- transitivité de avoir. Il faut aussi examiner le critère de la passivation proposé par Benveniste.

Transitivité et passivation Que faut-il penser de l'impossibilité

de tourner la phrase à avoir au passif ?

Benveniste dit : « En français, avoir n'a pas de passif. Même son équivalent lexical, posséder, n'en comporte pas. On ne saurait dire : « ce domaine a été possédé par X ; il est maintenant possédé par l'Etat » ; ce qui rend un tel passif irrecevable est le fait que posséder affecte non l'objet, mais le sujet. C'est seulement dans un sens dérivé, qui fait de posséder l'équivalent de « dominer, subjuguer, assujettir », qu'on pourra dire : « il est possédé du démon, il est possédé par la jalousie » et qu'on parlera d'« un possédé » » (p. 199). Voici quelques exemples de possédé et de être possédé que nous avons rencontrés au cours de nos lectures :

Richard suivit ce conseil, et revint dans la maison paternelle, qui n'était pas éloignée de l'abbaye possédée par Hudson (Diderot, Jacques le Fataliste, Livre de poche, p. 194). Il abhorrait ses héritiers et ne concevait pas que la fortune pût jamais être possédée par d'autres que lui (Balzac, Gobseck, Pléiade, p. 967). Qui achète le Petit Larousse ? Cet

ouvrage est-il possédé par beaucoup de gens appartenant à la classe ouvrière ou paysanne ? (Matoré, Histoire des dictionnaires français, p. 138). Il est inutile d'allonger la liste des

exemples. Si l'existence de la forme être possédé (par) pose de sérieuses difficultés à Benveniste, l'existence de la forme être eu est sans doute plus ennuyeuse pour lui.

Le Grand Larousse de la Langue Française enregistre la forme Tu as été bien eu avec la mention « pop. », emploi dont parle Grévisse (op. cit. p. 548, note 1 ).

Voici quelques exemples de avoir passif tiré de l' Essai de Grammaire de la Langue Française de Damourette et Pichon :

Ce qui l'a mis en colère, c'est surtout qu'il a été eu (M. NG. le 2è octobre 1923, EGLF, t.v., p. 69). Celui-là n'est pas eu : il n'est pas tout à fait coupé (Mlle GA. parlant d'un surgeon de sureau, le 2 juillet 1 933, ibid.) Madame EF, parlant de dames qu'elle a eues à goûter, dit : J'ai fait du bon travail hier, tout ça, il fallait que ça soit eu (le 6 février 1935). Se. «Il fallait que j'aie (eusse) toutes ces dames à goûter » (ibid.).

Nous relevons aussi : Louason se défendit de tout cela comme une femme aimable qui a été eue (Stendhal, Journal, I, 269).

ainsi que la forme eu sans auxiliaire être :

... De vux il n'en a plus Que celui d'être un jour au nombre des élus, Prodigue et dédaigneux, sur tous, des choses eues Mais accumulateur des choses sues : (Verlaine, Sagesse III, IXI, 273). Enfin mentionnons aussi l'expres

sion eu égard à qui semble bien présenter la valeur passive paraphrasable en * égard (étant) eu à :

Vous serez placés, vous et vos compagnons, immédiatement au- dessous de la loge royale, eu égard à votre condition de prince (Gide, ap. GLLF, s.v. égard). A la forme active, on a avoir égard

à. Si le régime de avoir n'était qu'un

pseudo-régime, il faudrait encore dire que le sujet de avoir passif n'est qu'un

Page 4: « Être » et « avoir » chez Benveniste

pseudo-sujet. Une telle conception risquerait peut-être d'introduire de la confusion dans la grammaire traditionnelle qui a déjà des difficultés à défendre la conception de sujet « apparent » ou « logique ».

Certes le type être eu est d'un emploi limité, et n'est pas possible dans tous les cas. En prenant l'exemple : Cette affaire regarde Paul/Cette affaire le regarde/ Paul (est + a été) regardé (par + de) cette affaire, M. Gross écrit : « La construction (« sens propre », « sens figuré », opérateur) dans laquelle entre un verbe donné, peut influer sur l'existence des formes passives » (3). On ne saurait donc conclure à la pseudo- transitivité de avoir.

Si avoir possède une forme passive, par contre le verbe être semble refuser la passivation de façon absolue.

Pourquoi Benveniste a-t-il voulu que avoir ne soit pas transitif ? Cela est dû, au moins en partie, au fait que sa conception de la transitivité n'était pas suffisamment précise. Nous avons déjà noté ce point : « Entre le sujet et le régime de avoir, il ne peut exister un rapport de transitivité, tel que la notion soit supposée passer sur l'objet et le modifier » (p. 1 94). On se demande en quoi la 5* symphonie de Beethoven est modifiée lorsqu'on dit : « Cet orchestre joue toujours très bien la 5e symphonie », ou : « Ce soir, ils ont bien joué la 5* symphonie ». Nous retombons en fait sur les problèmes généraux de l'aspect et de la détermination.

Ce qu'il convient ici de remarquer, c'est que, étant donné deux verbes à sémantisme semblable, on ne peut pas conclure à la ressemblance de leurs propriétés syntaxiques. En admettant donc que être et avoir partagent un certain nombre de traits sémantiques, on ne saurait en déduire directement la pseudo-transitivité de avoir. Aussi penchons-nous à penser que le problème que pose Benveniste de savoir si avoir est transitif ou non, est un faux problème.

Nous ne sommes pas en désaccord avec Benvenise lorsqu'il dit que avoir est un verbe d'état ; nous disons simplement que le caractère statif n'empêche ni la transitivité ni la passivation. Cela se confirme d'ailleurs par

(3) M. Gross, Méthodes en syntaxe, p. 85. Cf. aussi, Grévisse, op. cit., ch. 611.

ce que dit Benveniste lui-même : « il faut prêter attention aux locutions où habere indique « avoir sur soi », décrivant l'état du sujet : habere uestem, habere iaculum, coronam, etc, puis habere uu/nus » (p. 199). Si on raisonne en français, on est obligé de constater qu'un verbe d'état comme porter n'a pas de difficulté à se laisser tourner au passif.

Détermination de /'objet Lorsque Benveniste dit : «... avoir

demande toujours un objet indéterminé : « j'ai ce livre » n'aurait au mieux qu'une faible chance d'emploi ; il faut « j'ai un livre » » (p. 1 96), nous pensons immédiatement à ceux qui ont affirmé la même chose : cf. H. Frei : « avoir est généralement suivi d'un régime indéterminé (Pierre a un livre), tandis que être à demande un sujet déterminé (Le livre est à Pierre) » (4).

J'ai ce livre peut s'interpréter comme signifiant : « j'ai un exemplaire de ce livre » avec la lecture de livre comme abstrait. Ce livre est à moi peut être lu avec la même interprétation de livre que précédemment, et avec le sens de : « je suis l'auteur de ce livre ». Ou encore, ce livre reçoit une interprétation spécifique et déterminée du point de vue référentiel, avec le sens de : « cet objet qui est là et qui est un livre, m'appartient ». Un livre est à moi signifiera : « il y a un livre parmi d'autres qui m'appartient ». Or de ce point de vue, être à ne présente pas une propriété particulière. En effet, un chien aboie au sens de « il y a un chien qui aboie » aurait « une faible chance d'emploi », sauf dans le style narratif. Notons aussi qu'au passé, j'ai eu ce livre (dans le temps), j'avais ce livre avant-hier, etc. trouveront plus de grâce aux yeux des grammairiens. Il convient de remarquer également que avoir peut signifier une relation qui n'est pas du type possesseur/possédé, sauf si on prend « possession » au sens très large -et jusqu'où faut-il étendre ce sens ?-.

Avec l'article défini, comme dans j'ai le livre, l'objet de avoir peut être anaphorique : -As-tu apporté le livre que je t'ai demandé hier ? -Oui, j'ai le livre (ici-même).

(4) H. Frei, La grammaire des fautes, p. 221 . Notons que dans ce livre publié en 1929, il est dit : « Le véritable passif du verbe avoir est, au fond, le tour être è » (p. 221 ).

Même si à un moment donné on admet que avoir requiert un objet indéterminé, il faudra expliquer des cas où on a effectivement un objet déterminé.

Au terme de l'examen de quelques faits avancés par Benveniste, nous pouvons dire que le verbe avoir français n'a pas toutes les propriétés générales qu'il lui assignait.

III. Relation entre être et avoir Rapport d'identité et rapport pertinen- tiel

Voici comment Benveniste définit la situation lexicale des deux verbes : « Ils ( = être et avoir) indiquent bien l'un et l'autre l'état, mais non le même état. Etre est l'état de l'étant, de celui qui est quelque chose ; avoir est l'état de l'ayant, de celui à qui quelque chose est. La différence apparaît ainsi. Entre les deux termes qu'il joint, être établit un rapport intrinsèque d'identité : c'est l'état consubstantiel. Au contraire, les deux termes joints par avoir demeurent distincts : entre ceux-ci le rapport est extrinsèque et se définit comme perti- nentiel : c'est le rapport du possédé au possesseur. Seul le possesseur est dénoté par avoir, à l'aide de ce qui, grammaticalement, se constitue en (pseudo-)régime » (p. 198-9).

Il nous semble qu'il y a quelques ambiguïtés dans ce passage. Dans tout l'article, il ne nous est pas dit ce qu'il faut entendre par « rapport d'identité » : seulement à la page 188 nous lisons que la copule sert à asserter l'identité, « quelle que soit, au point de vue logique, la modalité de cette identité : équation formelle (« Rome est la capitale de l'Italie »), inclusion de classe (« le chien est un mammifère »), participation à un ensemble (« Pierre est Français »), etc. ». Nous ne savons donc pas où se placerait une phrase du type Pierre est à Rome, ou encore du type Quand je suis arrivé chez Pierre, un plombier était à la porte. Dans la mesure, toutefois, où il semble que pour notre auteur, la phrase nominale est généralement une phrase qui attribue une qualité au support nominal, on peut penser que la copule s'applique avant tout à un attribut dénotant une qualité du sujet. Si on interprète ainsi le sens de la copule, on peut lire rapport d'identité de façon strictement littéral. On remarquera aussi que tous les

Page 5: « Être » et « avoir » chez Benveniste

exemples donnés dans l'article confirment cette lecture.

Aussi peut-on se poser la question : en admettant que la copule établit un rapport d'identité, la structure locative ou la structure possessive doit- elle être considérée comme appartenant au sens d'existence ?

Problème de mihi est

Etape 1 ETRE (a) « existence » (b) « mihi est » (c) rapport d'identité (d) auxiliaire

Etape II ETRE (a) «existence » (b)0

(c) rapport d'identité

(d) auxiliaire

A VOIR (a) ? (b) rapport perti- nentiel (par retournement de mihi est) (c) ?

(d) auxiliaire

Dans ce tableau, il y a une étape primitive qui a été omise et où être ne possédait pas de fonction copule. En étape I, (c) est une solution trouvée par la majorité des langues i.-e. pour exprimer le rapport d'identité. Il est dit expressément par notre auteur qu'entre (a) et (c) il n'y a aucun lien de nature ni de nécessité. A un moment donné de l'histoire se crée le verbe avoir pour exprimer de façon inversée le rapport jusque là signifié par mihi est : nous sommes alors en étape ii.

Le point crucial est le suivant. Ou bien (b) en étape I appartient à (c). A

ce moment, la distinction entre (a) et (c) devient beaucoup moins nette que Benveniste nous le laissait entendre, puisque parfois devant une possessive on hésite entre l'interprétation existentielle et l'interprétation de la copule pour être. Ou bien (b) appartient à (a), auquel cas on se trouve devant une contradiction, puisque Benveniste comparerait un sous- groupe de (a) de avoir, avec (c) de être en étape II, alors qu'il dit lui-même qu'il n'y a aucun rapport entre (a) et (c).

Pour sortir de cette situation plutôt gênante, il nous paraît nécessaire surtout d'expliciter le statut qu'on assigne à (a), c'est-à-dire l'interprétation qu'on donne au sens d'existence. La décision concernant l'appartenance du type possessif mihi est soit à (a) soit à (c) soit encore à autre chose constituant ainsi un nouveau type, ne peut pas être décidée dans le cadre de Benveniste. La clarté dont l'on a cru bénéficier grâce à l'article de Benveniste peut en partie provenir de la non explication de ce point crucial.

IV. Perspective Pour qu'on puisse tirer profit de la

contribution de Benveniste qui nous a permis (i) de voir le phénomène être/avoir de façon unifiée et (ii) de repérer des difficultés, il nous faudrait étudier avec précision les faits qui concernent ces verbes en français tout en tenant compte de ce qui peut être généralisable sur le plan du langage. De ce point de vue, il nous semble que la définition de avoir comme signifiant le « rapport du possédé au possesseur » est à préciser, et que la

définition de être comme signifiant soit l'« existence » soit le rapport d'identité est à revoir. De plus, il serait souhaitable qu'on puisse unifier le sens d'« existence » et celui d'« identité », en ayant recours, très probablement, à quelque cadre théorique qui poserait des opérations abstraites et explicites. Seul ce type de cadre nous paraît rendre compte et de la nature des deux verbes être et avoir, et de leur relation. Il conviendrait également de préciser le statut théorique qu'on assigne aux concepts métalinguistiques tels que « prédicatif », « copule », « transitif » et « verbe d'état ».

J. KAWAGUCHI CNRS

1 1 , Place Adolphe Chérioux 75015 PARIS

Bibliographie Chevalier, J.-CI. (1977). «De l'opposition « haber » - « tener » », Cahiers de linguistique hispanique médiévale. II. Culioli, A. (1976). Recherche En linguistique: Théorie des Opérations Enonciatives, Université de Paris VII. Kawaguchi, J. ( 1 977). A VOIR et IL Y A en français, thèse dactylogr. Paris VI. Kuntz, M. (1979). Considérations élémentaires sur les verbes «r être » et « avoir » de l'ancien français, et * beon » et « habban » du vieil anglais, thèse dactylogr. Paris IV. Launey, M. (1977). « Le pluriel transcatégoriel l-ke'l en nahuatl : contribution à l'étude de la relation « être »-« avoir » », Amerindia, II. Moignet, G. (à paraître). Systématique de la langue française. Rygaloff, A. (1977). «Existence, possession, présence », Cahiers de Linguistique Asie Orientale, I. Zemb, J.-M. (1978). Vergleichende Grammatik Franzôsisch-Deutsch, Teil 1, Bibliographisches Institut Manheim/Wien/Zùrich, Dudenverlag.