6 le connÉtable de bourbon. soie de même couleur, marchaitrapidement le lon g des murs et semblait...

348

Upload: others

Post on 17-Jul-2020

0 views

Category:

Documents


0 download

TRANSCRIPT

UN soir du mois de j uin 4522 après l e

couvre-feu sonné au m i lieu du silence

qui planai t sur les pavés déserts de la rue

Saint-Antoine,à Paris , une femme mas

quée d’ un cachelet de velours noi r, et enve

loppée des pieds à la tête dans un manteau de

6 LE CONN ÉTABLE DE BOURBON .

soie de même couleur , marchai t rapidement

le long des murs et semblait de plusen plus

hâter le pas se retournant par in tervalles,

comme si elle craignai t d ’

être poursuivie ou

surveillée . A quelque distance derrière elle,

un homme , également roulé dans son man

teau cheminai t sans mot dire,réglant sa

marche sur la sienne , s’

arrêtan t lorsqù’

elle

s’

arrê lai t et rabattant sur ses yeux son

chapeau emplumé de crainte sans doute

d’

être reconnu .

Au détour d ’

une pètite rue la dame

poussa un cri d ’

efi'

roi . E lle venai t de

tomber parm i une troupe de laquai s

ivres qui agitant au tour d ’elle leurs tor

ches fuman tes à demi éteintes voulaient

à tou te force l’

obliger à les su ivre à l’

hôtel

de monsieur Chabot de Brion, pu îné de

{

LA mscm cu . 7

la maison de Jarnac et favori du ro i , où

i ls allaient attendre leurs maî tres engagés

dans une partie d’

hombr‘

e pour la nui t .

Au cri de la dame , l’homme u n manteau

s’

approcha e t , p renant par les orei lles le

chef de la bande avinée , i l l ui enjoîgn it ,

d’ un ges'

te impératif d ’

avoir à passer outre .

Les laquais —se découvrirent respectueuse

ment devant le muet personnage qu i venai t

de se révéler à eux d ’une façon s i éner

g ique ,et ils s’enfu iren t comme

/u ne volée

de moineaux . La dame ains i dél ivrée , se

confondi t -en remerciemens, puis elle sol

l ici ta de son libérateur la permission‘

de se

retirer. Celui-ci réclama pour récompense

de son service la faveur de soulever le

masque de la belle voyageuse qu i , toute

tremblante , refusa par deux fois d’

accor

8 LE CONN ÉTABLE DE BOURBON .

der ce qu ’on lui demandait . L’homme

insi sta avec plus d ’

instance , en j urant ses

grands dieux qu ’ i l serai t discret . Nouveau

refus plus obstiné encore que la sollici ta

t ion .

Hé bien di t le caval ier en saisissan t

la dame par la main puisque vous persis

tez dans votre si lence , il faudra donc que

ce so i t moi qu i vous dise ce que vous venez

chercher ici . Ne vous appelle-t-ou pas

Su zanne de Langenfeld fille d’un capitaine

allemand employé à cette heure à recruter

de l ’ autre côté du Rhin des lansquenets

pour monsieur le connétable de Bourbon ?

0 C iel ! fit la dame masquée .

N’

appartenez- vous pas en qual i té de

dame d’

honneur , à madame Louise de

LA msomxcu . 9

Savoie,duchesse d ’

Angoulême mère de

notre roi François , premier du nom

Monsieur

N ’

etes-vous pas mar l ee depuis deux

mois à un j eune gentilhomme du Bour

bonnais ,nommé Ponthus de Saip t

-Ro

main ?

Mon Dieu,assistez-moi ! murmura la

pauvre femme en s’appuyan t contre l’

angle

d ’un mur .

Ce soi r vous avez j eté une mante sur

vos épaules mis un masque sur votre vi

sage, et , sortant de l

’hotel des Tou rnelles à

la dérobée sans même un laquais à votre

suite , vous voici à neuf heures du soi r au

bout de la rue Saint-Antoine exposée aux

insultes des voleurs de nui t et des coureurs

{0 LE CONNÉ TABLE DE BOURBON .

d’

aventures ; vous voici , j eune épouse à

qui l’

amour tourne la tête cherchant un

homme que vous aimez et cet

ce n ’est pas votre mari !

La dame , à ces mots,tressai lli t de

tous ses membres ; son implacable inÏer

locuteur continua

Cet homme , c’

est le connétable de

Bourbon un prince du sang royal le pre

mier de France après le roi . C ’est votre

amant,Madame et i l ari*ive ce soir à Pa

ris de sa ville de Mouliùs en Bourbonnais .

Vou s vous impatientez de son re tard,et

vous allez l ’attendre dans cette maison que

voici laquelle appartient à quelqu’

un de

sa su ite . Rel‘

userez —vous maintenant de me

faire votre confidence

Monsieur de Bonn ivet! s’écria la dame

LA D I SGRACE . 4 4

en arrachant son masque,monsieur de

Bonn ivet , ne me perdez pas !

L’homme au manteau cessa de ca

cher son visage . C’

était en effet Guillaume

Gou ffier , amiral de Bonn ivet l ’un des fa

vori s de François 11 souri t doucement

de la terreur qu ’ i l i nspirait .

Suzanne de Saint-Romain étai t une prme

digne de grossi r la liste des conquêtes de l ’ a

miral . Sa figure ovale encadrée de soyeux

cheveux bruns , ses longs yeux noirs pleins

de mélancolie , son espri t sa grace,le

charme indéfin issable répandu dans sa per

sonne tout contribua it à exciter les désirs

du muguet le plus vain qui fût à l’hôtel des

Tournelles . I l est vra i , qu’ i l avai t à lutter

contre un dangereux rival . Mais i l lui im

portai t peu d’

être a imé de ses maîtresses ;

42 ma CONN ÉTABLE DE BOURBON .

ce n etai t pas à leur cœur qu l l s’

adressai t .

Ou se souvient que ce même personnage

ose, une nu it comme le roi François Ie r et

sa suite avaient accepté u n logis en son

château de Bonn ivet , s’

in trodu ire par une

trappe dans la chambre de Marguerite de

Valoi s , duchesse d’

Alençon sœur de son

souverain . La duchesse n’

échappe à cette

audacieuse entreprise qu’

avec l’

aide de ses

dames d ’

honneur. La vani té du favor i n ’

au

rai t sans doute pas été moins flattée de

supplanter le connétable de Bourbon ou

près de madame de Saint—Romain .

Madame,lui di t- i l avec une poli tesse

afi‘

ectée , jehaismonsieur deBourbon de tout

mon cœur,c’est vrai ! 11 me le rend sans

marchandcr,c ’est encore vrai . Mai s la ga

laul erie comme la guerre a ses lo is .

LA D I SGRACE . 43

Vous n etes pas mon j uge Monsieur ,

soupira Suzanne ; i l faut pourtan t que vous

m’

écou tiez .Vouspouvezmeperdre,aumoius

vous ne me calomnierez pas . Ou i j e viens

ici chercher monsieur le connétable ! Oui , j e

l ’aime ; mais d’

un amour trop saint et trop

pur pour avoir donné à qui que ce soi t le droi t

de memépriser.Êt comment ne l ’aimerais-je

pas? Dès que mes yeux se sont ouverts au

jour , c’est le premier visage dont i ls aient

vu le souri re . Traînée tout enfant à travers

les camps d ’

Italie, privée de ma mère ,

hélas ! que j e ne connus j amais,j e fus

amenée par mon père au château de Mou

lins , chez monsieur le duc de Bourbon , où

j e grandis sous la protection demadameSuzanne de Beauj eu ,

sa femme , qu i me

donna son nom pour la grande amitié

qu’

elle me portai t . La mort vint trop tôt

4 4 LE CONN ÉTABLE DE BOURBON .

me priver de ma bienfaitrice et m’

appren

dre que le sentiment de la reconnaissance

n’

étai t pas le seul qui pût faire battre

mon cœur. Quelle femme eût rési sté au

bonheur de se voir a imée d’un héros que

l’

Europe admirai t déjà à l’

äge où l’ on sai t

à peine ce que c’ est que la gloire ? Je le fis

pourtant , moi . Je voulus conserver chaste

et pure cette noble passion dont le souve

nir n ’aura j amais pour moi de pensées

amères u i de nuits sans sommeil . Je quit

tai le château de Moulins. Je vins à Paris,

où madame d ’

Angoulême , mère du roi ,

m’

accueillit parm i les femmes de sa sui te .

Un eu s’est passé depui s ce jour ,

Madame,i nterrompi t l ’amiral , et je dois

avouer que depuis un en vous donnez à la

cour le scandale iuoui d’ une i rréprochable

LA D I SGRACE . 1 5

vertu . Je vous en veux pour le mauvais

exemple .

Ce fut là poursuivi t la dame,que j e

rencontrai,monsieur de Saint-Romain

un des gentilshommes d u connétable , qui

m’

avaitdéjà vue àMou l ins.Un ordre de mon

père et de madame d ’

Angou lême le rendi t

mon époux avant que j’

eusse eu le temps

de'

résister à la violence que l ’ on faisai t à

mes affections . Depuis ce j our , j e cessai

même de correspondre avec monsieur le

duo qu i d’

ailleurs , passe toute cette ou

née dans son gouvernement de Languedoc .

Maintenant Monsieur , vous savez tout .

Bonn ivet con temple quelque temps cette

belle coupable qui frémissa i t sous son re

gard . 11 la rassure par ces mots

Puis —je vous condamner , Madame ,

'1 6 LE CONNÉTAB LE DE BOURBON .

pour une faute que j e voudrais prendre

sur ma conscience au risque de la

damnation ? Non ,vous n

êtes pas plus

orxmmelle à mes yeux que notre belle

comtesse de Châteaubriant que les es

pri ts chagrins appellent la maîtresse du

roi et que nous nommons , nou s autres ,

le solei l de la cour de Frânce ' Tout an plus

si madame Margueri te trouvera it ic i la ma

tière d’

un de ces contes moqueurs dont

elle égaie les matinées des Tournelles . Qu i

vous blâmera it , après tout , de ne pas aimer

votre mañ un sauvage genti lhomme de

province , assez bon courtisan cependant

pour ne point s’apercevoir des prévenances

et des assidui tés dont monsieur le duc , son

protecteur , vous environne sous ses yeux .

Sur ma paro le vo i là ce qui s’appelle une

habi le ingénu i té ,

et cette paisible igno

L A D I S GRACE . 1 7

rance de monsieur de Saiut-Romain cache

une sci ence profonde dont j e lu i env ie tou t

le premier le secret .

Monsieur Monsieur s’

écria Suzänue,

vous calomniez le plus noble: des hommes

qui soi t au monde ! Je vous le répète ,

monsieur de Saint—Romain n’ a j amais rien

Les faveurs du connétable, Madame ,

l ui ont sans doute paru un hommage na

turel rendu à ses mérites inconnus j us

qu’

alors.

Monsieur ! in terrompit Suzanne avec

digni té j’

estime mon mari ; j e l’estime

et j e veux l’eimer

Et vous di tes insinua l ’am iral avec

cet ai r enjoué qui lui servai t si bien auprèsI . 2

1 8 L E CONN ÉTABLE DE BOURBON .

des femmes de la cour , vous di tes que

c’

est pour causer de votre conversion que

vous avez rendez— vou s ce soi r avec mon

sieur le connétable

J ’ai désiré le voi r une d6Pfl l€ l‘8 foi s ,

Monsieur , repri t Suzanne en rougi ssant ,

une dernière fois j e vous j ure . Le brui t

de son mariage avec madame d’

Angoulême

n ’a—t— i l pas couru de nouveau? Ne dit-ou pas

que l ’auguste mère de François I‘*r va rap

procher du trône celui que son indifférence

pour elle en avai t si long— tenips éloigné?

Si,comme on l ’assure ,

les années n’out

pas affaibl i l’ amour dans le cœur de cette

fière souveraine , j e verrai sans déplai si r

monsieur le connétable faire à sa fortune le

sacrifice des sen timens de son coeur .

Je crois,d i tBonn ivet qui hausse la voix

LA D I SGRA CE . 49

en tournant la tête vers le sombre auvent

d’

une boutique où l ’on pouvai t apercevoir

quelque chose se mouvoir au mil ieu des

ténèbres , j e crois que le j our de cette bien

heureuse union ne se lèvera pas encore avec

le solei l de demain ..

Qui le sai t , Monsieur ? Je veux être

la première à complimenter monsieur de

Bourbon . Quoique j e n ’a ie pas à rougir d’

une

l iaison qui fut touj ou rs honorable,songez

que j e serai s perdue si madame la duchesse

venai t à la découvrir . Une reine qui aime

n’

épargne pas une rivale . Permettez qu’ en

vous qui ttant j e mette mon honneur sous

la sauve-garde de votre discrétion .

Elle ne saurai t , ma foi ! être mieux

placée , cria l’

am iral en éclatant de ri re .

Au même instant,une autre femme , ao

2*

20 LE CONNÉTABLE DE BOURBON .

compagnée d’ un viei llard et de deux laquais

armés , sorti t des profondeurs de l’

auvent où

elle s’é tait tenue cachée .

Blême de colère , elle s’

approcha de

Suzanne et l ui saisi t le bras avec force .

La duchesse d ’

Angou lême ! Je suis

perdue ! balbutia la pauvre j eune femme en

se voilant le vi sage de ses deux mains .

L ’amour malheureux de la mère de Fran

çois 1er pour son cousin Charlesde Bour

bon , ses j alousies et ses vengeances révé

lées dans plus d’une occasion mémorable

sa puissante influence son ascendant ill i

mité sur le roi son fils annonçaién t à ma

dame de Saiu t-Romain combien sa posi tion

étai t fâcheuse . La présence d’

An toine Du

prat auprès de la duchesse ne prés:ægeuit

22 L E CONN ÉTAB LE DE BOURBON .

e lle d ’une voix saccadée et profonde . Point

de faux sermens ! point de parju re ! J ’etais

là cachée pour vous entendre . Vous avez

donné dans un piège !

Ah ! Monsieur ! fit Suzanne en j etant

un regard de désespoir à celu i qui l ’avai t

l ivrée ; ah ! Monsieur ! c’ est une indigne

trahison !

Une trahison ? réplique l a duchesse ;

n’est- ce pas vous di tes qu i trahi ssez vos

devoirs ? après deux mois de mariage ,

femme sans foi et sans pudeur ! Et moi , neme trahissez - vous pas aussi ? Malheur à

vous ! Monsieur le chancel ier Duprat !

A cet ordre , le viei llard , qui se tenai t res

pectueusement derrière la duchesse , s’

e

vance Madame d ’

Angou lême poursu ivi t

LA mscm cu . 23

Afin que cette femme ne s imagine

plusque ce préæ ndumariageen tremonsieur

le connétable et moi existe autre perl

que dans la cervelle de quelques fous j’

a

d0pte tous les plans que vous m’

avez pro

posés . Je vous somme d ’

intenterdema in une

action devant le parlement de Paris,au nom

du roi et au mien , contre monsieur de Bour

bon à cette ñu qu ’ i l resti tue la succession

de madame Suzanne de Beaujeu , sa femme ,

c’est-à-dire tout ce qu ’ i l possède !

Puis se tournant vers Suzanne

Ou i , Madame , d’un mot j e pu is faire

que ce somptueux connétable soi t demain

aussi pauvre que le dernier genti lhomme deses terres . N

’est- i l pas vrai,monsieur le

chanceüer?

—'Vous le pouvez , Madame , dit le chan

24 LE CONNÉTABLE DE BOURBON .

eelier Duprat . Les biens de la duchesse

Suzanne reviennent légi timement à l’État

et à vous ainsi que nous le prouverons en

temps et l ieu , et par actes authent iques .

Vous l’entendez

Vous ne le ferez pas , Madame , ha

sarda la j eune femme en levant tim idement

les yeux .

Sur mon honneur ! j e le ferai . Nous

verrons commen t son orguei l portera la l i

vrée de la misère ! E t , attendu que c’est

i nj ustement que monsieur de Bourbon s’ est

emparé des duchés , comtés , vicomtes et

seigneuries de notre cousine de Beaujeu

j’

insiste , monsieur le chancel ier , pour

qu ’en appelant la cause les t itres de duc

de Bourbonnais et d ’

Auvefgue so ient rayés .

LA mscm ca . 25

Ê tes-vous bien persuadée , mainte

ñant , que j e ne veux point épouser votre

connétable

En toute au tre c i rconstance Suzanne

se fût abandonnée , san s même chercher à

parer le coup qu’ on lui portai t , à la ven

geance de cette femme dont elle connais

sai t le caractère implacable ; mais cette fois

ce n ’

était pas seulement sa vie qu’ i l s’agis

sait de défendre : c’

étaient la vie et la for

tune d’

un homme qu’elle admirai t et qu’ elle

aimait . Le péri l retrempa son audace . Elle

voulut concentrer sur elle-même toute la

responsabili té de sa faute .

Si j ’ai commis un crime , Madame , voici

mes mains,di t- elle faites— les l ier ; voici ma

tête, ordonnez qu’elle tombe voici mon

corps etmon âme, torturez-les à votre plai

26 LE CO NNÉ '

IÏABLE DE BOURBON .

si r . J ’a i pu follement aimer ce que j e de

vais respecter ; mais qu’

un grand prin ce

issu du sang royal, qu

un héros que Dieu

a couvert,comme d’ un manteau

,des rayons

de toutes ses gloi res , se soi t abaissé j usqu’

à

l ’amour d ’ une pauvre inconnue jusqu’

à la

fille d’ un obscu r capitaine de ses lansque

nets , voilà ce qu i n’est pas possible et ce

que vous ne croyez pas,Madame . Mesurez

d’un coup d ’

œ i l l ’abime qui nous sépare !

Lu i au sommet du pic qu i s’élève -dans les

nuages ! et moi au plus profond du gouffre !

lu i où volent les ai gles et moi où rampent

les vers ! N ’est- ii pas vra i qu ’ i l pa sse chaque

jour sous vos fenêtres,par milliers , des

filles et des femmes plus belles cent fois

que j e ne le suis N’est— i l pas vrai aussi que ,

n i parm i les ducs et les princes , n i parmi

les ro is sur leurs trônes , u i dans tout l’

u

L A D I SGRACE . 27

ni vers rassemblé,i l ne se trouvera i t un

homme plus a ccompli et plus di gne que

lu i d ’

être aimé

La duchesse poussa un soupi r et baissa

la tête .

Que , dans un château soli taire , pour

suivi t sa rivale j ’aie charmé q uelques

instans les loisi rs de monsieur le duc,

sui t- i l de là que mon souveni r ai t lai ssé

trace dans ce cœur débordant de tant de

grandes passions ? E t pensez -vous que moi

même , malgré toutes les il lusions de mon

amour , j e ne me rende pas bonne justice et

sur le peu que j e vaux et sur le peu que je

puis Un an d ’

ex i l prouve trop bien,hélas !

que j e sui s abandonnée à mon désespoir

Madame d ’

Angoulême parut se calmer

28 LE CONNÉTABLE nn BOURBON .

quelque peu à ces mots . L’ai r de son v isage

devint moins menaçant . Moins d ’

éch irs se

cro isèrent dans ses yeux . Un cœurqu i aime

est habi le à se (latter .

Suzanne contempla‘

i t son ouvrage avec

un sentiment mêlé de crain te et d’

espoir :

c’

elait pour elle la mort ou la vie , le

ciel ou l ’en fer ! Quand la duchesse lui de

manda le motif du rendez - vous qu’ elle

avai t accepté de monsieur le connétable de

Bourbon

C ’est moi qui l’a i donné , dit- elle ce

rendez-vous . Une femme délaissée et dont

on ne veut plus est si peu dangereuse . La

galanterie de monsieur le duc . …

Eh bien ! répl iqua la duchesse , j e

veux m’

assurer si vous ne mentez pas ma

30 LE CONNÉTABLE nu BOURBON .

s’

avancer. Monsieu r de Bohn ivet et le chan

eel ier se cachèrent dans l’angle d ’une peti te

rue voisi ne . La duchesse masquée se plaç a

derrière Suzanne . Monsieur de Bourbon

parut .

Sur un geste -qu'il fi t, après avoir aperçu

celle qu ’ i l cherchai t , lses laquais remon

tèrent l a i ue Saint—Antoine .

Suzanne , ma chère Suzanne ! s’

écria

le duo , en la issant tomber autour de lui les

pl is fiottans de son manteau . Pui s il s ’ar

rêta pour demander s’

i l pouvai t parler en

présence de cette femme masquée qu ’ i l

distinguai t dans l’

obscuri té à quelques

pas .

La duchesse dicte la réponse de

Suzanne . Le connétable no s’

inqu iète pas

L A D I SGRACE . 34

davantage de cette aventure ; i l pensa que

madame de Sâint-Roma in avai t amené avec

elle une amie dévouée , déposita ire de son

secret .

D epuis une heure seulement j e su i s

à Paris dit— il en baisant avec transport l a

main de la jeune femme . En ce momen t le

roi m ’

attend aux Tournelles ; mais , avant le

roi , avant la cour , avant toute chose au

monde , c’est vous

,Suzanne

, qu’

i l fallait que

j e visse , vous , ma reine si long—temps in

flex ible !

Madame de Saint-Romaiu le repoussa

doucement . Elle espérait par cette froideur

simulée donner un autre cours à la conver

sation ; mais monsieur de Bourbon ne tint

pas compte del’avertissemen t .

C’est votre voix , repri t£il , que mon

32 LE CONNÉTABLE DE BOURBON .

cœur avai t soif d ’

en tendre ! (le sont vos yeux

dans lesquels j e voulais voi r encore le bon

heur me sourire! Enfin vous voici mon ame !

Entrons dans cette maison où tout est

prêt pour vous recevoir . Ici j e serais j al oux

du ciel lui —même , du vent qui me ravirai t

vos paroles des indiscrètes étoiles qu i _trou

bleraient le mystère de nos entretiens . Ve

nez !

oh ! non , Monseigneur , in

terrompi t Suzanne , j e n’ ai qu

un i nstant

à rester . B’ailleurs le roi vous

Je t’ aime, i ngrate ! le roi peut bien at

tendre ! Ce rendez-vous que tu veux abré

ger , songe que depuis six mois entiers

j e le sollicite de toi

Vo tre délicate générosi té,Monsieur le

LA D I SGRA CE . 33

duc,sait donner du prix même aux ser

vice s que vous rendez . A vous entend re ,

quand vous daignez céder aux importa

nites d’une femme qu i doi t désormai s

vous être indifférente i l semble que ce soi t

elle qui donne et que ce soit vous qui re

c

'

eviez .

En est— i l donc au trement ?

L’embarras de Suzanne croissai t avec

l’

ardeur de son amant . El le se débarrassa

brusquement de ses mains , et, prenant un

visage fro id et compassé

J ’ai désiré vous voir, Monsieur le duc ,

pour vous parler de mon mariage pour

recommander monsieur de Saint-Romain

à vosbontés .

N’

est-ce que pour cela ? répl iqua le

duc de plus en plus étonné .

34 LE CONNÉTABLE DE BOURBON .

Vous l ’avez touj ours distingué parmi

les gentilshommes de votre maison . Vous

savez s’ i l vous est dévoué et fidèle . La j us

tice que vous rendez publiquement à ses

quali tés modestes est une preuve de la haùte

estime en laquelle vous le tenez . C ’es t

mon espoir que vous lui fourni rez l ’occasion

de vous servir en quelque obose de mourir

pou r vous s ’ i l le faut . Tel est le véri table

et l’ un ique motif de l’

entrevue que j e vous

ai demandée .

Suzanne pensa expi rer en prononçant

ces derniers mots,que les élans de son cœur

contredisaient si bien . Monsieur de Bour

bon inj uste comme tous les amans aimés,

aima mieux la soupçonner que de la com

prendre . 11 se plaignit, i l s

emporta ,et ,

dans le long résumé de ses prétendus

L A D I S GRACE . 5

griefs , i l acheva de tout apprendre a

la duchesse qui étouffai t de rage sous son

masque .

— Monsieur ! monsieur ! s’eoria Suzanne

qu i oubliai t son rôle en présence d’ une

si poignante accusation,qu’ i l est cruel à

vous de me trai ter de la sorte ! S i vous sa

Parlez , j ustifiez-vous , di t le duc ;

que craignez-vous ‘

! ne sommes—nous pas

seuls

La duchesse fit un pas vers Suzanne qu i

recouvra aussi tô t le souveni r du péril qui

la menaçai t .

Oh oui ! bien seuls ! répondit— elle

d’

une voix défai llante .

Monsieur de Bourbon se radoucit et se3%

36 LE CONNÉTABLE DE BOURBON .

rapprocha d ’elle . Un pâle et tremblant

rayon de lune qui perçai t en ce moment le

rideau de nuages étendu sur la face ora

geuse du ciel permit de l ire dans les tra i ts

du connétable la vive émotion don t son

cœur étai t agité .

É coutez , Suzanne pouçsuivi t le duc,

j e vous aime autant qu ’ i l est donné à

homme d ’

aimer et de chéri r une femme .

Silence ! par pit1e ! murmura madame

de Saint-Romain . Si quelqu’

un venai t a

vous entendre

Moi,me tai re ! repri t le connétable ;

moi craindre ! non ! Dieu et Satan fussent

i ls ligués contre mon ame ! Croyez-vous

donc que ce r idicule mariage dont on pré

tend que le roi me veut affubler me rende

38 LE CONN ÉTABLE DE Bouueou.

cria- t— elle . Votre courage merend le mien .

Je vous aime , duc , plus que j e ne vous

aimai j amais ! Ni mon exil volontaire, n i les

combats de ma conscience , n i mes sermens

à l ’autel n i la crai nte n i l’

0pprobre r ien

n ’ a pu me faire changer , car je vous a ime

et j e sais q ue j e suis aimëe'

de vous ! Cet

aveu c’est mon arrêt de mort c’est votre

ruine aussi ; notre j uge est là qu i nous

entend !

La duchesse d ’

Angoulême fou1a son

masque sous ses pieds . Elle étai t l ivide de

fureur .

Le duc de Bourbon fronça légèremen t

le sourci l , puis son visage repri t toute sa

sérénité . Les gens de la sui te de la duchesse

l’

entourèrent ; les flambeaux des laquais

vinrent éclairer cette scène prélude me

LA D I SGRACE . 39

n açan t du lugubre drame qui deva i t plus

tard se dérou ler .

M’

avez-vous assez outragée !

duchesse en cherchant à dévorer sa

Ah je me vengera i cruellement !

Puis , s’

adressant au connétable

Moi qu i , pour complaire au roi mon

fi ls , consentais à vous fai re l’

honneur de

vous accepter pour époux ! à éteindre par

cette folle union les discords des branches

d’

Angoulême et de L’ in

s'

ulte est au comble ' Monsieur de Bon

nivet rentrons à l ’hotel des Tournelles

Vous , Madame , vous me suivrez , car j e

n ’ai pas perdu mon autorité sur vous ; c’ est

à votre mari que je la remettrai Mon

sieur le duc c’ est une guerre à mort entre

40 LE CONNÉTABLE DE BOURBON .

nous préparez-vous- y donc ! Nous nous

verrons demain chez le roi .

Vous m’

y verrez ce soi r , Madame .

46 LE CONNÉTABLE DE BOURBON .

si terrible influence sur ses destinées futu

res,semblait à peine préoccuper son es

prit . L’orage se condensai t cependant sur

sa tête . Jamais au plus fort des ba

tailles fameuses où i l s’était rencontré

péri l plus redoutable n ’

avai t plané sur lu i .

Il rej oigni t ses laquai s à quelques cen ta i

nes de pas , dans la‘

rue Saint—Antoi ne .

Bientôt i l eut regagné son logis où toute

sa maison é tait'

sur pied pour le recevoir .

11 traversa , le front haut , la double haie de

ses gardes et de ses pages échelonnée sur son

passage , pu is 11 entra suivi de ses genti ls

hommes,dans une longue salle lambrissée

et meublée magnifiquement , où un souper

l’

attendai t .

R ien n egalait le luxe que se plaisa i t à

étaler le connétable de Bourbon dans son

L A D I SGRACE . 4 7

hôtel—à Pari s e t dans ses divers châteaux de

province . Plus d’ une fois le roi fut j aloux

de cet éclat d ’un vassal qui semblai t vou

loi r l ’éclipser partou t où les deux princes

se rencontraient en présence . Auprès des

dames comme sur le champ de bata ille ,

les deux cousins s’étaient trouvés aux pri

ses plus d ’ une fois ; et Françoi s , malgré

son espri t , sa grace et sa bravoure , avai t

souvent reconnu son maî tre dans ce rival .

Charles de Bourbon ,a lors âgé de trente

trois ans , n’

étai t pas seulement un des

plus renommés capi taines de son siècle ;c’

é tait un gentilhomme aimable et bien fai t .

Sa grande renommée réunissai t autour de

sa personne une cour de j eunes gens des

mei lleures familles de France qui se fai

saient honneur d’

apprendre sous lui le mé

tier des armes .

48 LE CONNÉTABLE DE BOURBON .

I l ne comptai t encore que dix- hui t

ans lorsqu’

il accompagna en Ital ie

le roi Louis X II qui allai t conquérir la

sei gneurie de Gènes . Le duc comme pour

donner une idée de la somptuosité qu ’ i l

devai t déployer plus tard , condui si t à sa

sui te dans cette ci rconstance , un grand

équipage de chevaux et hannais , avec cent

hommes d ’armes,et autant d ’

archers de sa

mai son , le tout à ses dépens , sans que le

roi l’aidât d’ un denier . Deux ans après i l

su ivit de la même manière le roi enM i lanais ,

où il décida le succès de la campagne .

11 défendi t tour a tour le duché de M i lan ,

la Guyenne la Bourgogne , et la Picardie

contre les Impériaux,le pape et les Suis

ses . Cc fut en 4545 ,après la bataille de

Marignan où ce j eune homme de vingt-six

ans venai t de faire des prodiges de valeur

LA D I SGRA CE . 49

et d’

habileté mil itaire , que Françoi s 1“ lu i

conféra la dignité de connétable de France .

Depuis ce temps bien des nuages avaient

traversé leu r fraternité d ’armes ; et Fran

çois, mal con seil lé par sa j alousie et par

la duchesse d ’

Angou lême , sa mère , s’

étai t

fai t un coupable plaisi r de rompre peu à

peu ces l iens de famille et d’

am itié qu i at

tachaient l ’ un à l ’au tre les deux cou sins .

Déjà,en 4546 , le duc avai t vu ses gages

supprimés au moment où i l venai t de pré

ter au roi de sa propre cassette , d ix mille

écus pour payer ses bandes suisses . Mais

la fortune particul ière du connétable lu i

permettait de vivre royalement en dépi t

de ces petites machinations de cour dont on

voulai t le rendre victime . Il étai t duc de

Bourbonnais et d ’

Auvergne ,comte de

1 .

50 LE CONNÉTABLE — DE BOURDON :

C lermon t cn Beauvo isis,de Mon tpensier ,

de Forets,de la Marche et de C lermon t en

Auvergne ; dauphin d’

Auvergne , v icomte

de Carlat e t de Murat seigneu r de Beaujo

lais,de Combrai lles ’

,de Mercoeur d

An

nonay,de Roche en Regnier et de Bourbon

Lancey ; pai r et chambrier de France , lieu te

nan t-général du roi en ses paÿsdeBourgogne

et Languedoc et gouverneur de cette

dernière province .

La duchesse Suzanne , fi lle de ma

dame Anne de France , duchesse de

Beaujeu,lu i avai t apporté presque tous

ces biens en mariage,et elle étai t morte

en l’

instituant'

son hérit ier . C ’

est de cet

héri tage que la duchesse d’

Angou lême et

le chancel ier Duprat pen saien t en ce mo

men t à le dépou iller par un procès seancla

vL A D I S GRACE . 5 4

leux car la mère du-

roi étai t cousine au

même degré de la duchesse Suzanne , et

cette succession aurai t pu lu i être légi time

ment dévolue , si , dans la maison de Bour

bon l’

ordre des successions ne s’

était ré

glé , de temps immémorial , par la loi sal ique .

Après ce qui venai t de se passer dans la

rue Saint—Antoine le duc avai t donc bien

des raisons pour se montrer chagri n et sou

cieux . R ien pourtant ne paraissait sur son

visage .

Quoi de nouveau,messieurs ? dit-il en

s’

asseyan t devant sa table ; et , tandis que

l’

un de ses pages lui donnait à laver dans

une aigu ière de vermei l

Pas grand’

chose , Monseigneur , ré

pondit Mon tag nae Tausenne son premier

52 LE CONNÉTABLE DE BOURBON .

chambellan . Le roi, votre

cousin , poli t et

repoli t touj ours madrigaux et ballades

pour ses maîtresses,sans penser que la

Fortune,cette au tre maîtresse plus volage

que toutes les autres,l ui fait en ce moment

mille fi délités en M ilanais .

Ou assure,pou rsuivi t Pompéran t ,

capitaine de la garde ordinai re de mon

sieur de Bourbon,on assure que monsieur

de Lautrec vien t de se fai re battre en Italie .

Tant pis,messieurs interrompi t le

connétaMe, car monsieu r de Lau trece

st un

brave homme de guerre . Je me sens porté

de coeur pou r lui , quoique les intrigues

de cour m ’

aien t enlevé la duché de Milan

pour l ’en investir . Plût à Dieu que le roi,

mon cousin remplaçât par des gens de cette

treiupe les Montchenu les Brion , et toute

DE CONNÉTABLE DE BOURBON ,

Cette fois d u moins , repri t le con

nétable en tendant de nouveau son verre à

son échanson , cette foi s mon roya l cousin

ne m ’

accusera pas de lui enlever ses belles,

car vous êtes tous témoins que j’

arrive à

Paris à l’ instant .

De Varennes ! quelle est cette femme

emerent à la fois les j eunes gentilshommes

qui entouraient monsieu r de Bourbon .

D is- le- nous bien vite , que nous en puis

sions rire à notre aise .

Son nom je crains qu ’ i l ne sonne mal

N 1mporte , di s- le touj ours .

madame la duchesse d’

An

goulême

A ces mots succéda un mem e si lence .

L A D lSCRACE . 55

Chacun devint pensif; tous les regards se

portèrent sur le connétable . L’amour de

madame Louise n’

étai t un mystère pourpersonne ; le duc ne se cachai t pas pour

exprimer son déda in à cé t . égard ; a chaque

i nstant on s’

attendai t une explosion .

Quant à monsieur de Bourbon ces paroles

ne semblaient avoir aucun sens pour lui ;

i l ne s ’en émouvai tpas plus que s i un au tre

eût été le Suj et de cette confidence .

La conversation n ’

avai t pas encore repri s

son cours , lorsqu'

un huissier vint annon

cer au premier chambellan que deux hom

mes don t i l apportai t les noms écri ts sur

un bil let plié priaient monsieu r le conné

table de leur accorder un instant d ’entre

t ien toute affaire cessante . Montagnac'

l‘

ausanne hési tai t à déféref à cette invita

56 LE CONNÉTAB LE DE BOURBON .

t ion,quand le duo ,

qu i avai t l’orei lle à ce

qui se passait,commanda qu ’ on lu i rem i t

le papier . A peine y eu t- i l j eté les yeux ,

qu ’ i l se leva de table et qu ’ i l ordonna qu’on

le laissât seul .

Ses‘

tra i ts étaient agités,mais on

y remarquai t plutô t un sentimen t de

j oie concentrée qu’

une expression de con

sariété ou de mécontentement .

Lorsque la salle fut libre , surun geste du

conné table , l’

hu issier i ntroduisi t deux

étrangers . L’un étai t un viei llard vêtu de

noir,aumai ntien noble et digne ; l

’autre , un

hommedeguerre,botté , éperonné , et cncore

tout couvert de la poussière du voyage . Ce

dernier , dans la force de l’

âge , ava i t la m ine

arrogante et fière . Son visage , couturé de

bb ssurcs cicatrisées , témoigna i t assez des

LA D I SGRACE . 57

services qu’ i l ava1 t rendus a son pays .

Du plus loi n qu’ i l les aperçut le con

nétable courut au devant d’

eux .

Vous ici ! monsieur le maréchal de

Lautrec ! s’écria- t — i l en s’adressantà l’homme

balafré . Vous ici sans un ordre du roi Quel

que soi t le motif qui vous amène soyez le

bien— venu sous mon toi t , et vous aussi ,

monsieur le surintendan t Semblancay Que

voulez -vous de moi ? Di sposez j e vous prie,

de mon épée et de mon crédi t . Au fai t,de

quoi s’agit- i l

J ’ai perdu mon armée , monsieur le

connétable , et , part ant , par honneur mur

mure d’une voix profonde le maréchal de

Lautrec . Ma belle armée d ’

Italie qui m ’a

vnit gagné vingt batai lles , je l’ai perdue

58 LE CONNÉTABLE DE BOURBON .

par la faute des traîtres qui m ’ ont volé mon

argent !

Vous connaissez monsieur le conné

table , poursuivi t Jacques de Beaune baron

de Semblancay,la haine de la reine -mère

pour la maison deFoix . C ’ est pou r punir

cette i llustre famille dans la personne de

monsieur le maréch al de Lautrec son a îné,

que madame Lou ise a retenu les quatre cent

mille écus destinés à la solde des troupes .

Alors continua le maréchal,les

Suisses ont passé à l’

ennem i ; les Véni tiens ,

nos alliés,on t pris la fui te les Français

se sont fai t tuer

Le maréchal baissa La tête , et l’on put

voir deux larmes rouler dans les profondes

cicatrices de ses j oues .

Le connétable lu i serra la main .

LA DI SGRACE . 59

Et vous ausm,monsieur de Lautrec

et vous aussi il s vous ont choisi pour vic

t ime ! Les mi sérables ! Ils ont donc juré la

perte du royaume ! Ils veu lent donc pousser

boutatou t ce que la France renferme de no

ble et degénéreux sang ! Ce n ’

étai t pas assez

des concussions et des rapines souterraines

opérées par les lansquenets de la finance ,

sous le manteau de la royauté ! Le brigan

dage a j eté le masque ! C ’est en plein j our,

messieurs , que l’ on met à sac la fortune

publique ! La reine-mère est , par la grace

de Dieu , le digne chef de cette bande , e t

monsieur le chancel ier de France est son

l ieu tenan t! nousvivons dans un beau temps,

n’

est - ce pas,messieurs ? Mais patience

patience ! nous verrons la ñu de tout ceci .

L‘

e connétable se promenait à grands pas

60 LE CONNÉTABLE DE BOURBON .

et paraissai t l ivré à une vive agi tation . Le

maréchal et le surintendant s’en tretenaien t

à voix basse . Monsieur de Bourbon se re

tou rn a brusquement de leur côté .

E t vous avez , messieurs , (les preuves

de ce que vous avancez

La qui ttance de madame Louise est

dans mon coffre-fort répondit le surin ten

dant des finances.

Monsieur le maréchal de Lautrec !

monsieur le baron de Se 1nblani; ay ! repri t

le connétable , dans une heure trouvez— vous

à l ’hotel (les Tournelles ! Apportez avec

vous la preuve du crime ! Je vou s présen

tora i moi -même au roi,et

, en présence de

toute la cour,n ous demanderons j ustice .

Dans une heure , . uous y serons , (lit

62 LE COb NÉTABLE DE nouunou .

raconnés et battant du pied le pavé de la

cour sous la houssine des pages . Le conné

table félici ta lui -même toute sa maison de

la prompti tude avec laque lle ses ordres s ’é

taientex écu tés. Montagnac-Tausanne donna

le signal du départ,et le cortège se mi t en

marche .

Le duc chem inai t , sans mot dire

au milieu de cette longue cavalcade . 11 fut

t iré de sa rêverie par un grand brui t d ’

éclats

de ri re qui se fi t entendre à quelques pas en

avant .

Qu ’est ceci ? demanda- t- i i en pous

sant son cheval hors des rangs .

Monseigneur,répondit de Varennes

qu i se porta vers la tête du cortège , j’

y

vais voi r .

I l revint au bou t de quelque s minutes ,

LA D I SGRACE . 63

pendan t lesquel les la cavalcacle avai t fai t

halte . Il é tai t suiv i par sept ou hui t j eunes

gens de la maison du connétable , qui con

du isaien t d evan t eux une femme du peu

ple dont les yeux hagards et les bizarres

paroles exci taient leur h ilari té .

C ’est une viei lle folle , monseigneur ,

dit de Varennes que vos archers emme

nent à la geole,pour s

être permis

d’

insu lter plusieurs personnes de votre

maison .

Monsieur de Bourbon fi t Signe aux ar

chers de n e poin t passer outre .

— Monseigneur,racon ta l

un des of ficiers

du duc,nous étions descendus de cheval

pou r regarder au clair de la lune quel

ques manau s pendus , de par le roi , aux

64 LE CONNETADLE DE BOURBON .

échelles du carrefour voisin lorsque cette

bohème i tal ienne , que voici , et qu i rôdai t

de ce côté , sans doute pour quelque ma

]éfice de son métier,s’est prise à nôus dire

qu ’elle voudrai t voir tous les arbres de

France rompre sou s le poids de parei ls

fru its .

— El le amême aj outé , poursuivi t de Les

cure, que b i en to t 11 y pousser… des capes

de gent ilshommes au l ieu de sayons de

paysans .

A lors repri t un au tre nous avons

voulu que cette devi neresse habile nous

ti rât notre horoscope à chacun .

Ne s’est—elle pas avisée de nous traite r

de gibier de potence en nous désignant par

nos noms ?

Nous vous prions ,monsieur le duc dc

LA D I SGRACE . 65

permettre qu’ elle soi t châtiée car en aper

covent vos couleurs et votre écusson el le

a osé dire que le maître rejo indrai t b ientôt

les valets .

Et quand l ’un de nous est venu à

prononcer le nom de monsieur de Sem

blançay elle a crié A Montfaucon !

J’

aurais pardonné l ’ inj ure qu i n’

of

fensait que moi , di t le connétable ; mais

i nsulter un viei llard honorable, quand i l

expose ses j ours pour démasquer l’ impos

ture , c’ est un crime qui méri te puni tion .

Cette femme recevra vi ngt coups de fouet,

et , si nous apprenons qu’el le recommence ,

nous lu i donnerons le logis où elle préten

dai t nous envoyer .

Les archers se metta ient en devo i r d ’

ex é

66 LE CONNETABLE DE BOU RBON .

enter la sen tence , quand la viei lle , s cohep

pant tou t à coup de leurs mains

Monseigneur, s

écria— t— elle permet

tez—moi deux mots pour ma défense .Vos va

lets me feront tou t à l‘heure payer mes pa

roles assez cher .

,

C i nq minutes pour ta harangue !

Un éclair de j oie bri lla dans les yeux de

la vieille . E lle passa les mains sur son front ,

comme pour rassembler ses idées,et, les

doigts accrochés dans les mèches inégales

de ses cheveux gris flottan t sur ses épaules

Ce n’

estnas la prem iere fois dit- elle ,

que mon sang va cou ler par vos mains .

Charles de Bou rbon , tu as fai t de mes

champs pa ternel s une moisson de carnage

où les homm es tombaien t comme des épis !

LA D I SGRA CE . 67

Mes enfans , pauvres et i nn ocens moutons

qui léchaient les mains de leurs bourreaux ,

tes soldats les ont égorgés ! Sois maudi t !

La sorcière i talienne,comme tes valets

l’

appellent , te prédit à toi roi de l’

orguei l,

que tu boiras un j our tes pleurs et ta honte

au l ieu de vin parfumé . Peut- être vivra

t -elle assez pour le voi r . Soxs m audit ! et

que dans tes rêves la voix de l’ I talie ago

n isan te te cri e incessamment à l ’oreille

D ieu t ’ a marqué pour l’

abîme ! Bourbon ,

tu marches à ta perte ! sois maudi t

Tu ne te plaindras pas du moins de

ma patience,repri t le connétable

,qui avai t

j usque là retenu à grand’

peiue l’

indigna

t ion de ceux qui l ’en touraien t .

La vieille fu t l ivrée à un piquet d ’

archers

qui lui applique sur le l ieu même , et sans5*

68 LE CODNÉTABLE DE BOURBON .

désemparer,la correcti on qu

avaien t si

bien méri tée ses insolences .

La cavalcaâe poursu ivi t tranqu illement

sa route . El le étai t déjà bien loin du

l ieu de la scène ,qu ’on

apercevai t en

core dans les profoxideu s e la nui t le

flambeau de résine fumant qu i éclai ra i t

les archers à la besogne , et l’on entendai t

la voix aigüe de la vieille crier ces mots

qu i retent issæ ent dans la rue silencieuse

Bourbon l tu marches a ta perte ! sois

maudi t !

Pendant ce temps , la duchesse d ’

An

gouleme, éblounssante de pœrreries et de

broderies d’or,dont l’éclat suppléai t à celu i

que les années lu i avaient ravi , recevai t à

l’

hôtel des Tournelles les hommages de

tout ce que la capi tale renfermai t de no

70 LE CO NNÉTABLE DE nounnov .

voir de son rang et de son autori té . La

fête donnée par le roi son fils étai t pour

elle une occasion d’

étal er à tous les yeux

le crédit dont el le j ou issait .

François l occupé de débiter ses galan

teries spiri tuelles aux dames , et d’

échanger

mille quol ibets ingénieux avec les bri llans

j eunes gens qui formaient le cercle de son

intimité , abandonnai t à sa mère le so

lennel ennui des compl imens et des félici

tations. Madame Louise j ouissai t en veri

table souveraine de cet encens de flatterie ,

qui brûle incessamment au tour des fronts

couronnés .

Dem ere el le se tenaient ses am i s et ses

créatures,qui attendaient impat iemment

que le moment fût venu d’

hum ilier et de

perdre l’ennemi commun dont i ls étaient

LA D I SGRACE . 7 4

j aloux . Monsieur de Montchenu vint serrer

affectueusement la main de l’

am iral de

Bonn ivet , qui s’

en tretenait à voix basse avec

monsieur Chabot de Brion .

H é bien ! di t - i l , quoi de nouveau”

madame d ’

Angoulême a—t—elle vu le roi

Sa Maj esté , répondit l’

am iral,n ’ a

rien à refuser à sa mère , comme vous

savez .

A i nsi le procès aura lieu

— Sans doute , aj outa monsieu r de Mon t

chenu . Quand cet homme vaniteux sera

dépouillé de ses terres et de ses pensions ,

i l faudra bien qu ’ i l affiche un peu moins

de mépris pour les favoris , comme i l nous

appelle .

Moi , poursuivi t Chabot de Brion , j e

72 LE CONNÉTABLE DE BOURBON .

l’ai touj ours ha1 pour son faste depuis le

jour du couronnement du roi . Je le vois

encore à cheval à côté de Se Maj esté i l

semblai t qu ’ i l voulût éclipser son maî tre .

Se robe longue de douze aunes avai t coû té ,

di t— ou , troi s cents écus d’or par chaque

anne ; elle étai t fourrée de martres—zibelines ,

et son bonnet,c hargé de bagues jusqu

à l a

valeur de cent mille écus .

Au baptême de son fils, le peti t comte

de Clermont,célébré au château de Mou

l ins avec une pompe vraiment royale j e

me souviens di t l ’am iral , qu’ i l traînai t à

sa su i te cinq cents gen ti lshommes vêtus de

velours de Lyon , et dont chacun ava i t reçu

de lu i en présent une chaîne d’ or à trois

10“PS .

Tou t récemment encore , messieurs ,

LA D I SGRACE . 73

quand on lu i donna l’ordre d ’aller défendre

la Pi cardie,i l y entra avec six mille hommes

de pied et huit cents chevaux levés de ses

propres deniers .

Aussi , i nterromp i t l’

amiral de Bon

n ive t , le roi le j ugeant trop riche , divi sa-t-i l

ses quatre gouvernemens. Au duc d ’

A

lençon i l donna la charge de la Champagne ;à monsieur de Lautrec , la duché dèMilan ;

au duc de Vendôme , la Picardie à moi,la

Guyenne . Le co nnétable n ’a pas oublié

cette inj ure , messieurs , non plus qu’ i l n ’ a

oublié qu’ au passage de l

Escau t le com

mandement de l ’avant-garde lui fut reti ré

par le roi pour le donner à monsieur d ’

A

l eucon .

Je fais des vœux répliqua monsieur

de Mon tchenu,pour q ue madame d ’

An

74 LE CONNÉTAB LE DE nouanos .

goulême rogne enfin les griffes de ce l ion

affamé qui menaçai t de nous dévorer tou s .

Mais croyez-vous , mon cher amiral , qu’ a

près son aventure de cette nui t,monsieu r

de Bourbon, pour !soutenir sa bravade ose

teni r parole et se présenter aux Tour

nelles

— Il est capable de tout . Mais chut voici

madame la duchesse qui aborbe monsieu r

le chancelier . Éloignons-nous un peu . De

main, nous saurons ce qu’on aura décidé .

Da milieu d ’un groupe d ’

ambassadeurs

et de seigneurs étrangers où elle se plai

sai t à exagérer encore l’

immense influence

qu ’elle exerçai t sur l’

esprit du roi la du

chesse d’

Angou lême venai t en effet d’aper

cevoir le chancelier Duprat qui semblai t

s’

efforcer d’

arriver j usqu’

à elle ; aussitôt

L A D I S GRACE . 75

elle s’achem ina vers lui , et , l ui faisant signe

de la suivre da ns l ’embrasure d ’une fe

nêtre

Hé bien,monsieur le chancelier

,me

garantissez—vous l’appu i du parlement

Madame , répondi t D uprat en s’ i nol i

nant j usqu’

à terre , le parlement se met à

vos pieds .

C ’est bien , fit la duchesse ; i l fau t

maintenant terrasser le nouvel ennemi qui

n ous menace . Monsieur de

Est à Paris , j e le sais mais ce que

vous ignorez peut-être c’ est que monsieur

de Bourbon se propose de le présenter ce

soir au roi .

Grand Dieu ! comment parer ce nou

veau coup ? murmure madame Louise de

76 LE CONNÉTABLE DE BO URBON .

Savoie,qui sembla p âli r sous l epaisse

couche de carmin et de céruse dont ses

j oues royales étaien t empourprées . Dans

un i nstant i ls seront ici ! Le roi est là qui

attend l’

en lrevue que lu i a fai t deman

der monsieur le *

connétable l Je su is per

due si monsieur de Lautrec parvient à lu i

parler ! Cette qui ttance de quatre cent

mille écus q ue j ’a i eu l’

imprudence de

lai sser entre les m ains du surin tendant ,

i ls ne manqueront pas de la produire . Al

lez ! courez monsieur le chancelier voyez

monsieur de Semblancay ; i l faut le prier ,

le séduire,le menacer au besoin

Le chancelier se pri t à sourire ; la

duchesse attendait son avis avec anxiété .

Le séduire ? répéta Anto ine Duprat .

78 LE CONNÉTABLE DE BO URBON .

Simple genti lhomme d ’

Auvergne, de

maître des requêtes de l ’hotel du feu roi

Loui s X II devenu par vos bontés premier

président du parlement de Pari s puis

chancelier de France,j e laisse à de plus

ambi tieux des ti tres dont j e ne su is pas

digne .

Que souhaitez - vous enfin? i nterrompi t

la duchesse impatientée de ses réticences .

Parlez ! dites un mot !

Madame,répondit le chancelier avec

un calme parfa i t,j ’ai touj ours pensé que

les clés de Saint—Pierre ouvri rai en t bien des

portes à la France si elles tombaient j amais

dan s les mains d’

un Francais intel ligent ,

actif, dévoué à la famille de ses roi s .

Madame d’

Angoulême le regarda d’

un

air étonné .

LA D I SGRACE 79

Mais j e n ’ai pas le pouvoir de vous

fair e pape,Monsieu r

,balbutia —t—elle . Vous

n’

é les encore pourvu que d ’un évêché , et,

pour’

siéger au conclave,i l fau t un chapeau

de cardinal .

C ’est ce que j ’allai s faire observer à

Votre Maj esté .

Vous serez cardinal,monsieu r le

chancelier . Mais vous avez,di tes - vou s

,le

moyen d ’

annuler les preuves de monsieur

le suri ntendant .

Ou i , Madame .

Quel est ce moyen

Antoine Duprat releva la tête , et , i nsi

nuant doucement sa main dans sa simarre,

i l demeura quelques instans à contempler

en silence l’

impaticn te impétuosi té de la‘

80 L E COI\NETABLB DE BOURBON .

reine -mère ; puis , enfin , i l la issa tomber

lentement ces mot s dans l ’orei lle de la du

chesse .

Cette qu i ttance sur laquelle reposen t

toutes les espérances de vos ennemis . i ls

ne la produiront pas , car la voici !

Ma qui ttance ! s ecria l a duchesse en

froissant entre ses mains le papier que ve

nai t de lu i remettre le chancelier de France ;

ma quittance ! c ’est bien elle ! mon cher

Duprat ! vou s aurez votre chapeau de car

d in al !

Vous me comblez Madame balbutia

la future éminence .

Vous au rez de plus sur les biens de

monsieur de Bourbon après le gain du pro

cès , les baronies de Thiern et de Thouri ,

LA D I SGRACE . 84

que vous convoitez depuis long temps , j e

le sai s . Maintenant dites mo i par quel

heureux hasard cette p iece

— R ien de plus simple un commis nbmmé

Gentil , gagné à prix une pro

messe d’

evancement .

Que je me charge de tenir ! Vous

porterez maître Genti l sur la l iste des con

seillers à nommer . A cette heure , que la

comtesse de Châ teaubriand , que messieurs

les maréchau x de Foix et de Lau trec, ses

deux frères , s’

un issent à monsieur de Bour

bon pour me perdre ! Je les défie tous !

Comme la duchesse d ’

Angoulême pro

nonçait ces paroles , une vaste rumeur se

fi t èntendre , et la foule des courtisans ou

dula en tous sens,pressée par une autre

foule qui débouchai t du grand escal ier de1 . 6

82 LE CONNETADLE DE BO URBON .

marbre du pala is , e t qui venai t se mêler à

elle . La duchesse frémit en reconnaissan t

l’

écusson de France à la bande de gueules

brodé sur les habits des pages rangés aux

portes extérieures des salons royaux . Tous

les regards étaient fix és sur les notables

personnages qui formaient le cortège d u

connétable et qu i précédaien t sa personne .

En tête marchaient les officiers ordinai res

de la maison de Bourbon ; puis u ne a ï

fluence de gens d ’

épée , de robe et de 6

nance ; ses affidés , ses amis et oommen

saux,parm i lesquels monsieur Jean de Poi

t iers,seigneur et comte de Saint— Vall ier

,

Monseigneur l’évêque d’

Au tun et Mousei

gueur de Chabannes , évêque du Puy .

Le connétable paru t le dernier dans

un costume magn ifique ,le sou rire sur

LA D I SGRACE . 83

les lèvres,et répondant par un salu t de

la main aux hommages e t aux salutations

qui l’

accuei llaient sur son passage .

Malgré la froideur cérémonieuse qui exi

s lait depuis quelque temps entre le roi et

son cousin,les courtisans continuaient à

encenser le général i llustre et le prince Hu

sang royal,puisque l ’ordre du maître sou

verain et le complaisant arrêt du parle

ment ne leur avaient pas encore fai t une

loi de l ’ ingratitude et de l’

insulte .

La duchesse d ’

Angou lême voulut évi ter

la rencontre du connétable ; mais celui -ci la

salua gracieusement en lu i disant bien bas :

Vous voyez,madame

,que je suis

exact à mes rendez-vous .

La duchesse aperçut le roi qui s’

appro

6v

84 LE CONNÉTABLE DE BOURBON .

chai t du groupe au milieu duquel se tenai t

monsieur de Bourbon ; elle sorti t de la

foule avec le chancel ier . Le connétable s’e.

vança vers le roi , le chapeau à la main .

François , à qui la présence du héros dont

i l étai t j aloux n’

inspirait pas moins de

honte que de mauvaise humeur , s’

efforça

de trouver une parole a imable pour m ieux

cacher l ’ inj ustice du traitement qu’ i l lu i

préparai t ; mais les deux cousins ne puren t

si b ien maîtriser leurs secrets sentimens,

qu’

un peu d’

aigreur ne se mêlât tout d’

abord

à leurs discours .

Vive D ieu ! di t le ro i , quel heureux

hasard vous amène ici , monsieur le con

nétable? Vous ne nous habi tuez pas , pour

dire vrai,à vous vo i r en notre logis sans

quelque motif qu i rende votre visi te neces

sai ro .

86 LE CONNÉTAB LE DE novnnox .

foi de gentilhomme ! on vous la rendra !

J’

y ai compté di t le connétable en

j etan t les yeux autour de lui comme pour

y chercher quelqu’

un à qui s’adressaien t

aussi ces paroles .— Lâ duchesse et le chan

eelier avaient qui tté la galerie . J’

y ai

compté , poursu ivi t monsieur de Bourbon

c’ est pourquoi'

vous me voyez chez vous,

prenant en main la défense des oppri

mes .

A ce moment le maréchal de Lautrec

sorti t de la foule et se présenta aux regards

du roi .

Vous ici ! s’écria François en fron

çan t le sourci l ; vous ici monsieur le ma

réchal de Lau trec? ici sans mon ordre ? Et

votre

LA D I SGRA CE . 87

Perdue ! Sire,répliqua le connéta

ble,perdue par la . trahison de vos favo

ris !

Quoi ! perdue tout enh ere ‘

? demanda

le roi avec désespoi r .

Le connétable continua,et , à mesure

qu’ i l :parla1t,ses yeux s

enflammanent e t

semblaient j eter des éclairs .

— Monsieur de Bayard sauvé les dé

bris de vos escadrons . De tout le Mila

nais il ne vous reste plus par delà les

Alpes que le seul château - fort de Cré

mone ! François Sforce ,votre ennemi

,

commande à Milan ! Gênes est pri se et

pillée ! Antoine Adorne,proclamé doge

par les Espagnols,

au l ieu d’

Octavien

Frégose , qui vous étai t dévoué ! Pi erre de

88 LE CONNÉTABLE DE BOURBON .

Navarre dans les fers ! les Suisses de votre

garde débandés ! les Véni tiens vos alliés,

détachés de vous ! les maréchaux de Foix

et de Montmorency , battus blessés eera

sés ! l ’éli te de votre jeune noblesse tuée à

côté de ses chefs ! voilà ! voilà ce qu’

ont

fait vos courtisans ! Tou t ce sang est re

tombé en broderies d’or et d ’

argeuf sur

leurs manteaux , en aigrettes de d iamans

sur les têtes de leurs femmes et de leurs

maîtresses ! l is en fon tparade , à cetteheure

sous les mille {lambeaux de vos galeries .

Place place Sire regardez-les passer !

Ah ! malheur sur nous ! murmura le

roi d’ une vo ix profondément émue . Cou

vrous de deuil nos habi ts de fête pour

pleurer ceux qui ne sont pl us !

Sire , rcparti t lo connétable , cou

LA D I SGRACE . 89

vrons— nous de fer plutôt pour les ven

ger

Un silence d ’

efi’

roi succéda au réci t de

cet événement désastreux . Les créatures et

les flatteurs de la duchesse n’ osaien t lever

les yeux . Le roi paraissai tattéré . Les vieux

capitaines froissa ient avec une sourde cc

1ère la poignée de leurs épées , ou échan

geaien t un regard de douleur . Le conné

table , les bras croisés sur sa poi trine , regar

dai t tou t le monde au visage et attendait

la punition du crime qu’ i l avait dénoncé .

Cette heure étai t solennelle . E lle allai t de'

cider la perte de la duchesse ou celle du

premier prince du sang .

François fi t signe au maréchal de s’ap

procher.

Mons ieur de Lautrec, l u i di t - il vous

90 LE CONNÉTABLE DE nouanox

répondrez de l ’accusation qu’on ose porter

en votre nom !

— J ’en répondrai , Sire reparti t l emule

et_le cousin de nom et d ’armes de l’héroique

Gaston de Foix . Les quatre cent mille écus

que m ’

annonçaierit vos lettres ne m’ont pas

été remis . Votre gendarmerie a eu la géné

rosnté de servi r—dix- liu it mois sans toucher

un d enier m ais les lansquenets et les

Suisses m ont échappé en me criant

Congé ou argent ! De là tous nos mal

heurs !

Et qui donc a retenu cet argent? s ’é

cria François 1“ au comble de la fu

reur.

Le connétable se pencha sur l ’épaule du

roi et lui di t à voix basse

LA D I SGRACE . 94

Monsieur le surintendant Semblancay

vous remettra la quittance de madame

votre mère .

François saisit avec force le bras du

connétable

Mon cousin,lu i di t- i l si cela est , j e

j ure D ieu que mon respect pour elle ne la

sauvera pas de la disgrace . Mais la celom

nie est ingénieuse dans ses accusations,

vous le savez . Qu’on appelle monsieur le

surintendant des finances .

Le baron de Semblancay se fit j our à

travers lamulti tude et vint tomber aux p ieds

du roi

Sire , balbutia le malheureux viei l

lard j e viens mettre ma vie à vos pieds .

Parlez ! parlez ! lu i criai t-ou de toutes

92 LE CONNÉTABLE DE BOURBON .

Nommez le coupable !

C ’est vergogne de se faire ainsi

Nommez—le , quel qu’ i l soi t , le roi le

S i re,repri t le surin tendant

,vous

savez si pendant quarante années des plus

dif ficiles foncti ons j e vou s ai servi avec

honneur et loyaute .

Je me plais à le reconnaître,Mon

sieur !

S i dans les besoins de l’État hésitai

à disposer pour vous de ma propre fortune

et du crédit de mes

Je le sai s .

Hé bien le malheur des temps veut

94 LE CONNÉTABL E DE BOURBON .

roi le fi t pendre à Montfaucon pour ce fai t ,

quelques années plus tard , comme Charles

I X, dans le cours de ce même siècle , fit

égorger l ’am iral de Coligny,qu’ i l appelai t

aussi son père !

Après le départ du surint endant Fran

cois l ‘“r se tourna vers un groupe de gen

t i lshommes où se trouvaien t les plus achar

nés ennemis du connétable : Chabot de

Brion , l’

am iral de Bonn ivet , Montchenu ,

et d ’

au tres encore .

Messieurs , s ccria- t- i l, c

’est à vous

qu i l appartient de venger nos frères morts !

Je commanderai en personne la nouvelle

armée qui passera les A lpes . Lyon sera le

quartier- général . Monsieur de Bonn ivet , j e

vous nomme au commandement de l’avan t

gardo . Monsieur de Lorges vous i rez m’

a t

LA D I SGRACE . 95

tendre avec hommesdans les plaines

du Piémont . Je ne vous y lai sserai pas

langui r . Nous reprendrons le Milanais ,

messieurs , ou les Impériaux apprendront

comment un roi de France sai t mouri r !

Nous sommes disgraciés,monsieur

le duc , di t au connétable le maréchal de

Lautrec , quand ils se trouvèrent seuls

dans la longue galerie déserte que le roi

venai t de qu itter , su ivi de sa cour .

Du fond de mon château de M oul ins

reparti t monsieur de Bourbon , j e lu i ap

prendrai,moi

,que ce n ’ est pas avec des

courtisans que l ’on gagne des batailles

402 DE‘ CONNÉTABLE DE BOURBON .

Bourbon , retiré dans son château de

Moulins j etai t en soupirant un regard

sur sa splendeur passée et dans l’oisiveté

que lui avai t faite l ’ inj uste disgrace dont i l

étai t victime , i l s’

indignait de vo ir a quels

hommes François I‘i r venait de confier le

commandement de sa nouvelle expédition

du Milanais .

Plus de fêtes dans ce manoir antique , où

si long— temps i l avai t reçu l’éli te de la no

blesse de France ! Le silence recouvrai t

comme un crêpe de deui l les allées sombres

de ces j ardins égayés autrefois par de fraî

ches cascades , au bord desquel les un peuple

de courtisans étalai t incessament l ’or et le

velours de ses manteaux . Les v ieux faunes

de marbre habi llés de mousse et voilés à

demi par les branches incul tes des grands

LA DÉFE CT ION . 403

arbres , semblaient dormir sur leurs piécles

taux,oubliés comme des figuresd

aïeux sur

les dalles des sépulcres . La plus tri ste,la

plus délai ssée, la plus imposante entre toutes

ces ru ines , c’

était le connétable de Bourbon

Tout changea de face au château de

Moulins , lorsqu’

un genti lhomme , arrivé de

Lyon , tout couvert'

de poussière , accouru t

annoncer au duc , qu‘

avan t de passer les Al

pes , le roi en personne se disposai t à lu i

rendre visi te . Le visage du connétable

repri t a lors sa séréni té , et les Jardins leur

parure . Des courriers chargés de lettres

si llonnèrent les routes du Bourbonnais .

Une afiluence , cle‘

seigneurs et de dames

rempl i t comme par enchantement les ap

pafiemens déserts du'

château . Des sommes

énormes furen t dépensées,et le domaine

de Moul i ns red‘

evint en peu de jours plus

404 LE CONNÉTABLE DE BOURBON .

luxueux et plus royal qu’ i l ne l

avai t ja

mais été .

Le duc”

à l ’ issue d’ un tournoi auquel

François I" avai t assisté venai t de quitter

le roi sur le seui l du somptueux logis qu ’ i l

lui avai t préparé lorsqu’

i l rencontra dans

une des galeries du château quelques

uns de ses principaux offic iers arrivés

en tou te‘

hâte pour fa ire honneur à leu r

maître

Parmi eux se trouvaitmonsieurde Saint

Romain,j eune homme enthousiaste de la

gloiredu connétable , et dont la faveu r euprès du duc étai t malignement ex p1iquée

par l’ intérêt tou t particul ier que Son Al

tesse portai t Suzanne de Langelfeld

femme de ce gentilhomme . Au château de

Moul ins comme à l’hôtel des Tou rnelles

406 LE CONNÉTABLE DE BO URBON.

nétahle en a ffectant un ai r d’

hi lari té sous

lequel i l essayai t de masquer son dépi t ,

pensez -vous que le ro i soi t cohtent de notre

fête ?

Elle est splendide e t magn ifique ,

monseigneur , répondi t monsieur de Buren .

Le château de oul ins n’ a décidément rien

à envier à l’

hôtel des Tou rnelles .

Madame d’

Angoulême et messieurs

du Parlement,continua le colonel Frund

sberg , en von t mourir de dépi t .

Et pourtant , repri t le connétable ,

i ls espéraient m’

avilir en me dépouillant

de mes terres et de mes pensions , en for

cant un prince du sang royal de France à

se montrer aux Françai s dans le piètre

équipage d ’un cadet de famille , ruiné par

LA DEEECTION . 407

ges mauvaises moeurs ! Sainte—Barbe l i l

n’

en sera pas à leurs souhaits ! Tant qu' i l

me restera un j oyau de famille , une pièce

de vaisselle à mes armes j e paraî tra i tel

quo j e fus touj ours , avec lel ust re qui sied

à mon rang .

Le duc éta it retombé dans ses rêveries ,

que Saint—Romain i nterrompi t par ces

mots

Soupçonnez —vous monsieur le con

nétable,le but de ce tte visi te du ro i”

I l a compris que c’ est une mauvaise

arr1cre- gardo à laisser de ce cû té des Alpes ,

qu’

une otl‘

ense toute soignante dans un

coeur comme le mien .

Monsieur de Buren j eta un regard d ’

i n

telligence au colonel Fruudsberg , puis i l

dit

408 LE CONNÉTABLE DE BOURBON .

A la cour de l ’empereur Charles

Quint , où j’ ai passé ma j eunesse , moh

sieur le duc , une telle i nj ure n’ eut pas

été faite à un héros de votre sorte . H élas !

pourquo i n ’

êtes-vous pas né sujet de l ’Em

pereur ! ou pourquo i ne voulez —vous pas

le deveni r"! ajouta—t-il en baissant la voix .

Le premier rang , après lui , vous eût ap

partenu ; une couronne ne lu i aurai t pas

semblé un trop riche présent pour un

héros qui lu i eû t. conquis le monde .

Ces paroles arrachèrent un soupir au

duc de Bourbon qui fit un t ri ste retour

sur sa vi e écoulée .

0 Francois s’eoria-t— il , j e une

l ion que j ’ai vu combattre à Marignan !

comment es— tu devenu cet agneau timide

qu’

une main de femme gouverne à son

4 40 LE CONNÉTABLE DE BO URBON .

Nous sommes porteurs des ordres de

Sa Majesté .

Monsieur de Bourbon éprouva un fris

sonneinent par tout son corps . Il sa i si t son

front dans ses deux mains .

Ma tête s egare ! di t- il . Écraser ces

infâmes ! humilier François I" ! empl ir le

monde du brui t de ma vengeance

Et de votre honte,monseigneur

,s’ é

cria Saint-Romai n,pâle de terreur . Juste

c iel ! que le souven i r de vos aïeux vous

protège , monsieur le duc ! I ls sont tous

morts pour le roi et la France ! Pierre de

Bourbon , en 4356, à la j ournée de Poi tiers !

Jacques de Bourbon et Pierre son fils à l a

journée de Brignay , près de Lyon ! Loui s

de Bourbon en 4 4 45 , à la bata i lle d’

Az in

LA DÉFECT I ON . 4 4 4

court ! Franço i s de Bourbon à l a journée

de Marignan !

Les émissaires espagnol s remarquéœnt

l’

hésitation du conné table . Monsieur de

Buren se hâte de la dissiper parces paroles

Outre la l ieutenance‘

-

gênérale de ses

armées, dont i l vous i nvest it , monseigneur ,

l’

Empereur s‘

engage dès à présent à ériger

en royaume les états de Bourbon , auxquels

on j oindra la Provence et le Dauphipä .@l l

vous offre en mariage la princesse Dyna,

Léonora, sa sœur , veuve du roi de Portu

gal,et i l promet de l ’ insti tuer son héri t ière

et celle de son frère l’archiduc Ferdinand ,

à défaut d‘

enfans mâles de tous deux .

Voyez ! voyez, monsieur le duc ! Tout cela

est écri t et signé de la main de l’

Empe

rear !

4 42 LE couufin ew DE BOU RBON .

Le connétable se précip i te sur la lettre

que lui offrai t monsieur de Buren , et i l l a

lut d’un boub à l’autre sans proférer une

parole . Chacun attendait avec anxiété sa

réponse . Saint-Romain se tena i t , les mains

j o i ntes,auprès de son maître comme pour

le suppl ier de songer à sa glo ire .

Le duc remi t brusquemen t l a lettre dans

les mains de monsieur de Buren .

H é b ien , monseigneur ? murmure ce

Je refuse , répondi t fro idemen t le

connétab le .

Au même instant on annonça le roi .

Tous les v i sages reprirent leur calme et

leur i ndifférence habituelle, excepté pour

tan t celu i de monsieur de Bourbon , sur le

4 44 DE CONNÉTABLE DE BOU RBON .

Foi de gentilhomme ! un roi couronné ne

ferai t pas plus royalement .

I l n’

a pas tenu à votre Parlement,

Sire, répondi t le duc , qu’ i l me soi t de

meure un l i t pour l’ offrir à Votre Maj esté .

Mais le radeau de notre fortune n ’est pa s

tellemen t d1SJ01nt et rompu qu ’ i l ne nous

en reste , une planche où nous puission s

mettre le pied .

Avant de vous y abandonner, mon

cousi n , repri t Françoi s , i l serai t bon de

vous assurer si elle est assez sol ide pour

vous porter sans péril .

Sire , interrompi t monsieur de Bour

bon,la Providence est pour tous .

Je souhai te qu’ elle vous conduise ,

monsieur . Quand je qui tterai votre châ

L A DÉFE CT ION . 4 45

teau , car mes devoirs me défendent de

prolonger au delà de cette j ournée le pla i

si r que j’

éprouve en votre compagnie , j e

désire vous entreteni r seul à seul .

Je me rendrai,Sire , à vos ordres .

C’

e st b ien . Monsieur l ’amiral de

Bonn ivet , monsieur de Brion et quelques

autres de nos ami s viennent de mettre

pied à terre à votre porte . Veu illez faire

en sorte qu’

ils soient bien reçus et trai tés

pour l’amour de mo i , monsieur .

Le duc fit un signe de respect et de

soumission .

Je veux , mon cousin , ajouta le roi en

se reti rant , que si un j our l’

un de nous

venai t à manquer à l’autre, on pu i sse j uger

de quelle part sont demeurés la loyauté et

Phonneur.

4 46 LE CONNÉ TABLE DE BOURBON .

Les Français, réplique l e duc, sa

vent que , si j amais j’ai fai lli , ce n

’a été

Dieu merci ! n i de ce côté n i de l’autre .

Le ro i descendit dans les j ardins

s’

entretenant tout bas avec les gentilshom

mes qui l’avaient‘

accompagné . Ou enten

dai t retenti r dans les cours les p iaffemens

des chevaux qui avaien t amené monsieu r

l’

amiral et sa sui te . Le connétable désigne

Sa int-Romain pour faire à ses hôtes , en son

nom,les honneurs de son domaine . Quant à

l ui , i l se retira dans ses appartemens, après

avoi r défendu à ses gensde l’

y ven i r trou

bler, sous quelque prétexte que ce fû t.

Saint-Romain alla recevo i r les nouveaux

hôtes de son i llustre maî tre . En un instant

un splendide repas l eur fut servi dans

une des galeries du château , don t tous

4 48 L E CONNÉTABLE DE BOURBON .

la couronne , qui , d u fond de sa vénerio,

prétendai t en remontrer dans l ’art de la

guerre au plushabi le général dont la France

pût alors se glorifiér ; là - bas encore

monsieur de Montchenu , maître-d’

hôtel du

roi,qui voulai t aussi trancher du capi ta ine

et du triomphateur ; pu is , venaient après

eux Perrot de ! arty , de Ligny et quelques

autres j eunes gens à peine hors,de pages

,

qu i pour se pousseren faveur dans l’

espri t

des famil iers des Tournelles, renchérissaient

encore sur les outrages qu ’on prodiguai t

au prince que voulaient perdre les flatteurs

de la reine-mère .

Renfermant dans son cœur le mépris et

la haine qu’ i l ressentai t pour ces fauteurs

d’

intrigues, Saint-Romain mettai t tous ses

soins à leur faire noblement les honneurs

LA DÉFECT I ON . 4 49

d u château de Moulins . Obe1r aux moin

dres ordres du connétable , satisfaire ses

plus petits désirs avant même qu’ i l eût pri s

la peine de les exprimer , tel étai t le plan

de condui te que s’é tait tracé ce candide et

loyal j eune homme , depuis que les bien

fai ts'

du duc avaient aj outé les droits de la

reconnaissance à la profonde et sincère ad

m iration qu’ il avai t conçue pour son pro

tecteur. I l eû t bravé la mort pour épargner

un souci au connétable ; et , pour défendre

sa gloi re outragée , ce n’

eut pas été tr0p

pour lu i de répandre tout son sang . L’ a

mour qu’ il éprouvai t pou r sa femme Su

zanne de Langenfeld , étai t le seul côte par

où son cœur fût accessible à un au tre sen

t imen t que ce dévouement qui le domina i t

tou t entier . É levé loin de la cour,peu fai t

au beau langage de la rue Saint-Antoine

420 LE CONNÉTABLE DE BOURBON .

et‘

à cette science de déguiser la calomnie

et l’

insu lte sous le verni s de l‘éloge et du

respect , Saint - Romai n s’

en tretin t long

temps avec les nouveaux hôtes du château ,

sans s’apercevoir que chaque mot de leur

conversation é tai t une moquerie dirigée

contre le duc et con tre l u i - même . Les

convives,enhardis par le stoïci sme avec

lequel le j eune homme accueillai t leurs

propos,qu ’ i l ne songeai t pas même à rele

ver,exci tés peut-être aussi par de copien

ses libations de vi n d ’

Espagne, déchirèren t

par tant d ’

endroi ts le voile de l’

allusion ,

qu ’ i l fal lut bien enfin que l’

objet de leurs

mystifications ouvri t les yeux .

Dès l’

instant où Saint—Romain pu t se

douter que c’étai t bien à lu i qu’on en avai t,

son oreille e t son humeur devinren t plus

422 LE CONNÉTABLE DE B OURBON .

Pardieu ! dit de ! arty , à qui ce mou

vement donna le temps de ti rer son épée

laisse- le veni r à moi ! N ’ai -je pas t rahi un

beau secret , sur ma foi !Et où diable y a- t-i l

ici quelqu’

un , même en y comprenant

cet honnête mari du Bourbonnais, qu i ne

sache que madame de Saint—Romain est

la maî tresse du connétable de Bourbon

Saint—Romain se débarrassa de l ’é treinte

du comte de Ligny , et , d’ un coup de son

épée,i l li t rouler à terre celu i qu i l ’ insu l

tai t . Ou s’

empressa autour du blessé q u i ,

percé de part en part , et tran5porté dans

une salle voisine répétai t encore dans les

bras de ses amis

— Tou t cela n ’

empêche pas que madame

de Saint - Romain ne soi t la maî tresse du

connétable de Bourbon

L A DÉFECT I ON . 423

Ou avai t arraché l epée sanglante des

doigts crispés de Saint-Romain . Bonn ivet

voulut rester seul avec lu i pour le calmer,

pendant que les au tres convives accompa

gnaien t le médecin du château dans la

chambre du malheureux de ! arty .

Monsieur l ’am iral , répétai t Saint

Romain,un de vos gens m ’ a publiquement

outragé . l l faut qu ’ i l rét racte publiquement

sa calomm ie ; i l le faut pour mon honneur ,

ou j’

irai demander j ust ice au roi .

Loin de moi , répl iqua l’

am iral,la

7 7 °

pensee d excuser 1 1mpruden0ede ce pauvre

! arty . 11 a eu tort , monsieur, j e vous le

concède . Mais aller vous plaindre au roi,

à toute la cour,y pensez-vous ?

J’

i rai pourtan t monsieur l ’am iral .

424 LE CONNÉTABLE DE BO URBON .

A llons Saint-Romain , soyez calme .

Ne divulguez rien ; ne vous donnez pas en

spectacle à cette foule touj ours avide de

scandale . Ce n ’est pas la première fois

qu’

un tel malheur frappe un honnête

homme . Puisque vous l’

affirmez , j e veux

cro i re que vou s ignoriez cette intrigue .

Vous n’

y croyez pas vous—même

monsieur , répl ique Saint-Romain , ma

femme est honnête et sage , n’est— ce pa s ?

vous le savez . Monsieur le duo est homme

d’

honneur, vous le savez al 1ss1 . Pourquo i

en vouloir faire à mes yeux deux monstres

que j e ne pourrais plus regarder sans haine ;

car i ls m ’

auraient trompé . C ’ es t i nu tile,j e

ne puis croi re à cela .

Pourtant,i nsinua l’am iral , si l

’on

vous donnai t une preuve .

426 LE CONNÉTABLE DE BOU RBON .

Madame de Saint -Romain que vous

croyez a Paris occupée des devoirs de sa

charge auprès de madame d ’

An gou lême ,

madame de Sain t—Romain se cache ici de

pu is hier sou s un faux nom dans une mai

son de la ville . H ier,repri t Bonn ive t après

un si lence que le j eune homme a l téré n’a

vait pas la force de rompre,hier elle a fai t

rendre une lettre à monsieur de Bourbon

par une femme d u peuple qu i fein t de

veni r demander u n secours .

Et cette interrompi t Saint

Romain .

Cette femme vous la verrez . Elle vous

conduira au rendez - vous qu’

elle-même a

donné à monsieur le connétable .

En ce momen t 0 11 frappa doucemen t à la

L A DEFECT ION . 427

porte de la galerie . L’

am iral entrouvri t

cette porte une viei lle femme s’

avança .

Bonn ivet la pri t par le bras et l a conduisi t

sans dire un mot auprès de Saint - Romain

puis i l se retira . Le mari de Suzanne , ao

coudé sur le dos d ’

u n fauteui l regardai t

ven i r à lui cette apparit ion qui semblai t

évoquée d’ un tombeau . Les malheurs et la

souffrance,plutôt que les années avaien t

vieill i les trai ts de cette femme,sur les

quels on démêlai t encore les traces d’ une

beauté absente . Son front hautain,ses

longs yeux noi rs qui j etaien t des écla ir s

par i ntervalles,contrastaient d’ une façon

bizarre avec la pauvreté de ses habi ts .

Qui êtes—vous ? demanda le j eune

homme .

Une misérable femme que monsieur

428 LE CONNÉTABLE DE BOURBON .

l e duc de Bourbon un soi r qu’ i l se rendai t

aux Tournelles , fit battre à coups de fouet,

par se s gens,dans la rue Saint—An to ine .

N’

étiez—vous pas de ceux- là , vous ?

Non , répl iqua Sai nt —Romain . Que

m’

importe ceci ! A s—tu autre chose à me

dire ?

Vos amis m ’

appelaien t la sormere

i tal ienne ; j ugez de ce que j e dois savoi r .

Au fai t ! me feras— t u voir ce que tu as

Au ssi vra i que mes malédic tions

poursu ivront j usqu’

au dernier j our vo tr e

connétable et tous ceux qui l’ont a idé dans

ses massacres du Milanais

Songe à quoi tu t’

engages ! c’ est la

mort , Si tu me trompais .

430 DE CONNÉTABLE DE BOURBON .

puyer sur ce front flétri ; ses lèvres dont les

baisers sont si doux

Ah ! tais— toi ! Va- t-eu ! va-t— en l sor

01ere maudi te ! Non ! reste ! donne-mm ta

main pour me gu ider,car mes yeux se

troublent . Viens ! wens ! condui s-moi .

Ou i,j e vous conduirai repri t la

vieille en s’

attachan t de ses deux mains au

bras du Jeune homme . Vous la punirez de

votre déshonneur,n ’est- cc- pas ‘? Promet

tez — le—moi . Vous avez votre épée,votre

poignard ; for t b ien ! Quant au séducteur

de Suzanne,un bras plus haut que le vôtre

l’

abattra‘

. Moi qui le hais,j e -n ’a i pu le

frapper les démons son t pour lui ! N ’

avez

vous pas vu dans ses yeux,sur son front

,

ce sceau de la fatali té,étoile infernale qu i

le mène ver s un avenir é trange,mystérieux

,

L A DEEECT 1ON . 4 34

i nconnu ? 1’avez -vous pas vu qu

’ i l est de

ces hommes donnés en exemple à la terre,

idoles adorées et maudites , que la foudre

fini t par briser sur leur p1edestal ‘? Depuis

dix ans j e me traîne su r sa trace pour

qu’

un instant de j oie me paie d ’une vie de

mi sère et de larmes . Ce j our viendra . D ieu

est j uste

Vous le ba issez b ien madame !

Vous le ha 1rez comme moi , quand

vous aurez vu j usqu’

à quel po i n t vous êtes

outrage

MarclŒns, dit Saint -Romain,c ’est

tr0p de tempsperdu ; mais ne va pas me

tromper ; cette épée une fois tirée ne doi t

plus rentrer dans le fourreau .

I ls cl isparureut tous deux ;'

l’

anural de

9

432 LE CONNÉTABLE DE BOURBON .

Bonni vet entra aussi tôt par l’autre

'

ex tré

mi té de la galerie avec monsieur de Brion .

Tout va bien , dit l’un d ’eux ; allons

conter l’histoire au roi

Bravo ! di t l ’ autre ; monsi eur le duc

avai t oublié cet intermède dans le pro

gramme des fêtes de son château de Mou

l ins .

Pendan t que ces choses se passaient ,

une femme voilée étai t mystérieusement

introdui te dans les appartemens partien

l iers du connétable , où celu i -ci n’

avai t pas

tardé à la rej oindre . Au moment où l ’en

trevue de Saint-Romain avec la viei l le que

lui avait amenée l ’amiral commençai t à

prendre ñu , nous trouvons le duc‘

de

Bourbon dans une élégante galerie atte

43 4 LE CONNÉTAB LE DE nouneox .

pour vous voi r ! Mais , reléguée seule à

Paris vous sachan t en proie à tant de per

sécu tions j e n ’ ai pu ten ir à mon inqu ié

tude i l a fallu que j e v i nsse . Hélas ! pour

quoi su is-je venu e ! Pour o ubl ier en un

moment tous les sermens que j’

avais faits

à D ieu pour oubl ier mon devoir , le res

pec t de mon honneur tant de j ours pas

sés en lutte contre un amour qui devai t

enfin me dominer ! Comm ent osera is- je

maintenant lever les yeux vers le ciel et le

prendre à témoin de la chasteté de mon

ame Oh ! j ’ai perdu pour touj ours le doux

repos de la conscience !

Le bonheur te le rendra .

Je veux vous croire car un homme

comme vous ne peut menti r . D ieu ne s ’es t

pas plu à former le cœur des héros de ses

LA DÉFECT ION . 435

plus subl imes vertus pou r y mêler les

basses passions des hommes .

Regrettez-vous donc le sacrifice que

vous m ’

avez fai t ?

Oh non car mon corps et mon ame

sont à vous ! Au moindre soupçon de votre

péri l j ’ai tou t mis en oubli et j e suis

accourue sans autre compagnie qu’

nne

pauvre femme bien malheureuse , qu 1 V1 t

de mes secours depuis plusieurs mois .

Vous êtes si bonne !

C ’es t cette femme qui vous a remis

mon billet . El le m ’a bien rendu ce que j ’ai

fait pour elle . Aussi j e l ’ aime,monsieur

le duc ! j ’ ai passé mon enfance dans - son

pays , quoique j’en aie perdu le souveni r .

0 l’

Ital ie ! quand la reverrai -je cette

436 LE CDNNETADLE DE BOURBON .

belle contrée de mes rêves ? Que 1j e vou

drai s parcourir avec vous ces villes somp

tueuses toutes sonnan 1es de votre glo i re !

Car j e n’ ai rien vu de cela moi que

mon père cach a tout enfant parmi les tom

beaux d ’une égl ise pour me soustraire aux

hasards des batai lles . Cc que j ’en sais ,

c’ est ce qu ’ i l m ’

ena di t . Mais‘

je suis bien

folle n’est— ce pas j’

oubl ie que vous

voulez parti r qu ’ i l fau t . que vous par

t iez . Al lez mon héros mon maître dont

j e sui s plus fière qu’

un roi de sa cou

ronne ; al lez et emportez - mon ame avec

vous !

Je reviendrai pour te dire adieu .

Le connétable donna un baiser sur le

front de cette femme qui le regarda i t par

ti r avec une i nexprimable anxiété . Comme

438 LE CONNÉTABLE DE BOU RBON .

nous deV1ons mouri r ensemble . Oh ! qu ’ i l

avai t bien lu'

dans le l ivre de notre des

t inée !

Il est vrai , reprit le connétable impa

tient de terminer cet te conversat ion mai s

ce n ’ est pas nous séparer que nous qu itter

un 1ustan t pour nous rej oindre après .

es heures fu ien t si vite ! soupira la

dame ; son gez que cette nu i t j e pars ! Vous

ne me di tes plus de ces choses que j’

aimais

à vous entendre dire . Serai t— i l vrai que les

pensées du génie tuent l’amour ? Serait-i l

vrai que le désir satisfai t s’

étein t de lui

même comme un flambeau consumé ‘7

011 ! i l n ’en est pas ainsi de moi !

Mon amour est égal au t ien ,Su

zanne mais songe encore une fois que le

roi m’

attend .

L A DÉFECT ION . 439

Vous disiez autrefois : le roi peut bien

attendre

Écoutez , i nterrompit le due en se

précipitent vers une fenêtre don t i l écarte

doucement le rideau n’

en tendez-vous pas

dans cette cour un brui t d’armes ? C ’est le

roi qui me cherche ! peut-être v ient—i l

dans cette chambre ! Voyez ce que vous

avez fai t ! Qu’ on ne vous trouve pas ici .

Fuyez ! fuyez ! Adieu ! Suzanne ! adieu,

j e vais au devan t du roi .

Omon Dieu di t la pauvre femme,plu

tôt que de voir son cœur changer p uissé

j e mourir Et elle s’avance vers une peti te

porte à demi -cachée par la tapisserie . Au

moment où elle allai t sorti r la tapisserie

se leva,et Saint-Romaiu parut . Suzanne

poussa un cri de terreur et se précipita

4 40 LE CONNÉTABLE DE BOURBON .

vers l’

autre porte . Son mari la saisi t par

le bras .

Po in t de ce côté madame lu i di t

i l d’une voix é touffée le roi et sa cour

sont là qui se rendent dans cette galerie.

Silence ! venez ! Du mo i ns j e vous épar

gnerai la honte

Ils disparurent tous deux . Au même in

stant par l ’autre porte,entrai ent le roi et le

connétable accompagnés de l’am iral de

Bonn ivet et des principaux gentilshommes

de leur su ite .

PA S SON S sur le cérémonial mon cou

sin , di t François ]e r au duc de Bourbon .

Las d ’

attendre votre bon pla isi r,le roi

vient prendre congé de vous .

En véri té , Sire , vous me voyez con

fus,balbu tia le connétable auquel l ’ impa

444 LE CONNÉTABLE DE BOURBON .

tience de son cousin ne laissa pas le lo isi r

d’

achever la phrase commencée .

Fo i de genti lhomme,monsieur le

duc , j’ai eu le

Avant de monter à che

entreteni r une dernière

nous intéressent tous deux .

Le roi fi t un signe ; les person qu i

l’avaient accompagné saluèrent et reti

rerent aussi tô t . Franço i s I°” se j eta brus

quement dans un fauteuil , d’un air qui

exprimai t combien i l avai t hâte d’en fini r.

M onsieur de Bourbon , sur son i nvitation

s’

assi t à quelques pas de lui .

Maintenant , Sire , d it-i l , j e vous

écoute .

Franço i s commença

4 46 LE CONNETAB LE DE BOU RBON .

aiguisent contre m o i dans l ’ombre despoi

guards ; que des Français qui t iennent

dans leurs mains les clés de nos provinces ,

soupiren t après mon absence pour ou vri r

nos portes à l ’etranger, voilà ce que j e re

doute et ce que je déclare infâme,monsieur !

En prononçant ces mots,le r0 1 frappa

v ivement de sa main lebras du fauteui l su r

lequel i l é tait appuyé , et i l considéra fi x e

ment le connétable qui ne baissa pas la

paupière .

Si re, repondit tranquillement le duc ,

si vous avez la preuve qu’

un França is , fût- i l

des plus grands de votre royaume ai t

conçu un tel dessein que tardez— vmis à le

puni r ?

Mon cousin , poursu ivi t François ,

LA DEFE C'

I ION . 4 4 7

quelque peu déconcerté par cette assu

rance,votre opinion à ce sujet est d

un

grand poids à mes yeux . Il m ’en coûtai t

j e l ’avoue de soupçonner des ennemis de

mon trône dans les premiers rangs de ma

noblesse .

Sire , repri t le connétable avec ce ton

d’

audace qui lui étai t habituel , l e trône de

France n’ a d ’

au tres ennemis que vos cou r

tisans. Ce sont eux qu i dépouil leront votre

peuple du respect et de l’

amour de son roi,

et leur roi de l’estime de son peuple ! ce

sont eux qui vous aliéneront le cœurde

votre noblesse , Si re , et qui mettront à mal

le royaume , si vous n’

y prenez garde !

Voi l les ennemiset les traî tres ! Tant pi s

pour eux si ma franchise les démasque ;

tan t

'

p is pour vous si vous ne les reconna is

sez pas à ce portra i t !

4 48 1.E CONNÉTABLE DE BOURBON.

Le ro i laissa percer un mouvement de

colère, qu’

i l réprima presque aussitôt .Puis

avançant v ivemen t son fauteu i l

En est- i l un seul monsieur le duc,

j e vous le demande , qu’ on pu isse accuser

comme vous d ’

en treten irchez lu i lesmécon

tens et les étrangers suspects ? Si monsieur

de Lau trec veut insulter ma mère il vous

trouve . S i messieurs de Buren et Frunds

berg , espions avoués de l’

Espagne , cher

chent du crédit en France,qui le leur

donne ? Vou s ! qu i en faites vos plus int i

mes consei llers ! Mes amis '

ne valent- i ls

pas les vôtres ? Vous seriez mo ins j aloux

peut -être de ce qu’

ils ont reçu de moi si

vous voul iez vous souvenir que le premier

acte de ma royauté fut de vous gratifier de

l’

épée de connétable qu’

avait portée avec

4 50 CDM ETAE 1.E DE BOU RBON .

Qu’ une double réconciliation cimente notre

nouvelle amitié . Foi de gentilhomme ! vos

biens vous seront J’

y aj ou terai

même d ’

autres marqu ma faveur.

Pendant mon absence , vous prendrez les‘

ordres de ma mère\

que j’

a i nommée,ré

gente . Je vous iuvesl is de la lieutenance du

royaume . M ais , de votre côté , j’

ex ige que

vous me fassiez le sacrifice de votre ran

cune , que vous retourm ez a notre premier

projet , que vous acceptiez pour votre

épouse m adame la duchesse d’

Angou

lême . Votre main , mon cousi n ! donnez

moi votre main

J amais ! Sire , j amais ! répondi t le

due en retirant la sienne .

A son tour le roi se leva .

Monsieur,j ’a i promis—

en votre nom .

LA DÉFECT ION . 4 54

Puisse la foudre m ’

écraser s’

ecr1a

le duc,avant que j

épouse une tel le femme !

François I°r mordi t son gant de colère .

Pas un mot de plus , monsieur de

Bourbon songez que vous parlez de ma

mere .

Le nom de la duchesse d ’

Angou lême

avai t réveillé tous les ressentimens du cou

nétable . Il ne se possédai t plus ; i l ne savai t

plus garder aucune mesure ; sa franchise

alla i t le perdre

Une femme , cont inua -t—i l,qui par

les mains de son i nfâme chancel ier Duprat,

a mis toutes les charges du royaume à

Pencan !

La patience du roi était à bout,ses lè

vres tremblaient ; son visage se couvrai t

d ’une paleur l ivide .

452 LE CONNÉTABLE DE BO URBON .

Taisez-vous , monsieu r , fi t- i l en im

posant silence de la main à son imprudent

interlocuteur qui poursuivi t sans pitié

Une femme dont l’

avarice et la cupi

d ité feraient monnayer si elle l ’osait le

sceptre et la couronne -de son fils !

Vous m ’

insultez , Monsieur ! s’

écria

François 1“ hors de lui .

Un soufflet retenti t su r la j oue du con

né table . Du même coup la main du duc

résonna sur la poignée de son épée qu i

faill i t ê tre brisée par le choc cette main

resta comme clouée à la place où elle avait

frappé . La porte de la galerie'

s’

ouvri t au

même instant,et, en un cl in d’

œ il , vingt

personnes s’ interposèrent entre le roi et le

duc . I l se fi t un silence effrayant . Sur un

454 DE CONNÉTABLE DE BOU RBON .

serra convûlsivement la main de Monta

gnac Tausannes , debout et immobil e

devant lui un soufflet ! Montagnac ! et j e

ne l ’ai pas tué !

Le colonel : Frundsberg accourai t en ce

moment .

Monsieur de Frundsberg , lui cria le

duc du plus loin qu ’ il l’aperçut le roi m ’a

donné un soufflet !

Cela crie vengeance , Monseigneur !

Je l’aurai ! j e l ’aurai ! j ’en j ure D ieu !

la terre ne peut plus nous porter‘

tous

deux

désormais ! Mon pauvre Pompéran t , pour

su ivi t le duo en se précipi tant au devant

du capita ine de ses gardes,qui arrivai t tou t

pâli de la nouvel le qu ’ i l venai t d ’

apprendre ,

mon pauvre Pompèren t , j e su is déshonoré ,

LA DÉFECT I ON . 455

avil i i l a osé me donner un sou fflet ! Ap

prochez tous , messieurs , repri t le conné

table en interpellent par‘

son nom chacun

de'

ses gent ilshommes qui entra ient‘

en

foule,venez voi r sur ma j oue l’emprein te

encore chaude de la main de François I°"

Des Escures de Beaumon t d ’

Esp ina Va

rennes si vous voulez savoir comment le

roi paie lesservices de sa noblesse , regar

dez là !

Monsieur le duc , s’

écr1eren t à la fois

les assistans , nous partageons tous votre

affront !

Que nous réserve-t - i l,dit Montagnac

Tausannes s’

i l traite ainsi le plus glorieux

prince de son sang ?

Pou r moi aj outa monsieur de Eu

456 LE CONNÉ'I‘ABLE DE BO URBON

.

ren j e retourne sur les terres de l’Empe

reur.

Vous ne parti rez pas seul ! interrow

le duc de Bourbon .

Di sposez de nous tous , monsieur le

Le connétable remercia d’un regard ces

fidèles servi teurs qui l iaient a insi leu r for

tune à la sienne . I l fi t quelques pas,la tête

baissée et les bras croisés sur sa poitrine

on attendait en silence qu ’ i l fix ât par un

mot toutes ces destinées qui se confiaien t à

lu i . I l rcleva l a tête et regardant ses amis

en face

Cc soi r , Messieu'

rs JB quitte la

France !

Nous vous suivrons , répondirent- ils .

458 LE CONNÉTABLE DE BO URBON .

poursu ivi t le duc , mon parti est pris , i rre

vocablement pris .

Il faudra pourtant que vous m ’

écou

l iez répondit le nouveau venu .

Ils entrèrent ensemble dans une chambre

voisine . Jean de Poit iers seigneur de

Saint—Vall ier , capitaine de cen t hommes

d’armes et chevalier de l ’ordre du roi , étai t

allié à la famille de Bourbon . l l connaissa it

les pièges dont onentourai t 1econnétable ;

i l savai t que François 1e r devai t avoir une

explica tion avec lu i au suj et de la duchesse

d’

Angou lême ; i l avai t prevu.

tout ce qui

étai t arrivé . Il se j eta aux genoux de Bour

bon i l le supplie les larmes aux yeux , de

changer de résolution et de songer au dés

honneur qui allai t le frapper , aux malheurs

sans nombre qu ’ i l décl1aîria i t sur la France .

LA DEEECTfON . 459

Bourbon parut attendri par les supplica

tions du vieillard .

Eh ! mon cousin , di t- il en le pressant

sur son cœur,que veux— tu donc que j e

devienne ? i ls m ’ont tout pri s,j e n ’ai plu s

rien,j e ne su is plus rien . Ils veulent que

j’

ex pme dans l’

opprobre et dans la misère !

Toi—même,en me venant voir ,

'

ne sai s— tu

pas que tu en as fai t assez pour t ’a ltirer

l eur vengeance , s’ i l ne suf fisait pour cela

de tes vertus et de tes services . Va— t — en,

Sain t-Vall ier ! va - t-eu et me laisse ! Songe

qu e tu as une famil le une li lle‘

chérie

D iane de Poitiers , modèle de beauté e t

de sagesse , que la corruption de l’

hôtel

des Tournelles n ’a pas éprouvée j us

qu’

ici D ieu soit loué ! Cache - la bien

aux regards du roi , et cache toi -même dans

le plus pro fond repli de ton coeur l ’ami t ie

460 LE CONNÉTABLE DE BOURBON .

que tu me portes car ce sont là des cri

mes entends— tu ? qu’

i ls te feraient,expier

comme en ce jour ils me fon t expier mes

victoires .

Ces prophétiques paroles ne d iminué

ren en rien les nobles efforts de Saint—Val

l ier pour ramener le duc de Bourbon à ses

devoi rs . Le connétable ne put obteni r

qu’ il qu i ttât le château de Moul ins qu’en

lu i promettant de ne pas pousser plu s

avant son proj et sans prendre avis de sa

v iei lle expérience .

‘DèS que Saint—Vallier se fut éloigné , le

le duc rentra dans la galerie où ses parti

sans l ’attendaiemt i l les trouva tous im

patiens de recevoir l’

ordre du départ .

— Neperdonspas un instant , di t- i l; mon

462 LE CONNETABLE DE BOURBON )

ami . C’

est ma tête que j e confie votre

garde ! Mai ntenant placez -vous à cette

table et écr ivez .

Je ne le puis monsieur le duc repri t

le j eune homme .

Que signifie êela ? trah i riez-vous ma

cause vous , Saint- Romai n ?

Je qu itte à l ’ instant votre château pour

n’

y jamais rentrer .

Un cr i d etonnement éclata parmi les

gens du connétable ; on se refusai t à croire

que ces paroles fa ssent sort i es de la bouche

de Saint-Romain . Personne n’

i gnorai t de

combien de faveurs le duc avai t comblé

ce j eune homme entré dans la maison de

Bourbon sans autre fortune que son é pée .

Ses camarades l’entourèrent et le pressèrent

LA DÉ FE CT ION . 463

de rétracter ce qu’

i l venai t de dire i l ré

péta pour la seconde fois les mêmes paroles,

et d’

une voix haute et claire afin que tou t

le monde l’

en tendît . Alors chacun s’

éloi

gna de l u i . L’un lui reprocha son ingrati

tude i l souri t amèrement et ne répondi t

pas un au tre lui demanda s ’ i l avai t peur

i l se contenta de hausser les épaules . Il

allai t se reti rer lorsque le duc l’

appela et

lu i exprima le désir de savoi r au moins le

motif de ce brusque abandon .

C ’

est vous qui m’

ordonnez de parler

monsieur le duc,s’

écria— t- il, j e vais vous sa

tisfaire . Écoutez tous Messieurs . Puis , se

tournant vers le connétable : Monsieur le

duc vous êtes mon bienfaiteur tout le

monde ici sai t cela j e vous dois la charge de

genti lhomme de votre maison,celle qu i me1 1"

464 LE CONNÉTABLE DE BOU RBON .

confie la garde de votre sceau ducal et les

gages attachés à cette place . Je ne porte

pas un j oyau,pas un vêtemen t qu i ne pro

vienne de votre mun ificence . Tout ce qui

fai t bri ller un homme dans le monde,tout

ce qu i atti re les yeux de la foule et la ja

lousiedes envieux j e vou s le dois . Mais en

me donnan t ces hochets de la vanité vous

vous êtes payé chèrement , monsieur le duc ;

vous m ’

avez pris un 1 résor que rien ne me

rendra désormais vous m ’

avez ravi l’

hon

neur . Vous tous qui m’

écou tez , m’

avez

vous donc cru assez lâche pour avoi r froi

dement calculé ce que pouvai t me rappor

ter en faveurs et en largesses l ’amour de

ma femme cédé par un trai té infâme aux

caprices de Son Al tesse ! D ieu m ’est témoin

qu’

aujourd’

hu i seulement j e connais j us

qu’

où mon incx périence a été abusée ; Dieu

4 66 LE CONN ÉTABLE DE BO URBON .

d’

honneur. Le connétable fu t péniblement

affecté de cette déplorable scène où cette

fois le plus noble rôl e ne fut pas pour lui .

Mais i l n ’

avai t pas le temps alors de se lais

ser aller au penchant de sa rêverie ; son

cœur saigna i t par tant d’

au tres endroits ,

qu ’ i l perdit bientôt le "sentiment de cette

nouvelle blessure . Montagnac-Tausannes

entra précipi tamment , botté éperonné

et son fouet dei

voyage à la ma in .

Mes chevaux sont prêts monsieur le

duc,di t- i l j e pars pour l’Allemagne . Dans

peu,si le C ie1me seconde , monsieur

de Lan

genfeld et moi nous vous rej oindrons sous

les mursfl e Milan . Que votre éto ile vous con

du ise, Monseigneurlaj outa- t— i l en se retirant

après avoi r baisé la main du connétable .

—Pompèrent , à son tour entra dans la

LA DÉFE CT ION . 467

galerie à l 1nst&n t où Montagnac-Tausannes

en sortai t ; i l étai t accompagné de mon

sieur de Buren et du colonel de Frunds

berg .

Monsieur le duc , dit Pompérant , on

a rassemblé tout cequi reste d’ or au châ

teau . Vos gentilshommes et vos officiers on t

fai t verser leur épa r'

gne et leurs j oyaux

dans les coffres de vos t résoriers i ls

n’

on t voulu garder que leur armure et leur

épée .

Toute votre maison Monseigneur

est en armes , repri t le colonel Frundsberg ,

et n ’

attend p lus que le signal du départ .

Fort bien,répondi t le connétable , Q

Ne laissons pas au roi le temps de nous

préveni r . Messieurs , aj outa-t- il pou r plus

468 LE CONNÉTABLE DE BOURDON .

de sûreté séparons— nous . Chacun gagnera

comme i l le pourra le terri toi rede l’Empe

reur , en Franche— Comté . Je j ure pour ma

part de ne remettre ’épée au fourreau que

le j our où François de Valois m ’aura de

mandé grace ! Et , pour que j e n’

oublie pas

le serment que j ’ai fai t ici devant vous ,

on brodera'

sur mon étendard un estoc

flamboyant avec le mot espérance au

dessous .

Tandis que le connétable et ses partisans

s’

apprêtaient à gagner la campagne

Sai nt-Bomain sortai t du château à pied

vêtu d ’un simple habi t de drap son épée

au côté sans même un domestique à sa'

“Û

su ite , dans ce même costume de pauvre

gentilhomme qu ’ i l porta i t c inq ans aupa

revau t lorsque , pour la premwrc f01s, i l éta it

470 LE CONNÉTABLE DE BOU RBON .

Elle se débattai t et me priai t d ’une

vo ix si lamentable ! répondi t le j eune

homme j e l ’a i laissée fuir .

Fuir avec son amant ! repri t la

viei lle . Au mom s la perte de Bourbon est

assurée . Venez vo i r _comme sa destinée va

l’

emporter dans l’abime le traître à sa pa

trie le meurtrier de mes enfans ! Demain

le vainqueur de Marignan ne sera plus

qu’

un rebelle dont on i ra voi r la tête à

Mou tfaucon !

Ah interrompi t Saint-Romain i l

n’

y a que les rois déchus et les démons qu i

puissent maudire ainsi . Qui donc êtes

vous ?

La vieille parut se recuei ll ir quelques in

stans puis elle di t Mes aïeux portaient

LA DÉFEC 'I‘

ION . 474

aussi une couronne autrefois : on les appe

lai t ducs de Milan . Pui sse cette couronne

que Charles-Quint et François I er se dis

pu tent auj ourd’hui se briser entre leurs

mains et que ses éclats les écrasent ! Tel

est le dern ier vœu de Césara Visconti !

En ce moment , on vit passer à travers les

éclai rcies des arbres une bande de cava

liers qui faisa ient partie de la su i te du roi

et qui regagnaient le grand chemin de Mou

lins à Lyon . Césara Viscont i poussa vers

eux son cheval .

Où voulez -vous aller s’eoria Saint

Romain en s’

attachant à la bride du

cheval .

Tou t raconter à Françoi s I" répon

di t la vieille avec un horrible sourire ;

4 72 L E CONNÉTABLE DE BOURBON .

perdre le connétable rendre sa fui te

possible !

Vous n’

irez pas

Romain qui lu i ferma

Quo i ! c’est vous

Que D ieu le frappe dans sa j ustice , i l

l ’a bien méri té ! mais sa gloire appartien tà

mon pays . Vous n ’

irez pas plus loin , vous

d is-je qu ’ i l ne soi t à l’abri de votre ven

geance .

Les cavaliers eurent bientôt disparu ;

Sain t-Romain et la vieille cheminèrent j us

qu’au prochai n village où le j eune homme

loua une mule pour escorter jusqu’

à Lyon

sa compagne de voyage .

reparti t Saint

le passage .

qu i défendez le

478 DE CONNÉTABLE DE BOURBON .

sur la botte de paille qu i lu i servai t de l i t,

le premier des deux interlocuteurs c‘est

l’

heure où va se montrer le fantôme que

Nunez et to i vous avez vu la nui t der

n ière !

Chut ! là—bas ne distingu es— tu rien,

sou s les noi rs arcea‘ux de cette égl ise où

nous sommes campés repri t le second des

deux soldats .

C ’est un rayon de la lune .

Que ces damnés luthériens son t heu

reux mon bon Lopez de dormir dans un

p arei l instant . Si j e revoi s j amais l’Espagne,

j e ferai pénitence pour avoi r couché si près

d’ eux .

Que Satan confonde le nouveau géné

r al de l’

Empereur, qui nous faitbivouaquer

L ’HEURE DE LA VENGEANCE . 4 79

ainsi dans une égl ise consacrée côte à côte

avec ces mécréans de lansquenets !

Ge Bourbon ne croi t à rien ! pas

même aux saints e t aux fantômes !

Ah çà ! toi qu i l’ as vu le fantôme

quelle figure avai t— il

Ma foi je ne sais pas quoique pour

tant j e l‘

aie vu comme j e te voi s Diego .

C ’ est l’ ame en peine de quelque dé

funt duc ou roi sortie de ces tombeaux de

marbre qu i .en touren t l’

église .

Pour cela non Di ego le fantôme

est posi tivement une femme et une vieille

femme encore ce qui rend le présage plus

effrayant ; et pui s c’ est auj ourd ’hui ven

dredi !

480 LE C ONNÉTABLE DE BOURBON .

Om Jour de Saint-Math ias 24° de

février 4525 .

Je cro i s que la j ournée de demain

sera rude .

Je te le demande Bourbon aux

prises avec François

— Veux- tu bo i re un coup de ce vin lom

hard T iens ! prends ma gourde !

Merc i j e n ’ai pas so i f.

J’

éprouve un frisson du d iable par

tous les membres . Tu me croi ras si tu

veux , j’

aimerais mieux cen t fois être au

plus fort de la bataille que de me savoi r

en un l ieu hanté par les espri ts . Jouons

au passe-dix pour tuer le temps . A s - tu

ton cornet ? voilà mes dés .

482 LE CON NÉTABLE DE DbUDEDN .

d’

au tres à prix d’

argen t,suiva ient la for

tune du connétable , devenu général espa

gnol ; mais i ls n’

étaient pas placés cepen

dant sous son commandement immédiat .

Le marqui s de Pescaire étai t général de

l’

infan terie d’

Espagne , et le comte de Lan

noy vice-roi de Naples pour l ’Empereur ,

condui sai t les lances i taliennes . Les lans

quenets seul s appa rtenai ent à monsieu r de

Bourbon ; i l les ava i t levés lui -même en

Al lemagne a u moyen de quelques sommes

d ’argent qu’ i l avai t empruntées du duc de

Savoie,après son évasion du château de

Moulins . Ces soldats dominés par le ca

ractère et par le génie du transfuge illus

tre,marchaient tête baissée sur les pas

de leur chef aventureux , sans lui deman

der au tre chose que des victoi res et du pil

lage . i ls ne connaissaient l’Empereur que

L’

H EUEE DE LA VENGEANCE . 483

de nom leur véri table roi c e tai t leur géné

ral . Ce confl i t de pouvoirs qui donnai t au

m arquis de Pescaire et au vice— roi de Na

ples une autori té au moins égale à celle de

Bourbon aurai t dû,ce semble , nuire aux

opérations de l’armée de Charles—Quint ,

en y introduisant la di vision . Mais quoique

le connétable eût à souffrir des j alousies

de ses collè gues,i l savai t tou t sacrifier au

soi n d’

assurer sa vengeance . Il était d’ail

leurs plus maître des soldats de ses collè

gues que ses collègues eux—mêmes : et c‘est

encore un fai t inexpl icable auj ourd’ hui que

la conquête de l’ Italie par une arm ée com

posée de luthérien s allemands et de catho

l iques espagnols . Le génie de Bourbon

opéra pourtant ce prod ige .

Les deux soldats dont nous avons en

484 DE CONN ÉTAB LE DE BOURBON .

tendu les discours au milieu du bivouac

établ i dans l’

eglise de la Chartreuse , j oué

rent quelques instans aux dés , et enflam

més par la passion du gain,i ls eurent

bientôt oublié le premier mot if de leurs

terreurs . Mais tout à coup l’un d’eux se

j eta le front contre terre , et,saisi ssant

son chapelet,i l di t à l ’autre

Ne souffle mot , ou nous sommes

morts

Une femme , su ivie d’un homme enve

loppé d’un manteau , traversai t en ce mo

ment l ’une des hautes galeries de l’eglise .

El le s ’erreta quelques secondes et se pen

cha sur les balustres de pierres sculptées

étendant sa main vers les soldats qui dor

maient et , au même instant , les tuyaux

de l’

orgne , enflés par le vent j etèrent un

486 L E CONNÉTABLE DE BOURBON .

sonner les trompettes . Le marquis de ? es

caire et le comte de Lannoy,vice-roi de

Naples se présentèrent,su ivi s de quelques

gens d ’armes , et ne réussi rent qu’

à aug

menter la confusion .

A bas le général ! s’écr1erent à la fois

les lansquenets et les espagnols dès qu’

ils

les aperçurent .

Est-cc ai nsi ue vous servez l’Em eq

reur‘

? demanda le comte de Lannoy .

Nous le servons comme i l nous paie ,

monsieur le vice-roi de Naples , répondi t

un des révoltés .

Depuis six mois que nous sommes en

campagne , poursuivi t un autre , nous

n’

avons pas touché un réel entre nous

tous .

L ’HEURE DE L A VEN GEAN CE . 487

Pour cela les espagnols ont raison

repri ren t les l ansquenets qu ’ on nous paie

notre solde ! Ou i ! notre solde ! hurla la

multi tude,nous ne voulons plus obéir

Congé ou argent ! congé ou argent !

Nous sommes perdus,monsieur le

marquis,di t le comte de Lannoy à son

collègue, voyant que les harangueurs de

cette troupe indiscipl inée lui persuadaient

déjà de se débander, et que plusieurs par

laient de passer dans le camp des Fran

cais .

Au moment où la sedition menaçait de

se changer en une rébellion ouverte,on

vi t entrer dans l ’egli se un nouveau person

nage dont le seu l aspect rétabli t tout d ’a

bord l’

ordre et le si lence parmi cette mu l

t i tude égarée . Cet homme, c

était le duc

488 LÊ CONNÉTABLE DE BOURBON .

de Bourbon sans casqu e et sans épée ,

vêtu d ’un simple pourpoint de cu i r sur le

quel i l n ’

ovai t pas eu le temps de faire at

tacher sa cu i rasse . Pompéran t le précédait,portant son étendard de taffetasjaune semé

d’

épées flamboyan tes au dessous des .

quelles le mot espérance étai t brod6à plu

sieurs endroits . Montagnac—Tausannes le

colonel Frundsberg et quelques autres de

ses officiers le suivaient . Les rangs des

m i1tins s’

ouvriren t devan t les pas de leur

chef. Quand i l fut a u mil ieu d’eux i l pro

mena son regard autour de lui , puis , fa i

sant un signe à ses écuyers

Qu ’on mande ici le grand‘

prévôt ,

dit- i l ; que toutes les issues soient étroite

ment gardées . Défense de sortirsous peine

de mor t !

490 L E CONN ÉTABLE DE BOURBON .

ses du colonel Diespach et les bandes noires

de monsieur de Suffol ! , qu i ne savent se

battre que la bourse et le ven tre ple ins ! Cela

n ’est- i l pas vrai Allons,si j e me trompe ,

démentez -moi .

D1eg0 ,pou ssé en avant par ses camara

des , sort1 t des rangs les yeux baissés , et

roulant son feutre dans ses doigts

l llustrissime seigneur,di t- i l , assu

rémen t nous ne craignons n i les Su isses n i

les bandes noi res,et nous croyons l’avoir

prouvé . Mais s ’ i l est j uste et nécessa ire que

n ous servions l’Empereur Charles de tou t

cœur ,

n’

est— i l pas j uste aussi qu’ i l nous

nourri sse et qu ’ i l nous habil le ? Or , pour

nous munir contre la faim et le froid nous

attendons notre solde que vos trésoriers

on t oublié de nous payer depuis si .\ mois .

L ’HEURE DE L A VEN GEANCE . 494

Écoutez,mes enfeus répondi t le

duc j e suis un pauvre caval ier ; j e n’ ai pas

un sou non plus que vous ; fa isons fortune

ensemble .Vous‘

avez bien souffert dans cette

campagne . Vos pourpoints sont u sés sur

votre dos ; vos pertu isanes et vos épées ron

gees,par la rouille et la pluie ; votre bourse

est aussi mince que mon crédit . Au point

duj our, j e vou s li vre l’

armée de François! er

une armée de muguets de cou r et de favo

ri s tous avec des coffres bien garnis de

ducats tous avec de beaux chevaux capa

raçonnés , et des capes de velours'

et des

manteaux brodés ; tous avec de belles ar

mures de Florence où il entre plus d ’or et

d’ argent que de fer . Tout cela pour vous

Ê tes-vous contens ‘?

Oui ! ou i ! murmurèrent à la fois les

492 LE CONNÉ TABLE DE B OURBON .

lansquenets e t les espagnol s le combat e t

le pi llage !

Marcherez- vous à l’ennemi avec moi ,

avec nous tous , pour gagner en une se ule

bataille plus de dix ans de votre solde

Oui ! ou i ! Le combat ! le combat !

Vive Bourbon

C ’est bien repri t le connétab le . Vous

savez si j e t iens ma parole . Avant l ’aube

nous serons la lance au po ing dans la plaine .

Puisque vous êtes si pressés de vaincre ,

mes bons amis vous formerez l’

avant

garde et vous essuierez le premier feu . Ran

gez -vous en bata i lle dans la cour du cou

vent . Au premier signal vous irez occuper

les postes avancés .

Les cris de V ive Bourbon ! retentirent

494 LE CONNÉTABLE DE BOURBON .

voi r , s’

appr0prian t ainsi la plus largepart

dans un succès auquel i ls n’

avaient point

contribué .

Pescaire malgre sa j alousie é tai t pour

tant un autre homme que le comte de Lan

noy . Arrière-peti t-filsd edon Rodrigo d ’

A va

los , qui fut connétable de Castille pour

avoi r combattu en champ clos un cheval ier

portugais devant le roi Pescaire s’

é tai t si

gnalepar une bravoure extraordina i re , dès

l’

âge de sei ze ans , à la batai ll e de Ravenne ,

où il l‘u t blessé et fai t pri sonnier par les

Français . Il avai t retrouvé sa l iberté moyen

nant une rançon de écus , par l’

i n

tercession du maréchalde Trivu lce , son pa

rent . A ses taleus mili ta ires le marqu isjoi

gnait encore u n grand espri t et une rare

i nstruction . Pendant sa captivi té , i l avai t

L’

EEUEE DE LA VEN GEAN CE . 495

écrit un livre d ’amour dédié‘

à sa femme ,

Victoria Colonna,qu ’ i l chérissai t tendre

ment quoique son père l ui eû t fai t eon

tracter ce mariage d‘

in térê t à l’

äge de tro i s

ans . I l avai t trente-qu atre ans alors,

- et le

temps n ’

evai t en rien diminué ce chevaleres

que amour,qu i tempérai t l

irritabili té et

l’

emportemen t de son caractère . Charles de

Lannoy,seigneur de Mengoval , i nvest i de la

vice—royauté de Naples par Cha‘

rles- Quin t

éta i t Flamand comme l ’Empereur. Sa bra

voure n’

étai t rien moins que prouvée ,ma issa

complaisante flatterie sa connaissance des

moyens de parvenir , son visage impassible

qui masquai t les projets de son ambition

lui donnaient beaucoup d’avantage sur le

marquis son rival .

Mai ntenant Mess ieurs,di t — lo con

496 LE CONNÉTABLE DE BOURBON .

nétable à nous de teni r parole à nos sol

dats ! Mais auparavant cet imprudent fan

tôme , qui de vous le connaî t

Je soupçonne répondi t le cap itaine

Langenfeld que ce n ’est autre chose qu ’

ane

femme d ’

assez misérable apparence , que les

Chartreux cachent depui s quelques j ours

dans leur couvent .

Et quelle est cette femme ? demanda

le duc:

Nul de nous ne l ’a vue . Mais on la

soupçonne d ’

être une arrière-petite-fille

de Jean—Marie Visconti duc de Milan ,

assassiné en 4 4 47 . Cette femme assure

t—on réclame follement la couronne — de

son aïeul,i nj ustement u surpée d it- elle,

par Ph i l ippe- Marie de qu i les Sforce t ien

nen t leurs droi ts .

498 LE CONNÉTABLE DE BOURBON .

oisive . En dépi t desinstances desChabannes ,

des La Tréniou ille des Sanséverin et de

t ous les vieux capi ta ines de son consei l ce

fou de François I‘"persiste à vou loirjouer sa

fortune et sa vie sur un coup de dés . Sainte

Barbe ! Messieurs , remercions le C iel d’ a

bord,et puis ensu i te les court isans des

Tournelles , messieurs de Bonn ivet de

Montmorency de Saint-Marsaul t,et Cha

bot de Brion car c ’

est à leur bon avi s que

nous devrons la victoi re que j e vous eu

nonce . Le roi de France s’ est vanté qu ’ i l

prendrai t Pavie ou qu’

i l'

périrai t sous ses

murs . Donnons - l u i un démenti éclatant en

écrasant sa gendarmerie et en prenant vi

vant‘ ce fanfaron couronné . N’est-ce point

votre 0pin ion Messieurs

Sans nu l doute , répondi t le comte de

L ’HEURE DE LA VENGEANCE . 499

Lannoy . Dans une heure , monsieurle mar

quis aura pénétré dans le parc de Mirebelle ,

par la brèche que nos pionniers y ont

fai te .

Le temps se passe , repri t le duc de

B ourbon . Capitaine de Langen‘

feld que

mes écuyers m’

apportent mes armes .

Quant à vous j e vous charge du soin

de veiller à la sortie de nos soldats . Pom

péran t , Montagnac - Tausannes et vous

tou s, mes bons et fidèles am i s , vous com

battrez à côté de moi . Nous avons à venger

nos amis de France i ndignement torturés

à la Basti lle pour notre cause .

Nous avons aussi des traîtres à punir,

monsieur le duc , repri t Pompérant . Saint

Romain est,cl i t-ou , dans le camp du roi .

Que Dieu le lui pardonne répondi t l e

200 LE CONNÉTABLE DE BOURBON .

connétable i l étai t digne de vaincre avec

nous .

Un sombre nuage obscurci t le regard de

monsieu r de Bourbon . Il demeura quelque

temps pensif puis se tournant vers le

marquis de Pescaire e t vers le vice—ro i de

Naples

Vous, Messœurs! pendant que vous

ferez tête au duc d’

Alençon et au maréchal

de Chabannes , qu i diri gent les deux a iles

ennemies, j

attaquera i le gros de l’

armée

que condui t le roi en personne .

Vous oubliez monsieur de Bou rbon

interrompi t le marquis de Pescaire , que le

rang et le pouvoi r doivent ê tre également

partagés entre nous .

Vous commanderez vos lansquenels,

202 DE CONNÉTABLE DE BOURBON .

couronne et sa vie , Bourbon sa vengeance !

Que d ’

efforts, que de persévérance, que de

courage,que de haine i l avai t fallu au

nouveau général de Charles - Quin t pour

en ven i r à ce poin t où tout encore demen

ra i t en question ! Depui s quinze mois , i l

parcourai t pas? à pas l ’Allemagne et le Mi

lanais , demandant des soldats à conduire et

des victoi res'

à remporter,soll icitan t des

périls comme un autre des honneurs , en

gageant son crédit , fa isant a rgen t de sa

vaissel le de ses j oyaux , de sa parole , re

crutan t des vengeu rs dans la plu s vile po

pu lace , flattant celui -ci , éblouissant celui

là étudiant le côté faible de chacun

promettan t ce qu ’ i l ne pouvai t ten i r , dé

pensant toute la séduction de son langage

pour entraîner quelques m isérables de plus

sous son drapeau . I l avai t enfin réussi ; son

L ’ HEURE DE L A VEN GEANCE . 203

appel a tou s les vices avai t été entendu .

Satan sembla i t avoi r recru té pour lui dans

les enfers .

En reportant son regard sur le passé , le

connétable comprenai t à peine comrflrÿ;Ïént i l

étai t arrivé à ce resultat . Dans le traj et de

sa terre de Chantelle à la frontière de

Franche- Comté,s u ivi d’ un seul de ses

officiers, et traque comme une bête férocepar la gendarmerie du roi

,i l avai t pensé

pl usieurs fois tomber aux mains de ses en

nemis . Arrivé chez le marqu i s de Mantoue,

son cousin,i l ne lu i resta i t pas un denier ,

et le marquis avait dû lui faire présen t d’

un

nouvel équipage de caval ier pou r continuer

sa rou te .Sa campagne de l’ennéeprécédente

contre Bonn ivet ava i t été assez heureuse ;

mais la levée du siège de Marsei lle était

204 LE CONN ÉTABLE DE BOURBON .

pour lu i un échec qu ’ i l tenai t à cœur de

réparerd’

une manière éclatante : l ’occasion

étai t belle , pu isqu’

il allai t combattre à la

fois ses deux ennemis acharnés, _Bonn ivet .

et François I“ . A tous ces moti fs de haine

personnelle se j oignai t encore le dési r de

venger ses partisans mis à la question etj etés dans les cachots de la Bastille, par

j ugement du parlement dePari s . I l plai

gnait surtout le sort du malheureux comte

de Saint -Vallier , condamné à mort etmené

j usque sur l ’échafaud , où l’

annonce de la

commutation d e sa peine lu i fut fa ite par le

bourreau,ce qu i n ’

empêcha pas ce viei llard

innocent d ’en perdre la rai son . E t comme

si ce n’

étai t pas encore assez de tou s ces

souvenirs déch irans qui rempl i ssaient le

cœur du héros,i l avai t encore à redouter

les sui tes de la j alousie de ses nouveaux

206 DE CONNÉTABLE DE BOURBON .

glorieux de la conquéri r et de la'

donner

ensui te à un roi .

Le duc ouvri t une des fenêtres de 1 egl i se

pour refroidir sa tête embrasée . Ses yeux

se fi x èren t sur le ciel , et i l demeura long

temps à le contempler .

François I",s ’eoria - t— i l

,en ce mo

men t Dieu tient le livre où nos deux noms

sont Écri ts ! Quel est celui qu i disparaî tra !

Le ciel est rayonnant,les constella tions

son t brillantes ! Si mes ca lculs ne me trom

peut pas,si l ’art d ivi n de l ’astrolog ie n

est

pas une vanité men teuse , je dois remporter

auj ourd’ hui la plus signalée de mes vic

to ires. Je sens dans tout mon être comme

un espri t de force qu i descend ! Ange ou

démon , i l me paraî t qu’

une puissance iu

L ’HEURE DE L A VENGEANCE . 207

visible est là , qu i me pou sse et qui me di t

TU VA IN CRA S .

En ce moment , entrèrent les écuyers du

duc ,portañt toutes les pièces de son armure;

Pompèrent et le colonel Frundsberg ve

naien t en même temps prendre les ordres

de leur général .

— Monsieur Frundsberg , dit le conné

table,nos hommes sont- i ls prêts

Monseigneur vous êtes obe1 .

C ’est bien . Avez — vous donné l ’ordre

a chacun d ’eux de couvri r son justaucorps

d ’une toile blanche,afin que nous pui ssions

nous reconnaî tre malgré la nui t

Je l’ai donné .

Pour moi , continua le due, la casaque

208 LE CONNÉTABLE DE BOURBON .

d’

or que j e porte par dessus mes armes me

fera suffisamment remarquer . ! à vous

au tres , ajou ta r t i l en s’

adressant à ses

écuyers , qu’on m

habi lle ! M’

avez vous

choisi mes plus fortes lances ?

Ou lu i en présenta plusieurs,et les

écuyers commencèrent à lu i attacher les

pièces de son armure . Dès qu ’ i l senti t le

contact de l ’acier sur sa poi trine son v isage

s’

anima d ’une ex pression terrible , et la soif

de vengeance qui le dévorait sembla passer

dans ses yeux . Son ame , dégagée de tout

autre soin'

paraissai t concentrée sur cette

pensée fixe qui la dominai t . Pompéran t

hésita long- temps avant d ’oser le troubler

dans ses réflex ions i l s’y hasarda”

pour

tan t .

Monsieur le duc,balbutia—t- i l à son

240 LE CONN ÉTAB LE DE B OURBON .

Que lu i dira i -j e‘

? hasarda de nouveau

Pompéran t .

Que j e ne puis la recevoi r .

Suzanne de Langenfeld entrai t à l ’ instan t

où le duc de Bourbon prononçai t ces

mots .

Monseigneur,dit —elle , d ’une voix

presque éteinte par l’

émotion Mou sei

gueur , quelques m inutes , j e ne vous fati

guerai pas long- temps de mes pleurs .

Que voulez-vous , Madame ?

H élas ! tant d’amour ne méri te- t- i l

pas un peu de pi tié !

En ce moment,Madame , repri t le

connétab le d ’u n ton brusque , i l ne s’

agi t

pas de pitié,mais de sang et de meurtre .

Vous voyez bien que ce n ’est pas là la

L ’HEURE DE LA VENGEANCE . 244

«place d’ une femme. E t i l aj outa plus

doucement vous Voyez bien qu ’ i l faut

vous retirer .

Mon Dieu ! murmura madame de

Saint—Romain , j ’ ai tou t quitté pou r le

suivre,et c’ est la récompense qu’ i l me

gardai t ! Quelle funeste influence me ra

mène donc touj ours aux pieds de cet

homme qui me mepr1se et qu i me hait

peut - être ! Quand sa voix menteuse me

peignai t un amour qu 1 1 ne ressentai t pas,

pourquoi me suis -je laissé prendre au

miel de ses paroles ! ne devais-je pas savoi r

que l’orguei l et l’

ambi tion remplissaienttoute cette ame

Le duc , sans lu i répondre , se tourna vers

l’

un de ses écuyers

242 LE CONNÉTABLE DE BOURBON . .

Raimbault , donne-moi l’

épée que j e

portai s à Marignan .

11 ne m ’

écou te seulement pas, reprit

la pauvre femme tout en larmes ; le déses

po i r d’

une maî tresse est trop peu de chose ,

en effet , pour celu i qu i va mettre en deuil

des m ill iers de mères et‘

d’

épouses !

Et le duc continua , en s’

adressant tou

jours à ses écuyers

Allons ! fai tes plus vite ; ne voyez -vous

pas que le temps presse ?

Malheureuse femme que j e suis !

s’

eori a madame de Saint-Romain ! Oh !

oui , bien malheureuse , pu isqu’

en dépi t de

tant d’

ou trages, mon lâche cœur en est

rédui t à aimer encore celui qu i me frappe

si cruellement ! Je pars,monsieur le duc ,

24 4 . LE CONNÉTABLE DE BOURBON .

Un mot encore , Monseigneur ; ce

billet à votre a dresse a été j eté sur mon

passage par un homme 1nconnu .

Bourbon ouvri t brusquement le bi l let

pour se débarrasser au pl us vi te de ce

nouveau retard .

Messieurs , di t- i l après l’avoi r ln

,on

me prévient dans cette lettre que monsieur

de Bonn ivet m’ a dressé une embuscade , et

que cette'

cotte d ’armes es t dési gnée aux

poignards des assassins .

L’

écuyer qui lu i présentai t la casaque

de drap d’

or la lu i retira des mains .

C ’est un signalé service qu’ on me

rend là , Madame . Qui donc dans le camp

de François I°”peut s’ intéresser à ma vie ?

Eli quoi ! ne reconnaissez —vous pas ,

L‘

HEURE DE L A VENGEAN CE . 245

Monsieur,la main du plus géné reux des

hommes 0 honte , honte sur moi

Saint—Romai n ! murmura le duc ; oui ,

c ’ est bien lui ! Noble vengeance qu i me

force à rougir ! Jeune homme honnêt e et

loyal,plus grand dans l

obscuri té de ta

vertu que moi dans la splendeur de mes

victoires !

0 mon père ,mon père ! poursu ivi t

Suzanne , c’ est b ien ainsi que j e devais re

vo ir cette chartreuse de Pavie où l ’ un de

ces tombeaux fu t'

l’

asi le de mon enfance

Un bru it de tambours et de trompettes

vint éto uffer la voix de Suzan ne,qui se

lai ssa tomber sur les dal les de l’eglise .

C ’est l e s ignal , Madame ! s’

écrià le

d uc de Bourbon ; \ priez D ieu pour vous et

pour moi !

246 LE CONNÉTABLE DE nouaeorv.

'

Quelques instans après le bruit avai t

cessé,

Quand les prem iers feux du crépuscule

éclairèrent les vi traux de l’

eglise , la j eune

femme se trouvai t encore à genoux sur le

froid pavé de la chartreuse le front ap

puye contre l’angle d’ un tombeau de mar

bre sur lequel s’

éleva i t , magn ifiquement

sculptée,la statue de Mathieu Visconti , le

premier‘

duc de cette famille s i tristement

déchue . Les soldats impériaux avaient éva

cué le couvent , et, tandis que dans le loin

ta in on entendai t retenti r l ’arti llerie qui

engageai t la batai lle , les vénérables rel i

g ieu x , chantant les louanges du Dieu de

pa ix , parcouraient en procession et l ’ en

censoi r à la main les détours de leur sain t

monastère, pour le purifier du contact des

248 LE CONNÉ TABLE DE BOU RBON .

rencontrer dans un parei l l i eu et dans un

parei l instant avec son mari .

Elle se leva pour aller chercher'

eu dehors

le grand j our, car ses yeux , en plongeant

dan s les profondeurs de l’

eglise,croyaient

touj ours voir apparaître des fan tômes qu i

la glaçaient d ’

efï‘

roi . Elle al lai t a tteindre les

portes,lorsque

,longean t les arceaux de

la nef,elle distingua une ombre qui se

mouvait à ses cô tés . E lle s ’erreta l’

ombre

s’

arrê tacomme elle ; elle étendi t la mai n

une main sms1 t la sienne . Cette main étai t

glacée comme celle d’ un Spectre: L ’

appa

ri tion ramena doucement la j eune femme

vers le chœur de l’

église, qu’elle venai t de

qu i tter . Une fenêtre s’

ouvri t et lai ssa pé

nétrer un rayon du j our . Suzanne tomba

le front contre terre .

Son mari éta i t là devant elle , pâle comme

L ’ HEURE DE LA V ENGEANCE . 249

la m‘

ort , vêtu d’

habits de deui l . A ses lèvres

flé tries pendai t un sourire de dédain et de

p i tié .

Grace ! 0vrace ! Monsieur ! s’écria-t—elle .

Saint —Romain secoua la tête et répondi t

tristement

Je vous l’avai s préd it Madame, qu

un

j o’ur vous souhai teriez de mourir . I l y a un

an de cela au château de Moulins vous

étiez ainsi à mes genoux ; vous me deman

diez votre grace , des larmes dans les yeux ,

le désespoi r sur tous vos tra i ts : j e vous ao

cordai la vie ! Qu’

avez - vous fai t de cette an

née que j e vous ai donnée pour vous re

pen tir

Monsieur , répl iqua Suzanne , d’ une

voix plei ne de terreur,Mon sieur

,ne me

regardez pas a insi !

220 LE CONNÉTABLE DE BOURBON .

Q’

avez - vous fai t de cette année,Ma

dame ? Où sont vos j eûnes où sont vos

veilles, vos stigmates , votre cil ice vos ge

noux que la prière devai t u ser Ce velours

et cette soie , cet or, ces rubans , ces che

veux parfumés, tout cela est encore 1a ur

t isane que le remords n’ a pas purifiée

H élas hélas répéta Suzanne,êtes

vous venu ici pour me tuer

—°

Qu’

avez- vous fai t depu is un an Ré

pondez . Vous avez profité des j ours que je

vous a i laissés,pour af fichermon déshon

neur en tou s l ieux .

D u temps encore , du temps pour me

repenti r ! Ah vous êtes bien cruel !

Saint —Romain jeta sur le carreau le l‘

eu

tre qu i vo ilai t à demi son visage .

222 LE 90NNETADLE DE BOURBON .

J

avez b ien le dro i t . Prenez donc ma Vi e ,

Monsieur ; vengez - vous mai s épargnez -moi

les apprêts de mon supplice . De grace !

que je . ne voie pas mon sang couler

Rassurez -vous,Madame

,i l m ’ a fall u

bien des combats pour obteni r qu’

on vous

laissât la vie

Q uel autre que vous peu t donc desi

rer que j e meure

— Une femme qu’

une secrète haine

anime contre votre père et contre vous .

Eh quoi ! mon père aussi ? fi t madame

de Saint —Romain , tordant ses bras vers le

ciel . Moh père , mon pauvre père ! Que lui

a- t- i l fa it,grand D ieu

— Je te le dira i quand je le verra i là,

étendu mort à mes pieds !

L’ HEURE DE L A VEN GEAN CE . 223

A ces horribles paroles Suzanne tourna

la tête et se trouva face 3 face avec une

femme dont les regards i rr ités lu i laissèren t

pressenti r à quelle vengeance implacable

elle étai t réservée . Cette femme , bi zarre

ment accoutrée,portai t une couronne d

or

sur ses cheveux gris quatre spadassi ns

i taliens la suivaient , de longues épées nues

à la main . Un chartreux marchai t devant

elle , avec un flambeau al lumé .

Orséolo ! et toi brave Galeotto , dit la

femme couronnée à deux de ses satel li tes,

qu i s’

inclinèren t respectueusement,vous

savez dan s quelle chambre du couvent vous

avez renfermé le capita ine Langenfeld .

Mon père est votre prisonni er s ecria

Suzanne . C ’ est fai l de lui ! Madame ! épar

gnez- lo

,prenez ma vie plutôt .

224 LE counErmw DE BOURBON .

La femme repoussa durement madame

de Saint—Romain,et elle continua

Amèn‘

e-moi le capitaine de ces lans

quenets damnés, entends-tu , Orseolo S ’ i l

rési ste, tu es armé ; va

Puis, attiran t à elle la pauvre Suzanne ,

à moi tié morte de frayeur

Tu vas savoi r maintenant pourquoi

j ’ai soif du sang de ton père et du tien .

Ecou te . Ne reconnais— tu pas la m isérable

femme à qui ta pi tié donna du pain

Vous !

C elle qui te conduisi t de Paris à

Moulins qui remi t ton billet d’

amour a u

connétable qu i te procu ra ce dernier eu

tretien si doux que ton mari vint troubler

si fatalement ? Eh bien ! auj ourd’

hui , la

226 LE C ONNÉTABLE DE BOURBON .

Ou i ,'

Madame , répondi t le coudot

L’un de ces deux pauvres anges n’é

tai t- i l pas déjà traversé de deux coups

d’

épée l’

autre blessé seulement d’ un coup

de lance, lorsque le capitaine arriva et pri t

cet enfant dans ses bras pour l ’aller preci

piter par une fenêtre ?

Oui Madame .

Voi là pourquoi ton père va mourir ;

voilà pourquoi tu serais morte toi -même

sans l ’ intercession de ton mari .

Que me réservez-vous donc ? balbu

tia la malheureuse Suzanne .

D ix années dans le cachot d ’

un con

vent ! sans feu et sans lumière ! du pain et

de l ’eau pou r nourri ture ! la terre pour l i t

L ’HEURE DE LA VENGEANCE . 227

pour vêtement un cilice ! un confesseur au

bout de ce temps ! et la l iberté quand tes

cheveux auront blanchi comme les miens !

Ah ! Monsieur,s ’eoria m adame de

Saint—Romain en tombant aux genoux de

son mari,tuez -moi plutô t avec mon père .

Je ne suis pas mai tre ici , Madame ,

répondit-il . Vous ne mourrez pas; que pou

vez-vou s demander de plus

Suzanne se releva rapidement, et, em

brass3n t les p ieds de marbre de la statue

de Mathieu Visconti

Je veux mourir ici,poursuivit- elle

,

tuez-moi sous le regard de ce héros dont

le sépu lcre fut le mystérieux berceau de

mon enfance . J’

en appelle à la pitié des1 5

*

228 LE CONNÉTABLE DE BOURBON .

morts , puisque ici les vivans ont l’

orei lle

fermée à la prière et au repentir !

Césara Vi sconti pâli t et s’arrête devant

la résignation de la j eune femme . Elle

passa les mains sur son front , comme pour

y chercher des souven irs é teints, puis , sai

sissan t le bras tremblant de Suzanne

Ce tombeau ,ce tombeau dit— elle

tu le connais donc Parle sans peur , ou

ne te fera po int de mal j e te l ’assa re .

Mon père , répl iqua Suzanne , m’a

di t que ce monument m ’

avait servi d ’

asi le

et de berceau pendant les guerres , i l y a

de cela seize ans .

Pendant les guerres i l y a seize

ans ! Le roi Louis X II régnai t alors en

France , n’est- i l pas vrai et ton père j e

230 LE CONNÉTABLE DE BOURB ON .

à son sort,agenouillée sur les marches du

tombeau . Saint — Romain les yeux fix és à

terre attendait patiemment l’

issue de cette

scène qu ’ i l ne cherchai t pas même à pré

voi r , car i l n’

y comparaissai t pas comme

j uge , mais seul ement comme témoin ! I l

voulai t le repenti r de sa femme et non sa

mort , et c’

était d’

après ses i nstances que

Césara Visconti s’étai t décidée à remettre

sa victime entre les mains du supérieur de

la Chartreuse .

Au milieu de ces préoccupat ions diver

ses , on vi t s’

ouvrir une des portes latérales

de l ’eglise , et une procession de moines s’

a

vança lentement et en silence j usqu’

au

maître- autel , portant de s cierges allumés

et des encensoirs‘ fumans. Après avoi r

baisé les marches de l’

autel,le plus vieux

L ’HEURE DE L A VENGEANCE . 234

de ces reli gieux s’

approcha de Césara

Nous sommes prêts , ma sœur , lu i

di t- i l , à exécuter vos ordres . Une cellule

retirée inaccessible au j our attend la pé

n i tente dans la partie la plus reculée du

monastère . Quand les temps seron t meil

leurs , j e la conduirai moi -même au cou

vent des Bénédictines de Pavie .

Pas encore , mon père , répondit la

femme couronnée . Mettez- vous en prière,

et veu ille le C iel éclairer notre j ugement !

Lorsque les moines se furent reti rés à

l ecart , Cesara V isconti prêta l’

oreille et

courut entr’ ouvrir la porte de l’église .

Silence , dit-elle , aperçois l e capi

taine de Langenfeld .

232 LE CONNÉTABLE DE BOURBON .

Suzanne fi t un cr i de j oie .

Il vient à nous , continua Césara .

T imoteo ne les a cependant pas rejoints .

Galéotto lu i I ls Or

séolo veut i l porte la main

sur son Il est mort !

Ou entendi t un gémissement au dehors

et comme le bru i t d ’un corps qu i t ombe .

C ’est vous qui l’ avez tué,Madame !

s ecria Suzanne toute en pleurs .

En ce moment les deux condottieri en

traient dans l’egl ise,portant le corps du

capitaine de Langenfeld,qui fut déposé aux

p ieds de Césara . Suzanne se j eta sur son

père et tenta de le ranimer par ses baisers .

Ne l ira i -je rien dans ses trai ts mur .

234 LE counEu nu : DE BOURBON .

la duchesse peut-être que ce signe de ré

demption .

Au nom de notre sainte foi ! mon fils,

j e vous absous de vos fautes s i vous me

répondez .

Le c api taine se souleva et regarda le

crucifix .

Cette fille est-elle l a vôtre ? demanda

Cesara en montrant madame de Saint

Romain .

Le capi taine fit signe que non .

Ne l ’avez— vous pas enlevée dans ce

pays? poursu ivi t la duchesse ; où l’avez

vous trouvée

Le capitaine ouvri t ses yeux vaci llans

serra la main de Suzanne et montra du

doigt le tombeau .

L ’

H EURE DE LA VENGEAN CE . 235

Suzanne,tu es ma fille ! s

eor ia * la

duchesse ; c’ est moi qui t ’avais cachée dans

ce tombeau avec ton j eune frère . Dieu soi t

loué ! Mais quelle preuve ! Capi taine Lan

genfeld , i l me faut une preuve si tu veux

la sauver .

Le capitaine saisi t le bras de Suzanne et

fit voir une cicatrice triangulaire qu ’elle

portai t au poi gnet .

Voilà le coup de lance , di t Orseolo

donné par un des‘

nôtres à cet enfant que

le capi taine emporta . Réparation il ne

l ’avai t pas tuée .

Le capi taine poussa un dernier s oupir et

mourut .

Ma fille ! ma fille ! répéta la duchesse

en emportant Suzanne évanouie dans ses

236 LE CONNÉ '

I‘

AB LE DE BOURBON .

bras plus de fureur plus de vengeance!

plus de sang n i de larmes mais le sourire

éternel de ta mère qu i t’ aime maintenan t

de toute la haine qu’elle te portai t .

Saint-Romaiu ne fit aucun effort pour

reteni r la duchesse ; l’

ex pression de son

visage ne changea poin t . 11 demeura quel

que temps encore sans di re un mot . Voyant

que les deux condotti eri qui avaient tué le

capitaine se disposaient à sortir aussi de

l ’egl ise i l les appela à l ui .

! à ,vous autres , leur di t- i i , vous

n’

avez pas peur d ’une bataille rangée

Nous avons fai t vingt an s la guerre

Monsei gneur tant du côté du roi que du

côté de l ’Empereur , selon la solde et les

temps .

Voulez — vous monter à cheval et me

242 L E CO NNÉTABLE DE DOURDON .

maî tre de l ’artillerie de France , l’ un des

héros deMarignan,arrêta, pour unmoment ,

par le feu de ses pièces,l’

impétuosité des

ennemis , qui , divisés en deux bandes , es

sayaien t à la fois de j eter un secours de

troupes dans la ville de Pavie, peu distante

du camp , et de couper les communications

entre les divers corps d‘armée . François I er

et ses favori s , au l ieu de se reposer sur la

viei lle expérience du grand maître,poussé

rent leur gendarmerie sur les Impériaux,

qu’

ils croyaient déjà en pleine déroute , et,

par ce mouvement irréfléch i , préparèrent

à la France le plus effroyable revers qu ’ elle

eût essuyé depuis plusieurs siècles .

Le duc de Bourbon profitant habilement

des fautes de son rival enveloppa les bandes

noi res dans ses deux ai les commandées par

les colom lsFrundsbcrg et S i th , et lesécrasa

L’

H EURE DE LA VENGEANGE . 243

comme dansune tenaille, selon l’

ex pression

de Varillas .

Dès lors cette bataille de Pavie ne fut

plus qu’

une horrible et i nterminable bou

chen e . Les l ignesde l’

armee française une

fois rompues, les arquebusiers espagnols

venaient choisi r et tuer les plus célèbres

guerriers , jusqu’

au mi l ieu des rangs de la

gendarmerie , à la tête de laquelle le roi

combattai t avec le courage du désespoir,

vêtu d’

une cotte d’

armesçde toi le d’

argent,

la tête couverte d’un casque à grands pa

naches qui fiottaient j usqu e sur ses épaules;

i l devint lu i —même le but de toutes les at

taques . François'

combatti t corps à corps

danslamêlée , et il tua de sa main le marquis

de Saint-Ange,petit—fils du célèbre chefal

banais Scanderberg ; i l blessa à la j oue un1 6"

24 4 LE CONNÉTABLE DE BOURBON .

gentilhomme} franc- comtois,nommé d’

An

de10t, contre lequel i l se batti t avec un

acharnement inouï et comme en un combat

singu l ier . Autour de lui tombai t l’éli te de

la noblesse française . Le marquis de Pes

caire reçu t au visage un coup de lance qui

le jeta en bas de son cheval ce qui porta

un peu de confusion danâ‘

les rangs des

Impériaux . Le ro i en profita pour se re

trancher dans son quartier, où vinrent le

rejo indre les derniers débri s de sa gen

darmerie résolu'

s de mouri r à ses côtés .

Le maréchal de Chabannes et le maré

chal de Foix , le plus v ieux et le plus j eune

des maréchaux de France,se firent j our

à travers la mêlée , et se rangèrent des pre

m iers auprès du roi .

Le C iel est contre nous , messieurs !

246 LE CONNÉTABLE DE BOURBON .

encore , ne portons-nous pas la peine de

votre confiance en lui

N’est-il donc plus d ’

espoir, messieurs

interrompi t le roi .

Vous le voyez,Sire

,di t le maréchal

de Chabannes,essuyan t le san g qui cou

vrait sa barbe blanche , , vous le voyez ,

monsieur de Bourbon vien t de mettre en

pièces votre gendarmerie,notre dernier

rempart . Mais Votre Majesté est

— J ’aura1 touj ours assez de force pour

mouri r ! Monsieur le maréchal de Cha

bannes , dites au bâtard de Sav01e de se

porter en avant .

Sire ! i l est mort ! répondit Chabannes

d’ une voix grave et désespérée .

Mort ! mort , di tes- vous ! répéta le roi?

que monsieur de Lafi emou i lle le remplace !

L ’HEURE DE LA VENGEAN CE . 24 7

Sire,i l est mort ! la tête et le cœur

traversés de deux balles,répondit à son tou r

le maréchal de Foix .

Monsieur le duc de Suffol!

Sire,i l est mort ! repri t le vieux Cha

bannes ; mort avec le comte de Vaude

mont et le j eune C lermont d ’

Amboise !

Monsieur de Saint-Sévérin ,mon

grand—écuyer

Sire,i l est mort !

Louis d’

Ars Les comtes de Tournon

et de Tonnerre ? Messieurs de Lorraine et

de Nevers

Morts , Sire ! tous morts !

O li ! j our de deuil pour la noblesse de

France Les princes de mon sang ? Françoi s

de Bourbon,comte de Saint-Pol"

248 LE CONNÉTABLE DE BOURBON .

Blessé à mort !

H ector de Bourbon

Mort !

Le roi de Navarre?

Prisonnier des Espagnols , avec Mont

morency Brion , et les meilleurs de votre

maison

Bonn ivet seul est vivant ! repri t le

maréchal de Foix .

Ne l"accablez pas , di t le ro i . En ce

moment peut-être son courage vous donne

un dément1 .

Ah ! Sire , s’

écria le maréchal de Cha

bannes , pourquoi ne vous êtes-vous pas fié

à vos vieux servi teurs !

Dieu me puni t,messieurs , et Bour

250 LE CONNÉTABLE DE BOURBON .

lai t à grand cris Bonn ivet pour le percer du

bras qui l u i restai t encore .

Le malheureux favori auteur de ce dé

sastre , fi t preuve au moins d’ un courage

qui rachète peut-être une partie de ses

fautes . Coupé du gros de l ’armée royale

par les lansquenets de Bourbon i l se

trouva i so lé dans la plaine , et levant la

visière de son casque , au l ieu de fuir comme

le duc d ’

Alençon , i l rentra dans la mêlée

pour ne po i nt survivre à son honneur . Le

duo de Bourbon espérai t vainement l’at

teindre et le prendre vivant . Il trouva le

cadavre du favori gisant sur le bord d ’un

fossé . Un autre cadavre tou t sanglant était

couché auprès de l ui et deux épées bri sées

les séparaient . Le connétable voulut savo ir

quel était celu i qu i lu i avai t ravi sa victime

L’

EEUEE DE LA VENGE AN CE . 254

Pompèrent leva la visière du casque , e t i l

reconnut Saint Romain . Le malheureux

j eune homme avai t-i l voulu punir l ’auteur

du désastre de Pavie , ou ser‘

vir unedernière

fois son maître ? C ’

est ce qu’

on ne put

savo1 r . Saint -Romain pourtant donnai t

encore quelques signes de vie Pompérant

le fit porter à la vi lle , avec les blessésas

pagnols .

En ce moment des cris de victoire se fi

rent entendre dans le quartier du roi ; le

duo de Bourbon y courut . Franço i s ]

blessé au bras et à la main droite,rendu

presque méconnaissable par le sang qui sor

tai t à flots d’une autre blessure qui l ’avai t

atteint au dessus du sourci l tout meurtri

par le poids de son cheval , qui venai t de se

renverser sur lu i se défendai t désespéré

252 LE CONNÉ'I‘ABLE DE BOURBON.

men t contre la foule qu i le pressai t . Deux

gentilshommes espagnols,qui ne le recon

naissaient pas sans doute, Diégo d’

Av ila et

Juan d ’

Urbiéto l u i mirent sur la gorge la

pcmle de leurs épées . Pompérant se jeta

au mil ieu d’ eux et détourna les coups en

suppl iant le roi de se rendre au duc de

Bourbon . refusa ; mais , pour

arrêter le massacre de sa noblesse i l fit

mander le vice- roi de Naples . Le comte de

Lannoy s’

approcha respectueusemeni du

roi et lu i donna la main pour se relever ,

pu is i l se découvri t et mit un genou en

terre pour recevoir l’épée de son pri son

nier .

Je vous la rends di t François I

trempée du sang de bien des vôtres

Si re répondit le com te de Lannoy ,

Tour Madrid est aux balcons . Le roi

Charles revient de Tolède , et sa nombreuse

cour avec lui . Le cortège est superbe à

voi r . Les cloches sonnent et le canon reten

t i t. Jamais plus brillante cavalcade n ’a

mené pareil brui t sur le pavé de la capi tale

7

260 LE CONNÉTABLE DE BOURBON .

des Espagnes . Les hommes d’

armes des

viei lles ordonnances de Bourgogne mar

chent en tête et font ranger les curieux .

Vingt—quatre pages vêtus de velours aux

couleurs du souverain , qui son t j aune ,

gri s et violet,precedent sa personne im

périale et font caracoler avec tou te la grace

possible leurs palefrois à lagenette et à la

bâtarde . Le grand écuyer ma rche devant

l’

Empereur, armé de toutes pièces d’ armes

blanches“

, et tien t dans sa main droi te l’es

toc de Sa Majesté . Charles monte un magni

fique genet d’

Espagne ,bai obscur ; i l est

armé d ’une riche armure dorée que recou

vre une saye de drap d ’or ; sur sa tê te , se

lon sa coutume,l’

Empereur porte un bon

net de velours no i r , sans panaches n i gar

nitures.

A im i te s’avance le vice -roi de Naples ,

262 LE C ONNÉTABLE DE BOURBON .

d’

Albe don Mércurino Arborio de Gett i

nara , grand chancel ier d’

Espagne , le mar

quis de Villena,le comte de Buren et une

foule de gentilshommes moins célèbres,qu i

à défaut d ’

au tresméri tes,s’

enorguei llissen t

des vertus de leurs aïeux .

La foule se rue aux abords du palais

pour voi r descendre de cheval toute cette

noble compagnie . Dès que l’Empereur à

mis pied à terre,un soldat se j ette à ge

noux sur son passage, et lu i tend un paquet

de lettres qu ’ i l accompagne de cesmots

De la part de monsieur le duc de

Bourbon et de monsieu r le marqu isî le

Pescaire,l ieutenans-généraux de l’armée

d’

Italie ! Le grand— écuyer prend les lettres

et les remet à l ’Empereur , qui ordonne à

TRAH I SON pour. TRAHI S ON . 263

un officier de sa suite de faire condu1re au

palai s le porteur de ces m 1sswes:

Le soldat chargé des dépêches duduc de

Bourbon fut aussitôt introdui t d ans la

grande galerie du palais impérial , où toute

la noblesse du royaume , en somptueux ha

bits de galas,attendait le passage de l ’Em

percur,qui devai t se rendre au Conseil .

C’

était à qui s’élo ignerait au plus vi te de

cet homme couvert de sueur et de pous

sière dont le misérable accoutrement con

trastai t ii ’une façon si si ngulière avec les

manteaux de velours et les fines broderies

de perles et d’or qu’

étalait cette foule

magn ifique . Le soldat , peu sou01eux de l’ a

bandon où on le laissait à dessein pri t le

parti de s’

asseoir sans plus de façons sur un

beau fauteui l de velours violet frangé d’or ,

264 LE CONNÉ TABLE DE BOURBON .

qui se trouvai t à sa portée . La fatigue de

la route qu’ i l venai t de parcouri r car i l

arrivai t de Valence à franc étrier — le pré

disposai t assez au sommei l pour qu ’ i l eût

besoin de tous ses efforts afin de ne pas

manquer à l ’étiquette en se laissant aller au

sommeil . L ’

éternelle procession des cour

tisans qu i passaient et repassaient devant

ses yeux , en attendant la venue de l’

Empe

reur ,eu t le privi lège de le distra ire quel

ques instans mais, à la fin , i l n’

y tint plus ,

et, serrant son feutre entre ses genoux , i l

appuya sa tête contre le dossier bien rem

bourré de son fauteu il , et i l s’

endormi t

profondément .

La galerie é tai t vide , quand î 11 s e

veilla et encore fallut- il pour opérer

ce prodige qu’

un bras vigoureux , attaché

aux aiguillettes de son pourpoint , le se

266 LE CON NÉTABLE DE BOURBON .

l l essaya de la réparer,mais son inter

locuteur ne lui en laissa pas le temps

Foi d ’homme d ’

honneur ! D i ego,lu i

répondit- il,j e vais te contenter sur l

heure .

Ou m’

appelle Charles,et j e su is soldat

comme toi avec cette différence pourtant

qu’on aj oute ordinairement à mon nom

les ti tres d ’

Empereur d’

Allemagne et de

roi d’

Espagne et des Indes .

Je connais cet homme di t le comte

de Lannoy ; i l appartient aux bandes de

monsieur le marqui s de Pescaire . I l com

battai t avec nous à la j ournée de Pavie .

Fort bien,répl iqua l ’Empereur. C ’est

donc toi qu i nous apportes cette missive du

marquis et cette au tre lettre du du c“

de

Bourbonnais et d ’

Auvergne

,TRAH ISON POUR TRAH I SON .

O ll i ,lSÎPGO

Et où as— tu laissé le duc"I l m ’ap

prend dans ce billet qu’ i l vient de débar

quer en Espagne , et qu’ i l fait toute dil i

gence pour arriver dans notre capi tale .

Qu ’ i l y soi t le bien— venu .

Puis se tournant vers les personnages

qui l’accompagnaien t Je dois beaucoup

à monsieur de Bourbon , messieurs . Qu’ i l

soi t accueill i selon son rang et ses méri tes .

Monsieur de Vi llena vous prêterez, s

i l

vous plaî t pour l ’amour de moi , l’un de

vos palais à monsieur le duc de Bourbon,

pendant son séj our à Madrid .

Ou i , Sire , répondit le marquis en

s’

incl inan t ; mais , quand ce traître en sera

sorti vous me permettrez d’

y mettre le

feu .

268 LE CONNÉTABLE DE BOURBON .

Charles ne releva pas lemot du marquis ,

qu’ i l feigni t de n ’

avoir pas entendu , car il

ne voulai t n i approuver n i punir . S’

adres

sant à monsieur de Buren l’

un de ses

chambellans

Hé bien lui di t— i l vous avez lu la

lettre du marqu is de Pescaire ? dites— nous

ce quelle contient .

Sire , répondi t monsieur de Buren

j e ne sais si j e dois obéi r à votre ordre ; les

termes de cette lettre sont d ’une telle in

CODV6D3DCÔ .

Le marquis se plaint - il donc de

Non Si re ; c’ est de son collègue

monsieur le v ice—ro i de Naples,que parle

la lettre du marquis .

270 LE CONNÉTABLE DE BOURBON .

S ire ,s ecria l e comte de Lannoy

pâle de colère et d ’

humiliation me laisse

rez v'

ous ainsi i nsulter en votre présence ?

Vous mépriserez de telles calomnies ,

monsieur, di t C l1arles—Quint , et vous j us

tifierez par de nouveaux services le cho ix

que j ’ai fai t de vous .

L’

Empereur congédia le messager du

duc de Bourbon avec une royale récom

pense,et i l l u i ordonna de répondre à son

général que les portes du palai s lui étaient

ouvertes ; pui s i l continua son chemin vers

la salle du Conseil,où le su iviren t les per

sonnages qui l ’accompagnaien t . Comme

i l en allai t franchir le seu il une - j eune et

belle femme portant une couronne royale

su r la tête,s’

avança de son cô té et vin t l u i

baiser humblement la main .

TRAH I SON POUR TRAH I SON . 27 4

Sire,lu i di t-elle en levant sur lu i

des yeu x i nquiets,veu i llez excuser ma

démarche . I l faut que j e vous p arle ; i l le

faut absolument .

L ’heure est mal'

choisie très-chère

doña Léonora ,répondit Charles , vous le

voyez , j e me rends au Conseil . Laissez-nio i

débattre les affaires de mon royaume , et

j e vous entendrai ensuite .

Vous m ’

entendrez auparavant , mon

frèr e , repri t l a veuve du ro i de Portugal .

Puis, crai gnant d’

avoir ofi”ensé l

ex trême

susceptibi li té de l’

Empereur elle aj outa

plu s timidement

Votre Maj esté ne voudrai t pas faire

le malheur de ma v ie en me contrai

272 LE CONNÉTABLE DE BOU RBON .

gnant d’

épouser un homme que

pu is aimer .

Le visage de Charles-Quint s’

allume

d ’un éclair de jo ie ; qui ne pu t échapper

aux regards de sa sœur. El le prévi t que

sa sol l ici tude devai t servir les proj ets de

son frère, pu isqu

i l l’

accuei11ai t avec une

faveur aussi marquée . Enhardie par‘

ce

premier succès,elle tomba aux genoux

du fier souverain , qu i la releva a ussi tôt

dans ses bras :

Mon frère , poursu ivi t-elle, vous sa

vez si j e fus toujours fidèle et dévouée à

vos moindres ordres . Quand vous avez

daigné di sposer de ma main en faveur de

monsœur le duc de Bourbon j ’ai pensé qu ’a

près les droits de la poli tique,vous ne re

fuseriez pas de consulter aussi les d ispo

274 L E CONNÉTABLE DE BOURBON.

obstacle inat tendu s’

oppose à ce que_ 1e

suive à cet égard la condu i te que j e m’

e

tais proposé de tenir vous serez j uges

entr e monsieur de Bourbon et moi .

Charles—Quin t déposa un baiser sur le

fron t de sa sœur ; pu is i l passa dans la

sal le où ses m in istres l’attendaient .

L’

affaire sur laquelle l’

Empereur appe

la i t les délibérations de ses consei llers

étai t de nature à le préoccuper vivemen t ;

et i l les consul tai t plutô t pour obten ir leur

approbation que pour leur demander des

avis . Il s’ag issait du trai té qui devai t ren

dre la liberté au roi ile France . Fran

cois depuis dix mois languissa it d ans

l’

Alcazar de Madrid . I l avai t refusé j us

qu’

alors de consenti r au démembrement

de son royaume par la cession de la Bour

TRAH I SON POUR TRAHI SON . 275

gogne,et i l n ’

avait pas rej eté avec moins

d’

horreur la proposi tion de rétabli r le con

nétable de Bourbon dans ses titres et dans

ses biens . Charles-Quin t , espérant tou t du

temps,avai t compté lasser la patience de

son prisonn ier,mais i l venai t d ’

apprendre

que le roi était tombé dangereusement ma

lade , et i l craignai t de perdre tous ses

avantages s’

i l le laissai t mourir . C ’est pour

quoi i l avai t résolu de lui accorder quel

ques concessions et de le visiterp our la

première fois dans sa prisôn pour discuter

avec l ui les bases du traité à conclure,

dont un des articles stipulai t que la main

de doùa Leonora serai t reti rée au duc de

Bourbon , pour être donnée au roi de France .

Le chancel ier Gattinara s’

éleva violem

ment contre l’

obl igation que l’ on voulait1 8"

276 DE CONNÉTABLE DE BOURBON .

imposer à François I‘” de céder la Bour

gogne par un traité .

Une fois l ibre , «l it le chancelier , le

ro i n ’

ex écu tera pas cette clause impossible ;

emparez—vous de cette province,Sire , et

vous trai terez ensuite avec le roi .

I l serai t plus grand et plus digne de

vous Sire , répliqua le comte de Lannoy

de le renvoyer chez lu i sans rançon . Quan t

à ce qui regarde la réintégration du duc

de Bourbon dans ses titres et dans ses

biens et l’érection de ses états en royaume ,

Sans aucune mouvance de la couronne , le

roi de France aimera mieux mouri r dans

les fers que de vous l’accorder.

M onsieur de Lannoy,i nterrompi t

l’

Empereur , j’ ai engagé ma pa role à mon

278 DE CONNÉTABLE DE novunou .

Le roi de France , Si re ,di t le chan

eelier , demande la main de la reine de

Portugal votre auguste sœur et i l promet

de faire un j our épouser au dauphin,

l’

infan te ,fille de doña Leonora .

La délibération se trouvai t ainsi tout

naturellement portée sur le po i nt qu i im

portai t le plus à la pol i tique de Charles

Quint ; toutefois i l ne se hâta pas d’

èriger

son manque de foi en vertu d ’

É tat ; i l se

contenta d ’

énumérer avec soin tous les

avantages qui devaient résulter pour l ’Espa

gne de cette all iance à laquel le, à l’

entendre,

i l n ’

avai t pas songé j usque là. Après avoi r

faiblement plaidé la cause du connétable

et témoigné ses regrets de l ’aveu presque

public qu i venai t d ’

échapper à sa sœur ,

i l se rendit à grand’

pcine à l ’avi s qu ’ i l

avai t lu i -même ouvert .

TE .\11 150N roun TEAE 1$0N. 279

Que dira,cette fois , monsieur de

Bourbon"insinua l ’évêque d’

Osma,

qui ne

voulai t pas paraître dupe de la ruse de

l’

Empereur.

La raison d’

Etat , monsieur l evêque ,

répondit Charles , et le bonheur de ma

sœur bien-aimée , sont plus puissans que

moi . M ais , foi d’homme d ’

honneur! nous

indemniserons monsieur duc .

Ou i, Sire , li t 1 evêque en se penchant

à l ’oreille de Charles—Qu int vous l’ i ndem «

n iserez comme pour la Provence et le Dau

phine,que le roi de France gardera .

Dieu seul est maître de l’aveni r,ré

pl iqua l’

Empereur.

Puis , soll ici tant du regard l’

assentimen t

de son Conseil i l poursu i vi t

280 LE CONNÉTABLE DE BOURBON .

A i nsi donc, messieurs , nous disou

terons le trai té de M adrid sur ces

bases .

Je maintiens mon Opinion inter

rompit le chancel ier Gattinara ; ce traité

est désastreux pour l’Espagne . Le roi de

France ne rempl i ra pas et ne peut rempli r

ses promesses .

Vous le scellerez pourtant , monsieur

le grand chancelier , dit Charles-Quint,

c’ est le devoi r de votre charge .

Je ne le scellerai pas s ecria l e chan

celier , car ce traité est contrai re aux vrai s

intérêts de mon souverain .

Hé bien repri t l’Empereur en sou

riant , j e le scellerai moi-même . La séance

de notre Consei l est levée,messieurs .

282 LE CONNÉTABLE DE nounnos.

Qu’ elle demeure donc à notre cour ,

di t- i l nous tâcherons de lui en rendre le

séjour agréable . Puis , remettant l’

ordre au

comte de Lannoy Monsieur le vice -roi

de Naples , j e vous charge de l’

ex écu tion

de cette mesure .

Un chambellan vint annoncer en ce mo

ment l’arrivée du connétable à Madrid . Il

venai t de'

se présenter aux portes du pala is

et i l demandai t à voir l ’Empereur. Cette

nouvelle parut quelque peu déconcerter

Charles— Quint . I l sentai t,malgré lui

quels j ustes reproches i l s’étai t exposé .

Monsieur de Buren demanda quelle ré

pou se on devait porter au duc .

Qu 1l attende ! répondit Charles après

une minute d’

hésitation . É l i l retint eu

TRAH I SON POUR TRA…SON . 283

près de lui l evêque d’

Osma . Quând'

i ls

furent demeurés seuls

Monsieur l evêque ,lu i di t l’Empe

reur , j’ai besoin de vos services .

Je suis aux ordres de Votre Ma

l l faut que vous me trouviez aujour

d’

hu i même un gentilhomme de bonne

maison honnête et pieux , qui consente à

entreprendre un pèlerinage à Rome,à

pied le bourdon et le rosaire à la main

pour le salut d’ une personne qu’

une impé

r ieuse nécessi té va forcer de manquer à un

serment .

S’agit— i l du serment fai t à mon

sieur de Bourbon par Votre Majeste Impé

riale ? demanda l’évêque en Souriant .

284 LE CONNÉTABLE DE BOURBON .

'

Vous me questionnez,j e crois ?

partit l ’empereur d’ un ton presque

ché .

Ne suis-je pas le confesseur de Votre

Majesté ?

Nou s ne sommes pas ic1 monsieur l e

vêque au tribunal de la péni tence .

L eveque d ’

Osma prit un vi sage plus sé

vère .

Je connais un gentihomme francais

poursuivi t-il , laissé parmi les morts à la

batai lle de Pawe et qu’

un de vos o fficiers a

ramené à Madrid , espérant en t i rer quelu

que rançon

Et ce

Est un modèle de p ieté .

286 LE CONNÉTABLE DE BOURBON .

Monsieur le duc de Bourbon fai t pré

veni r Votre Maj esté qu ’ i l attend toujours0

son bon plai sir .

Qu ’ i l attende ! rép0ndit Charles .

Votre Majesté,hasarda l evêque

d’

0sma , prêterai t— elle l’

orei lle aux recla

mations de dona Visconti,de cette pré

tendue héri tière ile la couronne de

Milan"

Ne dépend— i l pas de moi , répondi t

l’

Empereur ,

de rendre certains de ses

droi ts douteux

Sans doute , Sire ,l’

investi ture du

duché de Milan à condit ion d’

épouser la

fille de doña Visconti,serai t un motif

plausible pour dégager vo tre parole envers

monsieur de Bourbon .

TEAE 1S0N revu TRAH I S ON. 287

Charles— Quint lança un regard de colère

à l’ imprudent questionneur ; puis , s‘

adon

cissant tout à coup

Vous êtes de bon conseil , monsieur

eveque d’

0sma lui di t- ii ; mais à l’aven i r ,

si vous m ’ en croyez,vous oubli erez que

j e fus votre élève, e t vous me dispenserez de

rappeler à mon ancien maître qu’ i l ne l’est

plus auj ourd’hui . Occupez-vous , j e vous

prie , de me trouver l’homme que j e vous

ai demandé .

Sire,répondi t 1 eveque , tout décon

certé de la réprimande , j e vous le présen

terai à l’

Alcazar, ainsi que vous me l’avez

ordonné .

Quant à vous,de Buren , pour

suivi t l’

Empereur, vous recevrez ici mon

sieur de Bourbon , et vous lui ferez compa

288 LE CONNÉTABLE DE BOURBON .

gnie j usqu’

au moment où j e pourrai le

recevoir .

L’

Empereur entra dans son cabinet ,

su ivi de son chambellan . Monsieur de Bu

ren fit ouvrirà deux battans'

la porte de la

salle du Conseil et le duc de Bourbon fut

introduit .

Verrm - je enfin l’

Empereur mon

sieur"di t le connétable en cherchant à

contenir un mouvement de mauvaise hu

meur .

Sa maj esté , monsieur le duc , ré

pondi t monsieur de Buren,vous prie d’at

tendre ici ses ordres .

Attendre ! touj ours a ttendre ! répète

le due en froissant‘

ses gants entre ses

do igts , ai -je donc passé les mers pour ve

290 LE CONNÉTABLE DE BOURBON .

sière et le sang qui couvraient . son ar

mure !

Nous ne sommes plus en France

monsieur le duc , balbutia le Conseiller de

Charles-Quint .

Je m ’en aperçois , monsieur ! Cet te

foule de peti ts hobereaux que j ’ai traversée

pour arriver j usqu’

ici daignai t à peine se

ranger sur mon passage . Sainte—Barbe ! j e

ne su i s pas fai t à ces façons d’

agir ! i l faut

que j e parle à l’

Empereur ! Je viens le som

mer de me ten 1r sa p arole . Je viens lui ré

clamer la main de sa sœur et mon royaume

de Provence Et de Dauphine. Je sui s entré

dans ce palai s en soll ici teur j e n’en sor

t irai qu’ en souverain .

Tous les serviteurs de Sa Majesté

monsieur le duc , ne sont également que

TR1msou nous rmmsou . 294

poussière et néant devant les ordres abso

lu s de leur gracieux souverain .

Et serai-je donc rédui t, s ecria le

duc , à regretter ce que j’ai quitté ? Après

avoir clos d’un revers de mon épée la

bouche qui m ’

insultai t me faudra- t- il

baiser la main qui m ’

avi lit‘! Non ! par le

C iel ! le vaisseau qui m ’ a conduit en É s

pagne e st encore à l ’ancre, et j’ai laissé mon

armée d’

I tal ie la lance au po ing dans les

plaines du Milanais .

Un ch ambellan sorti t du cabinet de

Charles—Quint

De la part de l’Empereur, dit- i l en

s’

éloignant après avoir remis un paquet de

lettres à monsieur de Buren .

Encore une fois , monsieur , poursu i1 9

292 LE CONNÉTABLE DE BOURBON .

v i t le duc de Bourbon , j e veux savo i r mon

sort .

Sa Maj esté,répondit mon sieur de

Buren , dès qu’ i l eut j eté les yeux sur les

missives impériales , Sa Maj esté ne recevra

plus personne aujourd’hui .

Le conn étable fi t un mouvemen t d 1m

patience .

Peut- être,conti nua le comte , y a— t-il

dans ces papiers quelque ordre qui vous

concerne .

Voyons ! di t le connétable en par

courant du regard les suscriptions des

lettres que monsieur de Buren faisai t passer

sous ses yeux .

«,Orslonnancc i 111périale qui confère lo

294 LE coq m su c DE BOURBON .

et beau - frère . Auj ourd ’hui AMonsœur

le duc de Bourbon !

Que ferez- vous, monsieur le duc

J 1rai apprendre de la bouche de

Charles-Qui n t dans la prison de Fran

cois que celui -là est bien fou qui se fi e

à la parole des rois .

298 LE CONNÉTABLE DE BOURBON .

mestre-de- camp de l ’ infanterie espagnole,

chargé de‘

la garde du ro i capti f, est venu

lu i-même leur ouvrir les porte s de ce cha

teau-fort,où nul ne pénètre sans un ordre

ex près de l ’Empereur. Ces deux femmes,

dont la li t ière armoriée et le riche costume

de deuil annoncent le rang et l ’ importance ,

sont i ntroduites dans une haute salle où

pendent pêle-mê1e , attachés aux pil iers de

pierre sculptés, les drapeaux castillans {et

les trophée s sarrazins .

Quand les deux femmes se t rouvèrent

seules , elles s’

assirent, et l’une d

elles di t à

l’ autre

I l va bientôt ven ir, ma fille . Songez

d’

ehei r aux ordres de l’

Empereur ; songez

que vous n ’

etes plus Suzanne de Langen

TRAH I SON roun TRAHI SON . 299

feld , mais Catherine Visconti , hérit1ere

de la couronne de Milan .

Ah ! Madame , j e tremble, murmura

la plus j eune des deux femmes .

Songez , poursu ivi t sa compagne , que

la mort de monsieur de Saint-Romain vous

a rendue libre , et que le duché de vos pères

n’ est accordé à monsieur de Bourbon qu

à

la condit ion qu ’ i l le t iendra de vous .

S i le C iel le voulai t ainsi , madame ,

tous mes maux seraient oubliés !

La vieille dame se leva brusquement du

fauteui l où elle étai t assise .

Le verrais- je donc refuser mon al

l iance ! s’

écria-t -elle , cet aventurier qui n’a

d’

esi le que sa tente, de patrie que son camp,

de famille que les bandes de brigands qu ’ i l

300 LE CONNÉTAB LE DE BOURBON .

appelle ses soldats Ah ! c’est lu i faire bien

de l’

honneur, j e cro i s, que dé couvrir du

manteau de mon nom le mépris que sa

trah ison insp i re !

Madame ! madame, po in t d’

impréca

t ions le Ciel v ous a tr0p exaucée

Se peut- il que vous l’aimiez encore,

continua la plus âgée des deux femmes u n

homme a qu 1 vous devez tous vos maux !

un homme dont le cœur n’ a jamais battu

qu ’au bruit des épées et des tambours ; un

homme,madame , qu i ne vous a j amais

aimée !

La j eune femme se cacha la visage dans

un pl i de sa mantille .

Oh ! he di tes pas cela ou vous n’

etes

pas ma mère . Dû t- i l me repousser encore ,

302 DE CONNÉTABLE DE BOURBON .

pi tié , ne sais… pas que l’ame d’ un ambi

tieux est une grève aride que nul sole il ne

peut i‘

édonder?

Par p i t ié , madame , ne me détrom

pez pas .

Et s’ i l refuse d’obem à l’Empereur?

Ah ! ma mère ! répondi t Suzanne en

se j etant dans les bras de sa compagne , ma

mère ! j e serai bien malheureuse

La viei lle dame booba tristement la tête ,

pui s baisant au front la pauvre Suzanne

Rassurez - vous , l ui dit-elle ; i l ignore”

ce qui l’attend ici , car i l n’

én

uons sai t pas à

Madrid . I l ne sait pas que ma vengeance

est un l ion qui sommeille ; D ieu le garde

de la révei ller ! *Songez , ma fille, au ser

ment que vous avez fai t en recevant la

TRAH I SON 9011 11 TRAHI SON . 303

sainte hostie des mains du prêtre. Quelque

séduction qu’ i l emplo ie , quelque menace

quelque prière qu’ i l vous fasse soyez

ferme .

Écoutez ! fi t Suzanne en courant

vers la porte qu’ elle entr’ouvri t et qu ’ elle

referma presque aussi tôt quelqu’

un s’

ap

proche : c ’est lu i . Ah ! j e sens tou t mon

courage défai ll i r . Je voudrais à présent que

ce projet ne se réalisât pas j e voudrais

que l’Empereur renonçât .

— Silence interrompit Cesara V i sconti ,

qu i posa sa main sur la bouche'

de Suzanne,

monsieur de Bourbon ne doit connaître ta

présence à Madrid qu ’au moment où l’Em

pereur nous appel lera devant lui .

Les pas que l’on entendai t dans la gale

304 LE CONNÉ'

I‘

ABLE DE BOURBON .

rie étaien t en effet ceux du duc de Bour

bon qu i venai t chercher à l’Alcazar l ’entre

vue que lu i avait assignée l’Empereur. l l en

ignorai t le motif mais quelque défiance

qu ’ i l pût nou rrir dans son espri t contre la

bonne foi de Charles—Quint , i l n’ allai t pas

pourtant jusqu’

à supposer que l’Empereur

pût se jouer de lu i à ce po in t de mettre en

oubl i d’ un seul coup toutes les promesses

qu’ i l lu i avai t s i solennellement faites . Il

lu i semblai t impossible,non pas seulement

qu’

on oubliâ t ses services passés , mais

qu ’on se privât vo lontairement des bons

offices qu’ i l étai t capable de rendre pou r

l ’aveni r , et que l’on s

ex posât à une ven

geance aussi terrible que celle dont le

champ de batail le de Pavie avait été le

théâtre . Il estimai t Charles-Qu i n t trop bon

appréciateur des choses et des hommes ,

306 L E CONNÉTAB LE DE BOURBON .

la suite de François 1” venai t, disai t- i l

,de

laisser tomber par mégarde de son pour

po int , et qu’

un aut re soldat avait ramassé

sans pouvoir le li re .

Le duo pri t la lettre que lu i présentai t

le soldat elle étai t à l ’adresse du roi,et la

suscrip tion , de la main de madame Mar

gueri te de Valois,duchesse d ’

Alençon . Le

duc l ’ouvri t avec précipi tat ion et sa lectu re

parut le plonger dans un profond étonne

ment .

Diégo , di t - il au soldat, nul au tre que

to i n ’ a vu ce papier , n’es t i l pas vrai

Non , monsieur le duc , si ce n’est Lo

pez,qui l ’ a ramassé et qui me l

a donné

pour vous le remettre , car n i Lopez n i moi

nous n’avons étudié pour être clercs : par

conséquen t nou s ne savons pas li re .

TRAH I SON 9011 11'

l‘

RAH ISON . 307

C ’est bien , dit le connétable en chif

fonnan t le bi llet qu’ i l serra dans son gant ;

c’ est bien . Cc papier n ’a aucune impor

tance ; toutefois ne dis à personne que tu l’ as

trouvé . Viens,condui s- moi chez le gouver

n eu r de l ’Alcazar, j’ ai besoin de lui parler

sur l ’heure .

Le connétable paraissai t très agi té .

Arrivé au logis du capitaine Alarson qui

avai t servi sous ses ordres en Milanais,i l

demanda à voir le roi de France,ce qu ’ i l

n’

obtin t qu’

à grand’

peine ,car le gouver

neur étai t responsable sur sa tête du pri

sonn ier qui déj à une fois avait tenté

d’

échapper à sa surveil lance .

château où François I attendait depui s

2 0"

308 LE CONNÉTABLE DE BOURBON.

dix mo1s la ñu de sa cruelle captivi té.

Quelques salles basses,obscures et hu

mides quelques escabeaux vermoulus,des

lambeaux de tapisserie où les hauts fai ts

des armes espagnoles étaient représentés

avec autant d ’

ex agération que de mauvai s

goû t, voilà ce qui , pour Franço i s rem

plaça it les somptuosités royales des Tour

nelles . Le C iel lu i—même n’

apparaissai t

dans cette triste résidence que rayé par

les barreaux de fer dont toutes les fenêtres

éta ient garnies . Des portes verrouillées au

lieu de lambri s d ’or , des geoliers au l ieu

de chambellans,la méfiance vei llant de

bout et l ’œil ouvert , à la place de la

flatterie aveugle prosternée devant la

puissance du souverain ! La cour du roi de

t ion de sa fortune . On n’

y comptai t guère

340 DE CONN ÉTABLE DE BOURBON.

avai t commandé l’

avant— garde dans la

càmpagne de 4523 , et plusieurs cap i ta ines

et genti lshommes d ’un mérite éprouvé .

Quand le duc de Bourbon entra dans la

chambre du roi un mouvement d ’ i ndi

gnation sefit entendre parm i les pr1sonniers .

Le roi se leva du fauteuil où i l étai t assis .

Le duc traversa lentement et avec digni té

le peti t groupe qui semblai t vouloir

s’

opposer à son passage , et i l vint baiser

respectueusement la main de Franço is I

qui le lai ssa faire et voulut rester seul

avec lu i . Le ro i reçu t le'

connétable comme

un prince de son sang , et comme s’ il eût

oublié qu’ i l l u i devai t tous ses malheurs .

Le duc, de son côté , plaigni t le malheureux

destin du roi,et s’empresse de lui faire

espérer que bientôt son temps d’

épreuve

TRAH I S ON rouu TRAH I S ON . 344

al lait fin ir. B ien plus , i l l u i offri t de s’em

ployer auprès de l ’Empereur, pour presser

le résultat défin i tif des conférences en

tamées par le présiden t de Selves et

l’

archevêque d’

Embrun . Cette modération

de langage entre deux hommes qui con

servaient de si terribles griefs l ’un envers

l ’autre , prouvai t qu’

i ls avaient compri s

tou s deux l ’énorm i té de leurs torts qu ’en

ce moment ils eussent voul u pouvoi r ra

cheter au prix de leur sang . Mais il étai t

trop tard pour retourner en'

arrière cha

cun des deux héros devai t épu iser j usqu’

au

bout les chances de la fortune .

Le connétable aborda enfin le véritable

motif de sa visite .

Sire di t- il vous n’

ignorez pas que

l’

Empereur, en trai tant de votre mise en

3 42 LE CONNÉTABLE DE BOURBON .

liberté , n’a pas de plus cher dési r que

trouver un prétexte pour vous retenir

sa puissance .

Je le sais , répondi t François I qui

lai ssa retomber sur sa po i tri ne sa tête ma

lade e t pesante .

Prenez donc garde fSire poursu ivi t

le duc,de lui fourni r vou s-même ce pré

texte en confian t à de jeunes écervelés de

dangereux proj ets qui ne doivent être

connus que de D ieu et de vous .

François I er demeura interdit de cette

confidence. I l balbutia quelques mots pour

chercher à donner le change au conné

table mais celui - ci lu i glissant la lettre qu’ i l

avai t reçue du soldat D iégo

Si ce bi llet,dit- i l , fût tombé dans les

344 LE CONNÉTABLÉ DE BOURBON .

Eussé-je mis le pied en enfer j e ne le

retirerais pas . Vous me connaissez .

11 se fit un silence de quelques m inutes .

Franço i s I et le connétable parurent tous

deux plongés dans une amère rêverie . Le

ro i repri t le premier la parole .

Aussi b ien que moi monsieur,dit- i l

au duc de Bourbon , vous connaisse z

la dupli ci té de l’Empereur. Passe le C iel

que vous n ’

ayez pas à vous en plaindre !

Je dois vous prévenir que j e ne saura is

accorder les clauses stipulées en votre

faveur par le proj et de trai té qu i m ’

a été

soumis .

Pourtant Sire répl iqua sèchement

le duc , je ne me sens pas disposé à m’

en

départi r .

TRAH I SON pour. TRAH ISON . 345

C ’est l’Empereur qui j ugera de mes

raisons , mon cousin‘

.

J ’ai sa promesse , S i re .

Vous tenez peu de chose , monsieur ,

reparti t François I" , et , sans aller plus

loin,j e vous apprendrai

,si vo us l ’ ignorez ,

que Charles- Quint m ’

accorde auj ourd’hui

le main de la reine de Portugal , sa sœur ,

qu’ i l vous avai t offerte , dit-ou .

On ne m’

avai t donc pas trompé !

s ecria le connétable ! Ce rendez—vous où

l’

Empereur me convie n’a d ’

au tre but que

de m ’

annoncer son manque de foi c’ est

maintenant une autre union qu’ i l me

destine . I l dispose de moi sans me con

su lter , selon les ex igences ou les besoins

de sa polit ique . Je ne sui s plus son alli é

346 LE CONNÉ'

I‘

ABLE DE BOU RBON .

mais son vassal . Sainte—Barhe ! i l n’aura

pas s i bon marché de moi qu’ i l le pense,

et plu tô t que de pl ier lâchement les genoux

devant son

Mon cousin , i nterrompi t François l

serez—vous donc touj ours le même ? Votre

cœur est grand et généreux ,mais,foi de

genti lhomme ! votre tête vous a touj ours per

du ! Jevous conj ure à mains j ointes de réflé

chir à deux fois avant d’ al ler vous rompre

le cou dans une parei lle aventure songez ,

quoi que vous fassiez que l ’Empereur

t ien t votre sort dans sa main .

Il n ’ importe,Sire

,j e n ’ai jamais m is

en balance mon honneur avec mon intérêt .

Je vais t rouver l ’Empereur ; i l saura ma

pensée tout entiè re ° advienne ensui te

que pourra

3 48 LE CONNÉTAB LE DE BOURBON .

genfeld que v ous avez devant les yeux

mai s bien Catherine Visconti,héri tière de

la couronne de Milan par la cession que

mo i,sa mère j e lui fai s de mes droits

qu i sont reconnus par Charles- Quint .

— J ’ai tou t comprisà cette heure , di t le

connétable en fermant la porte de la sal le ,

où i l venai t d ’

entrer avec Suzanne et Césara

Viscont i . Suzanne de Langenfeld ou Cathe

rine Viscont i , comme i l vous pla ira de vous

nommer vous voilà donc liguée contre moi

avec mes ennemis !

Contre lui ! murmura Suzanne en

j o i gnant les mains .

Je sais que l ’Empereur prétend se

servi r de vous pour me forcer à renoncer

à l a main de sa soeur .

TRAH I SON POUR TRAH I S ON . 349

A la main de sa sœur ! je 1 1gn0r3 is

monsieur le duc . Vous allez donc vous

marier

N’

espérez pas , repri t le connétable ,

que j’

accepte de vous l’

investiture du duché

de Milan,en dép i t des prières de Charles

Qui nt . Se poli tique m '

aurait bientôt enlevé

cette couronne,comme i l va l ’ôter àSforce,

qu i avai t sa parole aussi .

Ma mère vous me l ’aviez bien dit !

i nterrompit madame de Saint-Romain .

-Les pr ieres de l ’Empereur , monsieur

le duc , reprit Césara Visconti sont des

ordres pour ses'

suj ets .

Monsieur de Bourbon fi t un geste d’

im

patience et répl iqua fièremen t

348. LE CONNÉTABLE DE BOURBON .

genfeld que v ous avez devant les yeux

mai s bien Catherine Visconti,héritière de

la couronne de Milan par la cession que

mo i , sa mère , j e l ui fai s de mes droits

qu i sont reconnus par Charles-Quint .

— J ’ai tou t comprisà cette heure , di t le

connétable en fermant la porte de la salle ,

où i l venai t d ’

en trer avec Suzanne et Césara

Visconti . Suzanne de Langenfeld ou Cathe

rine Visconti , comme il vous plai ra de vous

nommer vous voi là donc liguée contre moi

avec mes ennemis !

Contre lui ! murmura Suzanne en

j o i gnant les mains .

Je sais que l ’Empereur protend se

servi r de vous pour me forcer à renoncer

à l a main de sa sœur.

320 LE CONNÉTABLE DE BOURBON .

— Je ne suis po i nt suj et de l’Empereur

La France vous a reme pour son fils,

poursuivi t Cesara , i nterrogez plutôt ces

voûtes encore retentissantes des cri s de

douleur de François I°” elles vous diront

monsieur,que les traî tres sont maudits et

détestés en tous l ieux ; que pour eux i l

n’

est pas de patrie , et que le C iel dél ie les

hommes des sermens qu ’ on leur a fai ts !

Madame ! s’écria le duc hors de lui .

Suzanne se j eta entre sa mere et lu i .

Monsieur ! monsieur quel ordre êtes

vous venu me donner

I l fau t , madame que de vous-même

vous disiez à l‘

Empereur que vous ne con

sentez plus à m ’

épouser ?

TRAH ISON pour. T lŸAH I SON . 3 2 4

Que j e dise cela mo i ? non mon

je ne pourrai j amais prononcer ce

Ma fille si tu étais assez lâche pour

y consent ir . …

Décidez— vous

Non non ! répéta Césara .

H é bien ! àmbi , D 1eg0 ! Lopez ! Vous

ne pafl erez pas à l’

Empereur madame

car j e vou s enlèverai de ce chateau par la

force

Le connétable fi t un pas vers Suzanne .

La porte du , fond s’

ouvrit . L’

Empereur

parut .

Dieu soi t loué monsieur de Bourbon,

di t Charles-Quint en entrant puisque vous1 . 2 1

322 LE CONNE3AE LE DE BOU RBON .

avez été vous —même au devant de l’entrevue

que je vous préparais .

S i re balbutia le duc .

Foi d’ homme d’honneur j e su is heu

reux que mon pl us cher dési r se trouve

d’accord avec vos propres sentimens.

— 0 mon D ieu murmura madame de

Sai nt-Romain .

L’

Empereur conti nua

Après l e trai té de Madrid que nous

allons signer ici avec mon frère Fran

cois à qui j e donne ma bien aimée

sœur , dona Léonora, pour épouse , mon

présentera votre con trat'

de mariage mon

sieu r le duc , ainsi que l’acte d ’

investi ture

224 LE CONNÉTABLE DE BOURBON .

autrement , le respect me commande le

silence .

L’

Empereur j eta sur le connétable un

regard sévère .

Votre silence , monsieur le duc , parle

bien haut , et votre respect a l’

allure assez

fière .

Bourbon répl iqua sans se déconcerter

S i J ai méri té la disgrace de Votre

Maj esté vous daignerez du moins me fai re

savoir en quoi . j’

ai faill i .

Ah ! madame ! i l va se perdre , hasarda

Suzanne tout épouvantée du cours que

prenait la conversation .

Si vous appelez une disgrace , conti

nua C l1arles-Quint , le don que j e vous fais

TRAH I SON nour. TRA… SON . 325

du duché de Milan pour lequel la France

et l’Espagne l uttent depu i s un siècle et

demi,vous êtes bien diffici le à contenter

monsieur ; moi l’

Empereur , j e prie D ieu

qu ’ i l ne m’en réserve j amais d ’

autre .

Au moins , Sire vous m ’

apprendrez

pourquoi j e dois renoncer à la main de

votre sœur

Monsieur !monsieur ! murmura l ’Em

percur en battan t du pied le parquet, v ous

me chaussez les éperons de bien près !

Que Votre Majesté me pardonne

mais cette

Étai t fai te‘

pour flatter votre orgueil

en conviens,mais le bien de mon royaume

exige que j e dispose autrement de ma

sœur:

326 L E CONNÉTABLE DE BOURBON .

Pour la donner à François I" !

— Le ro i de France,monsieur

,n’est-il

pas aussi bon genti lhomme que vous et

moi

Cela se peut Si re , mais J avais de plus

que lui mes services et votre parole . Dai gnez

m’

ex cuser, j e ne suis pas habitué , de quel

que part qu’elle vienne,à garder long- temps

l’

offense que j ’ ai sur le cœur.

Charles-Quint fronça le sourcil .

Et moi monsieur j e ne suis pas ha

bitué à vo i r mes faveurs dédaignées ! Vous

épouserei la fille de dona Visconti et vous

serez duc de Milan ou,j ’en j ure par ma

couronne impériale

Ah Sire ! S i re ! i nterrompit Suzanne

en'

se j eta nt aux genoux de l ’Empereur je

328 LE CONNÉTAB LE DE BOURBON .

Charles - Quint Opéra une diversion dans

le cours de son humeur . 11 ordonna que les

premiers officiers de sa maison allassent

chercher le roi son frère et que l ’on dé

ployât vis—à-vis du captif toutes les plus

respectueuses formes de l ’étiquette espa

gnole . Au même i nstant l ’eveque d’

Osma

s’

avança vers son maître‘

et lui demanda

la perm15smn de lu i présenter le jeune

genti lhomme français dont i l lu i avai t

parlé .

Vous avez mes i nstructions,monsieur

l evêque , di t Charles-Quint , c’est à vous

de lu i i ndiquer le chemin qu’ i l do i t ten ir .

Sire , répliqua le confesseur, vous ne

refuserez pas à ce pieux jeune homme la

faveur d’

êtçe, admis à baiser les mains de

Votre Majesté ?

TRAH I SON POUR TRAH I SON . 329

Sur un s igne de l’Empereur, on intro

duisit un j eune homme dont l’

aspect ar

racha un cri de surprise et d’

elï‘

roi aux

témoins de cette appari t ion inattendue .

Suzanne s’

évanouit dans les bras de sa

mère .

Que veut dire cec i . s’écria Charles

Avant de quitter ce pays pour n ’

y

plus reveni r , di t le nouveau venu en s’ad

dreSsan tà l’

Empereur, permettez , Sire , que

j e me fasse connaître à vous . Ou m’

appelle

Pon thus de Saint- Romain. Je fus meme a

Suzanne deLangenfeld , reconnue aujourd’

hui par sa mère pour l’

héri tière de la cou

ronne et du nom des Visconti de Milan .

L’homme ne peut défier ce que leC iel a

330 LE CONNÉTABLE DE BOURBON.

l ié l’

Empereur est p uissant, mais D ieu est

plus puissan t .

Je n’ai rien à répondre,di t l’Empe

reur. A i nsi donc vous venez m ’

annoncer

que vous n ’

acceptez pas

Au contraire , Sire , j e pars à l mstant

même, et j e viens vous remercier du don

que vous m ’

avez fai t de ma l iberté .

Faites- eu un saint u sage mon s ieur

repri t l’Empereur , et que vo tre piété et

votre résignation ne se .démentent en eu

cune c irconstance de votre vie .

J ’en ai beso i n,Sire

,répondi t le j eune

h omme,à qu i Charles-Quint abandonna

ses mains à baiser .

Saint-Romain s’

approcha de sa femme ,

qu i venai t de reprendre ses sens e t qu i

332 LE CONNÉTABLE DE BOURBON .

même jeter un coup d ’

œ i l du côté de sa

femme tombée presque mourante sur le

parquet .

Le connétable , abattu et consterné , eut à

peine la force de balbutier ces mots .

I l me semble que c’ est mon bon ange

qu i s’ en va

I l se fit‘

un momen t de profond silence .

Le duc d ’

Albe entra et se di rigea vers

Charles-Quint .

Sire,lu i dit— il, on a vainement cher

ché par toute 1a ville madame la duchesse

d’

Alençon .

M’

aurait-elle échappé‘

murmura

Cl1arles—Qu i nt .

Tout espo ir n’

est pas perdu , répondit

TRAH I SON rouu TRAH IËON . 333

le duc d ’

Albe . Depuisce matin , les portes

de Madrid sont closes,et personne n ’a pu

sorti r sans être vu .

C ’est bien —di t l’

Empereur. Donnez

des ordres pour que le roi de France soit

amené dans cette sal le, et conduisez ic i

madame la duchesse d’

Alençon aussi tôt

qu’elle sera reprise .

Le duc d ’

Albe s’

éloigna . Charles—Qum t

fit quelques pas vers le connétable .

Monsieur le duc , le ro i va veni r pour

signer le traité de Madrid . Malgré ce qui

s’ est passé entre nous , i l ne tiendra pas à

moi , j e vous j ure que la Provence et le

Dauphine ne vous appartiennent . Ne vous

éloignez pas . Foi d ’l wmme d ’

honneur ! j e

vous ferai mander quand nous en serons à

l’

article qui vous concerné.

334 LE CONNÉTABLE DE BOURBON .

Le duc de Bourbon se reti ra dans une

sal le voisine . Madame de Saint-Romain et

sa mère sorti rent par une autre por te .

Ah je n’a i pas fin i de souffrir , mur

mura Suzanne en s’

appuyant sur le bras

de sa mère .

Et moi , dit Césara V isconti , j e n’

ai

pas fi ni de maudire

L’

absence de la duchesse d’

Alençon sem

blait vivement préoccuper Charles- Quin t .

La sœur de Françoi s la belle Margueri te

de Valois , veuve de ce duo d’

Alençon qu i

ava i t fui s i lâchement à la batail le de Pavie,

et que l a honte avai t tué dans sa re trai te ,

étai t accourue en Espagne aussi tô t qu ’elle

avai t su que son frère venai t d’

être enfer

me par l’Empereur dans l’

Alcazar de Ma

336 LE CONNÉTABLÉ DE BOURBON .

l e roi et’

sa su ite éta ient là auprès de lui qu i

attendaient son bon plaisir . Avant d’aller

au devant de son prisonn ier, l’

Empereur de

manda encore au duc d ’

Albe qui entrai t s i

l’

on n’

avait pas de nouvelles de la duchesse .

l l s’

avança enfi n vers son pri s onnier .

Di eu vous garde et vous conserve ,

Si re lu i di t-_il,avec cet air de fausse bien

vei llance dont i l couvrai t toutes ses per

fidies.

Vo tre Majesté, répondi t le roi vien t

donc enfin vo i r'

mouri r son prisonnier

Ne dites pas que vous êtesi

mon pri

sonnier, reparti t Charles—Quint , mais mon

bon frère et mon ami . D ieu m ’en est témoin ,

j e n’a i d’

autre dessein que de vous rendre

l ibre , et de vous donner toute la satisfac

tion que vous pouvez désirer .

TRAH ISON pour: TRAHI SON . 337

Quant à moi,repri t le roi , croyez que

ma reconnaissance ne sera j amais en reste

avec votre générosité .

E n foi de notre sincérité mu tue lle,

poursuivi t l ’Empereur, qui pres sa Fran

cois Ier dans ses bras , embrassons - nous ,

mon frère , et que tout sujet de discorde

demeure éteint entre nous.Avez —vous dcm'

c

cru que j e vous lai sserai s mourir dans cette

prison

Non , Sire , carj’

ai une rançon à vous

payer .

Ne vous souvenez-vous pas, cont inua

l’

Empereur sans paraître remarquer l’ai

greur de la réponse, qu’

après la fatale ba

tai lle qui vous fi t tomber en mon pouvoir,

jedéfendis dans mes États les feux de j oie,1 . 2 2

338 LE CONRÉTAB LE DE\BOURBON .

les sons de cloches et les reyou issances

publ iques

A D ieu ne plaise , d is iez -vous alors ,

que insulte par o<heuses fêtes au mal

heur de mes frères . Les fêtes ne convieu

nent qu’

aux succès obtenus contre les en

nemis de la rel igion . Je m ’ en souviens

car ce fu t ce jour£là même que j’

entrai dans

la pr ison de P1ZZ 1ghettone , d’

où j e ne fus t1ré

que pour veni r ici . I l y a de cela dix mois !

Oublions-le mon frère et formons

ensembleune chaîne indissoluble dont votre

l iberté sera le premier anneau .

Je le veux bien , pourvu que cette

chaîne ne me rappelle pas celle que vous

m’

avez donnée à Madrid .

Non , mon frère , vous serez content

340 LE CONNÉTABLE DE sounnou.

une hostie rompue en deux que sa digne

sœur partageai t sa intement avec lu i ! Voilà

la clémence de Charles Quint empereur

auguste , roi des Espagnes et des Indes !

voilà l ’hospitalité du ro i cathol ique envers

le roi très— ch rétien

Parlons de l ’aveni r , mon frère ,

s’

eoria Charles ,car le p assé n

’est plus à

nous . Je veux que nous ne r ival isions

désormais que de bons sentimens et de

franche amitié . Je vous abandonne la l igne

d‘

Italie le pape les Florent ins Lucques,

Sienne , le duc de Ferrare et les Véni

t iens .

Un léger sourire vint efileurer la b6uche

du roi de France .

— Vous ferez d’

au tant mieux Sire , ré

TRAH I S ON roue rmmsou . 344

pondit— il , que le pape et Florence se sont

séparés de vous,que Lucques et Sienne

vous ont refusé de continuer leurs contri

butions de guerre , et que Ferrare et Venise

ont trai té avec madame la régente de France,

ma mère bien-aimée .

L’

Empereur l’

interrompit

Ne vous fiez pas au mo ins

messes de ces fourbes .

Ne craign ez rien pour mo i lemalheur

m’ a rendu sage .

—Pour obtenir votre a lliance , poursuivi t

l’

Empereur j e romprai avec le roi d’

An

gleterre votre ennemi .

— H enri V l l l , Sire, est maintenant votre

ennemi plus que le mien . Demain , si j e

342 L E CONNÉTABLE DE BOURBON .

le veux i l prendra les armes en ma faveur .

Mon frère , j ugez chacun de nous

non par ses paroles mais par ses actes .

Vous en êtes témoin , j e n’ai rien tant à

cœur que de vous renvoyer dans votre beau

royaume de France . Oh ! Pari s sera bien

glorieux ce j our- là . Votre mère , vos en

fans à vos côtés votre‘

noblesse et votre

peuple crian t Noe l ! a u tour de vous ! L’ ori

fl amme déployée , les fenêtres pavoisées

les tambours battens , et ce mot , ce mot

sonnan t plus haut que toutes les gloires du

monde la l iberté

Ah ! bien heureux j our que celu i où

j e serai l ibre ! s’eoria François avec enthou

siasme .

L’

Empereur approcha du roi une plume

et un rouleau de papiers écri ts .

3 4 4 LE CONNÉTABLE DE BOURBON .

j e pui s faire, c’est de lu i rendre ses biens ,

et de .l’

admettre à discuter devan t notre

parlemen t les dro i ts qu’ i l prétend avoi r

sur l a Provence .

Cependant cette couronne nouvelle .

Jamais plutôt mour1r 101 !

En prononçant ces mâts la voix de Fran

ç ois ] étai t «

p le in e d’

u ne expression à la

foi s douloureuse et résignée . Charles com

pri t qu’ i l ne devait pas insister davantage .

Eh bien ! rayons cet article,dit- il, en

prenant la plume à son tour j’

y consens ,

pu isque vous le voulez . Vous accepterez

du moins les autres condi tions . Vous me

cèderez à moi la Bourgogne . Qu! est-ce

qu’

nne pauvre province auprès de la l iber

té que j e vous rends“?

TRAH I SON POUR TRAH I SON . 345

Le roi se leva de sa chaise et fi t un mou

vement de colère

Que j e reconstruise cette maison de

Bourgogne qui coûta tant de sang à la

France ! que j’

introdu ise dans le centre de

mon royaume un ennemi touj ours prêt à

mettre le trouble chez mo i ! Non ! n ’

y

comptez pas !

Cette fois , Sire , reparti t sèchement

l’

Empereur, ma demande ne souffre pas de

refus .

Je le sais , car i l s’agit de vot re in

Songez que vous ne sorti rez pas d’

1c1 .

J’

y su i s décidé .

Songez que vos amis votre sœur

e11e—même .

346 LE CONNÉ TABLE DE nounaoiv.

Elle est maintenant hors de votre

pouvoi r, s’

écria François I", triomphant à

son tour .

Serait- il vrai

Le comte de Lannoy entra précipi ta

ment

S ire,depu i s deux

jours la duchesse

d’

Alençon est sortie de Madrid ; j e v iéns

d’en acquérir la certi tude .

Charles—Quint frappa du pied avec co

lère

Eh bien dit- i l, la France ne reverra

donc pas son ro i

Vous vous trompez S i re répondit

François ma sœur emporte avec elle un

acte,le dernier que j

aurai signé , par le

348 LE p ONNÉ'I‘

ABLE DE BOURBON .

le connétable s’approche respectueusemen t

de lui

Sire j e viens réclamer

Votré‘Majesté Impériale pour

cerne les É tats de Provence

phiné .

Monsieur le duc , interromp i t Fran

çois vous n ’

aurez rien de moi j ’aime

mieux mouri r prisonnier de l ’Empereur.

Si re , j e l’ avais deviné ! répond i t le

connétable .

La confusmn de l ’empereur”

étai t au

comble .

J ’ai fai t ce que j ’ai pu , mons ieur, dit-i l

au duc de Bourbon .

Je remercie Votre Maj esté reparl it

la parole de

ce qu i con

et de Dau

TRAH ISON rous TRAH I SON . 3 49

celui-ci , j’ai entendu ce qu ’elle a dit en ma

faveur .

C ’

est a insi , monsieur le duc s ecria

le roi , que la trahison s’

ex pie par la trahi

son .

DU TOME PREMIER .