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UNIVERSITE CATHOLIQUE DE LOUVAIN Faculté Ouverte de Politique Economique et Sociale ANALYSE DES CONCEPTIONS DE L’ENTREPRISE SOCIALE EN BELGIQUE FRANCOPHONE ETUDE EXPLORATOIRE Promotrice : Marthe NYSSENS Accompagnateurs : Romeo SHARRA Pierre van STEENBERGHE Mémoire de fin d’études présenté en vue de l’obtention du diplôme de Master en politique économique et sociale Par Claire BRANDELEER Septembre 2010

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Mémoire présenté en septembre 2010 par Claire BRANDELEER en vue de l’obtention du diplôme de Master en politique économique et sociale (Fopes-UCL).

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Page 1: « Analyse des conceptions de l’entreprise sociale en Belgique francophone. Étude exploratoire »

UNIVERSITE CATHOLIQUE DE LOUVAIN Faculté Ouverte de Politique Economique et Sociale

ANALYSE DES CONCEPTIONS DE L’ENTREPRISE SOCIALE EN BELGIQUE FRANCOPHONE

ETUDE EXPLORATOIRE

Promotrice : Marthe NYSSENS

Accompagnateurs : Romeo SHARRA

Pierre van STEENBERGHE

Mémoire de fin d’études présenté en

vue de l’obtention du diplôme de

Master en politique économique et

sociale

Par Claire BRANDELEER

Septembre 2010

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Je tiens à remercier ma commission d’accompagnement, pour nos

échanges intéressants qui m’ont poussée à approfondir ma réflexion.

Merci à Romeo Sharra et à Pierre van Steenberghe pour le temps qu’ils

m’ont consacré et leurs remarques constructives. Je remercie tout

particulièrement Marthe Nyssens pour ses suggestions et conseils

judicieux, sa très grande disponibilité et l’enthousiasme qu’elle a

manifesté tout au long de ma démarche.

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Table des matières

Introduction 5

I. Conceptualisations de l’entreprise sociale, de l’entrepreneuriat social et de l’entrepreneur

social. Présentation de trois écoles de pensée

1. Introduction 7

2. L’approche du réseau européen EMES 7

2.1. A propos du réseau EMES 7

2.2. Ancrage dans l’économie sociale 8

2.2.1. Le secteur de l’économie sociale 8

2.2.2. Limites du concept de l’économie sociale 9

2.2.3. L’innovation au sein des organisations du secteur de l’économie sociale 9

2.3. Définition de l’entreprise sociale 10

2.4. Théorie de l’entreprise sociale à ressources, objectifs et parties prenantes

multiples 13

2.5. Lien entre l’approche EMES et l’économie sociale 15

3. L’approche américaine de l’innovation sociale 16

3.1. Introduction 16

3.2. L’entrepreneur social innovant 16

3.3. Focus sur l’innovation sociale 20

4. L’approche américaine de l’entreprise sociale 22

4.1. Introduction 22

4.2. Le secteur nonprofit 23

4.2.1. Définition 23

4.2.2. Evolution 24

4.3. The social enterprise school of thought 25

5. Convergences et divergences 28

5.1. La mission sociale 29

5.2. L’entreprise sociale, le risque économique et les ressources 29

5.3. Le lien entre l’activité de production et la mission sociale 30

5.4. L’entrepreneuriat social 30

5.5. Le mode de gouvernance 30

5.6. Tableau récapitulatif 32

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II. Analyse des conceptions de l’entreprise sociale, de l’entrepreneuriat social ou de

l’entrepreneur social en Belgique francophone

1. Introduction 33

2. Cartographie des acteurs en Belgique francophone 34

2.1. Les fédérations 34

2.2. Les organismes « ressource » 35

2.3. Les acteurs politiques 35

2.4. Les instituts d’enseignement et de recherche 35

2.5. Tableaux récapitulatifs des acteurs 36

3. Hypothèses 37

4. Méthodologie 38

4.1. Echantillon 38

4.2. Méthodes de récolte des données 39

5. Présentation et analyse des données 40

5.1. ConcertES 41

5.2. AtoutEI 44

5.3. Crédal 48

5.4. Triodos 51

5.5. Réseau des entreprises sociales 54

5.6. Sowecsom 57

5.7. Centre d’économie sociale (Ulg) 60

5.8. The Hub 64

5.9. Fondation Philippson 67

5.10. CRECIS (LSM-UCL) 70

5.11. Positionnement des acteurs: synthèse 73

6. Vérification des hypothèses 77

Conclusion 78

Bibliographie 80

Annexe A: Script des interviews 83

Annexe B: Questionnaire 97

Annexe C: Résultats du questionnaire 100

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Introduction

Parallèlement au secteur privé lucratif et au secteur public, existe également un troisième

secteur, qu’en Belgique l’on nomme généralement économie sociale. Durant les deux

dernières décennies, ce tiers-secteur a connu des évolutions importantes, résultant d’un

dynamisme nouveau. En témoigne, la création de nouveaux statuts légaux dans plusieurs pays

européens dans l’objectif de soutenir ce secteur de l’économie sociale, tels que le statut de

« coopérative sociale » introduit en 1991 en Italie, celui de « société à finalité sociale » (SFS)

adopté en Belgique en 1995 ou encore celui de « société coopérative d’intérêt collectif » créé

en 2002 en France. En témoigne également, l’usage de plus en plus fréquent des vocables

d’entreprise sociale, d’entrepreneuriat social ou encore d’entrepreneur social. Le

développement du tiers-secteur a suscité un vif intérêt, notamment au sein des universités.

Des deux côtés de l’Atlantique, différents cadres théoriques ont été élaborés par des

chercheurs, afin de rendre compte de la réalité changeante du tiers-secteur1. Ainsi, plusieurs

écoles de pensée coexistent, chacune conceptualisant l’entreprise sociale, l’entrepreneuriat

social ou l’entrepreneur social de manière différente. En suivant Defourny et Nyssens (2009),

nous en présentons trois dans le cadre de ce mémoire: (1) l’approche européenne de

l’entreprise sociale développée par le réseau de recherche EMES, (2) l’approche américaine

de l’innovation sociale et (3) l’approche américaine de l’entreprise sociale2. Outre les

scientifiques, d’autres types d’acteurs se sont emparés de ces trois vocables, notamment les

porteurs de projet d’économie sociale, les fédérations d’organisations de l’économie sociale,

les acteurs politiques, etc. Si ces notions suscitent un engouement de leur part, il n’existe

cependant pas de définitions fédératrices autour desquelles tous les types d’acteurs

s’accordent. Pour la reconnaissance et le développement du tiers-secteur, il serait pourtant

utile que les différents acteurs trouvent un langage commun, d’autant plus qu’au débat

s’ajoutent des intervenants promouvant des démarches de type RSE (responsabilité sociale

des entreprises) avec lesquels les acteurs se revendiquant de l’entrepreneuriat social ou de

l’entreprise sociale sont appelés à dialoguer.

1 Les notions d’entreprise sociale, d’entrepreneuriat social et d’entrepreneur social sont aussi objet de débats

ailleurs sur le globe, mais dans le cadre de cette étude, nous nous intéressons plus particulièrement à l’Europe et

aux Etats-Unis. 2 Ce sont Dees et Anderson qui utilisent cette typologie pour faire la distinction entre ces deux dernières écoles

de pensée présentes aux Etats-Unis (Dees & Anderson, 2006, cités dans Defourny & Nyssens, 2009: 6).

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Ces constats étant posés, viennent alors les questions suivantes: quelles représentations se font

les acteurs de l’économie sociale des concepts d’entreprise sociale, d’entrepreneuriat social et

d’entrepreneur social ? Dans quelle mesure les cadres théoriques existants offrent-ils un

espace dans lequel leurs représentations pourraient être situées ? Dans le cadre de ce mémoire,

il est nécessaire de préciser davantage ces questions, ce qui nous mène à notre question de

départ:

Quel cadre théorique, parmi les trois que nous présentons, correspond le mieux aux

représentations de l’entreprise sociale, de l’entrepreneuriat social et/ou de

l’entrepreneur social que se font les acteurs revendiquant ces vocables en Belgique

francophone?

Nous insistons sur le fait qu’il s’agit d’une part de cadres théoriques, c’est-à-dire de

manières de conceptualiser les notions dont il est question, et d’autre part de

représentations, c’est-à-dire de discours à propos de ces mêmes notions.

Ce mémoire présente un double intérêt. D’une part, il a une pertinence scientifique: les

concepts d’entreprise sociale, d’entrepreneuriat social et d’entrepreneur social sont élaborés

par les chercheurs au sein des universités; il est intéressant d’étudier comment les autres

acteurs se positionnent par rapport à ceux-ci. D’autre part, il a une pertinence sociale: ces

nouvelles notions animent le secteur de l’économie sociale et font débat parmi les différents

acteurs; il est donc intéressant de voir s’il y a convergence dans les représentations qu’ils se

font des notions dont il est question.

Ce mémoire est structuré en deux chapitres. Le premier est théorique et est consacré à la

présentation des trois écoles de pensée. Ce chapitre conclut en soulignant les points de

convergence et de divergence entre les trois cadres théoriques. Le deuxième chapitre est

dévolu à la partie empirique. Tout d’abord, nous présentons notre population à l’aide d’une

cartographie des acteurs en Belgique francophone revendiquant les vocables d’entreprise

sociale, d’entrepreneuriat social et/ou d’entrepreneur social. Cette cartographie nous a

également permis de poser nos hypothèses de travail. Ensuite, nous avons construit un

échantillon de dix acteurs que nous avons interviewés et auxquels nous avons soumis un

questionnaire. La partie principale de ce deuxième chapitre comporte la présentation et

l’analyse des données récoltées. Enfin viennent la vérification des hypothèses et notre

conclusion.

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I. Conceptualisations de l’entreprise sociale, de l’entrepreneuriat social et de l’entrepreneur social. Présentation de trois écoles de pensée

1. Introduction

Les trois écoles de pensée que nous présentons dans ce premier chapitre ne sont pas les seules

approches rendant compte des évolutions du tiers-secteurs ou conceptualisant l’entreprise

sociale ou l’entrepreneuriat social. En Europe, il existe effectivement l’approche italienne des

coopératives sociales (Defourny, 2004: 2; Defourny & Nyssens, 2009: 8) et l’approche

britannique de l’entreprise sociale (Defourny, 2004: 14-15). Aux Etats-Unis, les stratégies de

type RSE (responsabilité sociale des entreprises) sont souvent associées à de l’entrepreneuriat

social (Defourny & Mertens, 2008: 13). Nous choisissons d’exclure de notre recherche ces

approches, et ce pour plusieurs raisons. Tout d’abord, l’approche italienne des coopératives

sociales et l’approche britannique de l’entreprise sociale ont été élaborées dans un territoire

déterminé et en fonction d’un contexte particulier. Il ne nous semble donc pas opportun de les

prendre en considération pour répondre à la question qui nous occupe. Pourquoi dès lors se

tourner vers des approches américaines ? Nous suivons Defourny et Nyssens qui affirment

qu’il y a des influences américaines sur les discours européens (Defourny & Nyssens, 2009:

20). Il nous paraît donc pertinent de les prendre en compte. Nous suivons Dees et Anderson

(cités dans Defourny & Nyssens, 2009: 6) qui distinguent deux écoles de pensée principales

aux Etats-Unis, et laissons donc de côté des approches centrées sur les stratégies de type RSE.

2. L’approche du réseau européen EMES

2.1. A propos du réseau EMES

Depuis 1996, le réseau EMES3 regroupe des chercheurs européens de disciplines et

d’horizons divers autour de la question de l’entreprise sociale en Europe. Ces chercheurs ont

travaillé à l’élaboration d’une approche propre et d’un cadre théorique commun (Defourny,

3 EMES est l’acronyme d’Emergence des entreprises sociales en Europe, titre de la première étude du réseau

européen de recherche du même nom. Il s’agit d’une étude commanditée par la Commission européenne et

menée de 1996 à 1999 dans les quinze pays que l’Union européenne comptait à ce moment-là. Par la suite, le

réseau EMES a mené d’autres projets à propos des entreprises sociales et de l’économie sociale. Actuellement, il

rassemble onze centres de recherche universitaires, ainsi que des chercheurs individuels spécialisés dans ces

sujets. Voir www.emes.net.

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2004: 10; Defourny & Mertens, 2008: 4; Defourny & Nyssens, 2006: 4-5). Les différentes

traditions académiques présentes en Europe pour analyser le tiers-secteur ont été prises en

considération, de même que les contextes sociaux, politiques et économiques hétérogènes

(Defourny & Nyssens, 2008: 5 & 2009: 11). En conséquence, l’approche EMES est issue non

seulement d’une collaboration interdisciplinaire mais aussi d’un enrichissement mutuel entre

les chercheurs de réalités et de sensibilités différentes.

2.2. Ancrage dans l’économie sociale

2.2.1. Le secteur de l’économie sociale

Le cadre conceptuel de l’entreprise sociale développé par le réseau EMES s’ancre dans la

théorie de l’économie sociale. Nous suivons Defourny (2001: 4-7) pour donner quelques

repères à propos du secteur de l’économie sociale, qu’en Europe l’on identifie au troisième

secteur (Laville & Nyssens, 2001: 312), qui se distingue des secteurs public et privé à but

lucratif. Le secteur de l’économie sociale peut être appréhendé de deux manières

complémentaires: soit par une approche légale ou institutionnelle, soit par une approche

normative. La première se base sur les caractéristiques légales des entités du troisième

secteur. Ainsi, en font partie les coopératives, les mutuelles et les associations (les fondations

étant inclues dans ces dernières). A cela peuvent également s’ajouter des initiatives plus

informelles (e.g. les associations de fait). La deuxième manière de considérer les entités de

l’économie sociale revient à mettre en exergue leurs points de convergence d’un point de vue

normatif, c’est-à-dire leurs principes communs (Defourny, 2001: 4-7). La définition du

Conseil wallon de l’économie sociale (CWES), reprise dans plusieurs pays, est celle-ci: « Par

économie sociale, […], on entend les activités économiques productrices de biens ou de

services, exercées par des sociétés, principalement coopératives et/ou à finalité sociale, des

associations, des mutuelles ou des fondations, dont l’éthique se traduit par l’ensemble des

principes suivants:

finalité de service aux membres ou à la collectivité plutôt que finalité de profit;

autonomie de gestion;

processus de décision démocratique;

primauté des personnes et du travail sur le capital dans la répartition des revenus. »4

4 Voir http://www.concertes.be/joomla/images/documents/decretes_20081120_moniteur20081231.pdf, en ligne,

consulté le 09.03.2010.

Page 9: « Analyse des conceptions de l’entreprise sociale en Belgique francophone. Étude exploratoire »

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2.2.2. Limites du concept de l’économie sociale

Selon Defourny (2001: 10-11), le concept d’économie sociale n’est pas à même de rendre

compte de la multiplicité des réalités du troisième secteur, et cela pour deux raisons.

Premièrement, en se reposant sur une définition dont le but est de saisir l’entièreté du tiers-

secteur, il n’est pas possible, selon Defourny, de tenir compte de structures qui ne satisfont

pas entièrement à la définition, ni de prendre en considération des caractéristiques que seules

certaines organisations remplissent, ni d’inclure des organisations se situant aux frontières du

troisième secteur (Defourny, 2001: 10). Deuxièmement, la notion d’économie sociale est

statique et ne peut dès lors pas prendre la mesure du dynamisme à l’œuvre dans le tiers-

secteur. Ainsi, le concept d’économie sociale ne rend pas compte de dynamiques

entrepreneuriales ni de la prise de risque économique que l’on peut observer dans des entités

du secteur (Defourny, 2001: 10). Or, en analysant l’évolution du tiers-secteur, le réseau

EMES décèle un nouveau type d’entrepreneuriat social émergeant depuis une vingtaine

d’années (Defourny, 2001: 11-14 & 2004: 11-14; Defourny & Mertens, 2008: 4-7).

2.2.3. L’innovation au sein des organisations du secteur de l’économie sociale

Bien souvent, le secteur de l’économie sociale s’est développé pour répondre à des besoins

non ou mal satisfaits par les secteurs public et privé lucratif (Defourny & Mertens, 2008: 5).

L’innovation constitue donc la matrice de l’économie sociale. Si c’est le propre de l’économie

sociale d’innover, les chercheurs du réseau EMES mettent cependant en lumière un nouvel

entrepreneuriat social actif au sein du tiers-secteur depuis les années 1990. Pour cela,

l’approche EMES s’appuie sur la théorie de l’entrepreneuriat de Schumpeter, selon laquelle il

y a plusieurs possibilités pour l’entrepreneur d’innover: « (1) [la] fabrication d’un bien

nouveau (…), ou d’une qualité nouvelle d’un bien, (2) [l’]introduction d’une méthode de

production nouvelle (…), (3) [l’]ouverture d’un débouché nouveau, c’est-à-dire d’un marché

(…), (4) [la] conquête d’une source nouvelle de matières premières (…), (5) [la] réalisation

d’une nouvelle organisation (…) » (Schumpeter, 1935: 319). Il n’est donc pas forcément

question d’invention en tant que telle: il peut aussi s’agir de « nouvelles combinaisons »

(Schumpeter, 1935: 319). L’approche EMES, qui suit une version adaptée (par Young et

Badelt) de cette théorie pour bien cerner la réalité de ce nouvel entrepreneuriat dont il est

question ici, met en évidence cinq indicateurs:

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Nouveaux produits ou nouvelles qualités de produit

Nouvelles méthodes d’organisation et/ou de production

Nouveaux facteurs de production

Nouveaux rapports au marché

Nouvelles formes d’entreprises

Source: Defourny & Mertens, 2008: 4-7

Defourny et Mertens mettent en relief des pratiques innovantes à l’œuvre au sein du troisième

secteur depuis une vingtaine d’années et faisant référence à ces cinq indicateurs. Ainsi, ils

remarquent le développement d’activités nouvelles (telles que les nouvelles formes d’épargne,

le commerce équitable, etc.), de même que l’amélioration de certains services aux personnes

(tels que l’insertion socioprofessionnelle, les services aux personnes âgées, etc.) (Defourny &

Mertens, 2008: 5). Ils relèvent également l’existence de méthodes d’organisation nouvelles,

mobilisant des parties prenantes de bords divers (Defourny & Mertens, 2008: 5). Au niveau

des facteurs de production, Defourny et Mertens notent que le travail bénévole et le travail

rémunéré ont évolué. Une logique plus pragmatique sous-tend le premier et une logique de

professionnalisation sous-tend le second (Defourny & Mertens, 2008: 6). Concernant les

rapports au marché, ils mettent en lumière la culture entrepreneuriale inspirée du monde du

business vers laquelle les organisations de l’économie sociale sont poussées dès lors qu’elles

sont placées dans une logique de concurrence avec d’autres entités privées à but lucratif pour

obtenir des appels d’offre lancés par les pouvoirs publics désireux de déléguer certains

services (Defourny & Mertens, 2008: 6-7). Defourny et Mertens soulignent également

l’élaboration de statuts juridiques nouveaux dans plusieurs pays européens (Defourny &

Mertens, 2008: 7).

2.3. Définition de l’entreprise sociale

Considérant la réalité de ce nouvel entrepreneuriat social, le réseau EMES a développé son

approche afin d’étudier ces phénomènes nouveaux (Defourny, 2001: 16). Dans l’approche

EMES, la notion d’entreprise sociale est centrale. Celle-ci est conceptualisée à l’aide de

différents indicateurs de nature économique et sociale (voir encadré ci-dessous). Une

organisation ne doit pas nécessairement répondre à tous ces indicateurs afin d’être considérée

comme une entreprise sociale. La notion d’entreprise sociale, concrétisée par l’ensemble de

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ces indicateurs, n’est donc pas une définition mais un idéal-type5 qui permet aux chercheurs

de s’y retrouver dans l’ensemble des entreprises sociales et de les situer les unes par rapport

aux autres (Defourny & Nyssens, 2006: 7, 2008: 5 & 2009: 11; Defourny & Mertens, 2008:

8). Notons qu’au départ, cette série d’indicateurs était de l’ordre de l’hypothèse. L’empirie a

cependant montré qu’il s’agissait effectivement d’un outil fécond pour comprendre la réalité

des entreprises sociales (Defourny, 2004: 15-16). Soulignons également qu’il est possible, à

l’aide de ces indicateurs, de situer dans le paysage des entreprises sociales de nouvelles

organisations, tout comme de plus anciennes entités du troisième secteur qui sont travaillées

par de nouvelles dynamiques et s’en trouvent refaçonnées (Defourny, 2004: 17; Defourny &

Nyssens, 2009: 12).

Pour attester le caractère économique et entrepreneurial des initiatives envisagées, quatre

éléments ont été retenus:

Une activité continue de production de biens et/ou de services

Les entreprises sociales, à l’inverse de certaines organisations non-profit traditionnelles,

n’ont normalement pas comme activité principale la défense d’intérêts, ni la redistribution

d’argent (comme c’est le cas, par exemple, de beaucoup de fondations), mais elles sont

directement impliquées, d’une manière continue, dans la production de biens et/ou l’offre de

services aux personnes. L’activité productive représente donc la raison d’être – ou l’une des

principales raisons d’être – des entreprises sociales.

Un degré élevé d’autonomie

Les entreprises sociales sont créées par un groupe de personnes sur base d’un projet propre et

elles sont contrôlées par celles-ci. Elles peuvent dépendre de subsides publics mais ne sont

pas dirigées, que ce soit directement ou indirectement, par des autorités publiques ou d’autres

organisations (fédérations, entreprises privées…). Elles ont le droit tant de faire entendre leur

voix (« voice ») que de mettre un terme à leurs activités (« exit »).

Un niveau significatif de prise de risque économique

Les créateurs d’une entreprise sociale assument totalement ou partiellement le risque qui y

est inhérent. A l’inverse de la plupart des institutions publiques, leur viabilité financière

dépend des efforts consentis par leurs membres et par leurs travailleurs pour assurer à

l’entreprise des ressources suffisantes.

5 L’idéal-type est une notion développée par Max Weber. Il ne s’agit pas d’un idéal qui sous-entendrait l’idée de

perfection à atteindre, mais d’un « outil méthodologique destiné à faire ressortir la spécificité d'un phénomène.

La construction d'un type idéal s'opère en trois temps: sélection de traits pertinents, accentuation de ces traits,

articulation de ces traits pour former un tableau de pensée cohérent et homogène (d'après Weber) » (Van

Campenhoudt, 2001: 254).

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Un niveau minimum d’emploi rémunéré

Tout comme les organisations « non-profit » traditionnelles, les entreprises sociales peuvent

faire appel à des ressources tant monétaires que non monétaires, et à des travailleurs

rémunérés comme à des volontaires. Cependant, l’activité de l’entreprise sociale requiert un

niveau minimum d’emploi rémunéré.

Pour identifier la dimension sociale des initiatives, cinq indicateurs ont été privilégiés:

Un objectif explicite de service à la communauté

L’un des principaux objectifs des entreprises sociales est le service à la communauté ou à un

groupe spécifique de personnes. Dans la même perspective, une caractéristique des

entreprises sociales est constituée par leur volonté de promouvoir le sens de la responsabilité

sociale au niveau local.

Une initiative émanant d’un groupe de citoyens

Les entreprises sociales résultent d’une dynamique collective impliquant des personnes qui

appartiennent à une communauté ou à un groupe qui partage un besoin ou un objectif défini;

cette dimension est maintenue dans le temps d’une manière ou d’une autre, même s’il ne faut

pas négliger l’importance d’un leadership souvent exercé par une personne ou un noyau

restreint de dirigeants.

Un pouvoir de décision non basé sur la détention de capital

Ce critère renvoie généralement au principe « un membre, une voix », ou tout au moins à un

processus de décision dans lequel les droits de vote au sein de l’assemblée détenant le

pouvoir de décision ultime ne sont pas répartis en fonction d’éventuelles participations au

capital. En outre, si les propriétaires du capital social sont importants, le pouvoir de décision

est généralement partagé avec d’autres acteurs.

Une dynamique participative, impliquant différentes parties concernées par l’activité

La représentation et la participation des usagers ou des clients, l’exercice d’un pouvoir de

décision par diverses parties prenantes au projet et une gestion participative constituent

souvent des caractéristiques importantes des entreprises sociales. Dans bon nombre de cas,

l’un des objectifs des entreprises sociales est de promouvoir la démocratie au niveau local

par le biais de l’activité économique.

Une limitation de la distribution des bénéfices

Si les entreprises sociales peuvent être des organisations caractérisées par une obligation

absolue de non-distribution des bénéfices, elles peuvent aussi être des organisations qui,

comme les coopératives dans beaucoup de pays, ont le droit de distribuer des bénéfices, mais

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de manière limitée – ce qui permet d’éviter un comportement visant à la maximisation du

profit.

Source: Defourny, 2004: 16-17

Bien que les entreprises sociales soient de préférence conceptualisées à l’aide de ces neuf

indicateurs (Defourny & Nyssens, 2009: 11), le réseau EMES en donne également une

définition brève: « not-for-profit private organizations providing goods or services directly

related to their explicit aim to benefit the community. They generally rely on a collective

dynamics involving various types of stakeholders in their governing bodies, they place a high

value on their autonomy and they bear economic risks related to their activity » (Defourny &

Nyssens, 2009: 12).

2.4. Théorie de l’entreprise sociale à ressources, objectifs et parties prenantes multiples

Le premier projet de recherche mené par le réseau EMES à propos de l’émergence des

entreprises sociales a proposé, en plus des indicateurs, une première esquisse d’une théorie de

l’entreprise sociale, cherchant à expliquer le fonctionnement d’une entreprise sociale. Cette

théorie pose comme hypothèse qu’une entreprise sociale idéale-typique a de multiples

ressources, objectifs et parties prenantes (Defourny & Nyssens, 2006: 9). Cette hypothèse a

été testée lors du projet de recherche PERSE6. Ce projet cherchait à analyser la performance

socio-économique des entreprises sociales dans le domaine de l’insertion professionnelle

(Lemaître, Nyssens & Platteau, 2005: 135), l’un des principaux domaines d’activité des

entreprises sociales. Notons que les entreprises sociales sont également actives dans des

domaines aussi variés que les services aux personnes, le développement local, la protection de

l’environnement et la production de biens publics ou l’offre de services publics (Borzaga &

Defourny, 2001: 351-352; Defourny & Nyssens, 2006: 13 & 2009: 12).

Des ressources multiples

Suite au travail de recherche PERSE, l’approche EMES situe les entreprises sociales au

carrefour du marché, des politiques publiques et de la société civile (Nyssens, 2006). Cela

pointe le caractère hybride de leurs ressources: les entreprises sociales combinent, le plus

souvent, les ressources issues de la vente de biens et/ou de services sur le marché avec les

6 PERSE est l’acronyme de Performance socio-économique des entreprises sociales. Il s’agit du deuxième projet

de recherche mené par le réseau EMES de 2001 à 2004. Voir www.emes.net.

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subsides publics, le travail bénévole ou les donations (Defourny & Nyssens, 2009: 17). Il est

important pour une entreprise sociale de trouver un équilibre entre ces trois types de

ressources afin de servir l’objectif poursuivi. La capacité d’une entreprise sociale à mobiliser

ces trois pôles économiques influencerait sa pérennité (Laville & Nyssens, 2001: 325).

Des objectifs multiples

Le réseau EMES souligne également la diversité des objectifs poursuivis par les entreprises

sociales: ils sont sociaux, économiques et sociopolitiques. Les objectifs sociaux sont liés à la

mission même des entreprises, à savoir de servir la communauté. Cette mission de service à la

communauté peut être déclinée en plusieurs objectifs plus spécifiques (e.g. offrir un emploi à

des personnes fragilisées sur le marché de l’emploi). Les objectifs économiques sont liés à

l’activité entrepreneuriale de l’entreprise, à savoir la production continue de biens ou services,

la viabilité financière, etc. Les objectifs sociopolitiques sont, quant à eux, liés à un souci de

susciter plus de démocratie dans la sphère économique, de promouvoir l’intégration de

personnes marginalisées, etc. (Campi, Defourny & Grégoire, 2006: 30).

Des parties prenantes multiples

En outre, selon cette approche, les entreprises sociales idéales-typiques sont caractérisées par

la présence d’une pluralité de parties prenantes au sein des organes de décision de l’entreprise.

Une partie prenante (stakeholder) se définit comme « toute partie pour laquelle les objectifs et

la production de l’organisation constituent un enjeu et qui, pour cette raison, contribue à

l’apport en ressources » (Ben-Ner & Van Hoomissen, 1991, cités dans Grégoire, 2004: 74).

Dès lors, peuvent être considérés comme parties prenantes, les travailleurs, les usagers, les

bénévoles, les donateurs, tout comme les investisseurs privés ou les financeurs publics (ces

derniers ne pouvant pas être majoritaires) (Mertens, 2002, citée dans Grégoire, 2004: 74). Les

résultats de l’étude PERSE montrent qu’une majorité des entreprises sociales d’insertion

combinent effectivement diverses parties prenantes dans la composition de leur conseil

d’administration (Campi, Defourny & Grégoire, 2006: 39-40). Par ailleurs, l’étude montre

aussi que les entreprises sociales entretiennent des relations informelles avec des parties

prenantes externes telles que les clients ou usagers, les autorités publiques, etc. (Nyssens,

2006: 317). La multiplicité des parties prenantes n’est pas sans lien avec la pluralité des

objectifs des entreprises sociales: la présence de divers acteurs « permet de mieux défricher

Page 15: « Analyse des conceptions de l’entreprise sociale en Belgique francophone. Étude exploratoire »

15

des demandes collectives bien souvent latentes » (Lemaître, Nyssens & Platteau, 2005: 131).

L’interaction entre ces différentes parties prenantes, notamment entre prestataires et usagers,

peut dès lors être considérée comme une « construction conjointe de l’offre et de la

demande » (Laville, 1992, cité dans Lemaître, Nyssens & Platteau, 2005: 131).

2.5. Lien entre l’approche EMES et l’économie sociale

Pour terminer, et afin de bien comprendre l’approche de l’entreprise sociale développée par le

réseau EMES, il est nécessaire de la situer par rapport à la notion d’économie sociale. En

confrontant les neuf critères du réseau EMES distinguant les entreprises sociales et les quatre

principes de l’économie sociale, nous constatons que les entreprises sociales peuvent être

intégrées au concept d’économie sociale, même si aucune des composantes traditionnelles du

secteur de l’économie sociale (coopératives, associations, mutuelles et fondations) ne coïncide

tout à fait avec la notion d’entreprise sociale (Defourny, 2001: 11). Ainsi, les entreprises

sociales se distinguent des coopératives traditionnelles par le fait qu’elles sont créées par un

groupe de citoyens qui veut offrir des services plus variés et qui est à la recherche de plus de

liens avec la communauté locale. De même, les entreprises sociales se différencient des

mutuelles et des associations traditionnelles par l’importance qu’elles accordent à leur

autonomie et à leur prise de risque économique (Laville & Nyssens, 2001: 312). Malgré ces

divergences, beaucoup d’entreprises sociales rapprochent le monde des coopératives et celui

des associations en combinant des caractéristiques des unes et des autres (Defourny &

Nyssens, 2006: 7-9). Si les entreprises sociales peuvent être considérées comme des

organisations s’inscrivant dans l’économie sociale, elles sont néanmoins travaillées par un

processus innovant modifiant les formes traditionnelles du troisième secteur (Laville &

Nyssens, 2001: 312). En d’autres mots, elles constituent un nouveau sous-ensemble du

troisième secteur, quoique simultanément des initiatives traditionnelles se trouvent

remodelées (Defourny, 2004: 10; Defourny & Nyssens, 2006: 9). Notons que des entreprises

sociales peuvent exister en dehors de ce troisième secteur et prendre une forme autre que

celles de coopérative ou d’association. La création de nouveaux cadres légaux dans certains

pays en témoigne (e.g. le statut de SFS -société à finalité sociale- en Belgique) (Defourny,

2004: 21; Defourny & Nyssens, 2006: 9; Defourny & Mertens, 2008: 12-13).

Page 16: « Analyse des conceptions de l’entreprise sociale en Belgique francophone. Étude exploratoire »

16

3. L’approche américaine de l’innovation sociale

3.1. Introduction

L’approche que Dees et Anderson (2006, cités dans Defourny & Nyssens, 2009: 14) nomment

the social innovation school of thought n’est pas une école de pensée à proprement parler. Il

ne s’agit effectivement pas d’un réseau de chercheurs rassemblés afin d’élaborer un cadre

théorique et une terminologie commune, contrairement au réseau EMES. En conséquence, les

auteurs de cette « école » approchent leur sujet différemment, bien que l’innovation sociale

reste toujours au cœur de leur réflexion. Commençons par un exemple d’innovation sociale

souvent cité par ces auteurs, celui de Muhammad Yunus. En effet, cet exemple illustre bien

comment les accents peuvent être différents. Rappelons que Muhammad Yunus est le créateur

de la Grameen Bank (Bangladesh), pionnière en matière de micro-finance. Certains auteurs,

comme Dees (1998a; 2003) ou Bornstein (2004), mettront l’accent sur les qualités et

compétences de Muhammad Yunus, qui lui ont permis d’atteindre un réel impact social. La

notion d’entrepreneur social comme individu est dès lors centrale. D’autres, comme Alvord,

Brown & Letts (2002), Mulgan (2006 & 2007) et Phills, Deiglmeier & Miller (2008), vont un

pas plus loin. Ils se focalisent sur la micro-finance comme outil d’une réelle transformation

sociale durable, c’est-à-dire l’innovation sociale en tant que telle, sans s’intéresser à la

personne ou l’organisation qui la met en œuvre.

La visibilité et le développement du courant de cette « école » mettant l’accent sur la figure de

l’entrepreneur comme le font Dees ou Bornstein sont essentiellement dus à l’organisation

Ashoka7. L’objectif de cette organisation, fondée par Bill Drayton en 1980, est de soutenir des

entrepreneurs sociaux qui sortent de l’ordinaire, en les soutenant financièrement et en les

aidant à développer leurs stratégies (Bornstein, 2004: 19-20).

3.2. L’entrepreneur social innovant

Pour comprendre en quoi Dees enrichit notre compréhension de l’innovation sociale, nous

nous focalisons sur sa définition de l’entrepreneur social. Pour arriver à cette définition

idéale-typique, Dees emprunte certaines notions à d’autres auteurs: celle de création de valeur

à Say, celle d’innovation et celle d’agents de changement à Schumpeter, celle de recherche

7 Voir le site www.ashoka.org

Page 17: « Analyse des conceptions de l’entreprise sociale en Belgique francophone. Étude exploratoire »

17

d’opportunité à Drucker et celle de resourcefulness (ingéniosité dans la manière de gérer ses

ressources) à Stevenson (Dees, 1998a: 4). Il met ainsi en évidence les qualités et compétences

de l’entrepreneur social, comme nous l’avons déjà souligné dans l’introduction:

« Social entrepreneurs play the role of change agents in the social sector, by adopting

a mission to create and sustain social value (not just private value), recognizing and

relentlessly pursuing new opportunities to serve that mission, engaging in a process

of continuous innovation, adapting and learning, acting boldly without being limited

by resources currently in hand, and exhibiting heightened accountability to the

constituencies served and for the outcomes created » (Dees, 1998a: 4).

Dees approfondit la plupart des éléments de cette définition, mais il n’explicite pas ce qu’il

entend par « secteur social ». Cependant, à la lecture d’Enterprising Nonprofits (Dees,

1998b), nous pouvons supposer qu’il utilise ce terme comme synonyme de nonprofit sector8,

terme le plus répandu aux Etats-Unis et dont les notions équivalentes sont multiples9. Il nous

semble que Dees n’a pas choisi le terme « secteur social » par hasard. D’une part, il évite de la

sorte la confusion induite par le terme nonprofit, qui semble suggérer une interdiction de faire

du profit. Une nonprofit organization peut effectivement faire un surplus (i.e. générer plus de

revenus que ce qu’elle ne dépense en une année donnée), même si elle ne peut pas le

distribuer à ses membres10

(Salamon & Anheier, 1997: 13). D’autre part, en utilisant le terme

« secteur social », Dees met l’accent sur les problèmes ou défis sociaux dont les organisations

(ou entreprises) auxquelles il fait référence s’occupent (la faim, l’éducation, la santé, etc.).

Développons les notions auxquelles il se réfère:

Change agents (Schumpeter)

Dans leur façon d’aborder le secteur social, les entrepreneurs sociaux apportent des

changements essentiels: au lieu de s’attaquer aux conséquences des problèmes sociaux, ils

cherchent effectivement à en résoudre les causes et au lieu de satisfaire les besoins, ils

cherchent à les réduire. En outre, même si leur terrain d’action est local, leur visée est

d’atteindre des changements systémiques (Dees, 1998a: 4).

8 Dees écrit: « Nonprofit organizations have traditionally operated in the so-called social sector to solve or

ameliorate such problems as hunger, homelessness, environmental pollution, drug abuse, and domestic violence.

They have also provided certain basic social goods – such as education, the arts, and health care – that society

believes the marketplace by itself will not adequately supply » (Dees, 1998b: 56). 9 Les termes « charitable sector », « independent sector », « voluntary sector », « tax-exempt sector »,

« nongovernmental organizations », « associational sector », « civil society », « third sector » et « économie

sociale » sont autant de terminologies utilisées pour désigner cet ensemble d’entités qui n’appartiennent ni au

secteur public, ni au secteur privé à but de lucre (Salamon & Anheier, 1997: 12; Salamon, Sokolowski & List,

2004: 3). Notons que ni Salamon & Anheier, ni Salamon, Sokolowski & List ne proposent « social sector »

comme équivalent de « nonprofit sector ». Phills et al., quant à eux, notent: « Most people use the term social

sector to mean nonprofits and international nongovernmental organizations (NGOs) » (Phills, Deiglmeier &

Miller, 2008: 38). 10 Certains utilisent le terme not-for-profit et évitent ainsi cette confusion: « not-for-profit ventures », « not-for-

profit organization » (Dees, 1998a: 1), « not-for-profit private organizations » (Defourny & Nyssens, 2009: 12).

Page 18: « Analyse des conceptions de l’entreprise sociale en Belgique francophone. Étude exploratoire »

18

L’innovation (Schumpeter)

Comme le souligne Schumpeter, l’innovation n’est pas nécessairement synonyme d’invention

(Dees, 1998a, 4). Les entrepreneurs sociaux peuvent en effet innover en étant créatifs dans la

manière de mettre en œuvre ce que d’autres ont inventé ou dans leur façon de trouver des

ressources. La recherche d’innovation, qui ne va pas sans risque, est une attitude

fondamentale et constante des entrepreneurs sociaux. Leur capacité à gérer et supporter ce

risque les caractérise (Dees, 1998a: 4-5).

La création de valeur (Say)

La création de valeur sociale est au cœur de l’action des entrepreneurs sociaux (Dees, 1998a:

4). Pour Say, un entrepreneur classique crée de la valeur en déplaçant des ressources

économiques d’un domaine à faible productivité vers un domaine à plus forte productivité

(Dees, 1998a: 1). Ainsi, la création de richesse est un indicateur de la création de valeur et se

mesure sur le marché: si des clients sont prêts à payer un bien ou un service plus que ce que

cela n’a coûté à l’entrepreneur pour le produire, il y a création de valeur. Pour Dees, par

contre, de la valeur sociale est créée par un entrepreneur social quand ce dernier atteint un

impact social, c’est-à-dire quand il répond à un problème social et y apporte une amélioration

(Dees, 1998a: 3). La valeur sociale bénéficie à la collectivité et/ou au public visé (e.g. des

clients désavantagés) et se distingue de la valeur privée qui ne bénéficie qu’aux entrepreneurs,

actionnaires et clients (Phills, Deiglmeier & Miller, 2008: 39). Dees ajoute quelques

remarques importantes concernant la valeur sociale. Premièrement, il admet qu’il est difficile

de mesurer l’impact social et donc la création de valeur sociale (Dees, 1998a: 3). Ensuite, si la

création de valeur sociale est primordiale pour les entrepreneurs sociaux, faire du profit est

néanmoins un moyen au service de leur mission sociale (Dees, 1998a: 4). Enfin, les

entrepreneurs sociaux sont enclins à vérifier auprès des intéressés s’ils leur ont procuré une

réelle amélioration. Ils cherchent également à satisfaire les investisseurs par un retour

financier et/ou social attractif (Dees, 1998a: 5).

La recherche d’opportunités (Drucker)

Pour Dees, la notion de recherche d’opportunités fait référence à la qualité des entrepreneurs

sociaux de voir des opportunités là où d’autres voient des problèmes. Concrètement, quand un

besoin social se fait sentir, les entrepreneurs sociaux voient rapidement comment y apporter

une amélioration. De plus, leur ténacité leur permet d’aller jusqu’au bout de leurs projets et ils

adaptent, si nécessaire, leurs approches en apprenant de leurs erreurs (Dees, 1998a: 4).

Page 19: « Analyse des conceptions de l’entreprise sociale en Belgique francophone. Étude exploratoire »

19

Resourcefulness (Stevenson)

Les entrepreneurs sociaux sont soucieux d’utiliser au mieux leurs ressources, souvent

limitées, et cherchent à les allouer avec ingéniosité. En outre, ils ont la capacité de créer des

partenariats et des collaborations afin de mobiliser des ressources supplémentaires (Dees,

1998a: 5).

Dans un article de 2003, Dees insiste sur le fait que l’entrepreneuriat social n’est pas limité au

seul secteur nonprofit. Nous comprenons dès lors pourquoi il préfère le terme « secteur

social » au terme « secteur nonprofit » dans le contexte de l’entrepreneuriat social. Même s’il

ne le dit pas clairement, il élargit de cette façon l’ensemble des organisations formant le

secteur nonprofit à toutes les autres entités s’attelant à la résolution de défis sociaux11

.

L’innovation sociale peut donc, selon Dees, se développer dans le secteur privé à but lucratif.

Ce qui rend l’entrepreneuriat social, c’est l’innovation déployée et l’impact social atteint, peu

importe si les profits générés par l’activité sont distribués aux actionnaires ou entièrement

réinvestis dans l’activité de l’organisation ou de l’entreprise. En conséquence, une entreprise

ou une organisation qui génère du profit afin de financer une mission sociale ne relève pas

forcément de l’entrepreneuriat social, à moins qu’elle ne mette en œuvre une innovation

sociale dans le but d’atteindre un impact social (Dees, 1998a). Dees résume: « any form of

social entrepreneurship that is worth promoting broadly must be about establishing new and

better ways to improve the world. Social entrepreneurs implement innovative programs,

organizational structures, or resource strategies that increase their chances of achieving deep,

broad, lasting, and cost-effective social impact » (Dees, 2003: 2). L’innovation sociale et

l’impact social sont donc les deux éléments majeurs de l’entrepreneuriat social. Pour Dees,

ces deux éléments sont liés: une innovation est sociale lorsqu’elle génère un impact social

(Dees, 1998; 2003). En proposant sa définition d’entrepreneur social, Dees souligne que

différents degrés d’innovation sociale peuvent être distingués suivant l’intensité de l’impact

social réellement atteint par l’entrepreneur social (Dees, 1998a: 4). Dees comprend la notion

d’impact social dans le sens d’une amélioration profonde et durable du monde. Il n’élabore

néanmoins pas davantage cette notion d’impact social qui reste donc vague.

Bornstein, un journaliste américain, se focalise lui aussi sur la figure de l’entrepreneur social,

dont il loue les qualités: leur vision, leur passion, leur détermination et leur sens éthique

(Bornstein, 2004: 130). Son livre, structuré autour de la présentation d’entrepreneurs sociaux

11 Dees dit que le langage récent de l’entrepreneuriat social va de pair avec « a blurring of sector boundaries »

(Dees, 1998a: 1).

Page 20: « Analyse des conceptions de l’entreprise sociale en Belgique francophone. Étude exploratoire »

20

soutenus par l’organisation Ashoka, retrace l’histoire de cette dernière. La vision de

l’entrepreneur social innovant telle qu’Ashoka la promeut n’est cependant pas l’unique façon

de parler de l’innovation sociale. Les auteurs que nous présentons dans la section suivante,

tout en voulant s’en distinguer, ont toutefois un point commun avec Ashoka et des auteurs

comme Dees ou Bornstein: la notion de transformation sociale durable.

3.3. Focus sur l’innovation sociale

Nous prenons comme point de départ l’article de Phills, Deiglmeier et Miller de 2008, et

ensuite nous complétons leur approche grâce à d’autres auteurs qui ajoutent quelques

distinctions qu’il est utile de relever pour alimenter notre compréhension de l’innovation

sociale.

Pour Phills, Deiglmeier et Miller (2008), la notion d’innovation sociale permet d’éclairer au

mieux les mécanismes qui mènent à un changement social positif et durable. Tout comme

Dees, ces auteurs insistent sur le fait que l’innovation sociale peut émerger dans n’importe

quel secteur. Dès lors, plutôt que d’analyser l’organisation ou l’entrepreneur, ils mettent en

évidence l’innovation sociale en tant que telle, les notions d’entrepreneur social et

d’entreprise sociale étant liées au secteur nonprofit avec une volonté de distinguer le débat sur

l’entrepreneuriat social de celui sur l’innovation sociale (Phills, Deiglmeier & Miller, 2008:

36-37). La définition qu’ils donnent de l’innovation sociale est la suivante: « A novel solution

to a social problem that is more effective, efficient, sustainable, or just than existing solutions

and for which the value created accrues primarily to society as a whole rather than private

individuals » (Phills, Deiglmeier & Miller, 2008: 36). Phills, Deiglmeier et Miller vont plus

loin dans leur explication en distinguant quatre aspects dans l’innovation: (1) le processus de

production, (2) le produit innovant, (3) la diffusion du produit et (4) la valeur créée. Pour

qu’une innovation soit sociale, le processus et/ou le produit doivent être une nouveauté et

présenter une amélioration par rapport aux alternatives déjà existantes. Ensuite, l’innovation

doit être diffusée et utilisée largement, plutôt que de rester une exception. Enfin, l’innovation

doit être orientée vers la création de valeur pour la société dans son ensemble, c’est-à-dire

vers la création de valeur sociale bénéficiant non pas aux actionnaires ou entrepreneurs, ni à

des consommateurs non défavorisés, mais à la société dans son ensemble ou à des individus

défavorisés (Phills, Deiglmeier & Miller, 2008: 38-39). Notons que pour ces auteurs, une

innovation sociale peut également être un principe, une idée, une législation, un mouvement

Page 21: « Analyse des conceptions de l’entreprise sociale en Belgique francophone. Étude exploratoire »

21

social, une intervention ou une combinaison de ces éléments (Phills, Deiglmeier & Miller,

2008: 39). Phills, Deiglmeier et Miller ajoutent que pour répondre aux problèmes sociaux les

plus difficiles, la dynamique entre les différents secteurs (nonprofit, privé à but lucratif et

public) doit être accentuée: en échangeant des idées et des valeurs, en faisant évoluer les rôles

et les relations entre les secteurs et en hybridant les ressources, des innovations sociales

jailliront de leur collaboration (Phills, Deiglmeier & Miller, 2008: 40-43).

Pour Mulgan, l’innovation sociale n’est pas forcément un produit totalement nouveau: il peut

s’agir d’une combinaison d’éléments déjà existants mais n’ayant jamais été associés

auparavant (Mulgan, 2006: 151; 2007: 22). L’innovation sociale peut être initiée par un

individu mais également par un mouvement bien plus large (tel que l’écologie) ou par une

organisation ancienne renouvelée par une dynamique innovante (Mulgan, 2007: 13-17). Selon

Mulgan, et comme pour Phills, Deiglmeier et Miller (2008), l’innovation sociale est favorisée

par des alliances entre secteurs. Les porteurs d’idées (individus, groupes, petites

organisations) ont effectivement besoin d’organisations plus larges (gouvernements,

entreprises, grandes ONG) pour réaliser leurs projets et les implémenter à grande échelle

(Mulgan, 2007: 20). Mulgan développe les différentes étapes qui mènent à un réel

changement durable. Nous nous contentons de les mentionner: tout d’abord, l’entrepreneur

social prend la mesure d’un besoin social et trouve une solution potentielle; ensuite, il

développe cette idée et la diffuse, après l’avoir testée, pour qu’elle puisse être implémentée à

grande échelle; enfin, il apprend et évolue à partir de ses expériences (Mulgan, 2006: 149-

155; Mulgan, 2007: 21-25).

A l’aide de quelques études de cas, Alvord, Brown et Letts (2002) identifient les

caractéristiques qui favorisent le succès des initiatives visant une transformation sociale et

durable. Nous ne les mentionnons pas ici. Nous retenons seulement l’essentiel de leur

compréhension de l’innovation sociale. Pour ces auteurs, l’entrepreneur social est celui qui

crée des solutions innovantes répondant à des problèmes sociaux immédiats et qui mobilise

également des idées, des compétences et des ressources pour atteindre une transformation de

long terme. L’entrepreneuriat social est compris comme le catalyseur de ces transformations

(Alvord, Brown & Letts, 2002: 4).

En faisant une claire distinction entre l’entrepreneuriat social, les services sociaux et

l’activisme social, Martin et Osberg (2007) mettent en lumière d’autres aspects de la

Page 22: « Analyse des conceptions de l’entreprise sociale en Belgique francophone. Étude exploratoire »

22

transformation sociale que la durabilité. L’entrepreneuriat social se différencie des services

sociaux parce que ces derniers ne visent que la population locale, leur impact restant dès lors

limité. Or, pour relever de l’entrepreneuriat social, une initiative doit pouvoir être reproduite

et être adoptée largement. L’entrepreneuriat social se différencie également de l’activisme

social car les activistes sociaux agissent indirectement, en essayant d’influencer les autres

(gouvernements, ONG, consommateurs, etc.), tandis que l’entrepreneur social agit de manière

directe sur le problème social (Martin & Osberg, 2007: 36-38).

Pour terminer cette partie, nous prenons un auteur qui met l’accent sur les acteurs de

l’innovation sociale, mais d’une manière beaucoup plus large que Dees et Bornstein. La

définition que Light (2005) propose de l’entrepreneur social englobe la plupart des éléments

avancés par les auteurs présentés précédemment. Elle est à la fois large et simple et nous sert

de résumé pour l’approche proposée par l’école de l’innovation sociale: « A social

entrepreneur is an individual, group, network, organization, or alliance of organizations that

seeks sustainable, large-scale change through pattern-breaking ideas in what and/or how

governments, nonprofits, and businesses do to address significant social problems. » (Light,

2005: 17).

Si nous essayons de résumer ce que nous comprenons de l’idée de transformation sociale

durable, nous pourrions dire qu’elle est atteinte lorsque l’innovation sociale devient en

quelque sorte la norme. Considérons à nouveau l’exemple de Muhammad Yunus. L’initiative

qu’il a créée a dépassé les frontières du Bangladesh et a été imitée un peu partout dans le

monde. La micro-finance n’est dès lors plus quelque chose d’exceptionnel mais est devenue

habituelle.

4. L’approche américaine de l’entreprise sociale

4.1. Introduction

Cette approche est nommée the social enterprise school of thought par Dees et Anderson

(2006, cités dans Defourny & Nyssens, 2009: 14). De la même manière que la théorie de

l’entreprise sociale du réseau européen EMES s’ancre dans la théorie de l’économie sociale,

l’approche américaine de l’entreprise sociale s’enracine dans la théorie du secteur nonprofit.

Page 23: « Analyse des conceptions de l’entreprise sociale en Belgique francophone. Étude exploratoire »

23

Le secteur nonprofit correspond plus ou moins à ce que nous appelons en Europe le secteur

associatif ou secteur sans but lucratif (Mertens, 2007: 21). Aux Etats-Unis, le concept

d’entreprise sociale s’est développé du fait de l’évolution de ce secteur, et ce depuis les

années 1980. Cette approche-ci, tout comme l’approche de l’innovation sociale, n’est pas le

résultat d’une concertation entre chercheurs rassemblés en un même réseau. Avant de

présenter la manière dont certains auteurs de cette école de pensée conceptualisent l’entreprise

sociale, nous définissons le secteur nonprofit et retraçons son évolution afin de bien cerner le

sens donné par cette approche américaine à la notion d’entreprise sociale, ainsi que les enjeux

auxquels les entreprises sociales sont confrontées.

4.2. Le secteur nonprofit

4.2.1. Définition

Aux Etats-Unis, le secteur nonprofit regroupe une multitude d’organisations actives dans des

domaines très variés: l’éducation, la recherche, la santé, la culture, les services sociaux,

l’environnement, le développement local, etc. (Anheier, 2005: 55; Salamon & Anheier, 1997:

70-74). En font ainsi partie la plupart des hôpitaux, écoles, universités, églises, théâtres et

musées, un nombre considérable d’agences de services sociaux, d’organisations de protection

de l’environnement, d’organisations de défense des droits civils, d’organisations actives dans

la lutte contre la pauvreté, etc., ainsi que les fondations et autres organismes de soutien aux

diverses entités du secteur nonprofit (Salamon, 2002: 6-7). Il peut donc tout aussi bien s’agir

d’organismes de bienfaisance (charities) visant un service à la collectivité que d’entités

servant les intérêts privés de membres (Weisbrod, 1988: 67). Une manière simple de

déterminer si telle ou telle organisation fait partie du secteur nonprofit est son statut légal. Si

elle bénéficie de la tax-exemption selon le code des impôts, c’est-à-dire si elle ne doit pas

payer d’impôts sur les revenus ni d’autres formes de taxes, elle est considérée comme

nonprofit (Anheier, 2005: 40; Salamon, 2002: 7). Salamon et Anheier (1997) définissent les

organisations nonprofit en en donnant les caractéristiques suivantes: « organized, i.e.

institutionalized to some extent, private, i.e. institutionally separate from government, self-

governing, i.e. equipped to control their own activities, non-profit distributing, i.e. not

returning profits generated to their owners or directors, voluntary, i.e. involving some

meaningful degree of voluntary participation » (Salamon & Anheier, 1997: 33-34). Ainsi, une

organisation nonprofit a une identité institutionnelle indépendante de l’Etat (même si elle en

Page 24: « Analyse des conceptions de l’entreprise sociale en Belgique francophone. Étude exploratoire »

24

dépend pour les subsides), et est caractérisée par un degré élevé d’autonomie (c’est-à-dire par

la possession d’instances de décision propres), par une interdiction de distribuer son profit aux

directeurs ou membres, par un niveau significatif de volontariat et de dons financiers, et enfin

par l’adhésion volontaire de ses membres (Anheier, 2005: 47-49; Salamon & Anheier, 1997:

33-34).

4.2.2. Evolution

A partir des années 1960, les organisations nonprofit ont bénéficié d’un soutien financier de la

part du secteur public, aux Etats-Unis, grâce au projet appelé « The Great Society Programs ».

Concrètement, le gouvernement fédéral a investi de l’argent par l’intermédiaire des

organisations nonprofit (NPO), dans des domaines aussi variés que les soins de santé,

l’éducation, la lutte contre la pauvreté, l’environnement, les services aux personnes, le

développement local, l’emploi, l’art, etc. Le nombre de NPO a alors fortement augmenté. A

l’aube des années 1980, du fait de la récession économique de la fin des années 1970, cette

aide financière a largement diminué. Cette réduction du soutien fédéral de plus ou moins 25%

n’a pas pu être compensée par les subventions des gouvernements locaux, bien que ceux-ci

aient été revus à la hausse. Ce n’est qu’à la fin des années 1990 que le soutien venant du

gouvernement fédéral a retrouvé son niveau de 1980 (Salamon, 2002: 12-13; Young &

Salamon, 2002: 425; Kerlin, 2006: 251). De plus, la forme du soutien du secteur public vers le

secteur nonprofit a également changé à partir des années 1980. Au lieu de subventions et de

contrats accordés aux NPO, l’aide a été accordée directement aux usagers ou consommateurs

sous forme de bons (vouchers) et de déductions d’impôts (tax expenditures) (Salamon, 2002:

13; Young & Salamon, 2002: 425). En outre, la récession étant doublée d’une forte inflation,

les réserves monétaires des NPO ont drastiquement baissé et leurs dépenses ont augmenté

(Boschee, 2006: 357; Skloot, 1987: 380). Les dons provenant d’entreprises privées lucratives

ont également diminué et ont été largement remplacés par du cause-related marketing12

(Boschee, 1998: 2) ou par la création de partenariats et de collaborations, les entreprises

privées étant stratégiquement intéressées d’améliorer leur image de marque (Young &

Salamon, 2002: 428-429). Parallèlement à cette importante diminution des ressources

financières des NPO, les Etats-Unis ont connu une forte augmentation des besoins sociaux

(Boschee, 1998 & 2006; Young & Salamon, 2002: 425-426; Boschee & McClurg 2003). Dès

lors, étant de plus en plus nombreuses à se partager des subsides de moins en moins généreux,

12 Illustrons ce terme par un exemple: quand Ikea vend des ours en peluche à 7 euro et communique qu’un euro

est reversé à l’organisation Unicef pour chaque unité achetée, il s’agit de cause-related marketing.

Page 25: « Analyse des conceptions de l’entreprise sociale en Belgique francophone. Étude exploratoire »

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une compétition est née entre les NPO, mais également avec les entreprises du secteur privé

lucratif qui elles aussi se lancent de plus en plus dans des activités qui traditionnellement

relevaient du secteur nonprofit (Weisbrod, 1998: 5; Young & Salamon, 2002: 426-428). Les

NPO sont de ce fait appelées à se professionnaliser, à accroître leur impact social et à rendre

des comptes quant à leurs résultats (Young & Salamon, 2002: 429; Alter, 2006: 206).

4.3. The social enterprise school of thought

Pour faire face à ce manque de ressources financières, à ce besoin de professionnalisation et à

cette compétition, de nombreuses NPO se sont engagées dans des activités marchandes afin

d'accroître leurs ressources (Dees, 1998b: 55; Salamon, 2002: 36; Young & Salamon, 2002:

429-430) et ont adopté des méthodes provenant du monde du business (Young & Salamon,

2002: 436-437; Alter, 2006: 206). C’est cette dynamique de commercialisation au sein des

NPO que les auteurs de la social enterprise school of thought nomment entreprise sociale ou

entrepreneuriat social13

. C’est dans cette ligne de pensée que The Social Enterprise Alliance,

une organisation de soutien aux entreprises sociales et un acteur important dans le domaine,

définit une entreprise sociale comme « an organization or venture that achieves its primary

social or environmental mission using business methods »14

. Plusieurs auteurs développent

cette approche, mais chacun met des accents différents. Nous commençons par présenter

Boschee & McClurg et ensuite, nous complétons ou nuançons leur approche grâce à l’apport

d’autres auteurs.

Boschee et McClurg insistent sur le fait que l’innovation sociale, même si elle est louable et

souhaitable, ne peut être assimilée à de l’entrepreneuriat social (Boschee & McClurg, 2003: 1;

Boschee, 2006: 359). Pour eux, ce qui permet d’affirmer qu’une NPO relève de

l’entrepreneuriat social, c’est sa capacité à s’autofinancer en générant des revenus par ses

activités, afin de ne plus dépendre entièrement des subventions publiques et/ou des dons

(Boschee & McClurg, 2003: 1-2; Boschee, 2006: 359). Ainsi, ils définissent l’entrepreneur

social comme « any person, in any sector, who uses earned income strategies to pursue a

social objective » (Boschee & McClurg, 2003: 3; Boschee, 2006: 360). L’intérêt de telles

13 Skloot (1987) était un des premiers auteurs à analyser ce mouvement des NPO vers la commercialisation, mais

il ne nomme pas encore entreprise sociale mais entreprise ce comportement entrepreneurial qu’il définit de la

sorte: « it is sustained activity, related but not customary to the organization, designed to earn money » (Skloot,

1987: 381). 14 Voir www.se-alliance.org en ligne, consulté le 15.02.2010. Il y a quelques années, cette organisation

définissait les entreprises sociales comme « any earned income business or strategy undertaken by a nonprofit to

generate revenue in support of its charitable mission » (cité dans Kerlin, 2006: 248).

Page 26: « Analyse des conceptions de l’entreprise sociale en Belgique francophone. Étude exploratoire »

26

stratégies d’autofinancement (earned income strategies) réside dans le fait qu’en les mettant

en place, une NPO jouit d’une plus grande liberté quant à la gestion de l’argent ainsi généré et

n’est plus victime des aléas politiques (Boschee, 2006: 362-363). Faire du profit devient donc

un objectif supplémentaire à l’objectif social, mais ce profit, au lieu d’être distribué aux

dirigeants, est réinvesti dans la mission de la NPO (Boschee, 2006: 361). Le développement

de telles stratégies génératrices de revenus constitue la condition sans laquelle il n’est pas

possible pour une NPO d’être pérenne (sustainable). Il lui faut effectivement à tout le moins

hybrider ses ressources, et au mieux être entièrement autosuffisante en couvrant tous ses

besoins grâce aux revenus qu’elle génère (Boschee & McClurg, 2003: 3). Pour Boschee, un

facteur clé de succès est le lien direct entre la mission sociale et les stratégies

d’autofinancement (Boschee, 2006: 381). Cependant, il a une large acception de ce qu’est le

lien direct. D’une part, il affirme un lien étroit soit parce que la NPO est active dans

l’insertion socio-professionnelle, soit parce qu’elle développe des biens ou services ayant un

lien direct avec le problème social au centre de sa mission (Boschee & McClurg, 2003: 3;

Boschee, 2006: 361). D’autre part, il se contredit en donnant des exemples où le lien entre les

stratégies d’autofinancement et la mission sociale est loin d’être direct15

(Boschee, 1998: 4).

En d’autres termes, s’il présente le lien direct comme un facteur de succès, il n’y a néanmoins

pas de contrainte concernant ce lien. Enfin, il est important de noter qu’il y a quelques

subtilités au niveau du vocabulaire employé par Boschee et McClurg. Ces deux auteurs font la

différence entre une NPO qui crée des stratégies d’autofinancement et une NPO qui met sur

pied une entreprise à finalité sociale (social purpose business venture). Si ces deux types

d’initiatives relèvent de l’entrepreneuriat social, seules les stratégies d’autofinancement sont

accessibles à toutes les NPO. En revanche, lancer une entreprise auxiliaire à finalité sociale

nécessite la mise en œuvre de stratégies tout à fait différentes et n’a de sens que s’il y a la

potentialité de croître et la perspective de faire du profit (Boschee & McClurg, 2003: 4;

Boschee, 2006: 361-362). Boschee et McClurg semblent ici à nouveau mettre entre

parenthèses le lien direct entre mission sociale et activités génératrices de revenus: ils écrivent

en effet qu’une entreprise à finalité sociale a plus de chances de réussite si elle est entièrement

séparée de la NPO qui la crée, et est ainsi isolée de ses activités (Boschee & McClurg, 2003:

4; Boschee, 2006: 362).

15 « Simply put, earned income implies a quid pro quo arrangement in which there is a direct exchange of service

or product for monetary value. This definition includes such things as fee-for-service payments (either directly

from clients or indirectly from a third party such as Medicaid or an insurance program), revenue from product

sales, consulting contracts, tuition, rent or lease payments, and may also include traditional forms of revenue-

generation from book publishing and conferences » (Boschee, 1998: 4).

Page 27: « Analyse des conceptions de l’entreprise sociale en Belgique francophone. Étude exploratoire »

27

Là où Boschee et McClurg parlent de NPO relevant d’entrepreneuriat social par la création de

stratégies d’autofinancement, Alter (2006) utilise les termes d’entreprise sociale. Elle

différencie les entreprises sociales entre elles selon que leurs stratégies génératrices de

revenus sont en lien ou non avec leur mission sociale et selon la manière dont les deux sont

articulées. Ainsi, Alter distingue trois types d’entreprises sociales: celles dont l’activité

marchande est la mission de la NPO (mission-centric), celles dont l’activité est en lien avec la

mission (mission-related) et celles dont l’activité n’est pas en lien avec la mission (unrelated

to mission) (Alter, 2006: 208-211). Les activités d’une entreprise sociale peuvent dès lors être

« encastrées » (embedded) ou intégrées (integrated) à l’objectif social de la NPO, soit en être

déconnectées (external) (Alter, 2006: 211). La différence entre les deux premiers cas peut

sembler mince au vu des termes employés (mission-centric et mission-related), mais elle est

en réalité significative: dans le premier cas, la NPO accomplit sa mission par son activité

marchande, tandis que dans le deuxième cas, l’activité marchande, qui est en lien avec la

mission, sert de stratégie génératrice de revenus en support de la mission (Alter, 2006: 207).

Quelques illustrations peuvent aider à la compréhension: une entreprise sociale de commerce

équitable ou une entreprise sociale faisant de l’insertion socio-professionnelle sont deux

exemples du premier cas (mission-centric); une NPO active dans la fourniture de services

sociaux et vendant des produits ayant un lien avec sa mission illustre le deuxième (mission-

related); une NPO active dans la fourniture de services sociaux et vendant des produits

n’ayant aucun lien avec sa mission est une illustration du troisième cas (unrelated to mission).

Alter présente également toute une série de modèles hybrides d’entreprises sociales

combinant les différents modèles entre eux.

Nicholls a un pied dans the social enterprise school of thought, mais ne s’y restreint pas. Il est

un des seuls auteurs à faire une claire distinction entre l’entrepreneuriat social et les

entreprises sociales. Il regrette que les deux notions soient souvent considérées sans

distinction aux Etats-Unis (Nicholls, 2006: 11). Pour lui, la notion d’entreprise sociale est un

sous-ensemble du concept d’entrepreneuriat social (Nicholls, 2006: 11). Nicholls et Cho

(2006) distinguent trois éléments constitutifs de l’entrepreneuriat social: la dimension sociale,

l’orientation vers le marché et l’innovation (Nicholls & Cho, 2006: 101-103). Nous

retrouvons ici la notion d’une innovation qui vise un changement systémique (Nicholls &

Cho, 2006: 102). Notons que l’innovation est ici comprise dans le sens donné par Schumpeter

(voir supra) (Nicholls & Cho, 2006: 101, 109). Selon Nicholls, l’entrepreneuriat social peut

être initié dans n’importe quel secteur (public, privé lucratif et nonprofit) et au sein d’entités

Page 28: « Analyse des conceptions de l’entreprise sociale en Belgique francophone. Étude exploratoire »

28

dont les formes organisationnelles peuvent varier (forme privée lucrative, NPO, forme

combinée de ces deux dernières, organismes de bienfaisance, coopératives, etc.). Ainsi, une

entreprise privée lucrative qui met sur pied une social venture (une entreprise à finalité

sociale), relève de l’entrepreneuriat social. En revanche, il situe les entreprises sociales dans

le seul secteur nonprofit. Ce qui fait d’une NPO une entreprise sociale, c’est la façon dont elle

est financée: si elle tend vers l’autosuffisance afin de ne plus dépendre des subsides et des

dons, elle est considérée comme entreprise sociale. Dès lors, la dynamique au sein d’une NPO

peut relever de l’entrepreneuriat social, mais la NPO en question peut ne pas être considérée

comme entreprise sociale si elle est financée uniquement par des subsides ou des dons

(Nicholls, 2006: 12). Ainsi, nous pourrions dire que Nicholls, en distinguant l’entrepreneuriat

social et l’entreprise sociale, rejoint Boschee et McClurg: la définition de l’entreprise sociale

du premier correspond à la définition de l’entrepreneuriat social des seconds.

Nous constatons donc que cette approche ne constitue pas à proprement parler une école de

pensée, tant certaines terminologies sont utilisées dans des sens différents. Appréhendée de

l’extérieur, cette approche peut être divisée en deux courants, comme le suggèrent Defourny

et Nyssens (2009). Ces derniers distinguent effectivement un courant initial, qu’ils appellent

the commercial non-profit approach, et un autre, plus récent, englobant le premier mais

l’élargissant, qu’ils nomment the social-purpose business approach (Defourny & Nyssens,

2009: 14). Le premier ne s’intéresse qu’aux NPO. Le deuxième, quant à lui, ne s’y limite pas

et analyse les dynamiques d’entrepreneuriat social au sein des différents secteurs. La

distinction de ces deux courants correspond à la distinction que fait Nicholls (2006) de

l’entreprise sociale (que l’on peut faire correspondre au premier courant) et de

l’entrepreneuriat social (correspondant au deuxième courant). Defourny et Nyssens proposent

en outre de nommer cette école de pensée the earned income school of thought (Defourny &

Nyssens, 2009: 14), évitant ainsi la confusion avec l’approche de l’entreprise sociale du

réseau européen EMES dont ils sont les promoteurs.

5. Convergences et divergences

Les trois écoles de pensée que nous venons de présenter ne sont pas diamétralement opposées.

Cependant, si les trois approches présentent des points de convergence, elles n’en sont pas

moins distinctes, chacune ayant ses particularités. L’objectif est donc ici de mettre en avant

Page 29: « Analyse des conceptions de l’entreprise sociale en Belgique francophone. Étude exploratoire »

29

tant leurs points de convergence que de divergence. Pour cela, nous suivons la typologie de

Defourny et Nyssens (2009: 15-21) qui proposent cinq thématiques: la mission sociale, la

production de biens et de services et leur relation avec la mission sociale, le risque

économique, le mode de gouvernance et enfin les canaux de diffusion de l’innovation sociale.

Nous adaptons quelque peu cette typologie et présentons les convergences et divergences en

cinq points: (1) la mission sociale, (2) l’entreprise sociale, le risque économique et les

ressources (3) le lien entre l’activité de production et la mission sociale, (4) l’entrepreneuriat

social et (5) le mode de gouvernance. Ensuite, un tableau récapitulatif met en relief ces points

de convergence et de divergence, reprenant ainsi l’essentiel du contenu de chaque approche.

5.1. La mission sociale

Un point de convergence entre les trois approches est la centralité de la mission sociale.

Qu’elle s’exprime comme service à la collectivité ou comme création de valeur sociale, voire

comme transformation sociale durable, elle prime toujours sur la recherche de profits à

distribuer aux actionnaires ou membres (Defourny & Nyssens, 2009: 15-16).

5.2. L’entreprise sociale, le risque économique et les ressources

La notion d’entreprise renvoie à la production continue de biens et/ou à la fourniture continue

de services (Defourny & Nyssens, 2009: 16). Les trois approches s’accordent pour dire que le

risque économique est une caractéristique des entreprises sociales, comme pour toute

entreprise. En revanche, la manière de répondre à ce risque varie selon les approches. Pour

l’approche américaine de l’entreprise sociale, le risque économique doit être assumé par des

stratégies d’autofinancement, c’est-à-dire par des ressources provenant du marché. Pour

l’école de l’innovation sociale, un entrepreneur social peut faire appel aux trois pôles

économiques: les ressources marchandes, volontaires et publiques. Si pour cette dernière

approche, le choix du type de ressources n’a pas d’importance, pour l’approche EMES, par

contre, l’important est d’hybrider, selon les besoins, les différents types de ressources

(Defourny & Nyssens, 2009: 17-18).

Notons que l’école de l’innovation sociale n’utilise pas l’entreprise sociale comme grille de

lecture; celle-ci privilégie l’entrepreneur social, voir l’innovation sociale en tant que telle.

Pour EMES, par contre, l’entreprise est bien l’angle par lequel les chercheurs approchent la

Page 30: « Analyse des conceptions de l’entreprise sociale en Belgique francophone. Étude exploratoire »

30

réalité qu’ils étudient. Cela est aussi valable pour le courant initial de l’approche américaine

de l’entreprise sociale (commercial nonprofit approach), bien que le sens donné aux

terminologies est parfois différent.

5.3. Le lien entre l’activité de production et la mission sociale

Le lien entre l’activité de production et la mission sociale est un point de divergence entre

l’approche américaine de l’entreprise sociale et les deux autres. Pour la première, il n’y a pas

de contrainte de lien direct entre les deux: l’activité de production d’une entreprise sociale

peut être une source de revenus sans être en lien avec la mission de la NPO qu’elle finance. A

l’inverse, pour les deux autres approches, le lien doit être direct. EMES développe ce point et

précise que l’activité de production constitue en soi le moyen par lequel une entreprise sociale

remplit sa mission (Defourny & Nyssens, 2009: 16-17).

5.4. L’entrepreneuriat social

Pour l’école de l’innovation sociale, la notion d’entrepreneuriat social implique la mise en

œuvre d’une innovation sociale. Selon l’approche EMES, par contre, l’innovation n’est pas un

critère pour être qualifiée d’entreprise sociale; cet aspect d’innovation n’en est pas moins

présent dans sa littérature16

. The social-purpose business approach, un des courants de l’école

américaine de l’entreprise sociale, développe aussi cet aspect d’innovation sociale. Pour ce

courant, tout comme pour the commercial nonprofit approach, l’orientation vers le marché est

ce qui fait qu’une NPO relève de l’entrepreneuriat social. L’école américaine de l’entreprise

sociale (dans ses deux courants) prône également l’utilisation de méthodes du monde

marchand dans un objectif de professionnalisation.

5.5. Le mode de gouvernance

A propos de la question du mode de gouvernance, l’approche EMES se distingue de façon

claire des deux autres approches. Tout d’abord, il y a des dimensions propres à EMES que les

deux autres approches ne partagent pas: gestion participative, implication d’une pluralité de

parties prenantes au sein des instances de décision, dynamique collective et processus de

décision non lié à la détention de capital (Defourny & Nyssens, 2009: 18-19). Par ailleurs,

16 Voir la partie 2.2.3. « L’innovation au sein des organisations du secteur de l’économie sociale » dans le

premier chapitre de ce mémoire.

Page 31: « Analyse des conceptions de l’entreprise sociale en Belgique francophone. Étude exploratoire »

31

selon EMES, les entreprises sociales sont créées et gérées de manière autonome par un groupe

de personnes. A cette dynamique collective s’oppose la centralité de l’entrepreneur social

dans l’école de l’innovation sociale (Defourny & Nyssens, 2009: 19), dans son courant proche

d’Ashoka. L’autonomie par rapport aux pouvoirs publics est un point commun entre EMES et

l’approche américaine de l’entreprise sociale, bien que cette dernière considère les subsides

publics comme une sorte de dépendance dont il faut se défaire. Cette dimension d’autonomie

n’est pas pertinente aux yeux de l’approche de l’innovation sociale. Un autre point de

divergence entre les trois écoles est la dimension de l’allocation des profits, et lié à cela, le

statut juridique. Pour l’école de l’innovation sociale, il n’y a aucune contrainte concernant le

choix du statut légal, de même que pour the social-purpose business approach, le courant le

plus récent de l’école américaine de l’entreprise sociale. Les dirigeants disposent donc d’une

liberté quant à l’allocation des profits, pour autant que la mission sociale reste première. Par

contre, the commercial non-profit approach situe les entreprises sociales dans le seul secteur

nonprofit. Pour EMES, enfin, une entreprise sociale doit adopter un statut juridique qui limite

(voir interdit) la distribution des profits aux actionnaires ou membres et qui implique une

démocratie économique (Defourny & Nyssens, 2009: 19-20).

Page 32: « Analyse des conceptions de l’entreprise sociale en Belgique francophone. Étude exploratoire »

32

5.6. Tableau récapitulatif

Indicateurs Approche EMES Social innovation school of

thought

Social enterprise/earned

income school of thought

commercial

nonprofit

approach

social-purpose

business

approach

Angle d’approche Entreprise sociale Entrepreneur social innovant

(Ashoka)/ innovation sociale

Entreprise/

Entrepreneuriat

social(e)

Entrepre-

neuriat social

Mission sociale

Centralité de la mission sociale

Objectifs sociaux (service à la

collectivité ou à un groupe)

Objectifs économiques (production

B/S, viabilité financière, etc.)

Objectifs sociopolitiques (recherche

de plus de démocratie dans la sphère

économique)

Création de valeur sociale = impact

social

Impact systémique,

« transformation sociale durable »

Financer la

mission sociale

d’une NPO

(production de

B/S pour

collectivité ou

membres)

« dimension

sociale »

Entreprise sociale

Risque écon.

Ressources

Production de biens et/ou fourniture de services

OUI

Pluralité de ressources: ressources marchandes, publiques et volontaires Ressources marchandes pour tendre

vers l’autofinancement

Il faut se détacher au maximum des

autres types de ressources

Hybridation pérennité

-équilibre à trouver en f° besoins

-niveau min. d’emploi rémunéré

Peu importe l’origine des

ressources

Resourcefulness

Lien entre activité de

production et

mission sociale

Contrainte de lien direct

Pas de contrainte

(3 possibilités: mission centric,

mission related, unrelated to

mission)

Entrepreneuriat

social

Nouveaux/nouvelles produits,

qualités de produits, méthodes

d’organisation/production, facteurs

de production, rapports au marché,

formes d’entreprises (= innovation,

mais pas forcément invention)

Innovation (pas forcément

invention), créativité

Agents de changement (causes)

Opportunités (vision)

Capacité d’une

NPO à s’auto-

financer

Orientation

vers le

marché

Innovation

Professionnalisation (méthodes du

monde marchand)

Mode de

gouvernance

Entrepreneur

social/

Initiateur(s)

Relations avec

pouvoirs publics

Allocation des

profits

Gestion participative, implication

parties prenantes multiples au sein

des instances de gouvernance de

l’entreprise, dynamique collective

Processus de décision non lié à la

détention de capital (une personne,

une voix)

Dimensions non pertinentes

Groupe de personnes d’une même

communauté ou cherchant à

satisfaire un même besoin ou

poursuivant un même objectif

leadership pas exclu (une

personne ou petit groupe), mais

dynamique collective

Individu (qualités et compétences)

(Ashoka) leadership

OU groupe, organisation, réseau,

mouvement, réseau d’organisations

Initiateur: NPO

Initiateur:

entreprise

privée

lucrative, NPO,

etc.

Entrepreneur: personne qui utilise

des stratégies d’autofinancement

Indépendance

Subsides + Rôle éventuel dans

l’institutionnalisation

Dimension non pertinente NPO indépendante

Subsides mais à éviter

Tax-exemption

Distribution limitée voir contrainte

de non-redistribution

Pas de contrainte, mais priorité à la

mission sociale

Contrainte de

non-

redistribution

Pas de

contrainte

Statut juridique/

Secteur(s)

Contrainte: statut qui limite la

redistribution des profits et qui

implique une démocratie

économique: associations,

coopératives, mutuelles, fondations

et autres entités à finalité sociale

Pas de contrainte

Partenariat, alliances entre secteurs:

favorisent l’innovation

NPO Pas de

contrainte +

collaboration

entre secteurs

Lien avec d’autres

théories

Economie sociale Indicateur non pertinent Secteur nonprofit

Page 33: « Analyse des conceptions de l’entreprise sociale en Belgique francophone. Étude exploratoire »

33

II. Analyse des conceptions de l’entreprise sociale, de l’entrepreneuriat social ou de l’entrepreneur social en Belgique francophone

1. Introduction

Après la présentation de trois grandes approches théoriques conceptualisant l’entreprise

sociale, l’entrepreneuriat social ou l’entrepreneur social, nous nous attelons à la partie

empirique de ce mémoire. Nous commençons par un recensement des acteurs de terrain en

Belgique francophone qui se revendiquent des vocables utilisés par ces trois approches.

D’emblée, nous faisons le choix de nous limiter aux acteurs institutionnels, à savoir les

acteurs politiques, les instituts d’enseignement et de recherche, ainsi que les organismes

« ressource », parmi lesquels on compte notamment les agences conseil et les organismes de

financement. Nous laissons consciemment de côté les entreprises sociales, trop nombreuses

pour être citées dans le cadre de ce travail, mais nous incluons dans la cartographie leurs

fédérations comme quatrième type d’acteur institutionnel. Ce dernier choix induit une

première limite puisque toute entreprise sociale n’est pas nécessairement membre d’une

fédération.

D’un point de vue méthodologique, nous avons repéré les institutions sur le net en nous

reposant, d’une part sur notre connaissance du secteur et, d’autre part, en suivant aussi les

références données sur les sites visités dans les pages telles que « Liens utiles ». Cette

méthode a des limites évidentes mais inévitables: d’une part, il n’est pas sûr que tous les

acteurs aient un site internet et d’autre part, il est difficile voire impossible d’être exhaustif.

Soulignons qu’il s’agit d’une cartographie des acteurs qui se réclament, dans leur présentation

sur le web, d’au moins un des cinq principaux vocables utilisés par les trois approches que

nous avons étudiées: entreprise sociale, économie sociale, entrepreneur social, entrepreneuriat

social et innovation sociale17

.

La cartographie est une première étape de repérage de notre population avant de choisir notre

échantillon. Elle nous permet de constater la diversité des types d’acteurs de terrain existant

ainsi que leur grand nombre. L’étape suivante est la classification de ces acteurs selon la

présence ou l’absence de certains termes sur leur site internet.

17 De la sorte, des acteurs de l’économie sociale comme, par exemple, Febrap et Aleap (fédérations d’entreprises

de travail adapté ou d’organismes d’insertion socioprofessionnelle) ne sont pas répertoriés dans la cartographie.

Page 34: « Analyse des conceptions de l’entreprise sociale en Belgique francophone. Étude exploratoire »

34

Après la formulation des hypothèses, vient une partie consacrée à la méthodologie déployée

afin de présenter les méthodes de recherche privilégiées et le choix de l’échantillon. Ensuite,

nous présentons les données récoltées et enfin, nous nous attelons à leur analyse.

2. Cartographie des acteurs en Belgique francophone

Plusieurs types d’acteurs revendiquent les vocables « économie sociale », « entreprise

sociale », « entrepreneuriat social », « entrepreneur social » ou « innovation sociale » en

Belgique francophone. Nous avons choisi de classer ces acteurs en quatre catégories: les

fédérations, les organismes « ressource », les acteurs politiques et enfin les instituts

d’enseignement et de recherche.

2.1. Les fédérations

Il existe diverses fédérations regroupant des membres actifs dans le champ de l’économie

sociale. Les missions des fédérations sont multiples, chacune ayant bien sûr ses

caractéristiques spécifiques. Leurs responsabilités s’articulent autour de la plupart des

activités suivantes: promouvoir le secteur de l’économie sociale, en assurer la visibilité et la

représentation, défendre les intérêts de leurs membres, organiser un réseau d’entreprises

sociales et favoriser la création de partenariats, jouer un rôle de relais entre les entreprises

sociales et les acteurs publics et privés, analyser et diffuser l’information susceptible

d’intéresser leurs membres, produire des études concernant l’économie sociale, proposer des

formations dans le but d’encourager la professionnalisation du secteur de l’économie sociale,

organiser des événements en lien avec le secteur, etc. Deux types de fédérations existent: les

fédérations transversales, regroupant des entreprises actives dans des domaines variés, et les

fédérations sectorielles, rassemblant des entreprises actives dans un champ d’activité

particulier (les fédérations d’entreprises d’insertion socioprofessionnelle et d’entreprises de

formation par le travail, les fédérations d’entreprises de travail adapté et les autres

fédérations).

Page 35: « Analyse des conceptions de l’entreprise sociale en Belgique francophone. Étude exploratoire »

35

2.2. Les organismes « ressource »

Parmi les organismes « ressource », nous distinguons les agences conseil en économie

sociale, les organismes de financement soutenant le secteur de l’économie sociale

(coopératives financières ou banques commerciales) et les autres organismes « ressource ».

Un décret du gouvernement wallon datant du 27 mai 2004 définit l’agence conseil comme un

organisme « qui a pour objet social principal le conseil à la création et à l’accompagnement

d’entreprises d’économie sociale dont la moitié au moins sont des entreprises d’économie

sociale marchande »18

. Une agence conseil peut avoir un statut juridique d’ASBL, de

fondation, de société à finalité sociale ou de coopérative. Si une agence conseil est agréée, des

subsides lui sont accordés. Actuellement19

, dix agences conseil20

sont agréées par la Région

wallonne (certaines sont aussi actives à Bruxelles).

2.3. Les acteurs politiques

Le soutien au secteur de l’économie sociale a fait et fait l’objet d’actions publiques tant au

niveau fédéral que régional (en Région de Bruxelles-Capitale et en Région wallonne). Cet

appui se réalise également à un niveau plus local (niveaux communal et provincial).

2.4. Les instituts d’enseignement et de recherche

Parmi les instituts d’enseignement et de recherche, nous distinguons les universités des autres

lieux de formation. Dans les universités, nous distinguons les centres de recherche

universitaires, les facultés universitaires en sciences humaines et les business schools.

18 Voir http://emploi.wallonie.be/THEMES/ECO_SOCIALE/Agences_Conseil.htm consulté le 12.04.2010. 19 Chiffre de janvier 2010. Voir http://emploi.wallonie.be/THEMES/ECO_SOCIALE/Agences_Conseil.htm

consulté le 12.04.2010. 20 Une d’entre elles est située dans la partie germanophone du pays. Elle ne se trouve donc pas dans notre liste.

Page 36: « Analyse des conceptions de l’entreprise sociale en Belgique francophone. Étude exploratoire »

36

2.5. Tableaux récapitulatifs des acteurs

FÉDÉRATIONS

Transversales Sectorielles

Secteur ISP Secteur ETA Autres

-SAW-B

-FEBECOOP

-Syneco

-Atout EI

-FeBISP

-Interfédé

-CAIPS

-ACFI

-AID

-EWETA

-FETAL

-Ressources

-Enercoop

ORGANISMES « RESSOURCE »

Agences conseil en économie sociale Organismes de

financement

Autres

Agréées Non agréées

Région wallonne Région de

Bruxelles-Capitale

-Agès (Econosoc)

-Boutique de gestion

-Crédal conseil

- Progress

-FEBECOOP

-NGE 2000

-SAW-B

-Syneco

-Propage-S

-FEBECOOP

-FeBISP

-Associatif financier

-FAR

-Crédal

-Cera

-Groupe Arco

-Triodos

-ConcertES

-RES

-Réseau équilibre

-Connexio-NS

-The Hub

-AlteR&I

-Pour la Solidarité

-Fond. Philippson

-Fond. Devenir

Solidaire

ACTEURS POLITIQUES

Niveau fédéral Niveau régional Niveaux provincial et

communal Région wallonne Région de Bruxelles-

Capitale

-Cellule fédérale ES

-Ministre wallon de

l’Economie

-Administration wallonne de

l’ES

-Sowecsom

-Cwes

-Direction de la Pol. de

l’Emploi et de l’Economie

plurielle

- Plate-forme de

concertation de l’ES

-Brusoc

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-CES (ULg – HEC)

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-Solvay (ULB)

-EPFC

-IDEES

Page 37: « Analyse des conceptions de l’entreprise sociale en Belgique francophone. Étude exploratoire »

37

Rappelons que le critère pour constituer la cartographie était la présence, dans la présentation

des acteurs sur le web, d’au moins un des cinq principaux vocables utilisés par les trois

approches présentées dans le premier chapitre de ce mémoire: entreprise sociale, économie

sociale, entrepreneur social, entrepreneuriat social ou innovation sociale. Il ne s’agit donc pas

d’une cartographie présentant les acteurs de l’économie sociale: les acteurs s’inscrivant dans

le champ de l’économie sociale mais n’utilisant pas au moins un de ces termes sur leur site

internet ne se retrouvent pas dans notre cartographie. Cependant, nous constatons qu’une très

large majorité des acteurs utilisent le terme « économie sociale » sur leur site internet, souvent

en combinaison avec un ou plusieurs des quatre autres termes. Cela n’est pas surprenant, vu la

longue tradition de l’économie sociale en Belgique francophone. Seuls quatre acteurs

n’utilisent pas le vocable « économie sociale » sur leur site internet. Dans le tableau

récapitulatif, nous les avons mis en italique. Regardons-les de plus près. Le Crecis et Solvay

font usage du vocable « entrepreneuriat social ». Il n’est pas anodin qu’il s’agisse de deux

écoles de business: c’est en effet dans des business schools que les deux écoles de pensée

américaines se sont développées. La Fondation Philippson a recours au terme « entrepreneur

social ». A nouveau, il nous semble significatif que cette fondation ait pour mission de faire

connaître l’organisation Ashoka (à l’origine de l’école de l’innovation sociale) en Belgique.

The Hub, nouvel acteur dans le domaine, emploie quant à lui le terme « innovation sociale ».

3. Hypothèses

La cartographie constitue un premier travail empirique. Il en émerge l’hypothèse suivante:

Les représentations de l’entreprise sociale ou de l’entrepreneuriat social que se font les

acteurs dont le site internet utilise le terme « économie sociale » pourront être situées

dans le cadre théorique EMES, compte tenu de l’ancrage du cadre EMES dans la

théorie de l’économie sociale.

Etant donné que l’approche EMES est beaucoup plus récente que la théorie de l’économie

sociale, nous formulons également l’hypothèse suivante pour les acteurs dont le site internet

utilise le terme « économie sociale »: questionnés sur ce qu’ils entendent par entreprise

sociale (à travers une question ouverte), les 4 critères définissant l’économie sociale (telle que

définie par le CWES) apparaîtront clairement dans la réponse à la question ouverte. Les autres

Page 38: « Analyse des conceptions de l’entreprise sociale en Belgique francophone. Étude exploratoire »

38

critères propres à EMES se vérifieront aussi, mais plutôt à travers le questionnaire (les 28

questions fermées).

Une deuxième hypothèse découle de l’hypothèse principale: les représentations de l’entreprise

sociale ou de l’entrepreneuriat social que se font les acteurs dont le site internet n’utilise pas

le terme « économie sociale » ne pourront pas être situées dans le cadre théorique EMES,

mais pourront par contre être situées soit dans le cadre théorique de l’innovation sociale, soit

dans celui de l’école américaine de l’entreprise sociale.

4. Méthodologie

4.1. Echantillon

Nous allons tester nos hypothèses sur un échantillon de choix raisonné de dix acteurs. Voici la

manière dont nous avons constitué l’échantillon:

Parmi les acteurs utilisant le terme « économie sociale » sur leur site internet, nous avons

sélectionné 7 acteurs de différents types:

- ConcertES, plate-forme de concertation de l’économie sociale, dont le conseil

d’administration regroupe les trois fédérations transversales (SAW-B, FEBECOOP et

Syneco) ainsi qu’une fédération sectorielle, EWETA.

- Atout EI, fédération des entreprises d’insertion, ces dernière jouant un rôle central

dans le champ de l’économie sociale.

- deux organismes de financement: Triodos et Crédal, pour voir si la vision d’une

banque commerciale contraste avec celle d’une coopérative financière. Crédal

présente aussi l’avantage d’être agréée comme agence conseil en économie sociale.

- un organisme « ressource »: le réseau des entreprises sociales (RES) car c’est le seul

acteur utilisant le terme « entreprise sociale » dans sa dénomination.

- un acteur politique: la société wallonne d’économie sociale marchande

(SOWECSOM), acteur qui participe au financement des entreprises d’économie

sociale marchande.

- un institut d’enseignement et de recherche: le Centre d’économie sociale (HEC-ULg)

car il est à la fois centre de recherche et d’enseignement.

Page 39: « Analyse des conceptions de l’entreprise sociale en Belgique francophone. Étude exploratoire »

39

Parmi les acteurs n’utilisant pas le terme « économie sociale » sur leur site internet, nous

avons sélectionné 3 acteurs:

- les deux organismes « ressource », à savoir The Hub, qui est le seul à utiliser le terme

« innovation sociale », et la Fondation Philippson, étant donné son objectif de faire

connaître l’organisation Ashoka.

- des deux écoles de business, nous préférons le Crecis (LSM-UCL) à Solvay, le

premier présentant l’avantage d’être en même temps un centre de recherche.

4.2. Méthodes de récolte des données

Afin de tester nos hypothèses sur l’échantillon sélectionné, nous avons mis en œuvre trois

méthodes de collecte des données. Premièrement, nous avons posé aux acteurs une question

ouverte: « Pourriez-vous dire en quelques minutes ce qu’est une entreprise sociale, un

entrepreneur social ou l’entrepreneuriat social à vos yeux, en choisissant le terme le plus

pertinent pour vous ? ». Notons que nous n’avons pas demandé à nos interlocuteurs de donner

un avis institutionnel, mais bien un avis personnel. Nous n’avons donc pas accès aux discours

des institutions elles-mêmes, mais bien aux discours de personnes travaillant dans ces

structures. Pour en faciliter la lecture, nous avons résumé ces entretiens. Nous sommes

consciente que cela constitue déjà une interprétation en soi, même si nous avons voulu rester

le plus fidèle possible. Le script des entretiens se trouve en annexe (annexe A).

Deuxièmement, nous leur avons soumis un questionnaire de 28 propositions (voir annexe B).

Pour construire ce questionnaire, nous nous sommes basée sur les indicateurs que nous avons

retenus de chaque école de pensée. Nous avons fait le choix de ne pas différencier, dans notre

questionnaire, les deux courants de l’école de l’innovation sociale (focus sur l’entrepreneur ou

focus sur l’innovation sociale en tant que telle). Les affirmations correspondant à ces

indicateurs sont mélangées et les répondants ont marqué leur accord ou leur désaccord avec

les « items », en se positionnant sur une échelle en cinq points (1 = pas du tout d’accord et 5 =

tout à fait d’accord). Et troisièmement, les acteurs de notre échantillon ont choisi les cinq

propositions parmi les 28 propositions du questionnaire qui caractérisent au mieux

l’entreprise sociale à leurs yeux et les ont hiérarchisées selon leur ordre d’importance.

Les trois méthodes de récolte de données nous procurent des apports pertinents pour répondre

à notre question de départ, mais elles présentent également des limites. La question ouverte

nous donne une première idée de ce qui est important aux yeux de nos interlocuteurs. A elle

Page 40: « Analyse des conceptions de l’entreprise sociale en Belgique francophone. Étude exploratoire »

40

seule, la réponse à cette question nous montre parfois (mais pas toujours) à quel cadre

théorique la représentation que se font nos interlocuteurs de l’entreprise sociale correspond le

mieux. Le cas échéant, elle ne nous montre cependant pas toujours si les autres approches

exercent une influence sur leur représentation ou non. Le questionnaire, quant à lui, a

l’avantage de tester les indicateurs des trois écoles de pensée. Cependant, il a des limites,

certaines pouvant être en partie corrigées, d’autres non. Certaines questions sont en effet mal

formulées, soit parce qu’elles sont trop longues, soit parce qu’elles ne sont pas formulées de

manière assez simple ou univoque. Par exemple, les questions 2 et 3 concernent le lien entre

la mission sociale et l’activité de production; elles sont de toute évidence mal formulées,

puisque si l’on est d’accord avec l’une, l’on n’est logiquement pas d’accord avec l’autre, or

cela n’est pas le cas pour les réponses de tous nos interlocuteurs. Une autre limite est la

longueur du questionnaire: toutes les questions ne sont pas nécessaires, principalement celles

testant des indicateurs communs aux trois écoles de pensée. Afin d’obtenir des résultats plus

contrastés, nous les avons ôtées pour le calcul de nos moyennes par approche. Enfin, la

hiérarchisation de cinq propositions du questionnaire est souvent ce qui nous permet de

trancher quant à la position des acteurs vis-à-vis des trois approches, puisqu’ils ont dû faire un

choix de ce qui était essentiel à leurs yeux, parmi les indicateurs que nous avions retenus. La

complémentarité des trois méthodes est précieuse pour notre analyse. Ainsi, si le discours

d’un acteur ne fait en rien référence aux trois écoles de pensée présentées, les deux autres

méthodes peuvent apporter l’éclairage nécessaire. Si, par contre, les moyennes des réponses

aux propositions du questionnaire ne permettent pas de tirer une conclusion quant à la

position d’un acteur vis-à-vis des trois approches, les deux autres méthodes (ou au moins

l’une des deux) nous permettent généralement de trancher. Notons encore que nous avons

rencontré personnellement les différents acteurs. Dans deux cas, nous avons rencontré deux

acteurs travaillant dans la même institution. Nous n’avons tenu compte des données que d’une

seule personne, étant donné que nous avions prévu d’avoir un seul interlocuteur par

institution.

5. Présentation et analyse des données

Pour chaque acteur, nous présentons les données suivantes: un résumé de l’interview, les

moyennes21

des réponses au questionnaire pour chacune des trois approches et les cinq

21 Pour rappel, les acteurs se sont positionnés de la sorte: 1= pas du tout d’accord et 5=tout à fait d’accord.

Page 41: « Analyse des conceptions de l’entreprise sociale en Belgique francophone. Étude exploratoire »

41

propositions hiérarchisées représentant au mieux l’entreprise sociale. Le script des interviews,

ainsi que le tableau reprenant tous les résultats du questionnaire se trouvent en annexe

(annexes A et C). Ensuite, nous passons à l’analyse de ces données, en abordant pour chaque

acteur les quatre thématiques qui différencient les trois écoles de pensée entre elles: (1) la

mission sociale et l’activité de production, (2) le mode de gouvernance, (3) l’innovation

sociale ou l’entrepreneur social innovant et (4) les ressources. A chaque fois, nous avons

repris les propositions du questionnaire liées à la thématique. En colonne de droite se trouve

le positionnement des acteurs.

5.1. ConcertES

Présentation des données

Résumé de l’interview

Pour Mr Pereau, secrétaire général de ConcertES, le terme « entreprise sociale » est un

synonyme d’« entreprise d’économie sociale ». Ce qui distingue une entreprise sociale d’une

entreprise classique ou d’une entreprise qui fait de la responsabilité sociale des entreprises,

c’est leur point de départ. L’entrepreneur social part d’une problématique sociale ou sociétale

(par exemple la problématique du quartier qui dépérit, des problèmes environnementaux, le

problème du chômage) et y répond en utilisant l’activité économique. Ainsi, confronté à une

problématique sociale ou sociétale, un entrepreneur social va se dire par exemple: « j’ai la

connaissance d’une technologie pour construire des chaises; je vais mettre ça à profit pour

mettre les chômeurs au travail ou pour embellir le quartier grâce aux fonds générés par

l’activité économique ». L’entrepreneur classique, par contre, part de sa connaissance de la

technologie pour construire des chaises, et si son business marche bien, il va peut-être faire

attention à ce que le processus soit écologique ou verser quelques dons à des entrepreneurs du

Sud pour aider au développement. L’optique de départ de l’entrepreneur social est différente:

il développe son activité économique pour faire quelque chose d’autre que seulement sa

propre activité ou rechercher son profit.

Résultats du questionnaire

EMES Innovation sociale Social enterprise

4,2 2,9 3

Page 42: « Analyse des conceptions de l’entreprise sociale en Belgique francophone. Étude exploratoire »

42

Cinq propositions hiérarchisées

Mr Pereau n’a pas voulu hiérarchiser les cinq propositions caractérisant au mieux l’entreprise

sociale à ses yeux: elles ne sont pas hiérarchisables selon lui. Nous les plaçons néanmoins

dans l’ordre dans lequel il nous les a dites.

La mission centrale d’une entreprise sociale est le service à la collectivité ou à un groupe particulier (6).

Une entreprise sociale met en œuvre une gestion participative, et cela de manière formelle ou informelle (14).

Une entreprise sociale met en œuvre de manière statutaire un mode de gouvernance démocratique (16).

Pour être une entreprise sociale, une organisation doit adopter un statut juridique qui limite la redistribution des

profits (28).

Une entreprise sociale est indépendante des pouvoirs publics, même si elle reçoit des subsides (17).

Analyse des données

a) La mission sociale et l’activité de production

Selon Mr Pereau, une entreprise sociale déploie une activité économique en réponse à un

problème social ou sociétal. Ce problème détermine sa mission sociale. Les réponses de Mr

Pereau aux propositions 1 et 6 attestent de la centralité de l’activité économique et de la

mission sociale. Si l’activité et la mission peuvent avoir un lien direct selon Mr Pereau, il ne

s’agit cependant pas d’une contrainte, comme nous le constatons dans l’interview et dans ses

réponses aux propositions 2 et 3. Cette façon d’envisager l’entreprise sociale correspond à

l’approche américaine de l’entreprise sociale.

1. Une entreprise sociale est active dans la production de biens et/ou la fourniture de services, et cela de

manière continue.

5

2. L’activité marchande d’une entreprise sociale n’est pas forcément en lien avec sa mission sociale et

peut être seulement une source de revenus pour financer celle-ci.

4

3. L’activité de production d’un bien ou d’un service d’une entreprise sociale est directement en rapport

avec sa mission sociale.

2

6. La mission centrale d’une entreprise sociale est le service à la collectivité ou à un groupe particulier. 4

b) Le mode de gouvernance

Le positionnement de Mr Pereau quant au mode de gouvernance nous permet de situer sa

représentation de l’entreprise sociale dans le cadre conceptuel d’EMES. La question de

l’allocation des profits (propositions 26 à 28) confirme cela, et le met en désaccord avec les

deux autres approches.

Page 43: « Analyse des conceptions de l’entreprise sociale en Belgique francophone. Étude exploratoire »

43

8. Une entreprise sociale a un objectif de développement de la démocratie dans la sphère économique. 5

11. Une entreprise sociale est créée par un groupe de personnes, et il est important qu’une dynamique

collective perdure au sein de l’entreprise sociale.

4

14. Une entreprise sociale met en œuvre une gestion participative, et cela de manière formelle ou

informelle.

5

15. Une entreprise sociale met en œuvre le principe « un membre, une voix » dans ses instances de

décision.

4

16. Une entreprise sociale met en œuvre de manière statutaire un mode de gouvernance démocratique. 4

17. Une entreprise sociale est indépendante des pouvoirs publics, même si elle reçoit des subsides. 4

26. Les profits d’une entreprise sociale sont soit réinvestis dans l’activité de l’organisation, soit distribués

entièrement aux actionnaires ou membres.

2

27. Une entreprise sociale est caractérisée par une interdiction totale de distribuer son profit. 2

28. Pour être une entreprise sociale, une organisation doit adopter un statut juridique qui limite la

redistribution des profits.

5

c) L’innovation sociale

Même si l’on peut remarquer des influences de l’approche de l’innovation sociale, par

exemple par l’appréciation de la créativité et du leadership de l’entrepreneur (propositions 9,

10 et 12), l’innovation sociale en tant que telle ne constitue pas un enjeu pour Mr Pereau,

comme nous le montre son désaccord avec les propositions 5 et 7.

4. La mission de l’entrepreneur social est de créer de la valeur sociale par le développement d’une

innovation sociale.

4

5. L’innovation sociale est un aspect essentiel dans une entreprise sociale. 2

7. Un entrepreneur social cherche à réduire les besoins sociaux plutôt que de les satisfaire. En d’autres

mots, il cherche à résoudre les causes des problèmes sociaux plutôt que de s’attaquer aux

conséquences de ceux-ci.

2

9. Un entrepreneur social cherche toujours une solution créative aux problèmes sociaux. 4

10. La créativité est une des qualités essentielles d’un entrepreneur social. 4

12. Dans une entreprise sociale, le leadership de l’entrepreneur est central. 4

En ce qui concerne la proposition 4, il a tenu à noter qu’il était tout à fait d’accord avec la

première partie de la phrase (création de valeur sociale), mais que le moyen pour cela n’était

pas nécessairement le développement d’une innovation sociale.

d) Les ressources

A propos de la question des ressources, la représentation de l’entreprise sociale de notre

interlocuteur montre une grande proximité avec l’approche EMES, puisqu’il valorise la

pluralité des ressources (propositions 18, 20, 23 et 24), mais également une influence de

l’approche américaine de l’entreprise sociale (proposition 21):

Page 44: « Analyse des conceptions de l’entreprise sociale en Belgique francophone. Étude exploratoire »

44

18. Trois types de ressources peuvent être importantes pour une entreprise sociale: les ressources

marchandes, les subsides publics et les ressources volontaires (dons, bénévolat).

4

20. Une entreprise sociale évite au maximum les subsides publics et les dons afin de ne dépendre que

d’elle-même.

2

21. Une entreprise vise l’autofinancement par ses activités marchandes. 4

22. Les initiateurs d’une entreprise sociale prennent un risque économique et l’assument au moins en

partie.

4

23. Le risque économique se mesure à l’importance de l’activité marchande. 1

24. Pour assumer le risque économique, il faut trouver des ressources marchandes et/ou non marchandes. 4

e) Conclusion

L’analyse de ces données nous permet de situer la représentation de l’entreprise sociale de Mr

Pereau dans le cadre théorique d’EMES. Cela se vérifie dans les moyennes par école du

questionnaire. Ce n’est pas surprenant si l’on tient compte de l’ancrage explicite de sa

réflexion dans la théorie de l’économie sociale, qui se remarque non seulement dans

l’interview, mais aussi dans les cinq propositions qu’il choisit pour définir au mieux

l’entreprise sociale. Cependant, quelques points communs avec l’approche américaine de

l’entreprise sociale sont à relever: la volonté d’autofinancement et l’absence de contrainte de

lien direct entre l’activité et la mission. Le reste des indicateurs de cette approche ne remporte

pas son adhésion (professionnalisation par des méthodes du monde marchand, volonté

d’éviter les subsides publics et les dons). L’école de l’innovation sociale, quant à elle, ne

cadre pas avec sa façon d’envisager l’entreprise sociale.

5.2. AtoutEI

Présentation des données

Résumé de l’interview

Mr Borcy a deux casquettes: d’une part, il est président du Conseil d’Administration d’Atout

EI (c’est à ce titre que nous l’avons interviewé), et d’autre part, il est directeur d’une

entreprise d’insertion active dans les services de proximité et utilisant les titres-service. Pour

lui, une entreprise d’insertion à finalité sociale déploie diverses activités pour permettre à des

publics fragilisés d’accéder à l’emploi, et par ce biais-là de retrouver pied dans la vie sociale.

Ce que Mr Borcy met particulièrement en avant, c’est le respect du travail et des travailleurs à

tous les niveaux (travailleurs, personnel d’encadrement, personnel administratif, etc.). Il s’agit

de la mission première d’une entreprise sociale. Cet esprit d’entreprise n’est pas propre au

seul secteur de l’économie sociale: il peut exister dans des entreprises privées à but lucratif.

Page 45: « Analyse des conceptions de l’entreprise sociale en Belgique francophone. Étude exploratoire »

45

L’enjeu est de trouver un juste équilibre entre ce qui est nécessaire pour que le travail soit

assumé et les clients satisfaits, et le fait d’aider les membres du personnel dans leurs propres

problématiques. Cette mission de respect des travailleurs et du travail demande beaucoup

d’énergie et de temps: essayer ensemble de comprendre ce qui va, et surtout ce qui ne va pas,

organiser des réunions régulières avec le personnel pour expliquer les décisions ou pour faire

des choix ensemble, mais aussi prendre des décisions ensemble dans le quotidien de

l’entreprise. Dans son entreprise d’insertion, 10 travailleurs sur 70 ont pris une part de capital

et sont donc membres de l’AG. La possibilité que tous les travailleurs prennent une part existe

et certains considèrent cela comme un risque, i.c. que les travailleurs prennent le pouvoir dans

l’entreprise, mais lui et les autres membres du CA ne considèrent pas cela de cette façon: s’il

devait y avoir un effet de masse par rapport à quelque chose, c’est qu’il y avait un manque

dans la gestion.

Résultats du questionnaire

EMES Innovation sociale Social enterprise

4 4 3,3

Cinq propositions hiérarchisées

1. La mission centrale d’une entreprise sociale est le service à la collectivité ou à un groupe particulier (6).

2. Un entrepreneur social cherche à réduire les besoins sociaux plutôt que de les satisfaire. En d’autres mots, il

cherche à résoudre les causes des problèmes sociaux plutôt que de s’attaquer aux conséquences de ceux-ci (7).

3. Une entreprise sociale a un objectif de développement de la démocratie dans la sphère économique (8).

4. Dans une entreprise sociale, le leadership de l’entrepreneur social est central (12).

5. Pour assumer le risque économique, il faut trouver des ressources marchandes et/ou non marchandes (24).

Analyse des données

a) La mission sociale et l’activité économique

La mission sociale et l’activité économique sont centrales dans le discours de Mr Borcy, ce

qui se vérifie dans ses réponses au questionnaire (propositions 1 et 6). Ses réponses aux

propositions 2 et 3 semblent suggérer qu’il ne considère pas le lien direct entre les deux

comme une contrainte, ce qui correspond à l’approche américaine de l’entreprise sociale.

Cependant, dans l’interview, il situe les entreprises sociales dans le champ de l’insertion. Pour

lui, cette insertion se fait par le biais de l’activité économique. Nous pouvons en déduire qu’il

considère le lien entre la mission, i.c. l’insertion, et l’activité comme direct.

Page 46: « Analyse des conceptions de l’entreprise sociale en Belgique francophone. Étude exploratoire »

46

1. Une entreprise sociale est active dans la production de biens et/ou la fourniture de services, et cela de

manière continue.

5

2. L’activité marchande d’une entreprise sociale n’est pas forcément en lien avec sa mission sociale et

peut être seulement une source de revenus pour financer celle-ci.

4

3. L’activité de production d’un bien ou d’un service d’une entreprise sociale est directement en rapport

avec sa mission sociale.

3

6. La mission centrale d’une entreprise sociale est le service à la collectivité ou à un groupe particulier. 5

b) Mode de gouvernance

Dans l’interview, Mr Borcy parle beaucoup, quoique sans les nommer de la sorte, de gestion

participative, et de recherche de démocratie économique. Il mentionne également la présence

de travailleurs à l’Assemblée Générale, où siège donc une pluralité de parties prenantes. Ces

trois indicateurs nous montrent une proximité avec le cadre conceptuel EMES. La

prépondérance de la thématique du mode de gouvernance dans son discours, de même que ses

réponses aux propositions du questionnaire ayant trait au mode de gouvernance nous

permettent de situer sa représentation de l’entreprise sociale proche du cadre théorique EMES.

Sa position en ce qui concerne la distribution des profits (propositions 26 à 28) va dans le

même sens. Seule sa réponse à la proposition 17, traitant de l’indépendance par rapport aux

pouvoirs publics, ne cadre pas avec l’approche EMES.

8. Une entreprise sociale a un objectif de développement de la démocratie dans la sphère économique. 5

11. Une entreprise sociale est créée par un groupe de personnes, et il est important qu’une dynamique

collective perdure au sein de l’entreprise sociale.

5

14. Une entreprise sociale met en œuvre une gestion participative, et cela de manière formelle ou

informelle.

5

15. Une entreprise sociale met en œuvre le principe « un membre, une voix » dans ses instances de

décision.

4

16. Une entreprise sociale met en œuvre de manière statutaire un mode de gouvernance démocratique. 5

17. Une entreprise sociale est indépendante des pouvoirs publics, même si elle reçoit des subsides. 2

26. Les profits d’une entreprise sociale sont soit réinvestis dans l’activité de l’organisation, soit distribués

entièrement aux actionnaires ou membres.

1

27. Une entreprise sociale est caractérisée par une interdiction totale de distribuer son profit. 2

28. Pour être entreprise sociale, une organisation doit adopter un statut juridique qui limite la

redistribution des profits.

5

c) L’innovation sociale

Mr Borcy ne mentionne pas l’innovation sociale dans son discours, mais les indicateurs

propres à l’école de l’innovation sociale remportent son accord dans le questionnaire. La

figure de l’entrepreneur social ne semble toutefois pas centrale pour lui: son point de départ

est l’entreprise et non pas l’entrepreneur.

Page 47: « Analyse des conceptions de l’entreprise sociale en Belgique francophone. Étude exploratoire »

47

4. L’entrepreneur remplit sa mission de création de valeur sociale par le développement d’une

innovation sociale.

4

5. L’innovation sociale est un aspect essentiel dans une entreprise sociale. 5

7. Un entrepreneur social cherche à réduire les besoins sociaux plutôt que de les satisfaire. En d’autres

mots, il cherche à résoudre les causes des problèmes sociaux plutôt que de s’attaquer aux

conséquences de ceux-ci.

5

9. Un entrepreneur social cherche toujours une solution créative aux problèmes sociaux. 5

10. La créativité est une des qualités essentielles d’un entrepreneur social. 5

12. Dans une entreprise sociale, le leadership de l’entrepreneur est central. 5

d) Les ressources

Le positionnement de Mr Borcy par rapport aux ressources n’est pas tranché. Ainsi, s’il

valorise la pluralité des ressources (propositions 18 et 24), ce qui est dans la ligne de

l’approche EMES, ses autres réponses l’éloignent de ce cadre théorique, et traduisent une

influence de l’école américaine de l’entreprise sociale. Néanmoins, c’est la pluralité des

ressources qu’il choisit de mettre en exergue parmi les cinq propositions définissant au mieux

l’entreprise sociale à ses yeux.

18. Trois types de ressources peuvent être importants pour une entreprise sociale: les ressources

marchandes, les subsides publics et les ressources volontaires (dons, bénévolat).

4

20. Une entreprise sociale évite au maximum les subsides publics et les dons afin de ne dépendre que

d’elle-même.

4

21. Une entreprise sociale vise l’autofinancement par ses activités marchandes. 5

22. Les initiateurs d’une entreprise sociale prennent un risque économique et l’assument au moins en

partie.

4

23. Le risque économique se mesure à l’importance de l’activité marchande. 4

24. Pour assumer le risque économique, il faut trouver des ressources marchandes et/ou non marchandes. 5

e) Conclusion

Les moyennes du questionnaire nous permettent seulement de conclure que l’approche

américaine de l’entreprise sociale ne suscite pas le plein accord de Mr Borcy. Sa position par

rapport aux deux autres approches est par contre difficile à différencier. La plupart des

indicateurs de ces deux cadres conceptuels remportent en effet son adhésion. L’interview, qui

met en relief des dimensions du mode de gouvernance propres à EMES, nous permet

cependant de conclure que son point d’ancrage peut être situé de façon plus assurée dans le

cadre théorique EMES que dans celui de l’innovation sociale.

Page 48: « Analyse des conceptions de l’entreprise sociale en Belgique francophone. Étude exploratoire »

48

5.3. Crédal

Présentation des données

Résumé de l’interview

Pour Mr Adam, coordinateur de l’agence-conseil de Crédal, l’entrepreneuriat social, ce sont

des entrepreneurs qui décident de créer une entreprise qui a une finalité sociale et dont

l’objectif n’est pas le seul profit ou la seule recherche de gain individuel, mais plutôt une

recherche de gain collectif qui bénéficie non seulement au groupe qui porte le projet mais

aussi plus largement à la collectivité. Pour lui, l’entrepreneuriat social, c’est aussi l’utilisation

de moyens cohérents avec les fins. Ainsi, la recherche de démocratie, la participation, la

réduction des dividendes octroyés aux actionnaires, le respect de toutes les parties

prenantes (travailleurs, concurrents, collègues, fournisseurs, etc.) sont des dimensions

importantes à ses yeux. Sans la réduction des dividendes, les conditions de travail ne sont pas

cohérentes avec la fin, qui est le service à la collectivité ou aux membres. Mr Adam est

conscient qu’il y a un autre courant plus anglo-saxon, qui, dit-il, « privilégie la fin par tous les

moyens et selon lequel des entrepreneurs individuels travaillent dans le jeu du marché et ne

s’embarrassent pas trop d’éthique ». L’entrepreneuriat social, dans ce cas, réside dans le fait

d’avoir une finalité sociale, et s’il y a moyen de faire du profit, tant mieux. Mr Adam fait

référence au trois « P »: Planet, People, Profit. Lui et les acteurs de l’économie sociale

(auxquels il s’identifie) ne souscrivent pas du tout à ce courant. D’après Mr Adam, les

différences entre les deux courants peuvent être expliquées d’un point de vue sociologique:

d’un côté, les entrepreneurs sociaux correspondant au courant anglo-saxon sont issus du

monde de l’entreprise, tandis que ceux du secteur de l’économie sociale sont plutôt issus du

monde socioculturel et s’inscrivent donc plus dans l’aspect social qu’économique.

Résultats du questionnaire

EMES Innovation sociale Social enterprise

4,8 4,3 3,3

Cinq propositions hiérarchisées

1. Un entrepreneur social cherche à réduire les besoins sociaux plutôt que de les satisfaire. En d’autres mots, il

cherche à résoudre les causes des problèmes sociaux plutôt que de s’attaquer aux conséquences de ceux-ci (7).

2. Une entreprise sociale met en œuvre une gestion participative, et cela de manière formelle ou informelle (14).

3. Pour être une entreprise sociale, une organisation doit adopter un statut juridique qui limite la redistribution

des profits (28).

Page 49: « Analyse des conceptions de l’entreprise sociale en Belgique francophone. Étude exploratoire »

49

4. Dans une entreprise sociale, le leadership de l’entrepreneur social est central (12).

5. Une entreprise sociale vise l’autofinancement par ses activités marchandes (21).

Analyse des données

a) La mission sociale et l’activité de production

Une première idée clé de l’interview, confirmée par l’analyse des réponses au questionnaire,

est la centralité de la mission sociale (proposition 6). Pour Mr Adam, cette dernière doit être

directement liée à l’activité de production (propositions 2 et 3).

1. Une entreprise sociale est active dans la production de biens et/ou la fourniture de services, et cela de

manière continue.

5

2. L’activité marchande d’une entreprise sociale n’est pas forcément en lien avec sa mission sociale et

peut être seulement une source de revenus pour financer celle-ci.

1

3. L’activité de production d’un bien ou d’un service d’une entreprise sociale est directement en rapport

avec sa mission sociale.

5

6. La mission centrale d’une entreprise sociale est le service à la collectivité ou à un groupe particulier. 5

Nous pouvons déduire de cela que le cadre théorique de l’approche américaine de l’entreprise

sociale ne constitue pas le cadre de référence de Mr Adam; par contre ce lien entre mission et

activité renvoie à l’approche EMES.

b) Le mode de gouvernance

La deuxième idée clé ressortant de l’interview de Mr Adam a trait au mode de gouvernance.

Les dimensions de démocratie, de participation, de limitation de la distribution des profits et

de pluralité de parties prenantes constituent pour lui de véritables indicateurs pour caractériser

une entreprise sociale. Ses réponses au questionnaire confirment cette inclinaison pour le

cadre théorique d’EMES.

8. Une entreprise sociale a un objectif de développement de la démocratie dans la sphère économique. 5

11. Une entreprise sociale est créée par un groupe de personnes, et il est important qu’une dynamique

collective perdure au sein de l’entreprise sociale.

4

14. Une entreprise sociale met en œuvre une gestion participative, et cela de manière formelle ou

informelle.

5

15. Une entreprise sociale met en œuvre le principe « un membre, une voix » dans ses instances de

décision.

5

16. Une entreprise sociale met en œuvre de manière statutaire un mode de gouvernance démocratique. 5

17. Une entreprise sociale est indépendante des pouvoirs publics, même si elle reçoit des subsides. 5

26. Les profits d’une entreprise sociale sont soit réinvestis dans l’activité de l’organisation, soit distribués

entièrement aux actionnaires ou membres.

2

27. Une entreprise sociale est caractérisée par une interdiction totale de distribuer son profit. 2

28. Pour être une entreprise sociale, une organisation doit adopter un statut juridique qui limite la

redistribution des profits.

5

Page 50: « Analyse des conceptions de l’entreprise sociale en Belgique francophone. Étude exploratoire »

50

Deux des cinq propositions choisies pour caractériser au mieux l’entreprise sociale par notre

interlocuteur (14 et 28) sont d’ailleurs des affirmations faisant référence au mode de

gouvernance dans la logique de l’approche EMES.

c) L’innovation sociale

Mr Adam ne parle pas d’innovation sociale dans l’interview, ni des qualités ou compétences

de l’entrepreneur. Ce dernier ne semble donc pas central à ses yeux. Les indicateurs propres à

l’école de l’innovation sociale suscitent néanmoins son adhésion dans le questionnaire, ce qui

traduit une influence de cette école.

4. L’entrepreneur remplit sa mission de création de valeur sociale par le développement d’une

innovation sociale.

4

5. L’innovation sociale est un aspect essentiel dans une entreprise sociale. 4

7. Un entrepreneur social cherche à réduire les besoins sociaux plutôt que de les satisfaire. En d’autres

mots, il cherche à résoudre les causes des problèmes sociaux plutôt que de s’attaquer aux

conséquences de ceux-ci.

5

9. Un entrepreneur social cherche toujours une solution créative aux problèmes sociaux. 4

10. La créativité est une des qualités essentielles d’un entrepreneur social. 4

12. Dans une entreprise sociale, le leadership de l’entrepreneur est central. 5

d) Les ressources

Son avis quant à la question des ressources n’est pas tranché, comme nous le voyons ici:

18. Trois types de ressources peuvent être importants pour une entreprise sociale: les ressources

marchandes, les subsides publics et les ressources volontaires (dons, bénévolat).

5

20. Une entreprise sociale évite au maximum les subsides publics et les dons afin de ne dépendre que

d’elle-même.

4

21. Une entreprise sociale vise l’autofinancement par ses activités marchandes. 4

22. Les initiateurs d’une entreprise sociale prennent un risque économique et l’assument au moins en

partie.

5

23. Le risque économique se mesure à l’importance de l’activité marchande. 2

24. Pour assumer le risque économique, il faut trouver des ressources marchandes et/ou non marchandes. 4

Ainsi, ses réponses aux propositions 18, 23 et 24 montrent une proximité avec l’approche

EMES, mais dans le même temps, ses réponses aux propositions 20 et 21 traduisent une

influence de l’approche américaine de l’entreprise sociale.

e) Conclusion

Si le cadre théorique de l’approche EMES remporte le plus l’adhésion de Mr Adam, ce qui se

vérifie à travers l’interview et le questionnaire, nous pouvons voir également des influences

Page 51: « Analyse des conceptions de l’entreprise sociale en Belgique francophone. Étude exploratoire »

51

des deux autres écoles de pensée sur la manière dont il se représente l’entreprise sociale.

Pourtant, dans l’interview, il dit se distancier de ce qu’il appelle « l’approche anglo-

saxonne ». Ceci peut être interprété par le fait que la représentation des écoles anglo-saxonnes

de Mr Adam ne sont pas celles véhiculées par la littérature, à savoir l’école de l’innovation

sociale et l’école américaine de l’entreprise sociale. Ainsi, l’innovation sociale, la créativité et

le leadership de l’entrepreneur, trois indicateurs de l’école de l’innovation sociale, sont des

aspects qu’il valorise. De même, deux indicateurs testant the social enterprise school of

thought, à savoir le besoin de professionnalisation à l’aide de méthodes du monde marchand

(Mr Adam a tenu à préciser en complétant le questionnaire qu’il faut toutefois les adapter) et

l’objectif d’autofinancement, sont des éléments qui suscitent son accord. Trois des cinq

propositions choisies par Mr Adam pour représenter au mieux l’entreprise sociale font

d’ailleurs référence à l’innovation sociale, au leadership de l’entrepreneur et à

l’autofinancement par les activités marchandes. Notons toutefois qu’en ce qui concerne la

seule interview, nous pouvons situer sa représentation de l’entreprise sociale exclusivement

dans le cadre conceptuel d’EMES.

5.4. Triodos

Présentation des données

Résumé de l’interview

Mr Depoortere est Loan Manager et responsable social profit et économie sociale au sein de

la banque Triodos. Pour lui, une entreprise sociale est une entreprise qui entreprend en tenant

compte des besoins de toutes les parties prenantes. Pour lui, il n’est donc pas nécessaire de

rajouter qu’elle doit être sociale ou respectueuse de l’environnement, puisque parmi les

parties prenantes, il y a notamment l’entrepreneur, l’environnement, les employés et les

syndicats. Mr Depoortere fait référence aux trois « bases » (que nous supposons être les trois

principes du développement durable: l’économique, le social et l’environnement) qu’il ne faut

pas pour autant nommer, puisqu’une entreprise sociale entreprend non pas tant dans l’intérêt,

mais bien dans le respect de toutes ses parties prenantes.

Résultats du questionnaire

EMES Innovation sociale Social enterprise

3,5 3,7 2,5

Page 52: « Analyse des conceptions de l’entreprise sociale en Belgique francophone. Étude exploratoire »

52

Cinq propositions hiérarchisées

1. Les alliances entre l’entreprise sociale, le secteur privé à but lucratif et/ou le secteur public favorisent

l’innovation sociale (19).

2. Une entreprise sociale doit se professionnaliser en faisant appel à des méthodes du monde marchand (25).

3. Trois types de ressources peuvent être importantes pour une entreprise sociale: les ressources marchandes, les

subsides publics et les ressources volontaires (dons, bénévolat) (18).

4. Une entreprise sociale met en œuvre de manière statutaire un mode de gouvernance démocratique (16).

5. Dans une entreprise sociale, le leadership de l’entrepreneur social est central (12).

Analyse des données

a) La mission sociale et l’activité de production

Selon Mr Depoortere, la mission d’une entreprise sociale inclut des objectifs sociaux et (et

non pas ou) environnementaux. La centralité de cette mission, point commun des trois écoles,

ressort de son discours. Son avis quant au lien entre mission et activité n’est pas clair,

puisqu’il est plutôt d’accord avec les propositions 2 et 3 qui sont contradictoires. Mr

Depoortere souligne l’aspect entrepreneurial tant dans l’interview que dans le questionnaire

(proposition 1).

1. Une entreprise sociale est active dans la production de biens et/ou la fourniture de services, et cela de

manière continue.

5

2. L’activité marchande d’une entreprise sociale n’est pas forcément en lien avec sa mission sociale et

peut être seulement une source de revenus pour financer celle-ci.

4

3. L’activité de production d’un bien ou d’un service d’une entreprise sociale est directement en rapport

avec sa mission sociale.

4

6. La mission centrale d’une entreprise sociale est le service à la collectivité ou à un groupe particulier. 4

b) Le mode de gouvernance

La plupart des indicateurs EMES liés au mode de gouvernance sont valorisés par notre

interlocuteur (propositions 8, 11 et 14 à 16). Seules ses réponses aux propositions traitant de

l’allocation des profits (propositions 26 à 28) et de l’indépendance vis-à-vis des pouvoirs

publics (proposition 17) ne vont pas dans le même sens. La question de la distribution des

profits le rapproche de l’école de l’innovation sociale.

8. Une entreprise sociale a un objectif de développement de la démocratie dans la sphère économique. 4

11. Une entreprise sociale est créée par un groupe de personnes, et il est important qu’une dynamique

collective perdure au sein de l’entreprise sociale.

4

14. Une entreprise sociale met en œuvre une gestion participative, et cela de manière formelle ou

informelle.

4

15. Une entreprise sociale met en œuvre le principe « un membre, une voix » dans ses instances de

décision.

4

Page 53: « Analyse des conceptions de l’entreprise sociale en Belgique francophone. Étude exploratoire »

53

16. Une entreprise sociale met en œuvre de manière statutaire un mode de gouvernance démocratique. 4

17. Une entreprise sociale est indépendante des pouvoirs publics, même si elle reçoit des subsides. 2

26. Les profits d’une entreprise sociale sont soit réinvestis dans l’activité de l’organisation, soit distribués

entièrement aux actionnaires ou membres.

4

27. Une entreprise sociale est caractérisée par une interdiction totale de distribuer son profit. 1

28. Pour être une entreprise sociale, une organisation doit adopter un statut juridique qui limite la

redistribution des profits.

1

c) L’innovation sociale

Dans l’interview, Mr Depoortere n’a pas mentionné l’innovation sociale comme critère

déterminant pour considérer une organisation comme entreprise sociale, ce qui est confirmé

par ses réponses aux propositions 4, 5 et 7. Notons toutefois qu’en remplissant le

questionnaire, Mr Depoortere a souligné le fait qu’il tenait compte de la réalité, et que son

souhait est que les entreprises sociales soient plus innovantes. Par contre, il valorise les

qualités et compétences de l’entrepreneur social (propositions 9, 10 et 12).

4. L’entrepreneur remplit sa mission de création de valeur sociale par le développement d’une

innovation sociale.

2

5. L’innovation sociale est un aspect essentiel dans une entreprise sociale. 2

7. Un entrepreneur social cherche à réduire les besoins sociaux plutôt que de les satisfaire. En d’autres

mots, il cherche à résoudre les causes des problèmes sociaux plutôt que de s’attaquer aux

conséquences de ceux-ci.

3

9. Un entrepreneur social cherche toujours une solution créative aux problèmes sociaux. 4

10. La créativité est une des qualités essentielles d’un entrepreneur social. 4

12. Dans une entreprise sociale, le leadership de l’entrepreneur est central. 5

d) Les ressources

Le positionnement de Mr Depoortere par rapport à la question des ressources est clair: une

entreprise sociale fait appel à une pluralité de ressources pour faire face au risque économique

qu’elle prend (propositions 18 et 20 à 24). Cela renvoie au cadre théorique EMES et traduit un

net désaccord avec l’approche américaine de l’entreprise sociale, qui prône l’autofinancement

par des ressources marchandes (propositions 20 et 21).

18. Trois types de ressources peuvent être importants pour une entreprise sociale: les ressources

marchandes, les subsides publics et les ressources volontaires (dons, bénévolat).

4

20. Une entreprise sociale évite au maximum les subsides publics et les dons afin de ne dépendre que

d’elle-même.

1

21. Une entreprise sociale vise l’autofinancement par ses activités marchandes. 2

22. Les initiateurs d’une entreprise sociale prennent un risque économique et l’assument au moins en

partie.

4

23. Le risque économique se mesure à l’importance de l’activité marchande. 2

24. Pour assumer le risque économique, il faut trouver des ressources marchandes et/ou non marchandes. 4

Page 54: « Analyse des conceptions de l’entreprise sociale en Belgique francophone. Étude exploratoire »

54

e) Conclusion

Comme nous le montrent les moyennes des scores des différentes écoles de pensée, la

représentation de l’entreprise sociale de Mr Depoortere rentre partiellement dans le cadre

théorique de l’innovation sociale, de même que dans celui de l’approche EMES. Concernant

l’approche de l’innovation sociale, il s’en éloigne néanmoins de manière significative, dès

lors que l’innovation sociale en tant que telle n’est pas une caractéristique déterminante à ses

yeux pour être caractérisée d’entreprise sociale. Par contre, à propos du cadre théorique

EMES, il souscrit à des éléments essentiels: plusieurs dimensions du mode de gouvernance et

pluralité des ressources. Finalement, l’approche américaine de l’entreprise sociale ne suscite

pas son adhésion. Un indicateur de cette école retient toutefois particulièrement son attention:

le besoin de professionnalisation par des méthodes du monde marchand (proposition 25),

indicateur qu’il choisit comme deuxième proposition caractérisant au mieux l’entreprise

sociale.

5.5. Réseau des entreprises sociales

Présentation des données

Résumé de l’interview

Pour Mme Heusy, coordinatrice du RES, une entreprise sociale est une entreprise axée sur

l’humain, qui fait passer l’homme avant l’argent et non l’inverse. Dès lors, le côté ressources

humaines est privilégié, et non le côté ressources financières. L’objectif est de permettre à des

personnes d’avoir un travail et de faire valoir leurs compétences intrinsèques, sans viser le

profit à tout prix. Le côté financier n’est pas absent. Le mot « entreprise » sous-entend une

gestion entrepreneuriale, mais le mot « social » dit qu’il y a toujours un souci social dans la

balance. Il faut un équilibre entre les deux.

Résultats du questionnaire

EMES Innovation sociale Social enterprise

3,9 3,7 3,5

Cinq propositions hiérarchisées

1. Une entreprise sociale a un objectif de développement de a démocratie dans la sphère économique (8).

2. Une entreprise sociale met en œuvre de manière statutaire un mode de gouvernance démocratique (16).

Page 55: « Analyse des conceptions de l’entreprise sociale en Belgique francophone. Étude exploratoire »

55

3. Une entreprise sociale doit se professionnaliser en faisant appel à des méthodes du monde marchand (25).

4. Quand on parle d’entrepreneuriat social, cela peut impliquer un individu en particulier mais aussi un groupe,

une organisation, un réseau, un mouvement ou une alliance d’organisations (13).

5. Un entrepreneur social cherche à réduire les besoins sociaux plutôt que de les satisfaire. En d’autres mots, il

cherche à résoudre les causes des problèmes sociaux plutôt que de s’attaquer aux conséquences de ceux-ci (7).

Analyse des données

a) La mission sociale et l’activité de production

Pour Mme Heusy, le terme « entreprise sociale » réfère à deux réalités: l’activité de

production et la mission sociale. Dans l’interview, Mme Heusy situe les entreprises sociales

dans le champ de l’insertion. Le lien entre mission sociale et activité de production est dès

lors direct. Notre interlocutrice semble considérer ce lien direct comme une contrainte

(propositions 2 et 3), ce qui est contraire à l’approche américaine de l’entreprise sociale.

1. Une entreprise sociale est active dans la production de biens et/ou la fourniture de services, et cela de

manière continue.

4

2. L’activité marchande d’une entreprise sociale n’est pas forcément en lien avec sa mission sociale et

peut être seulement une source de revenus pour financer celle-ci.

3

3. L’activité de production d’un bien ou d’un service d’une entreprise sociale est directement en rapport

avec sa mission sociale.

4

6. La mission centrale d’une entreprise sociale est le service à la collectivité ou à un groupe particulier. 4

b) Le mode de gouvernance

Mme Heusy adhère à l’approche EMES en ce qui concerne le mode de gouvernance, comme

le montrent ses réponses aux propositions 8, 11 et 14 à 17.

8. Une entreprise sociale a un objectif de développement de la démocratie dans la sphère économique. 5

11. Une entreprise sociale est créée par un groupe de personnes, et il est important qu’une dynamique

collective perdure au sein de l’entreprise sociale.

4

14. Une entreprise sociale met en œuvre une gestion participative, et cela de manière formelle ou

informelle.

4

15. Une entreprise sociale met en œuvre le principe « un membre, une voix » dans ses instances de

décision.

4

16. Une entreprise sociale met en œuvre de manière statutaire un mode de gouvernance démocratique. 5

17. Une entreprise sociale est indépendante des pouvoirs publics, même si elle reçoit des subsides. 4

26. Les profits d’une entreprise sociale sont soit réinvestis dans l’activité de l’organisation, soit distribués

entièrement aux actionnaires ou membres.

4

27. Une entreprise sociale est caractérisée par une interdiction totale de distribuer son profit. 1

28. Pour être une entreprise sociale, une organisation doit adopter un statut juridique qui limite la

redistribution des profits.

3

Page 56: « Analyse des conceptions de l’entreprise sociale en Belgique francophone. Étude exploratoire »

56

En ce qui concerne la distribution des profits, le positionnement de Mme Heusy traduit une

plus grande proximité avec l’école de l’innovation sociale. Bien qu’elle ait mis en évidence

lors de l’interview que la mission sociale passait avant la recherche de profits, elle ne voit pas

d’objection au fait que les profits soient distribués entièrement aux actionnaires ou membres

(proposition 26).

c) L’innovation sociale

L’innovation sociale est un aspect important selon Mme Heusy, comme le montrent ses

réponses aux propositions 4, 5 et 7. Cependant, elle ne met pas en avant l’entrepreneur social,

sa grille de lecture étant l’organisation. La proposition 12 liée au leadership de l’entrepreneur

est d’ailleurs une des cinq propositions ne suscitant pas son accord.

4. L’entrepreneur remplit sa mission de création de valeur sociale par le développement d’une

innovation sociale.

5

5. L’innovation sociale est un aspect essentiel dans une entreprise sociale. 4

7. Un entrepreneur social cherche à réduire les besoins sociaux plutôt que de les satisfaire. En d’autres

mots, il cherche à résoudre les causes des problèmes sociaux plutôt que de s’attaquer aux

conséquences de ceux-ci.

5

9. Un entrepreneur social cherche toujours une solution créative aux problèmes sociaux. 4

10. La créativité est une des qualités essentielles d’un entrepreneur social. 4

12. Dans une entreprise sociale, le leadership de l’entrepreneur est central. 2

d) Les ressources

Le positionnement de Mme Heusy quant à la question des ressources n’est pas tranché: d’une

part, elle est en accord avec EMES qui dit qu’une entreprise sociale doit hybrider ses

ressources (propositions 18 et 24), et d’autre part, elle se rapproche de l’école américaine de

l’entreprise sociale qui privilégie l’autofinancement d’une entreprise sociale par ses activités

marchandes (propositions 20 et 21).

18. Trois types de ressources peuvent être importants pour une entreprise sociale: les ressources

marchandes, les subsides publics et les ressources volontaires (dons, bénévolat).

4

20. Une entreprise sociale évite au maximum les subsides publics et les dons afin de ne dépendre que

d’elle-même.

4

21. Une entreprise sociale vise l’autofinancement par ses activités marchandes. 4

22. Les initiateurs d’une entreprise sociale prennent un risque économique et l’assument au moins en

partie.

5

23. Le risque économique se mesure à l’importance de l’activité marchande. 4

24. Pour assumer le risque économique, il faut trouver des ressources marchandes et/ou non marchandes. 4

Page 57: « Analyse des conceptions de l’entreprise sociale en Belgique francophone. Étude exploratoire »

57

e) Conclusion

Les moyennes des scores ne nous permettent pas de différencier de façon nette la position de

Mme Heusy par rapport aux trois écoles. La moyenne légèrement plus élevée de l’école

EMES, de même que la valorisation de deux dimensions du mode de gouvernance propres à

EMES en premier et deuxième lieux dans les cinq propositions hiérarchisées nous montrent

une proximité un peu plus grande avec ce cadre théorique. Néanmoins, le cadre théorique

proposé par l’école de l’innovation sociale suscite en grande partie son accord, ainsi qu’une

partie de l’approche américaine de l’entreprise sociale (notamment le besoin de

professionnalisation par des méthodes du monde marchand).

5.6. Sowecsom

Présentation des données

Résumé de l’interview

Si la Sowecsom s’adresse uniquement au secteur de l’économie sociale (répondant aux 4

critères fixés par le CWES), pour Mr Colpé, son directeur, la définition d’une entreprise

sociale est plus large. Il y a les sociétés à finalité sociale répondant aux critères du CWES.

Mais pour lui le terme « entreprise sociale » ne s’arrête pas aux seules SFS. Le terme peut

aussi être appliqué à une entreprise classique ayant une démarche sociale dans ses modes de

fonctionnement. Les sociétés peuvent donc être socialement responsables par certaines

démarches qu’elles font, tant dans la gestion du personnel que dans les relations avec ses

fournisseurs, ou dans le respect de la législation sociale ou fiscale, ou encore par des

démarches tendant vers l’économie durable. Pour lui, toutes ces démarches « jouent un peu

dans la même cour » que les SFS. Pour Mr Colpé, une entreprise sociale peut avoir un but de

lucre normal mais n’utilisera pas tous les moyens pour atteindre cet objectif et son objectif

n’est pas que celui-là.

Résultats du questionnaire

EMES Innovation sociale Social enterprise

4,1 3,4 3,7

Page 58: « Analyse des conceptions de l’entreprise sociale en Belgique francophone. Étude exploratoire »

58

Cinq propositions hiérarchisées

1. La mission centrale d’une entreprise sociale est le service à la collectivité ou à un groupe particulier (6).

2. Une entreprise sociale est active dans la production de biens et/ou la fourniture de services, et cela de manière

continue (1).

3. Une entreprise sociale a un objectif de développement de la démocratie dans la sphère économique (8).

4. Une entreprise sociale met en œuvre de manière statutaire un mode de gouvernance démocratique (16).

5. Une entreprise sociale vise l’autofinancement par ses activités marchandes (21).

Analyse des données

a) La mission sociale et l’activité de production

La centralité de la mission sociale ressort du fait que Mr Colpé fait référence à la définition du

CWES. Cependant, pour être qualifiée d’entreprise sociale, Mr Colpé dit qu’il suffit de

beaucoup moins que cela. Comme le suggèrent ses réponses aux propositions 2 et 3, le lien

direct entre mission et activité économique ne semble pas être une contrainte selon notre

interlocuteur, ce qui est en phase avec l’école américaine de l’entreprise sociale.

1. Une entreprise sociale est active dans la production de biens et/ou la fourniture de services, et cela de

manière continue.

5

2. L’activité marchande d’une entreprise sociale n’est pas forcément en lien avec sa mission sociale et

peut être seulement une source de revenus pour financer celle-ci.

4

3. L’activité de production d’un bien ou d’un service d’une entreprise sociale est directement en rapport

avec sa mission sociale.

3

6. La mission centrale d’une entreprise sociale est le service à la collectivité ou à un groupe particulier. 4

b) Le mode de gouvernance

Ses réponses aux propositions liées aux dimensions du mode de gouvernance montrent une

proximité avec l’approche EMES.

8. Une entreprise sociale a un objectif de développement de la démocratie dans la sphère économique. 5

11. Une entreprise sociale est créée par un groupe de personnes, et il est important qu’une dynamique

collective perdure au sein de l’entreprise sociale.

5

14. Une entreprise sociale met en œuvre une gestion participative, et cela de manière formelle ou

informelle.

4

15. Une entreprise sociale met en œuvre le principe « un membre, une voix » dans ses instances de

décision.

4

16. Une entreprise sociale met en œuvre de manière statutaire un mode de gouvernance démocratique. 4

17. Une entreprise sociale est indépendante des pouvoirs publics, même si elle reçoit des subsides. 4

26. Les profits d’une entreprise sociale sont soit réinvestis dans l’activité de l’organisation, soit distribués

entièrement aux actionnaires ou membres.

1

27. Une entreprise sociale est caractérisée par une interdiction totale de distribuer son profit. 2

28. Pour être une entreprise sociale, une organisation doit adopter un statut juridique qui limite la

redistribution des profits.

5

Page 59: « Analyse des conceptions de l’entreprise sociale en Belgique francophone. Étude exploratoire »

59

c) L’innovation sociale

Dans l’interview, Mr Colpé ne mentionne pas l’innovation sociale en tant que telle, et sa

« porte d’entrée » semble bien être l’organisation puisqu’il parle de sociétés, et non

d’entrepreneur. Toutefois, il est en accord avec les propositions propres à l’école de

l’innovation sociale:

4. L’entrepreneur remplit sa mission de création de valeur sociale par le développement d’une

innovation sociale.

4

5. L’innovation sociale est un aspect essentiel dans une entreprise sociale. 4

7. Un entrepreneur social cherche à réduire les besoins sociaux plutôt que de les satisfaire. En d’autres

mots, il cherche à résoudre les causes des problèmes sociaux plutôt que de s’attaquer aux

conséquences de ceux-ci.

4

9. Un entrepreneur social cherche toujours une solution créative aux problèmes sociaux. 4

10. La créativité est une des qualités essentielles d’un entrepreneur social. 4

12. Dans une entreprise sociale, le leadership de l’entrepreneur est central. 4

Notons néanmoins qu’en complétant le questionnaire, il a dit « avoir du mal avec ce concept »

(l’innovation sociale).

d) Les ressources

Le positionnement de Mr Colpé concernant la question des ressources d’une entreprise sociale

n’est pas tranché. Ses réponses aux questions suivantes nous montrent une plus grande

proximité avec l’approche EMES, même si nous relevons une influence de l’école américaine

de l’entreprise sociale dans sa réponse à la proposition 21 (qui est aussi la cinquième

proposition qu’il choisit parmi les cinq propositions caractérisant au mieux l’entreprise

sociale).

18. Trois types de ressources peuvent être importants pour une entreprise sociale: les ressources

marchandes, les subsides publics et les ressources volontaires (dons, bénévolat).

4

20. Une entreprise sociale évite au maximum les subsides publics et les dons afin de ne dépendre que

d’elle-même.

3

21. Une entreprise sociale vise l’autofinancement par ses activités marchandes. 4

22. Les initiateurs d’une entreprise sociale prennent un risque économique et l’assument au moins en

partie.

5

23. Le risque économique se mesure à l’importance de l’activité marchande. 3

24. Pour assumer le risque économique, il faut trouver des ressources marchandes et/ou non marchandes. 4

e) Conclusion

La représentation de l’entreprise sociale de Mr Colpé peut être placée dans le cadre

conceptuel d’EMES, et cela pour plusieurs raisons. Tout d’abord, son point de départ lors de

Page 60: « Analyse des conceptions de l’entreprise sociale en Belgique francophone. Étude exploratoire »

60

l’interview est la référence au secteur de l’économie sociale et aux critères du CWES.

Ensuite, les moyennes des scores de chaque école de pensée nous montrent une plus grande

adhésion à cette école. Enfin, quatre des cinq propositions qu’il choisit pour caractériser au

mieux l’entreprise sociale sont des indicateurs EMES. Néanmoins, sa définition de

l’entreprise sociale est plus large, comme il le souligne dans l’interview. D’ailleurs, beaucoup

d’éléments des deux autres approches suscitent son adhésion; pour l’école de l’innovation

sociale: innovation sociale, qualités et leadership de l’entrepreneur; pour l’école américaine

de l’entreprise sociale: besoin de professionnalisation par des méthodes du monde marchand,

volonté de s’autofinancer par ses activités marchandes, absence de contrainte de lien direct

entre mission et activité.

5.7. Centre d’économie sociale (Ulg)

Présentation des données

Résumé de l’interview

Mme Mertens est professeur et directrice des recherches au CES de l’ULg (HEC). Elle utilise

la grille de lecture de l’organisation et parle donc d’entreprise sociale. Pour elle, une

entreprise sociale, c’est toute organisation qui appartient à l’économie sociale et qui peut être

utilement regardée comme une entreprise. A ses yeux, appartient à l’économie sociale toute

organisation productrice de biens et de services, entendus au sens très large, qui a une finalité

première qui n’est pas la recherche du profit pour les actionnaires et qui met en œuvre un

processus de gestion démocratique. Une organisation peut être utilement regardée comme une

entreprise s’il y a une prise de risque et la continuité d’un projet, ce qui, en principe, nécessite

d’avoir de l’emploi rémunéré. Ce qui intéresse Mme Mertens, ce sont donc des organisations

qui sont des ASBL, des sociétés à finalité sociale, des sociétés coopératives reconnues par le

CNC, des mutualités et des fondations, qui créent de l’emploi rémunéré, qui répondent à des

besoins pas bien satisfaits pas les autres acteurs et qui innovent socialement. Pour Mme

Mertens, le critère pour être appelée entreprise sociale reste l’appartenance à l’économie

sociale, mais elle reconnaît qu’il y a du flou et qu’il existe d’autres types d’entreprises, en

particulier des PME, qui ont parfois des pratiques de gestion très similaires à ce qu’on observe

en entreprise sociale. Mais la distinction est claire et se résume dans la question suivante:

quelle est la finalité première et quel est le mode d’organisation ? Sous-tendant cela, il y a le

choix de la forme juridique qui n’est pas anodin: choisir le statut d’ASBL ou de SFS ou de

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61

société coopérative reconnue, est un choix d’afficher des valeurs. La forme juridique reste

donc sa grille d’analyse, mais cela ne l’empêche pas de reconnaître de la proximité avec du

développement local, des petites PME, et même parfois avec des structures publiques, qui ont

quand-même une autonomie importante et qui se rapprochent aussi de l’entreprise sociale. Si

le terme « entreprise sociale » est le plus pertinent pour Mme Mertens et reste la « porte

d’entrée », elle reconnaît qu’il y a à mettre en lumière, plus que ce ne l’était jusqu’à présent,

l’entrepreneur, ou en tout cas le processus d’entrepreneuriat, pour connaître les freins et les

éléments qui soutiennent la création d’entreprises sociales, afin de soutenir ce secteur.

Résultats du questionnaire

EMES Innovation sociale Social enterprise

3,7 4,1 2,3

Cinq propositions hiérarchisées

1. La mission centrale d’une entreprise sociale est le service à la collectivité ou à un groupe particulier (6).

2. L’innovation sociale est un aspect essentiel (5).

3. Les initiateurs d’une entreprise sociale prennent un risque économique et l’assument au moins en partie (22).

4. Une entreprise sociale est active dans la production de biens et/ou la fourniture de services, et cela de manière

continue (1).

5. Pour être une entreprise sociale, une organisation doit adopter un statut juridique qui limite la redistribution

des profits (28).

Analyse des données

a) La mission sociale et l’activité de production

Pour Mme Mertens, un aspect important définissant une entreprise sociale est son activité de

production de services ou de biens qui doit être continue et nécessite donc de l’emploi

rémunéré. Elle estime que le lien entre la mission sociale et l’activité de production ne doit

pas être direct, comme nous le montrent ses réponses aux propositions 2 et 3. Il s’agit du seul

élément qui la rapproche de l’école américaine de l’entreprise sociale.

1. Une entreprise sociale est active dans la production de biens et/ou la fourniture de services, et cela de

manière continue.

5

2. L’activité marchande d’une entreprise sociale n’est pas forcément en lien avec sa mission sociale et

peut être seulement une source de revenus pour financer celle-ci.

4

3. L’activité de production d’un bien ou d’un service d’une entreprise sociale est directement en rapport

avec sa mission sociale.

2

6. La mission centrale d’une entreprise sociale est le service à la collectivité ou à un groupe particulier. 5

Page 62: « Analyse des conceptions de l’entreprise sociale en Belgique francophone. Étude exploratoire »

62

b) Le mode de gouvernance

Dans l’interview, Mme Mertens parle du processus de gestion démocratique comme d’un

élément constitutif des entreprises sociales. Cette vision s’inscrit dans le cadre théorique

d’EMES. Cependant, son positionnement « sans avis » par rapport à certaines propositions

liées au mode de gouvernance (propositions 8, 11, 14 et 15) ne vont pas dans le même sens.

8. Une entreprise sociale a un objectif de développement de la démocratie dans la sphère économique. 3

11. Une entreprise sociale est créée par un groupe de personnes, et il est important qu’une dynamique

collective perdure au sein de l’entreprise sociale.

3

14. Une entreprise sociale met en œuvre une gestion participative, et cela de manière formelle ou

informelle.

3

15. Une entreprise sociale met en œuvre le principe « un membre, une voix » dans ses instances de

décision.

3

16. Une entreprise sociale met en œuvre de manière statutaire un mode de gouvernance démocratique. 4

17. Une entreprise sociale est indépendante des pouvoirs publics, même si elle reçoit des subsides. 5

26. Les profits d’une entreprise sociale sont soit réinvestis dans l’activité de l’organisation, soit distribués

entièrement aux actionnaires ou membres.

5

27. Une entreprise sociale est caractérisée par une interdiction totale de distribuer son profit. 1

28. Pour être une entreprise sociale, une organisation doit adopter un statut juridique qui limite la

redistribution des profits.

5

En ce qui concerne la distribution des profits, si Mme Mertens choisit la proposition 28 parmi

les cinq propositions définissant au mieux l’entreprise sociale à ses yeux, elle est néanmoins

« tout à fait d’accord » avec la proposition 26 liée à l’école de l’innovation sociale, même si

elle a tenu à noter qu’il y avait des limites dans la manière de distribuer les profits aux

membres (elle a également barré « actionnaires »). Selon elle, une entreprise sociale n’est pas

limitée au secteur associatif, ce qui l’éloigne davantage de l’approche américaine de

l’entreprise sociale.

c) L’innovation sociale

Mme Mertens mentionne dans l’interview l’innovation sociale comme un élément important à

ses yeux. Ses réponses aux propositions 4 et 5 nous montrent également qu’elle souscrit tout à

fait à l’importance de l’innovation sociale, ce qui place sa représentation de l’entreprise

sociale à proximité de l’approche de l’innovation sociale. Toutefois, elle n’est pas d’accord

avec un de ses indicateurs (proposition 7).

4. L’entrepreneur remplit sa mission de création de valeur sociale par le développement d’une

innovation sociale.

5

5. L’innovation sociale est un aspect essentiel dans une entreprise sociale. 5

7. Un entrepreneur social cherche à réduire les besoins sociaux plutôt que de les satisfaire. En d’autres 2

Page 63: « Analyse des conceptions de l’entreprise sociale en Belgique francophone. Étude exploratoire »

63

mots, il cherche à résoudre les causes des problèmes sociaux plutôt que de s’attaquer aux

conséquences de ceux-ci.

9. Un entrepreneur social cherche toujours une solution créative aux problèmes sociaux. 5

10. La créativité est une des qualités essentielles d’un entrepreneur social. 5

12. Dans une entreprise sociale, le leadership de l’entrepreneur est central. 5

Mme Mertens admet qu’il faudrait davantage mettre en lumière l’entrepreneur social.

Cependant, sa « porte d’entrée » reste celle de l’organisation. On ne peut donc pas dire que sa

clé de lecture soit « l’entrepreneur social innovant », même si elle valorise son leadership et sa

créativité (propositions 9, 10 et 12).

d) Les ressources

Selon Mme Mertens, le risque économique est un aspect essentiel pour être qualifiée

d’entreprise sociale. Pour faire face à ce risque économique, la position de Mme Mertens est

très claire et rentre dans le cadre théorique d’EMES: il faut hybrider ses ressources.

18. Trois types de ressources peuvent être importants pour une entreprise sociale: les ressources

marchandes, les subsides publics et les ressources volontaires (dons, bénévolat).

5

20. Une entreprise sociale évite au maximum les subsides publics et les dons afin de ne dépendre que

d’elle-même.

1

21. Une entreprise sociale vise l’autofinancement par ses activités marchandes. 1

22. Les initiateurs d’une entreprise sociale prennent un risque économique et l’assument au moins en

partie.

5

23. Le risque économique se mesure à l’importance de l’activité marchande. 2

24. Pour assumer le risque économique, il faut trouver des ressources marchandes et/ou non marchandes. 5

e) Conclusion

Si les moyennes des scores traduisent une plus grande proximité de la représentation de

l’entreprise sociale de Mme Mertens avec l’école de l’innovation sociale, il n’en est pas de

même quant à l’interview qui montre une forte inclinaison pour le cadre théorique d’EMES.

Nous pouvons en conclure que sa représentation de l’entreprise sociale rentre dans le cadre

conceptuel d’EMES, ce qui est logique étant donné son ancrage dans la théorie de l’économie

sociale. Cependant, l’école de l’innovation sociale n’en exerce pas moins une grande

influence sur sa manière de conceptualiser l’entreprise sociale. Comme le montre la moyenne

des scores de l’école américaine de l’entreprise sociale, sa représentation de l’entreprise

sociale en est fort éloignée: la question des ressources suscite son net désaccord avec cette

approche, de même que la professionnalisation par des méthodes du monde marchand (même

si Mme Mertens estime qu’une entreprise sociale doit se professionnaliser).

Page 64: « Analyse des conceptions de l’entreprise sociale en Belgique francophone. Étude exploratoire »

64

5.8. The Hub

Présentation des données

Résumé de l’interview

Pour Mr Riedl, administrateur et cofondateur du Hub, l’objectif de l’entrepreneuriat social est

la résolution d’un problème sociétal ou social par des moyens innovants. Pour lui,

l’entrepreneuriat social est d’abord l’activité d’un individu ou d’un groupe de personnes qui

remplit les critères de l’entrepreneuriat: pro-activité, relever les défis, prise de risque,

créativité, innovation (c’est-à-dire la création de quelque chose de nouveau), détermination,

etc. Ensuite, pour lui et le Hub, il est important de remettre les choses en question, notamment

certains modes de fonctionnement de l’économie sociale « classique » comme le manque de

dynamisme et le fait de travailler avec des subsides. Mr Riedl préfère limiter les subsides et au

manque de dynamisme, il oppose la prise de risque. Puisque la prise de risque est un aspect

essentiel dans l’approche du Hub, une préoccupation primordiale est la diminution de ce

risque. A cela s’ajoute le fait que souvent, les entrepreneurs sont seuls (comme individu ou

comme groupe) face à toute une série de défis. C’est pourquoi le Hub a été créé: un lieu où les

entrepreneurs sociaux peuvent s’entraider et s’échanger des informations notamment sur les

possibilités de financement.

Résultats du questionnaire

EMES Innovation sociale Social enterprise

3,7 4,4 4

Cinq propositions hiérarchisées

1. L’entrepreneur remplit sa mission de création de valeur sociale par le développement d’une innovation

sociale (4).

2. L’innovation sociale est un aspect essentiel (5).

3. Un entrepreneur social cherche à réduire les besoins sociaux plutôt que de les satisfaire. En d’autres mots, il

cherche à résoudre les causes des problèmes sociaux plutôt que de s’attaquer aux conséquences de ceux-ci (7).

4. Un entrepreneur social cherche toujours une solution créative aux problèmes sociaux (9).

5. Les profits d’une entreprise sociale sont soit réinvestis dans l’activité de l’organisation, soit distribués

entièrement aux actionnaires ou membres (26).

Page 65: « Analyse des conceptions de l’entreprise sociale en Belgique francophone. Étude exploratoire »

65

Analyse des données

a) La mission sociale et l’activité de production

L’importance des deux pôles, la mission sociale et l’activité économique, ressort de

l’interview et du questionnaire (propositions 1 et 6). Il n’est pas clair si notre interlocuteur

considère que le lien entre activité et mission doit être direct ou non, puisqu’il est d’accord

avec les propositions 2 et 3.

1. Une entreprise sociale est active dans la production de biens et/ou la fourniture de services, et cela de

manière continue.

5

2. L’activité marchande d’une entreprise sociale n’est pas forcément en lien avec sa mission sociale et

peut être seulement une source de revenus pour financer celle-ci.

4

3. L’activité de production d’un bien ou d’un service d’une entreprise sociale est directement en rapport

avec sa mission sociale.

4

6. La mission centrale d’une entreprise sociale est le service à la collectivité ou à un groupe particulier. 4

b) Le mode de gouvernance

Concernant le mode de gouvernance, si pour Mr Riedl la recherche de plus de démocratie

économique et la dynamique collective ne constituent pas un enjeu (propositions 8 et 11),

d’autres indicateurs EMES ayant trait au mode de gouvernance emportent son accord

(propositions 14 à 17).

8. Une entreprise sociale a un objectif de développement de la démocratie dans la sphère économique. 3

11. Une entreprise sociale est créée par un groupe de personnes, et il est important qu’une dynamique

collective perdure au sein de l’entreprise sociale.

2

14. Une entreprise sociale met en œuvre une gestion participative, et cela de manière formelle ou

informelle.

4

15. Une entreprise sociale met en œuvre le principe « un membre, une voix » dans ses instances de

décision.

4

16. Une entreprise sociale met en œuvre de manière statutaire un mode de gouvernance démocratique. 4

17. Une entreprise sociale est indépendante des pouvoirs publics, même si elle reçoit des subsides. 5

26. Les profits d’une entreprise sociale sont soit réinvestis dans l’activité de l’organisation, soit distribués

entièrement aux actionnaires ou membres.

5

27. Une entreprise sociale est caractérisée par une interdiction totale de distribuer son profit. 2

28. Pour être une entreprise sociale, une organisation doit adopter un statut juridique qui limite la

redistribution des profits.

4

La question de la distribution des profits rapproche Mr Riedl de l’école de l’innovation

sociale (proposition 26), bien qu’il soit plutôt d’accord avec la proposition 28, un indicateur

EMES qui ne va pas dans le même sens. C’est néanmoins la proposition 26 qu’il valorise le

Page 66: « Analyse des conceptions de l’entreprise sociale en Belgique francophone. Étude exploratoire »

66

plus et qu’il reprend d’ailleurs dans les cinq propositions hiérarchisées caractérisant au mieux

l’entreprise sociale.

c) L’entrepreneur social innovant

L’entrepreneur social innovant est au cœur de la représentation de l’entrepreneuriat social de

Mr Riedl, ainsi que ses qualités et compétences, ce qui se vérifie également dans ses réponses

au questionnaire.

4. L’entrepreneur remplit sa mission de création de valeur sociale par le développement d’une

innovation sociale.

5

5. L’innovation sociale est un aspect essentiel dans une entreprise sociale. 4

7. Un entrepreneur social cherche à réduire les besoins sociaux plutôt que de les satisfaire. En d’autres

mots, il cherche à résoudre les causes des problèmes sociaux plutôt que de s’attaquer aux

conséquences de ceux-ci.

4

9. Un entrepreneur social cherche toujours une solution créative aux problèmes sociaux. 4

10. La créativité est une des qualités essentielles d’un entrepreneur social. 5

Si dans l’interview, l’entrepreneur comme individu n’est pas mis en exergue, puisqu’il parle

tant d’individu que de groupe d’individus, ses réponses aux deux propositions suivantes nous

montrent qu’il ne valorise pas une dynamique collective.

11. Une entreprise sociale est créée par un groupe de personnes, et il est important qu’une dynamique

collective perdure au sein de l’entreprise sociale.

2

12. Dans une entreprise sociale, le leadership de l’entrepreneur social est central. 4

d) Les ressources

Il est difficile de cerner ce que Mr Riedl pense à propos de la question des ressources, au vu

de ses réponses au questionnaire:

18. Trois types de ressources peuvent être importants pour une entreprise sociale: les ressources

marchandes, les subsides publics et les ressources volontaires (dons, bénévolat).

5

20. Une entreprise sociale évite au maximum les subsides publics et les dons afin de ne dépendre que

d’elle-même.

4

21. Une entreprise sociale vise l’autofinancement par ses activités marchandes. 4

22. Les initiateurs d’une entreprise sociale prennent un risque économique et l’assument au moins en

partie.

5

23. Le risque économique se mesure à l’importance de l’activité marchande. 4

24. Pour assumer le risque économique, il faut trouver des ressources marchandes et/ou non marchandes. 5

D’une part, il valorise la pluralité des ressources (propositions 18 et 24), et d’autre part, il

souscrit au fait qu’une entreprise sociale doit éviter les subsides au maximum et

s’autofinancer par ses activités marchandes (propositions 20 et 21). Ce qui aide à trancher,

Page 67: « Analyse des conceptions de l’entreprise sociale en Belgique francophone. Étude exploratoire »

67

c’est que dans l’interview, il dévalorise la dépendance vis-à-vis des subsides publics. Cela le

rapproche de l’école américaine de l’entreprise sociale.

e) Conclusion

L’analyse de ces données nous révèle que l’école de l’innovation sociale est le cadre

conceptuel correspondant le mieux à la représentation que se fait Mr Riedl de

l’entrepreneuriat social. Les cinq propositions choisies par notre interlocuteur pour représenter

au mieux l’entreprise sociale font d’ailleurs toutes référence à cette école. Cependant, d’autres

éléments, correspondant à the social enterprise school of thought (la volonté de se détacher

des subsides, la nécessité de se professionnaliser par des méthodes du monde marchand) et au

cadre théorique d’EMES (certaines dimensions du mode de gouvernance), remportent son

accord.

5.9. Fondation Philippson

Présentation des données

Résumé de l’interview

Mme de le Court, Partner Support Officer à la Fondation Philippson, utilise le terme

entrepreneur social. Par ce terme, elle entend un individu qui a toutes les qualités d’un

entrepreneur classique, à savoir une vision claire d’une solution à apporter à un problème

préalablement identifié et des capacités de leadership et de mobilisation de ressources. Elle

attache donc de l’importance à la personnalité de l’entrepreneur. Contrairement à

l’entrepreneur classique, l’entrepreneur social a un objectif social et est à la tête d’une

organisation ou d’une association. Selon Mme de le Court, l’entrepreneur social veut « faire

bouger les choses », a un objectif de transformation sociale et est enthousiaste, plein

d’ambition et déterminé à améliorer concrètement et durablement la vie de ses compatriotes.

Les organisations dont sont responsables les entrepreneurs sociaux peuvent être totalement

subsidiées, mais l’entrepreneur social mène une réflexion pour essayer de s’autofinancer. En

effet, les entrepreneurs sociaux veulent éviter de rester structurellement dépendants de

subsides. Cette démarche vers l’autofinancement est importante. Cependant, c’est la

personnalité de l’individu qui reste déterminante pour qualifier quelqu’un d’entrepreneur

social.

Page 68: « Analyse des conceptions de l’entreprise sociale en Belgique francophone. Étude exploratoire »

68

Résultats du questionnaire

EMES Innovation sociale Social enterprise

3 4,4 3,3

Cinq propositions hiérarchisées

1. Dans une entreprise sociale, le leadership de l’entrepreneur social est central (12).

2. Un entrepreneur social cherche à réduire les besoins sociaux plutôt que de les satisfaire. En d’autres mots, il

cherche à résoudre les causes des problèmes sociaux plutôt que de s’attaquer aux conséquences de ceux-ci (7).

3. Un entrepreneur social cherche toujours une solution créative aux problèmes sociaux (9).

4. La mission centrale d’une entreprise sociale est le service à la collectivité ou à un groupe particulier (6).

5. Une entreprise sociale est indépendante des pouvoirs publics, même si elle reçoit des subsides (17).

Analyse des données

a) L’activité de production et la mission sociale

Pour Mme de le Court, la présence d’une mission sociale est ce qui fait la différence entre un

entrepreneur classique et un entrepreneur social. Logiquement, cette mission est valorisée

dans le questionnaire (proposition 6). En ce qui concerne le lien entre la mission et l’activité

de production, il doit être direct selon notre interlocutrice (propositions 2 et 3), ce qui est en

contradiction avec l’approche américaine de l’entreprise sociale.

1. Une entreprise sociale est active dans la production de biens et/ou la fourniture de services, et cela de

manière continue.

4

2. L’activité marchande d’une entreprise sociale n’est pas forcément en lien avec sa mission sociale et

peut-être seulement une source de revenus pour financer celle-ci.

2

3. L’activité de production d’un bien ou d’un service d’une entreprise sociale est directement en rapport

avec sa mission sociale.

4

6. La mission centrale d’une entreprise sociale est le service à la collectivité ou à un groupe particulier. 5

b) Le mode de gouvernance

La recherche de plus de démocratie dans la sphère économique ne constitue pas un enjeu pour

Mme de le Court, ce qui la distancie fortement de l’approche EMES (propositions 8, 11, 14 à

16). Seule l’importance qu’elle accorde à l’indépendance vis-à-vis des pouvoirs publics

rapproche sa représentation du cadre théorique EMES (proposition 17). La question de la

distribution des profits nous indique une proximité avec l’école de l’innovation sociale

(propositions 26 à 28).

Page 69: « Analyse des conceptions de l’entreprise sociale en Belgique francophone. Étude exploratoire »

69

8. Une entreprise sociale a un objectif de développement de la démocratie dans la sphère économique. 2

11. Une entreprise sociale est créée par un groupe de personnes, et il est important qu’une dynamique

collective perdure au sein de l’entreprise sociale.

1

14. Une entreprise sociale met en œuvre une gestion participative, et cela de manière formelle ou

informelle.

2

15. Une entreprise sociale met en œuvre le principe « un membre, une voix » dans ses instances de

décision.

2

16. Une entreprise sociale met en œuvre de manière statutaire un mode de gouvernance démocratique. 3

17. Une entreprise sociale est indépendante des pouvoirs publics, même si elle reçoit des subsides 5

26. Les profits d’une entreprise sociale sont soit réinvestis dans l’activité de l’organisation, soit distribués

entièrement aux actionnaires ou membres.

5

27. Une entreprise sociale est caractérisée par une interdiction totale de distribuer son profit. 2

28. Pour être entreprise sociale, une organisation doit adopter un statut juridique qui limite la

redistribution des profits.

2

c) L’entrepreneur social innovant

Les deux éléments au centre du discours de Mme de le Court, l’entrepreneur et la

transformation sociale, sont également valorisés par ses réponses au questionnaire et font

référence à l’école de l’innovation sociale.

4. L'entrepreneur remplit sa mission de création de valeur sociale par le développement d'une

innovation sociale.

4

L’innovation sociale est un aspect essentiel dans une entreprise sociale. 2

7. Un entrepreneur social cherche à réduire les besoins sociaux plutôt que de les satisfaire. En d’autres

mots, il cherche à résoudre les causes des problèmes sociaux plutôt que de s’attaquer aux

conséquences de ceux-ci.

5

9. Un entrepreneur social cherche toujours une solution créative aux problèmes sociaux. 5

10. La créativité est une des qualités essentielles d’un entrepreneur social. 5

12. Dans une entreprise sociale, le leadership de l’entrepreneur social est central. 5

Les cinq propositions choisies par Mme de le Court pour représenter au mieux une entreprise

sociale nous confirment cette analyse: les trois premières font référence à cette approche.

Pourquoi notre interlocutrice ne met-elle pas en avant l’innovation sociale en tant que

telle (proposition 5)? Après avoir rempli le questionnaire, Mme de le Court a tenu à rajouter

que l’innovation sociale ne constituait pas en soi un critère de sélection pour accorder un

soutien à un entrepreneur social. Cela explique le fait qu’elle est « plutôt pas d’accord » avec

la proposition 5. Cependant, selon elle, un entrepreneur social ayant toutes les qualités

requises met de facto une innovation sociale en œuvre.

Page 70: « Analyse des conceptions de l’entreprise sociale en Belgique francophone. Étude exploratoire »

70

d) Les ressources

Pour Mme de le Court, une entreprise sociale peut avoir recours à une pluralité de ressources

(proposition 18), ce qui est contradictoire avec l’école américaine de l’entreprise sociale.

Cette dernière a néanmoins une influence sur sa représentation puisque Mme de le Court est

d’accord qu’il faut éviter au maximum les subsides et les dons (proposition 20). Cependant,

cette influence est limitée puisque l’autofinancement n’est pas un objectif en soi à ses yeux

(proposition 21).

18. Trois types de ressources peuvent être importants pour une entreprise sociale: les ressources

marchandes, les subsides publics et les ressources volontaires (dons, bénévolat).

5

20. Une entreprise sociale évite au maximum les subsides publics et les dons afin de ne dépendre que

d’elle-même.

4

21. Une entreprise sociale vise l’autofinancement par ses activités marchandes. 2

22. Les initiateurs d’une entreprise sociale prennent un risque économique et l’assument au moins en

partie.

2

23. Le risque économique se mesure à l’importance de l’activité marchande. 2

24. Pour assumer le risque économique, il faut trouver des ressources marchandes et/ou non marchandes. 2

e) Conclusion

Nous pouvons conclure de cette analyse que la représentation de l’entrepreneuriat social de

Mme de le Court correspond au cadre conceptuel de l’école de l’innovation sociale. Il y a

toutefois certains points communs avec the social enterprise school of thought (notamment le

besoin de professionnalisation par des méthodes du monde marchand). Par contre, sa

représentation est éloignée de l’approche EMES. Cette analyse est confirmée par les

moyennes par école du questionnaire.

5.10. CRECIS (LSM-UCL)

Présentation des données

Résumé de l’interview

Mme Bacq est doctorante et chercheuse. Pour elle, l’entrepreneuriat social est l’ensemble des

individus et des organisations qui allient la conduite d’une mission sociale, c’est-à-dire la

recherche d’une plus–value sociale, avec la réalisation d’un modèle économique viable. Il y a

donc un double objectif, à la fois social et économique. Mme Bacq comprend le mot social

dans le sens sociétal; cela peut donc inclure des objectifs environnementaux, tout comme la

fourniture de services sociaux dans le sens où on l’entend habituellement, à savoir le fait de

Page 71: « Analyse des conceptions de l’entreprise sociale en Belgique francophone. Étude exploratoire »

71

faire travailler des personnes handicapées, des personnes au chômage, des ex-prisonniers, etc.

Concernant le modèle économique, c’est un modèle qui se base sur des activités marchandes

utilisant les règles du marché pour faire fonctionner l’entreprise. Mme Bacq n’est pas contre

le fait de recourir aux subsides (comme les PME classiques), mais cela doit se limiter à la

phase de start-up.

Résultats du questionnaire

EMES Innovation sociale Social enterprise

1,9 4 3,8

Cinq propositions hiérarchisées

1. Un entrepreneur social cherche à réduire les besoins sociaux plutôt que de les satisfaire. En d’autres mots, il

cherche à résoudre les causes des problèmes sociaux plutôt que de s’attaquer aux conséquences de ceux-ci (7).

2. Une entreprise sociale évite au maximum les subsides publics et les dons afin de ne dépendre que d’elle-

même (20).

3. Dans une entreprise sociale, le leadership de l’entrepreneur social est central (12).

4. Les initiateurs d’une entreprise sociale prennent un risque économique et l’assument au moins en partie (22).

5. Les profits d’une entreprise sociale sont soit réinvestis dans l’activité de l’organisation, soit distribués

entièrement aux actionnaires ou membres (26).

Analyse des données

a) La mission sociale et l’activité de production

Pour Mme Bacq, dans l’entrepreneuriat social, il y a une double conduite d’activités: la

mission sociale et l’activité économique. Sans surprise, notre interlocutrice valorise donc les

propositions 1 et 6. Quant au lien entre la mission et l’activité, il doit être direct (propositions

2 et 3), ce qui est en désaccord avec l’approche américaine de l’entreprise sociale.

1. Une entreprise sociale est active dans la production de biens et/ou la fourniture de services, et cela de

manière continue.

5

2. L’activité marchande d’une entreprise sociale n’est pas forcément en lien avec sa mission sociale et

peut être seulement une source de revenus pour financer celle-ci.

2

3. L’activité de production d’un bien ou d’un service d’une entreprise sociale est directement en rapport

avec sa mission sociale.

4

6. La mission centrale d’une entreprise sociale est le service à la collectivité ou à un groupe particulier. 4

b) Le mode de gouvernance

Mme Bacq est en net désaccord avec l’approche EMES à propos du mode de gouvernance

(propositions 8, 11, 14 à 16 et 28).

Page 72: « Analyse des conceptions de l’entreprise sociale en Belgique francophone. Étude exploratoire »

72

8. Une entreprise sociale a un objectif de développement de la démocratie dans la sphère économique. 3

11. Une entreprise sociale est créée par un groupe de personnes, et il est important qu’une dynamique

collective perdure au sein de l’entreprise sociale.

1

14. Une entreprise sociale met en œuvre une gestion participative, et cela de manière formelle ou

informelle.

1

15. Une entreprise sociale met en œuvre le principe « un membre, une voix » dans ses instances de

décision.

1

16. Une entreprise sociale met en œuvre de manière statutaire un mode de gouvernance démocratique. 1

17. Une entreprise sociale est indépendante des pouvoirs publics, même si elle reçoit des subsides. 5

26. Les profits d’une entreprise sociale sont soit réinvestis dans l’activité de l’organisation, soit distribués

entièrement aux actionnaires ou membres.

5

27. Une entreprise sociale est caractérisée par une interdiction totale de distribuer son profit. 1

28. Pour être une entreprise sociale, une organisation doit adopter un statut juridique qui limite la

redistribution des profits.

1

L’autonomie vis-à-vis des pouvoirs publics (proposition 17) traduit une proximité avec

l’approche américaine de l’entreprise sociale, même s’il s’agit également d’un indicateur

EMES. La question de l’allocation des profits nous montre qu’elle ne situe pas

l’entrepreneuriat social dans le seul secteur associatif.

c) L’innovation sociale

Bien que Mme Bacq ne mentionne pas l’innovation sociale dans l’interview, ses réponses aux

propositions suivantes nous montrent son accord avec l’école de l’innovation sociale:

4. L’entrepreneur remplit sa mission de création de valeur sociale par le développement d’une

innovation sociale.

4

5. L’innovation sociale est un aspect essentiel dans une entreprise sociale. 4

7. Un entrepreneur social cherche à réduire les besoins sociaux plutôt que de les satisfaire. En d’autres

mots, il cherche à résoudre les causes des problèmes sociaux plutôt que de s’attaquer aux

conséquences de ceux-ci.

5

9. Un entrepreneur social cherche toujours une solution créative aux problèmes sociaux. 4

10. La créativité est une des qualités essentielles d’un entrepreneur social. 5

12. Dans une entreprise sociale, le leadership de l’entrepreneur est central. 4

d) Les ressources

Selon Mme Bacq, une entreprise sociale doit viser l’autofinancement par les activités

marchandes et éviter les subsides (propositions 20 et 21), ce qui la met en clair désaccord avec

l’approche EMES. Par contre, cela fait référence à l’approche américaine de l’entreprise

sociale.

18. Trois types de ressources peuvent être importants pour une entreprise sociale: les ressources

marchandes, les subsides publics et les ressources volontaires (dons, bénévolat).

1

20. Une entreprise sociale évite au maximum les subsides publics et les dons afin de ne dépendre que

d’elle-même.

5

Page 73: « Analyse des conceptions de l’entreprise sociale en Belgique francophone. Étude exploratoire »

73

21. Une entreprise sociale vise l’autofinancement par ses activités marchandes. 5

22. Les initiateurs d’une entreprise sociale prennent un risque économique et l’assument au moins en

partie.

5

23. Le risque économique se mesure à l’importance de l’activité marchande. 5

24. Pour assumer le risque économique, il faut trouver des ressources marchandes et/ou non marchandes. 5

e) Conclusion

La représentation de l’entrepreneuriat social de Mme Bacq correspond au moins en partie au

cadre conceptuel de l’école de l’innovation sociale. En effet, la création de valeur sociale,

l’innovation sociale, le leadership et la créativité de l’entrepreneur sont autant d’indicateurs

qu’elle valorise. Cependant, sa représentation est plus proche de l’école américaine de

l’entreprise sociale qui met l’accent sur l’autofinancement par les activités marchandes, la

volonté de ne pas fonctionner avec des subsides et le besoin de professionnalisation par des

méthodes du monde marchand. Le fait que, pour Mme Bacq, l’entrepreneuriat social ne se

limite pas au seul secteur nonprofit nous permet de situer sa représentation dans le courant

plus récent de cette approche américaine, que Defourny et Nyssens (2009) nomment the

social-purpose business approach22

. En effet, sa représentation correspond à la grille

d’analyse de l’entrepreneuriat social proposée par des auteurs comme Nicholls.

5.11. Positionnement des acteurs: synthèse

Afin de visualiser notre analyse, nous avons placé les différents acteurs dans un triangle divisé

en trois parties représentant les trois écoles de pensée. L’emplacement concret d’un acteur

dans une des parties dépend d’une part de sa proximité avec tel ou tel cadre conceptuel et

d’autre part des influences des deux autres cadres théoriques.

22 La moyenne des scores de l’école américaine de l’entreprise sociale change si l’on remplace la proposition 27

(interdiction totale de distribuer le profit) par la proposition 26 (pas de contrainte quant à la distribution des

profits) et passe de 3,8 à 4,5.

Page 74: « Analyse des conceptions de l’entreprise sociale en Belgique francophone. Étude exploratoire »

74

La représentation de l’entrepreneur social ou de l’entrepreneuriat social de deux acteurs, à

savoir nos interlocuteurs au Hub et à la Fondation Philippson, correspond clairement au cadre

conceptuel de l’innovation sociale, raison pour laquelle ils sont placés dans la partie social

innovation school of thought du triangle. Cependant, pour le Hub, une partie des indicateurs

EMES emporte son accord (certaines dimensions du mode de gouvernance: gestion

participative, mode de gouvernance démocratique et indépendance des pouvoirs publics),

ainsi qu’une majorité des indicateurs de l’école américaine de l’entreprise sociale

(dévalorisation des subsides publiques, besoin de professionnalisation par des méthodes du

monde marchand). Pour la Fondation Philippson, par contre, le cadre EMES n’est pas du tout

dans la même ligne de pensée (les dimensions EMES du mode de gouvernance sont toutes

dévalorisées, hormis l’indépendance des pouvoirs publics), et l’approche américaine de

l’entreprise sociale n’exerce que peu d’influence. C’est pourquoi ces deux acteurs sont placés

à deux endroits bien distincts: notre interlocuteur au Hub en grande proximité de la partie

social enterprise school of thought et plus proche également de la partie EMES; notre

interlocutrice à la Fondation Philippson plus proche de l’angle du triangle, marquant ainsi le

peu d’influence des deux autres approches.

Page 75: « Analyse des conceptions de l’entreprise sociale en Belgique francophone. Étude exploratoire »

75

La représentation de l’entrepreneuriat social de notre interlocutrice au Crecis peut être placée

dans the social-purpose business approach, le courant le plus récent de l’approche américaine

de l’entreprise sociale. Stratégies d’autofinancement, volonté de se détacher des subsides et

besoin de professionnalisation par des méthodes du monde marchand sont en effet autant

d’indicateurs suscitant son accord. Sa représentation est fort éloignée de l’approche EMES

(les dimensions du mode de gouvernance propres à cette approche sont dévalorisées, sauf

l’indépendance vis-à-vis des pouvoirs publics), mais révèle par contre des influences de

l’école de l’innovation sociale: l’innovation sociale, la créativité et le leadership de

l’entrepreneur et l’absence de contrainte quant à la distribution des profits sont autant

d’indicateurs valorisés. Cela explique son emplacement dans le triangle: éloigné de la partie

EMES mais fort proche de la partie social innovation school of thought.

La représentation de l’entreprise sociale ou de l’entrepreneuriat social de quatre acteurs, à

savoir nos interlocuteurs chez Crédal, à la Sowecsom, au RES et chez AtoutEI, peut être

située dans le cadre théorique EMES. Dans le même temps, ces acteurs sont influencés de

manière plus ou moins marquée par les deux autres écoles. La plupart des indicateurs de

l’école de l’innovation sociale et une partie de ceux de l’école américaine de l’entreprise

sociale ont notamment suscité l’accord de notre interlocuteur chez AtoutEI, d’où sa position à

la limite de la partie social innovation school of thought du triangle, et à relative proximité de

la partie social enterprise school of thought. Notre interlocutrice au RES est placée encore

plus au centre du triangle pour deux raisons: d’une part, son ancrage dans la théorie EMES est

moins marqué et d’autre part, sa représentation de l’entreprise sociale ne contredit pas

spécifiquement les deux autres approches. Par contre, nos interlocuteurs à la Sowecsom et

chez Crédal sont placés plus haut dans le triangle car leur ancrage dans le cadre théorique

EMES peut être affirmé de manière plus assurée. Cela ne veut pour autant pas dire qu’ils ne

sont pas influencés par les deux autres approches: principalement par l’approche américaine

de l’entreprise sociale pour le premier, et principalement par l’approche de l’innovation

sociale pour le second.

Notre interlocutrice au CES a également le cadre conceptuel d’EMES comme cadre de

référence. Cependant, de larges influences de l’école de l’innovation sociale sont à relever

dans sa représentation de l’entreprise sociale. L’approche américaine de l’entreprise sociale,

quant à elle, suscite son net désaccord.

Page 76: « Analyse des conceptions de l’entreprise sociale en Belgique francophone. Étude exploratoire »

76

Parmi les acteurs dont le point d’ancrage est EMES, ConcertES est placé le plus en proximité

de l’angle du triangle, principalement parce que les influences des deux autres écoles sont

limitées. Les quelques influences qui sont à relever en dehors de l’approche EMES viennent

de l’école américaine de l’entreprise sociale, ce qui explique son emplacement du côté droit

du triangle.

La représentation de notre interlocuteur chez Triodos, quant à elle, est la seule à pouvoir être

située dans deux cadres théoriques, i.c. celui de l’innovation sociale et celui d’EMES. Elle est

par contre en contradiction avec l’approche américaine de l’entreprise sociale. Cela explique

pourquoi nous l’avons placé sur la ligne séparant les parties EMES et social innovation school

of thought du triangle, mais loin de la partie social enterprise school of thought.

Nous constatons que le cadre EMES est celui qui correspond à une majorité des

représentations des acteurs interviewés. Cependant, les sept acteurs qui sont dans la partie

EMES du triangle sont influencés, de manière plus ou moins marquée, par l’une ou les deux

autres écoles de pensée. Afin de visualiser les influences des deux approches américaines sur

les représentations de ces sept acteurs, voici un tableau les synthétisant. Une croix indique

qu’un indicateur est valorisé par un acteur. A l’inverse un tiret montre qu’il ne l’est pas. Un

point d’interrogation indique que la position de l’acteur n’était pas tranchée.

Sowecsom Crédal AtoutEI RES ConcertES CES Triodos

Social

innovation

school of

thought

Innovation sociale

x x x x - x -a

Créativité de l’entrepreneur

x x x x x x x

Leadership de l’entrepreneur

x x x - x x x

Pas de contrainte quant à la

distribution des profits

- - - x - xb x

Social

enterprise

school of

thought

Pas de contrainte de lien direct

entre activité et mission

? - ? ? x x ?

Volonté de se détacher des

subsides

- x x x - - -

Viser l’autofinancement par

activités marchandes

x x x x x - -

Professionnalisation par

méthodes du monde marchand

x xc - x - -d x

a rappelons que notre interlocuteur a dit tenir compte de la réalité pour répondre à cette question.

b notre interlocutrice a insisté sur le fait qu’il y avait des limites dans la manière.

c notre interlocuteur a précisé qu’il fallait les adapter.

d notre interlocutrice a ajouté qu’il fallait tout de même qu’une entreprise sociale se professionnalise.

Page 77: « Analyse des conceptions de l’entreprise sociale en Belgique francophone. Étude exploratoire »

77

Il ressort de ce tableau que certains indicateurs sont valorisés par une majorité des sept

acteurs, voir par tous: le leadership et la créativité de l’entrepreneur, l’innovation sociale, la

volonté de s’autofinancer par ses activités marchandes et le besoin de professionnalisation

(que ce soit ou non à l’aide de méthodes du monde marchand).

6. Vérification des hypothèses

Après le travail d’analyse, nous pouvons conclure que notre hypothèse principale est validée:

les représentations de l’entreprise sociale ou de l’entrepreneuriat social des sept acteurs dont

le site internet utilise le terme économie sociale peuvent être placées dans le cadre conceptuel

d’EMES. Cependant, de larges influences d’une ou des deux autres écoles de pensée sont à

relever pour la majorité d’entre eux. Notons aussi que la représentation de notre interlocuteur

chez Triodos ne rentre que partiellement dans le cadre théorique d’EMES.

Nous supputions également que les acteurs dont la représentation peut être située dans le

cadre théorique d’EMES auraient fait référence aux quatre critères de l’économie sociale dans

leur réponse à la question ouverte et non aux autres critères EMES, qui eux se vérifieraient

dans leurs réponses au questionnaire. Cette hypothèse ne se vérifie pas. Seul un acteur, à

savoir Mr Colpé (Sowecsom), fait référence à la définition du CWES lors de l’entretien (sans

citer les quatre critères). Mr Adam (Crédal) parle de trois des quatre critères de l’économie

sociale (il ne mentionne pas l’autonomie de gestion) et Mr Borcy (AtoutEI) parle de service à

la collectivité et de processus de décision démocratique, mais sans nommer ces critères de

manière explicite. Mme Heusy (RES) et Mr Pereau (ConcertES) ne font référence qu’à un

seul critère de l’économie sociale. Mr Depoortere (Triodos), quant à lui, ne fait pas référence

aux critères de l’économie sociale en réponse à la question ouverte. Enfin, Mme Mertens

(CES) fait clairement référence à l’économie sociale mais certains critères propres à EMES

sont déjà présents lors de l’interview.

La deuxième hypothèse qui découlait de l’hypothèse principale est validée: la représentation

de l’entrepreneur social de Mme de le Court (Fondation Philippson) et celle de

l’entrepreneuriat de Mr Riedl (The Hub) peuvent effectivement être placées dans le cadre

théorique de l’école de l’innovation sociale; celle de l’entrepreneuriat social de Mme Bacq

(Crecis) fait référence à l’approche américaine de l’entreprise sociale.

Page 78: « Analyse des conceptions de l’entreprise sociale en Belgique francophone. Étude exploratoire »

78

Conclusion

Arrivée au terme de notre mémoire, nous en rappelons brièvement le parcours et nous

concluons en rassemblant les éléments de réponse à la question de départ qui nous a animée

tout au long de cette recherche. Nous terminons par quelques pistes pour l’action.

Sur le Vieux Continent, tout comme aux Etats-Unis, le débat sur l’entrepreneuriat social est à

l’origine de l’élaboration, par des scientifiques, de nouveaux cadres théoriques. Nous nous

sommes posé la question de savoir quel cadre conceptuel correspondait le mieux aux discours

des acteurs qui s’inscrivent dans ce débat. A la suite de Defourny et Nyssens (2009), nous en

avons présenté trois dans la partie théorique, à savoir (1) l’approche du réseau européen

EMES, (2) l’approche américaine de l’innovation sociale et (3) l’approche américaine de

l’entreprise sociale. Pour la partie empirique, nous avons choisi de nous centrer sur les acteurs

institutionnels, c'est-à-dire ceux qui viennent en soutien des entrepreneurs sociaux. Après

avoir dressé une cartographie de ces acteurs, nous avons récolté nos données sur un

échantillon raisonné de dix acteurs. L’analyse de ces données nous a permis de répondre à

notre question de départ: Quel cadre théorique, parmi les trois que nous avons présentés,

correspond le mieux aux représentations de l’entreprise sociale, de l’entrepreneuriat social

et/ou de l’entrepreneur social que se font les acteurs revendiquant ces vocables en Belgique

francophone ?

Tout d’abord, il ressort de notre recherche que le cadre théorique EMES est celui qui

correspond le mieux aux représentations que se font la majorité des acteurs de notre

échantillon des concepts d’entreprise sociale ou d’entrepreneuriat social. Cependant, pour

élargir cette conclusion à la population, il serait nécessaire de faire la même recherche en

utilisant une méthode d’échantillonnage plus représentative de la population. Notre mémoire

peut toutefois servir de travail exploratoire à ce type de recherche. Ensuite, notre analyse a

mis en relief le fait que certains indicateurs de l’école de l’innovation sociale sont valorisés

par la plupart de nos interlocuteurs, notamment l’innovation sociale, la créativité et le

leadership de l’entrepreneur. De plus, notre étude nous a permis de constater que la majorité

des acteurs ne souscrivent pas à l’approche américaine de l’entreprise sociale comme cadre de

référence, mais que certains de ses indicateurs suscitent néanmoins l’accord de plusieurs

d’entre eux, entre autres le besoin de professionnalisation par des méthodes du monde

Page 79: « Analyse des conceptions de l’entreprise sociale en Belgique francophone. Étude exploratoire »

79

marchand et la volonté de s’autofinancer par des ressources marchandes. Nous pouvons donc

conclure que les acteurs se réclamant de l’économie sociale sont néanmoins influencés par les

approches américaines, même si certains s’en distancient explicitement. Au-delà des discours

parfois très tranchés entre les différentes approches de l’entrepreneuriat social, il apparaît

donc que les discours des acteurs le sont nettement moins.

En partant de ces constats, nous saisissons l’occasion pour proposer, modestement, quelques

pistes pour l’action. Premièrement, nous pensons qu’il serait intéressant de mener la même

recherche à propos des représentations de l’entreprise sociale que se font les entrepreneurs

sociaux ou porteurs de projets d’économie sociale. Dans le cadre de ce mémoire, nous

n’avons pas pris ces acteurs en considération dans la délimitation de notre population pour des

raisons de faisabilité. Dans la même veine, il serait également pertinent de comparer les

conceptions de l’entreprise sociale d’acteurs institutionnels d’une part, et d’autre part

d’entrepreneurs sociaux soutenus par ces mêmes acteurs institutionnels. Deuxièmement, étant

donné que la représentation de tous les acteurs de notre échantillon se référant à l’économie

sociale peut être située dans le cadre théorique d’EMES, il nous semble que ce cadre pourrait

être l’approche fédératrice dont nous parlions dans l’introduction. Dès lors, il est du ressort

des chercheurs du réseau EMES de se faire connaître des différents types d’acteurs

institutionnels qui peuvent être de formidables relais pour promouvoir leur approche de

l’entreprise sociale. Troisièmement, il s’agit pour le réseau EMES de considérer les

indicateurs des deux autres écoles de pensée autour desquels les différents acteurs s’accordent

(innovation sociale, besoin de professionnalisation, etc.) et d’étudier en quoi ces indicateurs

peuvent enrichir leur théorie de l’entreprise sociale.

Page 80: « Analyse des conceptions de l’entreprise sociale en Belgique francophone. Étude exploratoire »

80

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Page 83: « Analyse des conceptions de l’entreprise sociale en Belgique francophone. Étude exploratoire »

83

Annexe A: Script des interviews

Interview de Mr S. Pereau, secrétaire général de ConcertES, le 21 juin 2010

C’est vrai qu’en lisant le questionnaire que vous m’aviez envoyé, je l’ai rempli dans l’idée

entreprise sociale égale entreprise d’économie sociale, donc plutôt dans la lignée du courant

de pensée européen de J. Defourny et tout ça, pour eux, entreprise sociale, ils utilisent le

terme entreprise sociale pour désigner une entreprise d’économie sociale et donc c’est vrai

que ça va orienter les réponses dans un sens ou dans un autre, où au niveau anglo-saxon on est

plutôt comme, je ne vais pas dire charities mais dans un esprit de charité plutôt, avec le

développement d’une activité économique pure et où l’aspect social est finalement une

composante qu’on prend à côté, avec, et qu’on adjoint petit à petit à l’entreprise. Pour moi,

l’entreprise sociale ou une entreprise d’économie sociale, si on doit la définir, comparée à une

entreprise normale ou à une entreprise qui fait de la responsabilité sociale ou sociétale des

entreprises, c’est la suivante: l’entrepreneur ou les entrepreneurs sociaux vont dire « ah ben

voilà, on est confronté à une problématique sociale, sociétale, que ce soit le quartier qui

dépérit, que ce soit l’environnement, des problèmes environnementaux, ou que ce soit le

problème du chômage » et ces entrepreneurs veulent faire quelque chose. Et pour ce faire ils

se disent « qu’est-ce qu’on peut faire pour mettre les gens au travail, pour embellir le quartier,

pour contrer les problèmes environnementaux ? ». Et ils vont réfléchir en termes d’activité

économique. Et dire « ah ben voilà, dans ce cadre-là, on peut, par exemple … ». J’aurais dû

prendre l’exemple inverse. Un entrepreneur, lui, va dire voilà, j’ai la technologie pour

construire des chaises, je vais construire des chaises. Si mon business marche bien, je vais

peut-être faire attention à ce que le processus soit écologique et je vais éventuellement verser

quelques dons à des entrepreneurs du Sud pour les aider au développement. L’entrepreneur

d’économie sociale, lui, il va dire voilà, j’ai ma problématique d’embellissement du quartier,

de mise au travail des personnes au chômage, d’aspect environnemental, et j’ai aussi la

connaissance d’une technologie pour construire des chaises, je vais mettre ça au profit pour

mettre les chômeurs au travail, pour éventuellement embellir le quartier, parce qu’on va ainsi

générer des revenus qui vont permettre de générer des fonds pour embellir le quartier, donc

l’optique, finalement, de départ est différente. D’un côté on a « ah, je peux faire du

business », de l’autre, c’est répondre à des besoins sociétaux en utilisant finalement, l’aspect

ou l’outil, l’activité économique pour le faire. Et c’est ce qui distingue pour moi une

entreprise sociale d’une autre entreprise. Donc, le point de départ est différent, mais on

Page 84: « Analyse des conceptions de l’entreprise sociale en Belgique francophone. Étude exploratoire »

84

développe pour faire quelque chose d’autre que simplement que sa propre activité ou son

business, ou son profit.

Interview de Mr P. Borcy, président du Conseil d’Administration d’Atout EI, le 28 juin

2010

Une entreprise sociale, c’est quoi ? Je pense que c’est avant tout, en tout cas, nous la mission

qu’on se donne, c’est d’avoir une entreprise très respectueuse du personnel, enfin, de tout qui

compose l’entreprise, que ce soit à tous les niveaux. Je pense qu’on se donne une mission qui

est dans la création d’emplois, qui est de respecter une certaine philosophie, oui, d’abord de

respect des travailleurs, de respect du travail, certainement. Qu’est-ce qu’on peut encore dire

par rapport à ça…, j’essaye de structurer… Et je pense que même, enfin, moi en tout cas,

j’essaye en tout cas de dépasser, oui, c’est ça que je veux dire en disant, on vise un personnel

particulier, mais j’essaie de l’appliquer aussi par rapport au personnel qui est dit

d’encadrement, qui est dit administratif, donc que ça prenne une dimension générale à

l’entreprise, et que ce ne soit pas une équipe qui se dit « on a une mission par rapport à un

type de population », pour moi ça dépasse ça, je pense que chacun doit s’y retrouver dans ça,

et donc qu’on soit secrétaire, directeur, accompagnateur social ou travailleuse, on doit

retrouver cette philosophie d’entreprise. C’est clair que ça demande, je pense, une énergie

particulière, de prendre le temps avec les gens, de prendre le temps de comprendre ce qui fait

que ça va, sûrement, mais aussi pourquoi ça ne va pas. Donc je pense à certaines situations, où

finalement, si on est très terre à terre, on a plein d’arguments pour mettre fin au contrat, et on

résiste très longtemps avant de mettre fin à ce contrat, et finalement, en travaillant avec les

gens, on se rend compte que le problème, il n’est pas du tout lié au travail, il n’est pas lié à ce

qu’ils font, qu’ils aiment ou qu’ils n’aiment pas, mais il est souvent lié à des difficultés

personnelles, familiales, qui nous dépassent complètement, et donc l’enjeu, c’est de trouver le

juste équilibre entre ce qui est quand-même nécessaire à ce que l’entreprise vive

correctement, que le travail soit assumé, que les clients soient satisfaits, mais aussi le fait de

pouvoir aider les membres du personnel à évoluer dans leurs problématiques à eux. Tout ça

c’est je pense, c’est la grosse différence qu’on peut… Alors attention, je ne dis pas du tout que

ça ne se fait pas dans le privé, mais, pas du tout hein, je pense que certains le font aussi, je

pense que c’est plus un esprit finalement, que l’étiquette en tant que telle, comme sans doute

dans l’économie sociale, il y en a qui agissent plus comme l’étiquette privée et pas assez

comme le social. Donc, je crois qu’il faut relativiser finalement, c’est plus un esprit, avant tout

Page 85: « Analyse des conceptions de l’entreprise sociale en Belgique francophone. Étude exploratoire »

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du chef d’entreprise, de l’équipe d’encadrement qui la compose, et … Mais c’est clair que

quand-même malgré tout, la différence, c’est que c’est notre mission, je pense qu’il ne faut

pas oublier que c’est notre mission première, et que donc, il faut que nous-mêmes, on trouve

le juste équilibre. Alors, on n’y arrive pas tout le temps. Et alors, mais je pense que ça peut

aussi se faire ailleurs, mais on met aussi quand-même beaucoup d’énergie à ce que les gens

comprennent ce que l’on fait, et pourquoi on le fait. Donc, il y a quand-même des réunions

régulières, on explique au personnel, mais alors, c’est sûr, il y a des choses, ça fait partie

d’une gestion plus macro et donc là ça avance, mais on prend quand-même le temps après de

l’expliquer avec des mots… les différents projets, qui sont liés à nos entreprises. Ou

simplement dans le quotidien de l’entreprise, donc, voilà, des choix de T-shirt, des choix de

vêtements de travail, des aménagements d’horaires, demain, par exemple, on a une réunion

parce que, à la centrale de repassage, on identifie une série de choses qui n’allaient pas. Je

pense qu’on pourrait, assez simplement, mettre un document affiché en disant « mais vous

savez que c’est comme ça comme ça comme ça et je vous rappelle que c’est comme ça et pas

autrement ». Nous, on va prendre le temps à midi, de reconvoquer tout le monde, de voir,

parce que je peux imaginer des choses qui se passent et qui ont une explication, et qu’il ne

suffit peut-être pas de dire « ben non, les fers ils doivent être rangés comme ça et pas

autrement », il y a sans doute une raison, mais alors comment est-ce qu’on peut faire ça

mieux. Et je pense que ça passe mieux à partir du moment où les gens sont acteurs de ça. Et je

pense par exemple à le centrale, on a déjà fait ça voilà quelque temps, et finalement c’est elles

qui sont reparties en disant « on va faire, on va te faire une proposition, de comment on

pourrait nous, nous organiser ». Alors après, je vais dire on prend ou on ne prend pas

l’entièreté, ou on rediscute, mais finalement, on arrive quand-même la plupart du temps

vraiment à trouver un compromis qui convient à tout le monde. Là, donc, alors on en arrive si

on va vraiment dans l’aspect plus législatif, chez nous par exemple, donc là je sors de la fédé,

au niveau de notre entreprise, il y a maintenant une dizaine de travailleurs qui ont pris des

parts dans le capital et qui donc font partie des membres de l’assemblée générale. Alors, ça

reste 10 sur 70, ça reste minime, mais en même temps, nos statuts à l’heure actuelle, si

l’entièreté des travailleurs prennent une part à 25 €, ils prennent le pouvoir dans la gestion de

l’entreprise, donc c’est quand-même assez particulier, donc certains disent « oui, le risque

existe », je ne sais pas si c’est un risque, mais en tout cas, ça a été conçu comme ça, avec un

choix de CA qui s’est dit « mais de toute façon si on en arrive à devoir, enfin vraiment avoir

un effet de masse comme ça par rapport à quelque chose, c’est qu’on a loupé quelque chose

dans la gestion, donc on ne devrait pas en arriver à ça ». Voilà. C’est vrai que c’est un état

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d’esprit, et que même, moi j’ai le souvenir que quand on est passé chez le notaire, à ce

moment-là, il s’est vraiment arrêté sur différents points, propres à l’économie sociale, en

disant « m’enfin, pourquoi est-ce que vous faites ça ? ». Je pense à un réviseur d’entreprise,

qui révise nos comptes, qui vient les présenter en AG, qui explique, on n’a pas d’obligation en

tant que telle de le faire, mais nous, on souhaite le faire, pour que ce soit clair, donc c’est

encore une personne extérieure qui a une vision de ce qu’on fait et qui vient elle-même à

l’assemblée générale présenter aux travailleurs et qui le fait toujours de manière très

accessible, parce que la compta, c’est jamais très sympa, et c’est vraiment que pour des aides

ménagères ou des repasseuses qui sont pas évidemment habituées avec ce… mais il a une

présentation très didactique et qui donne un petit peu le retour de ce qu’est l’entreprise. Voilà,

je ne sais pas si j’ai brassé dans les grandes lignes tout ce qui correspondait à l’entreprise

d’insertion, en tout cas à finalité sociale. S’il faut résumer, je pense qu’on utilise diverses

activités pour permettre à toutes une série de publics fragilisés d’accéder à l’emploi, et par ce

biais-là de retrouver un peu pied dans la vie sociale, avec certaines personnes qui utilisent ça

comme un tremplin et puis parviennent vraiment à repartir dans le circuit dit classique,

d’autres qui trouvent vraiment leur équilibre dans, ça je pense surtout depuis l’arrivée du titre-

service, mais qui trouve leur équilibre dans la structure telle qu’elle est, donc qui n’envisagent

pas vraiment de faire autre chose, mais qui s’il n’y avait pas eu ça, elles seraient toujours au

chômage, voilà, et puis certaines pour qui c’est une étape, un passage, qui n’est pas

spécialement, le temps de se trouver un nouvel emploi, mais je pense que c’est toujours un

passage positif, de toute façon.

Interview de Mr F. Adam, coordinateur de l’agence conseil de Crédal, le 24 juin 2010

Pour moi l’entrepreneuriat social, ce sont des entrepreneurs qui décident de créer une

entreprise mais qui a vraiment une finalité sociale, dont l’objectif n’est pas le seul profit et la

seule recherche du gain individuel en tout cas, mais plutôt une recherche du gain collectif et

même collectif au sein du groupe qui porte le projet mais aussi plus largement au sein de la

collectivité, la communauté. Moi, l’entrepreneuriat social, moi je le vois aussi comme

l’utilisation de moyens qui soient cohérents avec les fins, donc c’est-à-dire qu’on va

privilégier la dimension démocratique, on va avoir une certaine éthique dans sa manière de

travailler, ce qui n’est pas toujours le cas. Il y a un courant ancien de l’entrepreneuriat social

plus lié à l’économie sociale, des années 70, 80, qui justement est lié à la problématique de

l’insertion sociale, etc. et donc qui veut vraiment privilégier la dimension démocratique, la

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dimension de participation et les dimensions de réduction des dividendes octroyées aux

actionnaires, parce que si on dit, si on ne va pas vers la réduction de ces dividendes, cela veut

dire qu’on fait cravacher les gens, on les fait travailler très très dur et finalement, les moyens,

la forme de travail, ne respectent plus du tout la fin, qui est le service à la collectivité, le

service aux membres, etc. Il y a ce courant-là, et auquel moi je souscris beaucoup plus, mais

je sens qu’il y a un courant plus anglo-saxon justement, qui privilégie la fin, par tous les

moyens, qui dit « voilà, ce sont des entrepreneurs individuels, qui travaillent de manière

individuelle et qui travaillent pour leur propre chapelle et qui travaillent vraiment dans le jeu

du marché et voilà, c’est un marché, chacun prend son destin en main, quoi qu’il arrive, et

voilà, on s’embarrasse pas trop, même d’éthique, par rapport à la concurrence, par rapport aux

partenariats possibles, etc. non, on est les meilleurs et on veut avancer ». Or moi, je ne

souscris pas du tout à ça. Et dans la dimension de dividendes aussi, où il n’y a pas de

réduction du dividende, où on dit voilà si on veut faire de … Il y a des gens qui disent « on

fait de l’entrepreneuriat social parce qu’on a une finalité sociale, mais si on fait du profit tant

mieux, les 3 P, Planet, People, Profit. Et si on peut faire du 15% de rendement, on le fera ».

Voilà. Moi je souscris pas du tout à ça. Pour moi, justement, c’est l’apogée finalement de tout

un processus, ça fait partie du… La destination, finalement, comment dire, le chemin plutôt

doit être cohérent avec les destinations et pour moi une destination de dire voilà, une finalité

sociale c’est incohérent avec le fait de dire « on fait un rendement de 15%, on a du profit ». Je

sais que pour l’instant il y a ces deux voies-là, et c’est vrai que nous, moi mais nous, au sein

de l’économie sociale, les acteurs qui sont là depuis très longtemps, depuis 20 ans, 25 ans, on

est vraiment plus dans cet esprit participatif, plus que la volonté de gain, en tout cas. Voilà.

Pour moi c’est ça l’entrepreneuriat social. C’est en fait à la fois avoir une finalité sociale

finalement, c’est avoir la dimension, comme je l’ai dit, démocratique, participation

démocratique, mais la dimension de respect finalement, le respect de toutes les parties

prenantes, autant des travailleurs, que des concurrents, des collègues, des fournisseurs, etc. Ce

que je sens moins justement dans ce monde un peu, ce courant anglo-saxon, où finalement, le

fait, le respect des relations de travail, et des conditions de travail, finalement, c’est parfois vu

comme ringard, c’est pas important. Ce qu’ont revendiqué les syndicats et ce qu’ont gagné les

syndicats par une meilleure condition de travail en Europe occidentale, etc. pour ces

entrepreneurs-là, ça passe vraiment au second plan, et moi je trouve pas du tout. Mais c’est

vrai, c’est lié, c’est un peu sociologique, moi je trouve. J’ai eu l’occasion de côtoyer ces

entrepreneurs sociaux, un peu anglo-saxon et un peu… et d’ailleurs ils se baptisent

entrepreneurs sociétaux, justement pour se mettre en retrait par rapport à l’aspect social qui

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est trop, comme trop marqué politiquement, trop syndicaliste, trop… qu’est-ce que j’allais

dire, ah oui, que sociologiquement, je sens que ces gens sont plutôt issus du monde de

l’entreprise, donc ce sont vraiment des gens qui familialement sont des enfants de cadres, des

enfants de dirigeants d’entreprises qui prennent conscience du monde tel qu’il est, qui se

disent « à la fois moi je suis issu du monde de l’entreprise », ils ne le conscientisent pas tout à

fait, mais bon je pense qu’ils le savent d’une certaine manière. Mais en même temps ils voient

que la planète, au niveau environnemental, c’est pas rose, qu’au niveau social, il y a de

grosses difficultés, etc. et donc ils ont envie de faire quelque chose et finalement ils prennent

les deux mais tout en reprenant les outils et les pratiques qu’a développé le monde dans lequel

ils sont et comme je disais tout à l’heure les entrepreneurs sociaux moins récents et plus âgés,

ce sont plus des enfants d’assistants sociaux, des enfants d’enseignants, dans le domaine plus

socioculturel, etc. et qui sont plus, qui vivent beaucoup plus ces valeurs-là au quotidien et qui

sont plus dans l’aspect social finalement qu’entrepreneur, d’ailleurs. L’aspect plus social

qu’économique.

Interview de Mr J. Depoortere, loan manager et responsable social profit et économie

sociale de Triodos, le 12 juillet 2010

Wat is voor mij een sociale onderneming? Eigenlijk, heel kort, een sociale onderneming is

voor mij een onderneming die eigenlijk onderneemt vanuit de behoeften van al de

stakeholders. En daar moet je niet altijd bijzeggen dat het ook moet milieuvriendelijk zijn of

sociaal. Want wat zijn die maatschappij-stakeholders? De ondernemer, het milieu,… soit

iedere onderneming die… Ge kunt eigenlijk niet buiten de stakeholders; ook de werknemers,

de vakbonden en zo. Dus, voor mij, moet je die drie ‘basen’ zo altijd niet gaan opsommen, je

kent die toch, maar gewoon, een onderneming, die dus eigenlijk onderneemt, niet zo zeer in

het belang, maar wel, in respect met al zijn stakeholders.

Interview de Mme L. Heusy, coordinatrice du RES, le 7 juillet 2010

Alors, une entreprise sociale pour moi, c’est principalement une entreprise axée sur l’humain,

donc on va privilégier surtout le côté ressources humaines plutôt que le côté ressources

financières à tout prix. En gros, pour moi, c’est faire passer l’homme avant l’argent et pas

l’argent avant l’homme. C’est vraiment permettre à des personnes d’avoir un travail et de

pouvoir faire valoir leurs compétences intrinsèques sans spécialement viser à tout prix le

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profit et les bénéfices financiers. Bien sûr, il faut avancer, donc il faut toujours entrevoir le

côté financier évidemment, mais il y a toujours un souci social dans la balance. Pour moi,

c’est ça une entreprise sociale. Le mot « entreprise » sous-entend qu’il y a toute une gestion,

effectivement, entrepreneuriale, et « sociale », ça veut dire ce que ça veut dire, donc vraiment

un équilibre des deux.

Interview de Mr M. Colpé, directeur de la Sowecsom, le 15 juillet 2010

Michel Colpé: Je pense qu’il faut faire une distinction, où ça commence et jusqu’où ça va.

Dans la législation belge, il y a les sociétés à finalité sociale, c’est très clair, il n’y a rien à

dire, c’est très simple, vous avez là (montrant le dos du rapport d’activités, où est inscrit la

définition du CWES de l’économie sociale) vous connaissez probablement, ça ce sont les

règles d’une entreprise à finalité sociale, mais une entreprise sociale peut être beaucoup moins

que cela, je dirais. Peut-être une entreprise classique ayant une démarche sociale, je ne vais

pas dire un but social, parce que le but social d’une entreprise ce n’est pas cela. Une finalité

non plus. Mais qui peut avoir dans ses modes de fonctionnement, une société socialement

responsable, etc., ça ne va pas si loin qu’une entreprise à finalité sociale, donc pour moi la

définition est très large, et nous on s’adresse au petit secteur de l’économie sociale, donc

répondant à ces critères fixés par le CWES. Maintenant, je pense que l’économie sociale,

comment dire ça, le terme entreprise sociale ne s’arrête pas aux sociétés à finalité sociale, ça

peut aller beaucoup plus loin, enfin, beaucoup plus loin ou beaucoup moins loin, suivant le

sens dans lequel on le prend, je veux dire. Les sociétés peuvent être socialement responsables,

c’est le mot qui est employé habituellement, par certaines démarches qu’elles font. Tant vis-à-

vis du personnel que vis-à-vis de l’extérieur, que vis-à-vis aujourd’hui parce que je trouve ce

sont deux termes qu’on mélange ensemble, qu’on mélange régulièrement, que vers

l’économie durable. Des sociétés qui font des compensations carbone, etc. Ca joue un peu

dans la même cour, aussi. Aujourd’hui, économie durable et économie sociale, on a tendance

à, quand même, à les joindre assez près.

(vers sa collègue) As-tu d’autres … ?

Collaboratrice: Non, mais, vous parliez d’entrepreneuriat social. Je dirais que c’est une façon

d’entreprendre qui vise, enfin, qui a d’autres objectifs que ceux uniquement d’objectifs

purement capitalistes, purement remplir la poche des actionnaires. Alors il faut évidemment

rémunérer le capital, ça je suis bien d’accord, mais quand on entreprend de façon sociale,

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c’est qu’on entreprend avec des objectifs complémentaires à celui-là. C’est comme ça que je

le définirait.

Michel Colpé: Note bien que je trouve qu’il y a des sociétés, je vais dire cotées en Bourse, où

la performance financière est importante, qui malgré tout peuvent être des entreprises…

Collaboratrice: Oui, mais disons l’objectif n’est pas que celui-là.

Michel Colpé: D’accord, oui oui.

Collaboratrice: Elles peuvent avoir cet objectif-là aussi.

Michel Colpé: Oui.

Collaboratrice: D’ailleurs dans notre secteur très limité, c’est permis aussi, le dividende est

permis, s’il est limité. Mais l’objectif de l’entreprise n’est pas que celui-là.

Michel Colpé: Et on ne met pas n’importe quel moyen en œuvre pour atteindre cet objectif, je

crois que la différence, elle est un peu là. Une entreprise, c’est un peu une caricature, mais,

met tous les moyens en œuvre pour gagner du fric, appelons les choses comme ça, alors

qu’une entreprise un peu sociale, aura peut-être un but de lucre, normal, mais n’utilisera pas

n’importe quelle ficelle, je dirais bien, tant au niveau de la gestion du personnel, que de ses

rapports avec ses fournisseurs, au niveau respect de la législation sociale, au niveau respect de

la législation fiscale, etc. Une entreprise peut jouer le jeu honnêtement.

Interview de Mme S. Mertens, professeur et directrice des recherches au CES – HEC-

ULg, le 30 juin 2010

Moi j’ai un background d’économiste, donc je vais plutôt utiliser la grille de lecture

d’organisation. Donc, pour moi, ce qui m’intéresse, en tous cas le regard que je vais porter,

c’est le regard,… quels types d’organisations regardons-nous, et donc je vais plutôt parler

d’entreprise sociale et ma définition de l’entreprise sociale, c’est toute organisation qui

appartient à l’économie sociale et qui peut être utilement regardée comme une entreprise.

Donc, pour moi, appartient à l’économie sociale toute organisation productrice de biens et de

services, entendu au sens très large, donc une école de devoirs produit des services, par

exemple, donc entendu au sens très large, en tout cas en tant que productrice, qui a une

finalité première qui n’est pas la recherche du profit pour les actionnaires et qui met en œuvre

un processus de gestion démocratique. Donc, ça pour moi c’est appartenir à l’économie

sociale. Alors on peut être regardée utilement comme une entreprise si, là je vais plutôt me

relier un peu aux critères d’EMES, de la définition d’EMES, en tous cas ceux qui

m’arrangent, je vais en tout cas dire, on sent une prise de risque, et on sent aussi la continuité

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d’un projet, et donc ça en principe ça nécessite d’avoir de l’emploi rémunéré. Donc, moi,

aujourd’hui, ce qui m’intéresse dans le paysage, si je dois dire ce sur quoi je vais travailler, ce

sont des organisations qui sont des ASBL, des sociétés à finalité sociale, des sociétés

coopératives reconnues par le CNC, des mutualités et des fondations, qui ont de l’emploi

rémunéré, je reconnais que les autres sont intéressantes mais moi aujourd’hui, j’ai envie de

surtout regarder celles qui ont de l’emploi rémunéré, qui créent de l’emploi, qui répondent à

des besoins pas très bien satisfaits pas les autres acteurs, qui innovent socialement, voilà.

Donc ça, c’est mon champ d’intérêt aujourd’hui. Maintenant, je reconnais que, on crée ici une

nouvelle filière de cours en gestion des entreprises sociales, et on se rend compte que, on va

donner un tas de cours de gestion sur ces types d’organisations, aussi bien en financement,

marketing, en gouvernance et que forcément, tout ce qu’on a à dire là-dessus est aussi en

partie pertinent pour, ce que moi j’appellerais des entreprises classiques qui sont dans une

démarche de RSE. Donc, je veux pas non plus dire « l’entreprise sociale vit en vase clos, et

n’a rien à dire en résonnance avec d’autres types d’entreprises », mais je n’appelle pas ça des

entreprises sociales, vous voyez, pour moi entreprise sociale, je reste dans l’économie sociale,

mais tout ce qu’il y a à dire d’intéressant sur l’entreprise sociale notamment du point de vue

de sa gestion, c’est pertinent également pour d’autres types d’entreprises, en particulier les

PME, qui ont parfois des pratiques de gestion très similaires à ce qu’on observe en entreprise

sociale, elles vont de facto avoir de la démocratie interne, elles ne cherchent pas

nécessairement une finalité de profit des actionnaires, elles vont surtout chercher par exemple

à donner de l’emploi à des gens proches d’elle-même, à bien faire leur métier avec de la

qualité et en ça elles peuvent très fort se rapprocher d’un souci porté par une entreprise

sociale. La distinction pour moi elle est claire, elle est: quelle est ma finalité première et quel

est le mode d’organisation ? Et sous-tendant ça, il y a le choix de la forme juridique, je pense

que le choix de la forme juridique n’est pas anodin, quand on choisit d’être une ASBL, c’est

un choix clair, quand on choisit d’être en SFS ou en société coopérative reconnue, il y a

quand-même le choix d’afficher des valeurs. Maintenant, pour moi, vraiment, il y a des PME

qui sont tellement proches, qu’on pourrait se dire qu’elles n’ont pas choisi la forme de la

société à finalité sociale parce qu’elles ne la connaissent pas, mais dans les faits, quand on va

regarder ce qu’elles font, c’est très proche. Voilà, donc, je reconnais qu’il y du flou, et que

quand je ne connais pas l’organisation, je ne la qualifie pas d’emblée d’entreprise sociale si je

sais qu’elle fait de la RSE, ça ne me suffit pas, mais quand je vais la regarder de près, je dois

reconnaître que parfois elle est très proche, et même parfois elle mettra plus en œuvre des

valeurs d’économie sociale. Donc voilà. Maintenant, pour peut-être donner un éclairage

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complémentaire, j’ai besoin moi d’une vision quand-même un petit peu tranchée, parce que

mon background aussi, c’est du travail des statistiques sur le secteur de l’économie sociale,

donc pendant 5, 6 ans, pour ma thèse de doctorat, j’ai dû donner les statistiques du secteur,

mais pour faire émerger des statistiques, il faut des critères clairs, une organisation est dedans

ou n’est pas dedans. Donc, j’ai dû utiliser la forme juridique, donc je suis fort marquée par ça,

je le reconnais, mais je me dis, donc ça reste ma grille d’analyse et ça ne m’empêche pas de

reconnaître de la proximité avec du développement local, des petites PME, et même parfois

avec des structures publiques, qui ont quand-même une grosse autonomie et qui se

rapprochent aussi de l’entreprise sociale, mais moi je pense que ça reste focalisé, au départ, en

tout cas, sur le noyau dur de l’appartenance à l’économie sociale. Alors, par rapport à, donc

entreprise sociale qui est pour moi le terme le plus pertinent, je reconnais aussi qu’il y a à

mettre en lumière, plus que ce ne l’était jusqu’à présent, l’entrepreneur, ou en tout cas le

processus d’entrepreneuriat, parce que je crois qu’on l’a pas assez regardé et que donc

aujourd’hui, on a envie de soutenir ce secteur et de faire en sorte que de nouvelles entreprises

sociales se créent, et on ne connaît pas bien les freins à ça, les éléments qui peuvent vraiment

soutenir la création de ce type d’entreprises, et donc je trouve qu’il faut aller voir à quoi

ressemblent les gens qui créent des entreprises sociales et essayer de comprendre les

processus de création ou de développement des entreprises sociales, mais pour moi, on va le

faire à partir de la définition d’entreprise sociale, je vais pas y venir… ma porte d’entrée n’est

pas l’entrepreneur idéaliste.

Interview de Mr A. Riedl, administrateur et cofondateur du Hub, le 17 juin 2010

Tout d’abord, on peut regarder ça de deux manières, au moins. D’abord la question de la

définition de termes bien connus, et par exemple en Belgique, l’économie sociale, c’est bien

défini, qu’est-ce que c’est, il y a tout un historique derrière et des définitions qui se sont

développées par le temps et qui ont aussi un label, une garantie si vous voulez, et

l’entrepreneuriat social, c’est beaucoup moins défini et l’innovation sociale aussi. Ou,

deuxième possibilité, on fait ça d’une manière plutôt associative, donc pour chaque personne,

probablement la définition sera différente. Et est-ce que aussi la question c’est « est-ce que

ces définitions qui seront l’une à côté de l’autre, est-ce qu’il y a des éléments qui vont

ensemble ou est-ce qu’ils ne sont pas vraiment au même niveau ? ». En tant qu’économiste, je

dis toujours les définitions comme ça c’est très difficile à faire. Et peut-être avec une réponse

un peu cruelle, je dirais les entrepreneurs souvent, ils s’en fichent des définitions. Donc, nous,

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on voit plutôt le côté pratique, si le chat est blanc ou noir, c’est pas grave, du moment qu’il

attrape la souris. Et donc, quel est l’objectif, quelle est la souris, si vous voulez ? C’est de

régler un problème sociétal, pour aboutir à trouver des moyens innovateurs, ou qui n’ont pas

encore été mis en œuvre, par exemple ici en Belgique, pour approcher ce problème sociétal ou

social. Voilà, ça c’est notre objectif, par exemple du Hub et moi-même aussi. Et voilà, comme

résultat, on peut avoir de l’entrepreneuriat sociétal, on peut avoir des entrepreneurs sociétaux,

mais on peut aussi avoir les structures de l’économie sociale, qui s’attaquent à ces défis

sociétaux. Mais le plus important, par exemple pour nous, pour le Hub, c’est vraiment

l’entrepreneuriat, donc l’activité d’une personne ou d’un groupe de personnes, qui ont tous les

critères, qui remplissent tous les critères de l’entrepreneuriat, donc proactivité, défis, prendre

du risque, tout ça, vous pouvez regarder la définition dans le dictionnaire, etc. Et aussi, la

créativité, donc créer quelque chose qui est nouveau, et nouveau ça veut dire innovation par

rapport à ce qui existe déjà. Donc, je pense, ça, si on veut créer une distinction entre, par

exemple, le terme économie sociale et entrepreneuriat social, je pense évidemment, les

facteurs de différenciation, c’est l’entrepreneuriat, la créativité et la création de quelque chose

de nouveau, et aussi le changement d’un statut quo qui est existant, et aussi le challenge du

statut qui existe déjà. Moi, ce n’est pas vraiment dans mon intérêt de dire il y a l’un ou l’autre

ou je préfère l’un à l’autre, mais maintenant, c’est peut-être un point de vue plus personnel, je

trouve les gens qui disent il y a l’économie sociale, et nous on fait partie de l’économie

sociale, souvent, on a l’impression que c’est un peu un monde qui existe mais qui n’est pas

très dynamique et qui est souvent vu un peu comme économie d’insertion, les structures

existantes, travailler avec des subsides, même si c’est seulement une image qu’on a et que

c’est pas du tout vrai, et donc, par exemple, de nouvelles structures comme le Hub, qui

arrivent ici assez récemment, évidemment nous, on n’a pas de problème pour remettre aussi

en question certains modes de fonctionnement de l’économie sociale classique, si on voit qu’il

y a certaines manières où on trouve que ce n’est pas assez dynamique, ou qu’on ne veut pas

travailler avec beaucoup de subsides, ou que entrepreneuriat social, ça veut aussi dire prendre

un risque, même si une entrepreneur peut échouer dans son approche. Voilà, je ne pense pas

avoir tout à fait à 100% répondu à la question jusque maintenant, mais maintenant, mais je

pense c’est plutôt mes associations personnelles par rapport à ça, et je suis … J’ai toujours eu

des problème avec les définitions et les définitions sont très bien, mais il ne faut pas non plus

aller dans une discussion perpétuelle, si on n’est pas d’accord sur certaines choses, il faut les

prendre comme elles sont, mais pour moi, comme entrepreneur social, le plus important, c’est

la résolution des problèmes, et non pas les définitions et les manières, du moment que ça

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respecte le point de vue éthique tout ça, ce qui est tout à fait ce qu’on fait au Hub, dans le

cadre de l’entrepreneuriat social ici en Belgique, voilà. Donc, c’est un individu, un groupe de

personnes qui font des choses ensemble et sont vraiment déterminés d’y arriver, plutôt qu’une

organisation un peu vague avec un certain historique qui est peut-être positif, mais

entrepreneuriat ça veut aussi toujours dire mettre en question beaucoup de choses qui existent,

et essayer de nouvelles pistes pour résoudre ce problème. Et quand on pense entrepreneuriat,

un entrepreneur est toujours confronté au risque, et donc nous on, disons le Hub, une question

primordiale, c’était comment on peut diminuer ce risque ? En les encadrant ici, où ils peuvent

voir d’autres personnes, où ils peuvent s’échanger des informations, les tuyaux, les

possibilités de financement, l’entraide aussi. Entrepreneuriat, ça veut aussi souvent dire être

seul, comme individu ou dans un groupe, et être seul confronté à tous ces défis, et je pense si

on travaille tous pour un meilleur monde, pourquoi ne pas travailler ensemble pour ce

meilleur monde, et l’entraide, être en dehors de cette isolement qui existe souvent.

Interview de Mme A. de le Court, partner support officer à la Fondation Philippson, le

29 juin 2010

Nous, on utilise plutôt le terme d’entrepreneur social, donc nous, on soutient des

entrepreneurs sociaux en Afrique centrale et en Afrique de l’Ouest. Et par entrepreneur social,

on entend des gens qui ont toutes les qualités d’un entrepreneur classique, donc une vision

très claire d’une solution à apporter à un problème, des capacités de leadership, des capacités

de mobilisation de ressources, mais qui ont un objectif social, donc les qualités de … oui, de

ce qu’on appelle un entrepreneur qui pourrait lancer une boîte commerciale, mais ici pour

nous, l’entrepreneur social à un objectif social et ce sont, là dans les personnes que nous

soutenons, ce sont des personnes qui sont à la tête d’organisations, d’associations, donc ce ne

sont pas des entreprises en tant que telles, donc ce sont des organisations qui sont à majorité

subsidiées, mais pour nous un entrepreneur social, donc, peut être à la tête d’une organisation

qui est 100% subsidiée, donc pas autofinancée, mais en tout cas, il a l’intention et il mène une

réflexion pour essayer de s’autofinancer. Donc, cette dimension est importante, mais disons

que pour nous c’est vraiment la personnalité, on attache une importance à la personnalité de la

personne, c’est ce qui fait qu’on va qualifier d’entrepreneur social ou pas, et donc, là dans les

personnes que nous soutenons, tous ont une activité génératrice de revenus qui finance en

partie leur organisation mais pas à 100%. Et certains n’ont pas encore cette activité mais sont

dans la réflexion et dans la mise sur pied d’une activité qui permettra de s’autofinancer, donc

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c’est plutôt dans cet objectif d’autonomie. Ce sont des gens aussi qui… pour nous un

entrepreneur social, c’est quelqu’un qui a une certaine indépendance, qui veut faire bouger les

choses, qui ne veut pas être dépendant ad vitam aeternam, donc de subsides, donc voilà, je

sais qu’il y a certaines… enfin si on parle maintenant du social business, ben je pense que

c’est vraiment des entreprises sociales 100% autofinancées, rentables, donc nous, on ne

l’entend pas dans ce sens-là. Ca pourrait, mais voilà, nous, l’entrepreneur social, et… enfin ici

(elle me donne le rapport annuel de la Fondation), on décrit aussi ce qu’on entend par

entrepreneur social, donc (elle lit) « avant tout quelqu’un qui veut faire bouger les choses,

dans son village, sa région, son pays, une personne enthousiaste, expérimentée, déterminée à

améliorer concrètement et durablement la vie de ses compatriotes », donc ce sont vraiment

des gens plein d’ambition, qui ont ça dans les tripes. On fait une différence entre

l’entrepreneur social et le bon gestionnaire entre guillemets, qui est un bon gestionnaire, qui a

son projet, qui le réalise, qui fait ça très bien, mais qui n’a pas d’ambition, qui n’a pas de

vision, pour vraiment transformer les choses et aller plus loin. Pour nous, un entrepreneur

social, c’est quelqu’un qui n’arrête jamais et qui, oui, qui a vraiment beaucoup d’ambition et

un objectif de transformation sociale. Et pour nous une entreprise sociale, ça peut être une

organisation qui est 100% subsidiée.

Interview de Mme S. Bacq, doctorante et chercheuse au CRECIS, Louvain School of

Management (UCL), le 2 juillet 2010

Pour moi, l’entrepreneuriat social, c’est l’ensemble des individus et des organisations qui

allient la conduite d’une mission sociale, la recherche d’une plus–value sociale avec la

réalisation d’un modèle économique viable, pérenne. Je dirais qu’au niveau, donc vraiment un

double objectif, une double conduite d’activités, à la fois sociales et économiques. Au niveau

du social par contre, j’utilise le mot social mais pour moi, ça peut inclure des objectifs

environnementaux, donc plus dans le sens sociétal comme on dirait en français, et ça peut tout

à fait inclure des services, de la fourniture de services sociaux comme on a l’habitude d’en

parler, donc faire travailler des personnes handicapées, au chômage, ex-prisonniers, etc. ou

alors aller vers des buts plus environnementaux, peut-être plus abstraits que la relation directe

qu’avec des personnes défavorisées. Et au niveau du modèle économique, là j’ai pas de

recette miracle, mais quand on dit modèle économique, c’est un modèle qui se base donc sur

des activités marchandes, donc qui utilisent les règles du marché pour faire fonctionner

l’entreprise qui a cette mission sociale. Par contre, je ne suis pas contre, enfin dans mon

Page 96: « Analyse des conceptions de l’entreprise sociale en Belgique francophone. Étude exploratoire »

96

utopie, contre avoir un minimum de subsides, au début, à la création, c’est vrai que les PME,

en général, elles reçoivent aussi des, les PME classiques, traditionnelles, économiques,

financières, ou en tout cas non sociales ou non sociétales, elles reçoivent aussi pas mal de

subsides, mais pour moi ça doit se limiter à la phase de start-up.

Page 97: « Analyse des conceptions de l’entreprise sociale en Belgique francophone. Étude exploratoire »

97

Annexe B: Questionnaire

Pour répondre à ce questionnaire, veuillez indiquer dans quelle mesure vous êtes d’accord ou non

avec les propositions énoncées. Pour cela, cochez une seule case par proposition. Si la proposition

correspond tout à fait à ce que vous pensez, cochez la case 5 à la droite du tableau (tout à fait

d’accord). Si la proposition ne correspond pas du tout à ce que vous pensez, cochez la case 1 (pas du

tout d’accord). Les cases 2, 3 et 4 vous permettent de nuancer votre réponse par des positions

intermédiaires (plutôt pas d’accord, sans avis, plutôt d’accord). Il est important que vous répondiez à

toutes les questions, même si certaines d’entre elles vous semblent répétitives. Si pour vous le terme

« entrepreneur social » n’est pas adéquat, considérez-le comme un synonyme de « initiateur » ou

« porteur de projet » d’entreprise sociale. Si pour vous le terme « entreprise sociale » n’est pas

adéquat, considérez ce terme comme l’activité entreprise par un entrepreneur social.

Données personnelles:

Nom et prénom:

Structure dans laquelle vous travaillez:

Votre rôle au sein de cette structure:

Pas du tout

d’accord

Plutôt pas

d’accord

Sans avis

Plutôt

d’accord

Tout à fait

d’accord

Dans quelle mesure êtes-vous d’accord (ou non) avec les affirmations suivantes ?

1 2 3 4 5

1. Une entreprise sociale est active dans la production de biens et/ou la fourniture de services, et cela de manière continue.

2. L’activité marchande d’une entreprise sociale n’est pas forcément en lien avec sa mission sociale et peut être seulement une source de revenus pour financer celle-ci.

3. L’activité de production d’un bien ou d’un service d’une entreprise sociale est directement en rapport avec sa mission sociale.

4. L'entrepreneur remplit sa mission de création de valeur sociale par le développement d'une innovation sociale.

Page 98: « Analyse des conceptions de l’entreprise sociale en Belgique francophone. Étude exploratoire »

98

Pas du tout

d’accord

Plutôt pas

d’accord

Sans avis

Plutôt

d’accord

Tout à fait

d’accord

Dans quelle mesure êtes-vous d’accord (ou non) avec les affirmations suivantes ?

1 2 3 4 5

5. L’innovation sociale est un aspect essentiel dans une entreprise sociale.

6. La mission centrale d’une entreprise sociale est le service à la collectivité ou à un groupe particulier.

7. Un entrepreneur social cherche à réduire les besoins sociaux plutôt que de les satisfaire. En d’autres mots, il cherche à résoudre les causes des problèmes sociaux plutôt que de s’attaquer aux conséquences de ceux-ci.

8. Une entreprise sociale a un objectif de développement de la démocratie dans la sphère économique.

9. Un entrepreneur social cherche toujours une solution créative aux problèmes sociaux.

10. La créativité est une des qualités essentielles d’un entrepreneur social.

11. Une entreprise sociale est créée par un groupe de personnes, et il est important qu’une dynamique collective perdure au sein de l’entreprise sociale.

12. Dans une entreprise sociale, le leadership de l’entrepreneur social est central.

13. Quand on parle d’entrepreneuriat social, cela peut impliquer un individu en particulier mais aussi un groupe, une organisation, un réseau, un mouvement ou une alliance d’organisations.

14. Une entreprise sociale met en œuvre une gestion participative, et cela de manière formelle ou informelle.

15. Une entreprise sociale met en œuvre le principe « un membre, une voix » dans ses instances de décision.

16. Une entreprise sociale met en œuvre de manière statutaire un mode de gouvernance démocratique.

17. Une entreprise sociale est indépendante des pouvoirs publics, même si elle reçoit des subsides.

Page 99: « Analyse des conceptions de l’entreprise sociale en Belgique francophone. Étude exploratoire »

99

Choisissez parmi les 28 propositions les 5 propositions qui représentent pour vous le mieux une entreprise sociale et hiérarchisez-les:

1. Proposition numéro … 2. Proposition numéro … 3. Proposition numéro … 4. Proposition numéro … 5. Proposition numéro …

23 Cette affirmation teste un indicateur EMES. Si quelqu’un n’est pas du tout d’accord avec cette proposition (1),

il/elle est tout à fait en accord avec EMES. C’est pourquoi nous l’avons encodée « à l’envers »: si la réponse est

1, nous avons encodé 5 et inversement. De même si la réponse est 2, nous avons encodé 4 et inversement.

Pas du tout

d’accord

Plutôt pas

d’accord

Sans avis

Plutôt

d’accord

Tout à fait

d’accord

Dans quelle mesure êtes-vous d’accord (ou non) avec les affirmations suivantes ?

1 2 3 4 5

18. Trois types de ressources peuvent être importants pour une entreprise sociale : les ressources marchandes, les subsides publics et les ressources volontaires (dons, bénévolat).

19. Les alliances entre l’entreprise sociale, le secteur privé à but lucratif et/ou le secteur public favorisent l’innovation sociale.

20. Une entreprise sociale évite au maximum les subsides publics et les dons afin de ne dépendre que d’elle-même.

21. Une entreprise sociale vise l’autofinancement par ses activités marchandes.

22. Les initiateurs d’une entreprise sociale prennent un risque économique et l’assument au moins en partie.

23. Le risque économique se mesure à l’importance de l’activité marchande23.

24. Pour assumer le risque économique, il faut trouver des ressources marchandes et/ou non marchandes.

25. Une entreprise sociale doit se professionnaliser en faisant appel à des méthodes du monde marchand.

26. Les profits d’une entreprise sociale sont soit réinvestis dans l’activité de l’organisation, soit distribués entièrement aux actionnaires ou membres.

27. Une entreprise sociale est caractérisée par une interdiction totale de distribuer son profit.

28. Pour être entreprise sociale, une organisation doit adopter un statut juridique qui limite la redistribution des profits.

Page 100: « Analyse des conceptions de l’entreprise sociale en Belgique francophone. Étude exploratoire »

100

Annexe C: Résultats du questionnaire

Co

nce

rtE

S

Ato

ut

EI

Cré

da

l

Tri

od

os

RE

S

So

wec

som

CE

S

Th

e H

ub

F.P

hil

ipp

son

CR

EC

IS

Approche EMES 1. L’activité de production d’un bien ou d’un service d’une entreprise

sociale est directement en rapport avec sa mission sociale. 2 3 5 4 4 3 2 4 4 4

2. Une entreprise sociale a un objectif de développement de la démocratie

dans la sphère économique. 5 5 5 4 5 5 3 3 2 3

3. Une entreprise sociale est créée par un groupe de personnes, et il est

important qu’une dynamique collective perdure au sein de l’entreprise

sociale. 4 5 4 4 4 5 3 2 1 1

4. Une entreprise sociale met en œuvre une gestion participative, et cela de

manière formelle ou informelle. 5 5 5 4 4 4 3 4 2 1

5. Une entreprise sociale met en œuvre le principe « un membre, une voix »

dans ses instances de décision. 4 4 5 4 4 4 3 4 2 1

6. Une entreprise sociale met en œuvre de manière statutaire un mode de

gouvernance démocratique. 4 5 5 4 5 4 4 4 3 1

7. Une entreprise sociale est indépendante des pouvoirs publics, même si

elle reçoit des subsides. 4 2 5 2 4 4 5 5 5 5

8. Trois types de ressources peuvent être importants pour une entreprise

sociale : les ressources marchandes, les subsides publics et les ressources

volontaires (dons, bénévolat). 4 4 5 4 4 4 5 5 5 1

9. Le risque économique se mesure à l’importance de l’activité marchande. 5 2 4 4 2 3 4 2 4 1

10. Pour être entreprise sociale, une organisation doit adopter un statut

juridique qui limite la redistribution des profits. 5 5 5 1 3 5 5 4 2 1

Total 42 40 48 35 39 41 37 37 30 19

Moyenne 4,2 4 4,8 3,5 3,9 4,1 3,7 3,7 3 1,9

Social innovation school of thought

1. L’activité de production d’un bien ou d’un service d’une entreprise

sociale est directement en rapport avec sa mission sociale. 2 3 5 4 4 3 2 4 4 4

2. L’innovation sociale est un aspect essentiel dans une entreprise sociale. 2 5 4 2 4 4 5 4 2 4

3. Un entrepreneur social cherche à réduire les besoins sociaux plutôt que de

les satisfaire. En d’autres mots, il cherche à résoudre les causes des

problèmes sociaux plutôt que de s’attaquer aux conséquences de ceux-ci. 2 5 5 3 4 4 2 4 5 5

4. La créativité est une des qualités essentielles d’un entrepreneur social. 4 5 4 4 4 4 5 5 5 5

5. Dans une entreprise sociale, le leadership de l’entrepreneur social est

central. 4 5 5 5 2 4 5 4 5 4

6. Trois types de ressources peuvent être importants pour une entreprise

sociale : les ressources marchandes, les subsides publics et les ressources

volontaires (dons, bénévolat). 4 4 5 4 4 4 5 5 5 1

7. Les profits d’une entreprise sociale sont soit réinvestis dans l’activité de

l’organisation, soit distribués entièrement aux actionnaires ou membres. 2 1 2 4 4 1 5 5 5 5

Total 20 28 30 26 26 24 29 31 31 28

Moyenne 2,9 4 4,3 3,7 3,7 3,4 4,1 4,4 4,4 4

Social enterprise school of thought

1. L’activité marchande d’une entreprise sociale n’est pas forcément en lien

avec sa mission sociale et peut être seulement une source de revenus pour

financer 4 4 1 4 3 4 4 4 2 2

2. Une entreprise sociale est indépendante des pouvoirs publics, même si

elle reçoit des subsides. 4 2 5 2 4 4 5 5 5 5

3. Une entreprise sociale évite au maximum les subsides publics et les dons

afin de ne dépendre que d’elle-même. 2 4 4 1 4 3 1 4 4 5

4. Une entreprise sociale vise l’autofinancement par ses activités

marchandes. 4 5 4 2 4 4 1 4 2 5

5. Une entreprise sociale doit se professionnaliser en faisant appel à des

méthodes du monde marchand. 2 3 4 5 5 5 2 5 5 5

6. Une entreprise sociale est caractérisée par une interdiction totale de

distribuer son profit. 2 2 2 1 1 2 1 2 2 1

Total 18 20 20 15 21 22 14 24 20 23

Moyenne 3 3,3 3,3 2,5 3,5 3,7 2,3 4 3,3 3,8