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« Ce qu’un démon aime et perd, il le détruit. »

Le Dit de la Terre Plate, Tanith Lee

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Première partie

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Chapitre 1

La fée était éreintée. Sur le bord de la route, elle errait au crépuscule. Les hommes passaient, le regard fuyant. Même les

enfants ne la voyaient pas, les yeux désenchantés. Le monde de l’Autre Côté est bien triste, songea-t-

elle. Sa poitrine saignait. Elle ne parvenait plus à

recoudre ses chairs tant labourées et charcutées pour lui prendre un morceau de son cœur après qu’elle se soit donnée, ou pendant l’orgasme. Son petit corps s’était cambré une fois de plus, une fois de trop, sous les caresses brûlantes d’un des rejetons des Ténèbres. Elle voulait réconforter ce monstre arrogant pétri de solitude dans les yeux duquel le feu brûlait.

Elle n’avait cessé d’attendre qu’il l ’aime, mais nuit après nuit, la fée repartait avec son cœur de plus en plus petit. En bordure du parc, elle tenta de resserrer ses chairs pendantes car le vent lui chatouillait désagréablement les poumons, faisant vibrer la petite pierre qu’il restait de son organe cardiaque. En même temps que ses forces s’amenuisaient, elle rapetissait.

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Alors, de nouveau elle tira un cheveu d’argent, rassembla ses chairs éparpillées sur ses seins, et y planta l’aiguille. Mais le fil finit par s’effilocher, et sa peau retomba, flasque et ensanglantée. Une larme coula le long de sa joue, laissant une traînée claire sur sa peau sale.

Quelque chose effleura ses pieds. Penchant la tête au sol, elle sursauta. Une

salamandre la regardait. Après un moment, la fée s’accroupit et prit

doucement le batracien dans ses mains, son minuscule cœur battant. Elle l’amena tout près de son visage mais son regard se heurta à un mur sombre et visqueux. Ses lèvres se déformèrent d’un rictus de désespoir. Cependant elle se reprit. Et se redressant, elle garda l’être vivant dans ses mains. La froide humidité de ce crépuscule la conduisit au bord d’un étang grouillant de nénuphars. Des grenouilles et des oiseaux nocturnes faisaient entendre leurs cris.

La fée reprit un peu d’espoir, sentant la salamandre visqueuse entre ses doigts. Elle s’assit au bord de l’eau, et chantonnant, elle saisit le batracien et ouvrit sa peau du cou au ventre. Délicatement, elle saisit son petit cœur, jetant le corps mort aux poissons. Tirant un fil d’argent elle coud à présent le minuscule organe au sien. Ce dernier se crispe et se gonfle. Elle sent un sang nouveau la traverser.

Alors la fée se relève. Plus forte. La perversion l’avait atteinte. Son amant ne pourrait que l’aimer, maintenant qu’elle avait en sa chair une goutte de son sang.

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Chapitre 2

Le vent glacial s’époumonait alors que des paillettes de givre brillaient sur les lèvres des statues de marbre, modèles masculins jouant de leur nudité sous l’œil enjôleur de l’astre d’argent. Parmi les arbres du domaine, la nuit, sous les rayons de la lune, ces attrapes cœur prenaient vie. Et parfois, le maître des lieux venait y chercher quelque plaisir.

Cette nuit, les hommes statues perpétraient entre eux une orgie. Leurs halètements gutturaux résonnaient. La lune proférait de glauques rayons sur ce décor de minuit des plus singuliers.

Des pans de brume conféraient un caractère onirique au jardin de gel. Les ombres glissaient, dansant avec les lueurs blanches de l’astre. Dans leur course, elles ne s’arrêtèrent pas au manoir, mais entrèrent par les fentes des fenêtres si celles-ci n’étaient pas entrouvertes. Dans la chambre qui avait la meilleure vue sur le jardin, elles s’engouffrèrent à travers les rideaux voletant, se répandant avec sournoise avidité dans la pièce glaciale. Elles tournoyèrent jusqu’au grand lit à baldaquin. Là, en proie à une fiévreuse vision, un homme splendide se

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réveilla. Nu, il avait rejeté les draps qui cascadaient désormais vers le sol. Sa chair brûlait à l’intérieur, plus féroce encore que le feu de ses yeux.

Lorsqu’il pencha la tête il vit une goutte écarlate sur sa peau pâle, elle était sortie de son cœur. Mais avant qu’il ne lève la main pour la retenir, elle se dissipa.

Elle donne, et maintenant, elle veut prendre… Il s’assit, la douleur de son réveil passée. Il

entendit les pas de la fée tituber alors qu’elle s’était sentie envahir d’une force nouvelle. Ainsi donc elle s’était réfugiée de l’Autre Côté… Si au moins elle était morte, il n’aurait eu à s’inquiéter que de trouver une nouvelle proie pour se nourrir et se distraire. Mais elle allait trop loin. Elle méritait un châtiment pour cet affront. La quiétude que lui prodigua cette pensée fit naître un prémisse d’esquisse de sourire sur ses lèvres rouges. Il ne sourit ouvertement que lorsqu’il perçut la présence dans la pièce. Un homme de pierre vivante se montra alors à lui, les yeux avides et le sexe déjà excité.

Le feu crépita dans son regard, soucoupes luisantes de noirceur.

Il se laissa engloutir par les ténèbres de sa chambre solitaire.

Repus des flux magiques de l’homme de marbre, il n’eut à peine le temps de se retrouver alangui dans son lit, qu’il avait rejoint après son dernier orgasme, que déjà un plan s’échafaudait dans son esprit.

Seul dans les ténèbres, il rit.

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Chapitre 3

Magdalena était alanguie dans son bain, entourée de ses domestiques, esclaves de ses charmes. On la surnommait Prêtresse, amante des dieux car elle ressemblait à une déesse : son effroyable beauté envoûtante ne vieillissait. Elle ensorcelait hommes et fées, et l’on chuchotait qu’il en était de même pour les animaux et les végétaux, et les éléments. Crainte et vénérée, elle possédait tant de pouvoirs. Elle s’assoupissait, sentant les regards emplis de désir parcourant son corps que l’eau chaude parfumée de pétales écarlates ne masquait, lorsqu’il entra sans ménagement.

Elle ouvrit les yeux, une ride de mécontentement entre ses impeccables sourcils. Une domestique couina alors qu’il la frôlait pour accéder au bain. Magdalena le toisa, agacée, son regard absinthe plissé.

– Que veux-tu, Dorian ? – Epargne-moi tes charmes, il est temps de

t’acquitter de ta dette…

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Elle grogna, se leva prestement, exposant son corps à son regard et ses mains dédaigneux. Une jeune fille s’empressa de draper sa maîtresse d’une immense serviette. Lasse, elle s’assit à la coiffeuse, où des mains déjà brossaient sa lourde et ondulée chevelure rousse.

– Alors parlons affaires, fils du Déchu. Un sourire exquis se dessina sur les lèvres rouges

de l’homme splendide. – Mais avant, dis-moi une chose… Tes hommes de

pierre te sont-ils encore utiles ? – Celui que je t’ai offert ne te convient plus, très

chère ? – Je l’ai tellement éreinté que pour le moment je ne

peux plus rien en tirer, c’est ennuyeux… Mais passons, que puis-je faire pour toi ?

– J’ai besoin de ta sorcellerie pour une vengeance très personnelle…

– Oh, tu avais finalement sous-estimé ta fée, n’est-ce pas ?

– Cette traînée m’a volé cette nuit l’une de mes projections de l’Autre Côté.

– La petite futée ! Magdalena gifla à toute volée la domestique qui se

laissait distraire par le regard de Dorian. – Prends garde à ce que tu fais, imbécile, où je te

ferai fouetter ! L’adolescente gémit, l’échine tremblante. La sorcière se tourna enfin vers son visiteur : – Je n’ai que peu de pouvoir de l’Autre Côté, mais

je peux néanmoins t’aider. Je te dirai où se trouve le fils de ta fée…

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– Ainsi donc elle a un enfant… murmura le démon à lui-même.

Le feu dans ses yeux jubila. – Un nouvel homme de pierre te serait-il utile pour

tes recherches… ? s’enquit-il. – Leurs fluides magiques sont tellement

irremplaçables…

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Chapitre 4

Son fils. Comme il devait être beau ! Isabelle pouvait le retrouver à présent. Elle avait

tant pleuré en l’abandonnant de l’Autre Côté, mais elle devenait plus forte alors ils seraient libres de se connaître car plus rien ni personne n’aurait la capacité de les briser.

Néanmoins, elle devait se montrer prudente. Dorian avait certainement déjà envoyé des sbires à sa recherche après ce qu’elle avait fait. Elle seule connaissait l’existence de son fils, mais la Prêtresse aussi devait le savoir, ou le saurait…

La fée ne savait pas à quoi sa progéniture ressemblait. Le glamour avait dû de lui-même définir son apparence. Il ignorait certainement tout de la magie. Peut importe, elle lui apprendrait.

Elle s’était guidée en s’imprégnant des réseaux fluctueux de ce monde, cherchant l’électricité dans l’air que les hommes frôlaient. Elle sut vite qu’il n’avait pas quitté la ville dans laquelle elle l’avait laissé. Elle se rapprochait. Pourtant elle devait faire une pause, le vertige la prenait, il lui fallait une nouvelle salamandre.

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Changeant son apparence par le glamour, elle passait inaperçue aux yeux des passants, elle était une femme ordinaire, banale dans la foule, on ne lui prêtait attention. Elle se faufilait, piquant un poignet au passage pour récupérer une goutte de sang, goûter aux habitudes et mentalités de l’Autre Côté.

Isabelle devait quitter la ville pour trouver des batraciens, elle n’avait trouvé d’animalerie qui en vendait alors il lui fallait les chercher elle-même.

Elle avait revêtu l’habit d’une vieillarde laide et sale au regard noir de méchanceté alors qu’elle s’avançait dans le parc public. On détournait les yeux d’elle, peut-être qu’un ou deux se réjouit de la voir au bord de l’étang, pensant qu’elle allait s’y noyer, glissant sur la boue vaseuse. Mais elle ne tomba pas, plus preste qu’un chat, elle se pencha soudain au-dessus de l’eau. Lorsqu’elle se redressa, elle tenait dans son poing une jeune salamandre rosée qui gigotait tel un petit diablotin.

Elle regarda la pauvre créature droit dans les yeux, deux minuscules billes brillantes. Puis lentement, elle approcha son aiguille du torse frêle et étroit.

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Chapitre 5

Un matin je me réveille. Tout est silencieux dans l’appartement.

Je suis nu et seul dans le lit. Mon ventre hurle de solitude et de détresse. Il ne pourra jamais vraiment m’aimer hein ? Je suis

un homme… Je me cache sous la couette, fermant les yeux. J’ai toujours sut que cela finirait comme ça.

Pourtant je ne pouvais m’empêcher d’être séduit par lui, c’était chimique, quelque chose en lui me séduisait, plus efficace que la confiture enivre les guêpes. Peut-être parce que nous voyons les choses de la même façon, les couleurs, au-delà de la ville, nos regards passent à travers.

Nous nous étions rencontrés deux ans auparavant au bord de l’étang, dans le parc. C’était une crépusculaire fin de journée. Les lucioles dansaient au-dessus des eaux noires et langoureuses. Je me souvenais avoir été captivé par ce spectacle, ces lucciola étaient de terrifiantes, bien que minuscules, fées. Elles dévoraient les reflets des lumières sur la surface miroitante, comme si elles dépoussiéraient un

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miroir. A genoux sur la berge, mon corps se ployait lentement en avant, comme dans un rêve.

Et puis j’ai vu son reflet dans l’eau. Et il posa une main sur mon épaule.

– Fais gaffe, elles risqueraient de t’attirer vers le fond, ces foutues bestioles.

Je n’avais pas bu, pourtant je sentais mes sens décuplés. Les odeurs de la nuit, herbes folles et nénuphars, chargées de mystère et d’un grain de folie. Le contact de l’air sur ma peau, et celui du sol sur mes paumes. Le moindre bruissement de feuille, et celui de la ronde des insectes, je l’entendais. Le goût dans ma bouche du thé que j’avais dégusté avant de sortir, debout à la fenêtre grande ouverte à regarder la nuit. Et mes yeux, grâce au peu de lumière, ils voyaient comme en plein jour, mais dans les nuances nocturnes bleutées.

Et puis il s’est accroupi à mes côtés, a tendu une main au-dessus de l’eau, me désignant quelque chose.

– Tu vois là-bas sur la grande feuille de nénuphar ? Une salamandre…

– Oui, je la vois. Elle est rose, non ? Elles sont rares à voir…

Lorsque je tournais la tête vers lui, je vis que lui aussi il souriait.

Il s’appelait Johann. Triste sire. Nous nous sommes revus plusieurs fois. Et puis

nous avons pris un appartement en collocation à deux. J’étais tombé amoureux de lui dès que j’avais vu son reflet dans l’eau. Il ne me prenait pas pour un fou lorsque je lui parlais du petit monde que je distinguais, il souriait. Il aimait me regarder peindre, et moi, l’entendre chanter. Mais l’inévitable avait fini

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par arriver : somnolant, je l’avais embrassé. Il ne s’en était offusqué, bien qu’il prit ses distances avec moi. J’étais malheureux, car quitte à accepter qu’il ne m’aime jamais d’amour, je ne pourrais pas supporter que nous ne soyons plus même amis. Je m’étais replié dans la solitude et le silence, ne préparant pas à manger s’il n’était là pour le repas.

Et il m’était revenu. Après des jours d’absence, son regard se posa sur moi. Il semblait vouloir dire quelque chose.

– Oh et puis merde ! Il me fit l’amour, sans mot. Le matin, il avait

encore le visage enfoui dans mon torse. Jamais nous ne nous sommes dit que nous nous

aimions. Et le temps avait rapidement creusé des différences qui étaient devenues fossés entre nous. Nous nous éloignions, il ramenait des filles à l’appartement.

Ce matin, en me voyant seul dans son lit, je sus qu’il avait fini la nuit avec une fille, peut-être même chez elle. La couette s’est brusquement arrachée de mon emprise. Une main a claqué mes fesses.

– Allez, debout ! Clignant maladroitement des yeux dans la lumière

du jour, je le distinguais. Un homme grand et élancé, sa chevelure rouge cascadant sur ses épaules, un regard noisette épicé, des lèvres fines. Sur son torse nu, mon regard suivit son tatouage qui serpentait sur son aine, disparaissant sous son jean entrouvert… Il ne portait pas de caleçon, ses poils pubiens, curieusement de la même couleur que ses cheveux, luisaient dans la lueur matinale.

– C’est le début de l’après-midi, marmotte ! Viens que je te remplisse l’estomac, après, on sort !

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