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« BAGE » au NEPAL L’ASCA au Thorung La (5416m) Le Tour des Annapurnas. Katmandu….faut pas rêver ! J’avais dix ans lorsque la radio, installée dans la cuisine, annonça qu’une expédition française venait de vaincre le premier 8000. Maurice Herzog était monté en haut de l’Annapurna. En ce mois de juin 1950, l’événement ne passa pas inaperçu. Mon père n’était pas montagnard mais s’intéressait aux explorations, aux aventures…aux expéditions ; qu’elles se situent sur les océans, dans les déserts, dans la jungle, en montagne ou aux pôles. Il est vrai qu’à la sortie de la guerre il y avait encore de quoi faire. Beaucoup de zones du globe étaient encore vierges, la paix retrouvée et les avancées technologiques permettaient enfin d’envisager de nouvelles aventures. Les Expéditions polaires françaises avaient vu le jour trois ans plus tôt et Paul Emile Victor pouvait assouvir pleinement sa passion ; Albert Mahuzier commençait cette année-là ses premières expéditions en Afrique ; Jean Malaurie partageait la vie des Inuits au Groenland et devait atteindre, en traîneau, le pôle nord l’année d’après….Le désir de découvrir des paysages, des hommes, des coutumes…. était à son comble. Certains même frisaient l’inconscience comme Alain Bombard qui traversera l’Atlantique en 1952 en solitaire dans un petit canot pneumatique. Dans le sud Aveyron la montagne ne permettait pas de rêver à de grandes découvertes, seules les cavités, très nombreuses dans la région, n’avaient pas encore révélé tous leurs secrets. Cette année- là, dans les Pyrénées, Georges Lépineux découvrait le gouffre de la Pierre Saint Martin ; le gouffre Berger dans les Alpes lui ravira un temps la vedette en 1953. Ces deux découvertes renforcèrent alors ma passion pour la spéléologie ; passion qui m’habita jusqu’à ma venue au Pays basque en 1964. Ne sachant pas alors, vers qui je devais me tourner pour continuer cette activité, je me mis petit à petit à la montagne.

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« BAGE » au NEPAL

L’ASCA au Thorung La (5416m)

Le Tour des Annapurnas.

Katmandu….faut pas rêver !

J’avais dix ans lorsque la radio, installée dans la cuisine, annonça qu’une expédition française venait de

vaincre le premier 8000. Maurice Herzog était monté en haut de l’Annapurna. En ce mois de juin 1950,

l’événement ne passa pas inaperçu. Mon père n’était pas montagnard mais s’intéressait aux explorations, aux

aventures…aux expéditions ; qu’elles se situent sur les océans, dans les déserts, dans la jungle, en montagne

ou aux pôles. Il est vrai qu’à la sortie de la guerre il y avait encore de quoi faire. Beaucoup de zones du globe

étaient encore vierges, la paix retrouvée et les avancées technologiques permettaient enfin d’envisager de

nouvelles aventures. Les Expéditions polaires françaises avaient vu le jour trois ans plus tôt et Paul Emile Victor

pouvait assouvir pleinement sa passion ; Albert Mahuzier commençait cette année-là ses premières

expéditions en Afrique ; Jean Malaurie partageait la vie des Inuits au Groenland et devait atteindre, en

traîneau, le pôle nord l’année d’après….Le désir de découvrir des paysages, des hommes, des coutumes…. était

à son comble. Certains même frisaient l’inconscience comme Alain Bombard qui traversera l’Atlantique en

1952 en solitaire dans un petit canot pneumatique. Dans le sud Aveyron la montagne ne permettait pas de

rêver à de grandes découvertes, seules les cavités, très nombreuses dans la région, n’avaient pas encore révélé

tous leurs secrets. Cette année- là, dans les Pyrénées, Georges Lépineux découvrait le gouffre de la Pierre Saint

Martin ; le gouffre Berger dans les Alpes lui ravira un temps la vedette en 1953. Ces deux découvertes

renforcèrent alors ma passion pour la spéléologie ; passion qui m’habita jusqu’à ma venue au Pays basque en

1964. Ne sachant pas alors, vers qui je devais me tourner pour continuer cette activité, je me mis petit à petit à

la montagne.

Annapurna un mot presque magique. En 1950, je crois que j’aurais été moins émerveillé si ce premier

8000 avait été baptisé K2. J’avais certainement entendu parler de l’Himalaya mais je n’avais qu’une vague

idée du Népal. Tout ça me paraissait si lointain et presque inaccessible ! Lorsqu’à l’Asca, certains proposèrent

d’aller voir de plus près ces montagnes mythiques je répondis tout de suite oui et…. me posai ensuite quelques

questions. Louisette me donna aussitôt son feu vert. Mon médecin traitant que je consultai très tôt me

préconisa un traitement pour mon genou à base d’infiltrations. D’autre part mon âge ne me sembla pas être un

handicap insurmontable. Le raid prévu autour des Annapurnas, de 220 km, devait durer 16 jours avec un

dénivelé total prévu, de l’ordre de 12000 mètres (une étape sur la fin me paraissait assez ardue avec ses 1800

mètres de dénivelé). Le col le plus haut, à 5420 mètres d’altitude, représentait-il une grosse difficulté ? Le

décor était planté….il fut décidé que ce voyage aurait lieu au mois d’avril 2009.

Les 5 et 6 avril, voyage vers Katmandou

Le 5 au matin, nous sommes dix dans le TGV qui nous emmène à Paris. Il y a là, Michel et Brigitte,

Maryse, Battitte, Jean Pierre, Jakes, Robert, Serge, Jean Paul C. et moi-même Jean Paul S. dit Bagé pour la

circonstance, on verra plus tard pourquoi ! A Montparnasse, un ami de Serge nous débarrasse de tous nos

bagages. Nous pouvons ainsi flâner dans Paris jusqu’au soir. Petite collation, puis balade du jardin du

Luxembourg jusqu’aux Halles en passant par le Boul’mich, la place St Michel, Notre Dame et le Châtelet. Le RER

nous conduit tout droit à Roissy où nous retrouvons nos bagages. Dans la soirée un A330, tout neuf, d’Etihad,

nous emporte vers Abou Dhabi. Après 3 heures d’attente dans un hall luxueux nous redécollons pour

Katmandou. Maryse, Jean Pierre, Robert, Jean Paul, Jakes et Bagé ont été « sélectionnés » pour voyager en

classe affaires. Les quatre malheureux de la classe éco n’ont plus qu’à nous envier le champagne Canard

Duchêne, le Margaux Château Labegore et tout ce qui va avec !

Le 6 dans l’après-midi nous touchons la terre népalaise. Après quelques tracas concernant les visas et

pas mal d’attente pour sortir de l’aéroport, nous sommes accueillis par un représentant de Népal Ecology Trek.

Le trajet en minibus, vers l’hôtel, nous met aussitôt dans l’ambiance. Les avenues, les rues, les trottoirs,

quand il y en a, les maisons, les fossés, les ruisseaux sont sales. Nous avons l’impression d’être happés par une

animation et une circulation monstres. Un mélange de piétons, de motos, de camions, de bus et d’animaux

divers, le tout dans un vacarme de tuyaux d’échappement et de klaxons. La poussière et les odeurs, plus ou

moins tropicales, s’ajoutant à la confusion générale. Notre conducteur, pas stressé et apparemment fort habile

dans ce qui nous apparaît comme une belle pagaille, nous dépose sans encombre à l’hôtel Shatki, pas luxueux

mais correct, surtout pour le Népal, dans une rue qui jouxte le quartier Thamal. Nous faisons connaissance

avec le responsable de l’agence et prenons possession de nos chambres par groupe de deux, et ce jusqu’à la fin

du voyage. Le hasard fait que je me retrouve avec Jakes. Petite chambre propre et ordinaire. Salle de bains

simpliste dont la plomberie tourmentée n’assure sa fonction que de façon hasardeuse. L’eau froide est claire et

parfois marron. L’eau chaude est là plutôt le soir quand le soleil a chauffé toute la journée des bidons noirs

disposés de façon anarchique sur les toitures terrasses. L’éclairage électrique fonctionne en principe tout le

temps sauf entre 18 heures et 21 heures. Parfois le groupe électrogène assure la relève sur un circuit

particulier. Nous allons manger dans un restaurant de la ville. Les rues sont dans l’obscurité, certaines, les plus

commerçantes n’étant éclairées que par les vitrines ou les enseignes lumineuses grâce à de petits groupes

électrogènes qui crachent leurs fumées et leurs odeurs au milieu des piétons, des voitures, des motos, des

rickshaws qui se frôlent mais qui apparemment ne se touchent pas. Dans cette semi-obscurité il faut faire

attention à gauche à droite…. et en bas car la chaussée est particulièrement défoncée.

Le 7, Katmandou, en attente du visa et de l’autorisation de « marcher » !

Lever à 7 heures. Bonne douche, bon petit déjeuner, au soleil, dans le jardin de l’hôtel que nous

apprécierons davantage pour son calme au retour du trek. On y apprend que Jean Paul a enfermé Robert dans

les WC ! Nous faisons connaissance avec notre guide du jour pour une visite de la ville. Départ en minibus à 9

heures. Toujours autant de monde, de véhicules, de bruit, de saletés. La capitale paraît continuellement en

effervescence et vit au rythme rapide de transports en tous genres. A part quelques travaux de voierie, par ci

par là, qui occasionnent des bouchons énormes, le principal de l’activité semble ne concerner que le

commerce. La population paraît être parfaitement adaptée à ce remue-ménage. Les gens petits et minces se

faufilent aisément dans les embouteillages et leur philosophie, faite à mon avis de pas mal de fatalisme, leur

permet, semble-t-il, de rester calmes et sereins en toute circonstance.

Premier arrêt à Bouddha Park. A la descente du bus ce qui me frappe le plus c’est l’odeur. Un

mélange savant de cumin, de cannelle, d’encens, …de gaz d’échappement et d’ordures. Passé le portique

d’entrée, je constate que les lieux sont plus propres. Quelques marches conduisent à deux énormes statues

dorées, puis à un temple. Notre guide nous donne alors notre première leçon sur le bouddhisme. Nous nous

rendons ensuite à Boudhanath, toujours un temple bouddhiste mais plus intéressant que le précédent. Inutile

ici de faire une description de ces sites et de ceux qui suivront. N’importe quel guide sur le Népal donne toutes

les informations sur le bouddhisme, l’hindouisme ou le mélange des deux, car ça se fait aussi. Peu importe la

forme pourvu qu’il y ait le fond ! La dernière visite de la matinée est consacrée à Pashupati. Un

enchevêtrement de constructions disposées de façon plutôt anarchique. Ce matin, pas plus que les autres jours

je suppose, le ménage n’a été fait. Toujours cette ambiance que j’appellerais asiatique : épicée, un peu

chaude, alourdie cette fois par des odeurs de brûlé. En effet, le ruisseau en contrebas, affluent du Gange, est

sacré et sa rive droite accueille les crémations. Un pont permet d’aborder l’autre rive où se trouvent d’autres

petits édifices religieux. En aval du pont, ce sont les pauvres et les misérables qui sont incinérés, en amont ce

sont les riches. Il faut savoir qu’au Népal les castes ont été officiellement abolies mais qu’elles sont toujours

bien présentes. Les bûchers sont constitués de bois de tek pour la plupart des morts, et de bois de santal pour

les plus riches. Ce matin nous assistons à tous les stades de la crémation. Certains bûchers ne sont pas allumés,

d’autres sont en fin de vie... Nous observons aussi la mise en place d’un corps, enroulé dans un drap blanc.

Tous les résidus finiront au ruisseau, une eau d’égout mais …sacrée, alors ! Une eau, ou plutôt un peu d’eau

noirâtre, remplie d’immondices, de plastiques…que semblent apprécier tout particulièrement de petits singes

faméliques qui font trempette. Que ce lieu où respire la mort, avec un mouroir juste à côté, ne soit pas plus

propre, c’est incompréhensible ; pour moi, et certainement pour d’autres. Vous me direz, quand on a la foi ! A

moins que ça ne soit typiquement asiatique ?

Nous quittons les lieux un peu assommés. Notre minibus nous conduit maintenant à Swayambhu.

Nous prenons le repas sur la terrasse d’une maison au troisième étage, ce qui est classique à Katmandou. Les

Népalais ne connaissent pas les ascenseurs mais sont les maîtres dans l’art de faire les escaliers, faciles ou

raides, aussi bien en ville qu’à la montagne, nous le découvrirons vite. Vue splendide sur le site. Pendant le

repas nous remarquons en contrebas un homme âgé qui prie à l’ombre d’un arbuste. Nous n’avons pas

compté le nombre de fois qu’il s’est couché et relevé en faisant des pompes, mais ce qui est sûr, c’est qu’à ce

régime l’esprit, s’il est saint…. habite un corps sain. Après le repas nous visitons le monument construit au

milieu d’une belle place arrondie. De nombreuses scènes érotiques ornent le pourtour de l’élément central. La

leçon de choses semble en intéresser plus d’un. Nous faisons nos premiers petits achats en divisant d’abord

par deux le prix proposé puis en discutant. Sur le retour nous passons à la banque. Pour faire simple : 1 euro =

100 roupies. C’est munis de beaucoup de billets sales que nous rejoignons notre hôtel. Douches, puis petits

achats dans le quartier que nous commençons à connaître.

A 18 heures, dans notre petit jardin bien sûr, nous est présenté notre guide de montagne, Birsingh

Tamang…de la tribu Tamang, dans les montagnes, au nord de Katmandou. Nous apprendrons plus tard que

tous les Tamangs s’appellent Tamang, ce qui ne doit pas être simple administrativement parlant ! Birsingh,

teint buriné (c’est normal) a 37 ans, nous le saurons plus tard, parle français, paraît décidé, précis dans ses

instructions ; en résumé bonne impression. Il me prend à part pour me signifier que je suis le « Bagé » : le

grand-père en Népalais et le plus ancien du groupe. Il a potassé ses fiches ! Peut-être a-t-il peur que je ne

tienne pas la distance ? Il faut dire qu’au Népal l’espérance de vie est de 58 ans, alors, monter à plus de 5000

mètres à 69 ans peut lui paraître osé. Nous allons manger au New Orléans : bon repas dans une ambiance

night-club. Le son est à fond et dévore certainement toute l’électricité car il n’y a pas d’éclairage. Le retour se

fait comme d’habitude, « un coup j’ te vois, un coup j’ te vois pas ». Quelques achats en passant puis dodo.

Le 8, Katmandou – Bessi Sahar en minibus

Lever à 5h45. Petit déjeuner à 6h30. A 7h30 les sacs sont chargés sur le toit du minibus et bâchés. Il y a

là le conducteur, le guide Birsingh, deux assistants Siam et Dawa, quatre porteurs et nous. Le cinquième

porteur sera embarqué plus tard au col. Pendant tout le tour des Annapurnas nous serons donc 18. Toujours

autant de voitures, motos, camions, bus, par moment ça paraît inextricable puis comme par enchantement

tout se dénoue. Nous passons à notre premier contrôle de police. Il y en aura d’autres. Nous montons

maintenant au col à 1700 mètres d’altitude. La circulation est dense. Nous pouvons voir que le secteur abrite

de nombreuses briquèteries, plus artisanales qu’industrielles. C’est la seule route du pays ou presque ; elle

relie Katmandou à Pokhara. Au col nous chargeons le cinquième porteur et entamons une descente très

longue et très sinueuse. Il s’agit de descendre plus de 1200 mètres. De nombreux camions complètement à

bout de souffle sont arrêtés dans la montée, ce qui perturbe considérablement le trafic. Les véhicules se

doublent et se croisent dans l’anarchie la plus totale et pourtant ça passe. Nous remarquons de plus en plus de

cultures en terrasse plantées le plus souvent de maïs. Vers midi nous sommes dans la vallée. Nous nous

arrêtons pour manger à l’ombre d’un auvent. Bon repas népalais mais un peu épicé (riz, patates, courgettes).

Nous repartons, pas très loin, car Robert a oublié son appareil photo. Ce soir nous savons qui va payer la bière.

A ce sujet, il faut savoir qu’au Népal il y a de la bière partout. De la bière locale, Everest, qui n’atteint pas les

sommets …de la San Miguel ! Le prix est variable, pour la bouteille qui fait 66 cl, de 130 roupies au niveau de la

mer, ou presque, à 280 roupies vers 4500 mètres d’altitude. Un peu normal quand on sait qu’elle est

transportée le plus souvent à dos d’hommes ou de mules. A titre de comparaison, on mange très bien pour

250 roupies. Le minibus Toyota est confortable. Le guide est assis devant, les assistants sont installés sur des

tabourets en osier et les porteurs sont entassés dans le fond. Un des porteurs n’appréciant que très

moyennement les sinuosités de la route remplit une dizaine de poches plastique qu’il jette régulièrement par la

fenêtre ! Nous quittons la grande route pour une plus petite, toujours aussi accidentée. Nous sommes au-

dessus de la rivière Marsyangdi que nous longerons à pied pendant six jours. Beaux villages, belles filles, belles

cultures, belles vaches, beaux buffles… à 14h30 nous arrivons à Bessi Sahar. Nous montons nos bagages. Les

chambres de l’hôtel sont rustiques mais propres, à part la poussière de la route qui recouvre les rares meubles.

Les WC et les douches sont au bout du couloir, ce qui sera le cas dans presque tous les lodges qui nous

attendent. Nous prenons une petite bière de 66 cl…. que nous partageons. En général, six pour dix, ce qui est

raisonnable. La petite balade en ville est reposante ... enfin ! Les gens nous sourient, les enfants nous saluent et

il n’y a pratiquement plus de voitures puisque la route s’arrête là. Première communication internet pour la

plupart. Retour au Lodge, douche…froide en ce qui me concerne, vêtements propres. Maryse a oublié à

Katmandou des médicaments importants ce qui monopolise toute l’énergie de Birsingh pour les récupérer ou

les remplacer. Après pas mal d’interventions de sa part… tout s’arrange puisque Maryse les retrouve… au fond

de son sac. On sait qui paiera la prochaine tournée. Brigitte m’a donné des cachets à sucer car j’ai un peu mal à

la gorge. Il semble que je ne suis pas le seul. Est-ce dû à la pollution de Katmandou ? Ce soir Robert offre

l’apéro. Avec Jean-Pierre nous goûtons le whisky népalais … nous en laisserons beaucoup dans nos fioles

respectives….une catastrophe ! Le repas est bon, accompagné de beaucoup de riz pour ceux qui dévorent. Ce

soir je dors avec Jean Paul C.

Le 9, Besi Sahar (820m) – Nagdi (890m). Long : 13 km, déniv : 440 m, durée : 5 h

Lever à 6 heures. Cette nuit a été un peu perturbée par un orage. Beaucoup de bruit, beaucoup de

vent mais peu de pluie. Le petit déjeuner est bon et copieux ; pour ma part : patates, œufs, confiture et café.

Devant l’hôtel, les porteurs se répartissent les charges. Après pas mal de tâtonnements mon sac se retrouve

avec celui de Battitte, ce qui induit automatiquement - nous le vérifierons plus tard - que je ferai équipe avec

lui pour dormir, jusqu’à la fin du trek. Notre porteur s’appelle Dol Raj, il a 23 ans et vient de la région du

Solukhumbu, près de l’Everest. Tous les porteurs, sont jeunes. Chacun aura sur le dos entre trente et trente

cinq kilos ce qui est beaucoup par rapport à nos huit à neuf kilos, mais raisonnable par rapport à des porteurs

d’autres organisations qui se coltinent une cinquantaine de kilos. Nous démarrons vers 7h20 pour….seize

jours ! Il fait beau, ce qui s’avèrera être une remarque peu originale puisque nous n’aurons, sur toute la durée

du trek, que deux orages de courte durée (un, alors que nous étions déjà arrivés à l’étape et un autre en fin

d’étape !). Après une descente raide par un escalier taillé dans la roche et un peu de piste, nous faisons notre

premier arrêt-panorama : il y en aura beaucoup. La vallée très cultivée est caractérisée par des cultures variées,

de petites maisons et de l’eau pratiquement partout pour irriguer les rizières. La montagne pour le moment n’a

rien d’extraordinaire. Une moyenne montagne comme chez nous mais couverte d’une végétation subtropicale.

Michel repart en oubliant sa gourde ! La piste est empruntée par des véhicules tout terrain et de nombreuses

caravanes de mules rappelant que la vallée du Marsyangdi a été une des plus grandes routes du sel. Nous la

quittons en empruntant la première passerelle suspendue au dessus du Marsyangdi. Brigitte qui craint ce genre

d’exercice prend son courage à deux...pieds et réussit…haut la main, ce premier examen…. de passage (de

toute façon il n’y en pas d’autre). Les cultures en terrasse et les villages s’échelonnent doucement sur le flanc

de la montagne. Le sentier à partir de là est très beau et monte allègrement. C’est la structure essentielle des

lieux. C’est l’unique desserte locale. Fini les engins pétaradants, tout se fait à pied ou avec les mules.

Dans les villages, pas de place perdue pour les cultures, le sentier le plus souvent dallé sert de devant

de porte. Aux nombreuses fontaines les femmes et les jeunes filles lavent la vaisselle, le linge ou… leurs

cheveux. A l’ombre d’un balcon de bois, d’une bougainvillée ou d’un figuier les enfants jouent aux osselets ou

aux cartes et les hommes dans tout ça !....ils philosophent ! J’exagère un peu mais globalement je dois dire que

les femmes sont plus souvent au travail que les hommes, aussi bien autour de la maison que dans les champs.

Quelques domaines semblent toutefois leur être réservés : le travail de terrassement et de déroctage pour la

réalisation de la piste sur le versant opposé, le labourage des parcelles à l’aide d’un soc en bois, sans doute à la

mode au néolithique, et le portage. A ce sujet nous constatons rapidement que les porteurs que nous

côtoyons, petits, musclés et plutôt minces portent des charges énormes : des denrées alimentaires, des

équipements divers, des « poulaillers », du ciment, du sable…et même des tuyaux en acier de trois mètres de

long. Ces tuyaux, pesant d’après nous, dans les quatre-vingt-dix kilos, sont portés en travers,

horizontalement, ce qui oblige le porteur à marcher en crabe pour ne pas toucher les murs ! Nous continuons

notre montée en découvrant à chaque détour du chemin une situation nouvelle, un paysage nouveau. Le riz a

cédé la place au maïs. Le bois des maisons s’efface peu à peu au profit de la pierre, le plus souvent du schiste.

La végétation tropicale s’éclaircit. Les gens, ici, paraissent vivre harmonieusement dans cet environnement

façonné à leur goût depuis des siècles. Tout est propre, bien rangé. Les parcelles sont bien clôturées, les

maisons bien entretenues, le chemin bien dallé. Beaucoup de verdure, beaucoup de fleurs ... de parfums, un

arbre…une ombre, une fontaine...de l’eau, un banc en pierre…un peu de repos… Au-delà de Bhulbule le

chemin grimpe toujours rive gauche et nous conduit à notre premier arrêt-repas au pied d’une magnifique

cascade de 60 mètres. Au menu : salade, nouilles, patates, bière et café. Il fait chaud, nous nous serrons autour

de l’unique table de la terrasse sous un auvent en bambous. La sieste de certains est écourtée pour reprendre

notre progression. Le sentier vagabonde à travers des petites terrasses et des petits villages sur des petits

plateaux nettement au-dessus de la rivière. Tout à coup le groupe s’arrête ; pour contempler quoi ?....le

Manaslu, sur notre droite, notre premier 8000 ! Malgré un léger voile dû à son éloignement, nous distinguons

assez nettement la face ouest de son immense masse blanche qui culmine à 8156 mètres. Un paysage

superbe de haute montagne se déroule sur notre droite jusqu’au Nagdi Chuli .

Lorsque nous arrivons à Nagdi la vue sur les grands sommets a disparu. Le vent se lève. Je bois mon

premier thé…ouais, rien de rare. Robert tousse, Brigitte notre infirmière de service, lui prescrit un remède

miracle. Aujourd’hui, Serge a été la première victime de madame « Tourista », l’obligeant à rendre visite à des

coins dit petits, et dans ces conditions, souvent insolites. Alors que le plus grand nombre a opté pour la

douche, Battitte, Jean-Pierre et moi allons essayer de rejoindre la rivière qui gronde en contrebas. Ce que nous

faisons non sans mal en amont du village. Les eaux tumultueuses dévalent entre de gros blocs. Nous

choisissons une petite plage de sable noir, abritée derrière un éperon. L’eau légèrement mâchée, couleur

d’émeraude n’est pas très chaude. Le bain se transforme en toilette. Nous retrouvons le Lodge au milieu d’une

prairie sur un plateau. Il est constitué de cabanes de bois avec les toits en tôle ondulée. Deux châlits en bois

recouverts d’une couverture constituent le seul mobilier des chambres séparées par des cloisons en tissu. Vers

le milieu de l’après midi il commence à pleuvoir ; d’abord beaucoup de bruit, puis beaucoup d’eau. L’orage

cesse rapidement, nous montons visiter le vieux village.

La région est habitée par la tribu Gurung. Bersingh nous fait visiter quelques maisons. Les gens sont

accueillants et fiers de nous montrer les intérieurs. Les sols sont le plus souvent en terre battue. Des tapis

servent de lits dans l’unique chambre. Dans la cuisine, le feu, toujours dans un coin, constitue l’élément

principal du lieu. Pas de cheminée donc pas mal de fumée. Pas de chaises, pas de meubles, le plus souvent une

barate en bois et quelques ustensiles de cuisine en inox. Les femmes font la cuisine…accroupies sur les talons.

J’ai toujours été impressionné par cette position accroupie utilisée par les asiatiques, peut-être à cause de mon

genou qui ne supporte pas une flexion complète ? Nous visitons aussi la maison d’un ancien Gourkha. Un

ancien soldat de sa majesté la reine d’Angleterre. Depuis 1815 la reine s’offre les services de bataillons de

Népalais composés essentiellement de Gurungs, de Magars et de Tamangs. A l’heure actuelle, elle en aurait

encore 3500 sous ses ordres.

Retour au lodge et repas aux bougies. Ce soir nous avons droit à un spectacle de chants et de danses.

Ce sont les femmes et les jeunes filles du village qui assurent la soirée sous le feu de nos lampes électriques.

Les roupies serviront à améliorer le quotidien du village : pour l’école, l’achat d’un équipement, etc.… Les

hommes sont absents, à part un jeune aux percussions. D’après ce que nous dit Bersinh, depuis le

soulèvement maoïste, les hommes sont partis… enrôlés, d’autres ont fui vers la ville et parmi les rares qui sont

restés certains s’adonnent à la boisson. En résumé ce sont les femmes qui font bouillir la marmite. Aujourd’hui

les maoïstes participent au gouvernement et la montagne est tranquille, pour le moment. Le spectacle s’il n’est

pas trop varié, a le mérite d’être authentique. Nous sommes invités à danser. Le froid, petit à petit, modère les

ardeurs. Après avoir signé un registre officiel, Serge notre « trésorier élu à l’unanimité », règle la note. Nous

allons nous coucher. Petite étape tranquille, beaucoup d’images, dépaysement total, vive les vacances, surtout

pour un retraité !

Le 10, Nagdi (890m) – Jagat (1300m). 12 km, 730 m, 5h

Lever à 5h45. Cette nuit, il y a eu beaucoup de vent et peu de pluie. Ce matin le ciel est limpide. La

petite prairie gazonnée qui entoure nos petites habitations est encore toute mouillée. Le cadre est charmant

malgré la fraicheur du matin. Et dire que ce plateau verdoyant va disparaître (pas tout de suite) sous les eaux

d’un barrage hydroélectrique. Au loin, les premiers rayons du soleil éclairent un sommet blanc et pointu….

sans importance d’après Birsingh ! Après un bon petit déjeuner, nous démarrons, il est 7h20. Hormis l’étape

du col, nous partirons toujours vers cette heure-là. Le sentier, genre montagne russe, serpente au milieu d’un

relief type Cévennes-versant-sud…. pour ceux qui connaissent. Nous traversons de nombreux villages. Les

habitants sont toujours aussi accueillants, les enfants toujours aussi beaux. Ici, même si les gens sont pauvres,

nous ne ressentons pas la misère de la capitale. Les petites terrasses sont surtout semées de maïs. La vallée se

resserre. Le chemin, parfois exposé, passe haut au-dessus de la rivière. Une montée raide nous conduit, sur une

crête, au plaisant village de Khanigaon à 1170 d’altitude. Nous nous y arrêtons pour manger, sous un auvent

bien sûr ! La température est idéale. Bon repas, chappattis et frites, pas de riz. Nous repartons, Jean-Pierre

oublie un instant sa polaire (nouvelle tournée en prévision!). Le chemin, très agréable, redescend pour

traverser ensuite le Marsyangdi, à Syange, sur un long et grinçant pont suspendu très apprécié de Brigitte ! La

vallée se rétrécit, un canyon commence à se profiler. Nous retrouvons la piste qui se termine un peu plus loin.

Nous n’aurons pas à supporter les odeurs de pots d’échappement car de nombreux éboulements récents et

paraît-il fréquents empêchent toute circulation. Cette piste, en chantier depuis des années, doit permettre de

relier Bessi Sahar à Manang. Par endroits, l’ancien sentier la recoupe par une succession de montées raides

dans des falaises presque verticales. Une dizaine de jeunes s’évertue à pousser un gros bloc dans la rivière ne

disposant que de pelles, de pioches et de barres à mine. Des outils déjà en circulation du temps des romains.

La construction de la piste ne se fait pas en continue avec de gros engins de terrassement mais par tronçons

complètement séparés. On dirait que chaque village s’occupe d’une portion. Nettoyage et terrassement des

parties meubles, forage à la barre à mine des parties rocheuses. Un vrai travail de fourmis et….de titans ! Au

cours de notre périple nous n’avons vu qu’un seul engin de terrassement ! A l’approche de Jagat (1330 mètres

d’altitude) toute trace de travaux a disparu. Nous retrouvons « notre » sentier.

Le petit replat de Jagat semble accroché à la falaise comme une étagère sur son mur. A la verticale,

plus de cent mètres en dessous, la rivière gronde entre deux parois rocheuses. Au-dessus de nos têtes le ciel

déroule sa longue bande bleue. Tout est minéral.

Du village de pierre se dégage une atmosphère presque médiévale. Les rares boutiques et lodges sont

serrés les uns contre les autres, de part et d’autre du chemin pavé de pierres noires. Nous sommes hébergés en

plein centre près d’un petit lopin de terre. Après une bonne douche et une Everest, nous allons musarder dans

l’unique rue du village. Là, se côtoient les habitants et les bêtes en liberté : des mules, des chèvres, des poules

et des chiens. Un tailleur, installé dehors devant sa petite échoppe, faufile une chemise. Sa femme, en face de

lui, pique sur une machine à coudre à pédale. Les pavages et les murs des maisons sont en pierre sombre. Des

tas de bois sont soigneusement rangés sur les murs de clôture ou sur les rochers, seuls les lodges apportent

une petite touche de couleur. Repas à la lampe à gaz et aux bougies, petite lecture et dodo vers 9 heures. Le

matelas est bon. Si certains lisent assez longtemps le soir, moi je ne dévore qu’un nombre limité de pages. Non

pas pour économiser les piles de la frontale mais parce que mes yeux ne restent pas ouverts très longtemps.

Le 11, Jagat (1300m) – Dharapani(1900m). 15km, 750m, 7h

A part des chiens qui ont aboyé cette nuit j’ai bien dormi. En revanche je n’ai pas très bien déjeuné :

Muesli au thé. Je complète avec deux barres au chocolat de mon sac. Nous commençons par une petite

descente. La gorge se resserre encore, les cultures se font de plus en plus rares. A Chamje, nous traversons à

nouveau la rivière sur une passerelle suspendue. A flanc de falaise des escaliers de pierre, montants ou

descendants, nous conduisent peu à peu à Sattale (1680m). Sur ce plateau, très haut au-dessus de la rivière,

nous retrouvons des champs, des plantations de bambous… des rhododendrons, mais les fleurs sont déjà

passées. Le sentier à nouveau joue avec les faiblesses de la verticalité des lieux empruntant vires, fissures,

éboulis, brèches et pentes herbeuses. En face, en pleine paroi, très haut par rapport à la rivière des fourmis

noires s’activent sur une ligne claire pratiquement horizontale. Ce sont des ouvriers qui décapent, grattent,

fracassent…grignotent la montagne. La piste doit passer. Le rocher le plus récalcitrant est attaqué à la barre à

mine et pulvérisé, plus tard, à la dynamite. Ce n’est pas demain que les véhicules vont circuler. Cette façon de

travailler me paraît, de nos jours, complètement surréaliste. Je pense, qu’à l’époque, le « chemin de la

mâture » dans les Pyrénées a été réalisé de la même façon, avec les mêmes moyens mais sans les explosifs.

Nous arrivons à un horrible arc en béton qui marque l’entrée du district de Manang, alors que la vallée s’ouvre

soudain sur un large et vaste plateau. Jadis c’était un lac. Dans ce cadre spectaculaire, avec en fond des

sommets enneigés nous découvrons le village de Tal qui veut dire…lac. Dans cette plaine sèche, l’alignement

des guests-houses en bois fait penser au Far-West. Nous nous y arrêtons pour manger ; un peu moins

longtemps que d’habitude car l’étape est longue. Cette après midi, c’est Siam, l’un des assistants, qui assure le

rythme…ça va accélérer ! Nous en sommes à notre troisième jour de marche et connaissons maintenant

l’organisation de notre trio de choc.

Bersingh, le guide dirige les opérations et assure la responsabilité du groupe. Pendant la marche, tout

en ayant un œil sur tout, il répond aux nombreuses questions des uns et des autres, décrit les paysages,

raconte des anecdotes dans un français qui, s’il n’est pas académique, est correct. Siam, 48 ans, et Dawa, 52

ans, les deux assistants, parlent anglais, peut être pas aisément, mais mieux que moi. Quand l’un est en tête

pour assurer le rythme et en particulier les pauses, l’autre fait office de serre-file et se retrouve en queue.

Siam, peut-être parce qu’il est plus grand, marche plus vite que Dawa. Bien sûr il n’est pas interdit de parler

avec eux. Pour ma part, après quatre mots d’anglais, je passe vite aux gestes, ce que Dawa fait très bien aussi,

mais ce langage atteint vite ses limites, alors nous nous taisons. Il arrive parfois que Dawa, certainement

heureux, entonne un refrain incompréhensible bien sûr, mais agréable à l’oreille, alors je fredonne avec lui. Je

fais ce que je peux et ça le fait rire. Siam est beaucoup plus réservé. Généralement, le matin, c’est Dawa qui est

devant, Siam ferme la marche. S’il faut aller commander le repas de midi c’est Siam qui s’avance, Bersingh se

met alors derrière. Aux « arrêts-individuels-derrière-les-buissons » il y en a toujours un pour attendre. Au repas

de midi les trois servent à table. A l’arrivée, ils veillent à notre installation, Bersingh s’assure que tout se passe

bien. La journée, pour eux, n’est pas finie car ils aident souvent à la préparation du repas et servent à table. En

principe ils mangent après nous. Le matin, juste avant de partir, Siam ou Dawa sont chargés de vérifier que

nous n’avons rien laissé dans les chambres ; ils soulèvent les oreillers et peut-être même les matelas, s’il y en

a…Assez souvent ils trouvent quelque chose. Nous sommes choyés comme des gamins à leur première colonie

de vacances.

Nous traversons des champs de maïs, d’orge et de pommes de terre. Jean-Pierre, tête en l’air…pour

regarder le paysage, trébuche sur une racine et s’affale de tout son long. Brigitte applique son premier

pansement. Nous ne suivons pas longtemps le lit de la rivière, le sentier redevient escarpé puis grimpe

brutalement vers une passerelle de soixante mètres de long. De l’autre coté de la rivière, le chemin a été tracé

à coups de dynamite. A Karte, nous changeons à nouveau de rive. La végétation est encore tropicale alors que

nous sommes à 1850 mètres d’altitude. Il y a là des fougères arborescentes, des rince-bouteilles, des cactus

et…du cannabis. Les sommets de 5000 mètres et plus, sont enneigés.

Nous arrivons à Dharapani en empruntant la troisième passerelle de la journée ! Des mules alignées

contre un mur, reprennent des forces en puisant dans un sac d’orge attaché à leur cou. Bon lodge, bonne

douche, belle chambre avec vue imprenable sur le Marsyangdi ; pourvu qu’il ne soit pas trop bruyant cette

nuit ! Bersingh nous amène visiter le vieux village tibétain sur l’autre rive ; murs des maisons en pierres sèches

avec les entourages des ouvertures en bois, toits de bardeaux. Les animaux, comme dans nos vieilles fermes,

vivent en bas, les gens juste au-dessus. Bersingh fait ouvrir pour nous un temple bouddhiste. Nous laissons les

chaussures dehors. Une vieille dame nous psalmodie un feuillet d’un énorme livre de prières d’une soixantaine

de centimètres de long. A la fin de la lecture, Bersingh l’aide à emmailloter à nouveau le volumineux bouquin

dans trois épaisseurs de tissus de couleurs différentes et à le ranger dans son casier. Il y en a tout un pan de

mur. Nos trois accompagnateurs en profitent pour acheter deux ou trois bougies et prier. L’intérieur du temple

est sombre mais très coloré. Nous retrouvons le lodge et la routine. Apéro, repas, très bon : nouilles, omelette,

patates et momos aux épinards.

Le 12 Dharapani(1900m) – Chame(2710m). 16km, 1020m, 7h30

J’ai très bien dormi malgré le bruit de la rivière. Nous sortons du village par la porte nord. Dharapani,

comme tous les villages tibétains, possède deux portes ou arcs appelés kanis. Ces ouvrages plus ou moins

décorés sont placés à l’entrée et à la sortie du village. Au-delà de Dharapani le chemin, d’abord plat, grimpe

ensuite dans une très belle forêt d’épicéas, de pins bleus, d’érables et de chênes. Jusqu’à présent la vallée était

orientée nord-sud, à partir d’aujourd’hui notre itinéraire sera plutôt est-ouest et ce matin, malgré l’ombre des

arbres, il fait chaud. Alors que nous déambulons à plat sur un tronçon de piste nous apercevons, au-dessus de

la végétation, la face est de l’Annapurna II. Cette face, certes globalement blanche, est tellement inclinée

qu’apparaissent, par endroits, de grandes rayures verticales de roches noires. La voie normale ne doit pas

passer par là ! Nous franchissons le kani de Bagarchhap à 2160 mètres d’altitude alors que le soleil est déjà

haut dans le ciel. Premier village dont l’architecture est typiquement tibétaine ; des maisons de pierre

étroitement serrées, sur les toits plats desquelles s’empile le bois de chauffage. Après l’avalanche de 1995 une

partie du village a été emportée et reconstruite mais on voit encore quelques stigmates de la catastrophe.

Trente minutes plus tard, juste après Danaque, Bersingh nous propose une variante. Nous quittons la piste

pour reprendre l’ancien sentier et grimpons, à l’ombre, dans la forêt. Nous voyons nos premiers

rhododendrons géants (de gros chênes). Malheureusement pour nous c’est la fin de la floraison. Arrivés à

Timang (2270m) nous nous installons, au soleil, sur le toit d’une maison aménagé en terrasse, avec en toile de

fond au-dessus d’une luxuriante vallée le…Manaslu. Malgré l’éloignement…quelle masse ! Les glaciers

paraissent immenses. Nous prenons une tasse de thé. Serge oublie ses chaussettes ! Nous retrouvons la piste à

Thanchok où nous mangeons…très bien, dans un environnement de plus en plus alpin. Tout prés de nous, le

versant est d’un col scintille sous la neige. Bersinh nous signale que c’est le Namun Bhanjyang (5560m). Nous

restons là à contempler le paysage ; certains font la sieste. Nous reprenons la piste. Nous voyons nos premiers

vautours. Le reste de l’étape se déroule en compagnie de la grande pyramide de l’Annapurna II. Sœur cadette

de la célébrissime montagne qui a fait perdre vie et doigts à plus d’un alpiniste, elle a loupé son examen de

passage dans le club très fermé des plus de 8000, pour 63 mètres. Nous avons l’impression d’être tout près et

pourtant le sommet est à une dizaine de kilomètres. Nous devons lever la tête car il est 5300 mètres plus haut

que nous.

A 15 heures nous passons le kani de Chame. Après la douche, le lavage des chaussettes et le mail à

Louisette, j’envoie ma première et peut-être dernière carte postale car je pense que le courrier, transporté à

dos d’homme ou de mule, mettra du temps pour arriver à Katmandou. Il n’est pas dit qu’ensuite ce soit plus

rapide. Quelques nuages accrochent les sommets, le vent se lève, la température chute. Chame est le village le

plus important que nous ayons vu depuis le départ. Beaucoup de boutiques. J’en profite pour acheter un

bonnet en polaire que je mets aussitôt car je toussote. Je ne suis pas le seul ; ça rassure ! Après un très bon

repas je rejoins mon duvet.

Le 13, Chame (2710m) – Lower – Pisang (3250m) 19 km, 760m, 6h

Moulin à prières

Très bonne nuit. Il paraît que des chiens ont encore aboyé. Siam a trouvé mon pantalon en polaire

sous l’oreiller, ce soir je régale. Le temps est couvert, j’ai abandonné le short et mis une couche

supplémentaire. Cheminant toujours direction ouest nous quittons Chame en passant devant un mur de

prières ou mani. Ces murs aux entrées des villages sont de longueur variable. Ils comportent à hauteur de

coude des cylindres métalliques verticaux sur lesquels sont inscrites des prières. La coutume veut que le mur

soit toujours contourné par la gauche, ce qui me paraît logique…car en passant à droite on ferait tourner les

prières dans le sens opposé à la lecture. Au début nous nous sommes pliés à la tradition mais petit à petit

certains se sont lassés. Maryse arrêtera un peu plus tard cette pratique car elle lui réveillera une ancienne

tendinite au bras. Nous franchissons la désormais habituelle passerelle et quittons les parcelles de sarrasin, les

vergers de pommiers pour aborder rapidement la forêt. Le paysage est pyrénéen. Nous cheminons au milieu

de pins bleus, épicéas, sapins et cèdres nains dont la hauteur ne dépasse pas un mètre. Un sentier moelleux,

tout moquetté d’aiguilles en décomposition s’enfile dans la verdure.

Dans une montée, Birsingh est alerté par un trio composé d’une femme et d’un homme portant une

fillette sur le dos, ce qui n’est pas habituel. Renseignement pris la fillette doit rejoindre un hôpital le plus vite

possible pour se faire opérer de l’appendicite. Nous imaginons le topo : deux jours de marche au moins, une

journée de quatre-quatre et une journée de bus ! Et l’hélicoptère dans tout ça ? Très bien, à condition de

pouvoir payer.

Le ciel se dégage peu à peu. Nous buvons notre thé du matin à Bhatang en plein soleil et au pied d’une

face nord toute blanche de 6 ou 7 km de long et de 3000m mètres de haut, allant du Lamjung Himal (6983m) à

l’Annapurna II. Un paysage continuellement changeant accompagne nos pas. A Phokari (3200m) nous faisons la

halte traditionnelle de la mi-journée. Bière au soleil, et toujours très bon repas...à l’ombre. J’apprécie le thé

citron : beaucoup de citron, peu de thé ! Nous pouvons jouir d’une vue superbe sur le Pangdi Danda (4666m).

Un immense pan d’ardoise incurvé aussi raide que lisse ? Dans sa partie supérieure le manteau neigeux a du

mal à s’accrocher. Sur proposition de Bersingh nous prenons la variante qui grimpe à Upper Pisang. Le village

est superbe, très authentique, car peu fréquenté. C’est un groupement de maisons séparées de ruelles

étroites. On nous ouvre le temple du monastère bouddhiste. L’intérieur est très coloré et très richement

décoré. Nos guides s’acquittent bien sûr de leurs obligations religieuses. Nous passons devant un mani très

long, une soixantaine de mètres et descendons sur Lower Pisang, quel contraste ! Nous avons retrouvé « la voie

rapide ». Une brochette de lodges sans âme, disposés de part et d’autre du chemin, attendent les trekkeurs.

Avant de rentrer dans le village, nous remarquons des canaux de bois conduisant l’eau à un petit

moulin. La région est devenue plus sèche. Nous apprenons que l’accumulation des pluies ici est faible car la

chaîne des Annapurnas fait écran aux précipitations. Le climat froid et le sol aride ne permettent qu’une seule

récolte par an. Blé, orge, sarrasin, pommes de terre et haricots. Les gens élèvent principalement, des yaks, des

vaches, des chèvres et des chevaux. Ce soir c’est le grand luxe. Nous avons droit à une chambre équipée d’un

WC et d’une douche…chaude. Dehors le soleil est passé derrière la montagne, il fait froid, le poêle ronfle dans

le refuge. Je toussote toujours un petit peu. J’ai du mal à me réchauffer ; J’ai cinq couches sur le dos. Un peu de

lecture, un peu d’écriture puis belote. Je joue avec Battitte, je perds. Je joue avec Birsingh, je perds. Très bon

repas comme d’habitude. Sur les conseils de Bersingh qui nous prépare à l’altitude, ce soir, nous buvons notre

dernière bière.

Le 14, Lower Pisang (3250m) – Manang (3540m) 16km, 510m, 6h

J’ai passé une très bonne nuit. Pour le moment le duvet de ma fille est suffisant. Aujourd’hui c’est le

Premier de l’An népalais. Bersinh nous apprend que nous sommes en 2066. Il fait froid mais très beau. Nous

allons rejoindre Manang directement pour avoir le temps de visiter un monastère. Dès le départ, le chemin

monte longuement sur une crête boisée de pins et très rapidement le soleil vient réchauffer l’atmosphère.

Nous arrivons en haut d’un éperon à 3450 mètres d’altitude. De là, la vue est parfaitement dégagée, au nord

sur le massif des Chulu (est, central et ouest) à 6500 mètres d’altitude, à l’ouest sur le Pic Tilicho (7134m) et à

l’est sur le Pisang Peak (6091m). Après une petite descente nous longeons, à Humde, l’aéroport de Manang.

Beaucoup de trekkeurs atterrissent ici en coucou, marchent six jours et reprennent l’avion de l’autre coté du

col, à Jomsom. Un superbe pont de bois nous permet ensuite de passer sur la rive nord du Marsyangdi.

A Bhraga nous mangeons…un peu légèrement à mon goût. Je bois un coca cola! La montée au vieux

village nous permet d’avoir une vision plus large sur la vallée. Le versant sud, dominé par des falaises de roche

jaune est très aride, de l’autre côté de la rivière, le versant nord, boisé dans sa partie basse, impose son

interminable barrière de neige, de roc et de glace sur une hauteur de 5000 mètres. Les maisons, couleur de

terre, empilées les unes sur les autres, se confondent avec le terrain. Beaucoup sont en ruines. D’après Birsingh

il ne reste ici que cinq ou six familles, des personnes âgées. L’intérieur du temple, un peu sombre, révèle peu à

peu ses peintures. La charpente brune de l’édifice a été renforcée par des poteaux de bois mais a conservé tout

son caractère. Dehors le vent s’est levé. Des enfants tirent des flèches sur une planche de bois. L’exercice est ici

courant. Les adultes, au moment des fêtes organisent des compétitions de tir à l’arc. Nous passons devant un

chorter : un mur de pierres reliquaires bouddhiste. Une courte balade conduit au plateau de Manang. Au fond,

sur notre gauche, le Gangapurna (7454m) et son énorme glacier miroite sous les derniers rayons du soleil.

Notre hébergement est prévu pour deux nuits au Yak Lodge. Je suis le premier sous la

douche…froide…et même très froide. Je me réchauffe dans une superbe salle panoramique devant un black

tea. En sortant, je me cogne la tête à l’angle du manteau de cheminée : le concepteur devait être petit ! Dehors

il fait plutôt frais. Il y a bien quelques cultures autour de Manang mais nous constatons vite que toute l’activité

de ce petit village est consacrée aux treks : des lodges et des boutiques. Après avoir satisfait aux expéditions

des mails, nous magasinons en vue des étapes à venir. J’achète une polaire double couche, sans manche, sait-

on jamais et un « foulard palestinien » pour me protéger des vents de sable qui soufflent, paraît-il, très fort

dans la vallée du retour. Le repas du soir est un peu léger à mon goût. Un genre de petite tartiflette au lait de

nak, la femelle du yak,…pas mauvais. . Bien que demain ce soit jour de repos, ce soir nous ne veillons pas plus

que d’habitude. Cette précipitation habituelle à se rapprocher de la couette est plus due au froid qu’à la

fatigue, l’absence d’éclairage favorisant cette migration.

Le 15, Manang (3540m), acclimatation, déniv : 600m.

Nuit calme. Ce matin il y a de la gelée blanche sur les terrasses. Le ciel est bleu cobalt. Les premiers

rayons orangés du soleil caressent les hauts sommets. Les vents d’altitude y soulèvent de petits nuages de

neige blanche. Maryse n’a pas bien dormi, Robert a beaucoup toussé, Jakes se racle la gorge, moi je toussote

toujours un petit peu...les autres ont l’air en forme. Aujourd’hui c’est la grasse matinée…nous déjeunons à huit

heures. En principe nous devons nous reposer pour commencer l’acclimatation à l’altitude. En fait, comme les

coureurs du tour du France qui doivent pédaler le jour de l’étape de repos, nous allons avaler un peu de

dénivelé.

Vue sur le Gangapurna (7454m)

Sur le coup de neuf heures, Dawa démarre. Nous avons juste emporté une gourde et un vêtement

chaud. Au menu 400 mètres de grimpette pour faire des globules rouges. Pour joindre l’utile à l’agréable nous

montons à Praken Gompa vers 4000 mètres d’altitude. La montée est assez raide mais très régulière. Nous

faisons un petit arrêt au milieu, à un gompa isolé. Vers dix heures nous sommes arrivés. L’ermite du coin, 90

ans paraît-il, sort de son repaire, une bicoque adossée à une petite grotte, pour proposer ses services

moyennant roupies. Une bénédiction, bouddhiste bien sûr, pour passer le col dans quelques jours. Nous

estimons pouvoir le faire sans faire appel aux influences divines. Nous nous asseyons sur des rochers et

restons là, face au soleil, un certain temps. Nous sommes au spectacle. En face de nous, un mur blanc de 15 km

de long, de 4 km de haut, de neige, de glaciers, de séracs, de corniches…De gauche à droite : Annapurna II

(7937m), Annapurna IV (7825m), Annapurna III (7655m) et Gangapurna (7454m). Birsingh jugeant la durée

d’acclimatation suffisante annonce la descente. Nous arrivons au lodge vers midi.

Repas sympathique et bon : nouilles et patates. Le début de l’après midi est consacré à la lecture pour

certains, à la sieste pour d’autres. Je fais un tout petit peu de lessive. Nous nous retrouvons presque tous sur la

terrasse pour admirer encore et encore le paysage. Les jambes habituées à leurs 5 ou 6 heures de marche

quotidiennes ont un peu de mal à accepter cette inactivité. Nous décidons, avec le feu vert de Birsingh, d’aller

voir, en face, et de plus près, le glacier et le lac du Gangapurna. Après avoir franchi la rivière, nous montons sur

une énorme moraine latérale. Nous sommes rapidement au niveau du front du glacier et au-dessus du lac. Il y a

beaucoup de vent. Au retour, Dawa nous apprendra que depuis qu’il tourne autour des Annapurnas, une

quinzaine d’années, le glacier a reculé de plus de cinquante mètres ! Nous nous retrouvons tous dans un salon

de thé repéré par les plus gourmands. Au menu crumble, apple pie ; je me contente d’un black tea. Au cyber-

café je constate, avec plaisir, que Louisette m’a envoyé un message. Nous rentrons chez nous. Beaucoup de

randonneurs désœuvrés errent, mains dans les poches et bonnet vissé sur la tête en attendant la mobilisation

des globules rouges. Parmi eux des trekkeurs de compétition, qui font le col, aller-retour, en quatre jours

depuis Jomsom. Une quarantaine de participants, des hommes, quelques femmes de tous les coins du monde,

des Népalais et des Népalaises. Je discute assez longuement avec un gars de la Lozère qui a fait deux fois la

course des Templiers dans le sud Aveyron. Belote avec Battitte, nous gagnons ! Pour la première fois le repas

qui se veut mexicain n’est pas terrible, surtout pour Michel qui n’apprécie pas du tout les épices. Nous

demandons du riz nature pour compenser.

Le 16, Manang (3540m) – Ledar (4200m) 10km, 1080m, 5h

Lever comme d’habitude. Il ne fait pas froid mais le temps est couvert. Allons-nous vers le mauvais

temps ? Par précaution, j’abandonne les chaussures légères au profit des grosses et mets la combinaison

d’hiver. Du village de Manang le chemin traverse un torrent et grimpe jusqu’à Tengi, le dernier village de la

vallée. C’est le dernier mani ! Nous quittons la vallée du Marsyangdi, s’élevant nord-ouest dans la vallée du

Jarsang Khola. C’est le début de la haute montagne et c’est là que les premiers compétiteurs nous doublent. Ils

sont légèrement vêtus, légèrement chargés et montent beaucoup plus vite que nous. Reste à savoir s’ils voient

beaucoup le paysage. Les yeux baissés, un sentier népalais ressemble beaucoup à un sentier pyrénéen ! Le

soleil est revenu. Nous avons laissé les grands arbres plus bas, la végétation consiste maintenant en quelques

buissons de cèdres, de genévriers et des herbes alpines. Sur les rares prairies en pente, paissent des chevaux et

des yaks. Nous nous arrêtons pour boire de l’eau à Ghusang, un petit ilot de bergeries à 3900m d’altitude. A

partir de là, le chemin monte peu et s’enfonce dans la vallée. Les pentes sont de plus en plus rocailleuses. Sur

les hauteurs nous apercevons des mouflons alors qu’un gypaète traverse le ciel. Nous avons l’impression d’être

tout près de la face sud du Chulu West (6419m). Nous mangeons à YakKharka, un lodge situé à 4020 mètres

d’altitude. A part quelques toussotements, tout le monde est en forme. Bersinh passe devant et donne le

tempo. Le rythme est régulier et c’est sereinement que nous arrivons à Ledar. Il est 13 heures. L’après midi

risque d’être longue…pas du tout, car Bersinh a prévu une nouvelle séance d’acclimatation. Nous prenons

possession de nos piaules, posons les sacs, buvons un thé et c’est reparti pour une accoutumance à la

raréfaction de l’oxygène ! Bersingh passe devant. Exceptionnellement, les porteurs font aussi la montée. En 25

minutes nous avalons 200 mètres. Birsingh, très satisfait, vérifie notre état en faisant faire à tout le monde de

petits exercices de contrôle de l’équilibre. L’examen est concluant. Brigitte a mal à la tête et ne se sent pas très

bien. Est-ce dû à l’altitude ou à une barre à base de chocolat trop rapidement ingurgitée ? Peut-être un peu les

deux. Nous faisons une descente tranquille. Ce soir il n’y a pas de douche. Belote, Birsingh aime ça, lecture,

courrier pour certains. Les chambres sont correctes. Tous les jours, en fin d’après midi, je dois m’habiller

davantage car je n’ai pas chaud. Ce soir le ciel est chargé, il pluvine. Repas…je ne me souviens plus du menu.

Bien au chaud dans le duvet je ne tarde pas à sommeiller. Je pense au Thorung La qui se rapproche. Il paraît

que 5% des trekkeurs sont obligés de faire demi-tour à cause du MAM : Mal Aigu des Montagnes…à ne pas

confondre avec les initiales de notre ministre ! Et si ça tombait sur moi ?

Le 17, Ledar (4200m) – Thorong Pedi (4450m). 5km, 650m, 2h.

Alors que j’arrive seul dans le couloir de la salle à manger, Bersingh, Dawa et Siam me souhaitent mon

anniversaire, à la népalaise, ça va de soi. Chacun m’offre une écharpe jaune, lourde de signification au Népal.

Birsingh me les passe autour du cou et au nom des trois me souhaite santé, prospérité,…Ils me font

comprendre que normalement je dois porter les écharpes toute la journée. Bien sûr, j’ai droit aux souhaits de

tout le groupe. Nous en parlons un peu au petit déjeuner. J’avais fait 60 ans et pris ma retraite en 2000, ce qui

était déjà singulier et voilà maintenant que je fais 69 ans en 2066, comme c’est curieux ! C’est une toute petite

étape qui nous attend, comme si cette transition était nécessaire pour lubrifier le corps et l’esprit avant le

grand jour. Je garde donc une écharpe autour du cou jusqu’à Thorong Pedi, pas très longtemps puisque nous

mettons deux heures pour monter. En arrivant vers dix heures nous posons les sacs dans les chambres et

attendons le repas de midi. Au menu : coca cola, riz, soupe consistante et thé noir. Des têtes, rencontrées il y a

deux ou trois jours le long du sentier, ressurgissent. Vers 13 heures nous partons pour la dernière séance

d’acclimatation. Nous montons 200m, à peu près, et vers 4700 mètres nous nous asseyons sur des cailloux,

adossés à une paroi. Le fond de la vallée est fermé par un cirque rocheux flanqué de hautes falaises. Nous

venons d’emprunter le début de l’itinéraire de demain. Aucune trace de végétation, tout est minéral. Sur notre

droite un gypaète casse la croûte, c’est le cas de le dire. Il s’élève dans les airs avec son os, le laisse tomber

pour le briser sur un pierrier, se pose pour manger, choisit certainement le morceau le plus intéressant et

recommence…plusieurs fois.

A nouveau il n’y a pas de douche prévue ce soir. La fin d’après midi est consacrée aux occupations

désormais habituelles. Il fait froid, je suis couvert avec toutes les couches disponibles ; au moment de passer à

table il neigeote. Pourvu que demain il fasse beau. Si la neige tombe abondamment et c’est très possible en

cette saison d’après Birsingh, il faut attendre que la neige ait durci ou que des indigènes aient fait la trace. Le

repas est correct sans plus : nouilles à la béchamel au lait de nak. Je pourrais offrir une tournée générale…de

thé mais avec l’aide de Bersingh j’ai demandé au cuisinier de préparer, pour le dessert, de la tarte aux pommes.

Bersingh, Dawa et Siam se joignent à nous pour mordre dedans. Lorsque nous sortons pour aller au lit le ciel est

pratiquement dégagé. Demain lever à trois heures, c’est le grand jour. Pour la plupart d’entre nous le principal

sujet d’interrogation, depuis le début, concerne le passage du col à 5420 mètres. Dans le groupe, Brigitte est la

seule du groupe à dépasser les 4000 mètres pour la première fois de sa vie. Jakes, Serge et Robert ont déjà fait

le Mont Blanc et Maryse, notre championne, a bivouaqué sur un glacier à plus de 6000 mètres au Huascaran !

Depuis trois jours, je prends de l’aspirine chaque matin et pour le moment je suis très bien, à part que je

toussote toujours. Dans le groupe, plusieurs ont eu de très légers maux de tête. Seul Jean-Paul n’est pas très

bien. Il a attaqué les antibiotiques. Jakes tousse pas mal, se couvre parfois abondamment, mais refuse toute

médication. Je ne me fais pas de souci pour eux car ils sont, dans le groupe, réputés increvables, même avec

des gros sacs !

Le 18, Thorong Pedi (4450m) – Muktinath (3800m) 17km, +1050m, -1780m, 11h

Lever à 3 heures. Aucun reproche à faire au duvet de Karine et pourtant la nuit a été fraîche entre des

murs en planches non jointives. Ce matin, à part les civilités habituelles du matin, Battitte ne me dit rien.

Silencieusement nous faisons nos sacs, vérifions que tout est correct : les vêtements à emporter, ceux à laisser

au porteur, le Micropur dans les gourdes…Il fait froid et le ciel est parfaitement étoilé, que demander de

mieux ! Nous déjeunons à 3h30. Nous ne sommes pas les seuls. A 4h10 c’est le départ. Birsingh passe devant et

les assistants derrière. Les porteurs sont avec nous pour la première fois. Par mesure de sécurité ils nous

accompagneront jusqu’au col. Au cas où l’un d’entre nous serait obligé de rebrousser chemin avec un porteur

et un assistant ou si un méchant problème imposait une évacuation à cheval ou en hélicoptère ; le duvet, par

exemple, serait indispensable. Nous remontons une ancienne moraine. Le long serpent de nos frontales s’étire

dans la pente. A part le bruit de nos chaussures, le silence est total. Chacun se concentre sur son sujet. La pente

s’accentue, le rythme est régulier. Je ne tousse plus. Je ne ressens aucune gêne respiratoire. Lorsque le jour se

lève à 5h10 nous passons devant le camp de base du col où certains ont dormi, à 4850 mètres d’altitude, celle

du Mont Blanc à peu près. Nous éteignons les frontales. Nous avons monté la partie la plus raide, 400m en une

heure…un peu rapide aux dires de certains. La suite n’est qu’un plat népalais, c’est à dire légèrement mais

longuement montant. Espérons qu’il ne sera pas trop indigeste. Il fait froid mais j’ai plutôt chaud. Il faut dire

que je suis bien équipé. Cinq couches en haut, un collant sous la combinaison, la cagoule et les gants. Le

sentier est bien tracé. Nous rencontrons des passages de neige dure mais les risques engendrés par une

glissade sont minimes. Nous sommes à l’ombre. Les premiers rayons de soleil éclairent les sommets. Une photo

du groupe s’impose. Je m’écarte de la colonne et prends les devants en accélérant. C’est dans la boîte. Je

rejoins le sentier et constate alors que je ne reprends mon souffle que très lentement. L’opération n’est peut-

être pas à renouveler trop souvent. Un petit vent de face se renforce au fur et à mesure que nous approchons

du but. Nous avalons pas mal de faux cols. Les drapeaux de prières annoncent le vrai col et c’est face au vent,

mais en plein soleil, que nous touchons au but.

Le Thorung La (5416m), avec son traditionnel « chorter » est sous nos pieds. Il est 8 heures. Certains

ont un tout petit peu souffert de l’altitude, malgré le Diamox ou autres pilules miracles. Jean-Paul, assez mal en

point hier, me paraît plutôt bien, de toute façon, il n’est pas du genre à se plaindre. Robert, dont l’horloge a été

réparée il y a quelques années, est comme une fleur. Curieusement il y a ici une maison de thé, pardon, une

cabane. Nous y buvons un petit thé noir puis satisfaisons aux traditions népalaises et basques. Bersingh me met

à contribution pour attacher le drapeau de prières. Après la séance photo, Serge rend honneur à nos guides et

assistants en leur dansant l’Auresku en chaussures de montagne et sur les cailloux, au rythme des spécialistes

qui chantent la musique. Bravo pour lui, ses poumons fonctionnent bien. Tournée de genièvre de l’Aveyron

pour fêter l’évènement. Et dans tout ça, le panorama ? Nous ne somme pas à un sommet mais la vue dans la

direction est-ouest est imprenable. Face au soleil, des sommets blancs partout. Dos au soleil, la vue est plus

nette. Nous voyons surtout un grand moutonnement rocheux et aride chapeauté de blanc. Au nord, le champ

visuel est limité par d’immenses pentes rocheuses et caillouteuses partiellement enneigées. Vers le sud, nous

sommes devant la face nord, toute blanche, du Thorung PeaK (6210m). La crête ouest ne nous paraît pas très

difficile et le sommet n’est qu’à 800m au-dessus de nous. Fatalement, son ascension est évoquée ; on peut

toujours rêver ! Premièrement, il faut une autorisation spéciale ; deuxièmement notre planning n’a pas prévu

de journées supplémentaires et troisièmement nous n’avons aucun équipement adapté à une telle ascension.

Face nord du Thorung Peak (6210m)

Certains parmi nous ressentent toujours les effets de l’altitude et Jean-Pierre me confie qu’il a très mal

à la tête. Il est temps de descendre. Il reste encore de quoi faire ; pratiquement 1800 mètres de dégringolade.

Je marche avec les bâtons depuis le premier jour et pour le moment mon genou me laisse tranquille ; pourvu

que ça dure ! Alors que nous repartons, deux femmes arrivent, elles sont mal en point !

Nous passons sous les fronts du glacier du Thorung La. On pourrait presque les toucher. Nous

marchons dans la rocaille au milieu d’une série de moraines. Le sentier est très bien dessiné. Peu à peu la pente

augmente, les lacets se rapprochent. Chacun va à son rythme, le groupe s’étire. Je descends un peu vite, sans

doute pour écourter l’exercice. Au détour d’un éperon, j’aperçois une énorme masse blanche… c’est le

Daulaguiri (8167). Il se dresse solitaire, au loin, au fond de la vallée. Dans quelques jours nous le verrons de plus

près. Petit à petit les moraines laissent place à des pentes de plus en plus herbeuses. Vers midi nous nous

arrêtons pour manger à Yakgawa (4200m) ; il était temps. Jakes qui, en principe, se tient bien à table,

commençait à bougonner. Nous sommes installés, au soleil, sur la terrasse herbeuse d’une petite gargote. La

San Miguel, tant désirée, est excellente ! Il commence à faire vraiment chaud. J’en profite pour enlever mon

caleçon long. Le repas est bon et copieux : soupe, chappattis et fromage de yak, non de nak…très bon :

apparence et goût du Cantal. La descente se poursuit agréablement. Plus bas, le vert des cultures en terrasse

mite l’ocre des terres environnantes. Nous revenons peu à peu vers un monde moins agressif. Juste avant

Mukthinath, nous visitons trois temples. Des pagodes hindouistes côtoient des gompas bouddhiques. Ce n’est

rien de moins que la deuxième place sainte du Népal derrière Pashupatinath à Katmandou. Derrière le temple

de Vishnu, 108 têtes de vaches crachent de l’eau, sanctifiée bien sûr. L’autre attraction se trouve au temple de

Jawai Mai, la déesse du feu, où sous un autel, une émanation de gaz naturel crachote deux maigres

flammèches bleutées. En période de mousson, des lamas instruits, viennent des grands monastères pour

parfaire l’enseignement religieux de nombreux pèlerins.

Nous arrivons au village vers 14 heures et retrouvons les quatre roues. La piste de la vallée du Kali

Gandaki remonte jusqu’ici. Bière, sieste et lessive. Les rares qui sont allés faire un tour dans le village

confirment qu’il n’y a rien d’intéressant à part quelques véhicules qui pétaradent en fumant. Nous sommes à

3800 mètres d’altitude, il est 18 heures, il fait encore chaud. Sur les fils, un léger petit vent fait faseyer une

quantité importante et très variée de linge, avec en toile de fond, face au soleil, de la montagne à perte de vue.

Sur la gauche, trône Le Daulaguiri. Après une douche…froide, une de plus…je rejoins le groupe dans la salle

commune. J’offre une tournée générale de…bière ! Je peux enfin arroser mon anniversaire, et en même temps,

le passage du col. La première journée de ma soixante-dixième année a été bien remplie ! Très bon repas. Nous

avons de la viande ce qui depuis le début du Tour n’est pas fréquent. De la viande de yak, très bonne. A 21

heures nous rejoignons nos duvets.

Le 19, Muktinath (3800m) – Marpha (2670m) 26km, +715, -1620m, 9h.

Cette nuit, notre chambre a connu une certaine effervescence. J’ai énormément toussé et Battitte est

allé visiter plusieurs fois « la cabane au fond du jardin » ! L’infirmière trouvant que ça a assez duré, me conseille

de continuer l’aspirine et de commencer les antibiotiques. Pour Battitte, elle prescrit, oralement, la « pilule qui

bloque tout »! Nous assistons au lever du soleil sur le Daulaguiri, éblouissant. Après un bon petit déjeuner nous

reprenons notre descente. Les grosses chaussures ont retrouvé le dos du porteur. J’ai gardé le pantalon. En

principe, ça va souffler. Nous retrouvons les cultures : orge, sarrasin…et des canaux partout dans une

immensité de caillasses. L’habitat s’échelonne le long de la piste, et les nombreuses boutiques en plein air nous

rappellent qu’en haute saison, en octobre, le commerce doit être florissant. Nous magasinons pas mal pour

ramener des souvenirs. Des écharpes tibétaines, très colorées, tissées sur place, des foulards imitation

« pashmina», des bonnets…et de la bimbeloterie en tout genre. Nous passons sous les murailles effondrées du

village fortifié de Jarhhot. Chaque fois que c’est possible, grâce à nos guides, nous abandonnons la piste pour

suivre un canal, longer un jardin…traverser un ilot de maisons. Nous coupons par endroits de très grands

lacets. C’est plus court, mais surtout, nous évitons ainsi, le bruit et les odeurs des véhicules qui montent ou qui

descendent en soulevant la poussière. La vue est extraordinaire. Christophe Migeon dans son bouquin : Le Tour

des Annapurnas, le dit mieux que moi. Par la suite, je mettrai, entre guillemets, d’autres passages du même

auteur. « Le paysage affiche un curieux mélange d’austérité et d’abondance, les montagnes plissées et

craquelées comme de vieilles peaux de cuir oubliées au soleil, laissent la place au creux de leurs vallées à de

belles étendues au vert prometteur, terrasses semées de blé, bosquets de saules et de peupliers, vergers de

pommiers et d’abricotiers en fleurs ».

Bersingh nous propose une petite variante à droite vers Kagbeni et sa gompa du XVème siècle. Nous

prenons un thé et allons visiter les nombreuses petites ruelles moyenâgeuses, très belles. Sous un toit de

verdure, un ruisseau descend la partie centrale de la rue principale. Ce village ancien, est la porte d’entrée du

Mustang. Le lit caillouteux extrêmement large de la rivière, s’estompe, vers l’amont, dans un grand

moutonnement aride. Vers l’aval, l’étendue grise des cailloux et des alluvions contraste avec le vert des rivages

boisés. Le vent se lève. Nous nous réfugions dans une gargote à Ekle Bhatti, pour retrouver le calme, boire une

bière pour humecter les papilles, dégager les voies respiratoires et manger. Après cet arrêt, court mais

salutaire, il faut repartir. Dehors le vent n’a pas faibli. Tenue saharienne de rigueur : couvre-chef jusqu’aux

oreilles, keffieh sur le nez, lunettes de soleil et coupe-vent. Ainsi harnachés nous quittons notre refuge. « Tous

les jours, vers 11h, un vent à décorner les yaks commence à frissonner à la surface de la rivière. Là-bas, au

nord, l’air du plateau tibétain se réchauffe au cours de la matinée, et suivant consciencieusement les lois

élémentaires de l’aérologie, finit par s’élever et céder la place à de l’air plus frais. C’est celui-là, justement, qui,

profitant du formidable couloir de la Kali Gandaki, vient nous fouetter le visage sans ménagement. Les

tourbillons de poussière dévalent des falaises, les saris des dévotes indiennes se gonflent comme les voiles

d’une goélette en mer d’Iroise, les pompons accrochés au crin des mules tentent de prendre le large. Des

troncs jetés au-dessus des bras de rivière ajoutent un peu de piment à cette rude promenade : avec les

bourrasques, chaque traversée prend l’allure d’un épisode de Jeux Sans Frontières ? Ne manquent sans doute

qu’un peu de savon sur les planches et quelques vachettes irritables pour rendre l’affaire parfaitement drôle ».

Comme ce matin nous ne suivons pas la piste et coupons tout droit dans le lit de la rivière, immense et plat.

Nous marchons rapidement pour écourter le passage en soufflerie. Malgré ça nous avons l’impression que le

paysage ne change pas beaucoup. Plus question de bavarder. C’est le chacun pour soi. Face au vent chargé de

poussière, tête baissée on ne regarde plus le paysage, tout juste si de temps en temps, on lève les yeux pour

vérifier que l’on fait toujours partie du groupe qui chemine éparpillé au milieu des galets. Bersingh provoque

un regroupement juste le temps d’admirer les 7061 mètres du Nigiri Nord. Un peu avant Jomsom nous passons

rive droite et retrouvons la piste.

Beaucoup de monde, beaucoup de véhicules. Les randonneurs rencontrés maintenant ne sont plus

vraiment de même nature que ceux croisés avant le passage du col. Birsingh nous apprend que ces trekkeurs

flambant neufs, fraîchement débarqués de l’avion à Jomsom, ne font, pour la plupart, que la descente de la Kali

Gandaki. Certains montent à Muktinath. D’autres, après une petite balade d’un jour, reprennent l’avion. Nous

buvons un thé pendant que Siam s’occupe des formalités de police. Alors que le vent faiblit un peu, nous

abordons les premiers vergers de Marpha bien protégés par de hauts murs. A 17 heures nous entrons dans

l’hôtel Daulaguiri. Longue étape, il faut dire que ce matin nous avons pas mal musardé en magasinage et visite.

Aussi, cette après midi, face au vent, a-t-il fallu mettre le turbot. Brigitte aussi, alors que son épine calcanéenne

est toujours bien présente. L’hôtel est pas mal avec…WC à la française, ce qui est rare au Népal ? C’est mon

genou qui appréciera. Douche soit-disant chaude, ce qui n’arrange peut-être pas ma toux persistante. Il est vrai

que la poussière d’aujourd’hui a obstrué pas mal de bronches. En fin de journée, nous allons nous balader dans

le village. Village impeccable. Le blanc des murs en pierres chaulées des maisons contraste avec le noir des

dalles de la rue sous lesquelles on devine un tout-à-l’égout central. Nombreuses boutiques. C’est la saison

creuse, les commerçants sont accueillants et très disponibles ce qui permet de discuter longuement les rabais.

Nous goûtons à l’alcool de pomme, spécialité de la région. Bon repas. Regagnons nos chambres. Le temps est

couvert. Bonne nuit les petits.

Le 20, Marpha (2670m) –Lete (2480m) 20km, 310m, 7h.

Cette nuit, je n’ai eu droit qu’à deux quintes de toux. Aujourd’hui nous perdons encore un peu

d’altitude et s’il n’y a pas trop de poussière ça va s’arranger. Pour Battitte tout est rentré dans l’ordre. Le ciel

est bleu. Avant de partir de Marpha, vers 7 heures, nous montons une interminable volée de marches pour

visiter le monastère de Samteling. Après avoir traversé une cour intérieure, nous pénétrons dans le saint des

saints. Dans la pénombre nous distinguons l’architecture des lieux, puis les statues et enfin les peintures. A la

sortie, des moines typiques - crâne rasé, robe amarante – vaquent à leurs occupations. Nous quittons la ville.

Les motos et les autos soulèvent déjà la poussière. A Tukuche nous prenons le thé et quittons la piste. Au

milieu des champs de pommiers, une distillerie invite à la visite de ses alambics et à une petite dégustation de

sa production. Alcool de pomme, de pèche, d’abricot et de carotte. Nous goûtons un peu à tout. Je suis

agréablement surpris par la carotte et l’abricot. Certains achètent quelques fioles. A ce sujet, nous avions déjà

goûté l’alcool de riz, c’est plutôt du genre alcool à brûler. L’architecture des lieux est superbe, genre ancienne

maison bourgeoise. Les encadrements et les balcons de la cour intérieure sont en bois presque noir et

finement sculpté. Les oreilles un peu échauffées, nous reprenons notre marche.

La température est douce et le vent ne s’est pas encore réveillé. Les avions à hélice remontent la

vallée pour approvisionner Jomsom et déverser le quota journalier de touristes. Nous quittons la piste et

traversons la rivière chargée de limon, elle est marron presque noire. Birsingh nous précise que cette couleur

est tout à fait habituelle. Brigitte apprécie, tout particulièrement, le passage des troncs d’arbre. Nous

retrouvons les galets et le sable. Parmi tous ces cailloux, Birsingh nous apprend à repérer, en particulier, les

plus sombres qui peuvent renfermer une cavité-empreinte de fossile. Vers 11 heures la ronde des avions

cesse, à part le vent qui commence à forcir le calme revient. L’aridité du plateau tibétain fait place à la

fraîcheur d’une vallée de plus en plus verdoyante. On se promène, mine de rien, au fond de la vallée la plus

profonde du monde, 5500m, entre les monstrueux massifs des Annapurnas et du Dhaulagiri dont les sommets

ne sont séparés que de 35 km. Nous nous arrêtons rive gauche. Quel tableau ! Devant nous, le lit de la rivière,

500m de large, parfaitement plat. Sur l’autre rive une bande verte horizontale, puis jaillissant de la forêt, la face

sud-est du Dhaulaguiri. Une muraille pyramidale de 5000 mètres de haut. Un festival de roc, de neige et de

glace. Ce 8000, celui que nous avons approché le plus, nous a accompagnés toute la matinée. Nous continuons

toujours rive gauche, le plus souvent à l’ombre des sapins. Vers 12h30, nous nous asseyons, en terrasse, en

plein soleil à Kokhekanthi . Bon repas, toujours à base de féculents et de petits légumes cuits. Depuis le début

nous avons banni toutes les crudités, assez peu souvent proposées il est vrai. Les fruits et les légumes verts

sont rares. Maryse et Jean Pierre en souffrent plus que les autres. Nous reprenons notre balade, passons sur

l’autre rive où nous retrouvons les moteurs à explosion. Nous arrivons à Lete à 15 heures. Le temps se couvre.

Douche froide pour tout le monde puis petite sieste. La température a chuté ce qui ne perturbe pas notre visite

de fin d’après midi. Je prends connaissance, sur internet, des différents messages relatifs à mon vieillissement.

Belote puis apéro suivi d’un repas, quelconque… parfumé au gingembre.

Le 21, Lete (2480m) – Tatopani (1200m) 19km, +270m, -1460m, 8h.

Nuit agitée. Si je ne tousse pratiquement pas dans la journée, je me rattrape la nuit. Battitte, toujours

aussi conciliant, m’affirme qu’il n’est pas gêné… Bersingh tape aux portes alors que le jour se lève. Il fait froid,

donc il fait beau. Il faut se lever. A l’ouest, une lueur rosée apparaît derrière l’Annapurna I ! Enfin… c’est quand

même un peu pour lui que nous sommes ici. Dommage toutefois que nous soyons à contre-jour. En revanche, à

l’est, les premiers rayons du soleil inondent le sommet du Dhaulaguiri. Ce matin nous partons sur les traces de

Maurice Herzog. En 1950, il séjourna longuement dans cette vallée pour mener les membres de son expédition

en haut du Dhaulaguiri. Son camp principal était installé à la distillerie de Tukuche. Après plusieurs semaines de

recherche, n’ayant pas trouvé de passage, l’expédition reporta tous ses espoirs sur l’Annapurna. Les cartes de

l’époque étaient très incomplètes, voire fausses. Il eut la plus grande difficulté à approcher le pied de son

objectif pour y établir son camp de base et perdit encore beaucoup de temps. Le jour de l’assaut final, la

mousson avait commencé à blanchir les sommets. Maurice Herzog réussit quand même dans son entreprise,

mais y laissa ses doigts, des pieds et des mains ! Ici, sur le plancher des buffles, nous ne risquons pas pareille

mésaventure. Peu après Lete, Birsinh nous signale une plateforme herbeuse plantée de grands sapins et de

mélèzes. Maurice Herzog avait établi, là aussi, un camp. Dans son livre il décrit le coin en le comparant à un

paysage des Hautes Alpes. La piste nous conduit jusqu’à Ghasa où nous abandonnons à nouveau la piste en

traversant la rivière. Nous sommes le plus souvent à l’ombre. Le sentier épouse harmonieusement les

mouvements du terrain. Petit à petit nous retrouvons l’ambiance subtropicale. Bougainvillées, bananiers,

buffles dans les champs et par moment cigales. Nous repassons rive droite juste avant Ruske.

Assis au bord de la piste, un vieillard, torse nu et assis en tailleur, semble avoir fait une pause devant

un genre de petit autel portatif de la dimension d’une mallette. « Visage couleur de bois flotté, rongé par une

barbe et des cheveux depuis longtemps maîtres du terrain, avec quelque part au fond de cette débauche

pileuse, deux yeux vifs et brillants, un peu fous, qui semblent avoir déjà vécu plusieurs vies. Ses pieds nus ont la

même couleur que le chemin de terre. La cassure s’est produite il y a une douzaine d’années lors du décès de

sa femme…Il a tout vendu, marié sa fille et pris la route afin de racheter ses péchés et gagner le Nirvana. Vie

d’errance solitaire entre deux lieux saints. Vie d’aumône pour une poignée de riz ou une grange au sec. Avec

pour tout viatique : un petit sac, une gamelle en fer pour faire cuire, comme tout « sadhou », ses propres

aliments et un bâton pour éloigner les chiens ».

Une des nombreuses passerelles !

Nous passons devant une magnifique cascade et tout de suite après, nous nous installons sur un

éperon rocheux très haut au-dessus de la rivière. Il fait chaud, le soleil cogne fort, nous nous serrons sous les

deux parasols du resto. L’orage gronde. Juste le temps de finir le repas et nous nous réfugions à l’intérieur. De

grosses goutes tambourinent sur la tôle ondulée ce qui ne gêne pas, pourtant, la sieste de la plupart d’entre

nous. La pluie cesse rapidement. Nous reprenons la piste. Les villages sont de plus en plus rapprochés. Autour

de nous la végétation est de plus en plus luxuriante. L’orage revient et redouble d’intensité. Mon poncho est je

ne sais où sur le dos du porteur. Je me protège comme je peux sous la couverture de survie. Nous accélérons

le pas pour rejoindre un abri providentiel. Beaucoup de vent et même de la grêle. La piste n’est plus qu’un

ruisseau boueux. Même la circulation des véhicules s’est arrêtée. On se croirait à La Réunion dans le cirque de

Salazie. Nous repartons alors que quelques gouttes éparses nous rafraîchissent, de temps à autre, le visage.

Nous coupons par le village de Dani. Très belles maisons, dernier témoignage de l’époque florissante du

transport du sel. Nous arrivons à Tatopani vers 16 heures et en profitons pour faire quelques achats. Une heure

après nous allons nous vautrer dans l’émollient bouillon de sources chaudes situées en bordure de la rivière en

compagnie d’autochtones ayant manifestement autant besoin que nous d’une bonne friction au savon de

Marseille. Il y a le choix entre deux bassins en béton de 5 mètres sur 4 et de 60 centimètres de profondeur, à

peu prés. L’eau près de l’arrivée du premier est très chaude et difficilement supportable. La fontaine qui

permet le lavage et le rinçage est en revanche à une température idéale. Nous terminons la journée en nous

baladant dans le village. Bière puis repas : soupe peu épicée, poulet épicé, légumes très épicés. Dodo que

j’espère calme car je ne tousse plus.

Le 22, Tatopani (1200m) – Ghorepani ( 2870m ) 14km, 1800m, 8h

Très bonne nuit, même pas une quinte ! Très beau temps nous en profitons pour déjeuner dehors. Ce

matin nous partons un peu plus tôt que d’habitude car ça va monter. Nous allons avaler une pile d’assiettes de

1800 mètres de dénivelé ; avec des montagnes russes et surtout énormément d’escaliers, 10000 marches à peu

près d’après les connaisseurs. Très rapidement nous quittons la piste et son cortège de véhicules en

empruntant l’une des dernières passerelles suspendues. Nous retrouvons le calme d’un très beau sentier qui

ne tarde pas à s’accrocher dans la pente. Apparaissent alors les premières marches en pierre. Hauteurs

variables, largeurs variables, longueurs des volées variables, le plus souvent longues et rudes. La longue, la très

longue litanie des escaliers commence. Nous montons d’abord à l’ombre puis rapidement face au soleil au

milieu des cultures en terrasses. Nous traversons de nombreux villages habités par les Magars. « Ces villages

sont typiques du Népal de moyenne montagne, avec leurs maisons de pisé rouge, leurs toits pentus couverts

de larges ardoises, leurs meules de foin dodues…Une campagne joyeuse et formidablement vivante vibrionne

sous la lumière qui réchauffe et illumine à la fois. Sur cette terre bénie où pourraient couler le lait et le miel, les

paysans rejouent des scènes agrestes peintes en d’autres temps par un Bruegel. Un paysan, badine à la main,

fait tourner au pas cadencé un quatuor de bœufs à robe fauve sur un parterre d’orge. Deux femmes le « doko »

sur le dos, refont les gestes ancestraux de la moisson dans un champ qui n’en finit pas de chavirer en amples

vagues blondes… D’interminables volées de marches se déroulent dans le vert d’une campagne où des buffles

au museau humide viennent aux nouvelles ». Nous faisons des arrêts fréquents pour boire. A Ghara nous

prenons le thé du matin.

A Shikha nous buvons une bière réparatrice et mangeons en terrasse et à l’ombre ! La durée de la

sieste est écourtée car il reste à monter 1000 mètres, en plein soleil et sur la digestion ! Pour la première fois

l’organisation de Birsingh nous paraît critiquable. « Les fleurs rouges des rhododendrons poussent leur dernier

soupir avant de se jeter dans le vide et rejoindre un cimetière de feuilles et de pétales en voie de

décomposition. La floraison aura duré un bon mois et les arbres n’ont plus qu’à pleurer leur splendeur passée.

Les efforts de la montée conjugués à la touffeur subtropicale métamorphosent le trekkeur en intarissable

pompe à sueur. Chacun semble avoir reçu un seau d’eau sur la tête et dégouline sans compter. A chaque pas,

une gerbe de gouttelettes ruisselant des cheveux et des mains part s’écraser sur les marches en mouches

éphémères ». Ce passage entre guillemets, toujours du même auteur, reflète bien ce que nous avons vécu.

Toutefois je n’ai pas eu l’impression, malgré le temps orageux, que nous ayons produit autant de

liquide. Peut-être suis-je pressé d’en finir ? Toujours est-il que j’emboite le pas de Battitte qui a accéléré

l’allure. Michel et Jakes nous rejoignent. Siam nous suit à distance. A 15h30 nous entrons dans Ghorepani alors

que le ciel se couvre et que le vent se lève. Je repense au passage du bouquin de Christophe Migeon,

concernant cette étape. J’avais alors envisagé le pire. « Car l’étape avec ses 1800 mètres de dénivelé positif a

été longue et, tant pis, j’ose dire cet épithète, harassante. La succession d’escaliers a fini de hacher menu les

fibres des quadriceps, et les rotules sont comme remplies d’eau chaude ». Certes la journée a été dense mais

personne, dans le groupe, ne paraît harassé. Les globules rouges que nous avons engrangés y sont

certainement pour quelque chose. Mon genou, pourtant douloureux en d’autres occasions semble, au

contraire, se satisfaire des flexions répétées. La bière, toutefois, est aujourd’hui, plus appréciée que d’habitude

et l’eau de la douche chauffée au bois est un régal.

La visite du village est rapide. Le vent est un peu froid, il n’y a pas grand monde dehors, et pourtant j’ai

l’impression d’être à Ibardin…un Ibardin népalais. Le sentier dallé, principale artère du village, épouse le bombé

du col et le traverse du nord au sud, apparemment dans la direction du vent ! De chaque côté, des

constructions en bois peintes en bleu, en blanc, en vert et même en rouge, hôtels, restos, boutiques, se serrent

les unes contre les autres attendant le chaland. Il faut dire que Ghorepani est fréquenté par les trekkeurs mais

aussi par les touristes qui montent ici, à partir de Pokhara, pour voir la montagne de plus prés. Nous nous

retrouvons dans la grande salle commune et offrons une tournée générale de bière. Les porteurs ont beaucoup

souffert de la chaleur. Parties de belote, lectures, écritures, apéro, repas…petit digestif : cognac et genièvre.

Les fioles doivent être vidées pour alléger l’avion ! Nous allons au dodo vers 21 heures. On entend tout, comme

dans un dortoir. Les cloisons, en fin contre-plaqué, ne sont là que pour occulter la vue. Demain nous allons

assister au lever du soleil sur l’Himalaya.

Le 23, Ghorepani (2870m)- Poon Hill (3193m) – Tikhenduga (1500m) 12km, +460m, -1600m 8h

Lever et départ à 4h30…le ventre vide. Bien habillés nous montons régulièrement à la lueur de nos

frontales. Le sentier serpente dans la végétation. Plus bas, des lumières se dandinent en silence ; nous ne

serons pas seuls. La nuit noire s’estompe peu à peu. Quand nous arrivons au sommet du Poon Hill (3193m) le

jour commence à se lever. Nous avons monté 400 mètres en 40 minutes ; facile de calculer la vitesse ! Le

sommet arrondi est parfaitement dégagé. Au centre d’une terrasse herbeuse se dresse un mirador métallique,

moche et complètement inutile ; ce n’est pas en montant de 10 mètres qu’on verra mieux des montagnes

situées à plus de dix kilomètres ! A l’est, une lueur rosée caresse les contours sombres du massif du Manaslu. A

l’ouest, les premiers rayons jaune-orangé, viennent lécher le haut de la grosse masse du Dhaulaguiri. Entre les

deux, vers le nord, c’est une dentelle de sommets qui nous est proposée, avec en son centre, l’Annapurna I.

Petit téton de peu d’importance, en comparaison de l’Annapurna Sud, bien plus proche et imposant. Il y a

maintenant pas mal de monde. En octobre, j’espère qu’il n’y a pas ici trop de bousculades. Le spectacle

commence. Le Dhaulaguiri est le premier à s’éclairer franchement. Incontestablement, c’est la vedette de la

représentation. On ne voit que lui ou presque. Il faut reconnaître que c’est le seul à être parfaitement détaché.

Lever du soleil sur le Dhaulaguiri (8167m)

C’est le plus haut, le plus gros. S’élevant lentement dans le ciel le projecteur semble n’être là que pour lui. A

l’est, le Manaslu s’estompe lentement dans le contre jour. En face, l’Annapurna I, noyé dans un énorme

moutonnement, essaye de se signaler par un petit panache blanc de neige soulevée par le vent. Nous restons

là, non pas muets mais ébahis car les commentaires vont bon train. Un film au ralenti, auquel on a coupé le son

pour mieux apprécier la montée silencieuse du soleil sur l’horizon. Bersingh nous désigne les nombreux

sommets « secondaires »… tous à 7000 mètres ou plus. Le plus proche et le plus impressionnant est le

Machlapuchare (6997m). Ce sommet, aux pentes très raides, est aussi appelé « queue de poisson » en raison

de sa forme en nageoire caudale. Il est sacré, et de ce fait aucun crampon d’alpiniste n’a foulé son sommet ! Le

soleil maintenant semble s’être arrêté. C’est la fin de la représentation. Le rideau ondulant de la scène

présente la dernière image. Nous faisons bien sûr de nombreuses photos avant d’entamer la descente.

Face au soleil, le froid du matin n’est plus palpable qu’à l’ombre des arbres. Il nous reste encore quelques jours

avant de rentrer chez nous, mais à cet instant, je me sens parfaitement serein, comme une sensation du devoir

accompli. Il reste, bien sûr, pas mal de marche, mais globalement il suffit de descendre, retrouver les villages,

les gens et les cultures. Nous prenons enfin notre petit déjeuner. Il est 8 heures. Les vêtements chauds sont

rangés définitivement dans le sac du porteur. Direction sud, nous quittons la montagne pour aborder la zone

subtropicale.

A l’ombre de rhododendrons gros comme des chênes nous entamons une descente très agréable sur

un sentier très bien dessiné. « De fait elle est bien verte cette forêt, tout emberlificotée dans ses oripeaux de

lichens et ses draperies de mousses…La grande sylve, celle de Perrault ou des frères Grimm, celles des enfants

perdus et affamés, celles des sorcières au nez verruqueux chevauchant des balais déplumés, celles des loups

déambulant sur leurs deux pattes de derrière engoncées dans des dessous de vieille dame…Sensation curieuse

de vadrouiller dans les bois… sous la voûte verte qui ne laisse rien filtrer des montagnes alentour ». Nous

abordons les premiers villages alors que le soleil commence à taper fort. Nous faisons quelques « achats-

souvenirs » à Nangge Thanti puis reprenons notre marche jusqu’à Ban Thanti où nous mangeons ; toujours à

l’ombre, en terrasse et au-dessus de la rivière. La descente à partir de là est longue, directe et un tantinet

pénible. Beaucoup de cultures en terrasses. Nous retrouvons des volées d’escaliers, comme celles que avons eu

le temps d’apprécier, hier, à la montée. Mêmes hauteurs de marche, même couleur sombre, mêmes murs.

Seule différence, et elle est de taille… nous descendons ! Si les articulations sont plus sollicitées, notre cœur en

revanche palpite dans la facilité ; la parole se libère et la vision n’est plus limitée aux pointes des chaussures.

Dawa se plaint de la cheville. Nous nous arrêtons, à l’ombre, afin que Brigitte puisse opérer…façon de parler,

car Dawa s’en sort avec un joli bandage et c’est reparti. Nous égrenons à nouveau, avec philosophie, notre

interminable chapelet de marches.

Vers 15h30 nous sommes à notre lodge à Tikhedhungga. Le village est charmant. Douche tiède,

lessive, lecture, écriture…nous nous retrouvons tous en terrasse devant une bière. A 1500 mètres d’altitude, la

température, en fin de journée, est encore élevée. Une affaire, qui couvait depuis quelques jours, est enfin

élucidée. Avant de passer le col, nous avions appris que Sagar, un porteur, frère de Dol Raj,, n’avait pas

l’équipement d’altitude fourni par l’agence. Pour quelle raison ?…mystère. Toujours est-il que Sagar s’est

retrouvé équipé avec : un pantalon technique, des chaussettes et des chaussures de Serge, des gants de

Robert, une veste de Jean Pierre et un bonnet de Jakes…Après le col, la veste et les chaussures avaient

retrouvé leur propriétaire. Pour le reste les réponses évasives de l’emprunteur avaient permis jusque là de

patienter. Demain, nous disons au revoir à nos porteurs, et Serge, s’il admet de ne pas revoir ses chaussettes,

voudrait bien récupérer son pantalon. Une mise au point s’impose. Bersingh commence son enquête et réussit

à récupérer, au compte-gouttes, le bonnet, les gants, puis les chaussettes. Quant au pantalon, Sagar, après

plusieurs explications, dit qu’il l’a oublié à Muktinath, il y a cinq jours. C’est de plus en plus louche. Bersingh

commence à s’énerver. Je passe les détails…Bersingh repart avec Zaïla, l’ainé des porteurs, pour fouiller un peu

plus. Zaïla trouve le pantalon dissimulé sous le matelas de Sagar. Nous assistons au dénouement verbal entre

Sagar et Bersinh. Ce dernier très en colère lui crache même dessus. Les parties de belote qui suivent

permettent à Bersingh de retrouver sa sérénité. Quant à Sagar, embauché par Birsingh pour la première fois,

sur les recommandations de son frère, il a tout perdu ou presque. Bersingh ne fera plus appel à ses services et

nous décidons de ne pas lui verser de pourboire à l’arrivée. L’apéro permet de retrouver le niveau de

convivialité qui nous accompagne depuis plus de quinze jours. Le repas est bien. Nous terminons même la

soirée par un petit cognac des Charentes via Jean-Pierre. Bonne nuit !

Le 24, Tikhenduga (1500m) – NayaPul (1070m) 7km, +135m, -620m 3h

Ce matin nous partons à 7 heures pour une courte descente à pied suivie d’un trajet en bus jusqu’à

Pokhara. A croire que nous ne sommes pas pressés de terminer notre périple. Nous musardons beaucoup.

Peut-être pour fixer un peu plus dans notre mémoire une image, un son, une odeur. Les villages sont de en plus

rapprochés, les cultures en terrasse de plus en plus nombreuses. D’abord du maïs puis du riz. L’eau des

ruisseaux est très claire ; des enfants, nus, jouent dans les vasques. Le soleil du matin fait miroiter les

gouttelettes déposées sur leur peau brune. Les animaux familiers sont déjà en quête de leur maigre pitance.

Des hommes s’évertuent à dégager un canal d’irrigation. Dans les villages les femmes ont repris leur besogne

quotidienne. Tout semble en place, sans heurts. Le mouvement lent de la vie s’écoule inexorablement. Petit à

petit le développement des villages à l’occidentale s’accentue. « Cela s’effectue par touches légères, presque

imperceptibles : une musique de rock qui monte en sourdine des baffles d’une petite chaîne hi-fi made in

Thaïland, le large disque d’une antenne satellite dissimulé derrière des bambous, le réseau de plus en plus

dense des fils électriques…On trouve là, en somme, un condensé de l’évolution du village népalais…du monde

rural traditionnel jusqu’à l’inévitable fusion avec le monde occidental. » Dans quelques minutes nous allons

retrouver la « civilisation », un peu comme quand on arrive à Pont d’Espagne, en été, après trois jours de haute

montagne.

A NayaPul, les trekkeurs que nous sommes se transforment instantanément en touristes. Nous

retrouvons donc la piste, puis le goudron avec tout ce qui va avec. Des engins puants et pétaradants, des rues

animées, des touristes et des boutiques. Après un petit thé nous embarquons dans un bus privé, pas trop mal.

La végétation luxuriante de la vallée cède peu à peu la place à une végétation plus maigre. Au passage du col

nous pouvons admirer pour la dernière fois, sans doute, la chaîne de l’Himalaya. Nous arrivons à Pokhara en

fin de matinée, dans le ronronnement des taxis et des bus. « Il faut renouer avec le paysage urbain et son

corrosif cortège de bruits et d’odeurs. Avec ses 200000 habitants, Pokhara est la troisième ville du Népal, mais

se garde bien de le montrer. Elle a toujours su préserver cette atmosphère de village d’altitude propice à la

remise sur pied de citadins neurasthéniques ou de fonctionnaires rongés par les fièvres…Même si on ne s’y met

plus guère au vert, c’est le point de passage quasi-obligé à l’aller ou au retour des trekkeurs du massif». A

l’hôtel nous prenons congé de nos porteurs et allons manger au restaurant du musée, sous une tonnelle. Il fait

chaud. Après le repas nous retrouvons l’air climatisé du musée. Une exposition complète sur l’himalayisme y

présente trois thèmes bien distincts. Les ethnies, les montagnes népalaises et ses 8000, les expéditions. Chacun

peut y trouver son compte. Nous retrouvons la chaleur. Nous n’irons pas au petit promontoire de Sarangkot

pour revoir une dernière fois la chaîne des Annapurnas car le ciel est voilé. Birsingh nous propose d’aller, en

bus, au lac, retrouver un peu de fraîcheur. Nous décidons de rejoindre l’ile centrale et son temple. Pour cette

« grande traversée » le groupe est réparti en deux barques. Le hasard, sans doute, fait que l’une est occupée

par les plus matelots qui entonnent Boga-Boga. L’autre, dans laquelle je suis, ayant accueilli ceux qui pour des

raisons diverses redoutent le bouillon. Jean-Pierre, fidèle à sa réputation, en profite pour agiter, (de giter !), la

barque. Maryse et Battitte n’apprécient pas beaucoup ! De nombreuses embarcations se dandinent à la surface

de l’eau. Nous accostons sans dommage. Le temple est très visité. Je ne sais pas quel jour nous sommes mais ce

lieu semble être la promenade du dimanche des locaux et en particulier des amoureux. Après quelques photos

d’un très beau coucher de soleil, nous retrouvons la terre ferme. Douche, internet et bière. Nous invitons nos

trois guides au restaurant dans une rue que l’on pourrait, je pense, retrouver à Evian ou à Vichy. L’ambiance est

très sympathique. Au cours de l’apéro nous donnons les pourboires à nos invités. A titre d’information, pour

ceux qui lisent ces quelques lignes et qui envisagent de faire le Tour, les tarifs, si tarif il y a, semblent être les

suivants : 5000 roupies pour un porteur, 6000 pour un assistant et 7000 pour le guide. Bon repas, et enfin un

morceau de viande digne de ce nom. Retour à l’hôtel en flânant dans la rue centrale encore très animée.

Le 25, Pokhara – Katmandou

Cette nuit les moustiques ont attaqué les chambres du rez-de-chaussée. A l’étage nous avons été

épargnés. Vers 8 heures nous quittons Pokhara dans un Tata touristique, plein comme un œuf, et rembourré

avec des noyaux de pêches. La route est très sinueuse et très encombrée. Le chauffeur se joue de tous les

pièges avec dextérité, pourvu que ça dure ! Nous mangeons à Baikun Thapuli et retrouvons la route de l’aller

pour remonter le col. Toujours aussi épique. Les camions de sable s’essoufflent dans la pente à 5 km à l’heure.

De nombreux véhicules sont à l’arrêt, certainement pas pour admirer le paysage. Notre chauffeur arrive

toutefois à se frayer un passage dans des conditions peut-être pas toujours orthodoxes, mais efficaces. Nous

avons droit, en direct, à un échantillon complet de la conduite népalaise. Notre Tata avale le bitume de façon

régulière et nous conduit lentement et…sûrement à bon port. Nous retrouvons les bouchons, les

embouteillages, les klaxons… Bref, tout le charme d’une capitale frisant les deux millions d’habitants, on n’en

sait trop rien car la venue massive des ruraux est incontrôlable. Un couvercle de brume sale recouvre

Katmandou. A 14 heures nous prenons congé de Bersingh, Dawa et Siam. Dans ces cas-là, la tradition veut que

l’on ait un pincement au cœur. Je n’ai jamais ressenti ce pincement, mais c’est vrai qu’à cet instant, on voudrait

prolonger un peu plus l’aventure commune. Chacun sait que la quinzaine de jours que nous avons passée

ensemble s’arrête là ; un peu bêtement, et de façon toujours brutale. Sauf hasard improbable, nous ne nous

reverrons plus. Nous nous écrirons, au début, c’est promis, et après… ?

Nous prenons possession de nos chambres, nous sommes presque chez nous. Après une bonne

douche nous allons dans notre jardin pour retrouver le calme, relatif, et la moiteur des lieux malgré l’ombre

des parasols. Le responsable de l’agence nous informe que nous sommes invités, ce soir, à l’apéro. Un minibus

viendra nous chercher à 18 heures. En attendant c’est quartier libre selon l’expression consacrée. Nous en

profitons pour faire encore quelques achats. En soirée, nous sommes accueillis au siège de Népal Ecology Trek ;

tout le monde parle français. Avant de nous présenter l’organisation, chacun reçoit, en cadeau, un tee-shirt

estampillé de la marque de la maison. On nous confirme que le but de l’organisation est essentiellement

humanitaire. Elle a en charge une école gratuite de 120 enfants et un dispensaire avec soins gratuits, à 200 km

de Katmandou. C’est un toubib français, plus très jeune, qui l’a fondée il y a plus de vingt ans et qui assure

toujours, sa bonne marche. Les treks sur la chaîne de l’Himalaya et les visites touristiques en ville assurent la

presque totalité des revenus. Il n’y a aucune subvention de l’état népalais. Pour ce faire, elle emploie une

cinquantaine de guides permanents. Le coca et surtout le rhum népalais aidant, l’ambiance est très

sympathique. Une bénévole française originaire de la région bordelaise sachant que nous venons du pays

basque nous demande de chanter un air...basque bien sûr. Ce que nous faisons avec plaisir et conviction. Les

nombreux Népalais présents se font ensuite un plaisir de nous renvoyer l’ascenseur en népalais. La nuit est

tombée. Les oreilles un peu chaudes, nous prenons congé de nos hôtes. Le minibus nous amène à un

restaurant pour touristes du quartier Thamal. Dans une cour intérieure, installés sous une tente peut-être pas

népalaise, nous avons droit à l’éclairage népalais, la bougie. La musique, le repas et les danses sont aussi

népalais. L’alcool de riz, népalais donc assez hard, clôture la soirée. C’est au tour de Maryse d’avoir mal à la

gorge. Pour la première fois du séjour, nous nous couchons tard, il est 10h30 lorsque nous rejoignons l’hôtel !

Le 26, visite de Katmandou

Ce matin nous quittons l’hôtel vers 8h30. Inutile de reparler de la circulation, c’est toujours pareil.

Nous empruntons une route de campagne pour nous rendre à Changu Narayan. Ce village en hauteur,

parfaitement conservé, abrite un monastère hindouiste et son temple. Avant de pénétrer dans la cour

intérieure nous assistons aux sacrifices de poulets. Les familles, plutôt humbles, attendent leur tour, assises sur

le trottoir. Beaucoup de femmes sont habillées de rouge. Chacune offre un poulet blanc qui est saigné à

l’intérieur d’un tout petit hôtel ambulant dressé dans la rue. Les rideaux sont rouges, les mains des exécutants,

tachées de sang, aussi. A cet endroit les pavés de la rue sont rouges. Ce n’est pas un hasard si le rouge est la

couleur fétiche des hindous. La cour intérieure du monastère, de forme carrée, est bordée de bâtiments

couverts de tuiles. Le temple, de pierre noire et de bois sombre, parfaitement carré, trône en son centre.

L’architecture est très belle. Les sculptures sur bois sont de toute beauté. Dommage que ce soit si sale et que

les peintures soient aussi défraîchies. Nous partons pour Bhaktapur. Une ancienne ville impériale parfaitement

conservée. L’accès, là aussi, est payant. Nous arpentons les nombreuses rues pour admirer les édifices

religieux, publics et les maisons.

C’est superbe, vaste, authentique mais un peu délabré. Malgré les restaurations déjà effectuées il reste encore

beaucoup de boulot ! Le guide nous conduit à la rivière. Une crémation est en cours. Nous passons vite. Le coin

est très sale et sent vraiment mauvais. Nous mangeons au dernier étage d’un resto de la place principale. Il fait

chaud, je ne suis pas très bien. Je ne peux même pas finir le poulet. Je vais rejoindre Serge qui n’a

pratiquement pas mangé et qui s’est réfugié à l’ombre, à l’intérieur. « Tourista » lui a, à nouveau, rendu visite.

Ce n’est vraiment pas le jour car ce soir il prend l’avion pour le Pays Basque, boulot oblige. Pendant qu’il se

repose dans une chambre du resto attendant les bienfaits de la pilule magique, nous repartons finir la visite. Je

répète ici, que ceux qui veulent en savoir plus sur les vieilles pierres peuvent consulter les guides spécialisés.

Nous assistons à une « promission ». Il n’y a là, sous une grande tente, que des femmes, habillées de rouge, et

des fillettes. Au Népal, les fillettes sont promises en mariage vers leur dixième année avec, bien sûr, la

bénédiction de la religion. Le guide nous explique que, de nos jours, c’est devenu une fête initiatique et que la

fillette peut revenir sur la décision plus tard. Nous assistons aux défilés de deux mariages. Une banda, avec

tambours et trompettes, précède la voiture des mariés, suivie du cortège des parents et amis. Les femmes sont

presque toutes habillées en…rouge !

Nous rentrons à Katmandou en passant par l’aéroport pour accompagner Serge. Nous espérons pour

lui, que le repos a été salutaire et que la médication sera efficace. Ca risque d’être long : deux avions, un train

et des attentes ! Pour ma part, il me tarde d’arriver à l’hôtel. Aussitôt arrivé, je me précipite là où vous savez…

il était temps. L’estomac à présent allégé, je passe la fin de l’après midi, sur le lit. Je me repose. Le soir

j’accompagne les copains au restaurant. En l’absence de Serge, Michel se charge de la trésorerie ! Je ne reste

pas. Je bois un coca cola et je rentre à l’hôtel.

Le 27, visite de Katmandou

J’ai bien dormi. Je déjeune légèrement car je sens que ma situation est pour le moins instable.

Aujourd’hui, sans guide, nous allons visiter la ville, au hasard de nos pas. Pas tout à fait, car Michel muni d’un

plan, dirige les opérations. Vers 9 heures nous quittons l’hôtel par le quartier Thamal. Nous flânons au gré de

nos intérêts au milieu d’une foule compacte, de vélos, de motos et de rickshaws. Vers la fin de la matinée nous

sommes à la place royale où nous mangeons comme d’habitude en hauteur, en terrasse. Je mange une soupe

et je bois de l’eau, minérale évidemment. Nous visitons ensuite les monuments de Duban Square. Après avoir

emprunté New Road, nos pas nous conduisent vers un parc, un peu en périphérie du centre ville. Sur les larges

trottoirs nous côtoyons vraiment la pire des misères. Tous ceux qui sont certainement interdits de séjour dans

les quartiers touristiques sont là. Un échantillon complet d’une jeunesse à la dérive : des enfants de 4 ou 5 ans,

pratiquement nus, sales bien sûr, et déjà constitués en bande…comment arrivent-ils à survivre ? Des groupes

d’adolescents reniflant la colle de leur sac en plastique, des jeunes plus âgés, allongés à même le sol, ayant

absorbé je ne sais quelle drogue. Certains parmi eux étant morts ou sur le point de l’être. La visite curieuse du

parc n’est pas plus reluisante. Il y en a pour tous les goûts, de la mendicité au trafic en tout genre. Nous

quittons rapidement les lieux et retrouvons l’ambiance animée et sécurisante de Thamal et le calme du jardin

de notre hôtel. Le soir, je pars au restaurant un peu à reculons. Je me force un peu pour avaler de la viande

avec des frites. En principe, c’est le genre de plat que j’aime bien, mais là… ! Je trouve le service très long. Les

copains me confirment qu’il l’est. Enfin, vers 10h30 nous rejoignons, dans le noir comme d’habitude, notre

l’hôtel.

Le 28, pas de visite de Katmandou !

Cette nuit je me suis levé deux fois pour aller visiter…les toilettes. Je pense que madame « Tourista »,

sachant que j’avais déjà parlé d’elle, m’a tourné autour depuis deux jours avant de faire plus ample

connaissance. Selon les directives de mon toubib je me traite au Tiorfan. Le petit déjeuner est vite expédié.

J’informe le groupe que je ne les accompagnerai pas en ville pour visiter Patan. Je préfère ne pas m’éloigner

des commodités. Je passe la journée entre la chambre et le jardin avec le Guide du Routard et Lonely Planet

pour compagnons.

Pour faire court, et en passant vite, le Népal est un pays pauvre. Il compte 24 millions d’habitants, 11%

de citadins ! La mortalité infantile est 16 fois plus élevée qu’en France mais le nombre d’enfants par femme est

de 4,2. La population est jeune, surtout qu’ici, on ne fait pas de vieux os. La consommation d’énergie, par jour,

est mille fois plus faible qu’aux USA. On s’en serait douté. La région nord du pays est soumise à un climat de

mousson à deux saisons, sèche d’octobre à mai, humide de juin à septembre. Le potentiel d’énergie

hydroélectrique est énorme mais les équipements font défaut. Les principales ressources sont, d’une part,

l’agriculture : riz et millet (15ème

rang mondial), canne à sucre, maïs, et d’autre part, le tourisme, tourisme

essentiellement tourné vers la montagne, le « Tour des Annapurnas » étant un des treks les plus connus avec

le « Camp de base de l’Everest » et la « Traversée du Zanskar ». Le « Tour », un moment compromis par le

soulèvement maoïste, paraît très menacé. Il semble que ses jours soient comptés car il est attaqué de deux

côtés. A l’est, la route qui s’arrête à Bessi Sahar est supposée remonter le long du Marsyangdi jusqu’à Manang.

Actuellement la piste arrive jusqu’à Jagat. A l’ouest, la situation n’est pas meilleure. Les véhicules remontent la

vallée du Kali Gandaki jusqu’à Mutinath. Les Chinois assurent le financement des travaux pour pratiquer une

liaison, par le Mustang, vers le Tibet. Le « Tour » sera alors réduit au passage du col en cinq jours, de Manang à

Mutinath. Ces deux points étant atteints, tout simplement, en bus. Le « Tour » tel que nous l’avons vécu va

mourir mais c’est certainement le prix à payer pour que les populations de cette région puissent accéder enfin

à un quotidien moins difficile. Consolons-nous, des circuits inédits, moins connus, il en reste, et d’autres

verront le jour, car de la montagne…il y en a !

A midi je n’ai pas mangé grand-chose et mon état ne s’est guère amélioré. En fin d’après midi, le

groupe se reforme, autour d’une boisson, dans le jardin. La visite de Patan valait le coup. Nous allons ensuite

faire notre petit tour habituel dans Thamal en attendant le repas. Je me force à manger un peu. Avant d’aller

me coucher, Brigitte me conseille, si je ne veux pas avoir des problèmes dans l’avion, de remplacer le Tiorfan

par « la pilule qui bloque tout ».

Le 29 et 30, le retour

Cette nuit j’ai bien dormi. Je ne me précipite plus là où vous savez. Au petit déjeuner, je ne me jette

pas sur la nourriture mais je suis en progrès. Ce matin, nous pouvons balader à nouveau dans le quartier et

respirer notre quota de particules élémentaires. Nous récupérons des tee-shirts personnalisés, achetons

encore quelques babioles, faisons les ultimes photos de l’animation de la rue. Jakes, après une séance

d’essayage dans une boutique, abandonne son appareil photo. Peut-être fait-il un test. Il repart le rechercher

peu après et le récupère sans problème. Le test est concluant. Le Népalais est honnête ! Dernier repas à

l’ombre et en terrasse ; ça va mieux. A 14h30 un fourgon de l’agence nous conduit à l’aéroport. Nous laissons

tous les médicaments non utilisés au chauffeur. Formalités, vérifications, portiques de sécurité, ouvertures des

sacs, mains baladeuses…nous nous retrouvons, comme toujours, assis dans un hall impersonnel, attendant le

départ. Un A330 nous emporte vers l’ouest. Vol sans histoires. Nous survolons Abou Dhabi en début de nuit. Vu

d’en haut, rien à voir avec Katmandou. La ville très étendue est illuminée. Les phares des rares voitures

sillonnent de larges avenues regorgeant de lampadaires. Le hall d’attente de l’aéroport n’est pas mal non plus.

Nous sommes sous une voûte en faïence bleutée sur laquelle miroitent les nombreuses lumières des

boutiques de luxe et des services en tout genre. L’architecture des lieux est parfaitement réussie. Nous

sommes sous une immense girole dont les bords du chapeau touchent par terre. Le pied du champignon

occupant, évidemment, la partie centrale d’un grand rond central au rez-de-chaussée et d’une grande galerie

périphérique et circulaire, ça va de soi, à l’étage. Sur les deux niveaux, pour desservir les différentes

destinations, convergent de grosses galeries tubulaires faïencées, et moquettées au sol. Nous devons attendre

ici pendant 4 heures. Tout est parfait : bistrots, restos, accès libre à internet, toilettes de luxe… et même

mosquée côté hommes et côté femmes. Seul petit bémol, la climatisation. Elle est, comme le disait un ami

brésilien, « stupidamente gelata ». Le peu de vêtements que nous avons, passe du sac sur nos épaules. Nous

embarquons enfin pour Paris. Le ronronnement de l’avion ne tarde pas à me plonger dans une vague

somnolence. Je revois le film de notre séjour au Népal. Pour la première fois, notre groupe, un peu macho,

s’est ouvert à deux représentantes de la gent féminine. Cet apport a modifié, à coup sûr, le style des relations

entre nous. Dans mon travail, j’avais remarqué que dans une classe de garçons, la présence de deux ou trois

filles modifiait l’atmosphère de façon non négligeable. A un degré moindre, je pense que notre groupe déjà

composé de personnalités très différentes s’est enrichi d’une nouvelle diversité. Ce mois, passé ensemble,

s’est écoulé sereinement. Le groupe, il est vrai, n’a pas été confronté à des situations délicates qui sont

souvent source de tensions. Peut-être avons-nous le don de ne pas les créer ou de les désamorcer aussitôt. En

fait, chacun a le souci d’œuvrer à la réussite de l’entreprise. Une fois de plus chacun a apporté sa pierre à la

construction d’un projet qui s’est parfaitement réalisé et qui restera dans la tête de tous. La montagne est

belle, c’est sûr. Elle a aussi certainement le don de fédérer, même les éléments les plus disparates. Voilà pour

l’esprit. Du côté corps, quelques petits ennuis pour certains sont à noter, mais ils n’ont en rien affecté la

marche de l’ensemble. Sur presque un mois de voyage on peut dire que même de ce point de vue- là, tout s’est

bien passé. Pour l’anecdote, il est intéressant de savoir que sur les vingt pieds qui ont parcouru les 220 km, un

seul a été agrémenté d’une petite ampoule, il appartenait à Jakes. Bersingh, à la fin du trek, nous a confié qu’il

avait beaucoup apprécié l’esprit du groupe et aussi son homogénéité concernant ses capacités physiques. Pour

ma part, le trek m’a vraiment séduit. Beaucoup d’images, de paysages, de gens…pour un investissement

physique très raisonnable. Quant à Katmandou, ce n’est pas une destination que je proposerai à Louisette.

Que dire de notre arrivée à Paris, puis à Biarritz. Sur le quai de la gare, des montagnards barbus (les

hommes !) et chargés de gros sacs, ont été accueillis à bras ouverts. Jean-Paul était descendu en gare de

Bayonne et, y-a-t-il une relation, il avait, par deux fois, fait connaissance avec les Figaros népalais ? Louisette a

accueilli un « Bagé » à barbe blanche et pas mal amaigri.

Le « Bagé » de circonstance, Jean-Paul S.